En 1859, l’Europe apprend qu’un Américain, John Brown – un blanc – a tenté de provoquer un soulèvement d’esclaves en Virginie ; arrêté, ce singulier personnage a été condamné à mort au terme d’une parodie de procès.
Victor Hugo, en exil à Guernesey, prend fait et cause pour Brown, qui symbolise sa double lutte, à la fois contre l’esclavage et contre la peine capitale.
Dans sa Lettre aux États-Unis, Victor Hugo écrit :
" Quand on pense aux États-Unis d’Amérique, une image majestueuse se lève dans l’esprit, Washington.
Or dans cette patrie de Washington, voici ce qui se passe en ce moment :
Il y a des esclaves dans les États du Sud, ce qui indigne, comme le plus monstrueux des contresens, la conscience logique et pure des États du Nord. Ces esclaves, ces nègres, un homme blanc, un homme libre, John Brown, a voulu les délivrer. […] John Brown, abandonné, a combattu ; avec une poignée d’hommes héroïques, il a lutté ; il a été criblé de balles, ses deux jeunes fils, saints martyrs, sont tombés morts à ses côtés, il a été pris. […] John Brown, pris, vient d’être jugé avec quatre des siens, Stephens, Copp, Green et Coplands.
Quel a été ce procès ? Disons-le en deux mots :
John Brown, sur un lit de sangles, avec six blessures mal fermées, un coup de feu au bras, un aux reins, un à la poitrine, deux à la tête, entendant à peine, saignant à travers son matelas, les ombres de ses deux fils morts près de lui ; ses quatre coaccusés blessés se traînant à ses côtés, Stephens avec quatre coups de sabre ; la "justice" pressée et passant outre ; un attorney Hunter qui veut aller vite, un juge Parker qui y consent, les débats tronqués, presque tous les délais refusés, production de pièces fausses ou mutilées, les témoins à décharge écartés, la défense entravée, deux canons chargés à mitraille dans la cour du tribunal, ordre aux geôliers de fusiller les accusés si l’on tente de les enlever, quarante minutes de délibération, trois condamnations à mort. […]
Lorsqu’on réfléchit à ce que Brown, ce libérateur, ce combattant du Christ, a tenté, et quand on pense qu’il va mourir, et qu’il va mourir égorgé par la République américaine, l’attentat prend les proportions de la nation qui le commet. […]
Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la lumière humaine s’éclipserait, que la notion même du juste et de l’injuste s’obscurcirait, le jour où l’on verrait se consommer l’assassinat de la Délivrance par la Liberté. […] Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus. "