Le groupe d’amitié France-Canada a auditionné l’ambassadrice de France au Canada, Son Exc. Kareen Rispal, le 21 avril 2021, à l’invitation du groupe d’amitié de l’Assemblée nationale.
Étaient présents pour le Sénat : Mme Claudine Lepage (Socialiste, Écologiste et Républicain – Français établis hors de France), présidente du groupe d’amitié, Mme Martine Berthet (Les Républicains – Savoie), MM. Olivier Cadic (Union Centriste – Français établis hors de France) et Michel Canevet (UC – Finistère), Mme Hélène Conway Mouret (SER – Français établis hors de France), M. Michel Dagbert (SER – Pas-de-Calais), Mme Catherine Fournier (UC – Pas-de-Calais), M. Frédéric Marchand (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants – Nord), Mme Colette Mélot (INDEP – Seine-et-Marne), M. Jean-Pierre Moga (UC – Lot-et-Garonne) et Mme Catherine Morin-Desailly (UC – Seine-Maritime).
Étaient également présents pour l’Assemblée nationale : M. Jean-Luc Lagleize (Modem – Haute-Garonne), président du groupe d’amitié, Mme Annie Chapelier (UDI-AGIR – Gard), MM. Stéphane Claireaux (LaREM – Saint-Pierre-et-Miquelon), Guillaume Kasbarian (LaREM – Eure-et-Loir), Jacques Marilossian (LaREM – Hauts-de-Seine), Denis Masséglia (LaREM – Maine-et-Loire), Mme Charlotte Parmentier-Lecoq (LaREM – Nord) et M. Jean-François Parigi (LR – Seine-et-Marne).
Situation sanitaire au Canada
Son Exc. Kareen Rispal a affirmé que les premières et secondes vagues au Canada ont été bien gérées, malgré de nombreux décès dans les maisons de retraite. Le pays a mis en place une approche tournée vers la santé mais a su arbitrer entre cette dernière et l’économie. Il a fait le choix de l’aide économique mais en contrepartie a demandé aux Canadiens de rester chez eux.
Cependant, la troisième vague qui frappe le pays est plus forte. On dénombre aujourd’hui au Canada 23 600 décès pour environ 28 millions d’habitants et 8 700 nouveaux cas par jour, une augmentation de 26% des cas depuis la semaine précédente.
On observe aussi des hospitalisations de personnes plus jeunes. Le nombre de personnes en soins intensifs est en augmentation et s’élève à 1 050. Les capacités hospitalières canadiennes sont moindres qu’en France et le système hospitalier est saturé. On dénombre aussi de nombreux cas de variants brésiliens et sud-africains.
La troisième vague affecte principalement le Québec et l’Ontario. Des mesures restrictives très différentes sont prises d’une province à l’autre – puisqu’il s’agit de compétences des provinces – et il n’y a pas d’harmonisation des mesures sur l’ensemble du territoire.
Ottawa se consacre aujourd’hui au volet économique de la crise et à la gestion des flux entrants. Les voyageurs étrangers ne peuvent pas entrer au Canada sauf en cas de motif impérieux. Le régime est extrêmement strict. Les vols avec les Caraïbes et le Mexique ont été suspendus. Les voyageurs sont soumis à un test PCR lors de leur arrivée sur le sol canadien. Ils sont ensuite soumis à une quatorzaine dans des hôtels dédiés, puis à un second test pour quitter ces hôtels.
Un comité consultatif harmonise la campagne et fixe les lignes directrices de la vaccination. Toute personne devrait y avoir accès avant septembre 2021, selon le gouvernement canadien. Les seuls vaccins autorisés sont Pfizer BioNTech, Astra Zeneca, Moderna et Johnson & Johnson. Le Canada rencontrant des difficultés d’approvisionnement, le début de la campagne a été très poussif. Ne possédant pas d’usine de production, le pays est totalement dépendant des livraisons de vaccins et a bénéficié d’un prêt de doses d’Astra Zeneca de la part des États-Unis, vaccin à l’égard duquel on observe un début de défiance. A l’heure actuelle, 24% de la population a reçu une première dose. L’administration de deux doses réglementaires est espacée de 4 mois.
Sur le plan économique, le Canada a mis en place un programme d’aide très généreux, avec notamment un accès facilité à l’assurance-emploi. Les revenus des ménages canadiens ont augmenté de 11% grâce à une politique économique des plus généreuses au monde, selon l’ambassadrice, alors que la croissance économique du pays a fortement baissé. La dette canadienne est de 50,7% du PIB et le plan de relance est évalué à 100 000 milliards de dollars.
Situation politique au Canada
Son Exc. a rappelé que le parlement canadien n’a pas voté de budget depuis deux ans. Le Parti libéral du Premier Ministre Justin Trudeau est resté, avec 157 sièges, le parti le plus représenté à la Chambre des Communes, qui compte 338 membres, mais n'a pas réussi à conserver la majorité. Les libéraux ont fait alliance avec le Nouveau parti démocratique (NPD), qui rassemble 24 sièges, pour obtenir la majorité au sein du Parlement. La chute du gouvernement lors du prochain vote du budget n’est donc pas envisagée, même si une dissolution du Parlement est possible.
D’après Son Exc., Justin Trudeau a tout intérêt à déclencher des élections législatives anticipées pour obtenir une majorité renforcée au sein du Parlement et ainsi « avoir les mains libres » dans l’après-pandémie. Dans cette perspective, des élections pourraient être convoquées d’ici la fin de l’été. Son. Exc. conditionne la victoire de Justin Trudeau à l’efficacité de la campagne de vaccination, jusque-là approuvée par 30% des Canadiens.
Enfin, Son Exc. s’est exprimée sur le Parti conservateur canadien dirigé par Erin O’Toole. L’enjeu pour les conservateurs consiste à réconcilier les deux ailes du parti pour qui des divergences sur des sujets sociétaux et environnementaux (avortement, changement climatique) persistent.
Maintenir les relations diplomatiques franco-canadiennes à l’aune de la crise sanitaire
Son Exc. a souligné le dynamisme des échanges diplomatiques franco-canadiens, en particulier dans les instances multilatérales (G7, G20, GAVI - Alliance du vaccin).
Les sujets régulièrement évoqués entre les autorités françaises et canadiennes concernent l’environnement avec le plan de relance vert, le sujet de l’intelligence artificielle, ou encore les questions d’égalité femmes-hommes à travers la tenue du Forum Génération Égalité.
Par ailleurs, le ministre des Solidarités et de la Santé français, Olivier Véran, a récemment rencontré son homologue canadien. Lors de cet entretien, la France a évoqué le souhait de voir le Canada partager ses vaccins avec le continent africain.
Deux échéances sont prochainement prévues :
· le Conseil des ministres franco-canadien, créé en 2018 sous l’égide du Président de la République français Emmanuel Macron et du Premier ministre canadien Justin Trudeau, devrait se tenir de façon virtuelle en juin 2021 ;
· les rencontres alternées des premiers ministres français et québécois.
Les relations Canada/États-Unis
Son Exc. a rappelé que le mandat de Donald Trump a été marqué par une série de complications : renégociations musclées de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), augmentation des droits de douane, crise diplomatique avec la Chine, etc.
Selon Son Exc., l’élection de Joe Biden à la Maison-Blanche marque un renouveau dans les relations Canada/États-Unis, comme en atteste la rencontre virtuelle entre Joe Biden et Justin Trudeau. Une feuille de route commune a pu être établie à la suite de cet entretien : lutte contre la Covid-19, changement climatique, politique de fermeté à l'égard de la Chine et de la Russie, accueil supplémentaire de réfugiés, etc.
En matière climatique, les États-Unis exhortent le Canada à rehausser d’ici à 2050 leurs engagements climatiques en passant de 32 à 40% de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, Son Exc a souligné la difficulté pour les entreprises canadiennes de répondre aux appels d’offres américains en raison de l’American Buy Act.
Relations économiques : l’accord économique et commercial global (AECG, ou CETA en anglais)
Son Exc. s’est ensuite exprimée sur les relations économiques entre la France et le Canada au travers de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada, entré en vigueur en 2017 : le CETA. Son Exc. a rappelé qu’aucune crainte ne doit être manifestée par les Européens vis-à-vis de cet accord, notamment concernant la viande bovine élevée aux hormones. Elle a signalé qu’il était encore tôt pour affirmer qu’il est bénéfique, même s’il a déjà permis l’augmentation des échanges entre le Canada et l’UE d’une part, et le Canada et la France d’autre part, l’amélioration du solde commercial français et la croissance des échanges de services, des exportations françaises, etc.
Le secteur des vins a ainsi connu une augmentation de ses exportations de près de 16 % entre 2016 et 2020. En effet, le vin représente le produit le plus exporté par la France au Canada mais le secteur des fromages prend également de l’ampleur. Son Exc. a d’ailleurs mentionné que la majorité des entreprises françaises qui se développent au Canada font partie du secteur agro-alimentaire et que de nombreuses entreprises françaises remportent les marchés publics canadiens grâce à leurs filiales canadiennes. Reste à savoir si cela est dû au CETA.
Son Exc. a cependant rappelé que la crise sanitaire a provoqué une baisse des échanges et des exportations françaises vers le Canada, d’environ 20%.
Concernant les droits de douanes préférentiels accordés aux exportations françaises, Son Exc. a indiqué que leur taux d’utilisation était encore limité à cause de démarches administratives trop lourdes. La Commission européenne a lancé la plateforme en ligne Access to market afin de faciliter ce processus.
Enfin, Son Exc. a précisé que plusieurs instances permettent un suivi régulier de l’accord : le forum de coopération réglementaire, le comité des accords de reconnaissance mutuelle (dont une vingtaine de réunions ont lieu sur la mise en œuvre de l’accord) et des comités sectoriels (comité sur les vins et spiritueux, etc.).
Situation consulaire
Son Exc. a indiqué que les élections qui devaient avoir lieu en mai 2020 ont été reportées au 29 mai 2021 à cause de la pandémie. Elle a informé les députés et sénateurs français de la volonté des Français établis au Canada et de l’ambassade que les élections se déroulent dans des lieux diplomatiques et consulaires. Toutefois, elle a signalé que la pandémie a également provoqué un arrêt des tournées consulaires laissant nombre de Français dans une situation précaire. Pour y remédier, les premiers ministres des provinces de l’Atlantique ont décidé de créer la « bulle atlantique », en vigueur de juillet à novembre 2020, afin de permettre aux résidents des quatre provinces atlantiques de se déplacer librement d’une province à l’autre, sans obligation de quarantaine. Pour l’heure, la réouverture de cette bulle n’est pas envisagée avant la mi-mai, de même que les frontières. Des Français ultramarins se retrouvent bloqués au Canada sans vol pour rejoindre Saint-Pierre-et-Miquelon. Son Exc. a rassuré les parlementaires en indiquant que les consulats restaient très mobilisés en maintenant leurs services d’urgence.
Questions-réponses
En réponse aux interrogations du président du groupe d’amitié France-Canada de l’Assemblée nationale, M. Jean-Luc Lagleize, Son Exc. Mme Kareen Rispal a spécifié l’agenda du Conseil des ministres franco-canadien. Y seront abordées les questions de l’engagement du Canada aux cotés de la France dans la lutte anti-terroriste, principalement au Sahel. Les problématiques concernant la biodiversité et la coopération au sein d’un partenariat franco-canadien sur l’hydrogène seront aussi à l’ordre du jour. Un partenariat économique mondial concernant l’intelligence artificielle sera également abordé.
Le sénateur Olivier Cadic s’est inquiété de la réaction canadienne face aux commentaires très négatifs portés sur le CETA lors du débat ayant eu lieu à ce sujet dans le Sénat français. Son Exc. a affirmé que les Canadiens sont favorables à tout type d’accord de libre-échange qui permette au Canada d’intégrer la mondialisation et n’ont manifesté aucune réaction face aux propos français. Au sujet des éleveurs français qui s’inquiètent d’une possible concurrence sur le marché de la viande bovine, Son Exc. a rassuré les députés en affirmant que le Canada n’est pas dans une démarche de conquête des parts de marché de la viande en Europe. Le coût de la filière étant supérieur aux bénéfices attendus et le faible pourcentage d’exploitations canadiennes respectant les normes européennes, cela ne permet pas à l’élevage canadien d’être commercialisé en France.
La sénatrice Claudine Lepage et le sénateur Olivier Cadic ont fait part des préoccupations des parents d’élèves français résidant au Canada concernant le maintien en présentiel des épreuves écrites du baccalauréat. Son Exc. a répondu que le maintien des épreuves est conditionné à la levée, le 20 mai prochain, du confinement (stay at-home order), faute de quoi les épreuves seront reportées en septembre 2021. Pour le moment, les épreuves sont maintenues en présentiel, à commencer par l’épreuve de philosophie prévue le 28 mai. Son Exc. a cependant exprimé sa réticence et plaide pour l’instauration d’un contrôle continu. L’aide financière aux études (AFE) a été saisie.
Mme Lepage a également évoqué les élections consulaires, en interrogeant son Exc. sur leur tenue, qui reste conditionnée aux décisions gouvernementales quant à la levée du stay at home order.
La députée Charlotte Parmentier-Lecoq est revenue sur l’image négative dont souffre le CETA en France, notamment en ce qui a trait à la question bovine. La députée a souhaité obtenir des informations sur la volonté des éleveurs bovins canadiens de pénétrer le marché français et européen. Son. Exc. a tenu à rassurer les éleveurs français. Face à l’interdiction d’importer du bœuf aux hormones, seulement 70 exploitations canadiennes (sur les 30 000 existantes) sont homologuées pour exporter des contingents de viande bovine en France et en Europe.
Le sénateur Olivier Cadic s’est inquiété des conséquences de l’échec du rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard. Son Exc. s’est voulue rassurante et a indiqué qu’il n’y avait pas d’impact majeur ni de conséquences à long terme car les investissements repartent à la hausse.
Le sénateur Olivier Cadic et le député Stéphane Claireaux ont interrogé Son Exc. sur le projet d’intégration de Saint-Pierre-et-Miquelon à la bulle atlantique. Son Exc. s’est montrée compréhensive face à la situation des Saint-Pierrais et Miquelonnais. Cependant, la décision d’intégrer la bulle atlantique est prise au niveau fédéral et Saint-Pierre-et-Miquelon faisant partie de la France, Son Exc. a dit sa crainte « que le coût de l’exception soit difficile à endosser pour les Canadiens ».
Pour terminer, la sénatrice Hélène Conway Mouret a souhaité prendre la parole afin de revenir sur le sujet des élections des Français établis hors de France. Elle a, par ailleurs, rappelé qu’elle était marraine du « projet Amicitia », qui prévoit l’édification d’un monument pour célébrer l’amitié passée et future franco-canadienne, dans le cimetière historique de Beechwood. Elle a ainsi suggéré d’organiser le déplacement prévu (conditionné à l’évolution de la situation sanitaire) au moment de son inauguration.
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- Mme Delphine BERT
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