Leconte de Lisle était peu aimé. Sa réserve glaciale et sa causticité lui avaient aliéné les sympathies. Sous cette froideur il cachait pourtant un cœur sensible et sous cette réserve, il voilait jalousement une extrême timidité. Son amertume était faite des désillusions et des rancoeurs d’une vie qu’il sut maintenir très digne, à force d’orgueil héroïque.
Dans un de ces accès de gaîté enfantine, qui tranchent si étrangement sur l’attitude qu’il s’était imposée, ce bibliothécaire de la vieille roche inventa un moyen ingénieux d’écarter le lecteur auquel il appliquait volontiers le précepte d’Horace : Odi profanum vulgus et arceo.
De 1870 à 1876 la Bibliothèque du Luxembourg fut publique. Pour y accéder on doit passer par une porte ouvrant sur un couloir circulaire où donnent cinq ou six autres portes. Leconte de Lisle fit coller des flèches en papier avec l’indication " Bibliothèque ", tout autour de ce couloir. En sorte que les malheureux lecteurs qui se guidaient sur ces flèches fallacieuses, tournaient perpétuellement dans la demi-obscurité du couloir sans jamais rencontrer l’entrée cherchée que rien ne distinguait des autres. Et ils partaient découragés, sans nul désir de renouveler l’expérience.
Claude-Louis dans " Les Poètes assis "
Dossier d'archives : Leconte de Lisle - juin 2000