IV. L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE
On
entend dire parfois que les Croates veulent souligner qu'ils n'appartiennent
pas aux Balkans, qu'ils souhaitent tourner le dos au Sud et ne regarder plus
que vers l'Atlantique Nord et l'Union européenne. Ces affirmations sont
sans doute exagérées, mais elles traduisent assez bien le
sentiment de l'opinion croate qui aspire à rejoindre l'Europe dont la
Croatie n'aurait jamais dû être détachée. Le pays se
définit d'ailleurs, non sans pertinence, comme la
« façade méditerranéenne de l'Europe
centrale ».
Tous les interlocuteurs avec lesquels votre délégation s'est
entretenue ont manifesté le regret qu'ils éprouvaient de ne plus
faire partie du premier groupe des candidats à l'instar de la
Slovénie voisine, tout en attribuant cette différence de
traitement aux conséquences néfastes de la guerre
d'indépendance, évaluées à 37 milliards de
dollars. La Croatie figurait en effet à la veille de la guerre en 1990
parmi les pays qui avait les meilleures chances de rejoindre l'Europe
communautaire. Aujourd'hui encore un fossé la sépare de ses
voisins méridionaux parfois regroupés sous le vocable
« Balkans occidentaux » (Bosnie-Herzégovine,
Serbie-Monténégro, Macédoine, Albanie). Le PIB de la
Croatie équivaut à lui tout seul aux PIB de ces quatre pays qui
comptent pourtant ensemble 22 millions d'habitants. Avec un PIB/hab. de
5.140 euros (2001), contre un PIB/hab. moyen de 1.350 euros pour ces quatre
pays, la Croatie est aujourd'hui bien plus proche des autres pays candidats, et
en dépasse même quelques-uns.
Aussi les répercussions de la guerre ne suffisent-elles pas à
expliquer la décision de Bruxelles, qui a reporté à plus
tard l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Les
autorités européennes ont mis en avant deux autres obstacles
à l'adhésion immédiate de la Croatie à l'Union,
à savoir le problème des minorités et celui du Tribunal
international de La Haye.
1. La question des minorités
a) Avant la reconnaissance de l'indépendance croate
La
première Constitution croate adoptée au lendemain des
premières élections libres, promulguée le 22
décembre 1990, ne prévoyait aucune disposition spéciale ni
discrimination positive à l'égard des minorités, et
notamment de la minorité serbe (12 % de la population), se
cantonnant à garantir l'égalité de tous les citoyens
croates, sans aucune discrimination.
Une Charte des droits des Serbes et des autres minorités nationales de
la République de Croatie fut néanmoins adoptée le
25 juin 1991, c'est-à-dire en même temps que la
Déclaration sur la souveraineté et l'indépendance de la
République de Croatie qui marqua son émancipation politique de la
fédération yougoslave. Entre-temps une rébellion
armée des éléments les plus radicaux de la minorité
serbe de Croatie, soutenue par l'armée yougoslave aux ordres de
Belgrade, avait soustrait à l'autorité de Zagreb près d'un
quart du territoire croate. Il s'agissait donc pour le gouvernement croate de
donner des gages à la minorité serbe par une Charte qui
garantisse leur autonomie culturelle, prévoie une organisation
territoriale adaptée et pose les principes de leur représentation
proportionnelle dans les assemblées des collectivités
territoriales, dispositions censées pouvoir désamorcer le
conflit. Il n'en fut rien.
Afin d'obtenir la reconnaissance internationale de son indépendance, et
compte tenu de la pression internationale, principalement européenne et
notamment celle de la France qui s'est montrée très active et
très déterminée sur cette question, la Croatie fut
amenée à adopter le 4 décembre 1991 une Loi
constitutionnelle qui précise les principes énoncés par la
Charte. En vertu de ce texte, il était reconnu aux minorités de
Croatie notamment le droit:
- d'utiliser leur langue et leur alphabet comme langue officielle aux
côtés du croate dans les municipalités où ils
constituent la majorité de la population ;
- d'arborer leurs symboles nationaux aux côtés des symboles
nationaux croates dans les municipalités où ils constituent la
majorité de la population ;
- à l'enseignement maternel, primaire, secondaire et supérieur
dans leur langue maternelle ;
- à une représentation proportionnelle au Sabor (Parlement), au
Gouvernement et au sein des plus hautes instances judiciaires pour les
minorités représentant plus de 8 % de la population (en
l'occurrence la minorité serbe) ;
- à 5 députés pour l'ensemble des minorités ne
dépassant pas, séparément, ce seuil (Italiens, Hongrois,
Tchèques, Slovaques, Ukrainiens, Allemands, Autrichiens, toute
l'ancienne mosaïque ethnique héritée de l'Empire
austro-hongrois) ;
- à un statut d'autonomie particulier accordé aux onze
municipalités (
opcine
) où les minorités - la
minorité serbe en l'occurrence - représentent plus de la
moitié de la population. Ce statut prévoit notamment la
représentation proportionnelle des minorités au sein des conseils
municipaux, des fonctionnaires territoriaux, des instances judiciaires
autonomes, des commissariats de police municipaux, des établissements
scolaires.
b) La Croatie indépendante mais partiellement occupée
Ces
dispositions - jugées conformes aux standards européens en
matière de protection des droits des minorités par la Commission
d'arbitrage présidée par notre collègue M. Robert Badinter
- ouvrirent la voie à la reconnaissance de l'indépendance de la
Croatie par la Communauté européenne, devenue officielle
dès le mois suivant, le 15 janvier 1992.
Un amendement voté le 8 mai 1992 autorisa ensuite le regroupement des
municipalités autonomes en districts autonomes (
kotarevi
), afin
de prendre en compte le fait que les onze municipalités à
population à majorité serbe constituaient deux espaces connexes,
de respectivement cinq et six municipalités. Il prévoyait
également des mesures complémentaires qui visaient à
faciliter aux citoyens croates de souche serbe l'accès aux postes de
responsabilité sur l'ensemble du territoire croate, en dehors des deux
districts, eu égard au fait que ceux-ci n'abritaient en 1991 que
145 000 Serbes, c'est-à-dire un quart de la minorité serbe
de Croatie, tandis que la grande majorité de celle-ci résidait
dans les principales villes de Croatie, où elle constituait une
population très minoritaire.
Ces districts ayant été occupés par l'armée serbe
de 1991 à 1995 et soustraits de fait à la juridiction croate, la
Loi constitutionnelle relative au statut des minorités n'a toutefois pas
pu y être appliquée.
c) Après la reconquête de 1995
Au
lendemain de la reconquête militaire de ces territoires par
l'armée croate, en août 1995, la quasi totalité des Serbes
de souche a fui dans le sillage des troupes serbes vaincues. D'autre part, le
retour des 120 000 Croates et autres minorités chassés de
cette région par les milices serbes en 1991 nécessitait du temps
et la mise en place dans vaste programme de reconstruction et de
déminage. Aussi le gouvernement croate en a-t-il provisoirement suspendu
l'application, le 20 septembre 1995, faute de pouvoir la mettre en oeuvre dans
une région sinistrée et désormais quasiment
inhabitée.
Selon les amendements à la loi électorale en date du 21 septembre
1995, sur l'ensemble de 127 députés élus au Sabor,
8 députés sont appelés à représenter
les minorités nationales, soit 3 députés pour la
minorité serbe, 1 député pour la minorité
hongroise, ainsi que pour la minorité italienne, et enfin trois
député répartis à raison de un pour chacun des
trois groupes de minorités suivantes : tchèque et slovaque,
ruthène et ukrainienne, et, enfin, allemande et autrichienne.
Une nouvelle loi électorale votée le 29 octobre 1999 a de nouveau
modifié cette répartition. Ainsi le Parlement est
désormais composé de 151 membres élus pour 4 ans au
suffrage universel direct (scrutin proportionnel) : 140
députés représentent les Croates de Croatie, 5
députés les minorités ethniques (1 serbe, 1 italien, 1
hongrois, 1 tchèque et slovaque et 1 représentant d'autres
minorités) et 6 députés représentent les Croates de
l'étranger (ce nombre, variable, est fixé proportionnellement, en
divisant le nombre de votants par le nombre moyen de suffrages obtenu en
métropole par député, permettant ainsi une égale
représentation au Parlement des Croates de métropole et de ceux
de l'étranger).
d) Le tournant politique de 2000
Après la défaite aux élections
législatives de janvier 2000 et la victoire de la coalition de
centre-gauche conduite par le SDP et le HSLS, la Loi constitutionnelle de 1991
relative au statut des minorités fut amendée le 11 mai 2000, en
attendant d'être révisée. Ces modifications
supprimèrent définitivement les districts et municipalités
autonomes, et par voie de conséquence, le régime territorial de
représentation proportionnelle des minorités, aussi bien dans les
instances politiques et judiciaires locales, les administrations que dans
l'enseignement. Il fut cependant décidé que soit rétabli,
après publication des résultats du recensement de la population
de 2001, le seuil de 8 % au-delà duquel le poids d'une minorité
nationale lui donne le droit à une représentation proportionnelle
au Sabor. L'ensemble des minorités représentant
séparément moins de 8 % de la population obtenaient, quant
à elles, un nombre de député compris entre cinq et sept,
selon les dispositions de la loi électorale.
De même les deux lois votées le 6 avril 2001, l'une, relative au
statut des collectivités territoriales (municipalités et
régions), l'autre, relative aux élections municipales et
régionales, ont pris acte de cette harmonisation administrative, fixant
les mêmes règles sur l'ensemble du territoire.
e) 2002 : une nouvelle Loi constitutionnelle sur les droits des minorités
Au terme
de vifs débats, le Sabor, résolu à se conformer aux
exigences de Bruxelles et de l'OSCE, est parvenu à voter, le 13
décembre 2002, une nouvelle Loi constitutionnelle relative aux droits
des minorités nationales, publiée dans le Journal officiel du 19
décembre 2002. A l'instar de la loi constitutionnelle de 1991, celle-ci
reprend également à son compte la plupart des textes fondamentaux
en la matière (Charte de l'ONU, Déclaration universelle des
droits de l'homme, Acte final de l'OSCE, Convention du Conseil de l'Europe sur
la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, etc.)
- (Art. 1).
La Loi réaffirme que la Croatie rejette (Art. 2) et interdit (Art. 4)
toute forme de discrimination et précise que la protection des
minorités fait partie intégrante de l'ordre démocratique
établi en Croatie (Art. 3), ce que garantissent la Constitution et la
Loi constitutionnelle (Art. 4).
Les minorités nationales jouissent notamment du droit :
- d'utiliser leur langue et leur alphabet, en privé, en public ainsi
qu'en tant que langue officielle (dans les documents d'état civil,
lorsque la minorité concernée représente plus du tiers de
la population municipale ou sur les panneaux d'indication publics [toponymes,
noms de rues] dans les localités où les minorités
constituent une population « importante ») ;
- à l'enseignement et à l'éducation dans leur langue
maternelle (programmes et établissements scolaires spécifiques,
personnel enseignant spécialisé) ;
- à l'usage de leurs symboles nationaux (drapeau, armoiries, hymne) aux
côtés des symboles nationaux croates dans les municipalités
où ils constituent la majorité de la population ;
- à l'autonomie culturelle ;
- à affirmer leur appartenance religieuse notamment au travers
d'associations à caractère religieux ;
- à être représentées dans les instances
représentatives au niveau local et national, ainsi que dans
l'administration et les instances judiciaires ;
- à prendre une part active dans la vie publique par le biais des
Comités et des représentants des minorités
nationales ;
- d'entretenir librement toute relation avec leur mère patrie ;
- à être préservés de toute menace qui viserait
à restreindre ces droits.
Le service audiovisuel public veillera à diffuser des émissions
permettant à un large public de mieux connaître les us et coutumes
des différentes minorités nationales (Art. 18).
Il est garantit aux membres des minorités nationales une
représentation au Parlement, comprise entre cinq et huit
députés. Les minorités nationales qui constituent plus de
1,5 % de la population (en l'occurrence uniquement la minorité
serbe) sont représentées par au moins un et au plus trois
députés, étant entendu que les minorités nationales
qui constituent séparément moins de 1,5 % de la population
(soit toutes les autres minorités) doivent être
représentées par au moins quatre députés
(Art. 19).
COMPOSITION ETHNIQUE DE LA POPULATION
CROATE
|
||
Population |
Nbre d'hab. |
% |
Croates |
3 977 171 |
89,63 |
Serbes |
201 631 |
4,54 |
Bosniaques |
20 755 |
0,47 |
Italiens |
19 635 |
0,44 |
Hongrois |
15 595 |
0,37 |
Albanais |
15 082 |
0,34 |
Slovènes |
13 137 |
0,30 |
Autres |
174 454 |
3,93 |
TOTAL |
4 437 460 |
100 |
Il est
par ailleurs garanti aux membres des minorités nationales une
représentation au niveau des collectivités territoriales
(conseils municipaux et assemblées régionales) - Art. 20.
Dans les
municipalités
où une minorité nationale au
moins représente entre 5 % et 15 % de la population, la loi
électorale veillera, si la condition n'est pas remplie après les
élections, à ce qu'au minimum un représentant de l'une de
ces minorités entre au conseil municipal.
Dans les
municipalités
où une minorité nationale
dépasse le seuil de 15 % de la population, la loi électorale
veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections,
à ce qu'il entre au conseil municipal autant de représentants que
nécessaire de chacune des minorités concernées
jusqu'à ce soit reflété leur poids respectif dans la
population municipale.
Dans les
régions
où une minorité nationale
dépasse le seuil de 5 % de la population, la loi électorale
veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections,
à ce qu'il entre à l'assemblée régionale autant de
représentants que nécessaire de chacune des minorités
concernées jusqu'à ce soit reflété leur poids
respectif dans la population de la région. Le dernier recensement de la
population étant le document de référence (Art. 20).
Dans les collectivités territoriales où les minorités
nationales bénéficient d'une représentation
proportionnelle dans les conseils municipaux ou assemblées
régionales, ce droit s'étend également aux instances
exécutives.
Au niveau national, on veillera à une représentation
adéquate des minorités nationales dans l'administration et les
instances judiciaires, ainsi que dans les services déconcentrés
et décentralisés. A compétences égales,
priorité est donnée aux membres des minorités nationales
(Art. 23).
Dans les municipalités où les minorités nationales
représentent plus de 1,5 % de la population ou plus de
200 personnes, ainsi que dans les régions où elles
représentent plus de 500 personnes, il est institué un
Comité de la minorité nationale. Dans les collectivités
territoriales où résident au moins 100 membres de
minorités nationales, il est procédé à
l'élection d'un représentant de la minorité nationale. Le
Comité ou le représentant représentent la minorité
nationale auprès des instances locales et peuvent leur soumettre leurs
avis, propositions ou doléances.
Au niveau national, plusieurs Conseils peuvent instituer une Coordination
nationale.
Il est créé au niveau national un Conseil des minorités
nationales dont la mission consiste à promouvoir le rôle des
minorités nationales dans la vie publique de la République de
Croatie. Le Conseil, composé douze membres (sept proposés par les
Comités des minorités et cinq personnalités
éminentes représentatives de ces minorités) peut soumettre
ses avis, propositions ou doléances au gouvernement. Il gère et
distribue les fonds publics alloués aux minorités nationales. Les
Comités, les représentants des minorités nationales ainsi
que Conseil des minorités nationales peut saisir le Conseil
constitutionnel s'il le juge nécessaire.
Au moins une fois par an le gouvernement soumet au Parlement un rapport sur la
mise en oeuvre des dispositions de la Loi constitutionnelle sur les
minorités ; le Conseil des minorités nationales soumet quant
à lui un rapport semestriel au Parlement.
f) La loi électorale
Afin
d'achever l'harmonisation législative, le Parlement a voté le
2 avril 1993 des amendements à la loi électorale relative
aux élections législatives. Ceux-ci précisent les
dispositions de l'article 19 de la Loi constitutionnelle sur les
minorités nationales qui fixent le nombre des représentants
parlementaires des minorités nationales au Sabor. Dorénavant le
nombre de députés représentant les minorités
nationales au Parlement est fixé à 8 :
- 3 députés représentant la minorité serbe ;
- 1 député représentant la minorité hongroise ;
- 1 député représentant la minorité italienne ;
- 1 député représentant les minorités
tchèque et slovaque ;
- 1 député représentant les minorités autrichienne,
bulgare, allemande, polonaise, rom, roumaine, ruthène, russe, turque,
ukrainienne, valaque et juive ;
- 1 député représentant les minorités albanaise,
bosniaque, monténégrine, macédonienne et
slovène ;
g) Les minorités et la question des réfugiés
La
question des minorités est indirectement liée à celle des
réfugiés. Elle se complique du fait des mouvements de populations
consécutifs à la guerre : la question du retour des derniers
réfugiés serbes est ralentie par le fait que leurs maisons
nécessitent pour partie d'être reconstruites lorsqu'elles ne sont
pas occupées à titre provisoire par les réfugiés
croates chassés de Bosnie qu'il faut reloger faute d'espoir de retour en
zone serbe de Bosnie.
Le gouvernement croate a d'ores et déjà accompli beaucoup
d'efforts sur cette question qui est à présent en grande partie
résolue. A ce jour plus de 306 000 réfugiés ou
déplacés ont pu rentrer chez eux en Croatie, dont 98 000
citoyens de souche serbe. D'autre part, moins de 27 000
réfugiés, dont une moitié de Serbes attendent encore de
pouvoir retourner chez eux, beaucoup de Serbes n'ayant pas déposé
de demande de retour. Il serait en effet illusoire d'espérer que tous
les réfugiés serbes de Croatie aspirent au retour, sachant que la
jeune génération a déjà opté pour une
installation en Bosnie ou en Serbie et que si les plus âgés
aimeraient revenir mourir chez eux, beaucoup craignent de retrouver leurs biens
occupés ou détruits et leurs champs minés.
2. Les relations de la Croatie avec le Tribunal pénal international de La Haye
Lors de
la mission de la délégation en Croatie, le Parlement croate s'est
réuni d'urgence lorsque est tombée la nouvelle que le
Général Bobetko était mis en examen par le Tribunal
pénal international de La Haye. L'opinion publique et la grande
majorité de la classe politique se sont insurgées contre cette
mise en examen d'un héros de la guerre d'indépendance, homme de
83 ans qui s'était auparavant illustré dans la lutte contre
le fascisme sous le gouvernement pro-hiltérien et qui a également
participé à l'insurrection de 1971 contre la dictature
communiste. A cette occasion, le HSP a solennellement demandé la
modification de l'accord liant la Croatie au Tribunal et il a exigé que
chaque demande de comparution du Tribunal fasse dorénavant l'objet d'une
approbation du Sabor.
Cet épisode que votre délégation a vécu sur le vif
illustre parfaitement l'incompréhension qui existe entre une certaine
« Europe occidentale » (Bruxelles avec l'UE, Strasbourg
avec le Conseil de l'Europe et La Haye avec le Tribunal pénal
international) et la Croatie nouvellement libre, indépendante et
démocratique sortie d'une guerre douloureuse. Cependant cet
épisode embarrassant pour le gouvernement croate a trouvé sa
conclusion dans la mort du Général Bobetko en avril dernier. Les
funérailles de ce héros national ont donné lieu à
un grand rassemblement empreint de ferveur nationale.
Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, le nouveau Gouvernement de
M. Racan a annoncé que Zagreb reconnaissait la compétence du
Tribunal de La Haye pour les crimes de guerre commis pendant et après
les opérations de reconquête du territoire croate détenu
par les Serbes. Le Président Mesic, que votre délégation a
rencontré, défend la même ligne politique. Lors de
l'audience que le Président a accordée à la
délégation, il a indiqué qu'il considérait que
l'idée de « responsabilité collective »
troublait les esprits. A ses yeux, les Serbes étaient certes
responsables de ce qui avait été fait aux Croates, les Croates
responsables de ce qui avait été fait aux Serbes, toutes
proportions gardées, et les deux responsables de ce qui avait
été fait aux Bosniaques. Mais il fallait toutefois, selon lui,
rappeler que la guerre menée par les Croates était une guerre de
légitime défense et que si certains crimes avaient
été commis en Croatie, il convenait maintenant que quelqu'un en
assume la responsabilité et non pas la collectivité.
Le Président Mesic a clairement déclaré que lorsqu'un
crime de guerre est commis, soit la hiérarchie l'ignorait et elle doit
le prouver, soit elle ne l'ignorait pas et elle l'a couvert et alors elle doit
en répondre aujourd'hui.
Cette position n'est pas partagée par l'opinion croate qui reste
très critique à l'égard du Tribunal pénal
international. L'inculpation des héros croates tels que Bobetko reste
perçue comme une inadmissible mise sur un pied d'égalité
de l'agresseur serbe et de sa victime croate.
3. L'entrée dans l'OTAN
C'est
dans cette atmosphère que se déroulent les préparatifs de
l'entrée de la Croatie dans l'OTAN. Comme dans le cas de la Pologne et
de la République Tchèque, l'adhésion à l'OTAN a
toutes chances de se faire avant l'adhésion à l'Union
européenne, ce que les Croates ne manquent pas de faire remarquer
à leurs interlocuteurs étrangers.
Les Croates vont même jusqu'à sous-entendre qu'ils sont encore
plus attachés à l'OTAN qu'à l'Union européenne. Il
est de fait que l'entrée de la Croatie dans l'OTAN représentera
le double avantage de rendre accessibles les quelque 5.000 kilomètres de
côtes croates à la 6
e
flotte américaine, ainsi
qu'un remarquable marché d'équipement militaire. Les
Américains ont d'ailleurs entamé une coopération technique
très généreuse à l'égard des Croates. Il
convient de rappeler toutefois que l'armée croate bien que victorieuse
sort d'une guerre qui l'a laissée exsangue, trop nombreuse, mal
payée, humiliée par le Tribunal international et dotée
d'un matériel hors d'état de marche ou obsolète dans le
meilleur des cas. Enfin, il existe une convergence de vues entre les
Américains et l'opinion publique croate sur le Tribunal pénal
international. Les Etats-Unis sont d'ailleurs prêts à aider la
Croatie à restaurer l'ordre judiciaire de telle manière que la
Croatie puisse juger ses criminels de guerre sans passer sous les fourches
caudines du Tribunal de La Haye.
4. L'adhésion à l'Union européenne
Si
l'adhésion à l'OTAN peut constituer une satisfaction
diplomatique, l'adhésion à l'Union européenne constitue
malgré tout un enjeu économique indéniable et une
nécessité plus évidente.
Le 29 octobre 2001, un accord de stabilisation et d'association (ASA) a
été signé. La Croatie qui l'a ratifié le 30 janvier
2002, est entrée dans un processus désormais irréversible
de rapprochement avec l'Union européenne. La France a ratifié
à son tour cet accord le 12 mars 2003 (Journal officiel du 13 mars
2003).
Le processus de stabilisation et d'association s'articule autour de cinq volets
essentiels : les réformes démocratiques, le respect des
droits des minorités, la collaboration avec le Tribunal pénal
international, les réformes économiques et le
développement de la coopération régionale. En outre, la
Croatie a lancé un programme de lutte contre la corruption et
d'indépendance des médias.
Dans le domaine des réformes, la Croatie a montré qu'elle pouvait
se doter d'institutions démocratiques stables. Il lui reste à
parachever la réforme du système judiciaire et le processus de
décentralisation. Le projet de loi sur les droits des minorités
respecte les principes exigés par Bruxelles et le Conseil de l'Europe,
même si la question des réfugiés de part et d'autre de la
nouvelle frontière reste entière. Elle demandera sans doute du
temps et une approche au cas par cas. La collaboration avec le Tribunal
pénal international est certes délicate, mais chaque crise a pu
être dénouée.
Les réformes économiques passent par des mesures
drastiques : suppression d'ici mars 2003 de 10.000 postes de
fonctionnaires, diminution de 10 % du traitement de la fonction publique
et fermeture des entreprises d'Etat non compétitives, réduction
de certaines prestations sociales, en vue de réduire le déficit
budgétaire.
Malgré cette feuille de route très exigeante, la Croatie se fait
fort d'être prête pour l'adhésion en 2007, bien
qu'aujourd'hui, aucune date n'ait encore été fixée.
La Croatie est d'ailleurs particulièrement affectée par
l'exigence, indirectement formulée par certains au sein de l'UE,
d'imposer un regroupement des pays des Balkans comme préalable à
l'adhésion. La Croatie défend à juste titre l'approche
individuelle qui permet à chaque pays d'entrer quand il est prêt,
approche qui a prévalu dans le passé pour son voisin
immédiat, la Slovénie. Pour souhaitable que soit le
développement de bonnes relations entre les pays de l'ancienne
fédération communiste, il ne doit pas être un
préalable à l'intégration d'un pays normalement
développé et déjà doté des atouts
nécessaires à sa bonne intégration dans le concert des
nations européennes.