Il s'appelait Gaston Monnerville (1897-1991)
par Philippe MARTIAL, Directeur de la Bibliothèque et des Archives du Sénat
"Le fils d'Outre-mer que je suis doit tout à la République. C'est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue m'apporter la dignité et la culture. C'est elle qui m'a tout appris et qui a fait de moi ce que je suis" (1997)
"Tous les mouvements de liberté et de démocratie, à travers les temps et les pays, revêtent la même forme : l'instauration ou le respect de la loi"
L'enfance à Cayenne (1897-1912)
Gaston MONNERVILLE est né en Guyane française, à Cayenne, le 2 janvier 1897, de Marc Saint-Yves MONNERVILLE et de Marie-Françoise ORVILLE. Du côté paternel, la famille est originaire de Case-Pilote, commune de la Martinique (où résidait l'aristocratie de l'île). Le futur Président tenait le métissage de sang noir essentiellement de sa branche maternelle.
L'oncle, Saint-Just ORVILLE, sera maire de Case-Pilote. Il veillera sur la famille de sa sœur.
En signe de reconnaissance, Gaston MONNERVILLE prendra, dans la clandestinité, le pseudonyme de SAINT-JUST.
Les études
En 1912,Gaston MONNERVILLE, boursier, quitte la Guyane et entre en classe de seconde, à Toulouse, au Lycée Pierre FERMAT, lycée installé dans le vieil Hôtel de Bernuy. Il s'y montra un élève particulièrement brillant, aussi doué pour les sciences que pour les lettres.
En classe de seconde, Gaston MONNERVILLE accumule les récompenses : prix d'excellence, premier prix de mathématiques, deuxième prix de version latine, troisième prix d'histoire moderne, etc...
La classe de rhétorique est, elle aussi, fort brillante et le palmarès est impressionnant : prix du Tableau d'honneur, premier prix en mathématiques, premier prix en anglais (première langue), premier prix en espagnol (deuxième langue), etc...
Le brillant élève opte pour les Lettres et choisit de suivre la classe de Philosophie. Il y remporte le prix OZENNE, le prix d'Honneur, etc...
Etudiant aux facultés de Lettres et de Droit de Toulouse, Gaston MONNERVILLE, passe à la fois sa licence ès lettres et sa licence en droit, avec félicitations du jury. C'est également avec félicitations du jury qu'il est reçu, en 1921, docteur en droit, après avoir soutenu une thèse sur « L'enrichissement sans cause ». Celle-ci est honorée d'une souscription du ministère de l'Instruction Publique et primée, la même année, au concours des Thèses.
L'avocat : Toulouse (1918-1921) - Paris (1921-1932)
Dès 1918, Gaston MONNERVILLE s'inscrit au Barreau de Toulouse. Reçu, en 1921, au Concours des Secrétaires de la Conférence, il obtient la Médaille d'Or « Alexandre FOURTANIER » qui récompense l'un des meilleurs Secrétaires. A ce titre, il prononce, à une séance solennelle de rentrée, un discours remarqué sur « La Critique et le Droit de Réponse ».
Gaston MONNERVILLE quitte Toulouse et s'inscrit, en 1921, au Barreau de Paris. Il entre bientôt au cabinet d'un célèbre avocat (et futur homme d'Etat), César CAMPINCHI (1882-1941), dont il sera, pendant huit ans, le principal collaborateur.
En 1923, il est reçu au Concours des Secrétaires de la Conférence des Avocats, à la Cour d'Appel de Paris. En 1927, il est élu Président de l'Union des Jeunes Avocats.
Gaston MONNERVILLE plaide plusieurs grands procès. Et surtout, il s'illustre, à l'âge de 34 ans, en 1931, dans l'affaire « GALMOT ». Inculpés, après l'émeute provoquée, en 1928, par la fraude électorale et par la mort suspecte de Jean GALMOT, quatorze Guyanais sont traduits devant la Cour d'Assises de Nantes. Avec FOURNY, ZEVAES et Henri TORRES, G. MONNERVILLE assure leur défense. Sa plaidoirie produit un effet considérable sur les jurés, qui se prononcent pour l'acquittement.
L'homme de conviction et l'orateur
Les idées politiques de Gaston MONNERVILLE se sont fixées très tôt et ont, très tôt, déterminé son engagement : il adhérera à une loge maçonnique (la Grande Loge de France), militera dans les rangs du parti « radical-socialiste » et toute sa vie il consacrera une éloquence entraînante à exalter les Droits de l'Homme, à combattre le racisme et, plus tard, à défendre le bicamérisme et le Sénat. L'écrivain sera estimé, et surtout, l'orateur sera célèbre...
Le député de la Guyanne (1932-1940)
A la suite de l'affaire GALMOT et du procès retentissant des émeutiers de Cayenne, ses compatriotes demandent à G. MONNERVILLE de se présenter en Guyane, contre le député sortant, Eugène LAUTIER. G. MONNERVILLE est élu à une majorité considérable, au premier tour de scrutin, en 1932, et sera réélu de la même manière, en 1936.
Le sous-secrétaire d'État aux colonies
Gaston MONNERVILLE sera deux fois ministre, très exactement sous-secrétaire d'État, comme on disait à l'époque : du 22 juin 1937 au 18 janvier 1938 puis du 18 janvier au 10 mars 1938.
C'était l'équivalent des « secrétaires d'État » actuels, dont alors le titre n'existait pas.
- le troisième ministère CHAUTEMPS, (nommé « Président du Conseil» par décret du 22 juin 1937).
Dans ce gouvernement, Léon BLUM était vice-président du Conseil, Albert SARRAUT ministre d'État, Yvon DELBOS aux Affaires étrangères, Vincent AURIOL à la Justice, Edouard DALADIER à la Défense nationale et Guerre, Henri QUEUILLE aux Travaux publics, Paul RAMADIER sous-secrétaire d'Etat aux Travaux publics. Le ministre des Colonies était Marius MOUTET et son sous-secrétaire d'État, Gaston MONNERVILLE...
- Et le quatrième cabinet CHAUTEMPS, immédiatement consécutif, (décret du 18 janvier 1938) et qui durera jusqu'au 10 mars de la même année. (Marius MOUTET était remplacé par Théodore STEEG).
La nomination d'un homme de couleur au Gouvernement ne fut appréciée ni en Allemagne, ni en Italie. Dans « l'Azione coloniale » du 22 juillet 1937, un article titré « Derrière le Rouge du Front Populaire vient le Noir » annonce la création d'un sous-secrétariat d’État aux Colonies « confié au noir G. MONNERVILLE » et commente :
« La France a adopté une politique indigène qui, outre qu'elle est une folie pour la nation française elle-même, est un danger pour les autres nations de l'Europe, car cette action qui dépasse le cadre purement politique pour rencontrer le cadre biologique, doit être dénoncée à l'opinion publique mondiale, là où existe une race incontestablement supérieure à celle de couleur que la France voudrait implanter au cœur de l'Europe ».
Ministre, G. MONNERVILLE eut à traiter de deux dossiers importants : le fonds colonial et le conflit sino-japonais.
- Le fonds colonial
Il n'était pas encore ministre, lorsque Marius MOUTET réunit, en novembre 1936, une conférence des Gouverneurs généraux des colonies françaises. Cette conférence avait lancé l'idée d'un fonds favorisant l'équipement de l'Empire.
Une commission avait été créée le 11 janvier 1937 pour examiner ce projet. A la suite de ses travaux, Marius MOUTET déposait, le 7 mai 1937, un projet de loi. Gaston MONNERVILLE fut désigné pour le rapporter devant les députés.
Il rapporta le projet devant la Commission de l'Algérie, des colonies et des pays protectorats le 15 juin 1937. Une dotation annuelle inscrite dans la loi de finances devait alimenter un fonds national pour le développement économique, social et sanitaire de l'Empire. Pour la gestion de ce fonds, G. MONNERVILLE proposait de substituer la Caisse des Dépôts et Consignations à l'organisme privé proposé par le projet. La Commission adopta le rapport. La commission des Finances, saisie à son tour, émit également un avis favorable.
G. MONNERVILLE étant nommé au Gouvernement, c'est Adolphe VINCENT qui rapporta le projet devant les députés. Projet adopté à l'unanimité le 2 juillet 1937. Mais Joseph CAILLAUX, Président de la Commission des Finances au Sénat, bloqua le projet. Il refusait que le crédit destiné à la guerre soit détourné au profit des colonies. Marius MOUTET et Gaston MONNERVILLE eurent beau plaider, le Président CAILLAUX ne se laissa pas convaincre.
Plus tard, G. MONNERVILLE écrivit dans ses Mémoires : « les événements ultérieurs devaient montrer avec quelle clarté aveuglante combien Marius MOUTET et moi avions raison en voulant équiper l'outre-mer ! ».
G. MONNERVILLE reprendra le projet, le défendra auprès de l'Assemblée constituante en 1946 et le fera aboutir : ainsi sera créé (loi du 30 avril 1946) le fonds d'investissement pour le développement économique et social des territoires d'outre-mer, plus ordinairement dénommé F.I.D.E.S.
- Le conflit sino-japonais
Ce conflit éclata le 10 juillet 1937.
La Société des Nations évoqua la menace de guerre, le 15 septembre. Elle adopta une résolution le 6 octobre, selon laquelle les membres de la S.D.N., signataires du traité des Neuf puissances de 1932 (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Belgique, Japon, Chine, Italie, Pays-Bas, Portugal) examineraient le dossier à Bruxelles, en vue de proposer une médiation. La France envoya une délégation qui comprenait Yvon DELBOS, ministre des Affaires étrangères, et Gaston MONNERVILLE. Sa nomination souleva quelques surprises et G. MONNERVILLE invoqua la nécessité de protéger les intérêts français en Indochine.
La conférence de Bruxelles fut un échec.
Dans ses Mémoires, Gaston MONNERVILLE indique qu'il dût prendre une décision assez grave : la Chine avait passé un contrat avec notre pays pour l'achat d'avions de combat. Elle avait versé le prix. Le conflit sino-japonais ayant éclaté, fallait-il rester neutre ou livrer les avions ? G. MONNERVILLE choisit d'honorer le contrat.
1939 - L'engagement
Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Gaston MONNERVILLE est parlementaire, âgé de plus de quarante ans. Aux termes de la loi sur l'organisation de la Nation en temps de guerre, il n'est pas mobilisable. Mais il entend participer au combat.
Avec plusieurs de ses collègues, il obtient d'Edouard DALADIER un décret-loi (5 septembre 1939) qui les autorise à s'engager. Ce qu'il fait aussitôt (7 septembre 1939).
Il servira comme « officier de Justice » sur le cuirassé « Provence ». Ce bâtiment participera à une croisière de guerre qui se terminera tragiquement à Mers-el-Kebir, le 3 juillet 1940. G. MONNERVILLE sera alors démobilisé le 16 juillet.
Durant toute cette croisière, (23 janvier-25 juin 1940) G. MONNERVILLE tiendra un important journal de bord, un manuscrit (soixante-dix feuillets) illustré de nombreux croquis et d'une sorte de reportage photographique.
Une escadre avec, à sa tête, le cuirassé « Provence » appareille de Toulon, le 23 janvier 1940, pour une mission de guerre. Gaston MONNERVILLE tient un journal de bord, où il consigne, jour après jour, tous les traits marquants de la croisière : l'heure de départ, l'état de la mer, les étapes, les rives longées, les bâtiments d'escorte, la destruction d'un sous-marin...
Le style est très varié. Parfois, G. MONNERVILLE se contente d'indications chiffrées : « vitesse : 18,5 noeuds, ce qui représente une consommation de 15 tonnes de mazout à l'heure, à 4.000 F la tonne, soit 60.000 F à l'heure ».
D'autres passages ont le ton de l'impression personnelle : « Spectacle magnifique des deux croiseurs encadrant le cuirassé précédé par les deux contre-torpilleurs ». Ou : « Vu le commandant », et G. MONNERVILLE ajoute : « cordial et heureux de voir que son bateau tient bien la mer ; me dit « que le bateau obéit bien à la commande ».
Certaines pages sont soigneusement et longuement rédigées. Citons, par exemple, les lignes qui décrivent l'effet sur les hommes de la Marseillaise : « A quoi pensent-ils ? Saluent-ils l'hymne qui dans leur esprit symbolise la Patrie ? Saluent-ils le Drapeau, symbole plus matériel et plus tangible encore ? Pensent-ils à la guerre que l'hymne guerrier évoque toujours ? »
« Pensent-ils à la France ? Je ne sais, mais cette soudaine gravité me frappe et m'émeut ! Conscients ou non, ces hommes saluent dans l'hymne révolutionnaire et dans le Drapeau qui glisse vers le faîte du mât, un pays qui est pour eux le symbole de la Liberté, du respect de la personnalité humaine. Peut-être est-ce aussi le dynamisme de la « Marseillaise » qui les remue : j'ai observé sur d'autres et sur moi-même l'effet nerveux que produit cet hymne si mâle. Peut-être ces hommes sont-ils nerveusement remués par les accords puissants ponctués des coups sourds des tambours. Quoi qu'il en soit, leur gravité est réelle... ».
Pour mieux se représenter la situation militaire, G. MONNERVILLE dresse des sortes d'états simplifiés des forces en présence, comme des « pense-bête » minutieux sur les opérations terrestres et maritimes, en cours : effectifs alignés, ressources économiques, puissance de feu, territoires envahis, etc.
Le samedi 15 juin commence par ces mots : « Ils entrent à Paris » et il souligne. Puis, il écrit : « Les salauds, il faudra qu'ils le paient plus tard ! ».
Le samedi 25 juin, G. MONNERVILLE souligne la phrase suivante : « L'Empire seul peut sauver la France » ; et il ajoute : « Qu'elle se mette à l'oeuvre pour aboutir à la formation réelle, économique et douanière de l'Empire ».
Mers-El-Kébir (3 juillet 1940)
Le journal de bord se clôt sur ce que G. MONNERVILLE nomme « l'agression anglaise » du 3 juillet 1940. L'armistice avait assigné Mers-el-Kebir à cette partie de la flotte, comme port d'attache.
Vingt-cinq photographies illustrent les huit feuillets de texte. Vers la fin, G. MONNERVILLE note que le cuirassé « Provence » est touché, qu'il s'enfonce, s'échoue et flambe. Le bâtiment est évacué à partir de vingt-deux heures. G. MONNERVILLE ajoute : « L'équipage crie : Vive la France ! Pour l'Amiral : hip, hip, hip, hourra ! ». Puis, c'est la liste des pertes dans les équipages et les photos des obsèques.
Dans ses mémoires (précisément dans « Témoignage 1 »), G. MONNERVILLE reprendra le récit de Mers-el-Kebir et en donnera une version beaucoup plus travaillée. Et nuancée.
Sa hauteur de vues, sa prise en compte des intérêts légitimes de la Grande-Bretagne, ses observations sur les préjugés politiques de l'Etat-Major français, ne seront pas toujours appréciées de ses anciens compagnons d'armes.
Modernisée et fortement augmentée par Georges LEYGUES et César CAMPINCHI, la flotte avait une valeur militaire primordiale et représentait un enjeu capital. HITLER la redoutait à juste titre. La jonction de cette flotte à la Royal Navy aurait été, pour le Führer, une catastrophe qu'il fallait empêcher à tout prix. Le prix qu'il consentit fut la « zone libre ». Une clause de l'Armistice disposa que la flotte désarmée ne serait pas livrée aux puissances de l'Axe. Par là, HITLER écartait toute tentation, pour le Gouvernement français, de rallier Londres, en emmenant la flotte.
En sens inverse, évidemment, la Grande-Bretagne craignait que l'Allemagne ne s'emparât finalement de ces précieux navires. CHURCHILL prit les devants. Mers-el-Kebir fit la preuve de son inflexible détermination. Et le signal était peut-être aussi destiné à HITLER.
Il est probable que CHURCHILL désirait beaucoup moins anéantir la flotte française, qu'obtenir son ralliement, car cet appoint eût été un atout de très grand poids, dans la maîtrise des mers.
G. MONNERVILLE indique que, quelques heures avant l'attaque anglaise, le contre-amiral affecté à bord du « Provence » avait interrogé les officiers. G. MONNERVILLE, ayant critiqué l'ultimatum anglais, mais approuvé l'idée de rejoindre la Grande-Bretagne, l'amiral répliqua « Mais vous ne voyez pas, Monsieur, que ce sont les Juifs et les francs-maçons de Londres qui veulent à tout prix détruire la flotte française ! ».
Rédigé sur le moment, le témoignage de Gaston MONNERVILLE est capital, car il éclaire aussi un point d'histoire de première importance.
Le capitaine HOLLAND, qui transmettait à l'amiral GENSOUL les propositions anglaises, donnait à la flotte française le choix entre trois solutions :
- rallier Gibraltar, c'est-à-dire la Grande-Bretagne,
- se saborder,
- rejoindre une zone française éloignée, hors de portée des Allemands. Les Anglais suggéraient un port des Antilles.
Gaston MONNERVILLE note : « HOOD dit : à défaut de Gibraltar, aller à la Martinique... ». Cette indication du « journal de bord », toute succinte qu'elle soit, prouve qu'à Mers-el-Kebir, les officiers d'un certain rang, étaient tous instruits de la solution « martiniquaise ».
Or, PETAIN n'en a, lui, apparemment rien su. Il appartenait à GENSOUL d'informer le Maréchal. Le service de Radio et du Chiffre a, semble-t-il, correctement exécuté sa tâche de transmission.
Mais la Présidence du Conseil répondit « Dans l'alternative où vous êtes, vous n'avez qu'à regagner Toulon, même en engageant le combat si nécessaire ». Le Maréchal n'aurait pas connu la solution la plus favorable à la survie de la flotte. Entièrement renseigné, il eût peut-être pratiqué un bénéfique double-jeu, comme il le fera deux ans plus tard, dans ses rapports avec Alger : protester hautement (ici, contre une violation des clauses de l'armistice) et donner en sous-main des instructions contraires (en l'occurrence, celle de rallier les Antilles).
Les responsabilités de cette tragédie ont suscité bien des polémiques. Des années plus tard, un échange de lettres avec M. Pierre SEMENT revient sur ces événements. Ce correspondant assure que PETAIN crut de bonne foi que l'ultimatum anglais plaçait GENSOUL dans l'alternative unique de se battre ou de se rendre. SEMENT suppose que la rétention d'informations qui aurait trompé PETAIN, doit être attribuée à DARLAN. G. MONNERVILLE répond que l'hypothèse est conforme à ses propres sentiments.
G. MONNERVILLE est démobilisé le 17 juillet 1940. Il n'a donc pas pu prendre part au vote de l'Assemblée nationale (sous ce nom, on désigne alors la réunion du Sénat et de la Chambre des Députés), dans la séance fameuse et triste du 10 juillet, à Vichy. G. MONNERVILLE est encore, pour une semaine, sous les drapeaux. Les historiens insistent sur le courage des quatre-vingts parlementaires (57 députés et 23 sénateurs), les fameux « Quatre-Vingts », qui ont refusé les pleins pouvoirs à PETAIN et ont sauvé l'honneur, mais oublient de rappeler que si G. MONNERVILLE n'a pas fait partie des « Quatre-Vingts », c'est parce qu'il était engagé volontaire.
La Résistance
Dans le tome I de ses Mémoires, G. MONNERVILLE divise cette époque en deux périodes de résistance :
- civile dans le Sud-Est (août 1940-décembre 1942),
- militaire dans les maquis de Haute-Auvergne (jusqu'en septembre 1944).
Démobilisé, G. MONNERVILLE s'empresse de rejoindre son ancien patron, CAMPINCHI, à Marseille, en août 1940.
Ministre de la Marine, du 23 juin 1937 jusqu'à la formation du gouvernement PETAIN, le 16 juin 1940, CAMPINCHI avait été un farouche opposant à l'armistice. Préconisant la poursuite de la guerre en Afrique du Nord, il s'était embarqué, le 16 juin, sur le « Massilia ». A son arrivée, il avait été arrêté, sur les ordres de Vichy, placé en résidence surveillée à Casablanca, puis à Alger, enfin à Marseille. Non plus que G. MONNERVILLE, il n'a participé au fatal congrès de Vichy. Tous deux partagent l'analyse qui est celle même du Général de GAULLE. La guerre ne fait que commencer ; et l'Allemagne sera vaincue. Mais CAMPINCHI meurt le 22 juin 1941.
Entre temps, G. MONNERVILLE est allé protester à Vichy contre les premières mesures discriminatoires qui frappent « les Juifs, les Arabes et les hommes de couleur ». Le maréchal répond de façon évasive ou dilatoire. (« Témoignage », p. 269-275).
Déjà, les premiers réseaux de résistance se constituent. G. MONNERVILLE entre en contact avec le capitaine CHEVANCE et adhère au mouvement « Combat ».
En qualité d'avocat, G. MONNERVILLE assure systématiquement la défense de ceux que « l'Etat français » emprisonne pour délit d'opinion ou d'origine raciale. Cette activité lui vaut d'être inquiété par la police et plusieurs fois arrêté.
La « zone libre » envahie le 11 novembre 1942, G. MONNERVILLE rejoint alors les maquis d'Auvergne. Il entre dans le groupe du commandant CHEVAL. Capitaine, puis commandant F.F.I.,, il y prend le pseudonyme de SAINT-JUST.
G. MONNERVILLE et son épouse sont établis à Cheylade, dans le Cantal, du 7 décembre 1942 au 5 août 1944. SAINT-JUST sera un actif agent de liaison entre les réseaux de Lozère, d'Ardèche et du Gard. Le poste de commandement du groupe CHEVAL est établi au château de Mazerolles. (C'est là que G. MONNERVILLE apprendra le débarquement en Normandie du 6 juin 1944).
Les opérations s'intensifient à partir du début de 1944, lorsque le général KOENIG, nommé commandant en chef des Forces Françaises de l'Intérieur, entreprend d'unifier les réseaux métropolitains.
L'hospice civil de Cheylade sera réquisitionné par les F.F.I., pour servir d'hôpital militaire. La gestion et l'administration en sont confiées à G. MONNERVILLE, activement secondé par son épouse (juin-juillet-août 1944).
Enfin, G. MONNERVILLE participe à l'opération du « bec d'Allier », du 7 au 10 septembre 1944. Il est démobilisé des F.F.I. à la fin de septembre.
G. MONNERVILLE sera titulaire de la Croix de guerre 1939-1945, de la Rosette de la Résistance et de la Légion d'Honneur à titre militaire.
L'Assemblée Consultative provisoire (7 novembre 1944 - 3 août 1945) et les deux Constituantes (6 novembre 1945 - 10 juin 1946) - (11 juin 1946 - 27 novembre 1946)
1944 - 3 juin
Le Comité Français de Libération Nationale se transforme en « Gouvernement provisoire de la République française », sous la présidence du Général de GAULLE.
L'Assemblée consultative provisoire, instituée par l'ordonnance du 17 septembre 1943, réunie d'abord à Alger, siège ensuite à Paris au Palais du Luxembourg, à partir du 7 novembre 1944. (Félix GOUIN la préside).
G. MONNERVILLE y est désigné par la Résistance. Président de la Commission de la France d'Outre-Mer, il contribue à préparer, en concertation avec le Général de GAULLE, le futur statut et le cadre constitutionnel de l'Union Française. Dans la séance du 12 mai 1945, il célèbre, au nom des populations de nos provinces lointaines, la victoire des Alliés. Son discours est un hommage vibrant aux soldats originaires de l'Outre-Mer, qui ont libéré la métropole.
1945
21-28 octobre : Premier référendum.
L'Assemblée qui sera élue aura des pouvoirs constituants, mais limités.
8 novembre : L'Assemblée Nationale Constituante se réunit au Palais Bourbon. Elle élit son Président : Félix GOUIN.
1946
10-19 janvier : La première assemblée générale des Nations Unies.
Aux yeux de tous, la Société des Nations a fait faillite. Pour la remplacer, une commission préparatoire se réunit en 1945 à San Francisco ; puis une première session de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies siége à Londres, du 10 au 19 janvier. Vincent AURIOL (Vice-Président du Conseil, dans le gouvernement du Général de GAULLE) conduit une délégation qui comprend, en outre, Georges BIDAULT, ministre des Affaires étrangères, Auguste PAUL-BONCOUR, les professeurs René CASSIN et BASDEVANT, ainsi que Gaston MONNERVILLE. Ce dernier prend part plus spécialement au débat sur le « trusteeship system ». Ses interventions sont remarquées.
21 janvier : Le Général de GAULLE donne sa démission. Félix GOUIN devient Président du gouvernement provisoire.
19 mars : Les quatre vieilles colonies françaises (Guyane, Martinique, Guadeloupe, Réunion) sont transformées en départements d'Outre-Mer. Gaston MONNERVILLE a pris une part déterminante dans ce changement de statut.
G. MONNERVILLE reprend son ancien projet de création d'un fonds colonial et dépose, en ce sens, une proposition de loi en mars 1946.
30 avril : loi créant le fonds de développement économique et social des territoires d'Outre-Mer (F.I.D.E.S.)
5 mai : Deuxième référendum : les Français rejettent le premier projet -purement monocaméral- de Constitution.
2 juin : G. MONNERVILLE est élu à la deuxième Assemblée Nationale Constituante.
11 juin : La deuxième Constituante se réunit au Palais-Bourbon. Elle élit, trois jours plus tard, Vincent AURIOL, Président de son Bureau.
16 juin : Dans son discours de Bayeux, le Général de GAULLE dessine les grandes lignes des institutions qui ont sa préférence : elles inspireront la Constitution de 1958.
19 juin : Georges BIDAULT devient Président du Gouvernement Provisoire.
13 octobre : Troisième référendum : cette fois, le projet de Constitution est adopté. Le nouveau texte n'est plus strictement monocaméral. La Constitution institue une seconde chambre : le Conseil de la République, élu au suffrage universel à deux degrés. Mais ses prérogatives sont réduites à un simple pouvoir d'avis.
10 novembre : Élections législatives à la première Assemblée nationale, en application de la nouvelle Constitution.
G. MONNERVILLE, qui se présente en Guyane, est battu par René JADFARD. Cependant, le 15 décembre 1946, il est élu au nouveau Conseil de la République, mais, précisera-t-il, en son absence et sans avoir été candidat.
Le Conseil de la République et son Président (1946-1958)
Les premières élections pour la Haute Assemblée (instituée sous le nom de « Conseil de la République » par la Constitution d'octobre 1946) ont lieu le 15 décembre de la même année. Gaston MONNERVILLE est, en son absence, élu en Guyane. Il recueille les 10 voix des 10 votants.
La nouvelle assemblée se réunit au Palais du Luxembourg, le mardi 24 décembre, et commence par procéder à la vérification des pouvoirs. Un premier bureau « définitif » est élu, le 27 décembre. Au troisième tour, Auguste CHAMPETIER de RIBES (M.R.P., Président du Mouvement des Démocrates Chrétiens) est élu Président par 124 voix, contre Gaston MARRANE (Président du Groupe communiste) qui en recueille 119. La session est aussitôt close.
Le 14 janvier 1947, ce bureau « définitif » est renouvelé. Au troisième tour, CHAMPETIER de RIBES obtient le même nombre de voix, 129, que son concurrent, Georges MARRANE. Il est alors proclamé au bénéfice de l'âge.
Deux jours plus tard, CHAMPETIER de RIBES sera également candidat à la présidence de la République. Le Congrès se réunit à Versailles, le jeudi 16 janvier 1947. Vincent AURIOL, Président de l'Assemblée nationale et, à ce titre, Président du Congrès, est élu Président de la République, par 452 voix ; CHAMPETIER de RIBES n'en recueille, lui, que 242.
A l'assemblée du Luxembourg, Gaston MONNERVILLE, lui, a été l'un des trois Vice-Présidents désignés, dès le premier bureau définitif du 27 décembre. Il est confirmé, à ce poste, le 14 janvier.
1947 - G. MONNERVILLE, Président du Conseil de la République
Gravement malade, CHAMPETIER de RIBES décède le 6 mars 1947. Le groupe M.R.P. se rallie à l'idée d'une candidature, peut-être plus « technique » que politique, et propose G. MONNERVILLE qui, le 14 mars (il y a tout juste cinquante ans) est élu au deuxième tour, par 141 voix, contre M. Henri MARTEL, qui en a obtenu 131.
Le nouveau Président précisera, quelques jours plus tard, sa conception de la présidence et sur le rôle de la seconde chambre, dans une intervention qui sera très vivement applaudie.
On sait que G. MONNERVILLE sera constamment réélu au fauteuil présidentiel, durant toute la décennie. Rappelons que, sous la IVème République, le bureau de la Haute Assemblée se présentait devant le suffrage des sénateurs non seulement à chaque renouvellement triennal, mais aussi, chaque année, au début de la session.
Gaston MONNERVILLE consacre le premier chapitre du tome second de ses Mémoires, aux douze ans d'existence du Conseil de la République. Il insiste évidemment sur les grandes étapes.
On comprendra que les pouvoirs de son assemblée lui importent, avant tout. Hors de toute chronologie, il commence par la réforme constitutionnelle du 7 décembre 1954 : elle crée la navette entre les deux Chambres, institue le droit d'initiative des sénateurs en matière législative, le droit, pour le Conseil, d'examiner en première lecture les propositions déposées par ses membres. Enfin, le gouvernement déposera désormais ses projets sur l'un ou l'autre des bureaux des Assemblées. « De simple donneur d'avis », le Conseil de la République devient une « assemblée législative effective ». Chambre pleinement délibérative, il retrouve peu à peu un vrai pouvoir politique.
G. MONNERVILLE revient sur certains événements marquants : tout d'abord, sur la crise de mai 1947 et « l'éviction des ministres communistes du gouvernement ». Il évoque aussi les séances houleuses qu'il préside quelques mois plus tard. Le 1er et le 5 décembre 1947, le Conseil examine le projet de loi sur la protection des libertés et la défense du travail, texte « que le parti communiste appela aussitôt les lois scélérates et hyperscélérates ». Fait exceptionnel au Luxembourg, le climat est agité ; le Président a du mal à faire régner l'ordre. A coups redoublés, il frappe son bureau de son coupe-papier... et le brise.
En qualité de Président, il défend avec vigueur les prérogatives de son assemblée. Et même, il en résulte un conflit avec l'Assemblée nationale, à la fin du mois de juin 1948. Le Président de la République, Vincent AURIOL, demande au « Comité Constitutionnel » (ancêtre du Conseil Constitutionnel actuel) de trancher le litige, ce qu'il fait, en faveur du Conseil de la République et donc, en donnant raison à G. MONNERVILLE.
G. MONNERVILLE évoque également le transfert au Panthéon des cendres de Victor SCHOELCHER et de Félix EBOUE, en mai 1949. Il est à l'origine de ce transfert et la cérémonie débute dans le jardin du Luxembourg.
Le chapitre deux aborde le déclenchement de la guerre d'Algérie. G. MONNERVILLE évoque, à ce sujet, la mission que le Chef de l'Etat et le Gouvernement lui confient, en septembre 1957, pour aller expliquer aux pays d'Amérique latine la position de la France. G. MONNERVILLE eut souvent pour mission de montrer que la France n'est pas esclavagiste ou colonialiste : n'était-il pas la preuve vivante du contraire ?
1958 - 13 mai : C'est la révolte d'Alger. Les appels au Général de GAULLE se multiplient de chaque côté de la Méditerranée.
A la demande du Président de la République, M. René COTY, les Présidents des deux Assemblées, André LE TROQUER et Gaston MONNERVILLE, rencontrent à Saint-Cloud, dans la nuit du 28 au 29 mai 1958, le Général de GAULLE, « afin de bien connaître ses intentions réelles ». (Ces derniers mots sont mis entre guillemets dans « Témoignage 2 », où le récit de cette entrevue historique figure, pages 78 à 83).
L'entretien est difficile : il semble que les Présidents aient eu quelque mal à convaincre le Général de respecter toutes les procédures pour revenir au pouvoir. Le Général répugnait, surtout, à l'idée d'être, dans les formes, investi par l'Assemblée nationale. A la rigueur, en son absence... En revanche, l'accord est facile sur les grandes lignes de la future Constitution : renforcement de l'Exécutif, séparation des pouvoirs... G. MONNERVILLE réjoint encore plus le Général, sur le second objet de l'entretien : l'avenir de l'Outre-Mer et la création de la Communauté. Le lendemain, 29 mai, G. MONNERVILLE apporta à André LE TROQUER le procès-verbal de la rencontre. Le Président de l'Assemblée Nationale en approuva tous les termes.
Le 1er juin, le Général de GAULLE est investi par l'Assemblée nationale, qui, le 3 juin, débat du projet de loi constitutionnelle ; le texte modifie l'article 90 de la Constitution de 1946 et crée le Comité Consultatif Constitutionnel (le C.C.C.), chargé de préparer à l'intention du Gouvernement le nouveau projet de Constitution.
Lorsque le débat vient au Palais du Luxembourg, le Général rend visite à G. MONNERVILLE, fait allusion à la nuit du 28 au 29 mai, et dit « Mon cher Président, je vous remercie. Vous vous rendrez compte plus tard du service que vous avez rendu à la France ».
Le 28 septembre 1958, le peuple français adopte la nouvelle Constitution, promulguée le 4 octobre.
Le Président du Sénat de la Ve République (1958-1968)
G. MONNERVILLE approuve le projet de la Constitution de 1958. Il en a suivi de près l'élaboration. Un des principaux rédacteurs est le garde des Sceaux, Michel DEBRE (lui-même membre du Conseil de la République), qui entretient des rapports confiants avec son Président d'assemblée. D'autre part, plusieurs membres du Comité Consultatif Constitutionnel rendent compte régulièrement des séances de travail et des versions successives du texte.
Contrairement à celle de 1946, la nouvelle Constitution est favorable à la Haute Assemblée, qui retrouve son nom de Sénat, son prestige et l'essentiel de ses anciens pouvoirs. C'est enfin une véritable assemblée qui vote la loi et contrôle le gouvernement. Le Président du Sénat voit avancer son rang protocolaire. En cas d'empêchement du chef de l'Etat, c'est lui qui assure l'intérim. Les voeux du bicamériste convaincu qu'est G. MONNERVILLE ne peuvent qu'être comblés.
A l'époque, politologues et observateurs pensent que le Pouvoir Exécutif s'est ainsi donné les moyens constitutionnels de s'appuyer, en cas de besoin, sur le Sénat pour contenir une Assemblée nationale, rétive ou hostile. (En 1958, personne ne prévoit le fait majoritaire, qui s'affirmera quatre ans plus tard, et transformera les conditions de fonctionnement du régime).
La Constitution de la Vème République comble également les voeux de G. MONNERVILLE, dans l'autre domaine qui lui est cher : l'Outre-Mer.
A la place de « l'Union Française », le nouveau pacte fondamental institue une « Communauté » rassemblant des pays, relativement autonomes, mais fortement liés à la France. Une assemblée spéciale est prévue : le Sénat de la Communauté. Gaston MONNERVILLE en sera élu et réélu Président.
Les débuts de la Vème République sont donc particulièrement prometteurs. G. MONNERVILLE fera campagne pour les institutions nouvelles.
Il expliquera dans « Témoignage 2 » comment et pourquoi viendront ce qu'il nomme « ses premières désillusions » : l'évolution de l'Outre-Mer, l'indépendance rapidement acquise par les anciennes colonies, l'ajournement indéfini du Sénat de la Communauté..., autant d'événements qui déçoivent celui qui, depuis tant d'années, rêvait pour la France, d'un système cohérent et stable, à l'égal du Commonwealth britannique.
LE CONFLIT DU REFERENDUM DE 1962
« L'homme qui a dit non au Général de GAULLE », c'est par ces mots, qu'en 1991, la plupart des organes de presse caractérisent G. MONNERVILLE, en annonçant sa disparition. Réduire la personnalité de l'ancien Président à ce « non » fameux est sûrement simpliste, mais il faut reconnaître qu'à l'époque où il fut lancé, ce « non » fit beaucoup de bruit.
Le conflit éclata lors du congrès que le Parti radical tint à Vichy, à la fin du mois de septembre 1962. Le 12 septembre, le Général de GAULLE avait annoncé en conseil des Ministres, son intention de procéder à un référendum. La Nation était invitée à modifier la Constitution pour que, désormais, l'élection du Président de la République ait lieu au suffrage universel direct.
Le Général avait choisi d'utiliser l'article 11 de la Constitution (et non l'article 89, spécialement consacré à la révision constitutionnelle). Le choix de cette procédure ne recueillit pas l'approbation unanime des juristes.
Le 29 septembre, G. MONNERVILLE monta à la tribune du Congrès du parti radical réuni à Vichy. D'emblée, il annonça qu'il voterait non et saisirait le Conseil Constitutionnel. Et il développa longuement les raisons qui prouvaient qu'à ses yeux, le Général violait la Constitution.
G. MONNERVILLE ajoutait : « Si le Chef de l'Etat a décidé en connaissance de cause, je me permets de l'affirmer, de la violer, le Premier Ministre n'avait qu'à ne pas signer, il n'avait qu'à ne pas dire OUI... au référendum (applaudissements)... et le référendum donc n'aurait pas été possible, puisque je vous ai expliqué que c'est à la demande du Premier Ministre, ou à l'initiative parlementaire, c'est-à-dire à la demande des Chambres, que la révision est possible. On le lui a imposé ; il y a quelques mois ce n'était pas son sentiment, aujourd'hui il a accepté, il va contre-signer le projet de loi. Il prend ses responsabilités, chacun de nous prendra les siennes ; l'avenir, je ne sais pas s'il sera lointain ou proche, jugera. Le peuple français comprendra et, au moment où il aura compris, je ne sais pas dans combien de temps, il saura au moins quels sont ceux qui ont voulu le bien servir.
Laissez-moi vous dire que la motion de censure m'apparaît comme la réplique directe, légale, constitutionnelle, à ce que j'appelle une forfaiture. (Applaudissements) ».
« Forfaiture », le mot était lancé. Comme on le voit, en se référant au texte, G. MONNERVILLE visait expressément le Premier ministre, Georges POMPIDOU. Il l'accusait de couvrir, par son silence, la fiction selon laquelle il aurait, Premier ministre, proposé lui-même le référendum.
Mais le mot de « forfaiture » fit sensation. Rendant compte presque intégralement du discours, « Le Monde » ne jugea pas bon de mettre le mot en valeur. Mais d'autres journalistes estimèrent beaucoup plus piquant de considérer que l'accusation visait le Général lui-même. Sauf Georges POMPIDOU, qui ne pouvait s'y tromper, l'opinion suivit les chroniqueurs. Elle crut (et croit toujours) que G. MONNERVILLE a lancé le mot de forfaiture contre le Général de GAULLE. Une erreur passée dans le domaine public devient une vérité historique.
Deux jours plus tard, G. MONNERVILLE est triomphalement réélu au fauteuil présidentiel. Un score impressionnant. (Il ne lui manque, bien sûr, que les suffrages de l'U.D.R.).
Le 9 octobre, G. MONNERVILLE remercie le Sénat. Aussitôt, les Sénateurs se lèvent. Ils écoutent debout. Considérant qu'une telle réélection valait approbation sans réserve, G. MONNERVILLE renouvelle ses attaques contre le référendum. Le Sénat fait un succès à ce discours, particulièrement au passage suivant : « Dans sa récente allocution télévisée, le Président de la République a dit : « J'ai le droit ! ». Avec la haute considération due à ses fonctions, mais avec gravité, avec fermeté, je réponds : « Non, Monsieur le Président de la République, vous n'avez pas le droit. Vous le prenez ! ».
Enfin, la Haute Assemblée décide, fait rarissime, que le discours de son Président sera affiché dans toutes les mairies de France. On sait la suite : le Général remportera le référendum, avec 62 % des suffrages, et le Conseil Constitutionnel, saisi par G. MONNERVILLE, se déclara incompétent.
Les rapports entre le chef de l'Etat, le Gouvernement et le Président du Sénat furent de plus en plus tendus. G. MONNERVILLE se représenta, une dernière fois, à la présidence de la Haute Assemblée, le 2 octobre 1965. Il fut élu au premier tour, mais avec une voix seulement de majorité.
Au cours de la session extraordinaire, ouverte le 24 septembre 1968, dans la séance du 27, trois jours plus tard, G. MONNERVILLE annonça son intention de ne pas briguer les suffrages de ses collègues, lors du renouvellement du Bureau, le 2 octobre 1968.
Vingt-deux ans de présidence prenaient fin.
Monnerville et l'outre-mer
Ennemi déclaré du racisme et spécialisé, en quelque sorte, dans la défense des Droits de l'Homme, G. MONNERVILLE aurait pu être un militant de l'anticolonialisme, opposé au système des possessions d'Outre-Mer et partisan de leur indépendance. Tout au contraire, il n'a cessé de voir dans l'Empire une chance unique pour la France. Mais corrélativement, il est un partisan convaincu de l'égalité des droits.
L'intérêt exceptionnel de G. MONNERVILLE pour l'Outre-Mer ne s'est jamais démenti, sa vie durant. Pour bien des raisons, dont la première est sans doute qu'il est un « sang mêlé », né dans une des « quatre vieilles » colonies, boursier méritant de la IIIème République.
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En 1931, c'est pour être intervenu dans un grave problème du « colonialisme » et pour en avoir dénoncé les turpitudes, qu'il entre au Parlement.
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Appelé au gouvernement, il s'occupe du département des Colonies, tandis que son ancien patron, César CAMPINCHI est ministre de la Marine. G. MONNERVILLE entretient des liens étroits avec ce ministre, qui s'emploie activement à placer la marine française au premier rang des grandes flottes, et ne manque pas de lui assigner la mission de garantir les liaisons de la métropole avec ses possessions lointaines.
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Le fonds colonial. Nous avons évoqué la création de ce fonds plus haut.
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La suppression du bagne. Ferme partisan de l'abolition du bagne de Cayenne, G. MONNERVILLE, une fois devenu sous-secrétaire d'Etat, obtient de Marius MOUTET, ministre des Colonies, la création d'une commission extraparlementaire, présidée par M. Paul MATTER, premier avocat général à la Cour de Cassation. Cette commission suscita le dépôt, le 26 décembre 1936, d'un projet de loi portant réforme du régime des travaux forcés et suppression du bagne de Guyane. Les circonstances politiques empêchèrent l'aboutissement du texte. Et G. MONNERVILLE quitta le Gouvernement, en mars 1938.
Cependant, le nouveau cabinet, présidé par DALADIER, comprenait à la Justice Paul REYNAUD, qui avait été ministre des Colonies, et qui était sensible à la question du bagne. Le Parlement ayant autorisé le Gouvernement à user de la procédure des décrets-lois, G. MONNERVILLE en obtint un, le 17 juin 1938.
Cette suppression lésa bien des intérêts locaux, car les bagnards constituaient une main d'oeuvre à bon marché. (La coalition des mécontents contre G. MONNERVILLE fut une des causes de l'échec aux législatives de novembre 1946).
Liens utiles relatifs au bagne de Cayenne :
- En juin 1940, à l'annonce de l'Armistice, G. MONNERVILLE note, dans son « journal de bord », et souligne les phrases suivantes : « L'Empire seul peut sauver la France. Qu'elle se mette à l'oeuvre pour aboutir à la formation réelle, économique et douanière de l'Empire ».
- Désigné par la Résistance, à l'Assemblée Consultative Provisoire, G. MONNERVILLE devient le Président de la Commission de la France d'Outre-Mer. Il contribue à élaborer le nouveau statut des colonies, celui de l'Union Française, statut moins libéral qu'il l'aurait souhaité, car encore trop marqué par l'esprit « colonial ».
En 1946, il est un des artisans de la départementalisation des « quatre vieilles », car, pour elles, l'intégration est la seule voie réaliste et digne de la France. - Quoique élu du Lot, à partir de novembre 1948, G. MONNERVILLE ne rompt pas du tout ses liens étroits avec l'Outre-Mer. Tous les représentants parlementaires de ces régions sont des habitués du Petit-Luxembourg. Et lui-même multiplie les visites, privées mais aussi officielles.
- Par exemple, en février 1950, il représente la France aux fêtes, en Haïti, du deuxième centenaire de la fondation de Port-au-Prince. Sur le retour, il est invité officiellement en Guyane et aux Antilles. « L'enfant du pays » est reçu de façon grandiose, sauf en Martinique, où l'accueil est plus froid, à Fort-de-France du moins ; la municipalité ne s'est pas associée aux fêtes et une partie de la presse est franchement hostile.
- En 1958, le statut constitutionnel que le Général de GAULLE propose pour la Communauté ne peut que séduire G. MONNERVILLE. Le système d'association est souple, mais le lien avec la métropole reste assuré. La Constitution de la Vème République prévoit même un Sénat rassemblant les représentants des territoires associés. G. MONNERVILLE en sera élu et réélu Président. Mais la Communauté se dissoudra très vite. Cette évolution négative sera une déception profonde pour G. MONNERVILLE, qui s'éloignera du Général de GAULLE, avant même le conflit de 1962.
L'élu local du Lot
Elu Président du Conseil de la République, Gaston MONNERVILLE jugea rapidement que ses nouvelles responsabilités allaient le retenir très souvent à Paris et qu'il serait trop absorbé pour être en mesure de prendre régulièrement l'avion et suivre sur place les affaires de la Guyane. L'échec aux législatives de 1946 l'avait instruit des dangers de l'absence. Henri QUEUILLE suggéra à Gaston MONNERVILLE de se présenter dans le Lot. En novembre 1948, G. MONNERVILLE fut élu sénateur de ce département, mandat qu'il abandonnera un quart de siècle plus tard, le 4 mars 1974, ayant été nommé membre du Conseil Constitutionnel, le 22 février 1974.
Entre temps, Gaston MONNERVILLE fut élu au Conseil général en 1949, puis Président du Conseil général, de 1951 à 1970, et maire de Saint-Céré, de 1964 à 1971.
Comme le souligna le colloque de la « Fondation Nationale des Sciences Politiques », qui lui était consacré en janvier 1996, Gaston MONNERVILLE eut une carrière politique atypique, car il n'exerça un mandat local qu'après avoir été élu au Parlement. C'est le député de Guyane qui devient maire de Cayenne et non l'inverse. Il était sénateur du Lot depuis seize ans, lorsqu'il devint maire de Saint-Céré.
Les dernières années
Ayant renoncé, en 1968, à la Présidence du Sénat, G. MONNERVILLE continue à exercer son mandat sénatorial, six ans durant.
Le 22 février 1974, M. Alain POHER, son successeur, le nomme membre du Conseil Constitutionnel.
Il arrive que les nominations à ce prestigieux collège soient jugées plus politiques que techniques. On observera qu'en l'occurrence, Alain POHER faisait choix d'un homme qui ne votait pas dans le même sens que lui. M. POHER ne considérait que la compétence.
Pour sa part, G. MONNERVILLE n'avait désigné que des spécialistes du droit, issus du Conseil d'Etat, de la Cour de Cassation, de l'Université : Maurice DELEPINE, Charles LE COQ de KERLAND, Jean GILBERT-JULES, René CASSIN, François LUCHAIRE et Georges-Léon DUBOIS. (René CASSIN avait été vice-Président du Conseil d'Etat et François LUCHAIRE avait participé, en 1958, à la genèse de la Constitution).
En 1974, la nomination de G. MONNERVILLE surprit, car le Président du Sénat de 1962 n'avait pas été tendre pour le Conseil Constitutionnel, qui s'était déclaré incompétent pour juger du référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage universel.
En 1974, la nomination de G. MONNERVILLE surprit, car le Président du Sénat de 1962 n'avait pas été tendre pour le Conseil Constitutionnel, qui s'était déclaré incompétent pour juger du référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage universel.
Considérant qu'il est appelé à une fonction juridictionnelle, G. MONNERVILLE estime qu'en conséquence, il doit s'interdire, pour l'avenir, toute prise de position politique.
G. MONNERVILLE prête serment le 5 mars, devant Georges POMPIDOU, Président de la République, qui décèdera moins d'un mois plus tard (2 avril).
En 1983, G. MONNERVILLE, qui est Chevalier de la Légion d'Honneur, à titre militaire, depuis 1947, est promu Officier. Le chef de l'Etat, François MITTERRAND, lui remet la « rosette » à l'Elysée.
Entré au Conseil Constitutionnel à l'âge de 77 ans, G. MONNERVILLE le quitte neuf ans plus tard. Il a 86 ans, mais il n'abandonne pas toute activité. Il prononce encore des conférences sur les institutions ou des causeries sur ses souvenirs d'homme public. La télévision vient l'enregistrer. Il signe quelques préfaces.
Sa longévité et sa lucidité sont exceptionnelles. Mais depuis quelques années, il est atteint d'une grave maladie ; il décède le 7 novembre 1991, peu avant d'atteindre l'âge de 95 ans.
Les lettres et les arts
Sa vie durant, G. MONNERVILLE eut un goût très vif pour la culture. Il était particulièrement sensible à la musique. Il fréquentait les concerts et il jouait lui-même de la flûte.
Étudiant à Toulouse, il était un familier du Capitole (un temple de l'art lyrique) ; plus tard, il fut, en connaisseur, un fidèle du Palais-Garnier. Grand amateur de peinture, il s'essayait lui-même aux pinceaux.
On ne s'étonnera pas que le licencié ès lettres qu'il fut (ainsi que docteur en droit) ait eu une prédilection pour la littérature. Sa bibliothèque était vaste et variée.
G. MONNERVILLE avait un penchant marqué pour l'écriture : il rédigea beaucoup de sa main, sa vie durant. Les manuscrits, ici exposés, en donnent une idée. Mais comme il improvisait aussi, avec une éloquence exceptionnelle, la plupart de ses discours n'ont pas été conservés.
Toutefois, il a fait imprimer certaines de ses conférences. Nous en présentons quelques-unes, ainsi que quelques études consacrées à des hommes de couleur, tels que Alexandre POUCHKINE, Alexandre DUMAS, Camille MORTENOL, Félix EBOUE... Il a laissé en outre quelques préfaces.
Enfin, trois ouvrages de longue haleine ont été confiés à l'édition : « Clemenceau » et les deux tomes des « mémoires » dont le titre général est « Témoignage », les sous-titres étant, pour le premier tome, « De la France équinoxiale au Palais du Luxembourg » et, pour le second, « Vingt-deux ans de Présidence ».