II. ETHIOPIE (13-16 OCTOBRE 2015)

A. RÉUNION AVEC L'AMBASSADE DE FRANCE À ADDIS-ABEBA (13 OCTOBRE 2015)

D'un point de vue général, la politique éthiopienne se caractérise par une grande continuité confirmée par les élections législatives de mai 2015. Le Premier ministre, M. Haïle Mariam Dessalegn, a vu son autorité confortée par le résultat des élections qu'il a remportées et qui lui donne la perspective d'un mandat complet de cinq ans avec une chambre dont la totalité des élus appartient à la coalition majoritaire. Il avait en effet pris la succession de M. Meles Zenawi, décédé en août 2012 et dont il avait terminé le mandat. Il dispose donc d'un mandat complet pour mener à bien la politique de développement qui constitue la priorité absolue des autorités éthiopiennes.

En matière économique, le taux de croissance avoisine les 8 % annuels. Et, même si l'environnement des affaires est toujours difficile, on constate une augmentation des échanges entre la France et l'Éthiopie.

Les échanges commerciaux franco-éthiopiens ont atteint le montant record de 276,5 M EUR en 2015. Les exportations françaises vers l'Éthiopie ont progressé de 128,9 % par rapport à l'année précédente, pour s'établir à 228,1 millions d'euros, soit le niveau le plus élevé enregistré au cours des vingt dernières années Ces bonnes performances se traduisent par une légère augmentation de notre part de marché qui, avec 1,1 %, reste néanmoins modeste dans ce marché dominé par la Chine (37,3 %).

On recense 32 implantations françaises à la fin de l'année 2015, contre 28 à la fin de 2014, ce qui traduit l'intérêt grandissant des sociétés françaises pour l'Éthiopie. Les investissements français sont très concentrés (Total et BGI-Castel). Ces filiales et bureaux de projets emploient près de 3 000 personnes.

Source : DG Trésor

L'Éthiopie apprécie les investissements directs sur son sol. C'est un pays où la corruption est limitée. Le Gouvernement procède par ailleurs à une bonne utilisation de l'aide internationale, ce qui n'empêche pas l'Éthiopie d'appartenir toujours au groupe des pays les moins avancés (PMA) et d'occuper la 173 e place sur l'indice de développement du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

En matière économique, la trajectoire voulue par le Gouvernement est remarquable et les réalisations au rendez-vous. ( voir Annexe 1 )

Toutefois, le pays fait face à une grave sécheresse qui a eu un impact particulièrement important en 2015 du fait des dérèglements climatiques (El Niño). C'est tout l'Est du pays qui a été touché. Après les élections, le Gouvernement a commencé à prendre les choses en main. Les organisations internationales sont conscientes du problème et on estime à 15 millions le nombre d'habitants en difficulté alimentaire. Le pays devra faire face à un grave problème de soudure alimentaire. Le Gouvernement a pris conscience de la gravité de la crise et mobilise désormais efficacement la communauté internationale. ( voir Annexe 2 )

Si une dynamique de résilience se met en place, le contraste n'en demeure pas moins fort entre les succès économiques indéniables et une grande vulnérabilité aux changements climatiques, qui fait de l'Éthiopie un pionnier en matière de lutte contre les dérèglements du climat. L'Éthiopie, très active, a soutenu la France pour la réussite de la COP21.

Le plan de développement quinquennal prévoit de mettre 13 % des terres arables en culture, alors que seuls 4 % le sont actuellement.

Parmi les avancées très positives, on peut citer les politiques en faveur de la santé publique, le développement social, secteur dans lequel tous les indicateurs sont au vert (baisse de la mortalité infantile, baisse de la prévalence du VIH, etc.).

Les relations politiques sont bonnes et l'Éthiopie est un partenaire important de la Conférence climat prévue à Paris en décembre 2015. Seul nuage dans la relation bilatérale, la question de l'obtention pour Ethiopian Airlines d'une rotation quotidienne entre Paris et Addis-Abeba.

L'Éthiopie est un pôle de stabilité régionale et joue un rôle diplomatique important, en particulier au Soudan du Sud, ainsi qu'un rôle militaire central en Somalie dans la lutte contre le terrorisme Shabaab.

Le Gouvernement lutte contre le terrorisme avec détermination et l'absence d'attentats sur le sol éthiopien jusqu'ici est le signe de l'efficacité des services en matière de prévention. Le Gouvernement est persuadé que la sécurité du pays se joue en dehors de ses frontières, ce qui explique la très forte intervention en Somalie (4 400 hommes dans le cadre de l'AMISOM et 1 000 à 4 000 hommes sous bannière nationale) et les actions de prévention par le contrôle des frontières. L'Éthiopie est le principal contributeur de troupes pour les opérations de maintien de la paix. Elle est particulièrement impliquée dans la résolution du conflit, outre en Somalie, au Soudan du Sud et au Soudan.

S'agissant des mouvements rebelles intérieurs, leur activité est de très basse intensité et le Gouvernement a développé une politique de la main tendue en parallèle d'un emploi résolu de la force.

L'Éthiopie attache une grande importance à la stabilité de Djibouti, dont le port est la voie de sortie maritime du pays. Dans ce contexte, la présence militaire française constitue une assurance forte de stabilité. Les responsables politiques sont conscients de l'influence et de la montée en puissance du radicalisme musulman. Les deux gouvernements entretiennent une relation excellente et poursuivent l'intégration économique des deux pays.

S'agissant du conflit latent avec l'Érythrée, le Gouvernement éthiopien vient d'avoir un important succès en ayant convaincu au retour plus de 1 000 hommes de la rébellion tigréenne basée en Érythrée et de leurs armements. Leur retour en territoire éthiopien s'est effectué en combattant contre les forces érythréennes qui leur barraient la route. Le ralliement de ce chef rebelle emblématique ne manquera pas d'avoir un certain impact sur l'Érythrée dont il consolidait le régime et participait à sa sécurité.

La présence des Émirats arabes unis (EAU) en Érythrée constitue un irritant important pour Djibouti. L'Érythrée joue un rôle tactique et opportuniste mais constitue à terme un partenaire fiable pour les EAU qui y ont installé une base de soutien pour leurs opérations au Yémen. Ces opérations n'entraînent pas pour autant un soutien au régime érythréen. Les observateurs ont conscience que le régime d'Asmara est en train de s'effondrer peu à peu. L'objectif poursuivi par le Gouvernement éthiopien est que la communauté internationale maintienne la pression sur l'Érythrée.

En ce qui concerne le barrage « Grande Renaissance » sur le Nil bleu, la relation s'est apaisée avec l'Égypte bien que les déclarations de celle-ci sur les dangers du projet persistent. Le Président égyptien, le maréchal Sissi, est venu en Éthiopie en visite officielle au mois de mars 2015. Les travaux se poursuivent et l'ouvrage est réalisé aujourd'hui à 40 ou 50 %. Toutefois, les études d'impact (sécurité, environnement) demandées par l'Égypte, qui constituaient une des contreparties de l'apaisement des tensions, n'ont toujours pas été réalisées. Une société française, BRL, devrait les conduire. Fin décembre 2015, une deuxième société française, Artelia, a été chargée d'y participer. Cette absence de réalisation constitue donc un irritant important entre les deux pays et pourrait amener à de nouvelles tensions.

La relation militaire entre la France et l'Éthiopie est bonne. La France est un partenaire stratégique, bien que de second rang, qui vient après les États-Unis, la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne, pays qui sont financièrement plus présents et qui apportent un appui bilatéral important, en particulier les États-Unis pour les opérations en Somalie. Ainsi, la relation de défense entre la France et l'Éthiopie gagnerait à être développée.

L'Éthiopie achète des équipements militaires à la Russie, aux pays de l'Est et, plus récemment, à la Chine, tout en développant sa propre industrie d'armement. La France se positionne sur des marchés de niches tels que les parachutes ou les matériels de franchissement de rivières. Thalès vend également, et régulièrement depuis plusieurs années, des équipements de télécommunications. Toutefois, le Gouvernement a clairement fait le choix de donner la priorité au développement plutôt qu'à la défense.

L'économie éthiopienne est soutenue par une croissance démographique importante. Le plan quinquennal en cours de préparation table sur une prévision de croissance de 10 à 11 % par an. Il convient toutefois de noter que le FMI a revu ses prévisions à la baisse, à 7 %. L'inflation est contenue.

En dépit de ces atouts, l'économie éthiopienne présente plusieurs fragilités :


• une faible présence du secteur privé. L'investissement est principalement public, ce qui se traduit par un endettement important. Ainsi serait-il utile d'ouvrir au secteur privé local ou étranger la possibilité de contribuer également à l'investissement. Or, le plan quinquennal (GTP2) n'envisage qu'une ouverture très prudente et très progressive ;


• les exportations, en chute conjoncturelle en 2015, pâtissent de leur focalisation sur le café et les produits agricoles ;


• les conditions acquises pour les investissements sont complexes et la réactivation de la candidature à l'OMC a été mise en sommeil en raison de la volonté de l'Union européenne de voir libéralisés certains secteurs clés de l'économie tels que les télécommunications, la banque ou les transports.

Depuis 2011, l'Agence française de développement (AFD) a vu son volume d'engagement augmenter de manière significative. Toutefois la décision récente du FMI de dégrader la note de l'Éthiopie de « risque faible » à « risque modéré » va entraîner un arrêt du financement à l'État éthiopien en application de la doctrine « Lagarde ». La France serait le seul pays à ne plus autoriser de prêts même si la Banque africaine de développement et la Banque mondiale réduisent leurs plafonds, ce qui serait fâcheux.


La doctrine « Lagarde »

L'AFD s'appuie sur différents standards internationaux pour déterminer ses capacités d'intervention en prêts souverains dans les PMA, doctrine Lagarde et Cadre de viabilité de la dette (CVD) notamment. Le CVD est un outil de coordination entre les bailleurs permettant d'arrêter de prêter à un pays dont la dette franchit les seuils de viabilité. Dans ce cadre, l'AFD ne prête qu'en cas de risque faible. Dans le cas d'un pays qui passerait d'un risque faible à un risque modéré, l'agence ne peut continuer à prêter que pendant une période limitée à six mois. Lorsqu'il y a un risque élevé, l'AFD n'est pas autorisée à prêter.

Source AFD : http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/RSE/rapport%20RSO%20groupe%20AFD%202014.pdf

L'AFD a une coopération ancienne à Addis-Abeba dans le secteur de l'eau et dans celui de la mobilité urbaine. Elle a notamment financé la première ligne pilote de bus rapide (BRT). Or, il existe une demande pour une seconde ligne, avec la perspective de huit lignes à construire. Dans le cas d'une application stricte de la doctrine Lagarde, les investissements seraient irréalisables.

La France est également présente dans le secteur de la gestion des déchets, avec notamment un projet de construction d'un nouveau centre d'enfouissement réalisé par Vinci pour un montant de 13 millions d'euros. Il existe également un projet de relocalisation des abattoirs qui portera sur 70 millions d'euros pour lequel la décision sera prise au mois d'avril 2016. En matière d'aménagement urbain, le jumelage de la ville d'Addis-Abeba avec le Grand Lyon devrait être mis à profit. En matière de gestion de l'eau, Suez se positionne sur les eaux « non comptabilisées » c'est-à-dire sur les pertes des réseaux d'adduction.

Afin de dynamiser les relations commerciales entre la France et l'Éthiopie et d'accroître la présence française, la délégation sénatoriale préconise une application moins stricte de la doctrine Lagarde. Il s'agit de contenir la progression de l'implantation chinoise, ce pays envisageant le passage à des endettements non concessionnels. Il suffirait de contrôler la façon dont sont utilisés les prêts consentis et de ne pas appliquer une doctrine trop rigide lorsque ces prêts servent à des projets structurants, générateurs de croissance comme dans l'éducation, les infrastructures ou le social, par exemple.

Un marché important sera celui du tramway d'Addis-Abeba. L'entretien avec le maire de la capitale a permis d'évoquer cette question et de l'inviter à participer au forum des mobilités urbaines qui s'est tenu à Paris le 28 octobre 2015. Le GTP2 contient d'importants projets en matière de transport.

De manière générale, la question du financement des projets d'infrastructures est très importante pour l'Éthiopie, ce qui explique les succès chinois jusqu'à présent.

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