Sœur Cécile Renouard (à gauche) et M. Dominique de Legge (à droite)

Le groupe d’amitié France-Saint-Siège, présidé par M. Dominique de Legge (Les Républicains – Ille-et-Vilaine), a reçu, le 25 mai 2021, sœur Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption.

Étaient en outre présents MM. Jérôme Bascher (LR – Oise) et Bernard Fournier (LR – Loire), Mme Marie Mercier (LR – Saône-et-Loire) et M. André Vallini (Socialiste, Écologiste et Républicain – Isère).

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M. Dominique de Legge, président, a rappelé le parcours de sœur Cécile Renouard, diplômée de l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), docteure en philosophie et titulaire d’une licence canonique en théologie. Après avoir été administratrice de l’Agence française du développement (AFD), sœur Cécile est désormais membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l’homme. Elle enseigne au Centre Sèvres, à l’École des mines, à l’ESSEC et à Sciences-Po. Elle dirige le programme de recherche « CODEV - Entreprises et développement», de l’Institut ESSEC Iréné et elle a cofondé, en 2017, et préside le « Campus de la transition » dédié à la formation autour du changement climatique.

M. Dominique de Legge, président, l’a ensuite invitée à développer la vision de l’entreprise et de l’économie portée par le pape François. Selon sœur Cécile, ce dernier exprime tout particulièrement sa conception de l’articulation entre les enjeux économiques, climatiques et sociaux dans trois documents : l’encyclique Laudato Si du 24 mai 2015, mais également l’exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia du 2 février 2020, et l’un des premiers textes de son pontificat, l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium du 24 novembre 2013. Dans ces différents ouvrages, le Pape réfléchit sur les « limites planétaires » et fait le lien entre l’homme et l’économie, entre un contexte spécifique et l’universel. C’est dans Evangelii Gaudium qu’il utilise l’image du polyèdre, plutôt que celle de la sphère, pour réfléchir à notre planète, et montrer son attention à la diversité du monde. Avec Laudato si, le Pape a le souci de proposer une perspective à l’échelle mondiale mais de rejoindre chacun dans sa spécificité.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que s’inscrit le concept du Campus de la transition, animé par sœur Cécile, un lieu d’enseignement et de recherche visant à promouvoir une transition écologique, économique et humaniste. Ce projet n’a pas de vocation confessionnelle mais est ouvert aux enjeux spirituels. Certaines personnes y trouvent le sens de leur engagement.

Sœur Cécile a ensuite proposé de décliner l’approche du Pape selon quatre axes, ou quatre « C » : la conscience, les choix critiques, la créativité et la capacité. L’approche du Pape a été critiquée, ce dernier ayant été perçu comme tenant un discours politique. Mais il propose d’appréhender les réalités avec un autre regard, d’envisager la création de valeur d’une autre manière à travers les relations humaines.

M. Bernard Fournier (à gauche) et M. André Vallini (à droite)

Abordant tout d’abord la question de la conscience, sœur Cécile a souligné que pour le Pape, il fallait atteindre les racines humaines et spirituelles de la crise écologique. « Tout est lié » selon l’expression qui lui est chère. La préservation de la nature passe par la fraternité entre les êtres humains. Le Pape demande de réfléchir à la décomposition des chaînes de valeur mondiales, et notamment à la « culture du déchet » au sens propre – on en fabrique de grandes quantités – comme au sens figuré – des êtres humains sont considérés comme tels. Il ne s’agit pas que d’économie, mais aussi d’autonomie et de dignité de la personne humaine. Le Pape a été très sensibilisé à la question des chiffonniers en Argentine. Il estime que « l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience » (Laudato si, n° 105).

Sœur Cécile a ensuite mis en évidence le souhait du Pape de pousser les hommes à effectuer les choix critiques qui se présentent à eux. Le pape François dénonce le discours du juste milieu, qui peut être une forme de mirage où l’on espère concilier tous les enjeux. Au paragraphe 194 de l’encyclique, il l’exprime de manière forte : « Il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès. Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. […] Dans ce cadre, le discours de la croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing et d’image ». Selon le Pape, les acteurs doivent donc faire des choix, établir des stratégies, et ainsi arbitrer entre plusieurs facteurs. Exercer son esprit critique implique pour chacun de hiérarchiser ses priorités.

La pensée du Pape n’est pas éloignée de la « théorie du Donut » développée par l’économiste Kate Raworth afin de réfléchir à la croissance économique dans les limites planétaires en prenant en compte un plancher social et un plafond environnemental. Si pendant longtemps l’économie a été pensée à travers l’image de l’augmentation de la taille d’un gâteau dont on assurait ensuite le partage, il faut aujourd’hui réfléchir aux conditions de la croissance elle-même et aux enjeux de responsabilité sociale et environnementale. Le Haut conseil pour le climat relevait récemment que le projet de loi climat et résilience actuellement débattu au Parlement n’apportait qu’environ 10 % de la solution.

Le Pape ajoute l’aspect culturel aux trois piliers classiques du développement durable. Il se réfère aux actions relevant d’une échelle individuelle et quotidienne. Prônant une « sobriété heureuse », il définit dans Laudato Si une l’attitude intérieure résultant d’une conversion écologique.

Le Pape invite également à la créativité à travers un dialogue multi-parties-prenantes et à différentes échelles dans le but d’orienter les investissements vers des solutions répondant aux enjeux de notre époque, à l’image de la création de chaînes de valeur plus courtes. Il appelle à la prise de conscience de chacun, et notamment des entreprises, à tous les niveaux. Un autre type de croissance est à promouvoir, faisant de celle-ci un moyen au service des hommes et de la planète.

Enfin, sœur Cécile a souligné que le Pape situait l’ensemble de ses réflexions dans une perspective relationnelle liée à la capacité de l’homme à replacer l’économie comme moyen au service d’une fin, ainsi qu’à la qualité des relations des personnes entre elles et à l’égard de la création, à l’exemple de Saint-François d’Assise.

Après que M. André Vallini a souligné le caractère très politique des prises de position du Pape, M. Jérôme Bascher a regretté le manque prise en compte par le Pape des questions démographiques et des apports possibles des nouvelles technologies, alors qu’elles peuvent permettre d’atteindre les objectifs de préservation de l’environnement. Sœur Cécile a répondu que les technologies devaient en effet être au service de la transition, mais que leur utilisation devait toujours faire l’objet de discernement. La technique ne peut pas tout résoudre ni pallier l’épuisement de certaines ressources. Il faut viser une durabilité plus forte. Concernant la démographie, le Pape considère qu’il convient d’abord de régler les questions de l’éducation, de la pollution et du gaspillage.

M. Jérôme Bascher

M. Dominique de Legge, président, s’est interrogé sur la vision qu’a le pape du développement durable comme simple outil de marketing pour les entreprises. Il a également interrogé sœur Cécile sur le rôle des règles de droit par rapport à la prise de conscience individuelle. La réponse est-elle du domaine législatif ou relève-t-elle de la conversion ?

Selon sœur Cécile, le Pape prône un développement humain intégral. Il faut affronter les objectifs contradictoires, les articuler. Les entreprises ne doivent pas suivre une logique commerciale de court terme, mais voir les choses de plus haut et sur une plus longue durée.

Une réponse législative est nécessaire pour formuler des règles. On peut penser aux réflexions sur la réforme de la définition de la société commerciale dans le code civil. L’article 1832 indique : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ». On pourrait y ajouter qu’elle ne peut agir contre l’intérêt général. Le reporting extra-financier, les normes comptables, les écarts de rémunération sont également des sujets-clefs. On doit transformer les choses à la bonne échelle. Les dirigeants des grands groupes ont une responsabilité politique compte-tenu de l’influence qu’ils exercent.

Enfin, sœur Cécile a ajouté que la réponse passait également par les actions individuelles. Le pape François appelle à une conversion à trois niveaux : celle de la vie quotidienne, celle des règles de la vie collective et celle de la vie spirituelle, dans un souci de justice et de bien commun. La transition n’est pas qu’écologique, elle est intérieure. La dimension spirituelle de l’homme doit être honorée.

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