TABLE RONDE 2 - GRANDS PROJETS ET FINANCEMENTS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à ce débat :

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE, Directrice générale de la Caisse des Dépôts et Consignations de Tunisie

M. Laurent CRÉMOUX, Directeur Associé de C5P

M. Laurent MARINET, Chef de Bureau Financement de Projets, Ministère de l'Économie et des Finances

M. Mathieu VASSEUR, Directeur Adjoint Afrique, AFD

M. Arnaud FLEURY - La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) de Tunisie a été créée après la Révolution. C'est donc une institution assez récente. Quelle est aujourd'hui sa stratégie en matière de projets structurants publics et privés ?

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - On a évoqué le « start-up Act ». Il existe un autre pilier tout aussi important en matière de financement. La CDC de Tunisie est mandatée pour préparer les mécanismes destinés au financement de l'innovation et des start-up et finalise l'étude d'un fonds des fonds. Le collège qui va délivrer ce label est déjà en place.

M. Arnaud FLEURY - Portez-vous des projets pilotes - démonstrateurs, technopôles, pôles de compétitivité - qui peuvent appuyer cette volonté d'innovation ?

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - En effet. L'innovation et le développement régional font partie de la mission de la CDC de Tunisie.

La CDC de Tunisie a été créée fin 2011, alors que la CDC française a vu le jour en 1816. Six des dix pôles de compétitivité tunisiens ont été financés en capital par la CDC de Tunisie.

Nous soutenons par ailleurs les transitions majeures, comme la transition numérique et digitale, ainsi que la transition énergétique et écologique. Ce sont des orientations stratégiques prioritaires.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il des partenariats public-privé (PPP) en Tunisie ? Pourraient-ils s'accélérer ? Certains projets peuvent-ils intéresser les investisseurs étrangers ou tunisiens ?

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - Nous proposons des PPP institutionnels. La loi de 2015 concerne le PPP contractuel.

Trente-trois projets prioritaires concernent des projets relevant de secteurs comme l'énergie, les infrastructures, l'eau, la santé, l'économie du savoir et les technologies. Parmi eux, au moins deux constituent des projets-pilotes. Il s'agit de projets pédagogiques, d'un projet d'assainissement qui concerne l'Office National de l'Assainissement (ONAS), et d'un projet de désalinisation de l'eau qui concerne le Groupe Chimique Tunisien. La CDC de Tunisie est prête à y participer de manière minoritaire.

M. Arnaud FLEURY - Vous pouvez donc investir en capital dans les projets...

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - Bien entendu.

M. Arnaud FLEURY - Il est question de mettre sur pied un fonds de financement en actions dans des PME plus classiques, qui souhaitent notamment exporter vers la France...

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - Un fonds d'investissement de colocalisation franco-tunisien est opérationnel depuis 2016. Nous avons financé huit entreprises franco-tunisiennes, qui se délocalisent soit en Tunisie, soit en France. La CDC de Tunisie et Bpifrance y ont investi. Ce fonds est cogéré par AfricInvest et Siparex.

Comme je le disais, la CDC de Tunisie développe également une activité de fonds des fonds. Un quinzième de nos fonds sont opérationnels et financent plus d'une centaine d'entreprises tunisiennes.

M. Arnaud FLEURY - Il existe des investissements tunisiens en France qui représentent une centaine de millions d'euros...

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - On cherche plus la coproduction que la sous-traitance.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Crémoux, votre société de conseil accompagne les opérateurs publics dans tous les projets d'infrastructures. Comment voyez-vous le développement des PPP en Tunisie ?

M. Laurent CRÉMOUX - Il faut utiliser les PPP à bon escient, réfléchir à la bonne stratégie. Il convient d'effectuer un tri en fonction des projets. Certains pourront se faire sous cette forme, d'autres non. Il y a eu de bonnes mais aussi de mauvaises expériences en la matière en France. Une réflexion préalable évitera des endettements inutiles, des projets mal ficelés et de mécontenter les bailleurs de fonds.

M. Arnaud FLEURY - Il faut que les administrations retiennent les projets prioritaires. C'est à ce niveau que vous pouvez accompagner les équipes sur place...

M. Laurent CRÉMOUX - En effet, on a commencé à le faire au Maroc. Pour bien utiliser un outil, il faut savoir comment il fonctionne. Un PPP comporte des règles, des contraintes. Il ne fonctionne pas comme les autres montages publics classiques. Il faut donc en comprendre les enjeux, les conséquences, les règles contractuelles, les impacts, et expliquer tout cela aux fonctionnaires.

M. Arnaud FLEURY - Avez-vous déjà reçu des manifestations d'intérêt local ?

M. Laurent CRÉMOUX - La taille des projets est le premier critère. Le second est la capacité à en structurer le financement. Les plus petits projets qui ont fonctionné représentaient 10 millions d'euros à 15 millions d'euros. Les plus gros qui ont échoué s'élevaient à plus d'un milliard d'euros.

La question de la taille est importante. Il faut aussi tenir compte des retombées et de la capacité à pouvoir porter un projet au sein des équipes administratives.

M. Arnaud FLEURY - Avez-vous un message à faire passer ?

M. Laurent CRÉMOUX - Il faut prendre le temps nécessaire pour préparer le sujet. Les bailleurs de fonds mettent en place des assistances techniques afin de mener les choses à bien.

J'ai été contacté il y a peu par une société tunisienne privée qui travaille en Afrique subsaharienne dans les travaux publics et qui fait du PPP sans le savoir. Elle cherche des financements pour construire des routes sur les territoires voisins.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Marinet, quelle est aujourd'hui la stratégie de Bercy vis-à-vis de la Tunisie ?

M. Vincent MARINET - La direction générale du Trésor est en charge de la politique économique de la France, mais comporte également des conseillers économiques au sein des ambassades, qui sont proches des entreprises à l'étranger et peuvent leur apporter un appui au quotidien. Ils servent d'interlocuteurs aux responsables économiques de tous les pays.

Notre but est de soutenir l'économie française et l'exportation. On a pour ce faire plusieurs types d'outils. Les premiers sont les financements directs, qui comprennent les prêts du Trésor et les Fonds d'Études et d'Aide au Secteur Privé (FASEP) lorsque celui-ci souhaite s'engager dans des projets publics, par exemple en Tunisie.

Les prêts concessionnels du Trésor constituent une forme d'aide publique au développement sur très longue durée, à des taux préférentiels. Il existe également des prêts directs à des conditions proches de celles du marché, l'État prenant toutefois moins de commissions que les banques. Ces prêts sont accordés sur le budget de la France à l'État tunisien pour développer des idées portées par des entreprises françaises. C'est un bel outil qui permet d'être très réactif, pour des montants de plusieurs dizaines de million d'euros.

Les FASEP sont quant à eux des subventions que l'on attribue à des entreprises françaises qui opèrent des dons en nature, par exemple à l'État tunisien, pour réaliser des études de faisabilité ou des démonstrateurs.

Un projet appelé Energy Pool propose par ailleurs des solutions d'optimisation en matière d'énergie en incitant financièrement certains consommateurs à réduire leur utilisation lors des pics de consommation, afin de distribuer cette énergie ailleurs dans le réseau. Il s'agit d'un projet avec la STEG où l'on a un peu de mal à avancer.

La société Vamed porte un autre projet de prêt concernant l'extension de l'hôpital de Hajeb El Ayoun pour 20 millions d'euros. Cette opération est destinée à rénover et moderniser l'hôpital. C'est un beau projet qu'on aimerait aider à éclore.

Enfin, on a mis en place une ligne de prêts auprès de la Banque Centrale Tunisie. Le protocole a été signé il y a plus d'un an pour 30 millions d'euros, dont 6 millions d'euros de dons. Malheureusement, le protocole n'a pas encore été ratifié par le Parlement. Ce système permet d'accorder des prêts préférentiels aux PME tunisiennes pour qu'elles s'équipent en matériel français.

M. Arnaud FLEURY - Il faut aussi citer le Fonds de soutien aux PME, qui favorise le codéveloppement.

On a l'impression qu'on peut être plus opérationnel des deux côtés de la Méditerranée...

M. Vincent MARINET - On aimerait évidemment que les choses aillent plus vite. Nous pensons avoir de bons outils pour cela. J'ai évoqué le financement direct, mais il existe également des outils de garantie mis en oeuvre par Bpifrance Assurance Export, qui délivre une garantie au nom de l'État avec des prêts consentis par des banques internationales, auxquels l'État apporte une garantie contre le risque commercial et politique.

On met toute cette batterie à disposition des entreprises et des autorités tunisiennes. Les services économiques de l'Ambassade les promeuvent et les développent. On aimerait en faire plus.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Vasseur, quelle est aujourd'hui la stratégie de l'AFD en Tunisie ?

M. Mathieu VASSEUR - Nous sommes présents en Tunisie depuis 25 ans et y avons investi environ 3 milliards d'euros. On est aujourd'hui sur un volume d'engagement compris entre 250 millions d'euros et 300 millions d'euros par an. On n'a jamais accordé autant de financements à la Tunisie que depuis 2011.

Compte tenu de la richesse du partenariat, nous sommes présents dans de nombreux secteurs, principalement les infrastructures. On a financé la réhabilitation de plus de 1 000 quartiers populaires, dans le secteur de l'eau et de l'assainissement, pour plus d'un million d'habitants. Nous sommes aussi très présents dans le secteur de la formation professionnelle, en partenariat avec des branches professionnelles françaises. On a financé environ la moitié des centres de formation professionnelle conventionnels en Tunisie depuis 25 ans.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Martinet, la Tunisie prévoit un programme de 27 millions d'euros pour l'e-santé et prévoit des rénovations d'hôpitaux. Quelle est la logique des institutions avec votre filiale privée Proparco ?

M. Vincent MARINET - Il faut créer de nouvelles conditions d'investissement. C'est le rôle de l'AFD, qui doit traiter les infrastructures, de gouvernance, la fluidification des procédures de l'État. Nous allons notamment travailler sur les questions d' e-government .

Par ailleurs, notre filiale Proparco nous permet, à travers des prêts, des garanties, des prises de participation soit directes soit à travers des fonds d'investissement, d'accompagner les acteurs du secteur privé en Tunisie.

M. Arnaud FLEURY - Existe-t-il une demande des Tunisiens dans ce domaine ?

M. Vincent MARINET - On a des partenariats historiques dont on est très fier, notamment certains fonds d'investissement tunisiens. On a également financé une clinique à Tunis. On va travailler dans le secteur de la microfinance.

Proparco se positionne enfin en accompagnement des financements de PPP, notamment dans le secteur des énergies renouvelables, en tant que potentiel financeur des soumissionnaires, notamment les entreprises françaises.

M. Arnaud FLEURY - L'AFD peut en effet, tout autant que Proparco, être sur des projets de PPP...

M. Vincent MARINET - Absolument. On peut financer la partie publique et accompagner les investisseurs privés.

M. Arnaud FLEURY - Vous n'êtes pas un bailleur lié - il y a parfois une polémique à ce sujet -, mais comment faire en sorte que ces dispositifs servent l'offre française pour les grands groupes, les ETI, les PME ?

M. Vincent MARINET - Notre mission première est le développement de la Tunisie mais, de fait, nous sommes, dans ce genre de pays, des artisans du partenariat économique bilatéral. Dans certains cas, on réclame l'expertise française en parallèle des investissements qu'on finance. C'est souvent une « demande de France ». On est à la disposition des entreprises françaises, notamment à travers notre partenariat avec Business France, pour les informer des projets qu'on finance, de nos perspectives, de notre lecture des différents secteurs. Cela leur permet de se positionner.

Enfin, le fait qu'on s'inscrive dans un temps long et qu'on ne regarde pas forcément les aspects conjoncturels mais plutôt les trajectoires de long terme nous permet d'apporter un message de confiance vis-à-vis des investisseurs potentiels. Nous sommes très optimistes de ce point de vue.

M. Arnaud FLEURY - Le programme e-santé a été signé hier pour 27 millions d'euros, c'est cela ?

M. Vincent MARINET - En effet.

M. Arnaud FLEURY - Tout est donc en place pour que les choses s'accélèrent !

Mme Boutheina BEN YAGHLANE BEN SLIMANE - Je salue la coopération entre la CDC et de l'AFD, notamment en matière d'innovation et de start-up .

Les PPP ont tardé à être mis en oeuvre. La CDC a récemment mis en place une ligne de financement des études. En matière de PPP, les projets ne sont pas assez bien étudiés. Il est donc difficile pour l'opérateur privé de s'y associer.

On a ouvert une ligne budgétaire de 20 millions de dinars pour amorcer les PPP malgré le fait que les projets contractuels tardent un peu. Ils nécessitent énormément de compétences. Il suffit de réussir les deux premiers.

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