LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT

Série GROUPES D'AMITIÉ

RAPPORT SUR LA SITUATION

AU CAMEROUN ET EN NAMIBIE

DÉPLACEMENT DU GROUPE D'AMITIÉS, FRANCE-PAYS DE L'AFRIQUE CENTRALE

DU 21 AU 31 JANVIER 1995

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la suite du déplacement effectué par le Groupe d'Amitié France-Pays de l'Afrique centrale. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

n° GA1 Juin 1995

COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION

M.

Jean-Pierre CANTEGRIT

Rat UC

Français établis hors de France Président du groupe France- Afrique centrale

Mme

Paulette BRISEPIERRE

RPR

Français établis hors de France

MM

Germain AUTHIÉ

SOC

Ariège

Georges BERCHET

RDE

Haute-Marne

Jean-Paul CHAMBRIARD

RI

Haute-Loire

Roger LISE

UC

Martinique

La délégation était accompagnée de Mlle Dominique-Alice ROBERT, conseiller des services du Sénat, et secrétaire administratif du groupe France - Afrique centrale.

SOMMAIRE

INTRODUCTION

Au mois d'octobre 1988, une délégation de six parlementaires camerounais se rendait en France à l'invitation du groupe France-Afrique Centrale.

Il s'agissait là de la première initiative prise par M. Jean-Pierre Cantegrit, qui avait succédé à la présidence de ce groupe en mai 1988 à M. Jacques Pelletier, appelé au sein du Gouvernement de Michel Rocard comme ministre de la Coopération et du Développement.

La physionomie politique du Cameroun ayant considérablement évoluée depuis ce mois d'octobre 1988, il a semblé opportun qu'une délégation du groupe se rende à son tour dans ce pays.

C'est ainsi que six sénateurs ont séjourné au Cameroun du 21 au 26 janvier 1995, avant de se rendre en Namibie, en réponse à une invitation du Président Sam Nujoma.

Leur séjour dans chacun de ces pays a été facilité par les grandes qualités d'organisation et de disponibilité dont ont fait preuve nos deux ambassadeurs, MM. Gilles Vidal à Yaoundé, et Frédéric Baleine du Laurens à Windhoek. Qu'ils en soient, ainsi que leurs collaborateurs, vivement remerciés.

Au Cameroun, le séjour de la délégation s'est organisé selon le calendrier suivant :

Samedi 21 janvier 1995

17 h 15 : Arrivée à Yaoundé : accueil par le Premier vice-président de l'Assemblée nationale

Dimanche 22 janvier

9 H 30 Départ pour Ayos

11 H 00 Visite de l'hôpital fondé à Ayos par le Dr Jamot, pionnier français de la lutte contre la maladie du sommeil

13 H 30 Déjeuner à la Congrégation des Soeurs Catholiques

18 H 00 Retour à Yaoundé

20 H 00 Dîner offert par M. Jean-Bernard Ndongo Essomba, chef de la Délégation Camerounaise, à son domicile

Lundi 23 janvier

9 H 00 Entretien avec M. Léopold Oyono, Ministre des Relations Extérieures

10 H 00 Entretien avec M. Djibril Cavaye Yeguie, Président de l'Assemblée nationale

11 H 00 Séance de travail avec les parlementaires camerounais

12 H 30 Déjeuner offert par M. le Président de l'Assemblée nationale au Restaurant des Députés

17 H 00 Visite du centre culturel français de Yaoundé

Mardi 24 janvier

9 H 30 Entretien à la mission française de coopération

11 H 00 Visite du Centre Pasteur de Yaoundé

13 H 30 Déjeuner offert par M. L'Ambassadeur de France à sa résidence

16 H 00 Entretien avec M. Titus Edzoa, secrétaire général de la présidence de la République

17 H 00 Entretien avec M. Simon Achidi Achu, Premier ministre, chef du Gouvernement

Mercredi 25 janvier

8 H 30 Départ en voiture pour Douala

12 H 00 Entretien avec M. Moutome Doualla, Ministre de la justice, Garde des Sceaux

13 H 00 Déjeuner offert par M. Koungou Edima, Gouverneur de la province du Littoral

16 H 30 Réunion de travail avec les milieux d'affaires franco-camerounais

20 H 30 Dîner offert par M. Le Consul de France à sa résidence

Jeudi 26 janvier

10 H 00 Entretien avec M. Pokossy-Dombé, délégué du Gouvernement, président de la Communauté urbaine de Douala

16 H 00 Départ pour Johannesburg

I/ Le Cameroun : un avenir incertain 1 ( * )

L'avenir du pays est entravé par l'attentisme politique des autorités en place, et par la dégradation de la situation économique. 1 ( * )

A) L'attentisme politique

Les éléments spécifiques à la constitution de la nation camerounaise sont d'une extrême diversité, et la fragmentation du pays entre de multiples pôles politiques, ethniques, linguistiques et religieux, sans doute plus marquée qu'ailleurs en Afrique, contribuent à la difficulté de la conduite du pays.

1. Un pays fragmenté

L'histoire du pays depuis le début de l'emprise européenne permet d'évoquer les grandes lignes de fracture qui le traversent : au protectorat allemand établi en 1884 succède, en 1918, un double mandat français (4/5ème du territoire, à l'Est), et anglais (régions de l'Ouest). Cette partie française accède à l'indépendance en 1960, puis les deux territoires sont partiellement réunifiés sous forme d'État fédéral (la fraction Nord du territoire anglophone s'intègre au Nigéria) par référendum, organisé sous l'égide de l'ONU, en février 1961.

Amadou Ahidjo accède à la présidence de cet État fédéral en 1962, et promulgue dix ans plus tard une nouvelle Constitution, instaurant une République Unie du Cameroun, mais maintenant le bilinguisme officiel (français et anglais). En 1975, il appelle Paul Biya à la tête du Gouvernement ; ce dernier succède à Ahidjo après sa démission de la présidence, en novembre 1982.

Confirmé dans cette fonction par les élections anticipées du 14 janvier 1984, avec un score sans appel (99,98 % des suffrages exprimés), Paul Biya et le parti unique qui le soutient, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), remportent également les présidentielles et les législatives d'avril 1986.

Cependant, les rivalités ethniques, qui recouvrent partiellement les sphères linguistiques (l'Ouest anglophone est majoritairement peuplé de Bamilékés) et religieuses (le Nord musulman est fidèle au souvenir d'Amadou Ahidjo, tandis que le Sud christianisé se retrouve en Paul Biya), s'aiguisent avec le temps, et la prééminence progressivement accordée par le Président à son ethnie, les Bétis.

Ces tensions débouchent, en avril 1991, sur des troubles importants, dont une violente manifestation qui fait une soixantaine de victimes.

Le refus alors opposé par le Président à la réunion d'une Conférence nationale réclamée par l'opposition entraîne l'organisation, par celle-ci de l'opération "villes mortes", assidûment suivie jusqu'au mois de juillet suivant. Mais l'échec de la marche sur le palais présidentiel conduit à sa suspension. C'est dans ce contexte troublé que le Président Biya s'oriente vers l'application du pluralisme partisan.

2. Des élections contestées

C'est en décembre 1990 que l'Assemblée nationale adopte le cadre juridique inaugurant un multipartisme effectif.

A l'occasion de ce débat, le Président Biya affirme aux députés : "Je vous ai amenés à la démocratie et à la liberté" (3 décembre 1990). De fait, les élections législatives de mars 1992 permettent l'entrée à l'Assemblée nationale d'une partie de l'opposition : sur les 180 députés, 88 soutiennent le Gouvernement sous l'étiquette du RDPC, 68 se réclament de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), dirigée par Bello Bouba Maïgari, ancien ministre du Président Biya, et 18 représentent l'Union des populations du Cameroun (UPC), parti de gauche implanté principalement sur le littoral, et à Douala.

Aux députés du RDPC viennent se joindre, dans le soutien au Gouvernement, 6 députés du Mouvement Démocratique pour la défense de la République (MDR), qui ont en commun, outre leur appartenance politique, d'être élus par la province de l'Extrême-Nord, ce qui diversifie l'origine géographique des soutiens au Président Biya.

Cependant, l'opposition la plus radicale, qui a refusé de participer à ces élections, notamment parce que leur date avait été fixée discrétionnairement par le Président Biya 1 ( * ) se trouve de ce fait, exclue du système institutionnel. Elle est composée pour l'essentiel par le Social Democratic Front (SDF), animé par John Fru Ndi, dirigeant anglophone de l'Ouest du pays (Bamenda).

En revanche, les résultats des élections présidentielles à un tour d'octobre 1992 traduisent la forte émergence du SDF, puisque John Fru Ndi recueille alors 35,9 % des voix ; le président Biya est réélu, de justesse, avec 39,9 %, et 18,6 % reviennent à Bello Bouba Maïgari.

L'étroitesse de la victoire du président sortant entraîne la vive contestation du scrutin par l'opposition. De violents troubles agitent la région de Bamenda, où l'état d'urgence est décrété ; John Fru Ndi est assigné à résidence jusqu'à la fin de 1992.

3. Un débat constitutionnel esquivé

A la revendication croissante de l'opposition en faveur de la réunion d'une Conférence nationale, qui statuerait sur les institutions du pays, le Président Biya a opposé un refus sans appel, estimant, dans un discours à l'Assemblée nationale, le 27 juin 1991, que : « La Conférence nationale est sans objet pour le Cameroun ». Devant le bureau politique du RDPC, en mars 1991, il avait déjà affirmé que : « là où elle fut organisée, la Conférence nationale a été à l'origine de l'ouverture démocratique. Au Cameroun, c'est chose faite, » en s'appuyant notamment sur l'exemple de l'adoption, en décembre 1990, des lois instaurant le multipartisme.

Cependant, les fortes contestations qui suivent sa réélection le conduisent à promettre « un grand débat national », qui se déroule d'avril à juin 1993, et aboutit à la décision d'une révision constitutionnelle devant être débattue par l'Assemblée nationale.

Mais les conditions de convocation, précipitées et discrétionnaires, d'un Comité consultatif constitutionnel, le 14 décembre 1994, avec l'édiction d'une double contrainte pesant sur ses débats, qui sont limités à une semaine, et doivent se dérouler à huis clos, conduisent à une impasse.

En effet, seules les personnalités politiques proches du pouvoir acceptent de délibérer dans ces conditions, et les membres de l'opposition convoqués se récusent : c'est le cas, notamment du dirigeant de l'UNDP, Bello Boula Maïgari, et de l'archevêque de Douala.

Il faut en outre relever qu'aucun texte issu de ce Comité ainsi restreint n'a été, à ce jour, ni publié, ni soumis à l'Assemblée nationale.

Le Président Biya n'a donc pas trouvé de formule acceptable de substitution à la Conférence nationale, ce qui a le double inconvénient de fragiliser encore une légitimité très ébranlée par le score serré et contesté des présidentielles d'octobre 1992, et d'enfermer l'opposition, parlementaire ou non, dans une position uniquement critique.

Aussi bien le report constant des élections municipales, qui devaient se dérouler en 1993, et pour lesquelles la période de l'automne 1995 est maintenant avancée, 1 ( * ) souligne l'indécision d'un pouvoir dont le maintien tient plus à la mésentente de l'opposition qui le conteste, qu'aux soutiens dont il bénéficie. 2 ( * )

* 1 - Superficie : 475 000 km 2

Population : 12,3 millions d'habitants

Capitale : Yaoundé

PNB : 11,2 Mds de $

PNB/hab : 960 $

Montant de la dette : 6 Mds de $

Tx d'alphabet. : 56,30 %

Source : Ministère de la Coopération - chiffres de novembre 1994

* 1

* 1 Le SDF conteste également les modalités pratiques d'organisation de ces élections (élaboration des listes électorales et attribution des cartes d'électeur, notamment)

* 1 Alors que le président Biya avait, d'un même mouvement, annoncé le 6 novembre 1994, leur tenue au début de l'année 1995, ainsi que la relance du débat constitutionnel.

* 2 On trouvera différentes analyses de l'évolution politique récente du Cameroun dans :

- l'Afrique en transition vers le pluralisme démocratique - ed Economica - 1993

- l'Afrique politique - ed Karthala - 1994.

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