Battu aux élections législatives de 1958, François Mitterrand, qui a appartenu à douze gouvernements depuis 1944, se présente, dans la Nièvre, aux élections sénatoriales du 26 avril 1959 sous l’étiquette de l’Union démocratique et socialiste de la résistance (UDSR), qu’il préside depuis 1953. Arrivé en troisième position au premier tour, il prend au second tour le siège du sénateur gaulliste sortant. Il a quarante-deux ans et sera sénateur jusqu’au 6 décembre 1962, date à laquelle il retrouve son siège de député de la Nièvre.
A son arrivée au Palais du Luxembourg, il adhère au groupe de la gauche démocratique et est nommé membre de la commission des affaires étrangères, où il siège pendant la durée de son mandat. Intervenant pour la première fois en séance publique, le 25 juin 1959, il voit dans le Sénat « une Assemblée qui, par tradition, par tempérament et par fidélité aux principes républicains, a toujours reconnu aux minorité politiques le droit d’être respectées ».
Les trois années pendant lesquelles François Mitterrand est sénateur sont les trois dernières de la guerre d’Algérie. Elles sont également marquées par l’accession à l’indépendance de la plupart des pays d’Afrique francophone et les débuts de la construction européenne. Il y consacre l’essentiel de son travail parlementaire et, de 1959 à 1961, questionne le Gouvernement tout en déplorant les incohérences de sa politique et les contradictions dans ses déclarations.
Il affirme sa conviction que la sortie de la question coloniale passe par « la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples » alors que, dans le même temps, « s’impose la nécessité de reconnaître, dans le monde où nous vivons, que les droits de souveraineté doivent connaître leurs limites. Le courant qui pousse les peuples vers l’autodétermination – allié à la nécessité de contenir les exigences des souverainetés nationales – conduit à se ranger derrière un système qui gouverne aujourd’hui des centaines de millions d’hommes et de très grands pays et qui s’appelle le fédéralisme ».
Le 21 novembre 1961, il regrette que le caractère « inévitable » de la disparition des colonies et ses conséquences sur la place de la France sur la scène internationale n’aient pas été mieux anticipées et estime, « afin de mieux garder les chances de la France, […] qu’il faut que l’éducation nationale soit précisément le grand ministère parmi les autres, le grand ministère qui prépare pour 1970 les grandes perspectives françaises ».
François Mitterrand déplore le recul de l’influence de la France dans le monde. Le 12 juin 1962, il analyse la constitution de l’axe Paris-Bonn, son incidence sur la construction de l’Europe et sur l’avenir de la politique étrangère française. Critiquant la gestion par le Gouvernement de la décolonisation de l’Afrique noire et la façon dont il organise les relations avec les anciennes colonies, il l’invite à « retrouver le ton que le Général de Gaulle, au moins une fois dans sa vie, à la face du monde sut employer lorsqu’il était dans la peine et dans l’espoir, et la France avec lui ». Il souhaite que la France fasse entendre sa voix afin qu’elle revienne, selon les mots du président Senghor qu’il cite en conclusion de son intervention, « à sa vocation véritable qui est d’être la mère des libertés et d’être un guide dans le monde ».
Le sénateur François Mitterrand parle pour la dernière fois dans l’hémicycle le 23 juillet 1962, à l’occasion de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de cession des Etablissements français de l’Inde, pour insister sur la nécessité de tirer les enseignements des conditions dans lesquelles la France s’est désengagée de ces territoires.
Ayant fait campagne contre les institutions de la Ve République, François Mitterrand est un observateur attentif de leur mise en place.
Il relève, le 5 juillet 1961, l’apparition de la notion de « secteur réservé qui couvre les grandes affaires de la France » et qui « appartient, paraît-il, au chef de l’Etat et à lui seul, tandis que le Parlement n’est plus compétent que pour les affaires mineures ». Il constate que « peu à peu a pris corps dans notre droit public cette thèse inimaginable qui veut qu’échappent au contrôle des représentants du peuple les questions qui conditionnent l’existence même de la France ». Il dénonce la contradiction entre cette évolution et les intentions affichées par les auteurs de la réforme constitutionnelle, qui avaient souhaité établir une frontière plus stricte entre le domaine de la loi et le domaine du règlement afin que le Parlement puisse se concentrer sur les questions essentielles et les décisions politiques majeures.
François Mitterrand craint que les évolutions institutionnelles envisagées par le Gouvernement et le Président de la République ne conduisent « à la mise aux mains d’un seul homme, non seulement des institutions de la République, mais aussi du sort du peuple ». Il revient, le 17 juillet 1962, sur la « surprenante notion de « domaine réservé » [par laquelle] le Chef de l’Etat, en dehors de toute définition constitutionnelle et en vertu d’on ne sait quelle droit incontrôlé et non contradictoire réglerait […] les affaires sérieuses, tandis que le reste, broutilles, détails, serait le lot du Parlement ». Evoquant un régime dans lequel le Président de la République serait élu au suffrage universel direct mais conserverait le droit de dissoudre l’Assemblée nationale, il le qualifie de « dictature ». Constatant les moyens de contrôle des médias dont dispose le Gouvernement, il appelle « l’opposition républicaine » à se manifester clairement et à se doter d’une « doctrine constructive qui rassure les Français sur la suite des jours, sur la suite de l’Histoire ».
François Mitterrand s’inquiète des modalités d’organisation du référendum du 28 octobre 1962 et, le 4 octobre, interroge le Gouvernement sur les mesures qu’il compte prendre, compte tenu des intolérables manquements de la radiotélévision française à son devoir d’information exacte et complète, pour que cesse l’accaparement de ce service public par une « faction ».
(JPG - 201 Ko)Le mandat sénatorial de François Mitterrand est également marqué par l’affaire dite « de l’Observatoire » et la levée de son immunité parlementaire. Devant le Sénat, il plaide pour le rejet de la demande en raison de son caractère « déloyal ». Il se décrit comme un homme « dont le nom, la vie, l’honneur sont jetés aux chiens par une presse et une radiodiffusion déchaînées ». Le Sénat vote la levée de l’immunité parlementaire par 215 voix contre 27 et 11 abstentions.
Le 24 janvier 1996, deux semaines après sa disparition, le Bureau du Sénat décide de faire apposer une plaque commémorative, à l’effigie du Président Mitterrand, à la place qu’il occupait lorsqu’il était sénateur.
La plaque est dévoilée le 21 janvier 1997 (voir la vidéo) (WMV - 8.27 Mo), en présence du Bureau du Sénat, de Mme Danielle Mitterrand, de MM. Roland Dumas, président de l’Institut François Mitterrand, Roger Romani, ministre chargé des relations avec le Parlement, Claude Estier, président du groupe socialiste du Sénat et des membres de ce groupe.
François Mitterrand sur le site du Sénat
- Les messages du Président François Mitterrand au Parlement
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- 12 juillet 1984 : allocution de M. François Mitterrand (dans le dossier des révisions de la Constitution)
- Commémoration philatélique pour les 40 ans de l'élection de François Mitterrand à la Présidence de la République