L'INDE AU VINGT ET UNIEME SIECLE : ENTRE TRADITION ET MODERNITE
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L'INDE AU VINGT ET UNIÈME SIÈCLE :
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ - DU 7 AU 15 SEPTEMBRE 2002
- PROGRAMME DU DÉPLACEMENT
- L'INDE EN QUELQUES REPÈRES
-
LES INSTITUTIONS DE L'UNION INDIENNE,
MODÈLE POUR L'UNION EUROPÉENNE ? -
L'INDE, LEADER TECHNOLOGIQUE
ET LA COOPÉRATION SCIENTIFIQUE
FRANCO-INDIENNE -
PONDICHÉRY, FENÊTRE OUVERTE
SUR LA FRANCE - CONCLUSION
L'INDE AU VINGT ET UNIÈME SIÈCLE :
ENTRE TRADITION ET
MODERNITÉ
COMPTE RENDU DE LA VISITE EN INDE
D'UNE DÉLÉGATION DU GROUPE
INTERPARLEMENTAIRE
FRANCE-INDE
DU 7 AU 15 SEPTEMBRE 2002
présenté par M. Pierre FAUCHON,
Présiden
t
Traverser l'Inde, de part en part, pendant une semaine, c'est
affronter l'immensité. Les immensités : géographique,
sociologique, historique, philosophique même.
Entrée en survolant la passe de Khiber par laquelle les
Indo-Européens nous ont précédé il y a plus de
trois mille ans, faire étape à Delhi, de là gagner
Bangalore et Madras pour se retrouver en famille à Pondichéry
à la pointe du Dekkan, c'est déjà, malgré
l'escamotage du transport aérien, franchir une amplitude de
parallèles comparable à celle de l'Europe toute entière.
Débattre en toute liberté avec les parlementaires de la plus
nombreuse démocratie du globe, c'est mesurer la fabuleuse
carrière d'une idée politique née à Athènes,
cité comptant moins de 50 000 âmes, il y a 2500 ans.
Rencontrer à Bangalore des informaticiens à la pointe du
progrès, c'est mesurer que depuis leur invention du zéro
mathématique, les Indiens n'ont rien perdu de leur capacité
d'abstraction et d'invention.
Méditer devant les Shiva dansants de Madras -ostensoirs d'une autre
croyance-, c'est communier à une vision de l'homme toute
différente, née bien avant la naissance du Christ, bien avant
notre ère.
Tel a été le vaste champ de cette brève expérience
dont rend compte le présent rapport.
Découvrir l'immensité de l'Inde dans toutes ses dimensions, c'est
prendre conscience de la relativité de nos propres espaces.
S'il est un lieu de la terre où aient place tous les rêves des
vivants, depuis les premiers jours où l'homme commença les songes
de l'existence - c'est l'Inde.
Romain Rolland,
Essai sur la mystique et l'action de l'Inde vivante
Mesdames, Messieurs,
Une délégation du groupe interparlementaire France - Inde du
Sénat s'est rendue en Inde du 7 au 15 septembre 2002. Outre M. Pierre
FAUCHON, Président du groupe, elle comprenait MM. Yann GAILLARD,
José BALARELLO, André ROUVIÈRE et Paul VERGÈS ainsi
que Mme Annick BOCANDÉ
Le dernier déplacement du groupe remontait à 1997. En revanche,
plusieurs délégations du Sénat se sont rendues en Inde
récemment : M. Jacques CHAUMONT, rapporteur spécial du
budget des Affaires étrangères avait effectué une mission
sur place en 1999 ; une délégation de la commission des
Affaires étrangères, de la Défense et des Forces
armées a séjourné en Inde du 3 au 6 mars dernier. La
délégation du groupe interparlementaire souhaitait donc à
la fois faire le point sur les relations entre les deux pays mais aussi
approfondir quelques aspects particuliers de la situation de l'Inde.
« L'Inde est un mouvement perpétuel d'additions et de
contradictions ; elle échappe à la vanité des
synthèses ; l'Inde est toujours autre chose... Sublime et
misérable, mais encore sublime dans sa misère, une et multiple,
des toits de neige au cap Comorin, polymorphisme des êtres et des choses
à l'image des dieux et de Shiva dansant. Aux frontières
indécises du rêve et de la réalité, et dans la magie
du verbe, le jeu du temps nous présente l'Inde d'aujourd'hui. L'Occident
s'étonne ; il attend déjà l'Inde de demain, celle du
bonheur comme il l'a conçu depuis des siècles de renouveaux et de
révolutions. Mais l'homme prend encore le temps de retrouver son
âme sur les bords du Gange quand la moisson a été
bonne
»
1(
*
)
.
Forte de ces difficultés, la délégation a souhaité
concentrer sa réflexion sur trois sujets :
1.
L'étude du fonctionnement des institutions indiennes
répondait à un double objectif. D'abord celui de mieux
connaître le mode de gouvernement de la « plus grande
démocratie du monde », selon l'expression consacrée,
à un moment où après quarante ans de domination d'un seul
parti, la vie politique s'engage dans une nouvelle direction et la pratique
d'un fédéralisme moins inégalitaire.
A l'heure où l'Europe s'interroge sur l'avenir de ses institutions dans
un cadre élargi, il paraissait également intéressant
d'observer le fonctionnement d'une fédération aussi vaste et
diverse que l'Inde et, le cas échéant, d'en tirer de
enseignements pour l'évolution de l'Union européenne ;
2. L'examen des réalisations de l'Inde dans le
domaine
scientifique
et, plus particulièrement, dans le cadre de la
coopération avec la France
. Cette prise de contact avec l'Inde
à la pointe de la technologie a conduit la délégation
à Bangalore, capitale des nouvelles technologies, ainsi qu'à
Madras ;
3. L
'écoute de nos compatriotes sur place,
qui est une des
fonctions spécifiques du Sénat, représentant
constitutionnel des Français de l'étranger au Parlement. Outre le
nécessaire devoir de mémoire, c'est à Pondichéry
surtout que la délégation a rencontré une
communauté vivante et riche de sa diversité.
La délégation ne saurait oublier par ailleurs la richesse des
contacts qu'elle a pu nouer en prélude à cette visite, à
Delhi, ni passer sous silence la découverte de quelques unes des
réalisations artistiques remarquables, aussi bien islamiques que
dravidiennes.
Elle a été reçue à deux reprises par les
commissions conjointes au Lok Sabha et au Rajya Sabha (respectivement chambre
du peuple et chambre des États du Parlement), celle des Affaires
étrangères et celle des Affaires intérieures. Les
entretiens d'une grande franchise qu'elle a eus à cette occasion lui ont
permis de constater la chaleureuse convergence de vues qui unit les
parlementaires français et indiens, animés de
préoccupations de terrain très voisines, au-delà des
nécessaires divergences inhérentes à des personnes issues
de civilisations si différentes.
La délégation a également rencontré le nouveau
co-président du Forum d'initiative franco-indien,
co-présidé par notre excellent collègue Jean
FRANÇOIS-PONCET, M. M.K. RASGOTRA, qui a souligné le rôle
éminent joué par cette instance pour le renforcement de la
coopération entre nos deux pays.
Intervenant peu de temps après la visite du ministre des Affaires
étrangères et à quelques mois de celle du Premier
ministre, elle forme le voeu que son déplacement contribuera au
resserrement des liens entre nos deux parlements et, plus largement, entre nos
deux pays.
En préambule à la présentation du programme d'une
exceptionnelle richesse et diversité bâti à son intention,
la délégation souhaite que tous ceux qui ont activement et
chaleureusement contribué à sa réalisation dans les
meilleures conditions possibles trouvent ici l'expression de sa gratitude. Elle
remercie notamment S Exc. M. Bernard de FAUBOURNET de MONFERRAND, Ambassadeur
de France en Inde et tous ses collaborateurs à Delhi, ainsi qu'à
Bangalore, Madras et Pondichéry pour leur précieux concours.
PROGRAMME DU DÉPLACEMENT
Samedi 7 septembre
07 heures 40 : Départ pour Delhi
22 heures 55
:
Arrivée à Delhi ; accueil par M.
de FAUBOURNET de MONFERRAND, Ambassadeur de France en Inde
Dimanche 8 septembre
Excursion à Fathepur Sikri et Agra
Lundi 9 septembre : Delhi
9 heures
:
Séance de travail présidée
par l'Ambassadeur en présence des chefs de service
10 heures 30 : Rencontre avec le M. M.K. RASGOTRA, Coprésident du
Forum d'initiative Franco-Indien
11 heures 30 - 12 heures 30 : Rencontre avec M. Balveer ARORA, recteur de
l'université Nehru (sur le thème des relations Union -
États)
13 heures : Déjeuner offert par la Confederation of Indian
Industries sur le thème des relations Union - États
15 heures - 16 heures 30
:
Réunion avec la Commission
des Affaires Extérieures du Parlement indien, présidée par
Mme Krishna BOSE
Tour au vieux Delhi, visite de la mosquée Jama Masjid
20 heures : Dîner à la Résidence
Mardi 10 septembre : Delhi / Bangalore
11 heures - 12 heures 15 : Rencontre avec la Commission des Affaires
Intérieures du Parlement, présidée par M. Pranab MUKHERJEE
12 heures 15 : Déjeuner offert par le président de la
Commission des Affaires Intérieures
15 heures : Entretien avec M. Digvijay SINGH, Secrétaire
d'État aux Affaires Étrangères
17 heures 20 : Départ pour Bangalore
19 heures 55 : Arrivée à Bangalore
Mercredi 11 septembre : Bangalore
9 heures 30 - 12 heures 30 : Visite et rencontres à l' Indian
Institute of Science sur le thème de la coopération
franco-indienne à travers les cellules mixtes :
Présentation de la cellule Franco-Indienne de Recherche sur les Sciences
de l'Eau (CEFIRSE), du Centre Franco-Indien de Photonique Avancée
(CEFIPA), du Centre Franco-Indien de Synthèse Organique (CEFISO), du
Laboratoire Franco-Indien de Chimie du Solide (LAFICS).
Présentation du cyber-enseignement Toulouse-Bangalore, premiers pas vers
la cyber université franco-indienne
12 heures 30 : Déjeuner à l'alliance française (en
compagnie de la délégation du projet Keo)
15 heures : Visite de l'Indian Institute of Information Technology
16 heures 30 : Visite de Société Générale
Software
17 heures 30 : Entretien avec le ministre des technologies de
l'information du Karnataka
19 heures 30 : Dîner offert par M. Yves CHARPENTIER, Consul
général à Bombay en présence, notamment, de la
communauté française
Jeudi 12 septembre : Madras
9 heures 50 : Départ pour Madras
10 heures 35 : Arrivée à Madras
11 heures 30 : Rencontre avec le Gouverneur du Tamil Nadu,
M. C. RANGARAJAN
13 heures 15 : Déjeuner avec quelques hommes d'affaires
français et des personnalités culturelles
15 heures : Rencontre avec le Dr T. RAMASAMI, président du
comité scientifique du centre franco-indien pour la promotion de la
recherche avancée (CEFIPRA) et directeur du Central Leather Research
Institute
16 heures 30 : Visite de la galerie des bronzes (Government museum)
17 heures 30 : Visite de l'Alliance française
Vendredi 13 septembre : Madras/Pondichéry
8 heures 30 : Départ pour Kanchipuram : visite des temples et d'un
atelier de fabrication de la soie
13 heures 15 : Déjeuner à Kanchipuram ; continuation
pour Pondichéry
17 heures 15 : Visite du lycée français
18 heures 30 : Réception avec les représentants des
associations françaises de Pondichéry au Foyer du Soldat
19 heures : Visite de l'Alliance française de Pondichéry
19 heures 45 : Entretien avec M. David ANNOUSSAMY, ancien Président
de la Cour suprême de Madras
Samedi 14 septembre : Pondichéry
8 heures 30 : Dépôt de gerbes au monument aux morts
9 heures : Visite de Pondichéry
10 heures : Visite d'Auroville et du Matrimandir
13 heures : Déjeuner offert par la délégation
à l'hôtel de l'Orient
14 heures 30 : Entretien avec les représentantes de la
congrégation St Joseph de Cluny (soeur Bernadette PINTO) et visite de
l'atelier de broderie
16 heures : Visite de l'Institut français de Pondichéry
20 heures : Dîner offert par M. Michel SÉGUY, Consul
Général
Dimanche 15 septembre
9 heures : Départ pour le site de Mahäbalipuram (Mamallapuram)
10 heures 40 : Visite des temples, déjeuner puis continuation vers
l'aéroport de Madras
17 heures 45
: Départ pour Delhi
20 heures 15 : Arrivée à Delhi
Lundi 16 septembre
0 heures 35 : Départ de Delhi pour Paris
6 heures 15 : Arrivée à Paris
L'INDE EN QUELQUES REPÈRES
L'Inde,
sa civilisation, ses langues, ses religions, avaient fait l'objet d'une
présentation détaillée dans le rapport fait par votre
groupe d'amitié à l'occasion de son précédent
déplacement, en 1997
3(
*
)
.
Le présent rapport ne comportera donc quelques indications sur la
situation de l'Inde et ses relations avec la France.
1. Quelques données générales
L'Inde
est six fois plus étendue que la France et d'une taille comparable
à l'Union européenne, dans ses frontières actuelles.
Sur le
plan politique
, c'est une démocratie parlementaire,
fédération de 28 États et 7 territoires, constitués
essentiellement pour des raisons historiques (Pondichéry) ou
géopolitiques (Iles Andaman et Nicobar).
La Chambre basse du Parlement, Lok Sabha (ou chambre du peuple) compte 543
membres dont 306 appartiennent à la majorité, dirigée par
le BJP, parti du peuple indien (nationaliste hindou) et 135 au Congrès
et à ses alliés (opposition « officielle »).
Sur le
plan économique
, la situation de l'Inde pour être
moins remarquable que les années précédentes est
restée relativement enviable au cours de l'exercice 2000-2001 : le
taux de croissance du produit intérieur brut a atteint 5,2 %, avec une
inflation de 3,8 %. Cependant, la balance commerciale, comme la balance
courante restent déficitaires (respectivement -5,3 et -2,6 milliards de
dollars) et le service de la dette représente plus de 16 % du PIB.
Enfin, la part des principaux secteurs d'activité montre
l'évolution en cours de l'économie : si l'agriculture
représente encore 24 % du total (mais près des deux tiers de les
emplois) et l'industrie 27 %, les services atteignent désormais
près de la moitié du PIB (49 %).
2. Les relations avec la France
Lors de
sa rencontre avec la commission des Affaires extérieures du Parlement,
la délégation a été frappée d'entendre que
la France constituait le cinquième partenaire de l'Inde... parmi les
pays de l'Union européenne. Certes, les chiffres peuvent toujours
être relativisés. La place éminente tenue par l'Ile
Maurice, premier investisseur, est en partie imputable à des groupes
textiles français. De même, plusieurs entreprises
françaises sont présentes sur le marché indien par
l'intermédiaire de leurs filiales, comme Dassault systèmes par le
biais de sa filiale américaine.
Il n'en demeure pas moins que la France reste le neuvième client et le
dix-septième fournisseur de l' Inde. Si 150 entreprises sont
implantées sur place, la part de marché de la France ne
dépasse pas 2 %, chiffre en ligne avec la présence globale de
notre pays en Asie mais très décevant compte tenu des
potentialités du marché indien, qui dépasse d'ores et
déjà un milliard de consommateurs potentiels et, en toute
hypothèse, au moins 10 % d'entre eux ayant atteint un niveau de vie
comparable au nôtre.
Tout se passe comme si les chefs d'entreprises françaises étaient
accaparés par la conquête du marché chinois et ne
fournissaient pas de réel effort pour pénétrer le
marché indien, bien qu'ils en reconnaissent tout l'attrait. De l'avis
général, il s'agit pourtant du prochain marché important,
dont la taille fait qu'il se suffit à lui-même et qu'un
investissement peut donc être destiné au seul marché local
sans nécessiter de réexportation. D'ores et déjà de
nombreuses firmes concurrentes sont présentes en Inde. Il suffit
d'observer la circulation automobile pour constater que des marques aussi
diversifiées qu'Opel, Fiat, Hyundaï ou Toyota sont
implantées ; dans ces conditions, pourquoi Renault et le groupe PSA
attendent-ils encore ?
Souhaitons, comme l'a rappelé le Forum franco-indien lors de sa
dernière réunion, tenue les 11 et 12 novembre, que la
communauté d'affaires française prenne rapidement conscience du
potentiel du marché indien.
3. Quelques exemples remarquables de l'art indien
Au cours
de son déplacement, la délégation a eu la chance de
pouvoir s'arrêter dans deux des sites les plus fondamentaux de la
tradition artistique indienne.
Trop souvent, en effet, l'Inde est identifiée aux réalisations de
l'art Moghol, qui connut son apogée au début du
XVII
ème
siècle, avec Shah Jahan. Sa forme la plus
achevée, le Taj Mahal, symbolise souvent l'Inde. Le monument procure
à l'évidence un sentiment d'éternité et de
beauté parfaite, surtout lorsque, comme ce fut le cas lors de la visite
de la délégation, il est parcouru par des foules paisibles et
splendides.
Mais l'art indien est bien plus ancien que cette représentation
importée, quelque soit la magnificence de ses constructions.
La naissance de la civilisation indienne date véritablement des Aryens
dans la plaine du Gange entre 1500 et 1000 avant Jésus Christ. Peu
après, apparurent des temples, qui constituent une part immense du
patrimoine artistique de l'Inde, signe d'une civilisation où chacun vit
à chaque instant sa religion. Chaque homme, grâce à
l'accomplissement de rites appropriés, se sent à chaque instant
relié à l'univers tout entier, les divinités servant
d'intermédiaires entre l'un et l'autre. Les temples sont les lieux
où elles résident, où elles s'insèrent sur la terre.
Les premiers temples ont été creusés dans des falaises ou
des grottes, comme Mahäbalipuram, que la délégation a
visité. Puis est apparue une architecture construite. Kanchipuram
constitue le premier exemple de ces constructions à toit pyramidal,
innovation qui a correspondu, à partir du VI
ème
siècle, à l'apparition dans les mentalités du symbolisme
de la montagne sacrée, demeure des dieux. Des milliers de temples, les
uns modestes, les autres gigantesques, comportant à l'intérieur
d'une même enceinte des dizaines de temples et des édifices
variés dans leur forme comme dans leur destination, ont
été construits jusqu'au XIX
ème
siècle.
Ce qui frappe le visiteur, c'est le caractère figuratif des
représentations des divinités, qui contraste radicalement avec
l'art hérité de la civilisation islamique. L'âme humaine
trouve partout à s'exprimer, jusque dans la sensualité que
l'occident chrétien rejette. A bien des égards, la civilisation
dont ces grands sites de l'Inde du Sud portent témoignage peut
être comparée à notre sculpture médiévale,
tant par l'usage de la sculpture que par l'édification d'un sanctuaire
auquel une nef donne accès.
Cette structure traduit jusque dans l'art les racines communes à tous
les indo-européens. En cela, ces monuments, ces sanctuaires nous
paraissent immédiatement accessibles. Ils expriment, en outre, bien
avant les découvertes de la psychanalyse moderne, le subconscient et la
dualité de l'esprit divin.
Le Shiva dansant, dont le musée de Madras possède quelques-uns
des exemplaires les plus remarquables, est la figure la plus aboutie de cette
ambivalence. Shiva crée et détruit les mondes dans une danse
cosmique et frénétique qui résume en elle les cinq
activités fondamentales du dieu. Par son dynamisme et son parfait
équilibre tout à la fois, la sculpture de Shiva dansant nous
apporte un exemple éclatant de l'art indien traditionnel.
La complexité des iconographies religieuses, le goût d'une
certaine magnificence décorative, des canons corporels s'attachant
à rendre davantage la plénitude des chairs que la
véracité anatomique, l'absence de séparation rigoureuse
entre les grandes techniques (architecture, sculpture et peinture) constituent
autant de caractères propres qui enchantent le regard et l'imagination.
Source : Division géographie (ARD) du Ministère des Affaires
étrangères (c) 2001
LES INSTITUTIONS DE L'UNION INDIENNE,
MODÈLE POUR L'UNION
EUROPÉENNE ?
A
première vue, comparer l'Union indienne et l'Union européenne
pourrait relever de la gageure, voire de l'ordre de la fantaisie, tant l'une et
l'autre diffèrent par leurs structures sociales, économiques et
politiques. Par bien des aspects, tout les oppose, à commencer par
l'histoire, même si celle-ci les a fait se rencontrer au cours des
derniers siècles.
Sur le plan institutionnel, force est de constater les
différences : l'Union indienne, dont le statut a été
conçu à Westminster en 1935, est d'abord née comme
entité politique ; à l'inverse, l'Union européenne
s'est bâtie sur le développement de l'intégration
économique et sur la libre circulation des hommes, des biens et des
capitaux. Cinquante cinq ans après l'indépendance de l'une et le
premier texte fondateur de l'autre, les points de comparaison abondent
néanmoins. Par exemple, beaucoup des interlocuteurs de la
délégation nous ont fait part de leur intérêt pour
l'euro, d'ailleurs accepté partout en Inde à l'égal du
dollar et plus couramment que la livre sterling, tout en soulignant que l'union
monétaire qu'il symbolise est depuis longtemps une réalité
en Inde.
A l'inverse, par certains aspects, l'Union indienne paraît « en
retard » sur l'Union européenne. Ainsi, dans le domaine
économique, les barrières aux échanges demeurent
nombreuses et il s'en crée encore, les États détenant un
pouvoir fiscal qu'ils ne se privent pas d'exercer dans les matières qui
relèvent de leurs compétences.
Dans d'autres domaines, c'est l'Union européenne qui apparaît
à la traîne, tant le fédéralisme indien a
été marqué par des décennies de domination d'un
même parti - le Congrès - au niveau fédéral et dans
la majorité des États composant l'Union, aujourd'hui au nombre de
28. Plutôt que de mener une comparaison point par point, la
délégation s'est efforcée, avec ses interlocuteurs,
d'envisager ce que l'expérience de près de six décennies
de fonctionnement du fédéralisme indien, à grande
échelle, pourrait apporter pour l'Union européenne, à
l'heure où celle-ci s'interroge sur son avenir, notamment sur le plan
institutionnel.
Il serait sans doute vain d'essayer d'appréhender l'ensemble des points
de comparaison possibles. Plusieurs ont plus particulièrement
été envisagés par la délégation lors des
entretiens qu'elle a eus, que ce soit au Parlement, à la Confederation
of Indian Industries (patronat), à l'Université Nehru de Delhi,
où elle s'est notamment entretenue avec le recteur Balveer ARORA, ainsi
qu'à Pondichéry, avec le professeur David ANNOUSSAMY, ancien
président de la cour suprême de Madras. La
délégation a opportunément et fortuitement
complété ces échanges par une expérience
concrète du fonctionnement du fédéralisme indien à
l'occasion de son séjour à Bangalore, capitale de l'État
du Karnataka.
1. Les entretiens avec les commissions conjointes du Parlement
A Delhi,
les 9 et 10 septembre 2002, la délégation s'est successivement
entretenue avec la commission conjointe aux deux assemblées du Parlement
indien (Lok Sabha et Rajya Sabha) chargée des Affaires
étrangères et celle chargée des Affaires
intérieures.
La délégation en discussion avec la commission des Affaires
intérieures du Parlement indien
Au cours de ces deux rencontres, les membres présents étaient
très nombreux. A l'image de Mme BOSE, présidente de la commission
des Affaires extérieures, ils ont souligné l'excellence des
relations entre nos deux pays. Après la visite du Président
Jacques CHIRAC en janvier 1998, ces relations ont été
renforcées par l'attitude de modération, qui excluait toute
condamnation a priori, a fortiori accompagnée de sanctions, après
les essais nucléaires réalisés par l'Inde. Malgré
la modestie des échanges commerciaux ces relations demeurent
excellentes, par delà les fluctuations inéluctables dues aux
aléas de la vie internationale et des priorités de chaque partie.
La discussion a été franche et directe. Elle a surtout
porté sur la question de l'Irak, nos interlocuteurs indiens se montrant
très préoccupés par les perspectives de conflit dans cette
région et s'interrogeant sur la position que pourrait prendre la France
dans l'éventualité où les États-Unis s'engageraient
dans une action militaire à l'encontre de ce pays.
En réponse aux interrogations parfois vigoureuses des parlementaires
indiens, M. Pierre FAUCHON a rappelé, au nom de la
délégation la position de la France telle qu'exprimée par
le Président de la République et consistant à subordonner
toute action à une décision préalable des Nations Unies.
2. L'élection du Président de l'Union
L'Inde,
indépendante depuis 1947, est devenue une République en 1950. Le
mode d'élection du Président de l'Union est
déterminé par l'article 55 de la Constitution. Le
Président est élu au suffrage universel indirect, par les membres
du Parlement
4(
*
)
et des assemblées
législatives des États et territoires de l'Union. Compte tenu des
très fortes inégalités de population entre États,
puisque le plus peuplé, l'Uttar Pradesh compte quelque 180 millions
d'habitants alors que le plus petit ne dépasse pas un million
d'habitants, le vote des représentants de chaque État est
pondéré par l'importance de sa population
5(
*
)
.
L'autre particularité de l'élection tient au mode de scrutin. En
Europe, il est d'usage, à l'instar de Winston CHURCHILL, de
considérer la démocratie comme le pire système politique
à l'exclusion de tous les autres. Lors de l'entretien que la
délégation a eu avec lui à Pondichéry, le
professeur ANNOUSSAMY a d'emblée souligné qu'elle ne constituait
en réalité qu'un blanc seing donné à la
majorité pour décider pour l'ensemble des citoyens. Il serait
éminemment préférable de rechercher le consensus, pour la
satisfaction du plus grand nombre.
De fait, l'élection du Président de l'Union vise à faire
émerger une personnalité susceptible de rassembler le plus grand
nombre de suffrages possible et, par conséquent, de constituer le
symbole de l'unité d'un pays par ailleurs si divers. Le mode de scrutin
est le vote classificatoire : chaque votant classe les candidats selon un
ordre de préférence. Si l'un des candidats recueille en premier
choix la majorité absolue des suffrages, il est déclaré
élu. Sinon, le candidat qui a obtenu le moins de voix est
éliminé et le décompte reprend en prenant en compte non
seulement les suffrages obtenus par chacun des candidats restant en course mais
également les voix obtenues en second choix.
En théorie, il en est ainsi jusqu'à ce qu'une personnalité
recueille la majorité des suffrages. Comme le note David ANNOUSSAMY,
«
ce ne sera pas nécessairement celui qui a obtenu le plus
grand nombre de voix au comptage des voix de première
préférence. Mais il aura le mandat de la majorité absolue
sans besoin d'un second tour et sans les tractations pas toujours reluisantes
entre les deux tours. La compétition forcenée entre deux rivaux
est évitée et le pays ne se partage pas nécessairement en
deux
»
6(
*
)
.
En pratique, depuis l'indépendance, ce système a toujours permis
de faire émerger, dès le premier tour, une personnalité
recueillant une large majorité des suffrages. Ainsi, le 18 juillet
dernier, M. Avul Pakir Jainulabdeen ABDUL KALAM est devenu le douzième
président de l'Inde. Il était soutenu à la fois par les
partis de la coalition gouvernementale, que conduit le BJP (parti du peuple
indien) et par le Congrès, principal parti d'opposition. Sa seule
rivale, Mme Lakshmi SEHGAL, était soutenue pour sa part par les partis
communistes, qui ne représentaient qu'environ 10 % des voix.
Un tel système offre un double avantage, pour une fonction qui, il est
vrai, demeure avant tout honorifique, sauf en cas de crise politique. D'abord,
il permet que le choix se détermine pour une personnalité issue
d'une minorité qui, sans cela, n'aurait eu que de faibles chances
d'être désignée. C'est vrai du président actuel, qui
constitue la troisième personnalité musulmane élue
à ce poste depuis l'indépendance. C'était sans doute
encore plus vrai de son prédécesseur, premier président
issu de la caste des dalits (intouchables, désignés
officiellement comme scheduled castes, « castes
répertoriées »).
En outre, un tel système évite que l'élection ne tourne
à l'affrontement entre les « champions » des
États les plus peuplés. En l'espèce, le président
actuel, pas plus que son prédécesseur, n'émanent de
l'État le plus peuplé, ni d'une région pratiquant la
langue la plus parlée (l'hindi). L'un et l'autre sont originaires du sud
de l'Inde (le président actuel du Tamil Nadu et son
prédécesseur est né au Kerala).
Si l'Europe devait s'engager sur la voie de la désignation d'un
président de l'Union, le système indien pourrait donc constituer
un exemple à méditer, en permettant l'émergence d'une
personnalité perçue comme véritablement porteuse d'un
projet européen plutôt que de tourner à l'affrontement
direct entre deux candidats issus d'Allemagne et de France, les États
les plus peuplés de l'Union et traditionnels moteurs de son
développement.
3. Le défi linguistique
Dans sa
rubrique intitulée « Vie d'Europe », le journal La
Tribune, le 8 novembre 2002, titrait «
la langue anglaise prend le
pouvoir
». Rappelant qu'un sondage datant de décembre 2000
établissait que, pour les Européens, l'anglais était
à 75 % jugé la langue « la plus utile », loin
devant le français (40 %), l'allemand (23 %) et l'espagnol (18 %), cette
chronique soulignait que les institutions européennes avaient du mal
à échapper à «
la lame de fond venue
d'Albion
». Elle pointait également le coût du
maintien du multilinguisme, avec onze langues officielles aujourd'hui et vingt
et une en 2004.
Dès à présent, seul le Parlement européen a
décidé de financer un multilinguisme intégralement, en
cohérence avec l'affirmation de la nécessité de
préserver la diversité culturelle de l'Europe, qui suppose de ne
pas créer des langues de second rang
L'Inde, confrontée au multilinguisme depuis l'indépendance, a
cherché à faire émerger une langue dominante. Les
résistances que cette volonté a entraîné, ainsi que
la création de nouveaux États sur une base essentiellement
linguistique, soulignent le caractère fondamental de la question
linguistique dans une perspective d'union et de rapprochement des individus et,
sur le plan fonctionnel, de rationalisation des méthodes de
fonctionnement administratif.
La Constitution indienne reconnaît en effet 18 langues officielles,
réparties entre les deux groupes que compte le pays, c'est-à-dire
l'indo-aryen et le dravidien. Par ailleurs, 1600 langues mineures et dialectes
ont été répertoriés lors du dernier recensement. Si
d'importants efforts ont été déployés depuis
l'indépendance pour remplacer l'anglais par l'hindi et en faire la
langue « nationale », près de 60 ans n'ont pas
éliminés l'usage de la langue du colonisateur, qui demeure la
langue officielle de la justice et reste, pour les États du sud, le
meilleur rempart contre l'hégémonie de l'hindi, à tel
point que son usage est aujourd'hui consacré pour les relations entre
ces États et le centre.
Parallèlement, on assiste à la montée d'une revendication
identitaire fondée sur la pratique d'une langue commune à un
groupe défini. C'est d'ailleurs sur une base linguistique que les
États apparus depuis l'indépendance ont été
constitués, même si cette émergence pouvait masquer une
revendication d'inspiration davantage ethnique ou religieuse.
Sur le plan pratique, au Parlement, il est de plus en plus fréquent que
des parlementaires ne s'expriment ni en anglais, ni en hindi. Les débats
sont traduits dans les différentes langues officielles que compte le
pays. Il est par ailleurs révélateur que le Gouvernement du
Karnataka, dont l'action vise à faire de cet État un
« silicon state », sur le modèle de la silicon
valley au sud-est de San Francisco, place cette politique sous le signe de la
lutte contre la pauvreté, mais également de la promotion de la
langue majoritaire de l'État, le kannada, sur internet.
4. Le rôle de la Cour Suprême
Une des
caractéristiques du fédéralisme indien qui a frappé
notre délégation réside dans le rôle confié
à la Cour Suprême par les acteurs politiques. Que ce soit pour des
questions spectaculaires mais presque anecdotiques (la lutte contre la
pollution autour du Taj Mahal), pour résoudre les conflits les plus
épineux (l'affectation du temple d'Ayodhya, réclamé
à la fois par les musulmans et les hindous) ou les questions aux grandes
conséquences économiques et sociales (la gestion de l'eau), la
Cour Suprême est appelée à trancher ce que les responsables
politiques ne parviennent pas à (ou ne souhaitent pas)
démêler puis imposer eux-mêmes.
Dès lors, c'est la Cour Suprême qui décide de faire
appliquer les lois contre la pollution jusque là restées lettre
morte, en imposant aux
rickshaws
de Delhi de rouler au gaz
(malgré le très petit nombre de stations de ravitaillement) ou
restreint aux seuls véhicules électriques les abords du Taj
Mahal. C'est aussi elle qui oblige un État à ouvrir les vannes de
ses barrages afin de procurer de l'eau aux paysans de celui situé en
aval, entraînant de graves répercussions sur la vie politique et
sociale des États concernés.
A cet égard, la délégation s'est trouvée à
Bangalore en pleine négociation sur cette question épineuse de la
gestion de l'eau. En lieu et place du
chief minister
(Premier ministre)
de l'État du Karnataka, retenu par des discussions, elle a
été reçue par le ministre des technologies de
l'information. Surtout, la Cour suprême ayant imposé au Karnataka,
situé en amont et plus arrosé, d'ouvrir les vannes de ses
barrages sur la Cauvery, qui traverse ensuite le Tamil Nadu, avant de se jeter
dans le golfe du Bengale au sud de Madras, afin de procurer de l'eau aux
paysans de cet État, les agriculteurs du Karnataka, confrontés
à une sécheresse inhabituelle, ont décrété
un blocus de la ville et une manifestation de grande ampleur.
Dans cette perspective et après quelques incidents liés à
l'échauffement des esprits (selon la presse, une équipe de
télévision du Tamil Nadu aurait été
bousculée par des hommes en colère), la ville de Bangalore s'est
retrouvée à l'arrêt complet le jour de la manifestation
(écoles fermées, services publics inexistants, jour
chômé dans les usines).
5. Le fonctionnement du fédéralisme
Il y a
quelques années, un observateur particulièrement avisé
avait pu caractériser l'Inde contemporaine par ce fait dominant :
« le fédéralisme indien malade de la
centralisation »
7(
*
)
. Christophe
JAFFRELOT écrivait alors : «
Depuis
l'indépendance, dans tous les domaines des relations
fédérales -politiques, économiques et financières-
l'Union tend à élargir, parfois abusivement, les pouvoirs qui lui
sont accordés par la Constitution. Et depuis que des partis d'opposition
ont mis fin à la suprématie du Congrès dans les
États, les antagonismes s'expriment de façon plus
âpre : les États, qui affirment davantage leur
identité, accusent New Delhi d'utiliser son pouvoir au mépris des
institutions fédérales. Celui-ci devient un alibi à leur
impuissance, notamment sur le plan économique. De son côté,
New Delhi reproche aux États leur manque d'initiative et leur laxisme
financier. Les tensions se multiplient et certains mouvements
séparatistes se nourrissent des dysfonctionnements du système
fédéral.
« Les principales formations politiques souhaitent toutes aujourd'hui
une révision des relations fédérales, même si la
nature et l'ampleur des réformes et des modalités de leur
application sont loin de faire l'unanimité
».
Néanmoins, plusieurs lignes directrices apparaissent :
- le renouveau de la décentralisation, par l'intermédiaire du
système des panchayat (conseils locaux) ;
- le renforcement des revendications des États.
En effet, si au niveau fédéral, la politique de planification
semble se poursuivre, avec l'entrée en application, le 5 octobre
dernier, du dixième plan quinquennal, l'Inde apparaît
néanmoins en période de transition à la fois d'un point de
vue économique et institutionnel.
Pour le moment, à côté de leurs ressources propres, les
États bénéficient de la rétrocession par
l'État fédéral de 29 % des impôts
prélevés au niveau national, selon une répartition tenant
compte de leur population et de leur niveau de vie. Cette clé de
répartition est établie par la commission des finances, organe
créé tous les cinq ans au niveau fédéral, en
application de la Constitution et dont les avis n'ont jamais été
contredits par le Gouvernement. On ajoutera que la Constitution a
également prévu que les États redistribuent une partie de
leurs ressources aux collectivités locales qui les composent.
Estimant qu'ils exercent beaucoup de responsabilités sans disposer des
ressources nécessaires, les États réclament aujourd'hui
une part plus importante des ressources fédérales, d'autant que
chacun d'entre eux aide les industriels qui s'y implantent. Face à cette
demande, le Gouvernement central se trouve confronté à un
véritable défi, dans la mesure où les investisseurs
recherchent un marché unique. Il appartiendra donc à la
douzième commission des finances, constituée comme les
précédentes pour la période quinquennale à venir,
de faire des recommandations à cet égard.
Toujours est-il que les entreprises continuent de subir ce que les
représentants du patronat indien nous ont présenté comme
une cascade d'impositions. Par ailleurs, pour ce qui est du commerce
extérieur, malgré la simplification récente des droits de
douane, ceux-ci agissent encore comme un frein aux échanges, d'autant
que s'y ajoutent des taxes d'un montant variable selon les États. Toutes
choses qui expliquent pourquoi le forum d'initiative franco-indien, lors de sa
huitième réunion tenue les 11 et 12 novembre, a placé
l'allègement et la clarification de la fiscalité au premier rang
de ses préoccupations, notamment dans le secteur stratégique de
la distribution de l'eau.
L'autre difficulté financière majeure liée à la
pratique du fédéralisme concerne la politique d'endettement des
États et le niveau préoccupant atteint par celui-ci. En effet, si
la Constitution fixe des limites, précisées par la banque
centrale, les États ont créé des entités
para-étatiques qui empruntent en leur lieu et place.
On comprend mieux pourquoi le Fonds monétaire international, dans son
analyse annuelle sur l'Inde, estime que la situation précaire des
finances publiques «
pourrait déboucher sur une crise de la
dette
» et appelle par conséquent le Gouvernement à
tout mettre en oeuvre pour assainir sa situation financière au plus
vite. Le déficit de l'État central, qui frôle les 6 % du
produit intérieur brut, ne représente au demeurant qu'une partie
du problème, le déficit public global atteignant 10 %,
c'est-à-dire en incluant les États fédérés
et les résultats des entreprises publiques. De quoi relativiser la
réalité pratique d'un « pacte de
stabilité » même lorsqu'il est établi par la
Constitution.
L'INDE, LEADER TECHNOLOGIQUE
ET LA COOPÉRATION
SCIENTIFIQUE
FRANCO-INDIENNE
A
côté de photos représentant ses dirigeants en compagnie de
Tony BLAIR ou du Premier ministre japonais, la salle de réception de la
Confederation of Indian Industries (patronat) comporte une vue d'une
réunion : la tribune est barrée d'un panneau proclamant
« India and The United States : World leaders in Science and
Technology »
8(
*
)
.
Loin d'une image volontiers archaïque à laquelle s'arrêtent
encore trop d'observateurs en Occident, l'Inde est en effet devenue une
puissance scientifique et technologique de premier plan. Fondé sur un
savoir-faire ancestral (les mathématiques furent
« inventées » en Inde il y a 5000 ans), ce
développement reste inégal mais est partout perceptible. Telle
rue de Pondichéry permet, par exemple, d'observer, d'un
côté, une maison tamoule traditionnelle, de l'autre un cyber
café. Désireuse d'appréhender cet aspect trop souvent
ignoré de l'Inde d'aujourd'hui, la délégation s'est
successivement rendue à Bangalore, capitale du Karnataka, puis à
Madras, capitale du Tamil Nadu.
1. Le Karnataka, « silicon state »
Ancienne
ville de garnison, Bangalore est devenue, dans les années 1950-1960, un
centre industriel et commercial par décision du gouvernement central.
Son emplacement géographique, au sud de la péninsule et loin des
frontières du Pakistan et de la Chine, a été à
l'origine de la décision stratégique d'y installer une industrie
aéronautique et spatiale naissante ainsi qu'une industrie de
l'électronique qui y était étroitement liée. Des
entreprises privées - en équipement électrique et de
l'industrie horlogère - sont venues compléter cette base qui
pouvait profiter d'une tradition d'innovation (Bangalore avait
été à la fin du XIX
ème
siècle la
première ville en Inde à produire de l'électricité
et l'Indian Institute of Science y avait été créé
dès 1909) ainsi que d'un climat attrayant.
Aujourd'hui cinquième ville de l'Inde, Bangalore continue à se
développer ; la population, qui était de 1,7 million
d'habitants en 1970, approche aujourd'hui les 6 millions, les deux tiers de
l'expansion démographique étant imputables à l'immigration
du reste de l'Inde. En dépit des inconvénients
inévitablement liés à cette expansion (difficulté
d'approvisionnement en eau, pollution atmosphérique, circulation,
interruption de la fourniture d'énergie électrique...), Bangalore
a su attirer et continue de séduire de nombreux investisseurs
étrangers. La concurrence d'autres États de l'Union indienne est,
sur ce point, indéniable, notamment de la part des États voisins
d'Andra Pradesh, avec Hyderabad, et du Tamil Nadu avec Madras.
Mais, les entreprises étrangères peuvent s'appuyer sur la
politique du gouvernement local, qui considère comme prioritaires les
secteurs de l'informatique et des technologies de l'information, les industries
agro - alimentaires, l'équipement automobile et les infrastructures .
Pour ce faire, il a mis en oeuvre des incitations fiscales pour les
activités exportatrices, dont la principale consiste en une exemption
d'impôt sur les sociétés pour la part du chiffre d'affaires
réalisée en direction de l'étranger, y compris pour les
activités de services informatiques. En outre, il existe des mesures en
faveur de la création d'emplois ou du développement de la
recherche. La création de « technology parks »,
sorte de grandes pépinières d'entreprises équipées
pour les entreprises étrangères, a permis de développer
les structures d'accueil depuis les années 1980.
Au cours des années les plus récentes, le Karnataka a
été le premier État de l'Inde à mettre en oeuvre
une politique en faveur des technologies de l'information, en 1997. Cette
politique s'inscrit dans l'objectif global du gouvernement de l'État
d'éradiquer la pauvreté et de renforcer la place des femmes dans
la société. Il vise à réduire effectivement le
chômage, en absorbant la majeure partie des jeunes diplômés
ainsi qu'à encourager les échanges avec les pays non anglophones.
Dans ce secteur, les incitations sont encore plus larges : les industries
sont exemptées de taxe d'entrée et de taxe lors de l'achat de
matériels informatiques et de périphériques pendant la
phase de mise en production. Cette dernière peut s'étendre sur
une période de cinq ans. En outre, les industriels
bénéficient d'une exonération de taxe sur les ventes
pendant 10 ans, dans la limite d'un plafond fixé au double de la valeur
des biens investis. Les générateurs électriques
nécessaires à la production sont également exemptés
du paiement de la taxe sur l'électricité sans limitation de
durée et le fuel utilisé l'est en franchise de taxe.
S'appuyant par ailleurs sur un réseau dense d'universités et
d'instituts de formation supérieure, qui délivrent 30.000
diplômes d'ingénieur chaque année, sans compter les
nombreux universitaires de niveau BAC +3 ou +5, le Karnataka ambitionne donc de
devenir le « silicon state » du monde de demain, sur le
modèle de la silicon valley du sud de San Francisco.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette intense politique
d'encouragement au développement des technologies de l'information ne
s'accompagne pas ou plus d'une fuite des cerveaux. Les études les plus
récentes montrent en effet que s'il y a 10 ans encore, les
ingénieurs et entrepreneurs vivaient soit en Inde, soit à
l'étranger, les échanges se font aujourd'hui dans les deux sens.
Les Indiens ne partent plus à l'étranger dans l'idée de
s'expatrier définitivement mais passent souvent la moitié de
l'année en Inde et le reste du temps qui aux États Unis, qui en
Australie ou en Europe.
Les Indiens recrutés dans les années 1980 et 1990 par les grandes
entreprises internationales ont été les premiers à revenir
en Inde à la faveur de l'intégration de l'économie
indienne dans l'économie mondiale, lorsque les groupes qui les
employaient se sont implantés dans ce pays. Le fait que des Indiens
aient été employés par ces entreprises a d'ailleurs
facilité, si ce n'est initié, leur décision de s'implanter
dans ce pays. Pour nos interlocuteurs, ce mouvement de va et vient constituait
indéniablement un motif de fierté.
2. L'implantation des entreprises françaises au Karnataka
Comme
pour les autres groupes internationaux, la forte concentration d'industries de
haute technologie au Karnataka et, en particulier, dans sa capitale Bangalore,
a largement influencé la décision des entreprises
françaises de s'implanter dans cette région de l'Inde.
Avec 9 % du montant total des investissements étrangers au Karnataka, la
France se situerait au troisième rang, derrière l'Allemagne, qui
en représente le tiers, et les États-Unis 15 %. 28 filiales sont
implantées dans la région de Bangalore, dont 5 dans le secteur de
l'électronique et 4 dans celui de l'informatique.
La délégation a visité la filiale de la
Société Générale, créée en 2001 et
qui emploie désormais près de 200 personnes pour le
développement des applications informatiques liées aux produits
financiers proposés par le groupe. La situation de Société
Générale Software apparaissait très
révélatrice des modes de développement mis en
oeuvre : d'abord attirée par le coût peu élevé
de la main d'oeuvre pour délocaliser des activités
préalablement menées depuis Singapour, elle a profité de
la qualité des personnes recrutées localement pour
développer d'autres savoir-faire au bénéfice de l'ensemble
du groupe. Seule une personne est expatriée.
Outre d'autres activités plus diversifiées (mécanique,
optique, industries de l'armement ou spatiale), on notera que la France a
également bénéficié des grands contrats
passés par l'État ou la ville de Bangalore dans des secteurs
où elle dispose de compétences reconnues. Ainsi, la Bangalore
Water Supply and Sewerage Board a signé, en juillet 1999, quatre grands
contrats avec des sociétés françaises :
Degrémont et OTV pour la construction de deux unités de
traitement d'eaux usées d'une capacité de 60 et 10 millions de
litre par jour, Sewréca pour la détection des fuites du
réseau et SCE pour la cartographie d'une partie du réseau de
distribution d'eau de la ville. Cet important projet est financé sur le
protocole financier franco - indien pour un montant de plus de 7,6 millions
d'euros (50 millions de francs). En septembre 2000, le BWSSB a signé un
mémorandum avec Vivendi Environnement et Suez Lyonnaise des Eaux, pour
un contrat de gestion déléguée expérimentale de la
distribution de l'eau dans deux quartiers de la ville, comptant environ un
million d'habitants chacun.
3. L'implantation d'entreprises françaises au Tamil Nadu
L'implantation d'entreprises françaises dans
l'État
voisin du Tamil Nadu obéit à la même logique :
profiter des conditions favorables créées par les
autorités locales et valoriser un savoir faire reconnu.
A l'instar de la gestion de l'eau à Bangalore, une entreprise
française - Onyx (filiale de Vivendi Environnement) - s'est
implantée à Madras en mars 2000, après avoir signé
avec la ville un contrat (le premier de ce type remporté par une
société étrangère en Inde) pour la collecte de
déchets urbains pour une durée de sept ans. Sa zone
d'intervention recouvre trois quartiers importants correspondant à un
tiers de la superficie de la ville, la quatrième de l'Inde, comptant
plus de 6 millions d'habitants. Cette société emploie aujourd'hui
1925 personnes.
La deuxième plus grande usine de traitement d'eau d'Asie
(530 000 m
3
par jour) sera construite par Ondéo
Degrémont. Le contrat, signé le 5 septembre dernier avec la
municipalité de Madras, fait suite à celui que la
société avait signé un an plus tôt pour la
fourniture à New Delhi... de la plus grande usine de traitement d'eau
d'Asie. Ces investissements concernent quatre millions d'habitants à
Madras (et cinq à New Delhi).
Parmi les autres grandes implantations, on peut citer celle de Saint Gobain,
qui a créé à 45 kms de Madras la plus grande usine de
fabrication de verre plat d'Asie (destinée au secteur du bâtiment
ainsi qu'à l'industrie automobile) ou bien celle d'Alcatel, par
l'intermédiaire de sa filiale belge, qui a ouvert en 1997 un centre de
recherche et de développement informatique qui emploie près de
300 personnes.
4. La coopération scientifique franco-indienne
Ce
dernier exemple montre que malgré la modestie des échanges, la
France et l'Inde peuvent mener à bien des projets intéressant les
deux parties. Tant à Bangalore qu'à Madras, la
délégation a pu observer les résultats des
coopérations de recherche entre la France et l'Inde.
A Bangalore d'abord, la délégation a visité l'institut
indien des sciences (Indian Institute of Science), créé en 1909
par la famille Tata et qui compte aujourd'hui 42 départements, centres
et unités avec un corps professoral de 450 personnes et 1500
étudiants. L'institut est un centre d'excellence, classé au
18
ème
rang mondial pour sa production scientifique, qui
couvre des domaines aussi variés que la biologie, la chimie,
l'électronique et l'informatique, la mécanique, les
mathématiques et la physique, les sciences aérospatiales et le
management.
L'institut a engagé des programmes d'échanges d'étudiants
ou d'enseignants avec plusieurs centres de recherche français :
École polytechnique (1994), Université Denis Diderot (Paris VII,
1998), Pôle universitaire européen de Toulouse (1999) et
Université Joseph Fourier (Grenoble).
Six étudiants français ont complété leur formation
à l'institut au cours de l'année 2001-2002 (deux de
l'École des mines d'Alès, un de l'INSA de Lyon, deux en
maîtrise de chimie de Rennes et un post doctorat de Paris VII).
En outre, 19 projets de recherche franco-indiens ont été
menés à bien en 14 ans, dans des domaines tels que la biologie
moléculaire, la thermodynamique, la chimie, les matériaux, les
mathématiques et les sciences de l'eau.
A titre d'illustration de cette politique de coopération, la
délégation a reçu une présentation de
quatre
cellules de recherche conjointes
existantes ou prochainement
créées :
- la
cellule franco-indienne de recherche en sciences de l'eau
,
créée en novembre 2000 en partenariat entre l'institut et
l'Institut de Recherche pour le Développement, a pour objectif d'une
part de déterminer l'impact sur l'environnement des activités
minières et, d'autre part, d'étudier le fonctionnement de deux
bassins versants, sujet d'actualité s'il en est compte tenu des enjeux
de la gestion de l'eau ;
- le
centre franco-indien de photonique avancée
,
créé en 2002 en association avec le CNRS, s'intéresse aux
processus laser ultrarapides ainsi qu'à leurs applications aux
télécommunications. La décision de démarrage
effectif du centre pourrait intervenir lors de la visite en Inde du Premier
ministre, dès lors que, comme l'a souligné le professeur
COHEN-TANNOUDJI, lors de la huitième réunion du forum
d'initiative franco-indien, tenue les 11 et 12 novembre, la mise en oeuvre
pratique du centre a fait l'objet d'une clarification (directeur indien
à temps plein, comité scientifique conjoint) ;
- le
centre franco-indien de synthèse organique
associe 17
laboratoires français et 11 laboratoires indiens impliqués dans
des thèmes de recherche variés en chimie ;
- le
laboratoire franco-indien de chimie du solide
repose sur un
jumelage entre l'Institut de la matière condensée de Bordeaux et
l'Institut indien des sciences, qui coopèrent depuis près de 20
ans et souhaitent aujourd'hui approfondir leurs recherches communes sur des
thèmes comme les bio matériaux et les nouvelles céramiques.
Par ailleurs, la délégation a observé les premières
réalisations de cyber enseignement en mathématiques
appliquées entre Toulouse et Bangalore, qui permet un échange en
temps réel ou différé de ressources et préfigure la
cyber université franco indienne. D'ores et déjà, un
étudiant français peut télécharger un enseignement
qui vient d'être dispensé à Bangalore, ou puiser dans la
banque de données des cours en ligne.
La
délégation en visite à l'institut indien des technologies
de l'information
Toutes ces réalisations, comme la présence d'étudiants
originaires de La Réunion à l'Institut Indien des Technologies de
l'Information avec lesquels la délégation s'est entretenue,
témoigne à la fois de l'excellence de la formation
dispensée en Inde au terme d'une sélection féroce et du
haut niveau des recherches effectuées. Elles constituent
également un message d'espoir pour la coopération entre nos deux
pays, témoignant, comme l'a souligné M. RAMASAMI,
président du comité scientifique du centre franco-indien pour la
promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) d'une grande
proximité intellectuelle entre chercheurs des deux pays.
Selon notre interlocuteur, mener à bien des projets de recherche avec
des Français serait plus aisé qu'avec des anglo-saxons en
dépit de la barrière de la langue, en raison d'une
préoccupation commune pour la recherche fondamentale et du partage des
mêmes méthodes.
C'est pourquoi Français et Indiens peuvent désormais envisager de
mettre en oeuvre des réalisations associant un centre de recherche en
France et une entreprise indienne ou l'inverse, comme Atofina et l'Institut de
recherche sur le cuir qu'il dirige à Madras, afin de
bénéficier de retombées industrielles à
brève échéance.
PONDICHÉRY, FENÊTRE OUVERTE
SUR LA FRANCE
Pour
Jawharlal Nehru, premier chef du gouvernement de l'Union indienne,
Pondichéry devait constituer une « fenêtre ouverte sur
la France ». Près de cinquante ans après le
traité de rétrocession, il était important de faire le
point sur l'actualité de cette vision et, surtout, sur la
réalité de la présence française sur place, tout en
témoignant de la solidarité du Sénat avec la
communauté française.
Si elle est inévitablement déclinante en nombre, celle-ci reste
en effet très dynamique. Mis à part Delhi, où la France
dispose d'une représentation étoffée ainsi que Bombay
(Mumbai), où sont implantées d'importantes institutions (consulat
général, poste d'expansion économique, alliance
française et une petite école menacée dans son existence
même), nulle autre métropole indienne ne compte un réseau
français de coopération aussi dense que celui de
Pondichéry.
La délégation a eu la chance de visiter plusieurs de ces
institutions dont elle a pu observer l'excellence : Lycée, Institut
français, Centre de formation professionnelle et Alliance
française. Elle a notamment pu observer la variété des
activités de cet établissement ainsi que le dynamisme des
personnes qui l'animent. Faute de temps, elle n'a que brièvement
rencontré M. Dominic GOODALL, directeur du centre de l'École
française d'extrême orient, qu'elle n'a pu visiter. Ce centre
mène, depuis 1955, des recherches en histoire et indologie d'une grande
qualité
9(
*
)
.
En outre, la délégation a eu des entretiens avec des
personnalités de la communauté française appartenant
à des milieux les plus variés : M. MUSTAPHA,
représentant élu du Conseil Supérieur des Français
de l'étranger, s'est fait le porte parole des préoccupations des
Franco-Pondichériens au cours d'une réunion tenue au foyer du
soldat en présence de 200 personnes environ, dont les
représentants des associations d'anciens combattants et de femmes.
La
délégation en visite à l'alliance française de
Pondichéry
Elle a également rencontré le père Jacques DUSSAIGNE, des
missions étrangères de Paris et soeur Thérèse, de
la communauté Saint Joseph de Cluny, dont elle a pu admirer
l'enseignement et l'engagement social, en visitant l'atelier de broderie
géré par la congrégation.
La présentation des activités d'Auroville, cité de
l'harmonie universelle créée par Sri Aurobindo à une
dizaine de kilomètres au nord de Pondichéry, a également
permis d'avoir un aperçu du chemin choisi par les 400 Français
appartenant à cette communauté en devenir.
Parvenant à Pondichéry par l'intérieur de l'État du
Tamil Nadu, le voyageur peut éprouver le sentiment de se trouver dans
une ville tamoule quasiment comme les autres et qui dispose d'ailleurs, en tant
que telle, d'un patrimoine architectural intéressant et encore largement
préservé en dépit de la pression
démographique
10(
*
)
. Mais, outre les
clichés bien connus -policiers au képi rouge, statue de Dupleix
(tenant les richesses de l'Inde dans les sacs disposés à ses
pieds), églises, monument aux morts, où la
délégation a tenu à rendre hommage aux combattants des
Indes françaises morts pour la France, rues portant des noms
français (le cours Chabrol, la rue Romain Rolland...), magasins,
restaurants servant la cuisine française-, Pondichéry c'est avant
tout des associations à l'activité bien réelle et
dynamique, qu'illustrent des publications tel le mensuel Trait d'Union. Ce
contexte francophone a d'ailleurs récemment conduit une chaîne
privée de télévision émettant sur le réseau
câblé à présenter tous les dimanches soir une revue
de presse locale en français.
La délégation rend hommage aux combattants des Indes
françaises morts pour la France.
Au-delà du réseau français très entreprenant et dont la présence doit être confortée, la France pourrait profiter de la volonté des autorités locales de développer le tourisme, activité pour laquelle notre pays dispose d'un savoir faire mondialement reconnu, en même temps que l'affirmation de cette vocation pourrait permettre de préserver le patrimoine hérité de la présence française, situé dans la « ville blanche ».
1. Le Lycée français
Le
Lycée français de Pondichéry a été
créé le 28 octobre 1826 sur l'ordre du Gouverneur DESBASSAYNS,
comte de Richemont et ancêtre de notre excellent collègue Henri de
RICHEMONT. Il était alors destiné à
« l'éducation des jeunes gens de la classe
blanche ». Le collège était alors modeste, puisqu'il
accueillait 40 élèves en 1840. D'abord administré par les
missions étrangères de Paris, le collège fut
définitivement confié à une administration et à des
enseignants laïcs en 1900. C'est dans l'établissement que Nehru
prononça les mots d'espoir et de fraternité sur
« Pondichéry, fenêtre ouverte sur la France »,
en 1954, lors de la rétrocession du territoire. Ces mots assignent
à l'établissement, devenu Lycée français en 1972,
une place singulière puisqu'ils associent la scolarisation des enfants
de la communauté française demeurée à
Pondichéry et l'accueil de jeunes indiens qu'attire la culture
française.
Aujourd'hui, 85 % des élèves sont Français et près
de 15 % Indiens ; quelques uns n'appartenant à aucune de ces deux
nationalités. Le taux de boursiers est exceptionnellement
élevé puisqu'il atteint 85 %. L'établissement accueille
les enfants de la maternelle jusqu'au baccalauréat. Puis certains
poursuivent leurs études en France, que ce soit en classes
préparatoires (4 ou 5 chaque année) ou dans des filières
comme les BTS. Afin de diversifier les voies de la réussite, quatre
nouvelles filières ont été mises en place au cours des
dernières années, sous l'impulsion de la direction de
l'établissement (dont des BEP électrotechnique,
secrétariat, comptabilité).
Bien qu'il représente une indéniable réussite, le
lycée se trouve aujourd'hui confronté aux évolutions de la
société pondichérienne : les écoles indiennes
qui disposent d'un enseignement en français voient leurs effectifs
fondre ; ceux-ci ne dépassent plus 250 élèves en
comptant les établissements de Karikal et Mahé. D'autre part, les
départs vers la France sont désormais plus nombreux que les
retours de Pondichériens au pays, compte tenu notamment de la
réduction du format des armées (qui diminue d'autant les
effectifs des militaires retraités).
Cette situation impose à l'évidence des aménagements dont
certains sont déjà mis en oeuvre, comme l'apprentissage du
français en tant que langue seconde. Par ailleurs,
l'établissement dépend de l'académie de Toulouse et a
tissé des liens étroits avec la Réunion. Ces voies devront
sans doute être renforcées à l'avenir, afin d'assurer la
pérennité d'un enseignement de qualité et
diversifié, dans un contexte marqué par le déclin
inexorable de la pratique du français.
2. L'Institut français
La
délégation a été reçue à l'Institut
français de Pondichéry par l'équipe de recherche,
dirigée par M. Denis DEPOMMIER. La discussion a d'abord porté sur
la présentation de l'Institut et du rôle qu'il a joué
depuis sa création lors du traité de rétrocession de
Pondichéry à l'Inde, en 1954. l'Institut dispose d'un fonds de
recherche très important : 100 000 documents écrits qu'il
convient aujourd'hui de préserver en les scannant et 140 000
clichés photographiques. La délégation a ensuite pu
s'entretenir avec les chercheurs des différents départements de
recherche : indologie, sciences sociales, écologie et
géomatique (utilisation des techniques informatiques en
géographie).
Cette présentation a permis d'entrevoir sur ordinateur les
résultats de recherche, par exemple sur la cartographie d'un ensemble de
données géographiques et démographiques relatives à
chaque commune de l'État de Tamil Nadu. Elle a également
souligné la qualité des équipes et la volonté de la
France de poursuivre l'oeuvre entreprise en Inde dans des domaines touchant
aussi bien à l'histoire du pays qu'à sa situation contemporaine
(par exemple l'étude de la mise en place de structures de
micro-crédit en remplacement des circuits traditionnels d'endettement.
Elle a permis par ailleurs de réaliser que cet Institut a aujourd'hui
une véritable vocation internationale, puisque les chercheurs accueillis
ne sont plus tous originaires de France, ni même d'Europe.
Cette vocation sera renforcée par l'achèvement des travaux
d'extension des bâtiments, entamés en août 2001.
Menés conjointement avec la mise en place d'un nouveau réseau
informatique et téléphonique, ils conduiront à un
réaménagement des espaces de travail et des bibliothèques,
pour une meilleure intégration des équipes de recherche et des
ressources documentaires, qui n'étaient pas conservées de
manière entièrement satisfaisante dans les bâtiments
historiques actuels. Souhaitons que ce réaménagement soit
mené à bien dans les délais prévus et s'accompagne
d'un effort financier à la hauteur de l'oeuvre accompli, pour le plus
grand rayonnement de la France et la poursuite des relations fructueuses entre
nos deux pays.
La
délégation au balcon de l'Institut français de
Pondichéry, en compagnie de M. Michel SÉGUY, Consul
général de France et de M. Denis DEPOMMIER,
Directeur de
l'institut.
CONCLUSION
Le
Premier ministre est attendu en Inde en février prochain, à
l'occasion du lancement de la saison de la France en Inde. Ce voyage
revêt à bien des égards une importance exceptionnelle.
D'abord parce que le Premier ministre n'a pas, jusqu'à présent,
effectué de déplacement officiel à l'étranger, tout
du moins hors du champ des rencontres communautaires. Ensuite parce que ce
déplacement marquera naturellement une relance du dialogue politique
déjà fructueux entre nos deux pays et soulignera
l'intérêt économique et scientifique de ce vaste
marché qu'est l'Inde. Prélude à de nombreux
séminaires et rencontres à la fois commerciales, scientifiques et
culturelles, ce déplacement devrait encourager ceux qui hésitent
encore à s'intéresser à cette économie qui a connu
au cours des années récentes et connaît encore des
transformations radicales.
Au cours des derniers mois, grâce notamment à l'activité
inlassable de notre ambassade sur place, par ailleurs responsable de
l'organisation de la saison de la France, les échanges et contacts se
sont multipliés. Par exemple, dans le domaine culturel, peu avant la
parution de ce rapport, l'Inde a été l'invitée d'honneur
des « Belles étrangères » et une vingtaine
d'auteurs très variés sont venus dans notre pays à cette
occasion.
Votre délégation forme simplement le voeu d'avoir
contribué par sa présence au renforcement des relations
bilatérales. Elle tient à souligner l'importance qui s'attache
aujourd'hui à ne pas manquer le train de la croissance indienne :
l'Inde est un marché qui s'ouvre et qui croit chaque jour davantage, la
France peut encore y tenir sa place. Elle ne doit pas tarder à le
faire.
1
. La délégation
était
accompagnée par M. Olivier JACQUES, administrateur des services du
Sénat
.
2
Francis DORÉ
L'Inde d'aujourd'hui
, PUF, 1974
3
Doc. Sénat n°GA 16, août 1997,
L'Inde
cinquante ans après l'indépendance
4
Les membres du Lok Sabha (Chambre du peuple) sont élus pour
cinq ans au suffrage universel direct ; les membres du Rajya Sabha
(Chambre des États) sont élus par les assemblées
législatives des États au scrutin proportionne. Le Rajya Sabha
est renouvelé par tiers tous les deux ans.
5
Le Vice-Président, qui est de droit président du
Conseil des États, est élu de la même manière mais
par le Parlement seulement.
6
David ANNOUSSAMY,
Le droit indien en marche
,
Société de législation comparée, 2001
7
Christophe JAFFRELOT Le fédéralisme indien malade de
la centralisation i
n
L'Inde contemporaine de 1950 à nos
jours
, Fayard, 1996
8
L'Inde et les États Unis : leaders mondiaux en
science et technologie
9
Les activités de l'EFEO font l'objet d'une
présentation détaillée sur le site de l'école (
www.efeo.fr
, qui reprend les
éléments contenus dans une très intéressante
brochure.
10
La population du territoire, qui s'étend sur 480
kms
2
, ne tardera pas à dépasser le million d'habitants
essentiellement regroupés dans l'agglomération.