DEUXIÈME PARTIE - CITOYENNETÉ ET POLITIQUE
Intervenants :
Mme Haifa NAJJAR, présidente du groupe d'amitié Jordanie-France du Sénat jordanien
La citoyenneté en Jordanie
Dr Ossama Mohammed EL-ABD, président de la commission des affaires religieuses du Parlement égyptien
La citoyenneté en Égypte
M. Antoine MESSARA, membre du Conseil constitutionnel du Liban, titulaire de la chaire UNESCO d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue université Saint-Joseph, Beyrouth
La citoyenneté au Liban
Mme Hoda AL-HELAISSI, députée du Majlis Ash Shura, vice-présidente de la commission des affaires étrangère, ancienne directrice du département des langues français-anglais à l'université du Roi-Saoud
Quelle
place pour les femmes en Arabie Saoudite ?
Modérateur : M. Jérôme
BONNAFONT, directeur Afrique du Nord Moyen-Orient du ministère de
l'Europe et des affaires étrangères
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M. Jérôme BONNAFONT - Je voudrais tout d'abord exprimer mes remerciements au président Bruno Retailleau d'avoir demandé au ministère des affaires étrangères que je joue le rôle de modérateur dans ce débat et pour la pertinence du sujet choisi, à la fois le sujet général - citoyenneté et justice - et le sujet particulier - citoyenneté politique.
Il va de soi que, pour la diplomatie française, la question de la citoyenneté est absolument centrale, d'abord parce que c'est la citoyenneté qui fonde la République, puisqu'elle fonde la souveraineté du peuple, et parce que toute l'histoire politique de la France tourne depuis des siècles autour de l'acquisition d'une citoyenneté pleine pour chacun.
Le message de la citoyenneté est central dans l'action de politique générale et diplomatique de la France, tout comme dans les actions que nous avons entreprises au Proche-Orient et au Moyen-Orient depuis quelque temps. On voit bien que, dans les pays qui sont actuellement en guerre, ou qui sont en train de sortir de la guerre - souvent de la guerre civile -, la question est de savoir comment reconstruire une citoyenneté après une dictature ou après des affrontements intercommunautaires extraordinairement violents en reconstruisant un lien citoyen entre des communautés ou des groupes trop divisés pour arriver spontanément à retrouver le chemin du dialogue et de la réconciliation politique.
Si l'on prend les cas respectifs de l'Irak, de la Syrie et du Liban, pour se limiter à ces trois seuls exemples, on voit bien qu'il existe une expérience distincte de la citoyenneté et, à chaque fois, un certain traumatisme.
Je suis heureux de recevoir aujourd'hui, en votre nom à tous, quatre panélistes de très grande qualité.
C'est tout d'abord le Liban que nous accueillons en la personne de M. Antoine Messarra, qui a élaboré au Levant une pensée constitutionnaliste et politique depuis longtemps maintenant.
Je souhaite par ailleurs la bienvenue au docteur Oussama Mohammed el-Abd. Chacun sait les liens d'amitié extrêmement forts qui unissent la France et l'Égypte. Chacun sait aussi que l'Égypte vient de renouveler le mandat de son président, et que celui-ci s'est engagé dans une action importante à la tête de son pays, action qui porte pour nous de très fortes attentes en matière de citoyenneté, de prospérité, de sécurité et de liberté.
Je souhaite également la bienvenue à Mme Haifa Najjar. La Jordanie a besoin d'être protégée contre les chaos des pays qui l'entourent. C'est aussi un pays dont l'expérience de division entre des communautés - si j'ose dire - est très ancienne et qui, pour l'instant du moins, a toujours su protéger la paix civile et qui y attache un grand prix.
Enfin, nous sommes particulièrement heureux d'accueillir Mme Hoda al-Helaissi, au lendemain de la visite à Paris du prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, qui a expliqué les réformes qu'il est en train de conduire pour moderniser son pays et le faire entrer de plain-pied dans ce qu'il a qualifié lui-même de « réponse aux aspirations d'une jeune génération, qui considère qu'elle n'est pas encore pleinement dans ce que la mondialisation a de plus moderne. ».
La parole est au Docteur Ossama el-Abd.
Dr Ossama Mohammed EL-ABD - Je suis très heureux de cette rencontre amicale. Je transmets les salutations du Parlement égyptien à tous les membres du Sénat français, qui jouit d'une longue histoire. Les liens entre la France et l'Égypte sont des liens forts, que soutient le président al-Sissi.
La conscience patriotique, la légitimité de l'État-nation, le soutien à l'État et à son développement constituent des socles importants pour forger une identité équilibrée. D'autres principes sont tout aussi essentiels, comme la citoyenneté, la loyauté envers la nation et la sécurité de l'État.
La légitimité de l'État-nation est sans aucun doute un principe fondamental. Soutenir l'État et son développement demeure pour nous une intime conviction. En revanche, tout ce qui incite à la corruption, à la destruction ou qui porte atteinte à la citoyenneté s'oppose aux principes religieux et nationaux.
Il faut soutenir et défendre le projet de l'État-nation moderne, fondé sur le principe de la citoyenneté, de l'égalité, de la souveraineté de la loi et des droits de l'homme. C'est notre seule issue pour sortir des crises que connaissent les pays arabes.
L'État s'oppose à tout embrigadement doctrinal, sectaire ou ethnique. La route de la réforme passe obligatoirement par le biais de l'État-nation.
Depuis des siècles, le monde, par l'intermédiaire des États, de leurs institutions et de leurs organisations, cherche à définir les règles qui organisent les droits des individus ainsi que leurs obligations.
Les obligations marquent les limites des relations entre les individus eux-mêmes et définissent la relation avec l'État, ses institutions et ses organes. C'est ce que nous pouvons appeler le « droit à la citoyenneté ».
Il s'agit d'un concept récent, inhérent à l'État moderne. C'est une source de fierté pour le monde actuel. C'est l'une des plus grandes réalisations de la civilisation contemporaine. Le concept du droit à la citoyenneté repose sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction d'appartenance religieuse, ethnique, doctrinale ou autres. La seule valeur prise ici en compte est l'humanité et la citoyenneté.
L'islam a reconnu ce droit et l'a établi depuis plus de quatorze siècles lorsque le Prophète a émigré vers Médine, où il a rencontré différentes croyances et différentes tribus. C'est sur cette diversité que le Prophète a voulu fonder un État fort où la paix, la coopération et la collaboration doivent régner entre tous les individus, malgré leurs différentes origines.
C'est à ce moment qu'est apparue l'ordonnance de Médine, première Constitution d'un État civil dans le monde. Cette Constitution a défini les caractéristiques d'un nouvel État musulman dans lequel n'existe aucune distinction de religion, d'ethnie ou de sexe.
Cette Constitution a mis l'accent sur le principe de la justice, qui établit les devoirs et les obligations de chacun. Il implique le droit de tout individu à exercer son rituel religieux, à préserver sa sécurité, sa liberté, sa personne, ses biens, son honneur et ses lieux de culte.
L'ordonnance de Médine a constitué une révolution dans les rapports entre les individus et la société. Elle a établi un État civil fort, garantissant les droits des citoyens, un État qui développe chez les individus leur esprit d'identité et d'appartenance, un État qui éclaire le monde avec son système civil moderne et son message religieux, un État exemplaire par sa moralité, sa Constitution et ses principes.
L'ordonnance de Médine a appelé à adopter des valeurs nobles dans les rapports avec les juifs en tant que « gens du Livre ». Comment ne pas faire confiance à la parole d'Allah - je cite le Coran : « Tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : " Nous sommes chrétiens ". C'est qu'il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu'ils ne s'enflent pas d'orgueil. » ?
L'Égypte, dans sa nouvelle réforme, et après ses deux révolutions, combat le terrorisme sur tous les plans. Elle s'oppose à toute forme d'extrémisme, de fanatisme et d'intégrisme. Elle renouvelle le discours religieux en mettant en lumière la tolérance de l'islam et son impartialité vis-à-vis des non-musulmans. Elle oeuvre à rectifier les idées reçues sur l'islam et cherche à répandre la modération. Elle tâche d'établir des liens d'affection et d'amitié avec les citoyens en mettant en valeur un sentiment positif de citoyenneté et d'amour du pays.
L'Égypte construit son avenir en développant ses ressources humaines, en mettant l'accent sur la dignité de l'homme et sur son droit à mener une vie décente sur le territoire national, avec ses compatriotes, sans aucune distinction de religion, de couleur de peau ou de sexe.
Tous les citoyens vivant en Égypte sont des partenaires partageant les biens et les difficultés de la nation. Le travail en équipe est le seul recours pour garantir le développement, la construction et la cohabitation pacifique entre individus. La communication avec autrui, sous forme d'interaction, de coopération, de rapports, de complémentarité positive, implique la charité, la gentillesse, l'entraide entre musulmans et non-musulmans, pour le bien de tous.
La coopération intervient au niveau de la société, de la politique, et établit des principes de cohabitation pacifique au sein de la société musulmane en instaurant la justice et la tolérance vis-à-vis des autres.
L'État a fondé le concept de citoyenneté sans discrimination. Il garantit la justice et la solidarité sociale.
Le pays a pour fondement le concept de citoyenneté sans discrimination religieuse ou ethnique. L'islam est né pour faire régner la justice, la garantir et préserver l'homme de toute injustice. La justice constitue un fondement de la loi islamique, la charia. Cette justice doit s'appliquer à chacun. Il faut la respecter strictement.
La représentation politique, l'accès à la fonction publique et la citoyenneté constituent des droits pour chaque citoyen quels que soient sa religion, son sexe ou sa couleur de peau. Chacun est égal devant la loi.
La liberté de culte, le droit à l'éducation, le droit de la femme, de l'enfant, la liberté d'expression, la participation à la prise de décisions et la justice sociale sont garantis par les textes de la Constitution et par les lois en vigueur dans le pays.
La citoyenneté s'exprime concrètement à l'Assemblée nationale, qui est constituée de personnes jeunes ou plus âgées, d'hommes et de femmes sans distinction de religion, de sexe ou de couleur de peau.
Le principe de citoyenneté concerne également la fonction publique et la magistrature. De nouvelles lois ont vu le jour pour consolider ces principes, comme la loi relative à la construction des églises.
Il faut accorder une grande importance à la citoyenneté, qui ne devrait pas se limiter aux droits de citoyens d'un seul pays. Il faut dépasser les frontières et appliquer cette idée à l'échelle mondiale, afin que chacun mène une vie paisible sans contrainte.
Je vous remercie.
M. Jérôme BONNAFONT - Merci pour cet exposé ambitieux, qui démontre à quel point la philosophie politique de l'Égypte reflète la notion de citoyenneté et d'État-nation, qui est au coeur de notre débat.
La parole est à Madame Haifa Najjar, présidente du groupe d'amitié Jordanie-France du Sénat jordanien.
Mme Haifa NAJJAR - Je voudrais commencer par remercier toutes celles et tous ceux qui sont présents ici. Merci au président Bruno Retailleau de nous avoir invités et d'avoir facilité notre présence et notre séjour à Paris.
Hier soir, au cours du dîner, on m'a demandé d'où je venais. J'ai dit que j'étais jordanienne, mais je pourrais être libanaise, saoudienne ou française. Je suis arrivée ici avec mon identité jordanienne et pourtant, alors que je partage ces mots avec vous, je voudrais attirer ici votre attention sur le côté universel de mon existence.
J'aimerais vous parler de mon rôle politique, mais aussi d'éducation, domaine dont je suis spécialiste. Mes élèves vous diront qu'ils sont dans leur école, qui se trouve au coeur d'Amman, la capitale jordanienne, qui se trouve au coeur de la Jordanie, la Jordanie qui se trouve au coeur du Moyen-Orient, qui se trouve au coeur du monde arabe, qui se trouve lui-même au coeur du monde.
Ils se présenteront à vous comme les fils et les filles de la Jordanie, mais aussi du monde entier. Ils sont très connectés, enracinés, fiers de leur propre identité et d'être de bons citoyens jordaniens, mais ils revendiquent aussi leur identité universelle.
Il faut en effet aller au-delà de son identité, à si petite échelle soit-elle, être fier de celle-ci. Je suis très fière d'être une femme arabe chrétienne, une femme de culture et de civilisation musulmane mais, au-delà, j'appartiens à l'humanité. Il faut célébrer notre diversité.
Je voudrais me pencher plus particulièrement sur la Jordanie. Comme vous le savez, la Jordanie s'est construite autour du concept du panarabisme. Le royaume hachémite de Jordanie se trouve au centre du monde arabe.
Depuis la création de la nouvelle Jordanie, le pays est devenu un modèle dans la région en matière de modération et de démocratie évolutive. Je pense véritablement que la Jordanie est la lumière du monde arabe.
La Constitution jordanienne est moderne et progressiste. Le système de gouvernement repose sur une monarchie parlementaire héréditaire. Le peuple jordanien forme une famille, avec des composantes différentes, des religions différentes, des langues différentes, des ethnies différentes, qui sont toutes réunies dans un melting pot . Nous croyons en cet esprit, qui forme un royaume unique, divers et stable.
Le leadership du roi Abdallah II a permis d'atteindre la justice et l'égalité en protégeant les droits des citoyens et en appliquant la même loi à tous.
Nous sommes engagés dans l'État de droit, la justice et la transparence. Sa Majesté a affirmé que cet État de droit est l'outil qui protégerait la démocratie et la réforme en Jordanie. C'est également un facteur très important en matière de développement.
Sa Majesté a partagé son point de vue avec les autres Jordaniens. Il a ouvert le dialogue et, dans le sixième document qu'il a publié, il a considéré l'État de droit comme la base d'un État civique, estimant que chaque citoyen, chaque responsable de l'État et chaque institution publique doit protéger et contribuer à construire l'État de droit.
Notre administration est attachée à la justice et à l'égalité. Nous ne pourrons atteindre le développement durable, rendre notre jeunesse autonome ou mettre nos plans de développement efficacement en oeuvre sans conforter l'État de droit dans tous nos organes ni renforcer les principes d'égalité, de justice et de transparence.
La protection de l'État de droit nécessite toutefois la sensibilisation des citoyens à leurs droits et à leurs devoirs afin de servir les intérêts de la nation.
Sa Majesté a insisté à maintes reprises sur l'importance de la citoyenneté active comme partie intégrante du processus de démocratisation. La citoyenneté active ne s'arrête cependant pas là. Il est ici question des ressources vitales qui permettront la résilience et l'unité nationale de la Jordanie...
Celle-ci a été confrontée à de nombreux chocs exogènes. Malgré les conflits et les guerres qui nous entourent, et malgré l'arrivée massive de réfugiés qui recherchaient la sécurité et la dignité qu'ils ne trouvaient pas dans leur pays d'origine, nous avons réussi à prouver, à maintes reprises, que nous sommes forts et résolus dans notre attachement à l'unité.
Nous sommes aujourd'hui à un tournant de notre histoire. Nombreuses sont les épreuves qui sont face à nous. Il faut bien prendre en compte notre passé, intégrer les défis qui existent, et aller de l'avant avec une vision claire pour permettre aux générations futures de jouir de la paix, de la prospérité et de la dignité.
L'État est responsable de la justice, de l'égalité, de l'intégrité mais, à l'inverse, les citoyens et la société civile doivent respecter les lois dans la vie quotidienne.
Les individus doivent accepter l'État de droit et ses principes. Même si certains pensent qu'il existe des exceptions et que les mêmes règles ne s'appliquent pas à tous, ce ne peut être le cas en Jordanie, où se mêlent différentes communautés religieuses, raciales et ethniques. Cette diversité est source de richesse politique et économique, mais peut également conduire au nationalisme.
Les conflits ethniques constituent un vrai problème. Les divisions peuvent être levées grâce à l'État de droit. Chaque citoyen et chaque institution publique doivent respecter leurs devoirs. C'est l'essence d'une administration prudente, attachée à la justice et à l'égalité, piliers de son fonctionnement.
Nous ne pourrons atteindre le développement durable, donner à la jeunesse les moyens de son ambition ou nous développer avec succès sans une administration d'État et un État de droit renforcés par des principes de justice, d'égalité et de transparence.
La Jordanie croit au principe de redevabilité et de responsabilité. Nous pensons que ces principes doivent se situer au coeur de nos institutions nationales, afin que celles-ci soient respectées à tous les niveaux de l'appareil gouvernemental. Il faut que chacun puisse rendre compte en cas de manquement à ses obligations.
Un État civique respecte l'État de droit. Il est gouverné par une Constitution. Il soutient une citoyenneté active, le pluralisme et les différences d'opinions. C'est un État dans lequel les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, sans aucune discrimination de religion, de langue, de couleur de peau, de genre, d'origine ethnique, d'appartenance politique ou de positionnement intellectuel.
Nous, Jordaniens, sommes pleinement engagés en faveur de ces valeurs qui définissent notre nation et notre peuple. Ces valeurs, ce sont la paix, la modération, la compassion, la solidarité, le pluralisme, l'acceptation de l'autre, la persévérance, l'ouverture et l'esprit citoyen. Elles fondent la citoyenneté jordanienne. Elles font partie de notre patrimoine, et nous continuons de les enseigner aux jeunes générations.
Nous pourrons parler à ce propos de la réforme éducative qui se déroule en ce moment en Jordanie...
Je vous remercie.
M. Jérôme BONNAFONT - Je retiens de cet exposé la complexité du défi qui est devant vous pour offrir aux générations futures un État meilleur que celui dont vous avez hérité, malgré les difficultés que constituent la diversité d'une société diverse et les dangers que l'on rencontre dans la région.
La parole est à Monsieur Antoine Messarra, membre du Conseil constitutionnel du Liban.
M. Antoine MESSARA - Mon intervention portera sur les différentes expériences de la citoyenneté.
Il est facile de dire que le principe de citoyenneté et celui de démocratie constituent la solution pour sauvegarder le tissu pluraliste arabe, mais quels aménagements prévoir pour cela ?
En premier lieu, il nous faut faire un « ménage mental » pour se débarrasser de nombre de concepts minés, idéologisés.
Il nous faut également parler de la différence entre les divers types de pluralismes qui existent, et des aménagements possibles. Le cas du Liban est un exemple.
Il convient donc de réaliser un grand « ménage mental », dépoussiérer nombre de concepts, d'ébranler des idéologies persistantes à propos du nation-building , car il existe des nations contractuelles - la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, le Liban, les Fidji et, pour partie, l'Inde ou l'Île Maurice - où les mariages de raison peuvent devenir des mariages d'amour.
Ces régimes appliquent des variantes aux règles de majorité ou de discrimination positive.
Il faut aussi admettre, contrairement à ce que pensaient beaucoup de sociologues des années 1960, que la modernisation ne supprime pas les allégeances primaires, les identités, etc., au contraire : plus une société se modernise, plus les identités individuelles et collectives se développent, et l'on assiste à leur émergence presque partout dans le monde.
Nous le vivons déjà dans les familles : mon épouse défend des opinions divergentes des miennes, mon fils et ma fille ont des avis différents. Ce peut être source de richesse, comme cela peut aussi être source de fragmentation.
La modernisation développe aussi le besoin et l'exigence de solidarité. Le grand malheur de notre monde actuel est peut-être d'avoir perdu le sens de la solidarité et de la fraternité.
Il faut enfin dissiper les appréhensions injustifiées, et ne pas penser que l'on doit appliquer ce qui suit à tous les pays européens. Pas du tout ! Les pays européens ont des traditions très solides de monisme juridique et des valeurs fondatrices. Ce que je vais dire n'est donc ni une plaidoirie ni une prise de positions politique, mais le résultat de plusieurs expériences et de travaux comparatifs menés depuis les années 1970 au sujet de la gestion du pluralisme culturel et religieux.
On pose souvent la question de la citoyenneté comme s'il s'agissait d'une opération mécanique et naturelle. On oublie sa dimension juridique. On peut limiter celle-ci à deux aspects, l'égalité et la participation. Quand un régime politique ne garantit ni l'égalité entre les citoyens ni leur participation, l'édifice, même s'il remonte à plusieurs siècles, peut s'écrouler. On le vit souvent dans certaines familles unies qui, en cas d'héritage, voient les conflits surgir à cause d'un aspect juridique.
Combien existe-t-il de schémas et d'idées programmées sur la question de la participation et de l'égalité ? Nous confondons en fait deux types de pluralisme, le pluralisme au sens démocratique général - liberté d'expression, liberté de partis, etc. -, et le pluralisme culturel et social.
Ce pluralisme existe dans plus de quarante pays et possède ses caractéristiques propres. Premièrement, les appartenances sont plus ou moins stables. Deuxièmement, il classifie les citoyens par couleur de peau. Troisièmement, il est associé à des organisations sociales, hospitalières, de loisirs, éducatives.
Vous trouverez ceci dangereux. Cela dépend ! Il existe un pluralisme extrême, comme dans certaines tribus d'Afrique, où l'individu naît dans sa communauté, va à l'école dans sa communauté, épouse une personne de sa communauté, travaille au sein de sa communauté, y vit, y meurt et y est enterré. C'est une société totalement cloisonnée.
Il existe un autre type de pluralisme, que l'on vit dans tous les pays arabes. On parle d'appartenances croisées : un maronite du Kesrouan épouse une fille de la Bekaa, travaille à l'aéroport de Beyrouth, possède des terrains dans le Chouf, est membre de tel ou tel parti, de tel ou tel syndicat. Cet individu est par nature modéré.
Nous avons vécu cette situation durant la période des guerres du Liban : quand le centre-ville de Beyrouth a été ravagé, un autre centre-ville s'est créé. Lorsque les francs-tireurs n'opéraient pas, des milliers de personnes traversaient ce secteur artificiel. Elles avaient des intérêts communs légitimes, professionnels et économiques. On a érigé des démarcations et des barricades, mais cela n'a pu rompre le lien entre les Libanais.
Tous les pays arabes vivent ce genre de pluralisme, où les appartenances s'entrecroisent.
Le Moyen-Orient a vécu durant des siècles avec un tissu pluraliste, ethnique, culturel, religieux, linguistique et racial inimaginable. On le qualifie de patrimoine ottoman. Les Ottomans n'étaient pas de grands intellectuels, mais ils étaient pragmatiques, et ils ont pu gérer un empire très vaste avec le système des millets , qui accorde des autonomies personnelles à des communautés dans certains domaines de l'éducation, du statut personnel, ou concernant les juridictions.
En fait, ce système n'est pas ottoman, mais d'inspiration musulmane. La philosophie de l'islam veut qu'en matière religieuse, le droit soit un droit personnel. On n'applique pas aux non-musulmans les mêmes règles qu'aux musulmans.
En droit, cela s'appelle le pluralisme juridique. Il peut exister dans une société, dans certains cas particuliers, un autre ordre juridique. L'expérience de l'Occident est différente à ce propos.
En France, lors de la révocation de l'Édit de Nantes, en 1598, le slogan était : « Une foi, une loi, un roi ». On a alors chassé les protestants. Aujourd'hui, la laïcité soulève beaucoup de problèmes en France, ainsi que l'a souligné le président Macron.
Qu'est-ce donc que le pluralisme juridique ? Le terme a une connotation très positive. Même s'il a pris un sens négatif dans le débat idéologique, il évoque un problème de conscience.
Vous allez me dire qu'il s'agit d'un système rétrograde. Oui, il est rétrograde ! Le droit pénal de 1800 est rétrograde. Le droit commercial de 2000 est rétrograde, mais on peut le moderniser.
Comment moderniser les régimes relatifs au statut personnel et à l'autonomie personnelle ? Il existe des exemples multiples aux Fidji, à l'île Maurice ou dans les pays arabes.
Ces régimes devraient être ouverts, égalitaires, et dotés d'une instance supérieure. À ce sujet, les mandataires français au Liban étaient d'une sagesse et d'une inculturation très solide. Je cite souvent Pierre Rondot, dont le livre de 1947 reste un classique. Un arrêté de 1936 prévoyait la création d'une communauté de droit commun permettant de ne pas appartenir à une communauté, en dépit des résistances des instances religieuses pour le mettre en application...
C'est un peu comme le fer à repasser : autrefois, celui-ci était alimenté au charbon. Aujourd'hui, il est électrique ou à vapeur, mais garde son identité et sa finalité.
Le problème, c'est que l'idéologie sioniste a introduit dans la région un phénomène explosif, celui de l'espace identitaire : une religion dans un territoire. Le philosophe juif Martin Buber disait que c'était un cadeau empoisonné de l'Occident aux juifs sionistes. Actuellement Israël, vit cette impasse.
Je vous remercie.
M. Jérôme BONNAFONT - Merci pour ces propos très éclairants.
La parole est à Mme Hoda al-Helaissi, vice-présidente de la commission des affaires étrangères du Parlement saoudien.
Mme Hoda AL-HELAISSI - Vous me permettrez d'évoquer la place de la femme en Arabie saoudite.
Je suis saoudienne, musulmane et je suis femme.
L'Arabie saoudite vit aujourd'hui une transformation très importante grâce à notre roi et surtout grâce à notre prince héritier, Mohammed ben Salmane.
Quand le plan Vision 2030 a été dévoilé, en avril 2016, pour améliorer et moderniser la vie des Saoudiens, le prince Mohammed ben Salmane a déclaré : « Nous avons tous les moyens pour réaliser nos rêves et nos ambitions. Nous n'avons pas d'excuses pour rester immobiles ou pour reculer ».
Replaçons l'Arabie saoudite dans le contexte : il s'agit d'un pays jeune, d'à peine 80 ans. Ce n'est toutefois qu'à partir du moment où les revenus du pétrole ont commencé à abonder les caisses de l'État, il y a une cinquantaine d'années, que le pays est entré dans la modernité.
C'est à ce moment-là que l'Arabie saoudite est née et que ce vaste désert s'est transformé en grande ville contemporaine, dont l'infrastructure est comparable à celle des pays les plus modernes du monde.
C'est un pays qui se développe rapidement et qui a atteint des objectifs immenses dans sa courte existence moderne. C'est un pays qui a changé, même si les puissances extérieures considèrent ces changements comme trop lents et insuffisants. Ils font cependant partie du processus interne naturel de l'évolution.
Sur le plan social, la composition du pays a évolué. Nous avons constaté des améliorations à tous les niveaux du développement humain, qu'il s'agisse de l'alphabétisation, de l'espérance de vie ou de la mortalité infantile pour n'en citer que quelques exemples. En outre, nous nous éloignons graduellement d'une société tribale, avec toutes ses implications et ses traditions, pour aller vers une société où le noyau familial et l'individualisme deviennent de plus en plus dominants.
Ce développement est un processus continu, et il va continuer à toucher la vie de chaque citoyen. On a pu assister à des changements incroyables en l'espace d'une seule génération. Avec une population de moins de trente ans à 70 %, il serait irrationnel de s'attendre à une stagnation, d'autant que nous avons affaire à une génération très connectée au monde extérieur par le biais des médias sociaux, de l'éducation et des voyages.
C'est une génération qui exerce des pressions directes et indirectes sur le gouvernement parce que ses attentes sont élevées et continuent de croître, faisant peser de plus grandes responsabilités sur les épaules des gouvernants.
Le résultat est un programme de restructurations à tous les niveaux du gouvernement, basé sur l'efficacité, la transparence et la responsabilité, un programme qui parie sur cette jeunesse qui veut et recherche le changement.
Les deux facteurs qui guident ce développement sont la jeunesse et l'économie. L'autre élément déterminant de notre histoire est l'éducation, qui alimente le développement à un rythme significatif. Si le changement est indispensable, il ne peut jamais être imposé à un pays. Il doit venir de l'intérieur, au rythme de sa population.
L'Arabie saoudite a compris que l'éducation est la pierre angulaire de toute société industrialisée. En 2005, le programme de bourses du roi Abdallah a ouvert les portes de l'éducation à l'étranger aux filles et aux garçons dans les meilleures universités du monde. Aujourd'hui, nous comptons plus de 150 000 étudiants saoudiens à l'étranger. Ceci aura sur l'Arabie saoudite un impact dans les années à venir.
Le plan Vision 2030 du prince Mohammed ben Salmane constitue une feuille de route bienvenue, qui vise à transformer l'économie saoudienne à une époque où les prix du pétrole sont bas, et à revoir la plupart des aspects de la vie dans le royaume.
Le prince Mohammed est le visage de la jeunesse saoudienne. Il parle sa langue et comprend ses rêves. Pour lui, comme pour notre jeunesse, la religion joue un rôle important, mais elle est ouverte sur le monde extérieur ainsi qu'aux autres cultures.
Cela se reflète dans le titre du plan, qui contient la date occidentale plutôt que celle de l'Hégire, officiellement utilisée en Arabie saoudite. L'objectif du plan Vision 2030 est de faire de l'Arabie saoudite le coeur du monde arabe et islamique, un centre d'investissements et une plaque tournante reliant trois continents. C'est ce qui va ouvrir l'Arabie saoudite au monde moderne, diminuer sa dépendance au pétrole, amener un large éventail de réformes et ramener le pays à un islam plus modéré.
Toute réforme politique entraîne des changements sociaux, et la transformation sociale est aussi importante que la transformation économique.
Les réformes du plan Vision 2030 sont intervenues dans des domaines culturels longtemps laissés en sommeil. Le prince Mohammed a dit plus d'une fois que si l'on n'établissait pas un nouveau contrat social entre le citoyen et l'État, la réhabilitation économique échouerait.
Sur le plan social, les changements que nous observons sont fondés sur les jeunes, l'économie et les femmes. Ils vont indirectement de pair. L'éducation, comme je l'ai dit, est une priorité. Le gouvernement en est conscient et y affecte chaque année la plus grande partie de son budget.
Des efforts sont déployés non seulement pour éradiquer l'analphabétisme dans le pays, mais aussi pour permettre au pays de rivaliser avec les autres nations à différents niveaux. Nous améliorerons ainsi le développement humain et les ressources humaines pour stimuler le pays et utiliser efficacement ces facteurs dans l'économie nationale.
Le chômage, en Arabie saoudite, est malheureusement très élevé. Il a atteint 12,8 % au cours de la dernière année. C'est une question brûlante pour le gouvernement, qui essaye de trouver des solutions en créant de nouveaux emplois. Au moins 5 millions de Saoudiens sont susceptibles d'entrer sur le marché du travail dans les dix prochaines années, et la création d'emplois est un énorme défi. Le plan Vision 2030 vise à attirer les emplois gouvernementaux dans le secteur privé.
Il va sans dire qu'avec une éducation de ce type, la composition de la société saoudienne a changé et continuera à changer. Cela aura un effet sur le rôle des femmes dans notre société.
Lorsque les écoles pour filles ont ouvert leurs portes pour la première fois dans le royaume, en 1962, le taux d'alphabétisation des femmes se situait à peine à 2 %. Cinq décennies plus tard, le pourcentage de femmes qui savent lire et écrire s'élève à 97 %.
Le véritable développement, la croissance économique et le succès international d'un pays ne peuvent se réaliser que lorsqu'il utilise 100 % de ses ressources humaines, hommes et femmes confondus.
Ajoutons que la femme saoudienne, loin des clichés qui la décrive comme sans instruction, opprimée, soumise aux hommes, s'est révélée au monde extérieur comme une personne forte et ambitieuse, qui participe et influence positivement la société. Elle a intégré le fait que l'éducation est la clé du succès et qu'elle lui permettra d'atteindre ses objectifs.
Contrairement aux clichés, l'islam n'entrave pas les femmes. Au contraire, il encourage l'éducation indépendamment du genre, en faisant de cette dernière à la fois un droit et une responsabilité. Il existe une frontière très fine entre la religion et la tradition. D'une manière générale, une grande partie de ce que l'Occident considère comme une oppression pour les femmes repose sur les traditions.
Aujourd'hui, les ménages ne peuvent plus vivre dans des conditions acceptables avec un salaire, forçant ainsi de plus en plus de femmes à entrer sur le marché du travail. 1,3 million de femmes devraient arriver sur ce marché d'ici 2030, l'objectif étant de créer des emplois et de faire passer la participation des femmes de 22 % à 30 % en dix ans.
Donner aux femmes saoudiennes la possibilité de participer pleinement à tous les secteurs de la vie économique est essentiel si nous voulons atteindre les objectifs du plan Vision 2030, adopter les normes de développement et de durabilité internationalement reconnues, et améliorer la qualité de vie de la société en général.
La promotion de l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes ne peuvent se réaliser que grâce aux efforts coordonnés des secteurs privé et public. Si l'autonomisation des femmes profite au pays de nombreuses façons, l'impact d'une telle mesure sur l'économie est l'une des plus remarquables.
Dans quelle mesure le gouvernement peut-il changer de direction pour incorporer activement les femmes au milieu du travail et dans l'économie ? Au cours des dernières années, les réformes ont permis la création d'emplois supplémentaires, mais l'acte le plus important a peut-être eu lieu en 2013, lorsque le roi Abdallah a modifié la loi fondamentale saoudienne en stipulant qu'un minimum de 20 % du Parlement serait composé de femmes, pourcentage comparable à beaucoup de pays.
Cela se traduit par 30 femmes sur un total de 150 membres. Ceci a été suivi par des postes aux élections municipales et, plus récemment, par la nomination de plusieurs femmes à des postes de direction dans le secteur économique, autrefois réservé aux hommes.
Oui, nous sommes en mouvement, et nous allons dans la bonne direction. Cela ne signifie toutefois pas que tout est rose et que les défis et les obstacles n'existent pas, nous en sommes conscients. Nos vraies ressources reposent sur les jeunes générations. Même si celles-ci doivent faire face à de plus grands problèmes d'emplois que ceux auxquels ma génération a été confrontée, elles conduiront le pays vers un nouvel État moderne, où l'économie imposera la nécessité d'employer davantage de femmes à des postes de direction.
Je crois qu'il y aura un nouveau statu quo et que le droit de la femme sera reconnu socialement.
L'avenir semble propice. Peu importe que le plan Vison 2030 s'achève en 2030, 2028 ou 2035. L'essentiel est que l'on bouge, que l'on change, qu'on débouche sur une modernité spécifique, qui représente notre identité, avec tout ce qu'elle implique d'histoire, de religion et de traditions.
Nous avons déjà parcouru un long chemin, depuis les tribus stéréotypées vivant dans le désert qui peuplaient la région au milieu du XXe siècle jusqu'aux gratte-ciel, aux grandes rues, aux autoroutes, devenus synonymes de modernité et de mondialisation.
Garder nos portes ouvertes, nous entraider ne va pas à l'encontre des systèmes de valeurs culturelles et des traditions, au contraire : cela établit des ponts, et c'est le plan Vision 2030 qui permettra de construire ceux-ci pour nous rapprocher de ce que nous recherchons.
Merci de votre attention.
M. Jérôme BONNAFONT - Je souhaite non seulement saluer la qualité de votre réflexion, mais également la qualité littéraire de votre texte.
La parole est à la salle.
De la salle - Monsieur Messara, comment préserver une forme de consensus et de pluralisme tout en se gardant du clientélisme, de la paralysie des institutions et des politiques publiques, de l'arbitraire et de la fragmentation ?
J'ai été très sensible à ce que vous disiez et je l'espère pour le Liban, mais comme un pis-aller. Je me suis en effet aperçu qu'il existait une grande immobilité des politiques publiques au Liban, domaine auquel j'ai apporté mon appui professionnel.
Comment résoudre ce problème ?
De la salle - Je félicite sincèrement Mme al-Helaissi pour tout ce qu'elle représente.
Le prince héritier, que vous avez présenté comme modéré et qui souhaite aller vers la paix au Moyen-Orient, reconnaîtra-t-il que des fonds saoudiens ont alimenté des réseaux terroristes qui ont commis des atrocités en Irak et en Syrie ?
Le Prince Mohammed ben Salmane a par ailleurs dernièrement affirmé que l'Iran était un ennemi à abattre. Or on sait tous qu'il s'agit d'un conflit d'origine confessionnelle et qu'on ne peut établir la paix si le conflit perdure...
De la salle - Je remercie M. Messarra, dont j'ai trouvé l'intervention très brillante.
Ma question s'adresse à Mme al-Helaissi.
Je suis d'origine africaine. Vous vous êtes présentée comme saoudienne, femme et musulmane, mais j'ai trouvé étrange que vous citiez sans cesse le prince héritier, un peu comme si vous jouiez le rôle de porte-parole de votre gouvernement.
J'aurais souhaité obtenir plus d'éléments pour pouvoir apprécier les véritables évolutions qu'ont connues les femmes en Arabie saoudite. C'est un sujet que vous avez survolé, sans le traiter en profondeur.
De la salle - M. el-Abd pourrait-il dire un mot du renouvellement du discours religieux ? Les journaux d'aujourd'hui évoquent une nouvelle loi contre l'athéisme...
M. Naël Georges - Mme Najjar a parlé de la démocratie en Jordanie. On ne peut parler d'une démocratie si un pays ne respecte pas les droits de l'homme. Or la Jordanie, comme les États voisins, viole les libertés religieuses et combat l'apostasie. Le code du statut personnel de 2010 comporte ainsi beaucoup de discriminations à l'égard des femmes et des non-musulmans...
M. Jérôme BONNAFONT - Ce sont des questions complexes, parfois délicates, mais je suis sûr que le talent des orateurs va leur permettre de surmonter ces difficultés.
M. Antoine MESSARA - Une certaine aliénation culturelle conduit aujourd'hui les intellectuels et les universitaires libanais, ainsi que les auteurs étrangers, à utiliser les termes de confessionnalisme, de communautarisme, de sectarisme.
Ce ne sont ni des concepts, ni des catégories juridiques. Cela relève aujourd'hui de la « gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel ». Certains « auteurs » - entre guillemets - ont mélangé ces termes.
La règle d'autonomie personnelle possède son diagnostic et sa thérapie. La question des quotas et de la discrimination positive est une règle juridique appliquée dans plus de 40 pays et correspond à des normes juridiques. Il y a dans le mot de « confessionnalisme » une certaine exploitation politique de la religion.
Je ne comprends pas ce que veulent ceux qui sont contre le confessionnalisme, le communautarisme et le sectarisme. Or un certain nombre d'intellectuels du monde entier - surtout des Américains, mais aussi des Libanais - continuent sur cette lancée.
Le président Charles Hélou avait déjà, en 1945, voulu supprimer le confessionnalisme. Quand allons-nous en finir et traiter le problème de façon sérieuse, juridique et démocratique ?
C'est le Liban qui est à l'origine de cette recherche internationale sur les régimes consociatifs, les systèmes de concordat, consensuels, mais les termes ont été pollués par la langue arabe. J'évite toujours de les traduire. Ce sont en fait des régimes parlementaires qui obéissent à toutes les normes en la matière, mais qui associent des processus à la fois compétitifs et coopératifs.
On rencontre un certain clientélisme dans les pays où la diversité communautaire n'existe pas. Il faut étudier le confessionnalisme et ses raisons en tant que phénomène clientéliste. Aujourd'hui, au Liban, on trouve une égalité socio-économique et culturelle inimaginable entre les communautés, mais on choisit en général pour occuper un poste administratif la pire des personnes qui soit, pour des raisons de clientélisme. C'est pourquoi les intellectuels imaginent qu'il n'existe ni règle, ni norme.
L'Inde a appliqué des quotas à la classe des intouchables, qui constitue un système pire que tous les phénomènes communautaires. Durant 30 ans, ils ont formé vingt commissions pour savoir comment appliquer cette règle en respectant les compétences et sans nuire à l'intérêt général.
Au Liban, on n'a jamais formé un comité pour étudier la façon d'appliquer la règle de discrimination positive. Il existe cependant des écrits et des travaux internationaux sur la question, qui comportent des normes et des règles.
Mme Hoda AL-HELAISSI - Tout le monde le sait, l'Arabie saoudite a financé le terrorisme à une certaine époque. Ces dernières années, le pays a lutté contre celui-ci aux côtés des plus grands pays du monde, dont la France. Le gouvernement a pris des mesures très sévères pour ce faire, y compris en matière économique et bancaire. C'est quelque chose dont nous sommes conscients.
Quant à l'Iran, il s'agit d'un sujet fragile et sensible. Je ne préfère donc pas entrer dans le débat maintenant. Il y a trop à dire - et il n'existe pas de solution.
Par ailleurs, je ne suis pas porte-parole du gouvernement. Tout ce que j'ai dit, je le crois, et je le vis. Cela correspond à ce qui se passe aujourd'hui en Arabie saoudite pour les femmes.
Vous pouvez ne pas être d'accord. Je ne suis pas là pour convaincre qui que ce soit, mais pour expliquer les choses. Je ne cherche pas à les justifier.
Dr Ossama Mohammed EL-ABD - Il n'existe aucune sanction contre quelque religion que ce soit en Égypte.
Le renouvellement du dialogue religieux a été mis en place par le président al-Sissi, et une conférence a été organisée à ce sujet. Il n'y a aucun problème en la matière. Il n'y a pas de différence entre une chrétienne et une musulmane qui allaitent leur enfant.
S'agissant des manuels scolaires, le Parlement étudie la façon de débarrasser les ouvrages d'al-Azhar et ceux de l'éducation nationale de tout appel à la haine.
Mme Haifa NAJJAR - Je ne suis pas en train d'établir un plaidoyer pour mon pays. J'ai simplement souligné la réussite de la Jordanie. Nous avons signé la déclaration des droits de l'homme des Nations unies, et nous la respectons. Je ne suis pas seulement une sénatrice jordanienne, mais aussi une militante des droits de l'homme.
Je crois que la Jordanie, dans le monde arabe, vit une véritable transformation. Tout le monde en est responsable, le gouvernement jordanien comme les citoyens jordaniens, ou même le Sénat français !
On ne peut parler de citoyenneté en Jordanie ou en Arabie saoudite sans évoquer la citoyenneté universelle. Je pensais être ici pour cela aujourd'hui. Il faut dépasser les vieux clivages pour s'ouvrir aux autres et fêter notre diversité. La justice, l'équité, l'égalité sont des valeurs communes.
M. Jérôme BONNAFONT - Cet idéal partagé, ces solutions juridiques diverses, ces combats politiques et sociaux, dans le quotidien heurté d'un Levant en proie aux conflits que nous savons, constituent un message d'espoir dont je suis heureux qu'il ait pu être émis ici, devant le Sénat français.
Deuxième table ronde