Compte rendu du déplacement effectué par une délégation du groupe interparlementaire
du 22 au 30 mai 20043. Les entretiens de la délégation à Asmara
A Asmara, où elle a séjourné du 23 au 25 mai, la délégation a été étroitement associée aux différentes célébrations de la Fête nationale à l'occasion du 13 ème anniversaire de l'indépendance du pays, marque appuyée de l'intérêt attaché par les autorités érythréennes à la visite des sénateurs.
La visite de la délégation sénatoriale à Asmara à la une de L'Eritrea Profile
Les audiences avec les autorités érythréennes
La délégation a été reçue au cours d'une longue audience par le président de la République, S. Exc. M. Issaias Afeworki, qui a salué la présence française à Djibouti comme un gage de stabilité dans la région, tout en regrettant que la France ne soutienne pas plus activement le point de vue érythréen dans le différend qui oppose son pays à l'Éthiopie à propos de la « Bande de Badmé ».
L'audience avec le Président Issaias Afeworki
(4
ème
en partant de la gauche) ;
à gauche, M.
Gérard Sambrana, ambassadeur de France
Récapitulant la position française à ce sujet, le président Louis Duvernois et l'Ambassadeur de France, M. Gérard Sambrana, ont rappelé que notre pays, tout en reconnaissant pleinement la portée juridique de la décision de la Commission arbitrale et le droit de l'Érythrée à disposer de son territoire dans ses frontières internationalement admises, préconisait la recherche d'une solution négociée plutôt que la mise en oeuvre de sanctions à l'encontre de l'Éthiopie, susceptibles d'envenimer la situation plus que de la résoudre par la voie pacifique.
Au cours de cette audience, la délégation sénatoriale a abordé la question des droits de l'Homme et de l'insuffisante communication érythréenne sur la scène internationale. Le président Issaias est convenu que son pays souffrait d'un réel déficit d'image, point auquel il s'est d'ailleurs déclaré prêt à accorder plus d'attention que par le passé. Il a toutefois souligné que l'Érythrée avait déjà accompli de grands pas sur la voie de la libéralisation depuis son accession à l'indépendance, et que la démocratie était -là comme ailleurs- un processus de construction graduelle.
Un des gros retards qu'accuse l'Érythrée sur ce terrain est la place encore marginale faites aux institutions représentatives, puisque la plupart des responsables actuels du pays sont issus des combats pour l'indépendance et que cet État manque encore de structures électives, un Parlement élu, notamment.
En pratique, dans un régime où le parti unique du Président continue d'exercer un pouvoir sans partage, les conseillers régionaux élus en mai 2004 sont les seuls responsables issus des urnes, l'élection des députés à l'Assemblée nationale, pourtant prévue par la Constitution, ayant jusqu'à présent été différée sine die . D'ailleurs, dans un système sans opposition, sans partis politiques organisés et sans presse libre, on voit mal comment de telles élections pourraient être valablement disputées.
Pour ce qui la concerne, l'administration érythréenne, dont les cadres ont eux aussi été formés à l'école de la guérilla, reste marquée par un fort cloisonnement et par la culture du secret et de la défiance, travers accentués par l'influence qu'y exercent les membres du parti à tous les niveaux.
Le Président Issaias Afeworki a paru très conscient de ces lacunes, tout en faisant observer que des avancées -en matière économique, notamment- avaient déjà beaucoup amélioré la situation de la population érythréenne ces dernières années.
Dans ce contexte, le président Louis Duvernois a évoqué avec son interlocuteur plusieurs pistes d'ouverture, suggérant notamment une prochaine visite en France du ministre des Affaires étrangères érythréen 7 ( * ) , et l'accueil au Sénat de hauts responsables érythréens pour les familiariser avec le fonctionnement des institutions représentatives françaises, au plan parlementaire comme au niveau des assemblées locales 8 ( * ) . Sur le principe, ce programme, dont les modalités seraient à préciser le moment venu, a suscité l'intérêt du président Issaias.
Comme elle en avait exprimé le souhait, la délégation a ensuite eu un entretien avec le principal conseiller politique du parti du président Issaias, M. Yemare Ghebreab. Cette rencontre a permis d'esquisser des perspectives de contacts exploratoires entre le Sénat et des responsables érythréens, à commencer par les membres des assemblées régionales récemment élus. A plus long terme, ces contacts pourraient s'orienter vers des liens suivis, à l'instar de ceux qui s'établissent naturellement entre les groupes interparlementaires d'amitié.
Les rencontres avec les représentants de la communauté française
Pour la partie française -d'ailleurs fort réduite, puisque la communauté française en Érythrée ne dépasse guère une trentaine de personnes, binationaux inclus- la délégation, outre plusieurs entretiens de travail avec notre ambassadeur, a rencontré notamment les responsables de l'Alliance française et de l'école française d'Asmara, dont elle a visité les installations.
Parmi les différents sujets évoqués, elle a abordé la question d'un éventuel renforcement de notre coopération militaire avec l'Érythrée, qui répondrait à une attente exprimée par les autorités de ce pays, sans bien sûr modifier les bonnes relations que nous entretenons avec les autres États de la zone. Il serait également opportun d'envisager une fréquentation française accrue du port de Massawa, d'ailleurs tant à usage militaire que civil.
Concernant la coopération culturelle, la délégation s'est penchée sur le dossier du Département de langue française lancé à l'Université d'Asmara à l'initiative du poste et avec le précieux concours d'une enseignante contractuelle ; cette réalisation rencontre déjà un vif intérêt auprès des étudiants érythréens et mériterait d'être incluse dans un programme de coopération linguistique et culturelle plus soutenu.
Elle a en outre eu un contact avec M. Alain Frémont, adjoint au maire de Nevers (chargé des Relations internationales), ville dont le sénateur-maire, notre collègue M. Didier Boulaud, avait participé à la mission de la commission des Affaires étrangères et qui, depuis lors, a engagé un programme de coopération avec la ville d'Asmara.
L'entretien avec le responsable de la force d'observation des Nations Unies
La délégation s'est enfin entretenue avec S. Exc. M. Joseph Legwaila, ambassadeur représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, responsable de la MINUEE. M. Legwaila a résumé l'action de la mission depuis sa mise en place à partir du second semestre 2000, évoquant à ce sujet les perspectives d'une réduction des effectifs envisagée par le Conseil de sécurité, pour des raisons d'ordre essentiellement budgétaires (la MINUEE coûte près de 200 millions de $ US par an, soit approximativement le quart du PIB annuel de l'Érythrée).
M. Joseph Legwaila a estimé que pour le moment, la présence de la force des Nations unies rendait peu probable une reprise des hostilités entre l'Érythrée et l'Éthiopie, mais qu'à défaut d'accord admis par les deux parties, la situation demeurait très tendue, compte tenu du refus de l'Éthiopie de donner effet à la décision de la Commission arbitrale sur Badmé.
Sans se prononcer sur le bien-fondé des revendications de chacun des deux camps, il a constaté que l'attitude de la communauté internationale était très mal perçue en Érythrée, pays convaincu de son bon droit et qui ne comprend pas pourquoi les grandes puissances ne le soutiennent pas plus activement vis-à-vis de l'Éthiopie.
Carte de l'Ethiopie
* 7 Cette suggestion du président Louis Duvernois a finalement été concrétisée les 5 et 6 octobre 2004, avec la visite en France de M. Ali Saïd Abdellah, ministre des Affaires étrangères d'Érythrée. Selon le communiqué publié à ce sujet par le Quai d'Orsay le 5 octobre, « Le ministre, Michel Barnier, recevra demain son homologue érythréen, M. Ali Saïd Abdellah. Le ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, M. Xavier Darcos, le reçoit aujourd'hui. Les deux entretiens seront l'occasion de faire le point d'abord sur la situation dans la Corne de l'Afrique. Seront notamment abordées les relations entre l'Éthiopie et l'Érythrée dans le contexte du processus de démarcation de la frontière entre ces deux pays. Les entretiens porteront également sur la situation au Soudan, pays voisin de l'Érythrée, ainsi que sur le processus de paix en cours en Somalie. M. Darcos et M. Abdellah passeront en revue notre coopération bilatérale avec l'Érythrée, qui fait partie de la Zone de Solidarité prioritaire ».
* 8 Le Président du Sénat a été officiellement saisi de ce projet, qui pourrait trouver un aboutissement courant 2005.