DU LIVRET DE FAMILLE
(1ère lecture, 1ère délibération, séance du jeudi 14 février 1884)
L’article 139 (devenu l’article 136) de la proposition de loi, énumère les dépenses obligatoires de la commune.
M. Garrisson demande le rétablissement de la mention faite par la Chambre des députés du livret de famille comme dépense obligatoire et se livre, à cette occasion, à un vibrant plaidoyer. Le Sénat adoptera son amendement.
M. Garrisson. (…) Le Sénat sait ce que sont les livrets de famille. Lorsque le dépôt des actes de l’état civil fut détruit à Paris, dans les dernières convulsions de la Commune, on éprouva les plus grandes difficultés à reconstituer l’état civil.
A cette occasion-là, le garde des sceaux, M. Dufaure publia une circulaire dont je vous demande la permission de vous citer quelques lignes.
M. Dufaure disait : "(...) Si cette mesure vient à être généralisée, ce sera un troisième dépôt des actes de l’état civil, confié à la garde des familles. En cas de catastrophe, incendie, inondation, pillage, invasion, les registres de l’état civil pourraient être ainsi reconstitués.
Grâce au livret de famille, on évitera les erreurs qui se présentent si fréquemment dans l’indication des prénoms ou l’orthographe des noms et prénoms. "
Messieurs, à cet avantage si précieux déjà, on pourrait en ajouter beaucoup d’autres. Grâce à ce modeste livret de famille qui contient le nom des nouveaux mariés et de leurs père et mère et sur lequel doivent venir s’inscrire tour à tour tous les actes de la famille, toutes ses joies et toutes ses douleurs, les naissances et les décès, on n’aura plus à redouter les lenteurs et les frais qu’occasionne si souvent la rectification des actes de l’état civil. C’est surtout pour les pauvres gens que cette mesure a été prise. C’est à ce titre-là, messieurs, que j’espère qu’elle rencontrera ici la sympathie de tous. (Approbation.)
On sait, quand il s’agit d’un mariage et que les membres de la famille sont dispersés, combien il faut de recherches, de temps, de formalités pour la reconstitution des actes de l’état civil. Grâce à ce livret, le lien de famille restera établi, il développera chez les travailleurs le sentiment si nécessaire de la famille. Les aristocrates ont leurs parchemins, ce livret sera l’arbre géologique de la démocratie. (Très bien !)
(...) La Chambre des députés vous a proposé ce progrès. Ne serait-il pas regrettable de rétrograder sur elle, de refuser toutes les améliorations qu’elle vous propose ? Il me semble que ce n’est pas le rôle du Sénat et lorsque je jette les yeux sur cette assemblée, lorsque j’y vois tant d’hommes illustres qui siègent dans son sein, lorsque je vois tant de lumières réunies dans cette enceinte, il me semble que le Sénat doit être le guide, doit être, si vous me permettez cette expression, le phare qui éclaire la route de la démocratie. J’insiste donc : je supplie le Sénat de ne pas refuser ce progrès, quelque modeste qu’il soit, et de rétablir le texte de la Chambre des députés. (Très bien ! très bien ! à gauche et au centre.)