II. LA SITUATION POLITIQUE
Les élections de janvier 2000 ont provoqué une alternance et mis fin à l'ère Tudjman ; elles ont amené au pouvoir une coalition de centre-gauche, rassemblée autour du Premier ministre social démocrate, Ivica Racan. Le mois suivant, l'élection présidentielle a porté à la tête du pays Stjepan Mesic, issu du Parti populaire de Croatie (HNS), membre de la coalition gouvernementale. Il est apparu à votre délégation que la situation politique était stable, mais que le sentiment nationaliste qui s'est fortement adouci était naturellement prompt à se raviver quand il était question des séquelles de la guerre.
1. La coalition
La
coalition gouvernementale est composée des différents partis
suivants :
-
SDP
(Parti social démocrate),
dont est issu le
Premier ministre, qui a obtenu 45 sièges au Sabor.
C'est un parti de centre gauche pratiquant une politique marquée par le
pragmatisme ;
-
HSS
(Parti paysan de Croatie)
: 15 sièges.
Il s'agit du parti fondé en 1904 : de tradition conservatrice et
catholique, il réclame l'enseignement du catéchisme à
l'école, conformément aux accords passés avec le Vatican.
Il soutient l'agriculture et la petite entreprise. Il est favorable à un
libéralisme tempéré par une bonne protection sociale, le
souci de l'individu et celui de l'environnement.
L'homme fort du HSS est M. Zlatko Tomsic, président du Sabor, qui a
reçu la délégation française. Lors de cet entretien
prolongé, il est apparu soucieux de manifester son intérêt
pour l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne et il a
annoncé que la Croatie déposerait sa candidature en mars 2003
(chose faite depuis le 21 février). Il nous a également
déclaré que l'opinion publique y était très
favorable (75 à 80 % des sondés) mais que ce chiffre n'avait
pas de signification tant que ses concitoyens ignoraient les difficultés
de la période de criblage des 31 chapitres. A ses yeux,
l'adhésion pour souhaitable qu'elle soit, ne saurait se faire sans
sacrifice pour certaines catégories de la population. M. Tomcic a
également souligné qu'il était favorable à une
approche individuelle de l'élargissement de l'Union européenne et
a rappelé qu'il fallait donc faire entrer les candidats au fur et
à mesure qu'ils étaient prêts. Il a déploré
que la guerre ait retardé la candidature de la Croatie. On notera que le
HSS est devenu le parti charnière et que M. Tomcic est
désormais courtisé par la droite.
-
LIBRA
(Parti des libéraux
indépendants)
: 9 sièges.
C'est le parti du centre - né de la scission du HSLS - qui regroupe ceux
qui récusent une politique trop ouvertement nationaliste.
-
HNS (Parti populaire de Croatie)
: 2 sièges.
Ce parti n'a pas d'assise populaire, mais il a réussi à remporter
l'élection présidentielle et même à devenir le
deuxième parti de la capitale. Il se situe nettement plus à
gauche que le SDP, du moins dans ses prises de position idéologiques.
-
LS (Parti libéral)
: 4 sièges.
Le LS est un parti de gauche qui n'a pas encore trouvé son
identité et qui reste mal implanté.
-
PGS (Alliance de Primorje et de Gorski Kotar)
: 2
sièges.
Parti régionaliste proche du SDP.
-
SBHS (Parti de Slavonie et de Baranja)
: 1 siège.
Parti régionaliste proche du SDP.
2. L'opposition
Cinq
partis sont dans l'opposition au gouvernement :
-
HDZ (Union démocrate de Croatie)
: 41
députés.
Ce parti est lié à la création de la Croatie libre et
moderne puisqu'il remporte les élections législatives de 1992 et
l'élection présidentielle la même année avec Franjo
Tudjman. La mort de Tudjman en décembre 1999 prive le parti de leader et
provoque l'alternance de janvier 2000. Son nouveau président (Ivo
Sanader) a recentré le parti à droite en le débarrassant
de sa composante ultra-nationaliste.
Si la bipolarisation se renforçait en Croatie, le HDZ aurait toutes les
chances d'apparaître comme le parti du centre droit proche de la
démocratie chrétienne allemande. A ce stade, sa mutation ne
paraît pas achevée.
-
HSLS (Parti social libéral de Croatie)
: 14
sièges.
Le HSLS est favorable à l'intégration européenne et
prêt à collaborer avec le HDZ.
-
HSP (Parti du droit croate)
: 4 sièges.
Parti d'extrême droite qui n'a d'influence réelle que localement
dans les régions éprouvées par la guerre.
-
DC (Centre démocratique)
: 3 sièges.
Ce parti a été créé pour donner à la Croatie
un parti de droite classique, mais l'évolution du HDZ a
déjoué ses prévisions et réduit son auditoire.
-
HKDU (Union chrétienne démocrate de
Croatie)
: 1 député.
Parti de la droite populiste dépourvu de troupe.
3. Les partis indépendants
-
IDS (Parlement démocrate d'Istrie)
:
4
sièges
Parti régionaliste qui se situe à gauche mais qui est très
favorable à l'Europe des régions.
-
SNS (Parti national serbe)
: 1 siège
Le SNS est le représentant de la minorité serbe au Sabor mais les
excès de ses dirigeants l'ont fortement discrédité.
Il ressort de ce rapport de forces que la coalition au pouvoir n'est pas
homogène mais que le SDP a compris que le HSS est un partenaire
essentiel et qu'à ce titre et pour conserver son soutien, le SDP
pratique une politique d'ouverture aussi bien sur la question religieuse que
sur la politique agricole ou sur le soutien aux petites et moyennes entreprises
indépendantes.
De son côté, l'opposition se réorganise rapidement et
apparaît crédible aux yeux de l'opinion. Le HDZ
débarrassé de son ultranationalisme a modernisé son image
et semble reconnu comme un parti d'alternance.
4. La place de l'Eglise
La
Croatie est un pays de tradition catholique et cet aspect de son
identité est d'autant plus saillant qu'au cours des siècles, il a
fallu le défendre contre l'orthodoxie et l'islam, et surtout contre le
communisme. S'il est juste d'évoquer le poids de l'Eglise dans
l'histoire de la Croatie jusqu'en 1990, il faut aussi constater que depuis
cette date, son influence faiblit. On sait en effet que sous la dictature
communiste, aller à l'Eglise était une profession de foi
nationale, un plébiscite au sens où l'entendait Renan, car
l'Eglise était le refuge de la « croatitude », c'est
à dire le sanctuaire du sentiment national croate. Ce sentiment
était d'autant plus fort que l'église croate était la
seule église jusqu'à Vatican II à pouvoir user, dans sa
liturgie, de la langue vernaculaire (en l'occurrence le vieux slavon) depuis le
Moyen Age et ce par autorisation spéciale de Rome, dérogation qui
identifiait d'autant mieux l'Eglise à la Nation. Une fois
l'indépendance recouvrée, l'Eglise a naturellement perdu de sa
puissance sinon de son prestige : elle se trouve aujourd'hui face à
un nouveau chapitre de son histoire, en tant qu'institution. Cela
n'empêche pas l'attachement au catholicisme d'inspirer certains partis
croates historiques, comme on l'a vu, mais alors ces partis se rattachent plus
aux valeurs chrétiennes traditionnelles qu'à l'institution
ecclésiastique.
Lors de sa mission, votre délégation a visité l'importante
cathédrale de Dakovo, dont la façade porte encore les impacts du
mortier reçu pendant la guerre d'indépendance. Cette visite
n'était pas prévue dans le programme, mais elle a permis
d'évoquer la mémoire d'un Croate nationaliste
célèbre dont les thèses ont plus tard été
volontairement déformées par les partisans de la Yougoslavie. En
effet, Monseigneur Josip Strossmayer, évêque de Dakovo,
revendiquait au XIXème siècle l'union de tous les Slaves du Sud,
mais il précisait qu'il s'agissait des Slaves qui s'étaient
déjà trouvés sous une même couronne (Croatie,
Slovénie, Bosnie, Voïvodine) et il excluait ainsi par
prétérition les Serbes et les Monténégrins... Quoi
qu'il en soit, ce grand personnage de l'Eglise croate est assurément un
acteur du réveil national au XIXème siècle et figure dans
le panthéon croate.