Groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient (1 ( * ))
« CITOYENNETÉ ET JUSTICE : UN DÉFI POUR LE MOYEN-ORIENT - QUELS ENSEIGNEMENTS POUR L'AVENIR DE L'IRAK ? » |
Actes du colloque du 12 avril 2018
Sous le haut patronage de
M. Gérard LARCHER, Président du Sénat
Palais du Luxembourg
Salle Médicis
OUVERTURE
M. Gérard LARCHER , Président du Sénat
Monsieur le Président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient,
Monsieur le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,
Éminence,
Béatitude,
Monsieur le Grand Rabbin,
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Représentant spécial du Grand Imam de la mosquée al-Azhar,
Monsieur le Président de la commission des affaires religieuses du Parlement égyptien,
Mes chers collègues parlementaires d'Égypte, de Jordanie, d'Irak, d'Arabie saoudite,
Monsieur le Conseiller constitutionnel,
Madame la vice-présidente du Sénat,
Chers collègues sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur d'ouvrir ce colloque, organisé à l'initiative du président Bruno Retailleau. Chacun connaît son engagement, ses convictions, mais aussi sa capacité à ne pas laisser les choses telles qu'elles sont lorsqu'elles sont inacceptables. C'est aussi un homme de concorde, de rassemblement et de paix. Je voulais le rappeler en saluant son action et celle de l'ensemble du groupe de liaison, qui rassemble des sénateurs de toutes sensibilités politiques.
Ce colloque n'aurait pu voir le jour sans l'appui de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de son président, Christian Cambon.
Je salue également les ambassadeurs, en particulier M. Bruno Aubert, ambassadeur de France en Irak. Sans leur appui, cette journée n'aurait pu avoir lieu.
Je voudrais remercier le Patriarche de Babylone des Chaldéens, Sa Béatitude Mgr Sako, dont le témoignage de paix et de rassemblement est très attendu.
J'ai le souvenir de nos rencontres et d'un moment particulièrement émouvant que nous avons vécu dans la chapelle de la très laïque présidence du Sénat. Je le garderai dans mon coeur. Au-delà de tous les discours sur la spiritualité, cet instant a constitué un moment d'adresse à tout ce que nous avons au-dessus de nous.
Je voudrais saluer Son Éminence Seyyed Jawwad al-Khoei, cofondateur du Conseil irakien pour le dialogue interreligieux, qui a accepté de participer à ce colloque, et dire à Gilles Bernheim combien j'ai plaisir à le retrouver.
Je suis heureux qu'au Sénat de la République française, la parole d'hommes de foi éminents soit mêlée à celle des diplomates, des responsables politiques et des chercheurs. La laïcité vivante nous fait devoir de dialoguer avec les religions. Mais je ne peux poursuivre - même si ce matin, nous allons parler de l'Irak - sans que nous tournions une fois encore nos pensées vers la Syrie, dans la septième année de cette guerre innommable, après une succession de drames et de crimes, et à un moment de tension internationale majeure. Je n'oublie pas non plus la situation des Kurdes, notamment dans une partie de la Syrie.
Une lueur d'espoir renaît aujourd'hui en Irak. Nous sommes par nature des hommes d'espérance, quelles que soient nos convictions, et nous croyons toujours à la capacité de la résurrection. Cette lueur nous paraît donc essentielle. La perte de la « capitale » autoproclamée de Daech, Mossoul, le 9 juillet 2017, a porté un coup stratégique et symbolique à cette organisation. Ainsi, les forces irakiennes, avec le soutien de la coalition internationale, ont contribué à l'éradication territoriale quasi complète du groupe terroriste.
Mais - pour reprendre la formule de notre ancien chef militaire des armées - une victoire militaire ne suffit pas, quelle que soit son ampleur, à vaincre le terrorisme islamiste. Le défi, dès aujourd'hui, est de mettre en place les conditions qui doivent permettre d'éviter des résurgences.
La situation humaine demeure préoccupante : environ 2,9 millions de personnes sont toujours déplacées à l'intérieur du pays, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ces populations sont réparties sur l'ensemble du pays, avec une forte concentration dans la plaine de Ninive et du Kurdistan irakien.
Après trente ans de guerre et d'embargos, suivis de destructions liées à la présence de Daech, les besoins sont immenses dans les secteurs de l'énergie, de l'électricité, de l'eau, des transports, des communications ou de la santé.
Si je ne souhaite pas m'appesantir sur le passé, je désire souligner qu'il ne s'agit pas seulement d'un débat académique ou intellectuel. Nous parlons de vies brisées, de femmes, d'hommes et d'enfants dont le destin, parfois, s'est arrêté sur une plage de la côte turque ou sur les rives de la côte grecque.
Dans ces circonstances, les chrétiens d'Orient, ainsi que des populations d'autres confessions minoritaires, particulièrement les yézidis, dont j'ai reçu une délégation il y a quelque temps, ont été les victimes désignées du terrorisme. Ils ont fait l'objet d'un « nettoyage » confessionnel systématique - pardonnez ce mot que je mets entre guillemets.
Très tôt, les Patriarches nous ont alertés sur cette situation catastrophique. Ils sont le témoignage vivant de la diversité religieuse du Moyen-Orient et de la volonté d'une coexistence pacifique entre tous. Ils portent le signe d'une présence multiséculaire sur une terre qui a vu naître le christianisme. Ils ont, ancré en eux, une forme de pragmatisme qui les conduit à s'adapter aux situations les plus périlleuses.
Je pense à ces populations chrétiennes qui vivaient dans les zones occupées par Daech et qui ont fui en 2014. Une partie d'entre elles se sont exilées à l'étranger. Beaucoup sont restées au Kurdistan, dans des camps de réfugiés et, progressivement, commencent à revenir dans les villes où elles résidaient, majoritairement chrétiennes. Elles peuvent s'y appuyer sur une communauté, notamment grâce la présence de l'Église, et ont le sentiment que leur sécurité est mieux assurée.
Les Églises et les ONG s'emploient à reconstruire des maisons détruites, symboles du retour et de l'ancrage. Ce retour s'accomplit trop lentement dans les villes où les chrétiens étaient minoritaires parce qu'il existe aujourd'hui une méfiance qu'on ne peut gommer. Notre pays l'a connu aussi, dans un temps qui n'est pas si éloigné, au XXe siècle. Aujourd'hui, les populations ont du mal à retourner dans des cités où vivent ceux qui ont applaudi à l'arrivée de l'État islamique, où certains se sont approprié la maison de leurs voisins, parfois après avoir dénoncé leurs occupants à Daech. Le travail de réconciliation est une oeuvre longue, difficile, qui s'appuie sur les forces mais aussi sur les fragilités humaines.
Le but de la délégation sénatoriale, conduite par Bruno Retailleau, qui s'est rendue sur le terrain au mois de janvier, était de constater le retour des chrétiens et d'autres minorités en Irak, mais aussi d'envoyer un signal aux responsables irakiens de tous bords afin de les inciter, dans le respect de leur liberté et de leur autonomie, à prendre en considération l'ensemble des populations vivant dans ce pays, sans exclusive, et de leur accorder des droits égaux, qui constituent pour nous une notion, un principe et une référence essentiels.
Le 14 novembre dernier, vous avez, votre Béatitude, plaidé devant moi pour une réforme de la Constitution de votre pays et pour assurer l'égalité de tous les citoyens. Le Patriarche de l'Église grecque melkite m'a également demandé audience. Je le recevrai le mois prochain.
Il s'agit d'oeuvrer en faveur d'une pleine citoyenneté - je sais que ce mot fait parfois débat, mais il a, en France, un sens extrêmement profond - et du respect de la liberté de conscience, de militer pour que l'Irak adopte un régime civil. Il s'agit aussi de promouvoir l'éducation à la liberté d'expression. Personne, parmi les chrétiens ou les minorités, ne revendique un statut d'exception. Chacun veut en revanche bénéficier d'un statut de citoyenneté à part entière.
Au-delà de la question fondamentale de la citoyenneté égale pour tous, vous avez, cher président Retailleau, placé la justice et la réconciliation au centre de cette journée. Il me semble que la réconciliation naît de l'unité de l'État - mais c'est sans doute une vision bien française.
La communautarisation des provinces paraît en effet une « fausse bonne idée ». Je l'avais déjà dit en d'autres temps, nos amis libanais le savent. Elle fragilise la place des populations minoritaires en nombre.
À la communautarisation devrait être préférée, me semble-t-il, la voie de la décentralisation, qui affirme l'unité nationale, tout en permettant à chacun d'être maître d'une partie de ses décisions. La décentralisation peut concerner jusqu'aux communautés les plus locales. Le Sénat de la République française dispose d'une longue expérience en la matière. Elle est mise actuellement à profit dans la recherche de solutions à de nombreux conflits, qui ont parfois revêtu des formes de guerres civiles, mot dont je me méfie, car ce sont parfois des guerres de grandes puissances par populations civiles interposées. J'en veux pour preuve la naissance d'un Sénat, aujourd'hui même, en Côte d'Ivoire, où j'étais invité, après les drames qu'a connus ce pays, né de l'affrontement ethnique, religieux et économique que chacun a bien en tête.
Oui, il faut que soient renforcées les institutions étatiques, l'idée de citoyenneté et de contrat social. C'est cette idée qui, du Liban à l'Égypte, me paraît être à même de garantir des droits égaux pour tous, au-delà de toute appartenance religieuse.
Le grand imam d'al-Azhar, Ahmad Tayyeb, autorité majeure du monde arabe sunnite, que j'ai rencontré deux fois en Égypte et qui m'a rendu visite au Sénat, a solennellement affirmé que l'islam n'est pas incompatible avec le pluralisme religieux, pas plus que « l'égalité en droits et en devoirs des musulmans et des non-musulmans », au sein d'un « État national constitutionnel ». Ainsi, selon lui, la notion de citoyenneté n'est pas étrangère à l'islam. Il considère même qu'elle pourrait faire partie de ses fondements.
En 2012, dans un document intitulé La citoyenneté et l'avenir de l'Égypte , le cheikh Ahmad Tayyeb affirmait que toute religion devait se conformer à la loi civile de l'État, et optait pour ce concept.
Le 12 mai prochain auront lieu des élections législatives en Irak. Il m'apparaît qu'un Irak inclusif, dont le modèle de gouvernance et la sécurité ont été réformés, où une juste part dans le système politique du pays serait allouée aux différentes communautés et où le pouvoir ferait le choix de la centralisation pourrait favoriser l'émergence d'une citoyenneté.
Pardonnez-moi d'avoir dépassé les propos de courtoisie habituels, mais je ne pouvais m'abstenir d'évoquer ce que je ressens profondément en tant que président du Sénat de la République, avec la sensibilité qui est la mienne, me faisant en cela le représentant des 347 sénateurs - car je me préside moi-même - qui, dans leur diversité, ont toujours avec le Moyen-Orient et l'Orient une relation assez particulière, pas simplement au nom de la vision que le général de Gaulle en avait, mais aussi parce que nous avons, avec d'autres, une certaine responsabilité à ce sujet.
C'est en effet au Sénat qu'une partie des accords Sykes-Picot ont dessiné la carte de cette région du monde. Nous ne devons pas nous laver les mains des conséquences de cette carte, mais l'assumer.
Je vous souhaite un très bon colloque.
Ouverture du colloque par le Président Gérard Larcher
* 1 Membres du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient présidé par M. Bruno RETAILLEAU :
http://www.senat.fr/commission/groupe_solidarite_chretiens_et_minorites_moyen_orient.html
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N° GA 150 - Juin 2018