Rapport de mission
Fait
au nom du groupe interparlementaire d'amitié France-Israël
sur son déplacement en Israël du 12 au 16 mars 2007
Présenté par MM. Philippe RICHERT,
président du groupe,
Bernard ANGELS, Jean-François HUMBERT,
Roger MADEC,
Mme Esther SITTLER
Sénateurs
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Une délégation du groupe interparlementaire France-Israël, conduite par son président M. Philippe Richert (Bas-Rhin - UMP) et composée de MM. Bernard Angels (Val d'Oise - Soc.), Jean-François Humbert (Doubs - UMP) et Mme Esther Sittler (Bas-Rhin - UMP), secrétaires de ce groupe d'amitié, a effectué un déplacement en Israël du 12 au 16 mars 2007.
La délégation a d'abord tenu à se rendre dans le Nord du pays, à Haïfa, ville directement touchée par le conflit contre le Hezbollah libanais au cours de l'été 2006. Elle s'est ensuite déplacée à Tel-Aviv, Jérusalem et enfin à Bethléem, « berceau du christianisme » situé en Territoires palestiniens.
Au cours de ces cinq jours, la délégation a eu des rencontres d'une grande diversité, avec des responsables politiques 1 ( * ) israéliens mais aussi palestiniens, ainsi qu'avec des acteurs de la société civile oeuvrant, dans les domaines économique, scientifique ou culturel, au rapprochement entre Israël et la France.
Ces échanges ont permis de mieux appréhender la complexité de la situation dans la région et de prendre la mesure des défis restant encore à relever pour y ancrer la paix, de façon durable.
En traversant ce « jeune » pays de près de 6,8 millions d'habitants, qui vient de célébrer le 59 e anniversaire de son indépendance, la délégation a tout d'abord perçu son dynamisme et une formidable capacité d'innovation , en visitant, à Haïfa, des entreprises de haute technologie et des laboratoires de recherche du Technion , pôle universitaire et scientifique de haute renommée et de dimension mondiale.
Elle a pu mesurer, par ailleurs, l' intensité des liens unissant Israël et la France et la volonté de renforcer des relations bilatérales qui, après une phase marquée par quelques moments d'incompréhension entre les deux pays, ont été clairement relancées ces dernières années, notamment depuis la rencontre, en juillet 2005, entre le Président de la République M. Jacques Chirac et le Premier ministre M. Ariel Sharon.
Enfin, la délégation a perçu, au cours de ce déplacement, les tensions et malaises traversant la société israélienne , mais aussi palestinienne.
Les menaces pesant sur l'existence de l'État d'Israël créent un climat anxiogène au sein de la population : aux portes du pays, les organisations terroristes du Hamas et du Hezbollah, de même que le Président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, professent l'anéantissement d'Israël et du peuple juif ; ces menaces inquiètent, d'autant qu'elles prennent une tonalité particulière alors que l'Iran tente de se doter de l'arme nucléaire.
Par ailleurs, aux lendemains de la seconde guerre du Liban, menée pendant l'été 2006, la démocratie israélienne est à l'épreuve et la coalition gouvernementale en ressort fragilisée. Les objectifs premiers des opérations militaires, à savoir la libération des soldats enlevés et le désarmement du Hezbollah, n'ont pas été pleinement remplis par Tsahal - l'armée israélienne réputée « invulnérable » -, suscitant l'incompréhension de la population et la remise en cause de ses dirigeants politiques. Ces derniers sont tenus à rendre des comptes sur l'opportunité de la guerre et la façon dont elle a été conduite.
A cet égard, la délégation a été très émue par la rencontre avec les familles des trois jeunes soldats détenus prisonniers à Gaza et au Sud-Liban depuis l'été dernier , dont on reste à l'heure actuelle sans nouvelle ni signe de vie. Cette émotion est largement diffuse au sein de la population : l'ensemble des personnalités politiques rencontrées par la délégation lui ont demandé l'aide de la France et de l'Europe pour faire évoluer cette situation qui bafoue les règles élémentaires du droit humanitaire. C'est pourquoi le président de votre groupe d'amitié, au nom de la délégation, a tenu à engager, de retour à Paris, des démarches auprès des plus hauts responsables français et européens, et à demander le soutien de l'ensemble des sénateurs en vue de poursuivre ce combat pour les valeurs de justice et de dignité humaine.
Dans le même temps, les échanges avec les responsables politiques israéliens et les populations palestiniennes - notamment avec les Pères séminaristes de Beit Jala - ont permis à la délégation d'entendre, de ces deux côtés, de fortes attentes de paix . Israël sait que la paix aura un prix et les mentalités évoluent pour en accepter, désormais, l'augure. Si la solution à deux États , longtemps portée par la France, semble s'imposer, celle-ci suppose que soient assurées, d'une part, la reconnaissance et la sécurité d'Israël et, d'autre part, la viabilité du futur État palestinien, alors que ces Territoires sont plongés dans une crise économique sans précédent, contribuant à alimenter les organisations terroristes.
Avant de rendre compte des entretiens de la délégation avec des personnalités politiques israéliennes et palestiniennes, le présent rapport retrace les grandes lignes de ce contexte politique et de l'actualité dense d'un pays qui aspirerait, comme certains l'ont affirmé, à un peu plus de « tranquillité » et de stabilité. Il souligne ensuite le renouveau des relations bilatérales entre la France et Israël, qu'il nous faut sans cesse renforcer, alors qu'une grande partie des Israéliens appellent cette coopération de leurs voeux.
Remerciements : La délégation adresse ses plus vifs remerciements aux personnalités et aux responsables qui l'ont reçue au cours de cette mission, ainsi qu'à tous ceux ayant apporté leur concours à l'organisation et au déroulement de ce déplacement. Sa gratitude va en particulier à notre ambassadeur, à nos deux consuls généraux, ainsi qu'à leurs collaborateurs, qui lui ont réservé un accueil chaleureux et d'une grande efficacité. |
I. LE CONTEXTE POLITIQUE
A. UNE NOUVELLE DONNE SUR LA SCÈNE POLITIQUE RÉGIONALE
1. Une recomposition du paysage politique israélien
Avec la disparition politique du Premier ministre Ariel Sharon, victime d'une attaque cérébrale le 4 janvier 2006, Israël perd l'un de ses grands leaders charismatiques, ayant su mener à bien, en août 2005, contre l'opposition d'une partie de son propre camp (le Likoud ), mais en gagnant le soutien de l'opinion publique israélienne, le retrait unilatéral des colonies et de l'armée israéliennes implantées dans la bande de Gaza. Cette action met fin à une occupation civile et militaire de trente-huit ans, démontrant qu'aucune situation n'est irréversible sur le terrain, dès lors qu'il existe une volonté politique.
En novembre 2005, Ariel Sharon crée autour de lui un nouveau parti de coalition - Kadima (« En avant ») -, destiné à lui apporté la base politique dont il a besoin pour poursuivre son plan de désengagement des colonies trop isolées de Cisjordanie, le cas échéant en recourant à des actions unilatérales.
Des personnalités du Likoud (la droite israélienne, parti fondé par Menachem Begin), comme Tzipi Livni, l'actuelle ministre des affaires étrangères, ou du parti travailliste, tel Shimon Peres, rejoignent cette nouvelle force politique, autour d'un programme pragmatique et volontariste, fondant le renoncement au « Grand Israël » sur un argument démographique.
Après le retrait d'Ariel Sharon de la scène politique, Ehoud Olmert, son vice premier-ministre, prend la tête de Kadima aux élections législatives anticipées du 28 mars 2006, se positionnant en héritier d'Ariel Sharon et s'engageant à définir « les frontières permanentes d'Israël d'ici 2010 ».
Les résultats assurent à cette nouvelle formation politique une courte avance, Kadima remportant 29 sièges sur 120 à la Knesset. La prégnance des préoccupations sociales, dans un pays où les observateurs notent que le « fossé entre riches et pauvres » se creuse, conduit aux bons scores du parti travailliste, qui obtient 19 députés, ou de nouveaux petits partis, tels que le Parti des retraités, qui remporte 7 sièges.
La nouvelle coalition gouvernementale, dirigée par Ehoud Olmert, s'appuie sur une majorité de 78 députés sur 120 à la Knesset . Elle regroupe les membres de Kadima, les travaillistes, les ultra-orthodoxes du Shas (12 députés) et le parti des retraités. En octobre 2006, Ehoud Olmert a ouvert la coalition au parti nationaliste Israël Beiténou - « Israël, notre maison » - (11 députés), dont le leader, Avigdor Lieberman rejoint le Gouvernement au rang de ministre chargé des affaires stratégiques.
LE SYSTÈME POLITIQUE ET ÉLECTORAL ISRAÉLIEN Israël est une démocratie parlementaire. Le Président, occupant les fonctions de chef de l'État, est élu à la majorité simple de la Knesset. Ses prérogatives sont principalement d'ordre cérémonial et officiel. Le Premier ministre, élu au suffrage universel direct, est le chef de l'exécutif. Il est à la tête d'un Gouvernement qui a toujours été formé d'une coalition de partis. Israël est doté d'un Parlement monocaméral, la Knesset, composée de 120 députés, élus selon un scrutin de liste proportionnel intégral à un tour (avec un seuil d'éligibilité de 2 % des suffrages), dans lequel l'ensemble du pays constitue la seule circonscription. S'il permet une représentation fidèle des opinions au sein du Parlement, ce système porte en lui les germes de l'instabilité politique en donnant une place cruciale aux petits partis. Actuellement, 12 partis sont représentés à la Knesset. Ehoud Olmert est le 16 e Premier ministre de l'État d'Israël, depuis 1948. |
2. L'arrivée du Hamas au pouvoir dans les Territoires palestiniens
Le 9 janvier 2005, moins de deux mois après la disparition de Yasser Arafat, Mahmoud Abbas (Abou Mazen) lui succède à la tête de l'Autorité palestinienne. Alors que les partis islamiques - le Hamas et le Jihad islamique - boycottent le scrutin, il est élu en réunissant 62 % des suffrages, sur la base d'un programme de promotion du dialogue interpalestinien , proclamant sans ambigüité la fin de la violence armée. Sur cette base, le Président palestinien a négocié une trêve avec les mouvements radicaux.
Par ailleurs, rompant la stratégie du boycott adoptée jusque là, le Hamas participe pour la première fois aux élections municipales au cours de l'année 2005, révélant une percée importante du mouvement, confirmée par sa large victoire aux élections législatives du 25 janvier 2006 .
Le Hamas dispose désormais d'une majorité absolue au sein du Conseil législatif palestinien, avec 74 sièges sur 132.
LE HAMAS Le mouvement islamiste palestinien Hamas (« Mouvement de la résistance islamique ») est créé en janvier 1988, au commencement de la première Intifada, par le Sheikh Ahmed Yassine, proche des Frères musulmans, qui est abattu par l'armée israélienne en mars 2004. La charte fondatrice du Hamas, publiée en août 1988, exprime un profond antisémitisme religieux et se veut d'inspiration essentiellement théologique, à la différence de la charte de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), de nature exclusivement politique. Le Hamas prône l'anéantissement d'Israël et du peuple juif, ainsi que l'instauration, en lieu et place de l'ancienne Palestine sous mandat britannique, d'un État islamique fondé sur le respect de la loi coranique, la Sharia . Pour le Hamas, le Fatah (branche principale de l'OLP) fait oeuvre de coupable renoncement en signant avec Israël, en septembre 1993, les accords d'Oslo. Au printemps 1994, le Hamas lance pour la première fois des vagues d'attentats terroristes de type « kamikaze » au coeur des agglomérations juives d'Israël. Depuis le déclenchement de la seconde Intifada en septembre 2000 jusqu'à l'été 2006, la Hamas a revendiqué 515 attentats dont 59 de type suicide, pour un bilan de 403 tués et 3 130 blessés israéliens. Le 7 septembre 2003, l'Union européenne reconnaît dans le Hamas une organisation terroriste et, à ce titre, gèle ses avoirs. Source : « Géopolitique d'Israël » de Frédéric Encel et François Thual, Points (2006) |
Comme le maire chrétien de Bethléem, M. Victor Batarseh, l'a indiqué à la délégation 2 ( * ) , la victoire du Hamas n'a pas été obtenue sur la base d'un programme religieux, mais sur un fond de désespoir de la population palestinienne et de recherche d'une alternative au pouvoir en place depuis la création de l'Autorité palestinienne. Cette victoire s'explique ainsi par plusieurs facteurs :
- le rejet de la « vieille garde » du Fatah, considérée comme corrompue ;
- la perte de confiance des Palestiniens dans la « Feuille de route », en raison du manque de perspectives concrètes et d' « horizon politique » clair ;
- la situation de grave crise économique , en partie mise sur le compte de la « barrière de sécurité » construite par Israël, des entraves à la circulation des personnes et des biens et de l'« asphyxie » progressive que génère, aux yeux des populations palestiniennes, ce « mur de séparation » ; c'est en tout cas le sentiment dont la présidente de l'ONG palestinienne « Open Bethléem » a fait part à la délégation, lors d'une visite sur le terrain.
Dans cette situation, le Hamas, qui a gagné une adhésion populaire par ses actions sociales et caritatives, a représenté, aux yeux d'une partie des Palestiniens, une réponse nouvelle à leur désir de changement.
Dès la nomination du leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à la tête du Gouvernement palestinien, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert a déclaré qu'« aucune négociation n'était possible », dans la mesure où ce mouvement, considéré comme une organisation terroriste par la communauté internationale, et prônant notamment sa volonté de « rayer Israël de la carte », ne s'engage pas à adhérer aux trois principes intangibles fixés par le Quartet (États-Unis, Union européenne, Russie, Nations-Unies) : la renonciation à la violence, la reconnaissance de l'État d'Israël et le respect des accords précédents et de la Feuille de route .
L'Union européenne et les États-Unis se sont refusés, de même, à tout contact avec les dirigeants du Hamas.
Les sanctions imposées - gel du transfert des « clearance revenues » 3 ( * ) par les autorités israéliennes, suspension du versement des subventions internationales - sont lourdes pour l'économie palestinienne, qui traverse une crise sans précédent (le PIB a chuté de 25 % en 2006). Cela se traduit notamment par l'incapacité du Gouvernement, dès mars 2006, à payer les salaires de ses agents publics, déclenchant un vaste mouvement de grève.
La mise en place, en juin 2006, d'un « mécanisme temporaire international » a permis de répondre à la situation d'urgence des populations palestiniennes, en contournant leur Gouvernement. Par cette voie notamment, l'Union européenne a apporté en 2006 une aide exceptionnelle de près de 650 millions d'euros.
* 1 Voir les comptes rendus de ces entretiens en partie III du présent rapport.
* 2 Voir l'entretien de la délégation avec M. Victor Batarseh, maire de Bethléem (partie III).
* 3 Taxes prélevées par Israël pour le compte de l'Autorité palestinienne, lors de l'importation de marchandises à destination des Territoires palestiniens ; ces « clearance revenues » constituent environ 2/3 des ressources de l'Autorité palestinienne.