Pierre Waldeck-Rousseau naît le 2 décembre 1846 à Nantes. Il est le fils de René Waldeck-Rousseau, avocat, député de l'Assemblée Constituante de 1848 et maire de Nantes entre 1870 et 1874. Après des études de droit à l'Université de Poitiers, il devient avocat au barreau de Saint-Nazaire puis de Rennes. Il fréquente les cercles républicains, écrit dans des journaux, dont l'Avenir.
De 1879 à 1889, il est député d'Ille-et-Vilaine, membre de l'Union républicaine et fait très vite sensation à la Chambre. Dès novembre 1881, Gambetta l'appelle et le nomme ministre de l'Intérieur. Il le reste jusqu'en 1885, après que Ferry l'a confirmé dans ses fonctions à son arrivée à la présidence du Conseil en 1883. Au Gouvernement, Waldeck-Rousseau engage alors une importante réforme de la magistrature, qui sera votée en 1884. Surtout, il pose la première pierre de son œuvre en faveur de la liberté d'association en portant devant le Parlement la loi du 21 mars 1884 sur le droit d'association et de société de secours mutuels, ouvrant ainsi la voie à la liberté syndicale.
A la chute du gouvernement Ferry en 1885, il se retire des affaires politiques et redevient avocat au barreau de Paris, où son cabinet est l'un des plus réputés. Zola et Eiffel comptent parmi ses clients.
En 1894, il se laisse convaincre de reprendre ses activités politiques et est élu sénateur de la Loire à l'occasion d'une élection partielle. Réélu en 1897, il siège au Sénat jusqu'en 1899, sans beaucoup participer aux travaux parlementaires. Sa seule intervention en séance publique, en 1898, porte sur une proposition de loi qu'il a déposée, relative à la réorganisation des procès après condamnation définitive. Pierre Waldeck-Rousseau ne manque cependant pas d'ambition : dès 1895, il se présente à l'élection présidentielle mais c'est Félix Faure qui est élu.
Le 22 juin 1899, Waldeck-Rousseau est appelé par un autre ancien sénateur, Émile Loubet, à la présidence du Conseil. Il dirige jusqu'en 1902 un gouvernement de « défense et d'action républicaine », dans lequel il occupe également le portefeuille de ministre de l'Intérieur et des Cultes. Dans ce qui fut le plus long cabinet de la IIIe République, Waldeck-Rousseau parvient à faire cohabiter des personnalités de sensibilités aussi opposées que le général Galliffet, qui a combattu les Communards en 1871, et Alexandre Millerand, premier socialiste à entrer dans un gouvernement de la IIIe République.
Au Gouvernement, Waldeck-Rousseau prend très tôt en main les suites de l'affaire Dreyfus en organisant, avec l'aide du Président de la République , la révision du procès du capitaine, finalement réhabilité par Émile Combes en 1905. En septembre 1899, il fait arrêter soixante-sept personnes appartenant à divers mouvements nationalistes, antisémites ou boulangistes. Dix-sept, dont Paul Déroulède, sont traduites devant le Sénat constitué en Haute Cour de justice.
S'il faut se souvenir que son gouvernement a engagé, notamment sous l'impulsion de Millerand, de nombreuses réformes sociales qui ont permis de ramener la durée quotidienne du travail à onze heures par jour et à améliorer les conditions de travail des femmes et des enfants, l'œuvre législative de Waldeck-Rousseau est avant tout la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.
Il dépose son projet de loi sur le bureau de la Chambre des députés, le 19 novembre 1899. La première lecture au Sénat n'a lieu que dix-huit mois plus tard. Waldeck-Rousseau y rappelle son objectif : la définition par la loi républicaine des conditions dans lesquelles les individus peuvent librement se regrouper en associations. « Nous disons que l'association se forme comme se forment les contrats, et nous en tirons cette conclusion logique et nécessaire que le contrat d'association doit, comme tous les autres, avoir une cause licite ». Le projet de loi prévoit également, pour les congrégations religieuses qui sont désormais régies par la loi, un nouveau régime d'autorisation préalable et de déclaration de leurs biens et de leur comptabilité.
Waldeck-Rousseau n'est pas hostile aux congrégations et reconnaît l'utilité de leurs actions. Mais, « républicain modéré mais pas modérément républicain », il n'est pas prêt à admettre, comme le souhaitent les opposants au texte, qu'elles puissent se soustraire à l'application de la loi. Devant le Sénat, il juge que « s'il est une loi dont la permanence soit attestée par l'histoire, c'est celle qui n'a jamais permis à l'État français, sorti de la barbarie et des temps féodaux, d'admettre qu'il puisse se juxtaposer à lui une autre société, un autre gouvernement ». Pragmatique, il constate en outre que le nouveau régime ne compromet en rien la capacité des congrégations à accomplir leurs missions.
Par-dessus tout, Waldeck-Rousseau cherche à convaincre que sa loi n'a pas pour objet de sanctionner l'Église mais d'étendre les libertés - il qualifie son projet de « plus libéral qui ait été soumis aux Chambres françaises » - et d'asseoir l'autorité de la loi dans une République où il voudrait que les opinions politiques, philosophiques ou religieuses puissent coexister sans passion ni discorde. Il y a pour lui urgence à agir, compte tenu de la profondeur croissante du fossé qui divise la France sur la question religieuse. « J'ai obéi à cette conviction que, dans dix années d'ici, il aurait été impossible de faire la loi que nous proposons [...] Et s'il y a un vœu que tout homme d'État, ami de son pays, doive former, je le forme. C'est que cette loi ne se heurte pas à des intransigeances qui elles-mêmes pourraient éveiller d'autres intransigeances [...] La loi que nous vous proposons est venue à son heure ; c'est pourquoi elle est restée dans la mesure ».
En mai 1902, le succès aux élections du bloc des gauches le porte à nouveau à la présidence du Conseil, mais, malade, il quitte le gouvernement, le 3 juin. Il est remplacé par Émile Combes et retrouve son fauteuil de sénateur de la Loire.
Depuis le Sénat, avec la même détermination qui l'avait animé pour faire entrer les congrégations dans le champ de la loi républicaine, il s'oppose à la manière dont son successeur applique la loi de 1901. Le 20 novembre 1903, courageusement, Waldeck-Rousseau prend pour la dernière fois la parole devant le Sénat et « puisque je suis à la tribune, et que j'ai fait en y montant l'effort qui me coûte le plus, je demande au Sénat la permission de me montrer un peu plus ambitieux ». Il condamne longuement le projet de certains sénateurs d'interdire totalement l'enseignement aux congrégations, même autorisées et reproche à Combes d'aggraver les tensions liées à la question religieuse alors que sa loi avait été conçue pour les apaiser. « Vous ne jugez pas nécessaire de faire ce que la loi de 1901 vous autorise à faire et vous demandez qu'on vous autorise à faire ce que vous ne pouvez pas faire. Est-ce que, dans la loi de 1901, nous n'avons pas, avec votre concours précieux, fait adopter une disposition qui permet à l'État de demeurer constamment et à chaque instant le souverain juge de la question de savoir si une congrégation doit être maintenue ou supprimée ? ». La fracture au sein du camp républicain est consommée lorsqu'en réponse à Waldeck-Rousseau, Clemenceau confirme qu'il souhaite que la loi de 1901 soit utilisée comme une arme contre l'Église : « je vais à la sécularisation complète de l'État. Qui m'a mis en route ? M. Waldeck-Rousseau, un beau matin et je l'en félicite ».
(JPG - 199 Ko)Pierre Waldeck-Rousseau reste sénateur jusqu'au 10 août 1904 où, selon le mot du Président du Sénat, Armand Fallières, il emporte « dans la tombe les regrets de la démocratie tout entière. Personne, il faut le dire, ne l'a servie avec plus d'éclat, plus de passion et plus de fidélité que lui ».
Le 18 janvier 1926, les Questeurs du Sénat décident de mettre en œuvre une recommandation du Bureau et de faire apposer dans la salle des séances une plaque rectangulaire en hommage à Pierre Waldeck-Rousseau.