Groupe interparlementaire d'amitié
France-Iran (1 ( * ))
Vers l'ouverture des échanges commerciaux avec l'Iran |
Actes du colloque du 23 mai 2014
organisé en partenariat avec
le CERCLE IRAN ÉCONOMIE
Sous le parrainage conjoint de
M. Aymeri de MONTESQUIOU , Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran
M. Philippe MARINI , Président de la commission des Finances, Vice-président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran.
Palais du Luxembourg
Salle Clemenceau
COLLOQUE
animé par M. Georges MALBRUNOT, journaliste,
spécialiste du Moyen-Orient au Figaro
Le groupe interparlementaire d'amitié France-Iran , créé au Sénat en 1975, est actuellement présidé par M. Aymeri de Montesquiou, sénateur du Gers. Comme tous les groupes interparlementaires d'amitié, il se propose de promouvoir des liens bilatéraux de confiance et de compréhension mutuelle entre les parlementaires des deux pays, tout en favorisant des échanges concrets dans des domaines très divers : coopération économique, dialogue culturel, rencontres de responsables, etc. Les groupes d'amitié du Sénat s'efforcent aussi de valoriser la coopération décentralisée et le bicamérisme au service de la démocratie. Le groupe d'amitié France-Iran, tributaire du contexte diplomatique, a centré ses activités depuis quelques années sur des rencontres informelles ou des colloques favorisant une meilleure connaissance du dossier iranien, comme la conférence du 10 avril 2012 sur « l'Iran et ses grands partenaires ». Le Cercle Iran Économie (association de la loi de 1901) a été créé début 2013 à l'initiative d'universitaires, de chefs d'entreprises et d'étudiants ayant en commun la connaissance de l'Iran et du persan. Le Cercle a pour but de mieux comprendre l'Iran et la société iranienne et de proposer une expertise et une analyse rationnelle à travers un prisme essentiellement économique. Le Cercle est un lieu d'échanges et de confrontations d'idées autour de l'économie, de l'entreprise et de l'Iran. En 2013, il a organisé deux rencontres, avec le concours de l'équipe de recherche Mondes iranien et indien (CNRS), l'une sur « la situation économique en Iran et la vie continue ? », l'autre sur « la levée prochaine des sanctions », mettant en présence des points de vue français et américain. Il s'adresse aux milieux économiques, politiques, universitaires et des médias pour faire partager les expertises, les analyses et les expériences de personnes et d'institutions ayant une connaissance réelle de l'Iran et une pratique concrète des relations avec les Iraniens. |
Le présent document constitue un document de travail. Il a un caractère informatif, il ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.
OUVERTURE DES TRAVAUX
M. Nigel COULTHARD, Président du Cercle Iran Économie
Merci à tous d'être venus en si grand nombre. Je tiens à remercier tout particulièrement Messieurs les sénateurs Aymeri de Montesquiou, Président du groupe d'amitié France-Iran et Philippe Marini, Président de la commission des Finances du Sénat et Vice-président du groupe d'amitié, d'avoir accepté d'organiser ce colloque en partenariat avec notre cercle et de nous accueillir au Palais du Luxembourg.
Avant de vous présenter le programme de ce colloque, je souhaite céder la parole à notre hôte, Monsieur de Montesquiou, qui vient d'effectuer une mission d'une semaine en Iran avec le Président et plusieurs membres de la commission des Finances du Sénat.
M. Aymeri de MONTESQUIOU, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran
Le Sénat est très heureux de vous accueillir et, pour ma part, je me félicite de constater que « l'axe du mal » est sérieusement ébréché, comme en atteste le nombre d'auditeurs de ce colloque !
C'est avec grand plaisir que je vais vous parler d'un pays important à la fois politiquement et économiquement. Le chiisme, fondement de la spécificité iranienne, permet à l'Iran d'exercer une influence considérable à l'Est et au Sud, que ce soit dans la zone de Dhahran en Arabie Saoudite, particulièrement pétrolifère, ou en Syrie et au Liban, où le Hezbollah joue un rôle de premier plan.
L'Iran souffre d'un déficit en termes d'image, imputable au pays lui-même, mais également aux Occidentaux.
Le poids démographique de l'Iran est conséquent, puisqu'avec 80 millions d'habitants, il constitue le pays le plus peuplé de la région avec la Turquie.
Notre mission en Iran a été riche d'enseignements. Nous avons été accueillis avec le raffinement et l'intelligence caractéristiques du peuple iranien. Pour des laïcs, l'orientation théocratique de l'Iran constitue parfois un facteur d'incompréhension. Cependant, il convient de rappeler qu'il s'agit d'un pays où les citoyens des deux sexes jouissent du droit de vote.
Il est parfois difficile pour un Occidental de comprendre la coutume consistant à voiler les femmes. Pour autant, je souhaite souligner que l'éducation occupe une place majeure en Iran, et qu'on y dénombre plus de trois millions d'étudiants, dont 60 % de jeunes femmes. Ce point est essentiel, car la mauvaise image de l'Iran en Occident découle en partie de la représentation erronée que nous nous faisons de la condition féminine dans ce pays.
Lors de notre voyage, nous avons eu l'opportunité de rencontrer d'éminentes personnalités, telles que : le Docteur Velayati, conseiller diplomatique du Guide suprême iranien, qui fut pendant de nombreuses années ministre des Affaires étrangères de la République islamique d'Iran et avec qui il est toujours intéressant, gratifiant et je dirais même délicieux de s'entretenir, tant il est courtois et doué d'une grande intelligence ; M. Mohammad Nahavandian, secrétaire général de la Présidence de la République ; M. Mohammed Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères ; le Président du Majlis.
Nous avons ressenti chez tous ces interlocuteurs le désir d'intensifier les échanges avec notre pays.
À titre personnel, je considère que la politique menée par la France à l'égard de l'Iran n'a pas été des plus opportunes, en particulier sur le plan économique. Certes, les Iraniens sont des diplomates avertis et pointus, ce qui ne rend pas les négociations particulièrement aisées. Toutefois, je constate que la France a perdu des parts de marché très importantes, de telle sorte que nos échanges commerciaux sont passés en quelques années de 3 milliards à seulement 600 millions d'euros. Or il va de soi que ces parts de marché perdues ont été récupérées, entre autres, par la Chine, la Corée et certains pays européens moins pointilleux sur le respect de l'embargo frappant l'économie iranienne.
De manière peut-être paradoxale, l'abominable guerre entre l'Iran et l'Irak a favorisé un développement de l'industrie iranienne. Par ailleurs, je me demande si les restrictions imposées à l'Iran ne l'ont finalement pas incité à s'engager dans la voie de la modernité, comme en atteste le dynamisme de Tabriz, ville industrielle du Nord par laquelle nous sommes passés.
Nous avons visité un certain nombre d'entreprises intervenant dans les industries pétrochimiques, agroalimentaires et pharmaceutiques et avons constaté, avec regret, l'abandon des usines Peugeot.
Si l'embargo est un facteur de souffrance important pour l'économie et la population iraniennes, il touche également durement la France et profite indirectement aux pays qui le contournent. Loin de moi l'idée de faire des corrélations ; cependant, nous avons observé la présence de machines-outils italiennes et allemandes tout à fait modernes dans les usines.
La France bénéficie d'une excellente image en Iran, en raison de l'ancienneté des relations entre nos deux pays et, par opposition, de la mauvaise réputation dont pâtissent Britanniques et Américains depuis l'épisode Mossadegh. Par ailleurs, les plus hautes autorités iraniennes sont encore reconnaissantes envers la France de l'hospitalité qu'elle a offerte à l'Ayatollah Khomeini durant son exil, comme j'avais déjà pu m'en rendre compte lors d'un voyage effectué en 1998 aux côtés du Président Giscard d'Estaing.
Dans la stricte limite du périmètre fixé par l'embargo, j'encourage les entreprises représentées ici à se rendre en Iran. Le MEDEF a organisé récemment une mission d'envergure qui n'a pas manqué d'irriter les États-Unis, puisque le président Obama a, certes, salué la démarche, mais a également sous-entendu qu'elle pourrait générer un certain nombre de retombées négatives pour les entreprises françaises, en Iran comme aux États-Unis. J'accepte mal cette mise en garde, d'autant moins que les sanctions interdisent les exportations de pièces détachées automobiles, et non celles de voitures entières, ce qui profite à General Motors tandis qu'elle entraîne la fermeture des usines Peugeot dans les Vosges.
Le point le plus important reste cependant le tarissement des flux financiers. Il est en effet autorisé d'exporter des médicaments et de la nourriture vers l'Iran, mais il est extrêmement complexe de financer ces échanges. Certains pays parviennent à trouver des biais, mais les banques françaises ne prennent aucun risque, leurs intérêts aux États-Unis étant bien supérieurs à ceux qu'elles possèdent en Iran.
En ce qui concerne les négociations sur le programme nucléaire iranien, j'appelle de mes voeux un accord et espère que les forces politiques iraniennes ainsi que l'Europe partagent mon avis. L'Union européenne doit s'émanciper de l'influence américaine sur cette question, car ses échanges avec l'Iran sont infiniment supérieurs à ceux des États-Unis et elle ne peut se laisser dépasser. M. Ali-Akbar Velayati me signifiait récemment que Boeing est présent en Iran, alors qu'Airbus y est absent, ce qui constitue une anomalie regrettable, tant l'Europe a un rôle d'envergure à jouer dans ce pays.
Pour sa part, le groupe interparlementaire d'amitié est déterminé à être le fer de lance de la France en Iran, pays qu'il estime être un acteur central sur la scène internationale, à la fois politiquement, économiquement et culturellement.
M. Nigel COULTHARD
Avant de développer plus avant l'analyse, je souhaite vous présenter le cercle Iran Économie ainsi que les intervenants de cet après-midi.
L'idée de se rassembler autour des questions relatives à l'économie iranienne est née fin 2012, alors que les sanctions et autres mesures coercitives liées à l'embargo prenaient leur plein effet.
Le groupe Iran Économie s'est constitué autour de deux universitaires, de deux dirigeants d'entreprise et de deux étudiants, partageant tous une solide expérience de l'Iran, des liens d'amitié avec des Iraniens ainsi que la maîtrise du persan.
Nous sommes réunis autour de l'idée que l'Iran doit être considéré de manière rationnelle et que, de ce point de vue, l'expérience unique des entreprises est précieuse, car elle permet de dépasser la simple rhétorique politique. En associant expertise et expérience, nous avons la volonté d'échanger sur l'économie et le commerce et nous portons un regard particulier sur les entreprises souhaitant travailler avec l'Iran.
En avril 2013, nous avons organisé, avec le concours de l'équipe de recherche « Monde iranien » du CNRS, une première table ronde intitulée « La situation économique en Iran et la vie continue ? » dans les salons d'honneur de l'INALCO. Cette rencontre a connu un tel succès que la salle était archi comble et que nous avons dû refuser l'entrée à beaucoup de participants arrivés un peu tard, ce qui confirme l'ampleur de la demande des entreprises et du public sur ce sujet.
En novembre 2013, une deuxième table ronde réunissant plus de 200 participants a eu lieu dans les nouveaux locaux de l'INALCO, sur le thème « La levée prochaine des sanctions ». Nous avons enregistré pour la manifestation d'aujourd'hui plus de 300 inscrits.
À l'évidence, l'économie iranienne et les échanges commerciaux avec ce pays suscitent un grand intérêt parmi les entreprises, les industriels et les universitaires spécialistes de l'Iran. De même, le public et les médias sont demandeurs d'éclaircissements plus rationnels sur l'Iran.
Après ces succès, nous avons formalisé la structure du cercle Iran Économie en créant une association loi 1901, ouverte aux particuliers et aux entreprises qui souhaitent y adhérer. Parmi nos membres fondateurs, nous comptons, outre moi-même, M. Guy Devinoy, trésorier, M. Bernard Hourcade, spécialiste de l'Iran, M. Thierry Coville, économiste, M. Henri d'Aragon, et M. Alexandre Sudron.
Parmi les intervenants présents aujourd'hui, nous avons l'immense plaisir d'accueillir Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient, qui revient d'un voyage en Iran et assumera le rôle de modérateur de ce colloque.
Sir Richard Dalton, ancien ambassadeur britannique à Téhéran entre 2002 et 2006 et actuellement responsable du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House, est venu expressément d'Angleterre ce matin pour vous présenter son analyse des négociations sur le programme nucléaire iranien. Nous sommes très honorés de sa présence, et nous le remercions d'avoir accepté d'intervenir en français.
Thierry Coville est, pour sa part, professeur à Novancia, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'économie iranienne.
Je citerai également Michel Makinsky, fort d'une expérience de trente années en tant que juriste d'entreprise, qui vient de publier un remarquable ouvrage sur l'économie iranienne.
M. Georges MALBRUNOT
Avant de lancer le débat, je souhaite vous livrer quelques impressions sur mon dernier séjour en Iran. En effet, bien que je ne m'y sois pas rendu en tant que journaliste, j'ai cependant pu poser un oeil avisé sur la situation du pays et constater que nous nous trouvions à un moment charnière.
A deux mois de l'échéance du premier cycle de négociations, nous avons pu observer que la dernière session de Vienne n'avait pas produit de résultats probants, en raison notamment des positions tranchées des Américains et des Iraniens, pourtant pleinement déterminés à conclure un accord. Si les négociations venaient à échouer d'ici au 20 juillet, un moratoire pourrait toutefois être décidé.
En outre, j'ai noté une crispation de la part des conservateurs, qui multiplient les critiques à l'encontre du ministre des Affaires étrangères, M. Mohammad Javad Zarif. Dix mois après l'élection du Président modéré M. Hassan Rohani, la politique du gouvernement tarde à porter ses fruits, ce qui suscite l'impatience non seulement des conservateurs, mais aussi de la population iranienne.
Si les vingt années de fermeture de l'Iran ont considérablement nui au développement de son secteur touristique, j'ai cependant remarqué la présence de nombreux touristes américains, italiens et français ainsi que la construction d'infrastructures hôtelières visant à répondre à cette demande.
Compte tenu de l'intransigeance des milieux décisionnaires français à l'égard du programme nucléaire iranien, le risque est grand de voir des entreprises étrangères établir des contacts commerciaux avec l'Iran, au détriment de nos entreprises. En effet, malgré l'allégement des sanctions consécutif à l'accord intérimaire signé en novembre, l'absence de circuits bancaires empêche encore le financement d'activités en Iran.
Je cède maintenant la parole à Sir Richard Dalton, qui nous donnera son point de vue sur l'issue possible des négociations et l'éventualité d'une détente entre les parties prenantes.
* (1) Membres du groupe d'amitié France-Iran : M. Aymeri de Montesquiou, Président, MM. Jean-Yves Leconte, Philippe Marini, Vice-présidents, Mme Leila Aïchi, MM. Jean-Pierre Plancade et Dominique Watrin, Secrétaires, MM. André Dulait, François Fortassin, Mmes Nathalie Goulet, Christiane Kammermann, et M. Jean-Vincent Placé.
_________________________________________
N° GA 120 - Juillet 2014