TABLE
RONDE 1 -
CADRE DES INVESTISSEMENTS EN ÉGYPTE ET OPPORTUNITÉS
POUR LES ENTREPRISES
Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique
Ont participé à cette table ronde :
M. Jean-Jérôme KHODARA, Associé, Cabinet d'avocats Matouk Bassiouny
M. Fouad YOUNES, Président du Conseil franco-égyptien des affaires
Mme Hanane BADRA, Présidente du groupe Seb Égypte (CCEF)
M. Bruno CARRÉ, Directeur général de Suez Cement (CCEF)
M. Arnaud FLEURY - On connaît davantage l'Égypte sous l'angle géopolitique et culturel que sous l'angle économique alors que ce pays est aussi la troisième puissance du continent africain. Après une période de stabilisation difficile, elle semble à présent pouvoir être la source de grandes opportunités pour les entreprises françaises.
Ce colloque porte sur les possibilités qu'offre ce pays, auquel s'intéressent beaucoup des entreprises qui sont ici présentes aujourd'hui.
La parole est à M. Jean-Jérôme Khodara.
M. Jean-Jérôme KHODARA - J'essaierai tout d'abord de présenter d'une manière concise les traits saillants du cadre de l'investissement en Égypte aujourd'hui.
Je tenterai ensuite, de façon transparente et pratique, de soulever les problématiques que l'on peut encore rencontrer en Égypte, particulièrement pour un investisseur étranger.
Enfin, je ferai le point sur les principales réformes attendues dans les mois à venir.
On sous-estime les efforts accomplis par l'Égypte durant ces deux ou trois dernières années pour atteindre une forme de stabilité institutionnelle. Une nouvelle Constitution a été proclamée en janvier 2014. L'élection d'un nouveau président au suffrage universel a suivi six mois après.
Au niveau local, dix-sept gouverneurs sur vingt-sept ont été remplacés, dont une grande partie issue de la société civile, ce qui est peu habituel en Égypte.
En mars 2015, un énorme effort a été consenti en direction d'investisseurs lors de la grande conférence économique de Charm el-Cheik, la nouvelle loi sur l'investissement ayant été publiée un jour ou deux avant.
Les réformes ont été menées par décrets présidentiels entre juin 2014 et début 2016, ce qui a facilité l'accélération des réformes. Je ne reviendrai pas sur les derniers développements de la fin de l'année dernière, qui ont déjà été mentionnés - loi sur la TVA et flottement de la livre égyptienne.
Je voudrais aussi faire une remarque personnelle, qui est un peu hors de mon sujet, pour ceux qui ne connaissent pas l'Égypte. Hier soir, dans un dîner en ville, on m'a demandé si la situation au Caire n'était pas trop difficile. Je sais que la politique de sécurité de certains groupes français consiste à ne pas envoyer d'expatriés en Égypte, mais j'ai appris que le ministère des Affaires étrangères vient de décider d'y envoyer à nouveau des VIE.
C'est ma huitième année en Égypte : j'y vis en famille, et extrêmement bien. Le Caire est une ville très sûre.
Par ailleurs, le cadre des investissements en Égypte découle de la loi de 1997. Il a subi une réforme importante en 2005 mais, sur un plan technique, demeure relativement sophistiqué et complet en ce qui concerne les garanties qu'un investisseur étranger peut attendre. On retrouve toutes les garanties traditionnelles de l'investissement étranger, qu'il s'agisse du droit de rapatrier ses dividendes - bien sûr si on trouve des devises - du droit de rapatrier le capital, de la protection contre le risque de nationalisation ou de l'égalité de traitement.
En ce qui concerne les investisseurs français, c'est plus une consolidation qu'une véritable nouveauté. Il existe en effet entre la France et l'Égypte un traité d'investissement bilatéral datant de 1974, qui garantit les investissements français en Égypte et, réciproquement, les investissements égyptiens en France.
La conférence de Charm el-Cheikh, qui a eu lieu en mars 2015, a constitué un message fort envoyé à la communauté d'affaires. On avait promulgué la nouvelle loi sur l'investissement 24 heures avant.
Techniquement, il s'agissait d'un amendement à la loi de 1997, mais tellement étendu dans son champ que ceci a constitué un nouveau cadre d'investissement en Égypte.
Les deux principaux sujets d'un investisseur étranger en Égypte sont les conditions dans lesquelles il va pouvoir monter une structure juridique, et les conditions dans lesquelles on pourra obtenir les licences qui sont requises dans la plupart des cas. Il ne faut pas le nier : ce n'est pas toujours facile.
Cette loi a au moins eu le mérite de reconnaître cette problématique. Elle a mis en place un système de guichet unique. C'est le GAFI, équivalent du Registre du commerce et des sociétés (RCS) français et de Business France, qui joue ce rôle. Cette réforme va donc dans la bonne direction.
Elle n'est toutefois pas encore complètement opérationnelle, essentiellement pour deux raisons. Tout d'abord, certains secteurs sont couverts par la réforme. En outre, le GAFI n'a pas de compétences propres pour émettre les licences. Il joue un rôle de coordinateur avec les autres autorités, mais les degrés de coopération peuvent varier selon les cas.
La seconde réforme importante a déjà été mentionnée par M. Tarek Kabil et concerne les licences. C'est un sujet en Égypte. De nombreuses activités sont soumises à l'obtention d'une licence préalable. De très nombreuses administrations sont compétentes selon les secteurs. La principale est l'Industrial Development Authority (IDA).
La bureaucratie existe selon son secteur et les interlocuteurs que l'on a en face de soi. Un projet d'investissement peut être retardé de quelques mois parce qu'on a des problèmes pour obtenir les licences.
Deux développements majeurs sont toutefois intervenus : un nouveau décret permet à l'IDA, qui est une subdivision du ministère de l'investissement, d'émettre des licences à titre temporaire pour une durée d'un an au profit des industries peu sensibles.
Le second développement concerne la loi sur le guichet unique en matière de licence, qui est en cours de préparation.
Le troisième volet important de cette réforme est, de mon point de vue, un de ceux qui fonctionnent le mieux. Il a trait à la résolution des litiges en matière d'investissements.
Beaucoup d'efforts ont été mis en oeuvre pour obtenir des mécanismes extrajudiciaires de résolution des litiges. Le système judiciaire égyptien est assez lourd et la gestion des litiges réclame beaucoup de temps. Les relations entre l'exécutif et le judiciaire en Égypte n'ont pas toujours été simples. Beaucoup de programmes ont donc été mis en place pour contourner les tribunaux et accélérer les procédures de résolution.
Ceci concerne le sujet pénal et les litiges entre un investisseur et une autorité publique égyptienne.
Même si ce litige fait déjà l'objet d'une procédure devant les tribunaux administratifs, il est possible de soumettre ledit litige à un comité comprenant des représentants des ministères concernés et, depuis peu, de certains membres des juridictions, afin de parvenir à une médiation. Si la médiation est obtenue, on enregistre un désistement d'instance du côté judiciaire. Ce système fonctionne.
Le troisième volet de ce mécanisme concerne les privatisations, qui ne sont pas notre sujet aujourd'hui.
M. Arnaud FLEURY - La question de la privatisation se posera forcément en Égypte, mais ce n'est en effet pas encore le cas.
M. Jean-Jérôme KHODARA - La loi de 2015 durcit également les conditions de mise en jeu de la responsabilité pénale des dirigeants.
Cela peut paraître un sujet périphérique, mais ce n'était précédemment pas le cas en Égypte, où il existait un vide réglementaire. Un dirigeant de société pouvait être condamné à une peine de prison ferme pour un accident de circulation qu'il ignorait.
La philosophie de la nouvelle loi de 2015 n'est pas tant orientée vers des incitations fiscales que vers des avantages en nature. Selon les projets, les avantages peuvent concerner l'octroi de terrains dans des conditions favorables, le remboursement des frais de formation, des facilités douanières, etc.
Le quatrième volet de la loi est relatif à l'accès au foncier. Certains projets de nature industrielle nécessitaient un accès au foncier. Un certain désordre réglementaire régnait dans ce domaine. Ce sujet est sensible dans l'opinion égyptienne. La plupart des grands scandales qui ont eu lieu après la révolution étaient liés aux conditions d'attribution du foncier.
Comme pour les licences et les enregistrements des sociétés, la loi de 2015 a saisi ce sujet à bras-le-corps et a mis en place un système d'attribution des terrains plus transparent. On attend encore des améliorations dans la nouvelle loi de 2017.
M. Arnaud FLEURY - Que prépare actuellement le parlement ?
M. Jean-Jérôme KHODARA - La nouvelle loi vise à corriger les imperfections du système de guichet unique et comporte une nouveauté permettant de monter en Égypte une société en ligne en moins de quarante-huit heures. Le système de guichet unique sera également amélioré.
Une nouvelle série d'incitations fiscales va réduire de 30 % à 40 %, selon les localités, l'assiette de l'impôt sur les bénéfices des entreprises qui se tournent vers l'exportation.
Il existe par ailleurs en Égypte une contrainte en matière de droit du travail : une société ne peut compter plus de 10 % de salariés étrangers. Cela n'a jamais constitué une difficulté, puisqu'une des raisons de choisir l'Égypte est de bénéficier d'une main-d'oeuvre qualifiée à un coût intéressant.
M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers M. Fouad Younes, président du Conseil franco-égyptien des affaires, qui est une structure originale. M. Younes est à la tête d'une entreprise d'agents commerciaux qui représente un certain nombre d'entreprises françaises, dont Saint-Gobain ou Alstom.
Est-ce le bon moment pour investir en Égypte selon vous, après la crise des devises et la dévaluation de la livre égyptienne ? Le contexte est-il bon pour cela ?
M. Fouad YOUNES - Le Conseil franco-égyptien des affaires a été créé il y a onze ans par décret présidentiel. Il regroupe quarante hommes d'affaires - vingt Français, vingt Égyptiens - qui se réunissent régulièrement. Notre principal objectif est de soutenir et d'approfondir les relations économiques et les relations d'affaires entre l'Égypte et la France.
M. Arnaud FLEURY - Des banquiers, des avocats et des conseils permettent donc de faciliter les mises en relation d'affaires entre les deux pays, c'est bien cela ?
M. Fouad YOUNES - Exactement. Nous pouvons recommander aux PME qui veulent s'installer en Égypte des cabinets d'avocats, des experts fiscaux et les accompagner dans leur démarche pour établir leur société en Égypte.
Nous avons beaucoup aidé les sociétés déjà existantes, surtout durant la période 2012-2013, face à la pénurie d'énergie et de devises et face aux problèmes sociaux. Nous avons pu, grâce à notre réseau de décideurs, solutionner les problèmes.
M. Arnaud FLEURY - Le cadre vous semble-t-il aujourd'hui le bon ? Beaucoup de choses sont en train de se mettre en place. La loi sur les investissements attendue dans les prochaines semaines doit être perfectionnée. Quel message d'homme d'affaires voulez-vous faire passer concernant le cadre des investissements en Égypte aujourd'hui ?
M. Fouad YOUNES - Il n'a jamais été plus favorable aux investisseurs étrangers. Toutes ces réformes, ces nouvelles législations, comme le one-stop shop (guichet unique) ont changé le contexte de l'investissement étranger en Égypte cette année.
Sur le plan économique, l'Égypte est pour les investisseurs internationaux une destination très favorable. Elle offre les avantages d'un pays stratégiquement bien placé pour héberger les implantations industrielles françaises, qui pourraient tirer avantage d'un large marché national, et de se positionner pour exporter vers les pays du Moyen-Orient et d'Afrique.
M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers Mme Hanane Badra, présidente de Seb en Égypte. L'investissement de cette société est encore modeste, mais il est appelé à augmenter. Pouvez-vous nous parler de la stratégie de Seb à ce sujet et nous dire comment vous avez pu vous implanter en Égypte ? La question des licences industrielles est-elle une question compliquée, même pour Seb ?
Mme Hanane BADRA - Le groupe Seb s'est installé en Égypte fin 2012, dans une période difficile. L'objectif premier pour Seb était de s'installer sur le continent africain. Début 2013, on y a effectivement installé une première filiale. Le projet était de s'orienter vers le marché égyptien, mais également vers les pays du Moyen-Orient et d'Afrique, pour profiter des accords entre l'Égypte et les pays voisins.
L'attractivité et le potentiel de l'Égypte sont réels, le cadre existe, mais toutes les entreprises font malheureusement face quotidiennement à la bureaucratie et à la corruption. On évite de parler de ces sujets dans une réunion comme celle d'aujourd'hui, mais ils existent. Je vis en Égypte depuis quatre ans, et j'ai démarré seule ; mais la réalité est là, et on se demande parfois ce qu'on y fait.
M. Arnaud FLEURY - Les choses ne se débloquent-elles pas tout à coup, « à l'orientale » ? La preuve en est que vous êtes installée en Égypte et que vous produisez.
Mme Hanane BADRA - Oui, cela se développe, mais cela nécessite du temps. Le ministre disait qu'il faut quinze jours pour obtenir une licence : je suis prête à investir à mes frais pour faire la promotion de l'Égypte si la licence est obtenue en quinze jours !
Le guichet unique existait déjà il y a quatre ans, et j'ai pourtant mis plus d'un an et demi pour l'obtenir ! Il faut le dire aux entreprises qui sont ici.
M. Arnaud FLEURY - Êtes-vous aujourd'hui satisfaite de votre investissement ? J'imagine que Seb a l'intention de se développer encore plus en Égypte. Est-il possible d'exporter depuis l'Égypte en termes de normes, de réglementation, de qualité des produits, et de faire de l'Égypte une plate-forme pour se développer dans la région pour une entreprise comme Seb ?
Mme Hanane BADRA - Le projet n'a pas changé : on continue à investir, à se développer et à grandir en vue de monter en Égypte un hub (plateforme de développement) pour toute la région. On a commencé à exporter vers la Turquie.
Récemment, la Turquie a en effet pris des mesures draconiennes contre les produits venant de Chine, et a mis en place des droits de douane de 40 % pour les produits chinois. Le groupe Seb est implanté sur l'ensemble des continents. On a donc pu récupérer certains projets et produire localement en Égypte pour exporter vers la Turquie.
M. Arnaud FLEURY - On peut donc exporter depuis l'Égypte des produits aux normes ?
Mme Hanane BADRA - Peu importe l'endroit où se situe l'usine : nous avons exactement les mêmes normes en France, en Chine ou sur d'autres continents.
De la salle - Pourquoi avoir choisi l'Égypte pour exporter vers la Turquie ?
Mme Hanane BADRA - Au départ, ces produits étaient fabriqués en Chine.
De la salle - La Turquie n'applique pas de taxe aux produits qui viennent d'Égypte ?
Mme Hanane BADRA - Il existe en effet des accords entre l'Égypte et différents pays. La Turquie en fait partie. Pour donner un ordre d'idée, pour un produit venant de Chine, un distributeur local paierait 40 % de droits de douane, alors qu'un produit fabriqué en Égypte et exporté vers la Turquie est taxé à hauteur de 2,5 % à 5 %.
M. Arnaud FLEURY - M. Bruno Carré était encore récemment directeur général de Suez Cement en Égypte, propriété du groupe allemand Heidelberg, l'un des géants mondiaux du ciment. Il est aujourd'hui rentré pour superviser la zone depuis le siège, mais a passé de nombreuses années là-bas.
On est là dans l'industrie lourde. Elle a besoin de forts capitaux pour se développer. Que diriez-vous à propos de votre installation en Égypte ? Êtes-vous satisfait de votre investissement ? Quel message voudriez-vous faire passer à ce sujet ?
M. Bruno CARRÉ - Un investissement dans l'industrie lourde se mesure dans la durée, les capitaux n'étant pas rentabilisés avant quelques années.
Nous sommes en Égypte depuis le début des années 2000. Nous avons commencé par une prise de participation minoritaire, puis avons essentiellement procédé par acquisitions. À partir de 2005, nous disposions d'une majorité de contrôle dans différentes entreprises, dont d'anciennes entreprises d'État.
Nous avons été au coeur de la problématique des nationalisations, notamment pendant la période des Frères musulmans. Les choses se sont un peu calmées depuis, mais les procès sont toujours en cours.
Nous avons connu la première période de pré-crise, en 2010, avant la révolution, alors que le pays connaissait une très forte croissance et que le marché était très rentable. Un des éléments essentiels de notre prix de revient, l'énergie, était fortement subventionné. On bénéficiait donc d'une condition locale particulière.
Nous avons ensuite connu une période difficile jusqu'en 2015. Malgré les vicissitudes politiques, le marché, qui était très résilient, ne s'est pas effondré. C'est une caractéristique que l'on retrouve dans beaucoup de secteurs. Contrairement à d'autres pays qui ont connu les printemps arabes, les marchés égyptiens ne se sont jamais effondrés, à l'exception du tourisme - mais pour d'autres raisons.
L'économie égyptienne a fini par renaître dans une période récente. L'effet d'aubaine sur l'énergie a disparu. On est face à un environnement concurrentiel malgré tout compliqué.
Le marché continue cependant à être très attractif. Il a repris, après avoir stagné durant les périodes difficiles, avec un taux de croissance de l'ordre de 5 à 6 %, supérieur donc au PIB.
On l'a dit, les infrastructures sont fortement consommatrices de béton et de ciment, d'autant plus que l'Égypte possède peu de bois et pas de fabrication d'acier destinées aux structures. Quand on veut construire, il faut donc du béton, surtout si l'on veut aller assez haut. Pour un marché dont la population représente une fois et demie la France, la consommation de ciment est plus de trois fois celle de notre pays.
M. Arnaud FLEURY - Le BTP est donc aujourd'hui en plein essor, les matériaux de construction également, mais la concurrence est forte...
M. Bruno CARRÉ - C'est vrai dans tous les secteurs : matériaux, produits de seconde oeuvre. Certaines entreprises de construction égyptiennes sont assez fortes et actives au-delà de l'Égypte, jusque dans les pays du golfe Persique, voire en Europe. Les marges sont donc aujourd'hui tendues.
M. Arnaud FLEURY - On construit cependant beaucoup, qu'il s'agisse du public ou du privé.
M. Bruno CARRÉ - Absolument. La nouvelle capitale, qui est construite au milieu d'un désert, et qui ne se voit pas trop, est tout simplement un chantier pharaonique. Les choses vont extrêmement vite, comme pour le doublement du canal de Suez. J'espère toutefois que le résultat sera plus favorable pour la nouvelle capitale.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Fouad Younes, j'imagine que vous sensibilisez les entreprises françaises à la réalité de ces grands projets d'infrastructures...
M. Fouad YOUNES - À part la nouvelle capitale administrative, un projet de construction de 40 000 kilomètres d'autoroutes est en cours. Il est exécuté par des sociétés de génie civil privées égyptiennes et supervisé par les forces armées.
Je m'occupe surtout du traitement des eaux pour Degrémont et Suez. On continue à voir des projets fortement soutenus par l'Union européenne, l'AFD et d'autres bailleurs de fonds en matière de dessalement et de traitement des eaux résiduelles.
Nous étudions, avec la chambre de commerce et d'industrie française en Égypte, la Fédération des industries égyptiennes et le gouvernorat d'Alexandrie, un projet pour la création d'une zone industrielle française à Alexandrie, qui s'étendrait sur une superficie d'une dizaine d'hectares.
Le gouvernorat et la Fédération des industries égyptiennes seraient responsables de la préparation de cette zone sur le plan des infrastructures - énergie, électricité, eau, eaux résiduelles, déchets industriels - ainsi que de la construction de bâtiments de deux étages en béton, et de leur location à des sociétés françaises, qui pourraient obtenir leur licence rapidement.
M. Arnaud FLEURY - Le message est passé !
Madame Badra, Monsieur Khodara avez-vous le sentiment que la dévaluation a été une bonne chose et qu'on a aujourd'hui changé de paradigme ? L'Égypte a-t-elle retrouvé sa compétitivité ?
Mme Hanane BADRA - Oui et non, c'est là tout le paradoxe !
D'une manière générale, un ouvrier payé 120 euros auparavant touche aujourd'hui, avec la dévaluation, entre 65 euros et 70 euros. Si on ne considère que ce facteur, la compétitivité est donc réelle, mais il nous faudrait aussi des fournisseurs locaux disponibles. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui, puisqu'on est obligé d'importer la majorité de nos composants en dollars. L'effet de la dévaluation n'est donc pas si positif pour l'ensemble des produits.
M. Arnaud FLEURY - Accédez-vous aujourd'hui au dollar ?
Mme Hanane BADRA - On y a accès, pas forcément autant qu'on le souhaiterait mais, par rapport à il y a quelques mois, les choses s'améliorent.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Khodara, vos clients sont-ils rassurés par l'accès aux devises et par le fait de pouvoir rapatrier leurs dividendes ?
M. Jean-Jérôme KHODARA - Cela a effectivement contribué un certain optimisme.
Comme le disait Mme Badra, on a connu à la fois des effets positifs et des effets négatifs. Le fait que la livre égyptienne ait été sous-évaluée durant toute une période a rendu beaucoup d'actifs égyptiens très attractifs, les valorisations étant inférieures aux valeurs de marché. Cela a généré de nombreuses acquisitions, surtout de la part de fonds d'investissement, etc.
Les investisseurs stratégiques ou industriels, comme Seb, par exemple, sont demeurés attentistes, personne ne voulant investir d'argent sans possibilité de rapatriement.
Si on avait tenu cette conférence en octobre, on aurait dû constater qu'il était impossible de rapatrier des dividendes d'Égypte vers la France. Aujourd'hui, si c'est encore problématique, la situation se résorbe néanmoins.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Carré, Heidelberg souhaite-t-elle investir à nouveau de manière importante en Égypte ?
M. Bruno CARRÉ - La réponse n'est pas tout à fait affirmative, notre capacité d'instillation étant largement excédentaire.
Nous projetons d'utiliser l'Égypte comme base d'exportations vers l'Afrique de l'Est et les pays du golfe Persique, ce qui n'était pas le cas lorsque la valeur de la devise égyptienne était trop importante, sachant que les pays du golfe Persique sont tous en surcapacité de production, tout comme la Turquie. Nous avons toutefois la possibilité de nous battre sur les marchés d'Afrique de l'Est.
M. Arnaud FLEURY - L'armée est très puissante en Égypte et a de grands intérêts économiques. Comment négocie-t-on avec elle quand on s'implante en Égypte ?
M. Jean-Jérôme KHODARA - On ne négocie pas !
M. Arnaud FLEURY - Que faut-il savoir par rapport à l'armée en tant qu'acteur économique en Égypte ?
M. Bruno CARRÉ - C'est un acteur important et incontournable, surtout en matière de projets d'infrastructures. C'est plus le levier du président que du gouvernement. Cela a été le cas pour le canal de Suez, et c'est le cas de la nouvelle capitale administrative, ainsi que pour les autoroutes.
On ne traite surtout par avec l'armée, mais avec les entreprises égyptiennes qui sont contractantes de premier rang de l'armée. Il faut se placer en deuxième rideau, les contractants de premier rang ayant en général besoin de nos compétences, de notre force de frappe, et de nos capacités pour suivre les demandes relativement massives et urgentes de l'armée.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Younes, y a-t-il des choses à savoir sur l'armée ?
M. Fouad YOUNES - Avec l'armée, tout se fait par négociation directe plutôt que par adjudication, comme pour les grands projets d'infrastructures.
M. Arnaud FLEURY - Quelles sont les relations avec l'administration ? On parle toujours, en Orient, d'un temps différent, d'une approche différente ? Constatez-vous une professionnalisation de l'administration, comme on le dit souvent ? Quels conseils pouvez-vous donner en matière de relations avec l'administration ?
Mme Hanane BADRA - Je pense que l'administration égyptienne correspond à ce que l'on avait il y a cinquante ans ou soixante ans en France. Elle fait preuve d'une certaine lourdeur.
On doit cependant mettre l'accent sur la volonté des autorités égyptiennes - gouvernement et président - d'avancer. Il y a un fossé entre l'administration et la volonté d'avancer du gouvernement. Il faut du temps.
M. Arnaud FLEURY - Le fait qu'on soit aujourd'hui dans des procédures de notification plutôt que d'approbation devrait faciliter les choses et améliorer les relations avec l'administration.
M. Jean-Jérôme KHODARA - La bureaucratie est très contraignante.
La haute fonction publique égyptienne est d'un niveau impressionnant ; elle est remarquable. Tous les textes dont on a parlé vont dans la bonne direction et sont généralement bien faits, mais il existe un décalage entre l'annonce, la promulgation et la mise en pratique, le temps que l'administration de niveau intermédiaire se mette en marche.
Mme Badra a attendu un an et demi pour obtenir une licence. Cela me paraît particulièrement long mais, en 2012-2013, aucune licence n'était délivrée.
Mme Hanane BADRA - Ce sont nos avocats !
M. Jean-Jérôme KHODARA - C'est effectivement long, mais il existe de véritables blocages dans certains pays de la zone. En Égypte, cela peut être plus long que prévu, mais on y arrive généralement.
Mme Hanane BADRA - Le gouvernement a mis en place un enregistrement des entreprises et des usines. Pour les entreprises françaises, c'est plutôt un avantage, puisque cela va réduire les importations de Chine.
On a suivi la procédure d'enregistrement. Aujourd'hui, dédouaner un conteneur nécessite entre un mois et un mois et demi. Les douanes demandent que l'on passe des tests de normes internationales, alors que le rapport a déjà été remis. Il faut retourner à l'aéroport du Caire, même si l'on a déjà importé les mêmes produits de la même usine. Quand on le leur fait remarquer, les douanes nous répondent qu'il s'agissait d'une erreur : on perd ainsi trois semaines !
M. Bruno CARRÉ - Il faut aussi regarder la réalité en face : les caisses étaient vides. Le gouvernement a donné des instructions non officielles très claires à l'ensemble de l'administration des douanes pour lui demander d'éviter de dépenser des devises. Certains blocages administratifs ont été fortement motivés par cette demande. Les chiffres le montrent : ils ont été assez efficaces dans ce domaine.
Les entreprises ont souffert. Nous n'avons pas pu faire venir certaines pièces détachées et avons été obligés de reporter des maintenances planifiées depuis six mois. Ceci a été assez désastreux en termes de fonctionnement.
Néanmoins, on a évité l'embolie complète de l'économie du pays. Si les entreprises souffrent en termes microéconomiques, la bonne décision a été prise en matière macroéconomique. Il faut bien reconnaître que les autorités n'avaient pas le choix et étaient obligées de fermer les barrières.
M. Arnaud FLEURY - Les zones franches sont-elles un vrai plus ? Faut-il les avoir en tête quand on décide d'investir en Égypte ? Je crois qu'il en existe neuf, et que la volonté est d'aller plus loin. Est-ce un véritable avantage lorsqu'on est dans une logique d'exportation ?
Mme Hanane BADRA - C'est bien sûr un réel avantage pour développer l'exportation depuis l'Égypte.
M. Arnaud FLEURY - Le cadre des zones franches vous paraît-il le bon ?
Mme Hanane BADRA - Bien sûr.
M. Jean-Jérôme KHODARA - Je le confirme. Le sujet a prêté à polémique, car il existait deux types de zones franches, les unes publiques, les autres privées. La réforme de 2015 a mis fin aux zones franches privées. Le système fonctionne bien, et les avantages sont considérables, puisqu'on bénéficie d'une quasi-exonération de l'impôt sur les bénéfices.
M. Arnaud FLEURY - Avez-vous l'impression que l'Égypte peut jouer le rôle de plate-forme ?
On a fait il y a un mois un colloque sur le Maroc, qui constitue un hub entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe de l'Ouest. Peut-on selon vous dupliquer ce modèle pour faire de l'Égypte une plate-forme entre l'Afrique de l'Est, la Turquie, les Balkans, et le Proche-Orient, voire au-delà ?
M. Bruno CARRÉ - Je suis également responsable du Maroc. Je puis donc faire la comparaison - au moins dans les secteurs qui m'intéressent. Je pense que l'Égypte a vocation à devenir une puissance économique très active en Afrique de l'Est. Quelques différences existent cependant : pour une entreprise française, il est quand même plus simple de travailler au Maroc pour des raisons évidentes. Il faut aussi reconnaître que les Marocains ont eux-mêmes envoyé davantage de personnels dans les pays d'Afrique de l'Ouest que ne l'ont fait les Égyptiens.
M. Arnaud FLEURY - Cela va venir. Le potentiel existe-t-il ?
M. Bruno CARRÉ - Oui, il existe une volonté de faire. Il faut mettre les choses en oeuvre, mais la vocation est légitime.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Younes, confirmez-vous que l'Égypte peut avoir sa place en tant que hub régional ?
M. Fouad YOUNES - Absolument. Il existe un énorme projet du secteur privé destiné à encourager les investisseurs étrangers à établir leurs usines en Égypte. Les conditions sont favorables, et on peut utiliser le pays comme plate-forme vers les pays d'Afrique de l'Est et du Sud.
Deux autres associations de libre-échange africaines sont en train de se joindre au Comesa.
M. Arnaud FLEURY - On a pu croire à une époque que les investissements étrangers pourraient être menacés par les visées islamistes. Est-ce encore le cas aujourd'hui ou les choses sont-elles stabilisées ?
M. Bruno CARRÉ - On a tous été sensibilisés à ce sujet. Toutes les entreprises ont pris des mesures pour protéger les sites. Nous n'avons jamais été menacés directement. Seule Orange a eu des problèmes, mais Orange était historiquement liée à un homme politique et homme d'affaires éminent, et l'on se demande qui était visé. Quelques actes ont bien eu lieu, mais rien de très important.
Autre paramètre important : le benchmark (indice de référence) international est en train d'évoluer. On se sent bien plus en sécurité au Caire que dans le métro parisien !
Mme Hanane BADRA - On ne rencontre aucun problème de sécurité en Égypte. On se sent autant en sécurité en Égypte qu'à Paris. Il faut le répéter : il n'y a là-bas aucun problème de sécurité !
M. Fouad YOUNES - Non, aucun problème. L'usine de Vicat, une cimenterie située dans le Nord du Sinaï, qui a toujours été une zone dangereuse, continue à tourner normalement. C'est la seule zone où il y a encore du grabuge.
M. Jean-Jérôme KHODARA - Je suis d'accord.
M. Arnaud FLEURY - La parole est à la salle...
M. Jean-François TALLEC - Nous rencontrons deux types de difficultés en Égypte. La première concerne évidemment le rapatriement des fonds. M. Khodara nous a donné quelques éléments de réponse. Nous avons bien compris la difficulté due au manque de devises. J'ai compris qu'il y avait quelques frémissements positifs mais, pour autant, a-t-on une idée du moment où il sera possible de rapatrier des fonds plus librement ?
La seconde difficulté a également été évoquée par M. Khodara. Nous investissions en Égypte dans l'activité d'agent maritime, mais nous souhaitons le faire à 100 %, afin d'être beaucoup plus actifs dans notre développement. Or, cela ne semble pas possible aujourd'hui. Pensez-vous que des évolutions sont en train de se faire ? Vous avez parlé de l'ouverture à 100 % aux investissements étrangers, mis à part quelques secteurs particuliers : avez-vous des précisions sur ce point ?
M. Jean-Jérôme KHODARA - Je commencerai par répondre à la seconde question, qui est plus juridique. En effet, sur un plan réglementaire, l'activité d'agent maritime est limitée aux sociétés détenues au moins à 51 % par les actionnaires égyptiens. Pour compliquer les choses, depuis maintenant deux ans et demi à trois ans, même avec 51 %, il n'est pas évident d'obtenir une licence.
Je ne suis pas au courant d'une ouverture de ce secteur à un actionnariat étranger complet. Nous avons plusieurs clients dans ce domaine. On peut mettre en place certaines formes d'arrangements qui permettent, sans avoir forcément un actionnariat direct à 100 %, de tirer néanmoins totalement bénéfice des opérations.
Quant aux devises, je n'en sais rien. Ce n'est pas une question juridique. Sur le plan juridique, il n'existe pas vraiment de problématique. HSBC pourra vous en dire plus à ce sujet. Aucun de mes clients ne me dit qu'il a aujourd'hui remonté tous ses dividendes, mais certains commencent à avoir un accès.
Ainsi que l'a démontré M. Baconin dans sa présentation, la livre égyptienne est en train de se renforcer par rapport aux devises étrangères. Une des raisons pour lesquelles il existe peu de rapatriements ces dernières semaines vient du fait que les gens attendent que la livre égyptienne se soit renforcée le plus possible avant d'acheter la devise. Je suis optimiste, mais je n'ai pas de calendrier à vous proposer.
M. Hassouna HASSIB - Je suis directeur d'une filiale du groupe CA-CIB, actionnaire de l'Union des banques arabes et françaises (UBAF). Je travaille en Égypte pour le groupe CA-CIB depuis vingt-et-un ans, et depuis treize ans avec l'UBAF, qui finance le commerce entre l'Union européenne, le monde arabe et l'Asie.
Notre chiffre d'affaires en Égypte s'est élevé à 2 milliards d'euros en 2016, dont une grande partie grâce aux produits liés au pétrole. Nous finançons les banques et, dans certains cas, directement les clients.
En janvier 2011, la banque a décidé de ne pas geler les seuils. À l'époque, nous avions pris appui sur les très fortes réserves de l'Égypte. Même depuis leur épuisement, nous n'avons pas connu de retards de paiement.
M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il aujourd'hui ?
M. Hassouna HASSIB - C'est encore mieux !
En ce qui concerne le rapatriement des dividendes, comme M. Carré l'a expliqué, les gouvernements doivent établir des priorités, notamment en matière d'industrie et de normes sociales.
Troisièmement, après le flottement de la livre égyptienne en novembre, le taux de change a subi une correction. Les entreprises ont investi, car elles savaient que la devise n'était pas la bonne valeur.
Pour en revenir aux questions de règlement, nous avons connu une chute de 30 % depuis deux semaines. Ceci est avantageux pour les entreprises, qui ont pu réduire leurs pertes.
M. Arnaud FLEURY - C'est un bon témoignage d'un financier sur la problématique du contrôle des changes...
De la salle - L'Égypte est un pays très procédurier, où les choses se font doucement. Les lenteurs administratives assurent la protection de l'État et on doit parfois les affronter, mais ce n'est pas une si mauvaise chose. Pendant la période des Frères musulmans, cela a permis de continuer à appliquer les procédures.
On ignore souvent que la population égyptienne augmente tous les deux ans de 5 millions d'habitants, soit la totalité de la population de la Norvège. Or, ce pays est géré de façon assez exceptionnelle et offre même le pain. Nous accueillons également un million à un million et demi de réfugiés, qui fuient des conflits dans lesquels nous ne sommes pour rien.
Il ne faut donc pas oublier ces points et le fait que nous nourrissons la population, malgré une croissance exceptionnelle.
M. Arnaud FLEURY - La priorité reste en effet d'assurer la croissance raisonnable de la population égyptienne...
Mme Marie-Estelle REY, Organisation de coopération et de développement économiques ( OCDE) - Ma question concerne la loi sur l'investissement, dont on nous annonce qu'elle va être approuvée dans les prochaines semaines. Toutefois, un remaniement ministériel a eu lieu en Égypte la semaine dernière. La ministre de l'investissement a changé. C'est maintenant Mme Sahar Nasr qui est chargée de l'investissement et de la coopération internationale. Cela va-t-il affecter le passage de cette loi ?
Par ailleurs, le Conseil d'État a retoqué un certain nombre de points de la loi, notamment concernant les incitations, qui constituaient l'un des « fondamentaux » de la révision. Cette instabilité juridique et institutionnelle traduit-elle une certaine divergence en termes de stratégie de l'investissement ?
M. Arnaud FLEURY - Qu'en pensez-vous Monsieur Khodara ?
M. Jean-Jérôme KHODARA - Je ne sais pas. Le remaniement date de deux ou trois jours. Le ministère de l'investissement a en effet fusionné avec celui de la coopération internationale.
Je suppose que la période de prise en main va entraîner quelques jours à quelques semaines de retard. La procédure d'adoption était parvenue à l'étape finale. La loi avait été revue par le Conseil d'État, qui avait retoqué quelques articles, mais rien de majeur.
On est à présent devant le parlement. En principe, le changement de ministre ne devrait pas entraîner de report, mais il y aura probablement une demande de remise à plat du projet de la part de la nouvelle ministre.
M. Arnaud FLEURY - Comment la direction générale du Trésor voit-elle les choses ?
M. Jérôme BACONIN - Je pense que la nouvelle ministre est devenue « l'homme fort » du gouvernement, si je puis me permettre l'expression.
Elle a maintenant un poids encore plus important que par le passé. Si je ne me trompe pas, elle est proche du président de la République. On se trouve donc dans une constellation plutôt favorable, qui sous-entend le maintien de cette ligne pour favoriser la venue d'investisseurs.
Beaucoup d'entreprises, après la réforme qui a été engagée, sont venues me voir pour me dire qu'elles craignaient que les choses ne se compliquent.
Un certain nombre avait déjà l'idée d'investir. Quelques-unes, qui produisaient des biens de faible valeur ajoutée dont le prix a quasiment doublé du jour au lendemain, ont dû réfléchir à un nouveau business plan , et ont décidé de constituer des joint-ventures (entreprise commune) avec des partenaires égyptiens pour fabriquer en Égypte des produits qu'ils n'auraient pu continuer à exporter du fait du prix, l'idée étant de le faire après avoir satisfait le marché égyptien.
On le voit dans beaucoup de domaines, même pour des biens de grande consommation, où la marge est relativement faible. Il est à présent plus intéressant dans certains cas de trouver un partenaire égyptien pour produire en Égypte que d'exporter cette catégorie de produits.
M. Arnaud FLEURY - D'une façon générale, il existe donc des partenaires en Égypte et une classe d'affaires importante qui peuvent s'associer à des capitaux français...
Mme Hanane BADRA - Il y a en Égypte d'excellents hommes d'affaires et de belles entreprises d'un niveau international équivalent à de grands groupes mondiaux.
M. Arnaud FLEURY - Il existe également des dynasties de conglomérats...
Mme Hanane BADRA - Bien sûr, et ils font preuve d'un professionnalisme de haut niveau.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Carré, êtes-vous à 100 % ?
M. Bruno CARRÉ - Non, car nous sommes un opérateur industriel.
Je conseille aux entreprises françaises qui souhaiteraient s'implanter en Égypte d'utiliser si possible le toll manufacturing, (participation à la fabrication d'un produit) en priorité, à une réserve près : si vous possédez un brevet, l'Égypte n'est pas le pays le plus simple pour le défendre. La propriété industrielle y est difficile à faire respecter.
Ce cas mis à part, on trouve d'excellents cotraitants, qui peuvent permettre d'entrer dans un marché complexe, en gérant tout l'aspect industriel sans avoir à y investir soi-même son énergie et son talent.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Younes, il existe des dynasties de conglomérats dans tous les domaines. On pense à Orascom, dans les télécommunications, qui a vendu à Orange ou à Lafarge, par exemple.
M. Fouad YOUNES - Absolument. Ils travaillent de manière efficace.
On a beaucoup discuté des problèmes de l'administration égyptienne. Je dirai que pour les contourner, il faut disposer d'un agent commercial efficace.
Mme Marie BISHARA , créatrice de mode, vice-présidente d'un groupe de textile égyptien - L'importation de fournitures sans passer par la douane ordinaire est possible si le produit fini est ensuite réexporté.
J'exporte personnellement vers l'Europe et les États-Unis. Nous ne payons aucune taxe sur les importations destinées à la fabrication des produits que l'on exporte. On peut tout dédouaner en quarante-huit heures.
À ce sujet, la ville nouvelle du 10-Ramadan est une zone industrielle où existent des terrains dont l'infrastructure est déjà organisée pour accueillir les PME.
M. Arnaud FLEURY - Où cela se situe-t-il ?
Mme Marie BISHARA - Sur la route d'Ismaïlia, à 40 kilomètres du Caire.
Mme Hanane BADRA - On s'est déjà rencontrées à la conférence de Charm el-Cheikh. Le dédouanement temporaire avant réexportation existe et on le pratique, mais les démarches sont compliquées.
M. Arnaud FLEURY - Rendez-vous est pris !