Sous le Second Empire, le Sénat a un pouvoir législatif faible, limité pour l'essentiel à l'examen des pétitions et au droit d'adresse. Son rôle est principalement constitutionnel. Toutes les lois doivent lui être soumises avant leur promulgation. Il ne se prononce pas sur leur fond, mais contrôle leur constitutionnalité. Il peut annuler un texte voté par le Corps législatif s'il est contraire « à la religion, à la morale, la liberté des cultes, la liberté individuelle, l'égalité des citoyens, l'inviolabilité de la propriété, l'inamovibilité de la magistrature » (art. 26 de la Constitution de 1852), ou encore s'il compromet la défense du territoire.
Ce n'est que dans les dernières années du Second Empire (senatus-consulte du 14 mars 1867) que le Sénat obtient le droit d'examiner les textes au fond (avant de devenir une véritable chambre législative en 1870). Il s'était, auparavant, déjà occasionnellement laissé aller à un tel examen, s'attirant les foudres des journaux officiels, où l'on accuse les sénateurs "de se laisser dominer, peut-être par les souvenirs et les habitudes de l'ancienne pairie... de se livrer à un travail sans but et par conséquent sans autorité en discutant ce qu'il n'a pas le droit de changer, si ce n'est pour cause d'inconstitutionnalité." (Le Moniteur, 1856).
Dans le cas de la loi de 1853 relative aux pensions civiles, le Sénat s'en tient strictement à son rôle de juge constitutionnel. Une commission composée de cinq membres (MM. le marquis d'Audiffret, le baron de Chapuys de Montlaville, le comte Barral, le président Delangle et le marquis de Pastoret) a préalablement procédé à l'examen de la loi. Le Sénat examine ensuite le texte, le 1er juin 1853. Le procès-verbal de la séance ne retrace aucun débat. L'exposé très détaillé du rapporteur, M. Delangle, est immédiatement suivi d'un vote. Sur 92 votants, seuls deux, le marquis de Belbeuf et le président Desmazières ont voté contre. A la suite de ce vote, il est proclamé que « le Sénat ne s'oppose pas à la promulgation de la loi relative aux pensions civiles ».
C'est donc le rapport de la commission qui constitue la pièce majeure de cette séance. Le rapporteur commence par un rappel historique de la loi d'août 1790. Il en expose à la fois le principe, le mécanisme et l'évolution, rappelant l'extension progressive des caisses spéciales, puis leur dégradation et les « choquantes inégalités dans la situation des fonctionnaires ». Après une brève évocation des réformes avortées, le rapporteur explique les objectifs du texte examiné : centralisation, uniformisation et généralisation. Contrairement au rapporteur du Corps législatif, le président Delangle ne s'inquiète pas de la dépense occasionnée, parce qu'elle est « loin d'être en proportion avec le bien qui naîtra de la loi ». Les différentes dispositions sont passées en revue, titre par titre, avant une conclusion extrêmement favorable, loin des contestations de la chambre : « l'uniformité est substituée à des règlements arbitraires (...) ; le bienfait des pensions s'étend à une classe nombreuse de fonctionnaires intelligents et dévoués. Au point de vue politique comme au point de vue légal, la loi est irréprochable ».