La procédure d'élaboration du code civil
Napoléon Bonaparte accède au pouvoir à la suite du coup d'État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799). Soucieux d'unifier le droit français, il nomme dès 1800 une commission composée de quatre juristes - Portalis, Tronchet, Maleville et Bigot de Préameneu - chargée de rédiger un avant-projet de Code civil.
Maleville nous éclaire sur la volonté du Premier consul :
« M. Abrial, ministre de la Justice, nous annonça que le Premier consul demandait que cet ouvrage fût achevé le plus promptement possible. Nous nous empressâmes de remplir ce vœu; l'ordre des titres fut bientôt convenu, les matières partagées, les jours de réunion fixés chez M. Tronchet, notre digne président, pour l'examen de l'ouvrage de chaque commissaire, et, à force de travail, nous parvînmes à faire un Code civil en quatre mois; il fut achevé d'imprimer le 1er pluviôse an IX (21 janvier 1801) ».
Bien que son impression soit effectuée au cours de l'an IX, cet avant-projet est unanimement désigné par le terme « projet de l'an VIII ».
Il reflète les idées modérées de ses auteurs et se garde aussi bien des excès révolutionnaires que d'un retour au droit de l'Ancien Régime.
Portalis
Portalis explique l'esprit dans lequel la commission a réalisé cet ouvrage :
« A l'ouverture de nos conférences, nous avons été frappés de l'opinion, si généralement répandue, que, dans la rédaction d'un Code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout. Tout simplifier, est une opération sur laquelle on a besoin de s'entendre. Tout prévoir, est un but qu'il est impossible d'atteindre. »
« Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires; elles compromettraient la certitude et la majesté de la législation. Mais un grand Etat comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d'industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d'une société pauvre ou plus réduite. Nous n'avons donc pas cru devoir simplifier les lois, au point de laisser les citoyens sans règle et sans garantie sur leurs plus grands intérêts. »
« Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. (...) Un code, quelque complet qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s'offrir au magistrat. Car les lois, une fois rédigées, demeurent telles qu'elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours : et ce mouvement, qui ne s'arrête pas, et dont les effets sont diversement modifiés par les circonstances, produit, à chaque instant, quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau. Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l'empire de l'usage, à la discussion des hommes instruits, à l'arbitrage des juges. »
Évolutions
Le « projet de l'an VIII » va évoluer au cours de la procédure d'élaboration du Code civil. Dans un premier temps, il est soumis à l'examen de l'autorité judiciaire. Le Tribunal de cassation et les tribunaux d'appel formulent à son sujet diverses observations, de nature essentiellement technique.
Sur la base de ces remarques, le Conseil d'État prépare à partir de 1801 un projet définitif, tout d'abord examiné par la section de législation puis discuté en séance plénière. Le Premier consul en personne participe aux débats et anime souvent la discussion. Il impose parfois son point de vue, notamment en matière d'adoption.
Au début de l'an X (1801-1802), les premiers titres du Code civil, dont la rédaction est achevée, sont transmis pour adoption aux chambres législatives, conformément à l'article 25 de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), qui énonce :
« Il ne sera promulgué de lois nouvelles que lorsque le projet en aura été proposé par le gouvernement, communiqué au Tribunat et décrété par le Corps législatif. »
Mais les deux chambres législatives ne se montrent pas toujours conciliantes. En effet, les tribuns regrettent, d'une part, que le Premier consul ait confié la rédaction du projet à des techniciens du droit et, d'autre part, que la Nation n'ait pas été associée à l'élaboration du Code civil. Ils reprochent aux juristes de s'être trop largement inspirés des règles de l'ancien droit et ils s'opposent au titre préliminaire, traitant du « droit et des lois ». Ces arguments trouvent un écho au sein du Corps législatif qui rejette le titre préliminaire à une courte majorité.
Du Code de 1804 au "Code Napoléon"
Le 11 nivôse an X (1er janvier 1802), des critiques sont à nouveau formulées à l'encontre du titre consacré à la jouissance et à la privation des droits civils, dont certaines dispositions sont dénoncées comme rétrogrades.
Le tribun Chénier, notamment, déclare au sujet du système de la mort civile :
« D'habiles jurisconsultes qui m'ont précédé à cette tribune ont opposé, avec succès, au projet présenté, l'état de notre législation actuelle. Ils ont invoqué les plus graves autorités de l'ancienne jurisprudence ; ils ont même évidemment démontré que ce projet surpasse en rigueur les ordonnances rendues sous la monarchie, relativement aux matières de cette nature. (...) Nous aurons un Code civil, mais exempt des préjugés gothiques que la philosophie a renversés, mais fidèle aux principes philosophiques que nos législateurs ont consacrés, mais digne de la République française, digne de la raison nationale et des lumières contemporaines. Dans cette espérance, je vote le rejet du projet de loi. »
En 1802, Napoléon Bonaparte soumet les parlementaires récalcitrants et les oblige à adopter les dispositions législatives déjà rédigées, à l'exception cependant du titre préliminaire qui est écarté par pragmatisme à cause de sa nature plus philosophique que juridique. Après une année de sommeil, les différents titres sont enfin réunis par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804) qui donne naissance au Code civil.
Œuvre du Premier consul, le Code de 1804 apparaît à ce point lié à sa personne qu'il est rapidement surnommé « Code Napoléon ». S'il est vrai que Bonaparte a participé à son élaboration au sein du Conseil d'État, il n'en demeure pas moins que le rôle des quatre rédacteurs du « projet de l'an VIII » s'est révélé déterminant, tout comme les interventions de juristes émérites, tels Treilhard ou Cambacérès.