La création du jury d'honneur
Le Comité français de libération nationale, CFLN, est créé en mai 1943, à Alger. Présidé dans un premier temps par le général de Gaulle et le général Giraud, puis par le général de Gaulle seul, il prend dès novembre 1943 la forme d'un véritable gouvernement et se donne pour tâche la préparation des institutions qui régiront la France à la Libération. Il rend le 21 avril 1944 une ordonnance portant organisation des pouvoirs publics : l'article 1er prévoit la convocation d'une Assemblée nationale constituante « dès que les circonstances permettront de procéder à des élections régulières » et l'article 18 énonce les cas d'inéligibilité. Sont concernés, entre autres, « les membres du Parlement ayant abdiqué leur mandat en votant la délégation du pouvoir à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 », soit 213 sénateurs et 357 députés. Toutefois, précise in fine ce même article, « pourront être relevés par le préfet, après enquête, de la déchéance ... les Français qui se sont réhabilités par leur participation directe et active à la résistance, participation constatée par décision du comité départemental de libération ».
Quelques mois plus tard, cette possibilité donne lieu à des interprétations très diverses : certains départements se montrent plus sévères ou plus indulgents que d'autres. Afin d'établir une égalité de traitement des dossiers, le Gouvernement provisoire de la République française décide, par ordonnance, le 6 avril 1945, la création d'un jury d'honneur.
Pièce de 2 Francs (1998) à l'effigie de René Cassin
Cette nouvelle instance est composée de trois membres : le vice-président du Conseil d'Etat, René Cassin, en assure la présidence, assisté de Maxime Blocq-Mascart, représentant du Conseil de la Résistance, et d'André Postel-Vinay, représentant de l'Ordre de la Libération.
René Coty et le jury d'honneur
Du 24 avril 1945 au 25 octobre 1946, le jury d'honneur qui siège au Conseil d'Etat, examine plus de six cents dossiers.
Les parlementaires peuvent, s'ils le souhaitent, rédiger un « mémoire en défense ».
C'est avec beaucoup de discrétion que René Coty présente ses arguments : «je ne dissimule pas que si mon attitude m'exposait à certaines représailles, mes états de service n'en sont pas moins modestes. (...) Mon excuse est que pendant la majeure partie de l'occupation allemande, j'étais coupé du centre de mon activité politique. Je savais d'autre part qu'à Paris, les parlementaires qui avaient voté pour Pétain étaient généralement indésirés dans les organisations de résistance. Enfin, j'ai 63 ans » (cité par Olivier Wievorka dans Les orphelins de la République).
Pour sa défense, René Coty mentionne son double refus au gouvernement de Vichy qui entendait le nommer maire du Havre et membre du Conseil départemental de la Seine-Inférieure : « je réfléchis que si je pouvais me considérer comme élu une fois de plus par mes concitoyens, je n'en serais pas moins nommé par le gouvernement de Vichy. Comme parlementaire, comme homme politique, pouvais-je donner même l'apparence de représenter un gouvernement dont je réprouvais la politique ? »
Il fait également allusion à sa participation au « petit groupe qui s'est intitulé, non peut-être sans exagération, groupe des sénateurs résistants ». A partir de 1943, en effet, il a repris contact avec d'anciens collègues qui se réunissent discrètement à Paris, pour ne pas attirer l'attention des autorités allemandes, afin d'élaborer un projet de loi constitutionnelle destiné à assurer la transition entre le régime de Vichy et la Libération.
Pour tous ces motifs, René Coty est réhabilité par le jury d'honneur, le 29 septembre 1945, en raison de « son opposition politique constante ».