VI. LE COMPTE RENDU DE LA MISSION

1. Un accueil très chaleureux

Une Délégation du groupe interparlementaire s'est rendue en Croatie du 18 au 22 septembre 2002 à l'invitation du groupe Croatie-France du Sabor, lequel est présidé par le député Ivo Skrabalo, remarquable francophone et vrai défenseur des intérêts de la France. Elle a été très chaleureusement reçue et les autorités croates ainsi que notre ambassadeur, Son Excellence M. Francis Bellanger, avaient préparé un programme remarquable qui a permis à la délégation en quelques jours d'entrer de plain-pied dans la réalité croate. Qu'il soit permis de rendre ici hommage à tous ceux qui ont rendu ce voyage mémorable : à nos amis Croates, M. Yvo Skrabalo, Son Excellence M. Bozidar Gagro, ambassadeur de Croatie en France et M. Zvonimir Frka-Petesic, secrétaire près l'Ambassade de Croatie en France, ainsi qu'à notre ambassadeur dont la délégation a apprécié l'érudition passionnée, la franchise et l'entière disponibilité, et à son équipe, particulièrement M. Gilles Thibault, M. Philippe Latapie et M. Eric Playout.

Cette mission a offert également un aperçu de la réalité géographique et humaine du pays puisque les déplacements ont eu lieu du nord au sud : de Vukovar à Dubrovnik en passant par Osijek et Dakovo. C'est avec émotion que votre délégation a découvert les conséquences dramatiques de la guerre qui a suivi la sortie de la Croatie de la fédération yougoslave. Devant les dégâts matériels (les deux tiers de la région de Vukovar sont sinistrés), dans les cimetières aménagés aux abords des charniers, au coeur des églises bombardées et profanées, devant les tombes ouvertes (Eglise Saint-Philippe et Saint-Jacques à Vukovar), au bord du Danube dans des châteaux et des hôtels dont ne subsiste que l'ossature (château baroque d'Eltz et Grand Hôtel de Vukovar), elle a ressenti la blessure des Croates et compris leur nationalisme. Il lui est apparu que la Croatie sortait à peine de la guerre et que le reste de l'Europe n'avait pas suffisamment pris la mesure des conséquences de cette guerre terrible pour l'importante portion du territoire croate qui en a été le théâtre.

2. Des entretiens politiques au plus haut niveau

La mission de votre délégation, qui avait le mérite d'inaugurer le travail interparlementaire en Croatie puisqu'elle représentait le premier groupe de parlementaires étrangers reçus à ce titre par le Sabor, a revêtu un caractère exceptionnel grâce à nos amis Croates. Ainsi, votre délégation a été reçue par les deux plus hautes autorités politiques du pays :

- M. Stjepan MESIC, président de la République ;

- M. Zlatko TOMCIC, président du Sabor.

• La rencontre avec M. Stjepan MESIC

Le président MESIC a longuement reçu la délégation en déclarant d'abord tout l'intérêt qu'il portait à la coopération interparlementaire et en soulignant qu'à ses yeux la disparition du Sénat croate ne devait en rien changer la coopération existant avec le Sénat français, car bien qu'il s'agisse de coopération interparlementaire, elle ne devait pas se limiter au Parlement, mais s'exercer, selon lui, avec l'ensemble des institutions des deux pays.

Le président MESIC a ensuit répondu à la question de la délégation sur les difficultés de l'adhésion à l'Union européenne, rappelant que l'accord de stabilisation était signé, que la Croatie était membre de l'OMC, et que l'armée se modernisait pour répondre aux normes de l'OTAN. Il n'a pas dissocié l'adhésion à l'Union européenne de celle à l'OTAN les présentant comme deux objectifs liés.

L'une des premières difficultés que le président MESIC a mise en exergue est celle liée au passage d'une économie dirigée à une économie de marché libre. Mais il s'est réjoui à l'idée que la Croatie dont l'histoire montrait qu'elle avait une longue expérience des unions (la plupart du temps des « unions imposées ») allait enfin entrer dans une union librement choisie.

Elle a également interrogé le président MESIC sur l'affaire Bobetko, qui a éclaté pendant notre séjour et provoqué un sursaut de nationalisme au sein de l'ensemble du pays. En effet, le général Bobetko, ancien résistant au régime imposé par les nazis, ancien participant de l'insurrection de 1971 contre le régime communiste et héros de la guerre d'indépendance, venait d'être inculpé par le Tribunal pénal international. Comme il a été dit plus haut, le président MESIC a alors exposé sa position hostile à l'idée de responsabilité collective (position qui n'a pas semblé à votre délégation en phase avec la majorité de l'opinion croate). Il a saisi cette occasion pour annoncer qu'il irait lui-même témoigner au TPI (contre Milosevic), ce qu'il a fait depuis lors.

• La rencontre avec M. Zlatko TOMCIC

L'autre temps fort politique a été la séance de travail avec le président du Sabor, M. Zlatko Tomsic qui est membre du Parti paysan de Croatie (HSS) lequel appartient à la coalition gouvernementale mais reste courtisé par l'opposition de droite, car il pourrait constituer le pivot d'un futur gouvernement.

M. Zlatko Tomsic s'est dit convaincu que de bonnes relations interparlementaires étaient un préalable nécessaire à de bonnes relations bilatérales et il a rappelé que notre délégation était la première à rendre visite au Sabor. Il a ensuite abordé le développement des relations entre la France et la Croatie et l'intégration euro-atlantique.

Il a déploré que des circonstances malheureuses aient retardé l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne et il s'est réjoui de la position très favorable de l'opinion publique en faveur de l'UE (75 à 80 % dans les sondages), mais il reconnu que l'opinion publique ignorait encore les tracasseries du passage au crible des 31 chapitres et les sacrifices liés à l'entrée à l'UE.

M. Tomsic a surtout insisté sur le fait qu'il était favorable à une approche individuelle de l'élargissement et plaidé afin que l'on fasse entrer les candidats au fur et à mesure qu'ils étaient prêts (et non pas par « fournée »).

Enfin, répondant à une question sur la représentation des Croates à l'étranger, M. Tomsic nous a fait sentir parallèlement toute l'importance des questions des minorités (cf. supra). Il a également abordé la question des minorités croates à l'étranger, distinguant avec humour « plusieurs catégories de Croates » :

- les Croates de Croatie ;

- les Croates de Bosnie Herzégovine ;

- les Croates « autochtones » vivant à l'étranger, en Voïvodine, en Slovaquie, en Italie, en Roumanie ;

- la diaspora croate (il y a 4 millions de Croates aux Etats-Unis et en Australie, descendant de ceux qui ont émigré et 1,5 million d'entre deux parlent encore le croate) ;

- les « Gastarbeiter » (il s'agit des Croates travaillant provisoirement en Allemagne).

Il a rappelé que, selon la loi, seules les Croates vivant en Croatie peuvent voter en Croatie et que ce principe lui semblait bon, mais il a reconnu qu'il serait souhaitable que les Croates de l'étranger puissent être représentés ne serait ce que de « manière symbolique ».

3. Une immersion dans la réalité locale

Avant de partir pour la province, votre délégation a fait deux visites « coup de projecteur » : l'une dans une entreprise agroalimentaire qui lui est apparue à la pointe du progrès et de l'organisation. Cette entreprise (LURA) traite avec 26.000 petits fournisseurs dont elle assure l'adaptation aux normes européennes.

L'autre visite a été consacrée au Musée Mimara de Zagreb, collection d'oeuvres d'art rassemblées par un mécène croate éclairé au goût aussi sûr qu'éclectique, ce qui a permis à votre délégation de mesurer l'importance de la culture classique dans les traditions de ce pays.

Ce voyage en province l'a ensuite emmenée à Osijek, Vukovar dans le nord et Dubrovnik dans le sud. Ces régions ont été touchées par la guerre et en portent encore les séquelles.

• L'administration locale et les problèmes locaux

En province, votre délégation a participé à plusieurs réunions de travail avec les élus locaux (maires et joupans)

Les entretiens avec les élus locaux ont révélé :

- que la coopération entre les régions et les communes était bonne tandis que la coopération avec l'Etat était plus difficile ;

- que la propriété du sol posait encore un problème et que le cadastre n'était pas fiable ;

- que la décentralisation mise en place un an auparavant ne faisant pas encore sentir ses avantages et que le contrôle a priori continuait à se pratiquer ;

- que la tâche essentielle des collectivités territoriales était de faire revivre l'économie après le communisme et la guerre ;

- qu'il y avait d'immenses disparités de revenus fiscaux d'une collectivité locale à l'autre et que l'Etat central assurait la péréquation en modulant ses transferts ;

- enfin, et surtout, que les transferts de l'Etat aux collectivités territoriales étaient insuffisants, de même que les ressources allouées pour financer les responsabilités qui leur étaient confiées (les élus locaux que nous avons rencontrés ont déploré que le transfert de l'éducation primaire aux communes et secondaire aux régions ne se soit pas accompagné du transfert d'un budget suffisant).

Il est donc apparu que les élus locaux, avec pragmatisme, faisaient plus grand cas de la remise en marche de l'économie et de la recherche des investissements que de la défense des libertés locales, lesquelles sont de toute manière déjà bien plus développées que du temps du régime communiste. La gestion quotidienne et la reconstruction l'emportent sur les clivages politiques et le débat d'idées.

C'est d'ailleurs ce qui frappe d'abord le visiteur étranger en Croatie : le pragmatisme d'une nation qui se reconstruit en luttant contre les conséquences de deux fléaux qui nous semblent lointains mais qui, pour la nation croate, sont encore présents et douloureux dans la mémoire collective : le communisme et la guerre.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page