B - LES ATTENTES DES INVESTISSEURS ÉTRANGERS
M. Jacques LEGENDRE. - Merci. Nous souhaitons que pour vous rendre au ministère de la Coopération, tous les feux pour vous soient au vert.
Nous allons maintenant traiter de l'attente des investisseurs étrangers, et pour cela je demande à M. Jean-Louis Vilgrain et à M. Jean-Louis Castelnau de bien vouloir me rejoindre à cette tribune.
Je vous indique, Mes Chers Collègues, que mes deux coprésidents et amis, le Président Cantegrit et le Président Faure, n'ont pas fui le débat, mais le premier est retenu par une importante réunion du Comité national de sa formation politique, et le second est aussi Vice-Président du Sénat, il préside la séance actuellement, il ne lui a pas été possible de se dégager de cette obligation. Voilà pourquoi je me dois en cette fin de colloque d'être trois Présidents à moi tout seul, vous voudrez bien me pardonner.
Quelques mots de la biographie de M. Vilgrain.
Vous êtes PDG de nombreux organismes situés en Afrique : Société d'organisation de management des industries agricoles et alimentaires, Société camerounaise de minoterie, SARIS Congo, Société meunière et avicole du Gabon. Je n'évoque pas tous les conseils d'administration dans lesquels vous siégez.
Vous êtes surtout le Président du Comité Afrique Caraïbes Pacifique du CNPF et le Vice-Président du Conseil des Investisseurs Français en Afrique.
J'espérais aujourd'hui retrouver à mes côtés M. Prouteau, Président du Comité des Investisseurs, j'ai eu l'occasion de le côtoyer quand nous étions tous les deux membres du même Gouvernement de la République française à la fin des années 70. Depuis il a poursuivi une carrière qui l'avait tout à fait qualifié à parler de l'Afrique. Il avait une impossibilité absolue d'être parmi nous aujourd'hui.
Il nous a délégué M. Castelnau, diplômé de l'INSEAD, ancien Directeur Afrique Proche et Moyen-Orient d'Air Liquide, et délégué général du CIAN, travaillant en étroite liaison avec le Président Prouteau.
Je suis heureux, Messieurs, de vous accueillir, de vous donner la parole, je sais que vous allez pouvoir nous préciser les attentes des investisseurs étrangers que l'Afrique souhaite accueillir.
Intervention de M. Jean-Louis VILGRAIN, Président du Comité ACP du CNPF
M. Jean-Louis VILGRAIN. - Après l'intervention du Président MBaye qui a parlé de la nécessité pour les investisseurs et les entrepreneurs d'un environnement juridique, il s'agit de séduire des entrepreneurs, parce qu'un investisseur achète éventuellement des actions et les revend, mais ne crée pas de développement.
Il s'agit de séduire les entrepreneurs plus ou moins accompagnés d'investisseurs ou de prêteurs.
Le Président MBaye a souligné que dans le secteur privé il fallait incontestablement un État de droit. Il en a cité les trois composantes :
- la sécurité physique, problème n° 1 dans certains pays d'Afrique, le Nigeria par exemple où la sécurité des personnes n'est pas assurée, il faut donc le résoudre ;
- la sécurité juridique. A partir du moment où on fait un pari d'économie de marché, celle-ci est fondamentalement dérégulée. Or l'insécurité juridique résultait principalement du surplus de régulation, qui changeait au fur et à mesure éventuellement des Gouvernements, des évolutions politiques ou économiques. Dans une économie dérégulée la sécurité juridique devient celle des contrats.
Bien entendu un droit des affaires établit l'encadrement des contrats en général, et alors j'en arrive au troisième volet de l'environnement : la sécurité judiciaire. Les contrats ont parfois des difficultés à s'exécuter, et le système judiciaire, qui a la mission de dire le droit, mais aussi quelquefois de le faire, est important.
Fondamentalement les contrats méritent des interprétations dans leur exécution. Dans la plupart des pays développés, notamment aux États-Unis ou en France, la sécurité judiciaire, du moins dans le cadre des tribunaux de commerce, civils ou de première instance, est fondamentalement la sécurité de la jurisprudence.
Cette dernière peut évoluer d'un État à l'autre, comme par exemple aux USA.
Cette sécurité juridique et celle judiciaire sont parfois un peu contradictoires, mais fondamentalement elles reposent sur un fonctionnement normal des tribunaux, et dans un procès celui qui attaque éventuellement au plan national a une sécurité. S'il a raison il gagnera, s'il a tort il perdra.
L'autre jour, avec des entrepreneurs nous étions en Côte d'Ivoire. Le ministre de la Justice de ce pays a fait un exposé extrêmement exhaustif sur la réforme de la magistrature et des procédures judiciaires, et notamment l'exécution des jugements, c'est aussi un aspect qui fait partie de la sécurité judiciaire.
Je passe sur le problème du droit des affaires.
Comment l'Afrique peut-elle prendre en main son développement ? Je rejoins les réflexions des gouverneurs de Banque Centrale, le second point est la mise en oeuvre d'une charte des financements.
Aujourd'hui, la plupart des gens qui se penchent sur l'Afrique -les organismes internationaux, de coopération, etc- sentent bien qu'ils ne peuvent rien faire sans le secteur privé. C'est le moteur n° 1 du développement, qu'il soit africain, en partenariat entre des entrepreneurs européens, japonais, américains, ou exclusivement d'origine étrangère.
Le secteur privé est l'élément moteur du développement.
Un entrepreneur arrive peut-être avec un peu d'argent, mais ce n'est pas le cas général. S'il est implanté dans son pays, il n'a pas souvent de sommes disponibles importantes pour aller ailleurs. Par contre, il a des accompagnateurs en ingénierie financière, qui arrivent à conjuguer les fonds disponibles pour toute entreprise nouvelle. Malheureusement cette ingénierie est assez compliquée avec le système des garanties.
Le CNPF a mené des réflexions, elles figurent dans un document à votre disposition, imprimé par le Sénat.
Nous proposons une conjugaison des fonds et des ressources financières, en même temps qu'un système des garanties qui aujourd'hui ne nous semble pas tout à fait adapté aux problèmes que rencontrent les entrepreneurs voulant investir en Afrique.
Autre problème, celui des politiques d'intégration régionale.
Incontestablement celle-ci donne une dimension nouvelle à un marché, parce que la plupart des marchés de la zone franc sont relativement petits. Or, souvent la dimension économique valable pour des outils de production destinés au marché local est beaucoup trop importante pour le marché uniquement national, d'où une politique d'intégration régionale conduite par la plupart des États africains dans deux zones, extrêmement positive pour attirer ces investisseurs.
Néanmoins nous avons proposé en même temps dans ce dispositif fiscal ou douanier deux volets.
Celui fiscal rejoint la sécurité juridique, il ne faut pas que brusquement l'État impose une taxe parafiscale ou un droit unitaire de sortie. Or l'imagination des fonctionnaires dans ce domaine est sans limite.
La sécurité juridique s'applique aussi, il faut un paysage et une géographie fiscale relativement stables sinon sûrs.
Dans cette intégration régionale, le système est la préservation des marchés régionaux. En situation de décollage la libération interne et celle externe ne se conduisent pas simultanément.
Dans un certain dogmatisme que la Banque Mondiale n'a plus aujourd'hui, étaient confondus économie de marché et libre échange. Ce sont deux concepts différents situés différemment dans le temps.
Dans une société ayant une volonté de développer son industrialisation par filières au départ agricoles, ou de valoriser les actifs de la terre - miniers ou agricoles, à destination alimentaire ou industrielle - il est important de protéger l'industrialisation pendant quelque temps, tout en organisant néanmoins, dans le cadre de l'intégration régionale, une concurrence interne.
Ceci aboutit à la constitution d'un cordon douanier s'inspirant un peu du système européen, avec un tarif extérieur commun, un niveau de protection qu'en Europe nous appelons communautaire, et un tarif intérieur préférentiel permettant justement des échanges entre les États de la même zone, mais cela suppose en même temps des ressources fiscales. En effet, le poids des impôts indirects en Afrique est assez important, mais compte tenu de l'existence d'une secteur informel non négligeable, où y a-t-il une sécurité de ressources pour les États ? Dans les recettes douanières, et les impôts directs sur les sociétés qui réalisent des bénéfices, assez lourds en Afrique.
Tous ces dispositifs font partie de cet environnement qui séduit ou non l'entrepreneur ou l'investisseur : dimension du marché, sécurité juridique et autres.
Troisième volet, l'établissement d'une politique d'économie de marché comportant un secteur privatisation.
Dans les politiques en la matière des États il y a deux motivations fondamentales : celle française consistant à trouver des recettes budgétaires en cas de déficit à combler ; et l'autre consistant à dire "il faut privatiser parce que les affaires ne sont pas gérées normalement, ne font pas de profits, et leurs pertes pèsent sur le budget de l'État".
La troisième option est la suivante : l'affaire fonctionne bien, pourquoi faut-il la privatiser ? D'où une deuxième motivation, éventuellement une recette budgétaire.
Je reprends une réflexion du Gouverneur Konan Bany ce matin, très importante. Il a dit "il faut que les recettes récurrentes couvrent les dépenses récurrentes. Toute recette exceptionnelle doit être affectée au remboursement de la dette ou à un investissement, mais ne doit pas servir à combler un déficit de dépenses récurrentes et normales."
Pour les investisseurs le déficit des États est un critère important pour les transferts de capitaux étrangers.
Dans la politique des privatisations le rôle du secteur privé est reconnu positif, il y a un désengagement de l'État. C'est aussi l'occasion de faire des diversifications qui créent des emplois autour d'une unité agro-industrielle de production ou de services, qui peuvent également se diversifier dans d'autres activités à partir de la privatisation.
La méthodologie comporte plusieurs aspects résumés au colloque de Libreville. J'ai dit que la Côte d'Ivoire avait fait un parcours sans faute, elle s'est appuyée en même temps sur la Bourse d'Abidjan.
Il n'y a pas eu encore de privatisation par la seule mise en Bourse de la majorité du capital d'une société, mais d'une minorité seulement. Par contre, j'ai souligné qu'une privatisation, à partir du moment où l'État fait une réalisation, était incontestablement une étatisation de l'épargne. En échange de titres d'une société publique on donne du cash à l'État pour résoudre ses problèmes budgétaires et autres.
Néanmoins l'épargne n'est pas tellement abondante, souvent elle s'investit ailleurs, et dans les marchés financiers il est important que les programmes de privatisation s'appuient sur le financement même des entreprises, pas uniquement sur la solution d'un problème budgétaire pour les États.
En France certaines privatisations ont donné des ressources à l'État, mais pas à l'entreprise privatisée. Elle a besoin après de se retrouver sur des marchés financiers ou de faire appel à d'autres investisseurs pour souscrire des augmentations de capital et financer son développement.
Les modalités de privatisation sont importantes, puisqu'elles mobilisent l'épargne locale ou nationale. Dans le document du CNPF nous proposons que ce ne soient pas des dénationalisations. Un entrepreneur, même s'il est un ami est quand même un étranger.
Dans notre groupe nous avons eu à subir en Algérie il y a très longtemps, mais aussi au Congo Brazzaville une nationalisation. Nous étions seuls propriétaires du capital de cette société dont j'étais le Président. Or j'ai participé à sa reprivatisation il y a quatre ans mais à condition que l'État reste actionnaire au minimum à 35 %, afin que le jour où, grâce au talent des équipes en place, elle fonctionnera bien, on puisse l'introduire en Bourse, peut-être à celle d'Abidjan, la seule existant dans la zone franc. Il sera possible de mobiliser l'épargne nationale pour que ce processus de privatisation ne soit pas une simple opération de dénationalisation. C'est la coloration politique de cette présence de l'État toujours en tant qu'actionnaire minoritaire.
Enfin, autre aspect important souligné par le Premier ministre de Côte d'Ivoire l'autre jour, celui de la dette.
Dans la phase de redressement de l'Amérique du Sud, il y a eu un procédé mis en place par la Banque Mondiale. J'ai vu le processus s'installer et je l'ai trouvé extrêmement intéressant. Il y avait la transformation des dettes en investissements.
Le Président Chirac, la dernière fois à Libreville, a parlé du fonds de conversion. Cependant il faut aller plus loin. Ce qui a fonctionné pour l'Amérique du Sud, dans les relations entre les banques américaines privées et le pays pour ces opérations de conversion de dettes, c'était que, précisément, les créanciers étaient des opérateurs privés.
Or la dette de l'Afrique n'est pas privée, les créanciers souvent sont des États. Dans ces procédures de titrisation de dettes ou en échange de privatisation, on peut imaginer le même système que celui proposé par M. Balladur, mais c'est un processus de privatisation impliquant deux effets : au niveau du pays et du créancier, qui accepte que sa dette soit transformée en titre privé.
Le problème est important. Nous avons mené des réflexions, mais nous nous heurtons à des problèmes de comptabilité publique qui ne sont pas uniquement français, mais que l'on retrouve dans tous les pays de la Communauté européenne.
Dans ce système de la coopération, dans le cadre de la politique de privatisation prônée par la Banque Mondiale, avec juste raison, et par l'ensemble des opérateurs pour le secteur privé, les privatisations peuvent être un élément important du développement, mais en même temps il faut résoudre le problème de la dette, avec des formules plus ou moins compliquées impliquant une ingénierie juridique de droit public et une ingénierie financière.
Les dettes sont là, les actifs aussi, je pense que nous avons suffisamment d'imagination dans nos pays et en Afrique pour arriver à trouver le système permettant le fonctionnement.
Je souligne la présence de fonds d'investissement et l'existence dans la zone franc d'une Bourse à Abidjan. L'Afrique anglophone dans ce domaine est très en avance sur l'Afrique francophone.
La Tanzanie, la Zambie, l'Afrique du Sud, le Zimbabwe ont des Bourses d'échange, sur lesquelles ils ont articulé une politique de développement, de séduction des entrepreneurs et des investisseurs étrangers.
Le discours des Gouverneurs de Banque Centrale indique que l'Afrique peut prétendre à avoir les pays émergents du futur. Aujourd'hui, s'ils ne se structurent pas comme la plupart des pays d'Asie ou d'Amérique du Sud pour faire fleurir le développement grâce au secteur privé, il faut faire appel aux mécanismes élaborés pour d'autres continents, il n'y a aucune raison qu'ils ne réussissent pas en Afrique.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Je vous remercie beaucoup, Monsieur Vilgrain. Je donne tout de suite la parole à M. Castelnau.