L'INDE AU VINGT ET UNIEME SIECLE : ENTRE TRADITION ET MODERNITE



L'INDE AU VINGT ET UNIÈME SIÈCLE :
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
COMPTE RENDU DE LA VISITE EN INDE
D'UNE DÉLÉGATION DU GROUPE INTERPARLEMENTAIRE
FRANCE-INDE
DU 7 AU 15 SEPTEMBRE 2002


présenté par M. Pierre FAUCHON, Présiden t

Traverser l'Inde, de part en part, pendant une semaine, c'est affronter l'immensité. Les immensités : géographique, sociologique, historique, philosophique même.

Entrée en survolant la passe de Khiber par laquelle les Indo-Européens nous ont précédé il y a plus de trois mille ans, faire étape à Delhi, de là gagner Bangalore et Madras pour se retrouver en famille à Pondichéry à la pointe du Dekkan, c'est déjà, malgré l'escamotage du transport aérien, franchir une amplitude de parallèles comparable à celle de l'Europe toute entière.

Débattre en toute liberté avec les parlementaires de la plus nombreuse démocratie du globe, c'est mesurer la fabuleuse carrière d'une idée politique née à Athènes, cité comptant moins de 50 000 âmes, il y a 2500 ans.

Rencontrer à Bangalore des informaticiens à la pointe du progrès, c'est mesurer que depuis leur invention du zéro mathématique, les Indiens n'ont rien perdu de leur capacité d'abstraction et d'invention.

Méditer devant les Shiva dansants de Madras -ostensoirs d'une autre croyance-, c'est communier à une vision de l'homme toute différente, née bien avant la naissance du Christ, bien avant notre ère.

Tel a été le vaste champ de cette brève expérience dont rend compte le présent rapport.

Découvrir l'immensité de l'Inde dans toutes ses dimensions, c'est prendre conscience de la relativité de nos propres espaces.

S'il est un lieu de la terre où aient place tous les rêves des vivants, depuis les premiers jours où l'homme commença les songes de l'existence - c'est l'Inde.

Romain Rolland, Essai sur la mystique et l'action de l'Inde vivante

Mesdames, Messieurs,

Une délégation du groupe interparlementaire France - Inde du Sénat s'est rendue en Inde du 7 au 15 septembre 2002. Outre M. Pierre FAUCHON, Président du groupe, elle comprenait MM. Yann GAILLARD, José BALARELLO, André ROUVIÈRE et Paul VERGÈS ainsi que Mme Annick BOCANDÉ

Le dernier déplacement du groupe remontait à 1997. En revanche, plusieurs délégations du Sénat se sont rendues en Inde récemment : M. Jacques CHAUMONT, rapporteur spécial du budget des Affaires étrangères avait effectué une mission sur place en 1999 ; une délégation de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a séjourné en Inde du 3 au 6 mars dernier. La délégation du groupe interparlementaire souhaitait donc à la fois faire le point sur les relations entre les deux pays mais aussi approfondir quelques aspects particuliers de la situation de l'Inde.

« L'Inde est un mouvement perpétuel d'additions et de contradictions ; elle échappe à la vanité des synthèses ; l'Inde est toujours autre chose... Sublime et misérable, mais encore sublime dans sa misère, une et multiple, des toits de neige au cap Comorin, polymorphisme des êtres et des choses à l'image des dieux et de Shiva dansant. Aux frontières indécises du rêve et de la réalité, et dans la magie du verbe, le jeu du temps nous présente l'Inde d'aujourd'hui. L'Occident s'étonne ; il attend déjà l'Inde de demain, celle du bonheur comme il l'a conçu depuis des siècles de renouveaux et de révolutions. Mais l'homme prend encore le temps de retrouver son âme sur les bords du Gange quand la moisson a été bonne » 1( * ) .

Forte de ces difficultés, la délégation a souhaité concentrer sa réflexion sur trois sujets :

1. L'étude du fonctionnement des institutions indiennes répondait à un double objectif. D'abord celui de mieux connaître le mode de gouvernement de la « plus grande démocratie du monde », selon l'expression consacrée, à un moment où après quarante ans de domination d'un seul parti, la vie politique s'engage dans une nouvelle direction et la pratique d'un fédéralisme moins inégalitaire.

A l'heure où l'Europe s'interroge sur l'avenir de ses institutions dans un cadre élargi, il paraissait également intéressant d'observer le fonctionnement d'une fédération aussi vaste et diverse que l'Inde et, le cas échéant, d'en tirer de enseignements pour l'évolution de l'Union européenne ;

2. L'examen des réalisations de l'Inde dans le domaine scientifique et, plus particulièrement, dans le cadre de la coopération avec la France . Cette prise de contact avec l'Inde à la pointe de la technologie a conduit la délégation à Bangalore, capitale des nouvelles technologies, ainsi qu'à Madras ;

3. L 'écoute de nos compatriotes sur place, qui est une des fonctions spécifiques du Sénat, représentant constitutionnel des Français de l'étranger au Parlement. Outre le nécessaire devoir de mémoire, c'est à Pondichéry surtout que la délégation a rencontré une communauté vivante et riche de sa diversité.

La délégation ne saurait oublier par ailleurs la richesse des contacts qu'elle a pu nouer en prélude à cette visite, à Delhi, ni passer sous silence la découverte de quelques unes des réalisations artistiques remarquables, aussi bien islamiques que dravidiennes.

Elle a été reçue à deux reprises par les commissions conjointes au Lok Sabha et au Rajya Sabha (respectivement chambre du peuple et chambre des États du Parlement), celle des Affaires étrangères et celle des Affaires intérieures. Les entretiens d'une grande franchise qu'elle a eus à cette occasion lui ont permis de constater la chaleureuse convergence de vues qui unit les parlementaires français et indiens, animés de préoccupations de terrain très voisines, au-delà des nécessaires divergences inhérentes à des personnes issues de civilisations si différentes.

La délégation a également rencontré le nouveau co-président du Forum d'initiative franco-indien, co-présidé par notre excellent collègue Jean FRANÇOIS-PONCET, M. M.K. RASGOTRA, qui a souligné le rôle éminent joué par cette instance pour le renforcement de la coopération entre nos deux pays.

Intervenant peu de temps après la visite du ministre des Affaires étrangères et à quelques mois de celle du Premier ministre, elle forme le voeu que son déplacement contribuera au resserrement des liens entre nos deux parlements et, plus largement, entre nos deux pays.

En préambule à la présentation du programme d'une exceptionnelle richesse et diversité bâti à son intention, la délégation souhaite que tous ceux qui ont activement et chaleureusement contribué à sa réalisation dans les meilleures conditions possibles trouvent ici l'expression de sa gratitude. Elle remercie notamment S Exc. M. Bernard de FAUBOURNET de MONFERRAND, Ambassadeur de France en Inde et tous ses collaborateurs à Delhi, ainsi qu'à Bangalore, Madras et Pondichéry pour leur précieux concours.

PROGRAMME DU DÉPLACEMENT

Samedi 7 septembre

07 heures 40 : Départ pour Delhi

22 heures 55 : Arrivée à Delhi ; accueil par M. de FAUBOURNET de MONFERRAND, Ambassadeur de France en Inde

Dimanche 8 septembre

Excursion à Fathepur Sikri et Agra

Lundi 9 septembre : Delhi

9 heures : Séance de travail présidée par l'Ambassadeur en présence des chefs de service

10 heures 30 : Rencontre avec le M. M.K. RASGOTRA, Coprésident du Forum d'initiative Franco-Indien

11 heures 30 - 12 heures 30 : Rencontre avec M. Balveer ARORA, recteur de l'université Nehru (sur le thème des relations Union - États)

13 heures : Déjeuner offert par la Confederation of Indian Industries sur le thème des relations Union - États

15 heures - 16 heures 30 : Réunion avec la Commission des Affaires Extérieures du Parlement indien, présidée par Mme Krishna BOSE

Tour au vieux Delhi, visite de la mosquée Jama Masjid

20 heures : Dîner à la Résidence

Mardi 10 septembre : Delhi / Bangalore

11 heures - 12 heures 15 : Rencontre avec la Commission des Affaires Intérieures du Parlement, présidée par M. Pranab MUKHERJEE

12 heures 15 : Déjeuner offert par le président de la Commission des Affaires Intérieures

15 heures : Entretien avec M. Digvijay SINGH, Secrétaire d'État aux Affaires Étrangères

17 heures 20 : Départ pour Bangalore

19 heures 55 : Arrivée à Bangalore

Mercredi 11 septembre : Bangalore

9 heures 30 - 12 heures 30 : Visite et rencontres à l' Indian Institute of Science sur le thème de la coopération franco-indienne à travers les cellules mixtes :

Présentation de la cellule Franco-Indienne de Recherche sur les Sciences de l'Eau (CEFIRSE), du Centre Franco-Indien de Photonique Avancée (CEFIPA), du Centre Franco-Indien de Synthèse Organique (CEFISO), du Laboratoire Franco-Indien de Chimie du Solide (LAFICS).

Présentation du cyber-enseignement Toulouse-Bangalore, premiers pas vers la cyber université franco-indienne

12 heures 30 : Déjeuner à l'alliance française (en compagnie de la délégation du projet Keo)

15 heures : Visite de l'Indian Institute of Information Technology

16 heures 30 : Visite de Société Générale Software

17 heures 30 : Entretien avec le ministre des technologies de l'information du Karnataka

19 heures 30 : Dîner offert par M. Yves CHARPENTIER, Consul général à Bombay en présence, notamment, de la communauté française

Jeudi 12 septembre : Madras

9 heures 50 : Départ pour Madras

10 heures 35 : Arrivée à Madras

11 heures 30 : Rencontre avec le Gouverneur du Tamil Nadu, M. C. RANGARAJAN

13 heures 15 : Déjeuner avec quelques hommes d'affaires français et des personnalités culturelles

15 heures : Rencontre avec le Dr T. RAMASAMI, président du comité scientifique du centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) et directeur du Central Leather Research Institute

16 heures 30 : Visite de la galerie des bronzes (Government museum)

17 heures 30 : Visite de l'Alliance française

Vendredi 13 septembre : Madras/Pondichéry

8 heures 30 : Départ pour Kanchipuram : visite des temples et d'un atelier de fabrication de la soie

13 heures 15 : Déjeuner à Kanchipuram ; continuation pour Pondichéry

17 heures 15 : Visite du lycée français

18 heures 30 : Réception avec les représentants des associations françaises de Pondichéry au Foyer du Soldat

19 heures  : Visite de l'Alliance française de Pondichéry

19 heures 45 : Entretien avec M. David ANNOUSSAMY, ancien Président de la Cour suprême de Madras

Samedi 14 septembre : Pondichéry

8 heures 30 : Dépôt de gerbes au monument aux morts

9 heures : Visite de Pondichéry

10 heures : Visite d'Auroville et du Matrimandir

13 heures : Déjeuner offert par la délégation à l'hôtel de l'Orient

14 heures 30 : Entretien avec les représentantes de la congrégation St Joseph de Cluny (soeur Bernadette PINTO) et visite de l'atelier de broderie

16 heures : Visite de l'Institut français de Pondichéry

20 heures : Dîner offert par M. Michel SÉGUY, Consul Général

Dimanche 15 septembre

9 heures : Départ pour le site de Mahäbalipuram (Mamallapuram)

10 heures 40 : Visite des temples, déjeuner puis continuation vers l'aéroport de Madras

17 heures 45 : Départ pour Delhi

20 heures 15 : Arrivée à Delhi

Lundi 16 septembre

0 heures 35 : Départ de Delhi pour Paris

6 heures 15 : Arrivée à Paris

L'INDE EN QUELQUES REPÈRES

L'Inde, sa civilisation, ses langues, ses religions, avaient fait l'objet d'une présentation détaillée dans le rapport fait par votre groupe d'amitié à l'occasion de son précédent déplacement, en 1997 3( * ) .

Le présent rapport ne comportera donc quelques indications sur la situation de l'Inde et ses relations avec la France.

1. Quelques données générales

L'Inde est six fois plus étendue que la France et d'une taille comparable à l'Union européenne, dans ses frontières actuelles.

Sur le plan politique , c'est une démocratie parlementaire, fédération de 28 États et 7 territoires, constitués essentiellement pour des raisons historiques (Pondichéry) ou géopolitiques (Iles Andaman et Nicobar).

La Chambre basse du Parlement, Lok Sabha (ou chambre du peuple) compte 543 membres dont 306 appartiennent à la majorité, dirigée par le BJP, parti du peuple indien (nationaliste hindou) et 135 au Congrès et à ses alliés (opposition « officielle »).

Sur le plan économique , la situation de l'Inde pour être moins remarquable que les années précédentes est restée relativement enviable au cours de l'exercice 2000-2001 : le taux de croissance du produit intérieur brut a atteint 5,2 %, avec une inflation de 3,8 %. Cependant, la balance commerciale, comme la balance courante restent déficitaires (respectivement -5,3 et -2,6 milliards de dollars) et le service de la dette représente plus de 16 % du PIB.

Enfin, la part des principaux secteurs d'activité montre l'évolution en cours de l'économie : si l'agriculture représente encore 24 % du total (mais près des deux tiers de les emplois) et l'industrie 27 %, les services atteignent désormais près de la moitié du PIB (49 %).

2. Les relations avec la France

Lors de sa rencontre avec la commission des Affaires extérieures du Parlement, la délégation a été frappée d'entendre que la France constituait le cinquième partenaire de l'Inde... parmi les pays de l'Union européenne. Certes, les chiffres peuvent toujours être relativisés. La place éminente tenue par l'Ile Maurice, premier investisseur, est en partie imputable à des groupes textiles français. De même, plusieurs entreprises françaises sont présentes sur le marché indien par l'intermédiaire de leurs filiales, comme Dassault systèmes par le biais de sa filiale américaine.

Il n'en demeure pas moins que la France reste le neuvième client et le dix-septième fournisseur de l' Inde. Si 150 entreprises sont implantées sur place, la part de marché de la France ne dépasse pas 2 %, chiffre en ligne avec la présence globale de notre pays en Asie mais très décevant compte tenu des potentialités du marché indien, qui dépasse d'ores et déjà un milliard de consommateurs potentiels et, en toute hypothèse, au moins 10 % d'entre eux ayant atteint un niveau de vie comparable au nôtre.

Tout se passe comme si les chefs d'entreprises françaises étaient accaparés par la conquête du marché chinois et ne fournissaient pas de réel effort pour pénétrer le marché indien, bien qu'ils en reconnaissent tout l'attrait. De l'avis général, il s'agit pourtant du prochain marché important, dont la taille fait qu'il se suffit à lui-même et qu'un investissement peut donc être destiné au seul marché local sans nécessiter de réexportation. D'ores et déjà de nombreuses firmes concurrentes sont présentes en Inde. Il suffit d'observer la circulation automobile pour constater que des marques aussi diversifiées qu'Opel, Fiat, Hyundaï ou Toyota sont implantées ; dans ces conditions, pourquoi Renault et le groupe PSA attendent-ils encore ?

Souhaitons, comme l'a rappelé le Forum franco-indien lors de sa dernière réunion, tenue les 11 et 12 novembre, que la communauté d'affaires française prenne rapidement conscience du potentiel du marché indien.

3. Quelques exemples remarquables de l'art indien

Au cours de son déplacement, la délégation a eu la chance de pouvoir s'arrêter dans deux des sites les plus fondamentaux de la tradition artistique indienne.

Trop souvent, en effet, l'Inde est identifiée aux réalisations de l'art Moghol, qui connut son apogée au début du XVII ème siècle, avec Shah Jahan. Sa forme la plus achevée, le Taj Mahal, symbolise souvent l'Inde. Le monument procure à l'évidence un sentiment d'éternité et de beauté parfaite, surtout lorsque, comme ce fut le cas lors de la visite de la délégation, il est parcouru par des foules paisibles et splendides.

Mais l'art indien est bien plus ancien que cette représentation importée, quelque soit la magnificence de ses constructions.

La naissance de la civilisation indienne date véritablement des Aryens dans la plaine du Gange entre 1500 et 1000 avant Jésus Christ. Peu après, apparurent des temples, qui constituent une part immense du patrimoine artistique de l'Inde, signe d'une civilisation où chacun vit à chaque instant sa religion. Chaque homme, grâce à l'accomplissement de rites appropriés, se sent à chaque instant relié à l'univers tout entier, les divinités servant d'intermédiaires entre l'un et l'autre. Les temples sont les lieux où elles résident, où elles s'insèrent sur la terre.

Les premiers temples ont été creusés dans des falaises ou des grottes, comme Mahäbalipuram, que la délégation a visité. Puis est apparue une architecture construite. Kanchipuram constitue le premier exemple de ces constructions à toit pyramidal, innovation qui a correspondu, à partir du VI ème siècle, à l'apparition dans les mentalités du symbolisme de la montagne sacrée, demeure des dieux. Des milliers de temples, les uns modestes, les autres gigantesques, comportant à l'intérieur d'une même enceinte des dizaines de temples et des édifices variés dans leur forme comme dans leur destination, ont été construits jusqu'au XIX ème siècle.

Ce qui frappe le visiteur, c'est le caractère figuratif des représentations des divinités, qui contraste radicalement avec l'art hérité de la civilisation islamique. L'âme humaine trouve partout à s'exprimer, jusque dans la sensualité que l'occident chrétien rejette. A bien des égards, la civilisation dont ces grands sites de l'Inde du Sud portent témoignage peut être comparée à notre sculpture médiévale, tant par l'usage de la sculpture que par l'édification d'un sanctuaire auquel une nef donne accès.

Cette structure traduit jusque dans l'art les racines communes à tous les indo-européens. En cela, ces monuments, ces sanctuaires nous paraissent immédiatement accessibles. Ils expriment, en outre, bien avant les découvertes de la psychanalyse moderne, le subconscient et la dualité de l'esprit divin.

Le Shiva dansant, dont le musée de Madras possède quelques-uns des exemplaires les plus remarquables, est la figure la plus aboutie de cette ambivalence. Shiva crée et détruit les mondes dans une danse cosmique et frénétique qui résume en elle les cinq activités fondamentales du dieu. Par son dynamisme et son parfait équilibre tout à la fois, la sculpture de Shiva dansant nous apporte un exemple éclatant de l'art indien traditionnel.

La complexité des iconographies religieuses, le goût d'une certaine magnificence décorative, des canons corporels s'attachant à rendre davantage la plénitude des chairs que la véracité anatomique, l'absence de séparation rigoureuse entre les grandes techniques (architecture, sculpture et peinture) constituent autant de caractères propres qui enchantent le regard et l'imagination.



Source : Division géographie (ARD) du Ministère des Affaires étrangères (c) 2001

LES INSTITUTIONS DE L'UNION INDIENNE,
MODÈLE POUR L'UNION EUROPÉENNE ?

A première vue, comparer l'Union indienne et l'Union européenne pourrait relever de la gageure, voire de l'ordre de la fantaisie, tant l'une et l'autre diffèrent par leurs structures sociales, économiques et politiques. Par bien des aspects, tout les oppose, à commencer par l'histoire, même si celle-ci les a fait se rencontrer au cours des derniers siècles.

Sur le plan institutionnel, force est de constater les différences : l'Union indienne, dont le statut a été conçu à Westminster en 1935, est d'abord née comme entité politique ; à l'inverse, l'Union européenne s'est bâtie sur le développement de l'intégration économique et sur la libre circulation des hommes, des biens et des capitaux. Cinquante cinq ans après l'indépendance de l'une et le premier texte fondateur de l'autre, les points de comparaison abondent néanmoins. Par exemple, beaucoup des interlocuteurs de la délégation nous ont fait part de leur intérêt pour l'euro, d'ailleurs accepté partout en Inde à l'égal du dollar et plus couramment que la livre sterling, tout en soulignant que l'union monétaire qu'il symbolise est depuis longtemps une réalité en Inde.

A l'inverse, par certains aspects, l'Union indienne paraît « en retard » sur l'Union européenne. Ainsi, dans le domaine économique, les barrières aux échanges demeurent nombreuses et il s'en crée encore, les États détenant un pouvoir fiscal qu'ils ne se privent pas d'exercer dans les matières qui relèvent de leurs compétences.

Dans d'autres domaines, c'est l'Union européenne qui apparaît à la traîne, tant le fédéralisme indien a été marqué par des décennies de domination d'un même parti - le Congrès - au niveau fédéral et dans la majorité des États composant l'Union, aujourd'hui au nombre de 28. Plutôt que de mener une comparaison point par point, la délégation s'est efforcée, avec ses interlocuteurs, d'envisager ce que l'expérience de près de six décennies de fonctionnement du fédéralisme indien, à grande échelle, pourrait apporter pour l'Union européenne, à l'heure où celle-ci s'interroge sur son avenir, notamment sur le plan institutionnel.

Il serait sans doute vain d'essayer d'appréhender l'ensemble des points de comparaison possibles. Plusieurs ont plus particulièrement été envisagés par la délégation lors des entretiens qu'elle a eus, que ce soit au Parlement, à la Confederation of Indian Industries (patronat), à l'Université Nehru de Delhi, où elle s'est notamment entretenue avec le recteur Balveer ARORA, ainsi qu'à Pondichéry, avec le professeur David ANNOUSSAMY, ancien président de la cour suprême de Madras. La délégation a opportunément et fortuitement complété ces échanges par une expérience concrète du fonctionnement du fédéralisme indien à l'occasion de son séjour à Bangalore, capitale de l'État du Karnataka.

1. Les entretiens avec les commissions conjointes du Parlement

A Delhi, les 9 et 10 septembre 2002, la délégation s'est successivement entretenue avec la commission conjointe aux deux assemblées du Parlement indien (Lok Sabha et Rajya Sabha) chargée des Affaires étrangères et celle chargée des Affaires intérieures.



La délégation en discussion avec la commission des Affaires intérieures du Parlement indien

Au cours de ces deux rencontres, les membres présents étaient très nombreux. A l'image de Mme BOSE, présidente de la commission des Affaires extérieures, ils ont souligné l'excellence des relations entre nos deux pays. Après la visite du Président Jacques CHIRAC en janvier 1998, ces relations ont été renforcées par l'attitude de modération, qui excluait toute condamnation a priori, a fortiori accompagnée de sanctions, après les essais nucléaires réalisés par l'Inde. Malgré la modestie des échanges commerciaux ces relations demeurent excellentes, par delà les fluctuations inéluctables dues aux aléas de la vie internationale et des priorités de chaque partie.

La discussion a été franche et directe. Elle a surtout porté sur la question de l'Irak, nos interlocuteurs indiens se montrant très préoccupés par les perspectives de conflit dans cette région et s'interrogeant sur la position que pourrait prendre la France dans l'éventualité où les États-Unis s'engageraient dans une action militaire à l'encontre de ce pays.

En réponse aux interrogations parfois vigoureuses des parlementaires indiens, M. Pierre FAUCHON a rappelé, au nom de la délégation la position de la France telle qu'exprimée par le Président de la République et consistant à subordonner toute action à une décision préalable des Nations Unies.

2. L'élection du Président de l'Union

L'Inde, indépendante depuis 1947, est devenue une République en 1950. Le mode d'élection du Président de l'Union est déterminé par l'article 55 de la Constitution. Le Président est élu au suffrage universel indirect, par les membres du Parlement 4( * ) et des assemblées législatives des États et territoires de l'Union. Compte tenu des très fortes inégalités de population entre États, puisque le plus peuplé, l'Uttar Pradesh compte quelque 180 millions d'habitants alors que le plus petit ne dépasse pas un million d'habitants, le vote des représentants de chaque État est pondéré par l'importance de sa population 5( * ) .

L'autre particularité de l'élection tient au mode de scrutin. En Europe, il est d'usage, à l'instar de Winston CHURCHILL, de considérer la démocratie comme le pire système politique à l'exclusion de tous les autres. Lors de l'entretien que la délégation a eu avec lui à Pondichéry, le professeur ANNOUSSAMY a d'emblée souligné qu'elle ne constituait en réalité qu'un blanc seing donné à la majorité pour décider pour l'ensemble des citoyens. Il serait éminemment préférable de rechercher le consensus, pour la satisfaction du plus grand nombre.

De fait, l'élection du Président de l'Union vise à faire émerger une personnalité susceptible de rassembler le plus grand nombre de suffrages possible et, par conséquent, de constituer le symbole de l'unité d'un pays par ailleurs si divers. Le mode de scrutin est le vote classificatoire : chaque votant classe les candidats selon un ordre de préférence. Si l'un des candidats recueille en premier choix la majorité absolue des suffrages, il est déclaré élu. Sinon, le candidat qui a obtenu le moins de voix est éliminé et le décompte reprend en prenant en compte non seulement les suffrages obtenus par chacun des candidats restant en course mais également les voix obtenues en second choix.

En théorie, il en est ainsi jusqu'à ce qu'une personnalité recueille la majorité des suffrages. Comme le note David ANNOUSSAMY, « ce ne sera pas nécessairement celui qui a obtenu le plus grand nombre de voix au comptage des voix de première préférence. Mais il aura le mandat de la majorité absolue sans besoin d'un second tour et sans les tractations pas toujours reluisantes entre les deux tours. La compétition forcenée entre deux rivaux est évitée et le pays ne se partage pas nécessairement en deux » 6( * ) .

En pratique, depuis l'indépendance, ce système a toujours permis de faire émerger, dès le premier tour, une personnalité recueillant une large majorité des suffrages. Ainsi, le 18 juillet dernier, M. Avul Pakir Jainulabdeen ABDUL KALAM est devenu le douzième président de l'Inde. Il était soutenu à la fois par les partis de la coalition gouvernementale, que conduit le BJP (parti du peuple indien) et par le Congrès, principal parti d'opposition. Sa seule rivale, Mme Lakshmi SEHGAL, était soutenue pour sa part par les partis communistes, qui ne représentaient qu'environ 10 % des voix.

Un tel système offre un double avantage, pour une fonction qui, il est vrai, demeure avant tout honorifique, sauf en cas de crise politique. D'abord, il permet que le choix se détermine pour une personnalité issue d'une minorité qui, sans cela, n'aurait eu que de faibles chances d'être désignée. C'est vrai du président actuel, qui constitue la troisième personnalité musulmane élue à ce poste depuis l'indépendance. C'était sans doute encore plus vrai de son prédécesseur, premier président issu de la caste des dalits (intouchables, désignés officiellement comme scheduled castes, « castes répertoriées »).

En outre, un tel système évite que l'élection ne tourne à l'affrontement entre les « champions » des États les plus peuplés. En l'espèce, le président actuel, pas plus que son prédécesseur, n'émanent de l'État le plus peuplé, ni d'une région pratiquant la langue la plus parlée (l'hindi). L'un et l'autre sont originaires du sud de l'Inde (le président actuel du Tamil Nadu et son prédécesseur est né au Kerala).

Si l'Europe devait s'engager sur la voie de la désignation d'un président de l'Union, le système indien pourrait donc constituer un exemple à méditer, en permettant l'émergence d'une personnalité perçue comme véritablement porteuse d'un projet européen plutôt que de tourner à l'affrontement direct entre deux candidats issus d'Allemagne et de France, les États les plus peuplés de l'Union et traditionnels moteurs de son développement.

3. Le défi linguistique

Dans sa rubrique intitulée « Vie d'Europe », le journal La Tribune, le 8 novembre 2002, titrait « la langue anglaise prend le pouvoir ». Rappelant qu'un sondage datant de décembre 2000 établissait que, pour les Européens, l'anglais était à 75 % jugé la langue « la plus utile », loin devant le français (40 %), l'allemand (23 %) et l'espagnol (18 %), cette chronique soulignait que les institutions européennes avaient du mal à échapper à « la lame de fond venue d'Albion ». Elle pointait également le coût du maintien du multilinguisme, avec onze langues officielles aujourd'hui et vingt et une en 2004.

Dès à présent, seul le Parlement européen a décidé de financer un multilinguisme intégralement, en cohérence avec l'affirmation de la nécessité de préserver la diversité culturelle de l'Europe, qui suppose de ne pas créer des langues de second rang

L'Inde, confrontée au multilinguisme depuis l'indépendance, a cherché à faire émerger une langue dominante. Les résistances que cette volonté a entraîné, ainsi que la création de nouveaux États sur une base essentiellement linguistique, soulignent le caractère fondamental de la question linguistique dans une perspective d'union et de rapprochement des individus et, sur le plan fonctionnel, de rationalisation des méthodes de fonctionnement administratif.

La Constitution indienne reconnaît en effet 18 langues officielles, réparties entre les deux groupes que compte le pays, c'est-à-dire l'indo-aryen et le dravidien. Par ailleurs, 1600 langues mineures et dialectes ont été répertoriés lors du dernier recensement. Si d'importants efforts ont été déployés depuis l'indépendance pour remplacer l'anglais par l'hindi et en faire la langue « nationale », près de 60 ans n'ont pas éliminés l'usage de la langue du colonisateur, qui demeure la langue officielle de la justice et reste, pour les États du sud, le meilleur rempart contre l'hégémonie de l'hindi, à tel point que son usage est aujourd'hui consacré pour les relations entre ces États et le centre.

Parallèlement, on assiste à la montée d'une revendication identitaire fondée sur la pratique d'une langue commune à un groupe défini. C'est d'ailleurs sur une base linguistique que les États apparus depuis l'indépendance ont été constitués, même si cette émergence pouvait masquer une revendication d'inspiration davantage ethnique ou religieuse.

Sur le plan pratique, au Parlement, il est de plus en plus fréquent que des parlementaires ne s'expriment ni en anglais, ni en hindi. Les débats sont traduits dans les différentes langues officielles que compte le pays. Il est par ailleurs révélateur que le Gouvernement du Karnataka, dont l'action vise à faire de cet État un « silicon state », sur le modèle de la silicon valley au sud-est de San Francisco, place cette politique sous le signe de la lutte contre la pauvreté, mais également de la promotion de la langue majoritaire de l'État, le kannada, sur internet.

4. Le rôle de la Cour Suprême

Une des caractéristiques du fédéralisme indien qui a frappé notre délégation réside dans le rôle confié à la Cour Suprême par les acteurs politiques. Que ce soit pour des questions spectaculaires mais presque anecdotiques (la lutte contre la pollution autour du Taj Mahal), pour résoudre les conflits les plus épineux (l'affectation du temple d'Ayodhya, réclamé à la fois par les musulmans et les hindous) ou les questions aux grandes conséquences économiques et sociales (la gestion de l'eau), la Cour Suprême est appelée à trancher ce que les responsables politiques ne parviennent pas à (ou ne souhaitent pas) démêler puis imposer eux-mêmes.

Dès lors, c'est la Cour Suprême qui décide de faire appliquer les lois contre la pollution jusque là restées lettre morte, en imposant aux rickshaws de Delhi de rouler au gaz (malgré le très petit nombre de stations de ravitaillement) ou restreint aux seuls véhicules électriques les abords du Taj Mahal. C'est aussi elle qui oblige un État à ouvrir les vannes de ses barrages afin de procurer de l'eau aux paysans de celui situé en aval, entraînant de graves répercussions sur la vie politique et sociale des États concernés.

A cet égard, la délégation s'est trouvée à Bangalore en pleine négociation sur cette question épineuse de la gestion de l'eau. En lieu et place du chief minister (Premier ministre) de l'État du Karnataka, retenu par des discussions, elle a été reçue par le ministre des technologies de l'information. Surtout, la Cour suprême ayant imposé au Karnataka, situé en amont et plus arrosé, d'ouvrir les vannes de ses barrages sur la Cauvery, qui traverse ensuite le Tamil Nadu, avant de se jeter dans le golfe du Bengale au sud de Madras, afin de procurer de l'eau aux paysans de cet État, les agriculteurs du Karnataka, confrontés à une sécheresse inhabituelle, ont décrété un blocus de la ville et une manifestation de grande ampleur.

Dans cette perspective et après quelques incidents liés à l'échauffement des esprits (selon la presse, une équipe de télévision du Tamil Nadu aurait été bousculée par des hommes en colère), la ville de Bangalore s'est retrouvée à l'arrêt complet le jour de la manifestation (écoles fermées, services publics inexistants, jour chômé dans les usines).

5. Le fonctionnement du fédéralisme

Il y a quelques années, un observateur particulièrement avisé avait pu caractériser l'Inde contemporaine par ce fait dominant : « le fédéralisme indien malade de la centralisation » 7( * ) . Christophe JAFFRELOT écrivait alors : « Depuis l'indépendance, dans tous les domaines des relations fédérales -politiques, économiques et financières- l'Union tend à élargir, parfois abusivement, les pouvoirs qui lui sont accordés par la Constitution. Et depuis que des partis d'opposition ont mis fin à la suprématie du Congrès dans les États, les antagonismes s'expriment de façon plus âpre : les États, qui affirment davantage leur identité, accusent New Delhi d'utiliser son pouvoir au mépris des institutions fédérales. Celui-ci devient un alibi à leur impuissance, notamment sur le plan économique. De son côté, New Delhi reproche aux États leur manque d'initiative et leur laxisme financier. Les tensions se multiplient et certains mouvements séparatistes se nourrissent des dysfonctionnements du système fédéral.

« Les principales formations politiques souhaitent toutes aujourd'hui une révision des relations fédérales, même si la nature et l'ampleur des réformes et des modalités de leur application sont loin de faire l'unanimité
».

Néanmoins, plusieurs lignes directrices apparaissent :

- le renouveau de la décentralisation, par l'intermédiaire du système des panchayat (conseils locaux) ;

- le renforcement des revendications des États.

En effet, si au niveau fédéral, la politique de planification semble se poursuivre, avec l'entrée en application, le 5 octobre dernier, du dixième plan quinquennal, l'Inde apparaît néanmoins en période de transition à la fois d'un point de vue économique et institutionnel.

Pour le moment, à côté de leurs ressources propres, les États bénéficient de la rétrocession par l'État fédéral de 29 % des impôts prélevés au niveau national, selon une répartition tenant compte de leur population et de leur niveau de vie. Cette clé de répartition est établie par la commission des finances, organe créé tous les cinq ans au niveau fédéral, en application de la Constitution et dont les avis n'ont jamais été contredits par le Gouvernement. On ajoutera que la Constitution a également prévu que les États redistribuent une partie de leurs ressources aux collectivités locales qui les composent.

Estimant qu'ils exercent beaucoup de responsabilités sans disposer des ressources nécessaires, les États réclament aujourd'hui une part plus importante des ressources fédérales, d'autant que chacun d'entre eux aide les industriels qui s'y implantent. Face à cette demande, le Gouvernement central se trouve confronté à un véritable défi, dans la mesure où les investisseurs recherchent un marché unique. Il appartiendra donc à la douzième commission des finances, constituée comme les précédentes pour la période quinquennale à venir, de faire des recommandations à cet égard.

Toujours est-il que les entreprises continuent de subir ce que les représentants du patronat indien nous ont présenté comme une cascade d'impositions. Par ailleurs, pour ce qui est du commerce extérieur, malgré la simplification récente des droits de douane, ceux-ci agissent encore comme un frein aux échanges, d'autant que s'y ajoutent des taxes d'un montant variable selon les États. Toutes choses qui expliquent pourquoi le forum d'initiative franco-indien, lors de sa huitième réunion tenue les 11 et 12 novembre, a placé l'allègement et la clarification de la fiscalité au premier rang de ses préoccupations, notamment dans le secteur stratégique de la distribution de l'eau.

L'autre difficulté financière majeure liée à la pratique du fédéralisme concerne la politique d'endettement des États et le niveau préoccupant atteint par celui-ci. En effet, si la Constitution fixe des limites, précisées par la banque centrale, les États ont créé des entités para-étatiques qui empruntent en leur lieu et place.

On comprend mieux pourquoi le Fonds monétaire international, dans son analyse annuelle sur l'Inde, estime que la situation précaire des finances publiques « pourrait déboucher sur une crise de la dette » et appelle par conséquent le Gouvernement à tout mettre en oeuvre pour assainir sa situation financière au plus vite. Le déficit de l'État central, qui frôle les 6 % du produit intérieur brut, ne représente au demeurant qu'une partie du problème, le déficit public global atteignant 10 %, c'est-à-dire en incluant les États fédérés et les résultats des entreprises publiques. De quoi relativiser la réalité pratique d'un « pacte de stabilité » même lorsqu'il est établi par la Constitution.

L'INDE, LEADER TECHNOLOGIQUE
ET LA COOPÉRATION SCIENTIFIQUE
FRANCO-INDIENNE

A côté de photos représentant ses dirigeants en compagnie de Tony BLAIR ou du Premier ministre japonais, la salle de réception de la Confederation of Indian Industries (patronat) comporte une vue d'une réunion : la tribune est barrée d'un panneau proclamant « India and The United States : World leaders in Science and Technology » 8( * ) .

Loin d'une image volontiers archaïque à laquelle s'arrêtent encore trop d'observateurs en Occident, l'Inde est en effet devenue une puissance scientifique et technologique de premier plan. Fondé sur un savoir-faire ancestral (les mathématiques furent « inventées » en Inde il y a 5000 ans), ce développement reste inégal mais est partout perceptible. Telle rue de Pondichéry permet, par exemple, d'observer, d'un côté, une maison tamoule traditionnelle, de l'autre un cyber café. Désireuse d'appréhender cet aspect trop souvent ignoré de l'Inde d'aujourd'hui, la délégation s'est successivement rendue à Bangalore, capitale du Karnataka, puis à Madras, capitale du Tamil Nadu.

1. Le Karnataka, « silicon state »

Ancienne ville de garnison, Bangalore est devenue, dans les années 1950-1960, un centre industriel et commercial par décision du gouvernement central. Son emplacement géographique, au sud de la péninsule et loin des frontières du Pakistan et de la Chine, a été à l'origine de la décision stratégique d'y installer une industrie aéronautique et spatiale naissante ainsi qu'une industrie de l'électronique qui y était étroitement liée. Des entreprises privées - en équipement électrique et de l'industrie horlogère - sont venues compléter cette base qui pouvait profiter d'une tradition d'innovation (Bangalore avait été à la fin du XIX ème siècle la première ville en Inde à produire de l'électricité et l'Indian Institute of Science y avait été créé dès 1909) ainsi que d'un climat attrayant.

Aujourd'hui cinquième ville de l'Inde, Bangalore continue à se développer ; la population, qui était de 1,7 million d'habitants en 1970, approche aujourd'hui les 6 millions, les deux tiers de l'expansion démographique étant imputables à l'immigration du reste de l'Inde. En dépit des inconvénients inévitablement liés à cette expansion (difficulté d'approvisionnement en eau, pollution atmosphérique, circulation, interruption de la fourniture d'énergie électrique...), Bangalore a su attirer et continue de séduire de nombreux investisseurs étrangers. La concurrence d'autres États de l'Union indienne est, sur ce point, indéniable, notamment de la part des États voisins d'Andra Pradesh, avec Hyderabad, et du Tamil Nadu avec Madras.

Mais, les entreprises étrangères peuvent s'appuyer sur la politique du gouvernement local, qui considère comme prioritaires les secteurs de l'informatique et des technologies de l'information, les industries agro - alimentaires, l'équipement automobile et les infrastructures .

Pour ce faire, il a mis en oeuvre des incitations fiscales pour les activités exportatrices, dont la principale consiste en une exemption d'impôt sur les sociétés pour la part du chiffre d'affaires réalisée en direction de l'étranger, y compris pour les activités de services informatiques. En outre, il existe des mesures en faveur de la création d'emplois ou du développement de la recherche. La création de « technology parks », sorte de grandes pépinières d'entreprises équipées pour les entreprises étrangères, a permis de développer les structures d'accueil depuis les années 1980.

Au cours des années les plus récentes, le Karnataka a été le premier État de l'Inde à mettre en oeuvre une politique en faveur des technologies de l'information, en 1997. Cette politique s'inscrit dans l'objectif global du gouvernement de l'État d'éradiquer la pauvreté et de renforcer la place des femmes dans la société. Il vise à réduire effectivement le chômage, en absorbant la majeure partie des jeunes diplômés ainsi qu'à encourager les échanges avec les pays non anglophones.

Dans ce secteur, les incitations sont encore plus larges : les industries sont exemptées de taxe d'entrée et de taxe lors de l'achat de matériels informatiques et de périphériques pendant la phase de mise en production. Cette dernière peut s'étendre sur une période de cinq ans. En outre, les industriels bénéficient d'une exonération de taxe sur les ventes pendant 10 ans, dans la limite d'un plafond fixé au double de la valeur des biens investis. Les générateurs électriques nécessaires à la production sont également exemptés du paiement de la taxe sur l'électricité sans limitation de durée et le fuel utilisé l'est en franchise de taxe.

S'appuyant par ailleurs sur un réseau dense d'universités et d'instituts de formation supérieure, qui délivrent 30.000 diplômes d'ingénieur chaque année, sans compter les nombreux universitaires de niveau BAC +3 ou +5, le Karnataka ambitionne donc de devenir le « silicon state » du monde de demain, sur le modèle de la silicon valley du sud de San Francisco.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette intense politique d'encouragement au développement des technologies de l'information ne s'accompagne pas ou plus d'une fuite des cerveaux. Les études les plus récentes montrent en effet que s'il y a 10 ans encore, les ingénieurs et entrepreneurs vivaient soit en Inde, soit à l'étranger, les échanges se font aujourd'hui dans les deux sens. Les Indiens ne partent plus à l'étranger dans l'idée de s'expatrier définitivement mais passent souvent la moitié de l'année en Inde et le reste du temps qui aux États Unis, qui en Australie ou en Europe.

Les Indiens recrutés dans les années 1980 et 1990 par les grandes entreprises internationales ont été les premiers à revenir en Inde à la faveur de l'intégration de l'économie indienne dans l'économie mondiale, lorsque les groupes qui les employaient se sont implantés dans ce pays. Le fait que des Indiens aient été employés par ces entreprises a d'ailleurs facilité, si ce n'est initié, leur décision de s'implanter dans ce pays. Pour nos interlocuteurs, ce mouvement de va et vient constituait indéniablement un motif de fierté.

2. L'implantation des entreprises françaises au Karnataka

Comme pour les autres groupes internationaux, la forte concentration d'industries de haute technologie au Karnataka et, en particulier, dans sa capitale Bangalore, a largement influencé la décision des entreprises françaises de s'implanter dans cette région de l'Inde.

Avec 9 % du montant total des investissements étrangers au Karnataka, la France se situerait au troisième rang, derrière l'Allemagne, qui en représente le tiers, et les États-Unis 15 %. 28 filiales sont implantées dans la région de Bangalore, dont 5 dans le secteur de l'électronique et 4 dans celui de l'informatique.

La délégation a visité la filiale de la Société Générale, créée en 2001 et qui emploie désormais près de 200 personnes pour le développement des applications informatiques liées aux produits financiers proposés par le groupe. La situation de Société Générale Software apparaissait très révélatrice des modes de développement mis en oeuvre : d'abord attirée par le coût peu élevé de la main d'oeuvre pour délocaliser des activités préalablement menées depuis Singapour, elle a profité de la qualité des personnes recrutées localement pour développer d'autres savoir-faire au bénéfice de l'ensemble du groupe. Seule une personne est expatriée.

Outre d'autres activités plus diversifiées (mécanique, optique, industries de l'armement ou spatiale), on notera que la France a également bénéficié des grands contrats passés par l'État ou la ville de Bangalore dans des secteurs où elle dispose de compétences reconnues. Ainsi, la Bangalore Water Supply and Sewerage Board a signé, en juillet 1999, quatre grands contrats avec des sociétés françaises : Degrémont et OTV pour la construction de deux unités de traitement d'eaux usées d'une capacité de 60 et 10 millions de litre par jour, Sewréca pour la détection des fuites du réseau et SCE pour la cartographie d'une partie du réseau de distribution d'eau de la ville. Cet important projet est financé sur le protocole financier franco - indien pour un montant de plus de 7,6 millions d'euros (50 millions de francs). En septembre 2000, le BWSSB a signé un mémorandum avec Vivendi Environnement et Suez Lyonnaise des Eaux, pour un contrat de gestion déléguée expérimentale de la distribution de l'eau dans deux quartiers de la ville, comptant environ un million d'habitants chacun.

3. L'implantation d'entreprises françaises au Tamil Nadu

L'implantation d'entreprises françaises dans l'État voisin du Tamil Nadu obéit à la même logique : profiter des conditions favorables créées par les autorités locales et valoriser un savoir faire reconnu.

A l'instar de la gestion de l'eau à Bangalore, une entreprise française - Onyx (filiale de Vivendi Environnement) - s'est implantée à Madras en mars 2000, après avoir signé avec la ville un contrat (le premier de ce type remporté par une société étrangère en Inde) pour la collecte de déchets urbains pour une durée de sept ans. Sa zone d'intervention recouvre trois quartiers importants correspondant à un tiers de la superficie de la ville, la quatrième de l'Inde, comptant plus de 6 millions d'habitants. Cette société emploie aujourd'hui 1925 personnes.

La deuxième plus grande usine de traitement d'eau d'Asie (530 000 m 3 par jour) sera construite par Ondéo Degrémont. Le contrat, signé le 5 septembre dernier avec la municipalité de Madras, fait suite à celui que la société avait signé un an plus tôt pour la fourniture à New Delhi... de la plus grande usine de traitement d'eau d'Asie. Ces investissements concernent quatre millions d'habitants à Madras (et cinq à New Delhi).

Parmi les autres grandes implantations, on peut citer celle de Saint Gobain, qui a créé à 45 kms de Madras la plus grande usine de fabrication de verre plat d'Asie (destinée au secteur du bâtiment ainsi qu'à l'industrie automobile) ou bien celle d'Alcatel, par l'intermédiaire de sa filiale belge, qui a ouvert en 1997 un centre de recherche et de développement informatique qui emploie près de 300 personnes.

4. La coopération scientifique franco-indienne

Ce dernier exemple montre que malgré la modestie des échanges, la France et l'Inde peuvent mener à bien des projets intéressant les deux parties. Tant à Bangalore qu'à Madras, la délégation a pu observer les résultats des coopérations de recherche entre la France et l'Inde.

A Bangalore d'abord, la délégation a visité l'institut indien des sciences (Indian Institute of Science), créé en 1909 par la famille Tata et qui compte aujourd'hui 42 départements, centres et unités avec un corps professoral de 450 personnes et 1500 étudiants. L'institut est un centre d'excellence, classé au 18 ème rang mondial pour sa production scientifique, qui couvre des domaines aussi variés que la biologie, la chimie, l'électronique et l'informatique, la mécanique, les mathématiques et la physique, les sciences aérospatiales et le management.

L'institut a engagé des programmes d'échanges d'étudiants ou d'enseignants avec plusieurs centres de recherche français : École polytechnique (1994), Université Denis Diderot (Paris VII, 1998), Pôle universitaire européen de Toulouse (1999) et Université Joseph Fourier (Grenoble).

Six étudiants français ont complété leur formation à l'institut au cours de l'année 2001-2002 (deux de l'École des mines d'Alès, un de l'INSA de Lyon, deux en maîtrise de chimie de Rennes et un post doctorat de Paris VII).

En outre, 19 projets de recherche franco-indiens ont été menés à bien en 14 ans, dans des domaines tels que la biologie moléculaire, la thermodynamique, la chimie, les matériaux, les mathématiques et les sciences de l'eau.

A titre d'illustration de cette politique de coopération, la délégation a reçu une présentation de quatre cellules de recherche conjointes existantes ou prochainement créées :

- la cellule franco-indienne de recherche en sciences de l'eau , créée en novembre 2000 en partenariat entre l'institut et l'Institut de Recherche pour le Développement, a pour objectif d'une part de déterminer l'impact sur l'environnement des activités minières et, d'autre part, d'étudier le fonctionnement de deux bassins versants, sujet d'actualité s'il en est compte tenu des enjeux de la gestion de l'eau ;

- le centre franco-indien de photonique avancée , créé en 2002 en association avec le CNRS, s'intéresse aux processus laser ultrarapides ainsi qu'à leurs applications aux télécommunications. La décision de démarrage effectif du centre pourrait intervenir lors de la visite en Inde du Premier ministre, dès lors que, comme l'a souligné le professeur COHEN-TANNOUDJI, lors de la huitième réunion du forum d'initiative franco-indien, tenue les 11 et 12 novembre, la mise en oeuvre pratique du centre a fait l'objet d'une clarification (directeur indien à temps plein, comité scientifique conjoint) ;

- le centre franco-indien de synthèse organique associe 17 laboratoires français et 11 laboratoires indiens impliqués dans des thèmes de recherche variés en chimie ;

- le laboratoire franco-indien de chimie du solide repose sur un jumelage entre l'Institut de la matière condensée de Bordeaux et l'Institut indien des sciences, qui coopèrent depuis près de 20 ans et souhaitent aujourd'hui approfondir leurs recherches communes sur des thèmes comme les bio matériaux et les nouvelles céramiques.

Par ailleurs, la délégation a observé les premières réalisations de cyber enseignement en mathématiques appliquées entre Toulouse et Bangalore, qui permet un échange en temps réel ou différé de ressources et préfigure la cyber université franco indienne. D'ores et déjà, un étudiant français peut télécharger un enseignement qui vient d'être dispensé à Bangalore, ou puiser dans la banque de données des cours en ligne.

La délégation en visite à l'institut indien des technologies de l'information

Toutes ces réalisations, comme la présence d'étudiants originaires de La Réunion à l'Institut Indien des Technologies de l'Information avec lesquels la délégation s'est entretenue, témoigne à la fois de l'excellence de la formation dispensée en Inde au terme d'une sélection féroce et du haut niveau des recherches effectuées. Elles constituent également un message d'espoir pour la coopération entre nos deux pays, témoignant, comme l'a souligné M. RAMASAMI, président du comité scientifique du centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) d'une grande proximité intellectuelle entre chercheurs des deux pays.

Selon notre interlocuteur, mener à bien des projets de recherche avec des Français serait plus aisé qu'avec des anglo-saxons en dépit de la barrière de la langue, en raison d'une préoccupation commune pour la recherche fondamentale et du partage des mêmes méthodes.

C'est pourquoi Français et Indiens peuvent désormais envisager de mettre en oeuvre des réalisations associant un centre de recherche en France et une entreprise indienne ou l'inverse, comme Atofina et l'Institut de recherche sur le cuir qu'il dirige à Madras, afin de bénéficier de retombées industrielles à brève échéance.

PONDICHÉRY, FENÊTRE OUVERTE
SUR LA FRANCE

Pour Jawharlal Nehru, premier chef du gouvernement de l'Union indienne, Pondichéry devait constituer une « fenêtre ouverte sur la France ». Près de cinquante ans après le traité de rétrocession, il était important de faire le point sur l'actualité de cette vision et, surtout, sur la réalité de la présence française sur place, tout en témoignant de la solidarité du Sénat avec la communauté française.

Si elle est inévitablement déclinante en nombre, celle-ci reste en effet très dynamique. Mis à part Delhi, où la France dispose d'une représentation étoffée ainsi que Bombay (Mumbai), où sont implantées d'importantes institutions (consulat général, poste d'expansion économique, alliance française et une petite école menacée dans son existence même), nulle autre métropole indienne ne compte un réseau français de coopération aussi dense que celui de Pondichéry.

La délégation a eu la chance de visiter plusieurs de ces institutions dont elle a pu observer l'excellence : Lycée, Institut français, Centre de formation professionnelle et Alliance française. Elle a notamment pu observer la variété des activités de cet établissement ainsi que le dynamisme des personnes qui l'animent. Faute de temps, elle n'a que brièvement rencontré M. Dominic GOODALL, directeur du centre de l'École française d'extrême orient, qu'elle n'a pu visiter. Ce centre mène, depuis 1955, des recherches en histoire et indologie d'une grande qualité 9( * ) .

En outre, la délégation a eu des entretiens avec des personnalités de la communauté française appartenant à des milieux les plus variés : M. MUSTAPHA, représentant élu du Conseil Supérieur des Français de l'étranger, s'est fait le porte parole des préoccupations des Franco-Pondichériens au cours d'une réunion tenue au foyer du soldat en présence de 200 personnes environ, dont les représentants des associations d'anciens combattants et de femmes.

La délégation en visite à l'alliance française de Pondichéry

Elle a également rencontré le père Jacques DUSSAIGNE, des missions étrangères de Paris et soeur Thérèse, de la communauté Saint Joseph de Cluny, dont elle a pu admirer l'enseignement et l'engagement social, en visitant l'atelier de broderie géré par la congrégation.

La présentation des activités d'Auroville, cité de l'harmonie universelle créée par Sri Aurobindo à une dizaine de kilomètres au nord de Pondichéry, a également permis d'avoir un aperçu du chemin choisi par les 400 Français appartenant à cette communauté en devenir.

Parvenant à Pondichéry par l'intérieur de l'État du Tamil Nadu, le voyageur peut éprouver le sentiment de se trouver dans une ville tamoule quasiment comme les autres et qui dispose d'ailleurs, en tant que telle, d'un patrimoine architectural intéressant et encore largement préservé en dépit de la pression démographique 10( * ) . Mais, outre les clichés bien connus -policiers au képi rouge, statue de Dupleix (tenant les richesses de l'Inde dans les sacs disposés à ses pieds), églises, monument aux morts, où la délégation a tenu à rendre hommage aux combattants des Indes françaises morts pour la France, rues portant des noms français (le cours Chabrol, la rue Romain Rolland...), magasins, restaurants servant la cuisine française-, Pondichéry c'est avant tout des associations à l'activité bien réelle et dynamique, qu'illustrent des publications tel le mensuel Trait d'Union. Ce contexte francophone a d'ailleurs récemment conduit une chaîne privée de télévision émettant sur le réseau câblé à présenter tous les dimanches soir une revue de presse locale en français.



La délégation rend hommage aux combattants des Indes françaises morts pour la France.

Au-delà du réseau français très entreprenant et dont la présence doit être confortée, la France pourrait profiter de la volonté des autorités locales de développer le tourisme, activité pour laquelle notre pays dispose d'un savoir faire mondialement reconnu, en même temps que l'affirmation de cette vocation pourrait permettre de préserver le patrimoine hérité de la présence française, situé dans la « ville blanche ».

1. Le Lycée français

Le Lycée français de Pondichéry a été créé le 28 octobre 1826 sur l'ordre du Gouverneur DESBASSAYNS, comte de Richemont et ancêtre de notre excellent collègue Henri de RICHEMONT. Il était alors destiné à « l'éducation des jeunes gens de la classe blanche ». Le collège était alors modeste, puisqu'il accueillait 40 élèves en 1840. D'abord administré par les missions étrangères de Paris, le collège fut définitivement confié à une administration et à des enseignants laïcs en 1900. C'est dans l'établissement que Nehru prononça les mots d'espoir et de fraternité sur « Pondichéry, fenêtre ouverte sur la France », en 1954, lors de la rétrocession du territoire. Ces mots assignent à l'établissement, devenu Lycée français en 1972, une place singulière puisqu'ils associent la scolarisation des enfants de la communauté française demeurée à Pondichéry et l'accueil de jeunes indiens qu'attire la culture française.

Aujourd'hui, 85 % des élèves sont Français et près de 15 % Indiens ; quelques uns n'appartenant à aucune de ces deux nationalités. Le taux de boursiers est exceptionnellement élevé puisqu'il atteint 85 %. L'établissement accueille les enfants de la maternelle jusqu'au baccalauréat. Puis certains poursuivent leurs études en France, que ce soit en classes préparatoires (4 ou 5 chaque année) ou dans des filières comme les BTS. Afin de diversifier les voies de la réussite, quatre nouvelles filières ont été mises en place au cours des dernières années, sous l'impulsion de la direction de l'établissement (dont des BEP électrotechnique, secrétariat, comptabilité).

Bien qu'il représente une indéniable réussite, le lycée se trouve aujourd'hui confronté aux évolutions de la société pondichérienne : les écoles indiennes qui disposent d'un enseignement en français voient leurs effectifs fondre ; ceux-ci ne dépassent plus 250 élèves en comptant les établissements de Karikal et Mahé. D'autre part, les départs vers la France sont désormais plus nombreux que les retours de Pondichériens au pays, compte tenu notamment de la réduction du format des armées (qui diminue d'autant les effectifs des militaires retraités).

Cette situation impose à l'évidence des aménagements dont certains sont déjà mis en oeuvre, comme l'apprentissage du français en tant que langue seconde. Par ailleurs, l'établissement dépend de l'académie de Toulouse et a tissé des liens étroits avec la Réunion. Ces voies devront sans doute être renforcées à l'avenir, afin d'assurer la pérennité d'un enseignement de qualité et diversifié, dans un contexte marqué par le déclin inexorable de la pratique du français.

2. L'Institut français

La délégation a été reçue à l'Institut français de Pondichéry par l'équipe de recherche, dirigée par M. Denis DEPOMMIER. La discussion a d'abord porté sur la présentation de l'Institut et du rôle qu'il a joué depuis sa création lors du traité de rétrocession de Pondichéry à l'Inde, en 1954. l'Institut dispose d'un fonds de recherche très important : 100 000 documents écrits qu'il convient aujourd'hui de préserver en les scannant et 140 000 clichés photographiques. La délégation a ensuite pu s'entretenir avec les chercheurs des différents départements de recherche : indologie, sciences sociales, écologie et géomatique (utilisation des techniques informatiques en géographie).

Cette présentation a permis d'entrevoir sur ordinateur les résultats de recherche, par exemple sur la cartographie d'un ensemble de données géographiques et démographiques relatives à chaque commune de l'État de Tamil Nadu. Elle a également souligné la qualité des équipes et la volonté de la France de poursuivre l'oeuvre entreprise en Inde dans des domaines touchant aussi bien à l'histoire du pays qu'à sa situation contemporaine (par exemple l'étude de la mise en place de structures de micro-crédit en remplacement des circuits traditionnels d'endettement. Elle a permis par ailleurs de réaliser que cet Institut a aujourd'hui une véritable vocation internationale, puisque les chercheurs accueillis ne sont plus tous originaires de France, ni même d'Europe.

Cette vocation sera renforcée par l'achèvement des travaux d'extension des bâtiments, entamés en août 2001. Menés conjointement avec la mise en place d'un nouveau réseau informatique et téléphonique, ils conduiront à un réaménagement des espaces de travail et des bibliothèques, pour une meilleure intégration des équipes de recherche et des ressources documentaires, qui n'étaient pas conservées de manière entièrement satisfaisante dans les bâtiments historiques actuels. Souhaitons que ce réaménagement soit mené à bien dans les délais prévus et s'accompagne d'un effort financier à la hauteur de l'oeuvre accompli, pour le plus grand rayonnement de la France et la poursuite des relations fructueuses entre nos deux pays.

La délégation au balcon de l'Institut français de Pondichéry, en compagnie de M. Michel SÉGUY, Consul général de France et de M. Denis DEPOMMIER,
Directeur de l'institut.

CONCLUSION

Le Premier ministre est attendu en Inde en février prochain, à l'occasion du lancement de la saison de la France en Inde. Ce voyage revêt à bien des égards une importance exceptionnelle. D'abord parce que le Premier ministre n'a pas, jusqu'à présent, effectué de déplacement officiel à l'étranger, tout du moins hors du champ des rencontres communautaires. Ensuite parce que ce déplacement marquera naturellement une relance du dialogue politique déjà fructueux entre nos deux pays et soulignera l'intérêt économique et scientifique de ce vaste marché qu'est l'Inde. Prélude à de nombreux séminaires et rencontres à la fois commerciales, scientifiques et culturelles, ce déplacement devrait encourager ceux qui hésitent encore à s'intéresser à cette économie qui a connu au cours des années récentes et connaît encore des transformations radicales.

Au cours des derniers mois, grâce notamment à l'activité inlassable de notre ambassade sur place, par ailleurs responsable de l'organisation de la saison de la France, les échanges et contacts se sont multipliés. Par exemple, dans le domaine culturel, peu avant la parution de ce rapport, l'Inde a été l'invitée d'honneur des « Belles étrangères » et une vingtaine d'auteurs très variés sont venus dans notre pays à cette occasion.

Votre délégation forme simplement le voeu d'avoir contribué par sa présence au renforcement des relations bilatérales. Elle tient à souligner l'importance qui s'attache aujourd'hui à ne pas manquer le train de la croissance indienne : l'Inde est un marché qui s'ouvre et qui croit chaque jour davantage, la France peut encore y tenir sa place. Elle ne doit pas tarder à le faire.



1 . La délégation était accompagnée par M. Olivier JACQUES, administrateur des services du Sénat

. 2 Francis DORÉ L'Inde d'aujourd'hui , PUF, 1974

3 Doc. Sénat n°GA 16, août 1997, L'Inde cinquante ans après l'indépendance

4 Les membres du Lok Sabha (Chambre du peuple) sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct ; les membres du Rajya Sabha (Chambre des États) sont élus par les assemblées législatives des États au scrutin proportionne. Le Rajya Sabha est renouvelé par tiers tous les deux ans.

5 Le Vice-Président, qui est de droit président du Conseil des États, est élu de la même manière mais par le Parlement seulement.

6 David ANNOUSSAMY, Le droit indien en marche , Société de législation comparée, 2001

7 Christophe JAFFRELOT Le fédéralisme indien malade de la centralisation i
n L'Inde contemporaine de 1950 à nos jours , Fayard, 1996

8 L'Inde et les États Unis : leaders mondiaux en science et technologie

9 Les activités de l'EFEO font l'objet d'une présentation détaillée sur le site de l'école ( www.efeo.fr , qui reprend les éléments contenus dans une très intéressante brochure.

10 La population du territoire, qui s'étend sur 480 kms 2 , ne tardera pas à dépasser le million d'habitants essentiellement regroupés dans l'agglomération.

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