II - L'APPRENTISSAGE, UNE ÉTAPE DANS LA RÉ-INDUSTRIALISATION DE L'EUROPE
Table ronde animée par Mme Myriam LEVAIN, journaliste
Ont participé à cette table ronde :
M. Peter MITTERBAUER, PDG de MIBA AG
M. Dieter SIEGEL, PDG de Rosenbauer AG
M. Maurice CROPPI, Directeur de la Formation de Michelin
M. Patrice GUÉZOU, Directeur Formation et Compétences de CCI France
M. Michel GUISEMBERT, Président de WorldSkills
Mme Renate RÖMER, envoyée spéciale de la Chambre économique fédérale de l'Autriche pour EuroSkills et WorldSkills
Mme Myriam LEVAIN . - Nous accueillons Madame Renate Römer. Vous êtes l'envoyée spéciale de la Chambre économique fédérale de l'Autriche pour EuroSkills et WorldSkills. L'Autriche a remporté la dernière édition des EuroSkills, qui se sont déroulés à Lille au mois d'octobre dernier. Vous nous en parlerez.
Monsieur Peter Mitterbauer, vous êtes le PDF de MIBA AG, l'une des plus importantes entreprises autrichiennes, spécialisée dans la conception et la production de composants à propulsion innovants. Votre groupe est familier de l'apprentissage, puisqu'un salarié sur quatre dans votre entreprise a commencé sa carrière en tant qu'apprenti.
Monsieur Dieter Siegel, vous êtes également le PDG d'une très grande entreprise autrichienne, Rosenbauer International, qui construit des fourgons d'incendie et des équipements de protection individuelle. Dans votre entreprise, l'apprentissage est une filière classique d'entrée dans l'entreprise.
Monsieur Patrice Guézou, vous êtes le directeur Formation et Compétences de CCI France. Auparavant, vous avez notamment été conseiller technique au cabinet du ministre délégué à la formation professionnelle et à l'apprentissage et vous êtes membre suppléant du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP).
Monsieur Maurice Croppi, vous êtes directeur de la formation de Michelin, qui compte plusieurs centaines de jeunes en alternance. En dehors de vos activités pour le groupe Michelin, vous siégez dans plusieurs instances de formation professionnelle.
Monsieur Michel Guisembert, vous êtes le président du réseau WorldSkills, qui est très engagé pour la promotion de l'apprentissage et de l'alternance, la mobilité et la jeunesse des métiers. Tous les deux ans sont organisées à travers le monde des Olympiades des Métiers, dont vous nous parlerez.
Au cours de cette table ronde, nous allons analyser de quelle manière l'apprentissage peut devenir une porte d'entrée vers le marché de l'emploi et un facteur de dynamisme de l'économie.
Monsieur Mitterbauer, pourquoi les entreprises autrichiennes ont-elles tout intérêt à miser sur l'apprentissage ?
M. Peter MITTERBAUER. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce colloque. Tout d'abord, je mentionnerai quelques chiffres concernant notre entreprise. Nous sommes équipementiers dans le secteur de l'automobile et proposons des composants de propulsion innovants. Nos salariés se répartissent sur 20 sites dans le monde. Nous essayons d'être leader sur le plan technologique pour offrir les meilleurs produits à nos clients. Cette volonté est attachée à celle de créer des produits à forte valeur ajoutée.
Nous accueillons des apprentis depuis longtemps. En 1927, mon grand-père, lui-même apprenti serrurier, a repris l'atelier de son maître à l'âge de 21 ans. Après la Seconde Guerre mondiale, il a transformé cet atelier de serrurerie pour fournir des pièces détachées qui n'étaient plus disponibles sur le marché international. Nous sommes devenus numéro 1, car mon grand-père a pressenti la volonté du marché et la nécessité de développer l'apprentissage pour recruter des salariés qualifiés. Nous accueillons actuellement 200 jeunes en formation, dont 120 en apprentissage en Autriche et 80 en Slovaquie. Un quart de nos apprentis passe un baccalauréat professionnel après son apprentissage et un tiers de nos collaborateurs en Autriche a commencé sa carrière comme apprenti. Sans cette tradition de l'apprentissage, nous ne serions peut-être pas leaders sur le marché.
Mme Myriam LEVAIN. - Je cède la parole à Monsieur Siegel, dont l'entreprise est un exemple en matière d'intégration des apprentis.
M. Dieter SIEGEL. - Je me réjouis d'avoir l'occasion de partager notre expérience en matière d'apprentissage. Notre entreprise a toujours formé des apprentis. Grâce à la formation en apprentissage, nous pouvons former nos collaborateurs à la production de produits de haute qualité. Le taux de rétention des apprentis de notre entreprise est proche de 100 % pour les spécialités techniques et manuelles. 50 % de nos besoins en salariés manuels sont couverts par l'apprentissage. Ainsi, nous employons 125 apprentis en Autriche. Notre entreprise demeure familiale. L'apprentissage nous permet de garantir nos perspectives de long terme. Une personne qui a fait son apprentissage dans l'entreprise entretient un autre lien avec l'entreprise qu'une personne qui y est entrée à la sortie de ses études.
Mme Myriam LEVAIN. - Madame Römer, que sont les EuroSkills ? L'Autriche pourrait-elle susciter une émulation en Europe autour de l'apprentissage ?
Mme Renate RÖMER. - Je suis très heureuse d'être parmi vous. En Autriche, la plupart des entreprises sont des entreprises familiales. La loyauté à l'entreprise reste une valeur déterminante.
L'Autriche participe au mouvement WorldSkills depuis 50 ans. Il s'agit presque d'une infection virale. Les jeunes qui y participent s'investissent dans la préparation du concours, entraînant une transformation de leur personnalité. Non seulement ils deviennent adultes, mais ils en ressortent plus forts, se tiennent plus droits. Tous les participants y ont appris quelque chose. En Autriche, grâce à un recrutement sélectif, nous avons toujours présenté des candidats de première qualité et avons d'ailleurs obtenu le titre européen.
Il existe un réservoir de jeunes talentueux dans tous les pays, en particulier en Asie, car les candidats sont sélectionnés de façon très stricte. La Corée retire les concurrents du circuit normal pour les intégrer dans un internat dédié à la préparation intensive de WorldSkills. Les familles des candidats sélectionnés reçoivent une indemnité à vie. Bien que l'Autriche figure toujours parmi les premiers de la classe, des pays issus de l'ancien empire austro-hongrois ont également repris cette tradition de l'apprentissage en alternance (Hongrie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Slovénie).
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guisembert, je vous invite à nous présenter le concours WorldSkills et ses apports à l'apprentissage.
M. Michel GUISEMBERT. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette rencontre, d'autant que je suis particulièrement admiratif des réalisations de l'Autriche en matière d'apprentissage.
Dès 1947, l'Espagne a inventé un dispositif permettant de mettre en valeur les métiers et la jeunesse, tout en facilitant la connaissance de la réalité des métiers. Ainsi sont nées les Olympiades des Métiers, conçues sur le modèle des Jeux olympiques. Aujourd'hui, 72 pays participent à cette compétition, qui réunit tous les deux ans 1 000 candidats de moins de 23 ans. Cette fête de la jeunesse est l'occasion de tirer vers le haut l'ensemble des compétences nécessaires dans plus de 50 métiers d'actualité. Ce formidable message d'optimisme remplit de joie tous les organisateurs. En France, grâce à l'implication extraordinaire des conseils régionaux et de l'ensemble des partenaires oeuvrant pour la formation professionnelle et pour la jeunesse, ce ne sont pas moins de 9 000 candidats qui ont participé aux sélections régionales. 867 champions sont en lice pour les finales nationales, qui auront lieu à Strasbourg du 29 au 31 janvier. De ces 867 candidats, nous constituerons l'équipe de France des métiers. En août 2015, nous partirons ensemble à São Paulo pour affronter les 71 autres nations.
Vous avez eu raison, Madame Römer, de souligner l'excellence de l'Autriche dans cette démarche. Dans le cadre des Olympiades des métiers de 2019, nous souhaitons réunir les partenaires que sont le Gouvernement, les régions, les organisations professionnelles, les syndicats, les chambres consulaires, etc. pour accueillir toutes les nations à Paris. Si nous sommes retenus, nous nous mettrons en ordre de marche pour faire de la formation professionnelle un véritable challenge.
Ayant eu la chance de rencontrer tous les acteurs de la formation professionnelle en France et en Europe, je peux vous assurer que la France est dotée de véritables forces vives. De nombreuses personnes se mobilisent et y croient, mais nous travaillons encore de façon trop isolée. Nous devons faire fi de toutes les différences pour réussir. Nous souhaitons dire aux autres pays que nous avons besoin d'eux pour réussir ensemble cette initiative, importante pour la jeunesse et notre économie.
Mme Myriam LEVAIN. - Michelin fait partie de ces entreprises qui ont investi depuis longtemps dans l'apprentissage. Pourquoi avoir fait ce pari ?
M. Maurice CROPPI. - Je suis ravi d'être parmi vous. L'alternance concerne Michelin depuis toujours. Pour mémoire, la première promotion d'apprentis date de 1924 et la loi sur la taxe d'apprentissage, de 1925. Nous étions un peu précurseurs. Aujourd'hui, notre entreprise comporte plus de 4 % d'alternants, du CAP au Bac+5. La communauté d'alternants est gérée de la même manière, quel que soit le niveau de formation. Cette politique d'alternance s'inscrit vraiment dans une politique de pré-recrutement. En France, un salarié recruté chez Michelin est passé soit par un stage, soit par l'alternance.
Nous nous investissons dans l'alternance en raison des enjeux humains, sociaux et de performance économique. Nous souhaitons participer le plus en amont possible à l'évolution des programmes pour recruter les salariés dotés des compétences dont nous avons besoin, aujourd'hui et demain. L'apprentissage est vraiment un enjeu stratégique. Pour maintenir des industries en France, nous avons besoin de personnel qualifié. Nous bénéficions certes de l'image positive d'une grande entreprise et ne rencontrons donc pas de difficulté à recruter des candidats. Cependant, nous constatons que le démarrage de carrière des jeunes qui ont choisi l'apprentissage est beaucoup plus rapide, car ceux-ci ont bénéficié de l'accompagnement d'un tuteur qui leur a transmis les savoir-faire, codes et valeurs de l'entreprise. D'ailleurs, nous notons que les titulaires d'un bac+3 ou bac+5 s'intéressent de plus en plus l'apprentissage. L'apprentissage est un atout pour se démarquer dès le début de sa carrière professionnelle.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guézou, l'apprentissage n'est-il pas l'une des clés pour redynamiser les entreprises en France et lutter contre le chômage ?
M. Patrice GUÉZOU. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce colloque. Il est difficile de comparer la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) France à la Wirtschaftskammer Österreich (WKO), la chambre économique fédérale autrichienne, car nos deux structures sont très différentes. Nous n'avons donc pas le même champ d'intervention.
Les CCI sont amenées à former sur l'ensemble des niveaux de qualification, du CAP au Master, et du niveau de qualification I au niveau V. A l'occasion de ma participation au Danube Business Forum organisé en Autriche début novembre, un certain nombre d'éléments m'ont paru largement « différenciants », au regard de notre politique d'emploi. Le premier facteur est celui de la confiance accordée à l'action. En d'autres termes, l'on peut apprendre par le travail. Le fait d'agir, de faire, de manipuler, est un élément de développement des connaissances. Un deuxième élément clivant concerne la confiance accordée aux partenaires sociaux dans la définition des qualifications requises pour exercer un métier. La réactivité fait la différence à la fois dans l'apprentissage et dans la capacité à développer son activité. Un troisième facteur de confiance, évident pour mes collègues autrichiens, tient à la perception de l'apprentissage comme facteur de développement du commerce extérieur. Comme notre collègue autrichien l'évoquait tout à l'heure, il est normal que l'Autriche tisse des relations spontanées avec les pays environnants. Ce faisant, les entreprises ne s'investissent pas seulement dans une logique de ventes de produits, mais aussi dans une démarche de développement de la qualification. Le système éducatif est perçu comme un facteur de différenciation dans le cadre de la bataille commerciale. Ce dernier facteur de confiance est si prégnant en Autriche que nous mesurons le retard pris en France et l'ampleur du travail à réaliser.
Mme Myriam LEVAIN. - Merci. Je m'adresse à Monsieur Mitterbauer pour obtenir des précisions sur le centre d'apprentis en Slovaquie. Le dynamisme de l'apprentissage en Autriche est-il l'un des facteurs expliquant le faible taux de chômage, au moins chez les jeunes ?
M. Peter MITTERBAUER. - En Autriche, 80 % de la formation en apprentissage est réalisée dans l'entreprise et 20 % dans une école professionnelle. Dans notre usine en Slovaquie, 70 % de la formation est réalisée dans une école professionnelle et les 30 % restants en entreprise. Ce système présente des avantages, comme des inconvénients. Nous préférons la première solution, qui répond mieux à nos besoins. Cependant, nous avons lancé un projet pilote avec le Gouvernement slovaque en 2013, permettant aux apprentis de passer 60 % de leur temps dans notre entreprise et 40 % dans une école professionnelle. Ce projet pilote bénéficie du soutien du Gouvernement slovaque. Il n'a pas été difficile de trouver des jeunes désireux de réaliser cet apprentissage.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Siegel, pensez-vous que l'apprentissage soit une solution pour faciliter l'accès des jeunes au marché du travail ? Je crois que votre entreprise est un bon exemple de facilitation.
M. Dieter SIEGEL. - Je n'aime pas utiliser le terme « intégration », qui sous-entend une exclusion préalable. En passant 80 % de leur temps de formation en entreprise, les jeunes Autrichiens peuvent vraiment découvrir la vie professionnelle (fonctionnement de l'organisation, discipline...). Toute personne passée par l'apprentissage a appris quelque chose. Au contraire, une personne restée dans l'enseignement général rencontrera peut-être des difficultés à intégrer une entreprise et commencer tous les matins à 7 heures. 92 % des personnes ayant fait un apprentissage ont trouvé un emploi. L'apprentissage est donc une garantie pour trouver un emploi. Une grande partie du chômage des jeunes, mais aussi des adultes, est liée au manque de formation. Par ailleurs, les Olympiades des Métiers sont très intéressantes pour les travailleurs, mais seule une petite partie de la population peut y participer. Les Coréens sont très actifs, ce qui démontre la valeur accordée au travail ouvrier. Nous nous inscrivons dans cette démarche en Autriche.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Croppi, je vous invite à revenir sur la contribution de votre entreprise à l'apprentissage. En France, l'apprentissage est extrêmement orienté vers les métiers manuels. Comment faire en sorte de déployer l'apprentissage dans tous les secteurs ?
M. Maurice CROPPI. - Nous accueillons des alternants dans tous les métiers, dont 30 % dans les métiers tertiaires. Nous nous inscrivons dans une logique de pré-recrutement, pour tous les métiers, et avons besoin d'emplois hautement qualifiés. Il est possible d'accueillir des jeunes peu diplômés, dans le cadre d'un dispositif adapté inscrit dans une logique d'excellence. Nous avons les mêmes exigences envers tous nos alternants, quel que soit leur diplôme. À titre expérimental, nous avons mis en place un CAP destiné aux jeunes en difficulté. Chaque année, 50 % de ces jeunes en difficulté s'orientent vers un baccalauréat professionnel, 30 % vers un bac+2 et 15 % vers une licence professionnelle. Pour inciter les jeunes les plus éloignés de l'emploi à venir à notre rencontre, nous devons utiliser des moyens adaptés. Il importe de trouver le bon équilibre ; ces jeunes ne doivent pas être majoritaires, mais ils seront tirés vers le haut. Ces initiatives contribuent à donner une autre image de l'apprentissage.
Mme Myriam LEVAIN. - Madame Römer, le mot « confiance » a été prononcé. La France souffre-t-elle d'un défaut de confiance dans l'apprentissage ?
Mme Renate RÖMER. - Le thème de la confiance a déjà été abordé au cours de la première table ronde. Un système comme le système autrichien ne peut être créé du jour au lendemain, par un simple coup de baguette magique. Comme l'a indiqué Monsieur Hundstorfer, le rôle des partenaires sociaux est très important. Je me demande où sont les partenaires sociaux en France. En Autriche, des réunions sont organisées avec les partenaires sociaux à l'automne pour discuter des principaux sujets. En écoutant l'intervention de Monsieur Croppi, je me rends compte qu'un certain nombre de jeunes n'ont pas d'expérience du succès de la formation, car ils n'ont pas de modèle familial. Nous devons faire en sorte de qualifier davantage nos apprentis, en leur permettant d'apprendre des langues étrangères, des normes comportementales, un sens du management. Une dynamique de groupe se crée peu à peu. Si l'un des membres du groupe est encore faible, il va bénéficier de la dynamique de groupe.
La Chambre économique autrichienne organise chaque année une semaine business réservée aux enfants, permettant aux jeunes de 8 à 14 ans d'aller à la rencontre des entreprises. Si l'analyse des potentiels est effectuée à temps, nous pourrons déceler plus tôt les potentiels de l'enfant. Dans l'entreprise, il est impossible de rattraper le retard scolaire ; il faut investir sur les forces dont dispose le jeune, et non se concentrer sur ses faiblesses. Le modèle français de l'égalité n'est pas adapté, car les gens ne sont pas toujours égaux ; chacun a ses capacités propres. La puberté est une époque difficile. C'est aussi la période au cours de laquelle décider de son orientation professionnelle. De nombreuses personnes auront besoin de temps supplémentaire pour se décider. C'est pourquoi les jeunes doivent être accompagnés dans ce cheminement. Or, la France est encore plus bureaucratique que l'Autriche. Il semble que les nombreuses institutions se parlent sans s'entendre ni se comprendre.
Depuis 25 ans, l'Autriche a mis en place une coopération entre les entreprises et les écoles. Les entreprises se rendent dans les écoles et échangent avec les directeurs d'établissement. Nous avons également institué un « permis de conduire d'entreprise ». Différentes étapes sont d'ores et déjà proposées aux élèves du cursus général pour les sensibiliser aux thèmes de l'entreprise. Néanmoins, nous nous heurtons évidemment à quelques difficultés. Par exemple, il serait souhaitable d'imaginer un autre terme que celui de « l'apprentissage ».
Je vous invite à participer aux Olympiades des Métiers. Vous serez vous-mêmes infectés par le virus de la compétition. Il n'y a pas de « génération perdue ». Chacun a ses talents ; il suffit de les trouver.
Pour toutes ces raisons, je vous conseillerais de dépoussiérer votre système. Si les entreprises ne sont pas des partenaires sociaux, je me demande qui peut être partenaire social dans ce pays.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Mitterbauer, vous souhaitiez réagir à ces interventions.
M. Peter MITTERBAUER. - Je dis toujours à mes apprentis que ce sont eux qui déterminent les nouvelles tendances. Chacun d'entre eux sait qu'il trouvera une place dans notre entreprise. Dans notre région, nous utilisons ce proverbe, qui remplissait mon grand-père et mon père de fierté : « Quand tu as fait ton apprentissage chez MIBA, tu peux tout de suite commencer à construire ta maison ». Les parents savent qu'ils peuvent faire confiance à MIBA et qu'ils peuvent nous confier leurs enfants, car nous assurerons leur avenir.
Le monde de l'école est différent de celui de l'entreprise, dans lequel nous assumons des responsabilités. Face au manque de personnel qualifié, nous recherchons des jeunes dotés d'une formation professionnelle de haut niveau. Il ne faut pas seulement parler d'une ré-industrialisation en Europe, alors que notre secteur secondaire disparaît. Les Américains parlent moins, mais agissent. L'apprentissage est essentiel. Nous devons donc en donner le goût aux citoyens.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guézou, n'est-il pas opportun de s'inspirer du système autrichien, qui offre beaucoup plus de passerelles entre l'apprentissage et les autres formations ? Un jeune ne doit pas être contraint, à 15 ans, de choisir son orientation pour toujours.
M. Patrice GUÉZOU. - Le fait de choisir n'est pas une question majeure. Plus l'on est capable de donner aux jeunes des voies d'accès différenciées au fait d'apprendre, mieux c'est. En revanche, l'on n'informe pas suffisamment en amont les jeunes des différentes possibilités qui s'offrent à eux, à travers les passerelles. Comme le montrent les statistiques, le système français contribue à accentuer les inégalités. Il importe de dépasser cette rigidité, pour réintroduire une confiance réciproque entre les employeurs, pas simplement susceptibles de penser l'action du jeune comme un substitut à une main d'oeuvre qui n'aurait pas pu être recrutée par ailleurs, et le monde de l'éducation, qui doit envisager le lieu de formation que peut constituer l'entreprise comme un lieu dans lequel développer des compétences, des connaissances et dont les enseignants peuvent eux-mêmes s'inspirer. L'articulation entre le système éducatif et l'entreprise n'est pas spontanée ; elle est à créer. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi, lorsqu'il s'agit de développer l'apprentissage en France, c'est à l'Éducation nationale que le Gouvernement demande d'accomplir l'effort majeur. Je ne comprends pas pour quelle raison nous ne cherchons pas à capitaliser sur les outils existants, qui ont pourtant été développés en partenariat avec les entreprises. Tous les jours, les CFA doivent se battre contre les préjugés, qu'ils émanent des entreprises - qui peuvent avoir une perception « court-termiste » de la compétence, et ainsi embarquer le jeune dans une vision qui ne permette pas réellement de développer son employabilité - ou des enseignants - qui envisagent la relation avec l'entreprise sous l'angle de l'exploitation.
Par ailleurs, la question n'est pas tant celle de la cohabitation entre deux systèmes, que celle de l'articulation, de la dialectique entre la situation de travail et la situation de formation. Faire en sorte qu'elles se nourrissent l'une l'autre est un défi permanent. Pour atteindre l'objectif de 500 000 apprentis, nous devrons investir là où des graines ont déjà été plantées, comme le souligne le rapport de l'IGAS 4 ( * ) . Les dispositifs sont complémentaires.
Mme Myriam LEVAIN. - Vous êtes donc optimiste quant aux réalisations possibles en France.
M. Patrice GUÉZOU. - Il est devenu naturel, pour tout étudiant en école de commerce, de réaliser un parcours à l'étranger dans le cadre de son parcours de formation. Nous militons en faveur « d' Erasmus+ » et des systèmes articulés d'apprentissage. Aucune raison ne justifie que la mobilité internationale soit réservée aux titulaires d'un bac+5. Des rendez-vous doivent être pris pour faciliter les parcours entre la France et l'Autriche, au titre de l'apprentissage.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guisembert, je vous cède la parole avant de recueillir les questions de la salle.
M. Michel GUISEMBERT. - J'ai milité pour la conservation du terme « apprenti ». La notion d'apprendre, ou d'apprenti signifie « prendre auprès de ». Cette relation entre les personnes qui savent et celles qui veulent apprendre est fondamentale.
Quel plaisir de voir, au travers de la possession d'un métier, de l'apprentissage d'un métier et de son perfectionnement, la passion que cela peut susciter ! J'ai rencontré tellement de personnes, fortement diplômées, s'ennuyer profondément dans leur activité quotidienne qu'il me semble indispensable de permettre à quelqu'un de pratiquer son métier avec passion. Nous devons diffuser un véritable message d'espoir à la jeunesse. « Travail » est un mot barbare - puisqu'il désigne littéralement l'outil de torture dans lequel l'on ferrait les chevaux et les boeufs. Pourtant, ce mot « travail », de même que le mot « métier », a une noblesse. Nous devons donc défendre ces mots « métier », « ouvrier », « travail ». Ces mots, qui font notre quotidien, sont des mots par lesquels construire sa vie, se construire, s'épanouir, transmettre, et réussir sa vie.
Les jeunes, qu'ils soient de la génération Y ou Z, ne sont pas si compliqués. Pour réussir, il faut un projet, un challenge et aussi une règle. Les jeunes sont demandeurs d'un cadre. Il faut aussi un accompagnement. L'on ne peut réussir seul. C'est pourquoi nous devons leur délivrer un accompagnement adapté. Il faut aussi une reconnaissance. Peu importe nos responsabilités, nous avons besoin de cette reconnaissance. Il faut aussi de la confiance. Les jeunes d'aujourd'hui ont besoin qu'on leur fasse confiance. Enfin, nous avons besoin d'émotion. Tous ces ingrédients sont réunis dans les Olympiades des Métiers. Nous avons besoin de communier sur quelque chose qui nous fait vibrer ensemble.
Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Trillard souhaitait poser une question à nos intervenants.
M. André TRILLARD. - Je poserai trois questions. L'Autriche organise-t-elle des actions médiatiques particulières pour promouvoir la connaissance de la vie de l'entreprise ?
Ma deuxième question s'adresse à Madame Römer et Monsieur Guisembert. Les travaux que vous effectuez dans le cadre de WorldSkills et EuroSkills bénéficient-ils d'une couverture médiatique suffisante ?
Par ailleurs, le métier de la cuisine est fortement médiatisé en France, à travers différents concours. Cette médiatisation a-t-elle eu des répercussions en termes de recrutement ?
Enfin, je tenais à préciser que le travail pour les chevaux permettait d'éviter les coups de pied mortels dans 5 % des cas.
Mme Renate RÖMER. - La Business week , destinée aux enfants, est organisée selon des modalités différentes dans les divers Länder . Nous organisons par ailleurs un salon destiné à apporter des informations sur l'ensemble des cursus, quel que soit le secteur. Par cette action conjuguée du secteur économique et de l'enseignement, nous parvenons à délivrer des informations très complètes au public. Les enseignants se rendent dans les entreprises avec leurs élèves. Nous essayons vraiment de coopérer le plus tôt possible et le plus loin possible.
Pendant très longtemps, l'Autriche a fait tout ce qui était en son pouvoir pour capter l'attention des médias. Pour ce faire, il faut des moyens. Si le résultat est souvent revendiqué par beaucoup de gens, en revanche, en cas d'échec, un bouc émissaire est désigné. S'agissant d'EuroSkills, nous avons désormais la possibilité de réaliser un reportage sur le déroulement du concours et la cérémonie de clôture, que la télévision a diffusé en première partie de soirée. Les lauréats ont été reçus par le Président autrichien. Cependant, nous avons encore beaucoup de travail à faire. Je souhaiterais que les métiers de la cuisine soient présentés aux jeunes, mais la télévision autrichienne n'a pas encore formulé de proposition en ce sens.
M. Michel GUISEMBERT. - Nous pouvons nous féliciter du grand nombre d'émissions consacrées à la cuisine ou à la pâtisserie. Pour autant, il ne faut pas tromper les jeunes. Le système de médiatisation est extrêmement compliqué en France. Bien que nous ayons recensé 367 articles et émissions portant sur l'organisation de la finale d'EuroSkills à Lille, nous ne pouvons que regretter que les grandes chaînes nationales n'aient pas assez communiqué sur cet événement. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec Madame Najat Vallaud-Belkacem lors de sa venue à Lille. Elle se demandait pourquoi cet évènement n'était pas davantage médiatisé. Je lui ai répondu que c'était de sa faute - car les médias couvriraient davantage cet évènement si la ministre y assistait. Nous essayons de capter les grands médias, mais les responsables de chaînes accordent une grande importance à l'audimat.
Enfin, je souhaiterais évoquer un sujet qui me met en colère. La jeunesse qui travaille, la jeunesse qui va bien n'intéresse personne. C'est pourquoi nous devons assumer un rôle d'ambassadeurs de l'apprentissage. J'avais souhaité que la formation professionnelle des jeunes soit reconnue comme grande cause nationale pour 2015, car cela nous aurait permis de bénéficier d'une couverture médiatique.
M. Robert del PICCHIA. - Je souhaiterais apporter un témoignage. Avant d'être sénateur, j'ai aidé un Autrichien à réaliser un film. L'occasion m'a ainsi été donnée de visiter une usine de fabrication de véhicules de pompiers. J'y ai alors appris bon nombre de choses. Par la suite, en tant que sénateur, j'ai effectué un stage chez Michelin. Monsieur Croppi, vos propos sont très justes. L'apprentissage consiste à apprendre aux côtés de quelqu'un. Lors de ma visite de l'usine, deux personnes m'ont appris à fabriquer un pneu. J'en ai été très fier - je rassure tout le monde, ce pneu n'a pas été mis en vente. Apprendre quelque chose, aux côtés de quelqu'un, est une réussite.
Une participante. - En tant que vice-présidente en charge de l'apprentissage en Pays-de-la-Loire, j'ai beaucoup travaillé sur la notion de « parcours » et d'aller-retour entre la voie de l'apprentissage et la voie dite « scolaire ». Au travers des Olympiades des Métiers, à l'occasion desquelles j'ai attrapé le virus comme vous tous, il m'est apparu que ces jeunes en situation d'excellence ont souvent commencé leur parcours par un échec scolaire en 3 ème , avant de grimper les échelons. Lorsque la confiance s'installe, l'on permet au jeune d'aller plus loin. Cependant, les allers-retours doivent demeurer possibles. Lorsqu'un jeune passé par l'université redevient boulanger ou menuisier, cela ne doit pas être considéré comme un échec. Il faut véritablement favoriser l'individualisation des parcours.
Vous êtes tous amenés à participer à des forums européens. Une fluidification des parcours d'apprentissage à l'étranger me paraît nécessaire. Tout le monde y gagnera. Enfin, nous avons peu parlé des maîtres d'apprentissage, dont le rôle est fortement valorisé en Allemagne et en Autriche. Le tutorat permet de valoriser dans l'entreprise des personnes qui ne sont pas chefs d'équipe, mais aptes à transmettre leur savoir. Je souhaiterais savoir de quelle manière vous appréhendez ce rôle de tuteur. Je vous remercie.
M. Dieter SIEGEL. - Il importe de bâtir une offre aussi large que possible. S'agissant de l'offre existante, il convient d'examiner les voies professionnelles auxquelles mène l'apprentissage et de vérifier si les jeunes ont la possibilité d'être réinsérés par la suite dans le système scolaire. En matière d'apprentissage, un parcours de trois ans me semble suffisant pour permettre aux jeunes d'acquérir une compétence professionnelle, tout en leur réservant la possibilité de s'orienter dans une autre voie. Il ne faut pas donner aux jeunes l'impression de se décider à 15 ans de manière définitive pour toute la vie.
M. Peter MITTERBAUER. - Je souhaiterais souligner la fierté que retire l'entreprise de sa participation à l'apprentissage. Les jeunes ont eux-mêmes le sentiment de participer à une démarche qui fait sens, plutôt que d'être assis sur les bancs de l'école. Si l'on répète à un jeune « Tu es trop jeune, tu es trop petit, tu n'y arrives pas, tu ne sais pas faire », il n'y arrivera pas. En revanche, si on lui accorde le droit à l'erreur, tout en croyant à sa réussite, il y parviendra.
En Autriche, trois à quatre années de formation en apprentissage coûtent en moyenne 40 000 euros par apprenti, mais celui-ci perçoit une rémunération pendant la durée de son apprentissage (600 euros la première année et 1 400 euros la dernière année). Sa carrière débute en tant que salarié qualifié et il perçoit un salaire brut de 2 500 euros environ par mois. Ce salaire est supérieur à celui d'une personne qui aurait suivi une formation de cinq ans dans le milieu scolaire, et qui pourra tout juste espérer obtenir un emploi. Cette incitation financière devrait permettre aux jeunes de s'orienter vers l'apprentissage. Les apprentis formés dans notre entreprise deviennent bien souvent des cadres et des personnages clés de l'entreprise.
Mme Myriam LEVAIN. - Nous allons conclure cette matinée très riche. Je tiens à remercier tous les intervenants de cette deuxième table ronde particulièrement intéressante, avant de laisser la parole à Monsieur André Trillard puis Monsieur Gérard Larcher, Président du Sénat.
* 4 IGAS Inspection générale des affaires sociales