DEUXIÈME TABLE RONDE : L'HUILE DE PALME
INTERVENANTS
M. Bayu Krishnamurti, vice-ministre indonésien du Commerce
M. Jerôme Frignet, chargé de mission « forêts » chez Greenpeace
M. Bastien Sachet, directeur à The Forest Trust (TFT)
M. Hubert Omont, chercheur au Cirad
M. Jean-Manuel Bluet, directeur développement durable chez Nestlé France.
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M. André Dulait, sénateur, vice-président du groupe d'amitié France-Indonésie et Timor-Est . - Cette deuxième table ronde est consacrée au sujet, controversé, de la culture du palmier à huile. Je remercie les cinq intervenants qui ont accepté d'y participer et de confronter leurs points de vue. Je ne doute pas que leurs analyses nous aideront à nous forger une opinion éclairée sur la question.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bayu Krishnamurti, vice-ministre indonésien du Commerce ; M. Jerôme Frignet, chargé de mission « forêts » chez Greenpeace ; M. Bastien Sachet, directeur à The Forest Trust (TFT) ; M. Hubert Omont, chercheur au Cirad ; et M. Jean-Manuel Bluet, directeur développement durable chez Nestlé France.
Au cours des dernières décennies, la culture du palmier à huile a connu une extension considérable en Indonésie. Je citerai un seul chiffre : 70 000 hectares étaient cultivés en 1960 et 5,3 millions en 2009. L'Indonésie est devenue, devant la Malaisie, le premier producteur mondial d'huile de palme.
Dans le courant des années 1990, plusieurs ONG ont alerté sur les conséquences néfastes de l'extension de la culture du palmier à huile sur les forêts primaires et secondaires. D'immenses surfaces de forêts ont été remplacées par des plantations de palmier à huile avec une perte considérable de biodiversité.
Plus récemment, ce sont des arguments de santé publique qui ont été mis en avant pour s'opposer à la culture du palmier à huile. Composée d'acides gras saturés, l'huile de palme serait mauvaise pour la santé, notamment parce qu'elle augmenterait le risque d'accident cardio-vasculaire.
Pour tenter d'y voir plus clair, j'aimerais donner la parole, en premier lieu, au ministre Krishnamurti, qui nous fait l'honneur de venir depuis Jakarta. Pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous indiquer quelle place occupe aujourd'hui la culture du palmier à huile dans l'économie indonésienne et quelle est la politique de votre gouvernement en la matière ? Comprenez-vous les critiques qui s'expriment en Europe et quelles mesures avez-vous prises pour limiter la déforestation ?
M. Bayu Krishnamurti, vice-ministre du Commerce 17 ( * ) . - Je suis très heureux de participer à ce colloque organisé sous l'égide du Sénat.
Avant d'aborder la question du palmier à huile, j'aimerais apporter une précision concernant la production de pâte à papier. À compter de janvier 2013, l'Indonésie n'exportera plus que de la pâte à papier fabriquée selon des méthodes de production durables et produite à partir de bois issu de plantations légales.
Concernant l'huile de palme, j'aimerais développer cinq idées simples.
D'abord, le monde a besoin d'huile végétale et la consommation va augmenter. Beaucoup d'études le démontrent. Les Américains consomment en moyenne 48 kilogrammes d'huile chaque année et les Européens 40 kilogrammes, soit des niveaux très supérieurs à ceux constatés en Inde ou en Chine, ce qui laisse penser qu'un rattrapage est probable. Ensuite, la population mondiale devrait fortement augmenter, pour atteindre 9 milliards d'habitants en 2030, ce qui devrait également soutenir la demande. Enfin, la consommation de biocarburants devrait continuer à progresser en Europe.
La demande mondiale d'huile de palme a rapidement augmenté depuis quelques années : elle est passée de 30 millions de tonnes en 2007 à près de 38 millions de tonnes en 2012. Pour l'Union européenne, la demande a cru de 4,9 à 5,6 millions de tonnes au cours de la même période.
Si l'on compare l'huile de palme aux autres huiles végétales, on constate que le palmier à huile occupe seulement 7 % des terres agricoles consacrées à la culture d'oléagineux mais assure 38 % de la production d'huile végétale. Le palmier à huile a donc un rendement particulièrement élevé : il est neuf fois plus productif que le soja, cinq fois plus que le colza. Le soja occupe 60 % des terres cultivées consacrées aux oléagineux mais assure seulement 34 % de la production.
Si l'on fait l'hypothèse, prudente, que la consommation d'huile atteindra 48 millions de tonnes en 2030, il est possible de répondre à cette demande supplémentaire en mettant en culture 5,5 millions d'hectares si l'on privilégie l'huile de palme. En revanche, 52 millions d'hectares seraient nécessaire pour produire la même quantité d'huile en cultivant du soja, ce qui aurait des conséquences graves en termes de déforestation et de dégradation de l'environnement.
Deuxième idée : l'huile de palme n'est pas le problème le plus important pour l'environnement. S'il est vrai que la déforestation contribue aux émissions de gaz à effet de serre, les transports, l'industrie, la production d'énergie, la construction sont des sources d'émissions beaucoup plus considérables.
Troisième idée : l'Indonésie a besoin et a le droit de développer son économie. La pauvreté touche environ cinquante millions d'Indonésiens, qui vivent dans des conditions de logement et d'hygiène souvent déplorables. Il faut d'abord s'attaquer au problème de la pauvreté si l'on veut protéger l'environnement car des gens qui ont faim ne s'intéresseront jamais à la lutte contre la déforestation. La production d'huile de palme peut jouer un rôle pour réduire la pauvreté : 37,7 % de la production est assurée par de petits producteurs, soit une part certes inférieure à celle qui est assurée par les grandes entreprises mais néanmoins non négligeable.
Quatrième idée : l'Indonésie a fait des progrès significatifs en ce qui concerne la protection de l'environnement. Les plantations d'huile de palme occupent 4,4 % des terres, ce qui est peu comparé aux surfaces consacrées aux forêts de conservation (11,5 %) ou aux forêts protégées (16,1 %).
La plantation de palmiers à huile permet d'absorber du carbone et de lutter contre la pauvreté, ce qui peut être préférable au fait de laisser des terres inutilisées. Aujourd'hui, 58 % du territoire indonésien est boisé, contre seulement 25 % pour le territoire de l'Union européenne. L'Indonésie n'est certes pas irréprochable mais aucun pays ne peut prétendre l'être. À Sumatra comme à Kalimantan, une part importante des terres converties à la culture du palmier à huile étaient déjà des terres agricoles ou étaient des terres inutilisées.
Cinquième et dernière idée : l'Indonésie produit de l'huile de palme durable et sa part dans la production est en constante progression.
Je fais référence ici à l'huile produite selon la norme RSPO ( Roundtable on sustainable palm oil ), qui est reconnue internationalement. En septembre 2012, l'Indonésie a produit 3,3 millions de tonnes d'huile de palme durable, contre seulement 2,3 millions un an auparavant. Plus de 700 000 hectares sont consacrés à la culture de l'huile de palme durable contre seulement 465 000 en 2011. Vingt-deux entreprises ont aujourd'hui une certification pour produire de l'huile de palme durable contre seulement dix-sept l'année dernière.
Il reste du chemin à parcourir, mais l'Indonésie est en progrès et devrait être encouragée à poursuivre sur cette voie. À terme, l'application de la norme RSPO devrait devenir obligatoire pour la totalité de notre production et de nos exportations, ce qui serait positif pour l'environnement et les conditions de vie de la population.
En conclusion, l'Indonésie, qui est en train de devenir un partenaire commercial important de la France, souhaite travailler avec tous les acteurs concernés et non pas contre eux car c'est le meilleur gage de réussite.
M. André Dulait . - Merci, Monsieur le ministre, pour ce large tour d'horizon.
J'aimerais m'adresser à présent à M. Jérôme Frignet. L'association Greenpeace, que vous représentez cet après-midi, a joué un rôle pionnier dans la prise de conscience des dégâts causés sur la forêt par la culture du palmier à huile. Avez-vous le sentiment que des progrès ont été réalisés en Indonésie à la suite des campagnes que vous avez menées ou le problème, selon vous, reste-t-il entier ? Quelles seraient vos recommandations pour parvenir à une production durable d'huile de palme ? Comment concilier, plus généralement, préservation des forêts et développement économique ?
M. Jérôme Frignet, chargé de mission « forêts » chez Greenpeace . - Je vous remercie pour cette introduction et pour les questions ambitieuses que vous nous proposez d'aborder.
J'aimerais d'abord rappeler quelques faits, en m'appuyant sur les données publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture, ce qui est un gage de crédibilité, avant d'envisager la manière dont la situation pourrait s'améliorer.
La Malaisie et l'Indonésie assurent ensemble 87 % de la production mondiale d'huile de palme. La production a fortement augmenté depuis une vingtaine d'années, avec, selon la FAO, un quadruplement de la superficie productive dans ces deux pays. La superficie productive, à distinguer de la superficie plantée, correspond aux plantations qui ont commencé à produire, voire sont arrivées à maturité. Plus de 50 % de cette expansion s'est faite au détriment des forêts : le lien entre culture du palmier à huile et déforestation est donc clairement établi. Or, l'Indonésie prévoit de doubler encore sa production d'ici à 2020. Enfin, il faut souligner que l'Afrique devient une « nouvelle frontière » en matière de production d'huile de palme. Au Libéria, par exemple, trois investissements majeurs sont prévus qui devraient avoir pour effet de doubler la surface agricole utile, actuellement de 500 000 hectares.
Les conséquences de la déforestation sont bien connues. On observe une réduction très significative de la biodiversité dans les zones de forêts converties en plantations. Au moins 10 % des plantations sont implantées sur des tourbières. Plus de 2 millions d'hectares de tourbières ont été récemment déboisés, sans que leur fonction future soit clairement déterminée. Ce chiffre de 10 % est donc un minimum.
La mise en culture des tourbières entraîne d'importantes émissions de carbone : un déstockage immédiat estimé, par le Joint Reseach Center de la Commission européenne, à 140 millions de tonnes nettes en moyenne, auxquelles s'ajoutent des émissions de près de soixante tonnes de CO 2 par hectare et par an liées au drainage des tourbières.
Il faut dire un mot, même si ce n'est pas l'objet principal de cette présentation, des conséquences sociales de la culture du palmier à huile. Je ne nie pas qu'elle ait pu avoir des effets positifs sur la réduction de la pauvreté mais il ne faut pas négliger ses conséquences dramatiques en cas d'expropriation ou d'accaparement des terres, dans un contexte où les titres de propriété foncière n'ont pas toujours été formellement établis, ce qui pénalise particulièrement les communautés autochtones vivant en zone forestière.
Face à cette situation, une mauvaise réponse est le déni. Le RSPO n'est pas non plus une réponse satisfaisante, car il ne garantit pas que la plantation n'ait pas remplacé une forêt. Il garantit seulement que la plantation n'est pas issue de la conversion de forêts à haute valeur de conservation. Greenpeace milite donc pour une évolution du RSPO.
Nos exigences, qui rejoignent celles d'autres ONG et de scientifiques, sont les suivantes : zéro déforestation ; zéro plantation sur tourbières et restauration des tourbières dégradées ; zéro conversion de forêts à haute valeur de conservation ; consentement libre, informé et préalable (CLIP) des populations et résolution des centaines de conflits fonciers liés à la culture du palmier à huile ; développement des alternatives à la monoculture du palmier à huile, ce qui passe notamment par le soutien aux petits planteurs ; optimisation écologique des modes de production, par l'élimination de certains produits polluants, comme le paraquat, et la réduction du recours aux engrais et pesticides.
Enfin, les standards privés doivent être confortés par un environnement règlementaire et un encouragement des pouvoirs publics : c'est pourquoi nous faisons campagne auprès des entreprises mais aussi du gouvernement indonésien.
Concernant la campagne engagée par Greenpeace sur la période 2007-2012, un point doit être souligné en préambule : Greenpeace n'a jamais appelé au boycott de l'huile de palme ; son objectif est de rendre la culture de l'huile de palme réellement responsable. Pour ce faire, Greenpeace a d'abord essayé de faire évoluer le RSPO. Au bout de deux ans, nous avons cependant constaté que le RSPO restait contrôlé par les planteurs et les négociants ; or, si nous étions parvenus à faire bouger les utilisateurs, grande distribution et fabricants de produits de grande consommation comme Unilever ou Nestlé, nous n'étions pas parvenus à toucher les producteurs.
A partir de 2009, nous avons donc décidé de cibler le plus gros producteur en Indonésie, Golden Agri-Resources , filiale du groupe Sinar Mas, qui contrôle également APP. Deux années de campagne assez dures ont abouti à l'annulation de contrats, dont un qui devait être conclu par Nestlé, ce qui a fait bouger Golden Agri-Resources .
Greenpeace a mené campagne non seulement en Europe et aux Etats-Unis mais aussi en Chine, en Inde ou en Indonésie, ce qui est essentiel dans la mesure où l'Europe ne représente que 15 % de la consommation mondiale d'huile de palme. L'annonce du moratoire en Indonésie, il y a deux ans, a suscité des espoirs, qui ont été déçus lorsque l'on a appris que le moratoire ne remettrait pas en cause les concessions déjà attribuées mais pas encore déboisées. Or nous souhaitons que ces concessions soient renégociées.
Enfin, nous appelons les pays occidentaux à agir sur la demande en adoptant des politiques cohérentes. De ce point de vue, le soutien aux agro-carburants est le symbole d'une politique incohérente car il est de nature à soutenir une demande élevée, source d'importants problèmes écologiques.
Une fois que l'on a réussi à faire « plier » un acteur privé, il est important de contribuer à mettre en place des solutions afin que celui que l'on a combattu devienne notre « champion ». J'évoquerai rapidement la politique de préservation des forêts mise en oeuvre par Golden Agri-Resources , en accord avec The Forest Trust et Greenpeace et en collaboration avec Nestlé. L'objectif était de se mettre d'accord sur une méthodologie permettant de définir ce qu'est une forêt et de déterminer quelles zones ne devaient pas être converties en plantations. Le principe est celui d'une stratification forestière visant à délimiter des zones à « haute valeur de carbone » qui doivent être protégées.
L'objectif est que Golden Agri-Resources généralise sa politique de préservation des forêts, notamment au Libéria où elle a un important projet d'investissement. Le standard qui a été défini en matière de stratification forestière doit être généralisé. Golden Agri-Resources s'est engagée à nous y aider. Le RSPO peut-il y contribuer ? Des entreprises peuvent-elles aller au-delà des normes fixées par le RSPO comme l'a fait Golden Agri-Resources , notamment en Afrique ?
Cette approche doit être intégrée dans les politiques publiques, telles que les stratégies REDD 18 ( * ) ou de « low carbon development ». En Indonésie, une agence gouvernementale a recommandé de fixer à 35 tonnes par hectare le seuil compatible avec une stratégie de développement sobre en carbone. Il serait souhaitable que d'autres secteurs, notamment celui du papier, adoptent une approche similaire.
M. André Dulait . - Pour approfondir la question de la production durable d'huile de palme, j'aimerais interroger à présent M. Bastien Sachet. L'ONG TFT, pour laquelle vous travaillez, cherche à promouvoir des modes de production de l'huile de palme qui soient respectueux de l'environnement et des populations locales. Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les méthodes que vous mettez en oeuvre pour atteindre cet objectif et pouvez-vous nous donner des exemples des projets que vous avez réalisés ?
M. Bastien Sachet, directeur à The Forest Trust (TFT) . - J'aimerais vous parler des solutions et pas seulement des problèmes. Nous avons tous un même défi à relever : produire plus et produire mieux. La demande en huiles végétales augmente, comment répondre à ces besoins croissants ?
Je vais d'abord vous parler de l'action de TFT en Indonésie, en prenant l'exemple du teck qui a été autrefois un symbole de la déforestation, comme l'est aujourd'hui l'huile de palme.
En 1999, de grandes enseignes ont été attaquées par des ONG qui contestaient la durabilité du teck qu'elles commercialisaient. TFT a lancé avec des entreprises comme Leroy-Merlin, Leclerc ou Botanic un processus qui a duré pendant huit ans. On a cherché à connaître « l'histoire » de ces produits. On a discuté avec les acheteurs pour placer le débat sur le terrain des valeurs : voulez-vous vendre des produits qui incorporent du travail des enfants ou de la déforestation ? On a pu ensuite entrer dans une phase de transparence et d'innovation.
Quand on remonte la chaîne de production du teck en Indonésie, on trouve de nombreuses usines pourvoyeuses d'emplois et on est confronté à des pratiques de gestion forestière. Le plus grand producteur est l'entreprise publique Perum Perhutani , qui gère une plantation de teck d'une superficie d'1,3 million d'hectares. Pour lutter contre les vols de bois, fréquents à Java, cette entreprise avait mis en place une garde armée. Or, des crimes ont été commis et des victimes ont été à déplorer lorsque ces gardes ont fait usage de la force.
Comment recréer de la confiance entre cette entreprise et les communautés environnantes ? Il était nécessaire que les communautés locales retirent un bénéfice de l'activité de cette grande plantation industrielle. Elles ont été autorisées à cultiver le maïs sous les plantations de teck et elles reçoivent une partie des bénéfices retirés de la vente du bois. En contrepartie, elles surveillent les plantations et alertent la police en cas d'intrusion. En outre, cette plantation a reçu le certificat FSC pour trois districts. Des solutions existent donc, à condition de travailler ensemble en toute transparence et d'avoir des acheteurs qui font l'effort de s'intéresser à l'histoire de leurs produits et pas seulement au prix et aux caractéristiques techniques.
TFT travaille de la même manière sur différents types de produits - le bois, le papier, l'huile de palme, le coton, le boeuf, les minéraux - dans différents pays à travers le monde en cherchant à chaque fois des solutions concrètes à des problématiques complexes.
En ce qui concerne le palmier à huile, plusieurs critères doivent être respectés pour qu'une plantation soit considérée comme responsable. Il est d'abord indispensable que la plantation respecte la législation indonésienne. Elle doit ensuite reconnaître les droits des communautés locales, selon le principe du consentement libre, informé et préalable. Elle doit enfin protéger les tourbières, les forêts à haute valeur de conservation et les forêts à haute teneur en carbone, sur lesquelles je vais revenir dans un instant. Il est possible de trouver un compromis entre plantations, environnement et populations à condition de s'intéresser à la manière dont on développe une plantation.
A la suite de la campagne menée par Greenpeace, nous avons eu l'occasion d'entrer en contact avec Nestlé et Golden-Agri Resources , qui est le deuxième producteur mondial d'huile de palme. Notre premier objectif a été de faire en sorte que Greenpeace et Golden-Agri Resources acceptent de se parler, alors qu'ils avaient tendance à se considérer comme des ennemis et que leurs rapports étaient empreints de violence. On a recherché un compromis qui rendrait possible le développement économique en Indonésie tout en préservant l'environnement et en garantissant les droits sociaux. Sur cette base, l'entreprise a développé un politique ambitieuse de conservation de la forêt.
Il n'est pas simple de déterminer ce qu'est une forêt : en quoi consiste cet écosystème ? Pour sortir d'une appréciation subjective, nous tentons de préciser la notion de forêt et de comprendre sa dégradation, qui est progressive. Il faut fixer des limites qui permettent une gestion des écosystèmes : grâce à des images prises par satellite, nous avons élaboré une stratification forestière qui va des prairies jusqu'aux forêts denses riches en carbone. Scientifiques, ONG, entreprises privées, gouvernement travaillent ensemble à partir de ces données et devraient arriver prochainement à des conclusions opérationnelles. L'entreprise a déjà changé ses méthodes de production et consacre d'importantes ressources à ces recherches.
En conclusion, c'est en coopérant avec tous les acteurs que l'on libère l'innovation. Il faut coordonner les efforts des pouvoirs publics et du secteur privé productif et appuyer les efforts des acteurs responsables. Tout est possible, comme le montre l'exemple du teck : aujourd'hui, on trouve dans tous les magasins de France du teck produit de manière responsable. Il faut avoir le même objectif pour l'huile de palme, et peut-être un jour pour le papier.
M. André Dulait . - Pour entendre le point de vue d'un scientifique, je propose que nous écoutions maintenant M. Hubert Omont, chercheur au Cirad. Vous souhaiterez peut-être réagir, Monsieur Omont, à tout ce qui a déjà été dit. J'aimerais que vous nous donniez également votre éclairage sur les raisons du succès de la culture du palmier à huile.
M. Hubert Omont, chercheur au Cirad . - Je vais reprendre certains éléments qui ont déjà été évoqués en les présentant différemment. Je souhaite d'abord parler de l'huile de palme par rapport aux autres oléagineux puis faire un point sur l'état de la recherche.
La filière de l'huile de palme a connu une spectaculaire expansion depuis un demi-siècle : en 1960, moins de 500 000 tonnes d'huile de palme étaient commercialisées et 40 % provenait d'Afrique ; en 2011, la production dépasse les 50 millions de tonnes et 90 % de la production est assurée en Asie. L'essor de la production a commencé dans les années 1980 et s'est accéléré dans les années 1990.
La production annuelle d'oléagineux est d'environ 180 millions de tonnes, à 86 % d'origine végétale, contre seulement 40 millions de tonnes en 1980, soit un quadruplement en une trentaine d'années. L'huile de palme ne représentait que 11 % de la production en 1980, un tiers aujourd'hui.
En ce qui concerne la consommation, elle est de l'ordre de 25 kilogrammes par habitant et par an. Elle augmente de 3 % par an en moyenne depuis trente ans, sous l'effet de l'accroissement du nombre d'habitants mais aussi de la progression du niveau de vie. Si ce rythme se maintient, la consommation mondiale devrait plus que doubler à l'horizon 2050.
L'Indonésie est le premier producteur mondial d'huile de palme mais c'est la Malaisie qui est le premier exportateur. Ces deux pays se partagent l'essentiel du marché mondial. Cette huile est surtout consommée dans les pays du Sud : l'Europe ne consomme que 14 % de la production mondiale et les États-Unis 3 %. En conséquence, si nous décidions de boycotter l'huile de palme, vu que les huiles végétales sont très substituables, cela n'aurait que peu d'impact sur le marché.
Le succès de l'huile de palme s'explique tout d'abord par son rendement exceptionnel : dix fois supérieur à celui du soja, six fois supérieur à celui du colza. Bien que l'huile de palme soit la moins chère de toutes les huiles, elle génère des revenus à l'hectare beaucoup plus élevés que toute autre production agricole, ce qui attire de nombreux investisseurs, dont des financiers pas toujours intéressés par les questions agronomiques.
Son succès tient aussi à un environnement politico-économique très favorable dans les deux principaux pays producteurs. Les gouvernements ont encouragé la recherche et le développement, la construction d'infrastructures, l'intégration verticale et la promotion commerciale. La concentration des marchés et le fait que cette huile soit peu dépendante du marché des sous-produits, comme les tourteaux, ont également contribué à son développement.
L'huile de palme a des usages multiples : agroalimentaire, à hauteur de 75 % à 80 %, oléo-chimique (15 % à 20 %) et biodiesel (5 % à 10 %), cette dernière utilisation connaissant un fort développement.
J'en arrive à la question de la recherche. Pendant plus d'un demi-siècle, elle a eu pour principaux objectifs d'augmenter la production, d'améliorer la productivité et de valoriser le produit, ce qui peut expliquer qu'elle n'ait pas été considérée comme un acteur majeur au moment de la constitution de RSPO auquel elle est seulement associée.
Dans le contexte actuel de fortes controverses, le rôle de la recherche a évolué : ce qui incombe aux chercheurs désormais est d'analyser les enjeux, de documenter les faits et de contribuer à l'innovation.
S'agissant des enjeux, j'aimerais évoquer d'abord les enjeux sociaux, qui ne sont pas négligeables : plantations familiales, préservation des droits des communautés villageoises, conditions de travail de la main d'oeuvre dans les plantations industrielles. Il y a aussi des enjeux environnementaux : intensifier sans polluer, s'étendre en préservant la biodiversité, sans oublier les effets sur le changement climatique.
Enfin, il y a des enjeux économiques : faire face à la demande et analyser la concurrence entre les usages alimentaires et non alimentaires de l'huile de palme.
Documenter les faits, c'est par exemple savoir repérer les zones qui sont appropriées pour cultiver le palmier à huile. Il faut savoir sur quels critères on se base. RSPO retient des principes et des critères, ainsi que des indicateurs. Mais ces principes et critères sont assez généraux et on est souvent démuni quand on en arrive aux indicateurs. Si l'on dit par exemple qu'il faut fertiliser correctement, qu'est-ce que cela signifie exactement ?
Un deuxième objectif est de recenser le potentiel agricole. Quand j'ai commencé ma carrière, les sociétés de plantation faisaient des études de faisabilité, qui pouvaient prendre du temps, avant de décider quelles parties de leurs concessions allaient être mises en cultures. Aujourd'hui, il faut procéder de surcroît à une évaluation du potentiel social et environnemental du territoire.
Contribuer à l'innovation, c'est d'abord se poser la question de la gestion des espaces : comment gérer les zones protégées, les bordures de rivières et les autres espaces, afin de renforcer la biodiversité ? Cela suppose de travailler sur les aspects biologiques mais aussi sociaux.
C'est ensuite poursuivre le progrès technique : intensifier la production dans les zones déjà cultivées permet d'éviter de planter de nouvelles surfaces. Grâce aux méthodes de sélection traditionnelles, on a réussi à augmenter le potentiel de production au rythme de 1 % par an depuis une cinquantaine d'années. On a également mis au point des indicateurs agro-environnementaux, par exemple pour évaluer l'utilisation qui est faite de l'azote dans les plantations. On analyse la physiologie des plantes, on utilise des méthodes de lutte biologique, par exemple en introduisant des chouettes dans les plantations pour éliminer les rats au lieu de recourir aux produits rodenticides. On essaie de valoriser les déchets de récoltes par le compostage ou l'épandage dans les plantations.
Enfin, la recherche contribue, et c'est assez nouveau, à l'innovation dans le domaine des politiques publiques. Dans quel cadre légal et environnemental développer l'agriculture familiale ? Comment organiser la filière ? Comment réguler les problèmes fonciers ? Autant de questions sur lesquelles travaillent les chercheurs.
Le nombre de publications scientifiques consacrées au palmier à huile ou à l'huile de palme a augmenté au même rythme que l'accroissement des surfaces cultivées, ce qui témoigne de l'intérêt des chercheurs pour ce sujet. Mais les enjeux sont complexes, beaucoup de faits sont insuffisamment documentés et les controverses demeurent nombreuses. C'est pourquoi il est nécessaire de renforcer le dialogue entre le monde de la recherche et les autres acteurs, d'intensifier l'effort de recherche et de développer les approches pluridisciplinaires.
M. André Dulait . - Le dernier intervenant est M. Jean-Manuel Bluet, directeur développement durable chez Nestlé France. Je vous remercie sincèrement d'avoir accepté notre invitation car je ne vous cacherai pas que nous avons eu du mal à trouver un industriel qui accepte de s'exprimer...
Pourriez-vous nous indiquer quel usage Nestlé fait aujourd'hui de l'huile de palme et si vous envisagez, comme d'autres entreprises, de ne plus l'utiliser ? Avez-vous pris des initiatives pour privilégier la consommation d'huile de palme durable ? Comprenez-vous les polémiques qui ont resurgi en France ces derniers temps sur l'impact négatif de l'huile de palme sur la santé ?
M. Jean-Manuel Bluet, directeur développement durable chez Nestlé France . - Je ne m'attarderai pas sur les éléments de contexte qui ont déjà été largement abordés : l'impact de la déforestation sur le changement climatique, l'importance des forêts tropicales pour la biodiversité, ou encore le rendement exceptionnel du palmier à huile. Un point important pour les industriels est le fait que l'huile de palme est solide à température ambiante, ce qui en fait un produit difficilement substituable.
Le groupe Nestlé achète environ 350 000 tonnes d'huile de palme par an, soit 0,7 % de la production mondiale. C'est un chiffre modeste, mais ce n'est pas une raison pour ne pas assumer nos responsabilités. Ayant été la cible de diverses campagnes, notre entreprise a conclu, en 2010, un partenariat avec TFT, qui nous a permis de beaucoup progresser dans notre compréhension du problème et dans nos tentatives d'y apporter des réponses.
Nous considérons que nous avons une responsabilité majeure sur les filières agricoles via notre politique d'achats. Nous avons fixé une liste de douze matières premières prioritaires, parmi lesquelles on trouve la pâte à papier et l'huile de palme. Nous voulons développer un cahier des charges propre à notre entreprise, construit à partir de référentiels existants, en insistant sur le renforcement de la traçabilité et de la transparence.
Concrètement, nous avons pris cinq engagements concernant l'huile de palme : une opposition formelle à toute forme de destruction des forêts primaires et des tourbières ; une déconnexion complète entre la déforestation de ces zones et la fabrication de nos produits, tant pour les matières premières que pour les emballages ; l'élaboration, en lien avec TFT, du cahier des charges que j'évoquais, dénommé « responsible sourcing guidelines », avec une traçabilité jusqu'aux plantations ; un objectif de 100 % d'achats d'huile de palme certifiée RSPO à l'horizon 2015 ; enfin, la remise en cause de l'utilisation des surfaces agricoles pour produire des biocarburants.
Fin 2012, 80 % de nos achats d'huile de palme étaient certifiés RSPO, dont 67 % de « certificats verts », qui sont assez peu exigeants. Nous avons l'ambition de diminuer la part des « certificats verts» au profit d'une certification RSPO « tracée » et « ségréguée » qui est plus rigoureuse. En septembre 2012, 40 % de nos achats pouvaient être tracés jusqu'aux « moulins », ce qui marque un progrès en matière de transparence.
Nos « responsible sourcing guidelines » reposent sur six principes : le respect de la législation locale ; le consentement préalable, libre et éclairé des populations locales ; le respect des forêts à haute valeur de conservation ; le respect des tourbières ; le respect des forêts à haute valeur de carbone ; enfin, l'application de tous les critères du RSPO, qui est une base de travail indispensable même si nous souhaitons aller plus loin.
Pour l'avenir, nous tenons à assurer un suivi régulier de nos engagements, avec une vérification assurée par des tiers indépendants et une participation de toutes les parties prenantes. Nous voulons travailler avec les autres industriels de notre secteur et les distributeurs sur ces politiques et impliquer nos fournisseurs.
M. André Dulait . - Je vais maintenant donner la parole au professeur Jean-Michel Lecerf, de l'Institut Pasteur de Lille, qui nous fait l'honneur d'être parmi nous. Je lui poserai une seule question : devons-nous nous inquiéter pour notre santé si nous consommons de l'huile de palme ? Ce que nous lisons dans la presse est parfois préoccupant.
M. Jean-Michel Lecerf, professeur à l'Institut Pasteur de Lille . - Mon point de vue sur l'huile de palme est celui d'un nutritionniste qui travaille dans le domaine des lipides depuis trente ans. Je pense qu'il rejoint largement celui des autres nutritionnistes français qui connaissent cette question.
L'huile de palme a ses qualités et ses défauts : ses qualités, c'est d'être riche en graisses saturées ; ses défauts, c'est d'être riche en graisses saturées. Je crois que vous m'avez compris.
Ce point est d'ailleurs à nuancer car l'huile de palme ne contient que 50 % d'acides gras saturés. Elle contient donc aussi 50 % d'acides gras insaturés. Pour mémoire, le beurre, qui est un excellent corps gras, contient 65 % d'acides gras saturés et le beurre de cacao, autre excellent corps gras, en contient au moins autant.
Parce qu'elle est riche en graisses saturées, l'huile de palme est solide à température ambiante et elle résiste bien au chauffage et à l'oxydation, ce qui en fait un produit adapté à des besoins particuliers de l'industrie agroalimentaire et de l'alimentation en général.
Revers de la médaille, l'huile de palme est riche en graisses saturées, ce qui ne pose pas de problème sauf si on mange trop de graisses saturées et trop d'huile de palme. Mangeons-nous trop de graisses saturées et quelle est la part de l'huile de palme dans notre consommation ?
Il est vrai que les Français consomment un peu plus d'acides gras saturés que ce qui est recommandé. Cependant, ils souffrent de moins de maladies cardio-vasculaires que les autres Européens, grâce à des éléments protecteurs qu'ils trouvent dans leur alimentation. Il n'est pas souhaitable néanmoins de manger trop de graisses saturées.
En moyenne, les Français consomment chaque jour 80 grammes de lipides et, d'après nos estimations, entre 3 et 10 grammes de graisses de palme, dont la moitié sous forme de graisses saturées. La contribution des graisses de palme saturées à notre apport lipidique est donc modeste, mais elle n'est pas nulle et il convient de ne pas l'augmenter exagérément.
Il n'y a pas d'huile parfaite : ni l'huile de palme, ni l'huile de tournesol, ni l'huile d'olive ne sont des huiles parfaites. Une bonne alimentation suppose de consommer un peu de toutes les matières grasses. Une consommation excessive d'une seule matière grasse serait péjorative.
Quelle huile un industriel ou un consommateur doit-il choisir? Je propose d'appliquer le principe de subsidiarité (faire un choix quand on ne peut faire mieux autrement), c'est-à-dire de retenir l'huile qui est la meilleure pour l'usage considéré. Par exemple, pour la friture, l'huile de colza peut être meilleure dans certaines conditions. Lorsqu'il est nécessaire d'utiliser une matière grasse solide, par exemple pour les plats préparés, les alternatives à l'huile de palme sont parfois moins bonnes, notamment si l'on est contraint de recourir à l'hydrogénation partielle des matières grasses pour les solidifier. Cette technique, qui a été abandonnée par les industriels, produit en effet des acides gras trans qui ont des conséquences délétères sur la santé. L'utilisation de l'huile de palme est donc parfois la réponse la plus adaptée, à condition qu'elle trouve une place raisonnable dans l'alimentation des Français.
L'huile de palme présente-t-elle des avantages intrinsèques tenant à sa composition ? Elle est riche en caroténoïdes, ce qui explique sa couleur rouge lorsqu'elle est brute, et en vitamine E. Ces molécules sont cependant peu présentes dans les matières grasses utilisées par les industriels après raffinage et fractionnement. On ne peut donc mettre en avant ces éléments dans les pays qui consomment de l'huile de palme transformée ; en revanche, ils doivent être pris en compte pour les populations d'Afrique ou d'Asie qui en font une consommation directe.
En conclusion, il est souhaitable que l'huile de palme conserve une place raisonnable dans l'alimentation des Français, sans excès ni discrimination à l'égard de ce produit. C'est le point de vue d'un nutritionniste qui considère, de manière générale, qu'il n'y a pas de mauvais aliments mais de bons équilibres à trouver.
Mme Catherine Procaccia . - Même si le colloque était avant tout consacré à la protection des forêts, il m'est apparu utile d'aborder brièvement la question des conséquences de la consommation d'huile de palme sur la santé.
M. Bayu Krishnamurti . - Je voudrais d'abord poser une question à Greenpeace. Nous sommes d'accord avec tous les indicateurs et paramètres qui sont proposés pour évaluer la production d'huile de palme. Mais pourquoi s'arrêter à l'huile de palme ? Pourquoi ne pas appliquer les mêmes critères à l'huile de soja ou à l'huile de colza ? Il est discriminatoire de ne s'intéresser qu'à l'huile de palme.
Ma deuxième observation concerne la référence à l'année 1994 pour la certification FSC, évoquée lors de la première table ronde. Pourquoi retenir l'année 1994 et pas l'année 1900 par exemple ? Pourquoi faire porter la faute sur la génération actuelle et ignorer la déforestation qui s'est produite auparavant ?
Nous avons eu des désaccords par le passé mais nous travaillons maintenant tous ensemble dans la même direction. Nous partageons une détermination commune à promouvoir le développement durable. Nous faisons face aux mêmes problèmes et vivons sur une même planète, ce qui nous impose de surmonter nos différends et de coopérer.
Mme Catherine Procaccia . - M. Frignet souhaite sans doute réagir ?
M. Jérôme Frignet . - Je rappellerai simplement à M. le ministre que la première campagne de Greenpeace concernant les huiles végétales portait sur le soja, dans les années 2000. Le gouvernement brésilien a fini par accepter un moratoire sur la production de soja dans la zone amazonienne : depuis 2006, il n'y a pratiquement plus de conversion de forêts en plantations de soja. Ce moratoire est par nature provisoire, mais il a été reconduit chaque année et nous recherchons une solution définitive.
M. Mathias Kellermann, membre de l'association Kalaweit . - Je souhaiterais poser trois questions.
La première porte sur la relation entre la politique de santé publique et le respect de l'environnement. M. Jérôme Frignet a insisté, à juste titre, sur l'usage massif qui est fait du paraquat pour la culture de l'huile de palme. Ce produit a déjà fait un million de morts dans le monde et a été interdit en France, non sans raisons. Il contribue à la stérilisation des sols et nuit aux animaux qui vivent dans la forêt environnante. Il serait intéressant de savoir si l'on a des informations sur son impact sur la santé humaine et s'il y a des alternatives à son utilisation.
Ma deuxième question concerne les aspects sociaux de la consommation d'huile de palme. Traditionnellement, l'huile de palme était une culture vivrière en Indonésie. Comme l'augmentation de la demande mondiale fait monter les prix, de plus en plus d'Indonésiens ont des difficultés pour se fournir en huile de palme. La demande va continuer à croître du fait du développement des biocarburants.
Enfin, la question de la main d'oeuvre a été trop rapidement abordée. La déforestation est effectuée à moindre coût en faisant appel à des travailleurs issus des communautés locales, qui sont parfois obligés de se livrer au braconnage pour compléter leurs revenus. Quelles pourraient-être les pistes de solutions ?
M. Hubert Omont . - La règlementation internationale limite l'usage de certains produits mais les interdictions sont parfois contournées, y compris en France. Concernant les herbicides, on observe que l'entretien des parcelles est parfois moins rigoureux qu'il ne l'était par le passé car on s'est aperçu qu'un taux d'enherbement plus élevé n'avait pas forcément d'effet délétère sur la production. Les herbicides n'ont évidemment pas été inventés pour polluer la nature mais pour éviter à des agriculteurs de passer des journées entières courbés à retirer des mauvaises herbes. On a de plus en plus de mal à trouver de la main d'oeuvre, de sorte que certains projets de plantations géantes de 200 000 hectares en Afrique me laissent sceptiques. S'agissant de l'huile de palme, on utilise depuis longtemps les plantes de couverture : la culture de légumineuses limite la compétition avec les mauvaises herbes et produit de l'azote utilisé par les plantes.
Le RSPO impose l'existence de normes de sécurité concernant l'utilisation des herbicides par les travailleurs. Toute la question est de savoir comment la règlementation est appliquée sur le terrain.
En ce qui concerne le braconnage, on a fait des études sur des systèmes de production en Indonésie qui sont peu intensifs mais très riches en biodiversité. La culture musulmane, qui prédomine dans ce pays, favorise une meilleure protection des animaux que ce que l'on peut rencontrer dans d'autres régions du monde.
M. Jérôme Frignet . - Sur la question des prix, je pense moi aussi que le développement des agro-carburants est dangereux. Il serait d'ailleurs souhaitable de remettre en cause les subventions publiques à ce secteur à l'occasion de l'examen du prochain projet de loi de finances.
Concernant l'impact social, transformer des agriculteurs vivriers en salariés d'une plantation soulève différents problèmes : ils ne sont pas forcément gagnants sur le plan financier et se retrouvent dépendants de leur employeur, dans des pays où les droits sociaux et syndicaux ne sont pas toujours garantis. Il est donc crucial que les terres agricoles vivrières soient préservées dans le cadre des plans de développement des plantations.
Mme Catherine Procaccia . - Je remercie chaleureusement tous les participants à ce colloque et notamment nos amis indonésiens qui ont fait le déplacement jusqu'en France.
* 17 M. Bayu Krishnamurti s'est exprimé en anglais.
* 18 Le programme « Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation » a été lancé par les Nations Unies en 2008.