Paris, le 3 mai 2000
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Soyez assurés que je mesure pleinement l’honneur que vous me faites, en m’accueillant ainsi, aujourd’hui, dans l’hémicycle de votre Haute Assemblée.
Je veux donc remercier vivement chacune et chacun de vous. Et vous dire toute ma gratitude pour cette invitation.
Monsieur le Président, vous avez bien voulu rappeler, en termes trop élogieux, quelques moments de ma carrière diplomatique et universitaire. Mais je veux surtout penser que c’est d’abord la Francophonie que vous souhaitez honorer, et l’Organisation internationale dont j’ai aujourd’hui la charge.
Et lorsque je vois, ici, le drapeau de la Francophonie uni à celui de la France et de l’Union européenne, c’est pour moi un symbole fort et un encouragement formidable !
Le jour où nous verrons flotter, au fronton de toutes les mairies de France, le drapeau de la Francophonie. Eh bien, ce jour-là, nous pourrons dire que la bataille est gagnée !
Car la Francophonie est encore mal connue, voire mal perçue.
Je veux donc dire, ici, en commençant mes propos :
que la Francophonie n’est pas l’expression nostalgique d’un paradis perdu !
que la Francophonie n’est pas l’avatar d’un impérialisme d’antan !
que la Francophonie n’est pas la défense sourcilleuse d’une langue figée !
La Francophonie c’est bien autre chose !
La Francophonie, c’est, aujourd’hui, 55 Etats et gouvernements qui ont rejoint, en toute indépendance et en toute liberté, notre Communauté.
La Francophonie, c’est, aujourd’hui, un ensemble géopolitique qui touche au confins des cinq continents. Du Canada à l’Afrique, des îles des Antilles à celles de l’Océan Indien, des rivages de l’Atlantique aux côtes du Pacifique.
Je vous dirai, encore, que la Francophonie, c’est, aujourd’hui, 500 millions de femmes et d’hommes qui ont choisi de se retrouver et de s’entraider au nom d’une langue qu’ils ont en partage.
Je pourrais vous dire, enfin, de façon plus pragmatique, que la Francophonie, c’est, aujourd’hui, avec 11% de la population mondiale, 10,7% du PNB mondial et 15,8% du commerce mondial, un champ immense de possibilités.
Et pourtant, force est de constater que la Francophonie est une idée qui ne va pas de soi. En France, plus qu’ailleurs, sans doute.
Et les Français ne mesurent pas assez la chance formidable qui est la leur. Celle de posséder, comme langue maternelle, une langue universelle !
Je dis bien, universelle !
Parce que l’universalité d’une langue ne se mesure pas seulement au nombre de ses locuteurs.
Parce que la diffusion d’une langue est indissociable du message qu’elle porte en elle-même.
Parce qu’une langue est universelle, non pas parce qu’elle est parlée partout et par tous, mais parce qu’elle porte en elle des valeurs dans lesquelles peuvent se reconnaître tous les peuples de la planète.
J’en veux pour preuve la progression constante du français dans le monde.
Car, contrairement, aux idées reçues et à un pessimisme " bon ton ", le français, dans le monde, ne recule pas ! Au contraire !
Entre 1990 et 1998, le nombre de francophones réels a augmenté de 7,7% et le nombre de francophones occasionnels de 11,8%.
Et je voudrais saisir cette occasion, pour vous délivrer un message fort, vous dont la fonction est de réfléchir sur les mutations à long terme de la société.
La langue française sera d’autant mieux respectée, si elle jouit, en France, d’un statut respectable.
Dans le même ordre d’idées, il faut veiller à l’enseignement des langues étrangères dans toute leur diversité.
Car si, en France même, l’on se concentre sur le tout anglais, comment voulez-vous que les autres pays continuent d’enseigner la langue française ? Et vous pouvez, en ce domaine, donner des impulsions fortes. Car les incantations ou les déclarations d’intention ne suffiront pas ! Cela nécessite un projet politique fort, et inscrit dans la durée.
C’est le mandat que j’ai reçu, à Hanoï, des chefs d’Etat et de gouvernement. C’est ce mandat que je mets en œuvre depuis deux ans. C’est ce mandat dont je veux, aujourd’hui, vous rendre compte, guidé par les trois impératifs qui animent mon action : l’efficacité, la modernité, le rayonnement.
***
Concernant l’efficacité, je suis le premier à le reconnaître, la Francophonie a trop longtemps donné l’image d’une nébuleuse, d’un enchevêtrement de structures, dans lesquelles on se perd. Et j’ai décidé, tout de suite, de m’attaquer à ce problème. Et, j’ai donc estimé que le moment était venu de fonder une véritable organisation internationale, rassemblant l’ensemble de nos structures francophones. C’est ainsi qu’est née l’Organisation internationale de la Francophonie, qu’elle s’est imposée sur la scène internationale, et qu’elle a été consacrée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 18 décembre 1998.
On peut donc dire, après deux ans, que les structures sont en ordre de marche.
Pour autant, tout en affirmant l’unité de notre Institution, j’ai voulu préserver la diversité de ses composantes. En effet, la Francophonie est aujourd’hui la seule organisation internationale dans le monde à assurer, avec une aussi grande richesse, la représentation politique et sociale. D’abord, parce qu’elle accueille, en son sein, non seulement des Etats, mais aussi des gouvernements, comme le Québec, le Nouveau-Brunswick ou la Communauté française de Belgique.
Par ailleurs, elle assure pleinement son ancrage dans la société civile. Puisque, outre l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, notre Institution associe directement les universitaires, à travers l’Agence universitaire de la Francophonie et l’Université Senghor d’Alexandrie, les maires, à travers l’Association internationale des maires francophones, les média, à travers TV5, et les Parlementaires, à travers l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Et je saisis cette occasion pour saluer l’engagement constant de son Secrétaire international, votre collègue, le Sénateur Jacques Legendre.
J’ai voulu réunir ces différents acteurs, au sein d’un Conseil de coopération que je préside, chaque mois, et qui est devenu, en peu de temps, un véritable Conseil exécutif de la Francophonie.
Mais l’efficacité de nos structures n’a de sens que si elle est au service d’une efficacité dans les programmes.
J’ai donc fait une chasse impitoyable aux chevauchements de projets, à la dispersion des crédits, au saupoudrage des subventions !
C’est dans cet esprit que j’ai voulu instituer une véritable culture de l’évaluation. J’ai fait procéder, dans un premier temps, à l’évaluation de l’Agence universitaire dont vous connaissiez les difficultés, difficultés aujourd’hui résolues.
L’université Senghor est , à son tour, en passe d’être évaluée. Et je compte poursuivre dans cette voie. Car, en tant que garant du Fonds multilatéral unique, je me sens responsable de l’utilisation des deniers publics. Et j’entends, dans un souci d’efficacité, et de transparence, que les fonds versés par les Etats et gouvernements soient utilisés au mieux !
C’est dire, dans mon esprit, que l’argent de la Francophonie doit aller aux programmes de coopération, et non au fonctionnement de l’institution ! ! !
Mon deuxième impératif, je l’ai dit, est celui de la modernité.
Cette modernité passe, à mes yeux, par une double exigence :
La première, c’est de tenir un langage de vérité ! L’opinion en a assez de la langue de bois, assez des conférences lénifiantes, assez des déclarations d’intention ! Si la Francophonie veut être de son époque, elle doit épouser cette exigence de vérité, et en tirer toutes les conséquences. C’est dire que les Etats et gouvernements de la Francophonie réunis, ensemble, doivent de façon urgente, et sans concessions, prendre, à bras le corps, la question de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés ! ! !
La Francophonie a déjà une longue expérience en la matière.
Depuis 1992, ce sont ainsi 52 missions d’observation des élections qui ont été dépêchées dans des Etats membres. Nous intervenons, aussi, pour renforcer, en amont et en aval des scrutins, les capacités électorales, pour renforcer les institutions parlementaires, juridiques et judiciaires.
Il existe, maintenant, une diplomatie de la Francophonie ! Reconnue et respectée par la communauté internationale !
J’en veux pour preuve les nombreuses demandes de médiation et de conciliation dont nous sommes saisis, notamment en Afrique. Je citerai pour exemple : le Togo, la République démocratique du Congo, le Burundi, la Républicaine centrafricaine, les Comores.
J’en veux pour preuve, aussi, l’intervention le 26 janvier dernier, pour la première fois, de l’Organisation internationale de la Francophonie devant le Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation en République démocratique du Congo.
J’en veux pour preuve, enfin, les liens toujours plus étroits que nous tissons avec les autres organisations régionales.
Mais au-delà des crises, il faut aussi inscrire notre action dans la durée. Car chacun sait que la meilleure garantie de la paix est une démocratie durable.
C’est la raison pour laquelle, il faut se féliciter que le dernier Sommet de la Francophonie ait décrété que l’an 2000 serait l’année de la mobilisation générale pour la démocratie !
Cette vaste entreprise réunit, dès à présent, des diplomates, des universitaires, des représentants des partis politiques et de la société civile. Tous travaillent à ce qui sera, à l’automne prochain, à Bamako, la grande Conférence francophone de la démocratie.
Je souhaite que nous puissions, ainsi, dégager les pratiques positives de la démocratie de façon à mieux apprécier les progrès accomplis ou ceux qui restent à l’être. Et agir en conséquence.
Mais je veux, ici, répéter fortement que si la démocratie est une exigence universelle, il n’y a pas pour autant de modèle unique à imposer aux autres ! ! !
Je voudrais dire aussi que, parce que la Francophonie est un espace privilégié de solidarité, elle constitue un cadre idéal pour convaincre les Etats d’emprunter les chemins les mieux adaptés à une démocratie moderne et effective.
Mais, j’ajouterai une troisième idée, en direction des pays les plus industrialisés.
Pour leur dire qu’il ne suffit pas d’avoir à tout instant le mot " démocratie " à la bouche. Il faut aussi donner l’exemple !
A cet égard, il me vient à l’esprit un symbole fort pour montrer la voie : c’est de faire de l’espace francophone un espace de libre circulation.
Je tiens à l’affirmer, clairement, ici, aujourd’hui : le combat pour la démocratie commence par la libre circulation des personnes, des idées et des talents en Francophonie ! ! !
Je pense, dans un premier temps, aux artistes et aux créateurs, qui sont, sans doute, les meilleurs ambassadeurs de la Francophonie. Je pense, aussi, aux scientifiques, aux universitaires, aux chercheurs. Je pense, enfin, à la mobilité des jeunes du Sud. Nous savons tous que la mondialisation leur offre désormais l’opportunité de bénéficier, ailleurs, de l’accueil qu’ils ne trouvent pas chez nous.
Nous savons tous, aussi, que les universités, notamment américaines, réfléchissent en termes stratégiques, aux moyens de fidéliser cette jeunesse francophone que les liens du cœur poussent tout naturellement vers nous, mais que la voix de la raison contraint à l’expatriation culturelle et linguistique.
C’est donc aussi en termes de stratégie que nous devons au plus vite appréhender ce problème, sous peine de laisser s’installer une hémorragie d’intelligences et de potentialités, grave pour l’avenir de notre communauté francophone.
Il faut donc multiplier les bourses, les stages, les échanges entre le Nord et le Sud, entre le Sud et le Sud.
Oui ! Nous devons militer pour une Francophonie sans visa ! ! !
Mais la modernité a aussi un autre visage, que nous impose la mondialisation de la communication et de l’information. Je veux parler des nouvelles technologies.
L’Internet est un formidable outil ! Mais il ne sera un véritable progrès que lorsque tous, et partout, auront un égal accès aux richesses et aux services qu’il propose.
Après avoir détruit le mur de Berlin, ne créons pas une nouvelle division du monde ! Celle qui séparerait irrémédiablement les inforiches et les infopauvres !
C’est avec ce souci constant que je veille à ce que la Francophonie conduise, dans ce domaine, trois types d’intervention.
Premièrement, la démocratisation de l’accès à l’Internet. Et nous menons, actuellement, un ambitieux projet d’ouvertures de cybercentres en Afrique, en collaboration avec la Banque mondiale.
Deuxièmement, la création de sites Internet en français. Tel est l’objectif du Fonds francophone des inforoutes, mis en place en 1998.
Troisièmement, la formation aux nouvelles technologies, élément essentiel pour favoriser l’autonomie des usagers.
Dans le même ordre d’idées, la mise à disposition de ressources libres et gratuites, grâce aux logiciels libres, permettra d’assurer un développement technologique mieux maîtrisé.
Et la Francophonie entend bien tirer le meilleur parti de cette nouvelle forme de solidarité, qui retient, vous le rappeliez Monsieur le Président, toute l’attention de votre Assemblée.
Puisque l’Institut francophone des nouvelles technologies de Bordeaux organise déjà des ateliers de formation à l’usage des logiciels libres dans les pays du Sud.
Je veux donc que la Francophonie soit exemplaire dans ce domaine. Et elle doit être à la pointe de ce combat !
Je voudrais, à cet égard, évoquer TV5. Notre chaîne francophone connaît, depuis un an, une mutation formidable et qu’il faut saluer avec enthousiasme. Elle a maintenant l’ambition de réussir sa diversification dans le domaine de l’internet. Les 600 millions de spectateurs qui peuvent aujourd’hui recevoir TV5 sont en effet un atout majeur dans le domaine de l’Internet. Un atout qu’il faut favoriser au plus vite. Et qui va dans le sens du troisième objectif que je me suis assigné : le rayonnement international.
Concernant notre rayonnement international, je le dis clairement : la diffusion et la promotion du français restent la vocation première de notre Organisation ! C’est notre mission essentielle et, pour moi, elle passe notamment par le renforcement de son rôle dans les Organisations internationales et un meilleur ancrage dans la société civile.
Tout d’abord, au sein des organisations internationales, la place du français, langue de travail officielle, doit rester ce qu’elle est !
Nous avons, à cet effet, mis en place un Plan d’urgence pour la relance du français dans les organisations internationales qui permet la formation, en français, à la fonction publique internationale, la prise en charge de jeunes experts francophones associés et une aide à l’interprétation en français des conférences internationales.
Mais, je le dis sans détour, tout cela restera bien insuffisant, si certains de nos diplomates francophones, même français, se croient obligés de s’exprimer systématiquement en anglais quand personne ne les y oblige. Une fois encore, je le dis, pour défendre la Francophonie, que les Francophones donnent l’exemple !
Il s’agit là d’un problème qui requiert, je dirais, de la part de nos fonctionnaires internationaux, de nos diplomates, de nos élites, une nouvelle forme de civisme : le civisme francophone ! ! !
Mais le rayonnement de la Francophonie prend son sens le plus fort, me semble-t-il, dans la société civile.
Et je voudrais insister sur le rôle de mobilisation qui doit être celui des acteurs privés.
Car ce n’est pas l’Organisation internationale de la Francophonie qui créera des emplois, ou qui embauchera ces milliers de jeunes qui sur les 5 continents ont choisi de se former en français.
Je pense, notamment, à ces jeunes, dont les pays appartiennent à la Francophonie, mais dont le français n’est pas la langue maternelle.
Je les ai rencontrés dans le Sud-est asiatique, dans les pays de l’Est, dans le monde arabe.
La meilleure manière de plaider la cause de la Francophonie, c’est si, à cette connaissance du français correspond un marché de l’emploi plus ouvert.
Je rencontre aussi souvent qu’il est possible des chefs d’entreprise, des banquiers francophones pour les sensibiliser à cette nécessité.
Certains sont réceptifs, d’autres moins. C’est pourtant là un enjeu essentiel, que soutient, à nos côtés, le Forum francophone des Affaires.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
De nouveaux Etats nous rejoignent sans cesse : encore récemment la Lituanie, la Pologne, la Slovénie, la République tchèque.
Là encore les franco-pessimistes y voient le signe d’une perte de spécificité, voire de crédibilité pour la Francophonie.
Eh bien, permettez-moi de vous dire que c’est une chance formidable pour nous tous ! Pour eux, comme pour nous !
Car la Francophonie est à leurs yeux synonyme d’ouverture sur le monde, elle est un réseau de solidarité, elle est un chemin sur la voie de la réconciliation et de la paix.
Une formidable chance pour la Francophonie ! Parce que tous ces pays forment leurs diplomates en français et constituent pour nous autant d’ilôts de Francophonie à l’intérieur des organisations internationales.
Vous l’aurez compris, je suis rempli d’optimisme et d’espoir ! ! !
Et si je voulais vous dire l’espoir le plus grand que je mets dans la Francophonie, sur le plan symbolique, je dirais que c’est dans la décision des chefs d’Etat et de gouvernement de tenir le Sommet de 2001, à Beyrouth, au coeur du monde arabe.
Dans cette zone agitée par tous les conflits, dans ce pays ravagé par quinze ans de guerre, dans cette ville qui a tellement souffert.
Et que la première conférence internationale que tienne cette ville, soit le Sommet de la Francophonie, c’est pour moi le résumé de tout ce que la Francophonie incarne : la réconciliation, la solidarité, la paix, la dignité, la diversité culturelle et la tolérance !
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je voudrais en guise de conclusion , vous lancer un appel.
Ils sont des millions de francophones à aimer la langue française, la culture française, sur tous les continents.
Certes, la langue française appartient à toutes celles et à tous ceux qui l’utilisent. Elle est sans frontières.
Mais la France a un rôle spécifique à jouer.
Alors aidez-moi ! ! !
Le combat pour la Francophonie commence en France même !
La France a le devoir de répondre à l’immense attente des francophones du monde entier en veillant, sur son propre territoire, au statut de la langue française, en veillant à son respect, en veillant à sa diffusion, en veillant à son épanouissement !
Oui, c’est ce rôle de veilleur que j’attends du Sénat au service de la Francophonie ! ! !
Car si la Francophonie sait tout ce qu’elle doit à la France, la France ne sait peut-être pas encore assez tout ce qu’elle peut donner à la Francophonie.
Une fois encore je vous remercie de votre invitation.