Compte rendu de l’audition du jeudi 28 janvier 2016 de M. Marc Fromager directeur France d’« Aide à l’Eglise en détresse » et de M. Michel Varton directeur de l’ONG « Portes Ouvertes »
Salle Clemenceau, 9h30
Participants Sénat : M. Bruno Retailleau, président, M. Gérard Bailly, M. Michel Boutant, M. Daniel Chasseing, Mme Catherine Deroche ; Mme Chantal Deseyne ; Mme Dominique Estrosi Sassone ; M. Christophe-André Frassa ; Mme Christiane Kammermann; Mme Elisabeth Lamure ; M. Jeanny Lorgeoux ; M. Charles Revet ; M. Alain Reichardt ; M. Jean‑Pierre Vial.
M. Marc Fromager directeur France d’« Aide à l’Eglise en détresse » et
M. Michel Varton directeur de l’ONG « Portes Ouvertes »
M. Bruno Retailleau - Nous avons le plaisir d’accueillir deux organisations particulièrement actives en matière de soutien aux communautés chrétiennes dans le monde : « Aide à l’Eglise en détresse » représentée par son directeur M. Marc Fromager et « Portes Ouvertes » représentée par son directeur M. Michel Varton.
Vous consacrez les uns comme les autres votre énergie depuis de très nombreuses années à la cause de la liberté religieuse qui, faut-il le rappeler, est le fondement de la laïcité telle que nous la concevons en France, mais qui est si peu respectée dans le monde.
AED dispose d’un « observatoire de la liberté religieuse » et « Portes Ouvertes » publie chaque année un « Index de la persécution des chrétiens dans le monde». Il m’a semblé particulièrement intéressant de vous entendre pour avoir un « instantané » de la situation dont nous n’oublions naturellement pas qu’elle touche des hommes et des femmes dans ce qu’ils ont de plus cher : leur foi, bien sûr, mais aussi leurs vies.
Les analyses de vos deux organisations portent donc sur le monde entier même si notre groupe de liaison – qui rassemble 138 sénateurs de toutes les sensibilités politiques du Sénat, s’intéresse plus particulièrement au sort des chrétiens au Moyen Orient. Il est évident que, si nous nous focalisons sur le sort de ces communautés, notamment, compte tenu des guerres qui s’y déroulent, en Syrie et en Irak, nous n’oublions pas pour autant les persécutions, l’intolérance et les discriminations qui limitent et empêchent l’expression libre de la foi de chacun partout dans le monde. La liberté de religion est un principe fondateur des droits de l’homme. C’est du reste la raison pour laquelle notre groupe s’intéresse aux Chrétiens et aux minorités au Moyen Orient. Si l’on s’en réfère, en effet, aux cartes qui figurent sur les sites de vos deux organisations la région moyen-orientale est l’une ou le degré d’intolérance est le plus fort dans le monde.
M. Marc Fromager, directeur – France d’AED - « Aide à l’église en détresse » est une fondation pontificale. Elle est donc rattachée au Vatican et à l’ensemble de l’église catholique et ses 1,2 milliard de fidèles. La branche française d’AED a collecté 36 millions d’euros en 2015 qui nous permettent de financer des interventions dans 150 pays ce qui permet d’avoir une compréhension assez fine de ce qui se passe partout dans le monde. Au niveau international ce sont 120 millions d’euros qui sont collectés permettant de soutenir 5000 projets. Il s’agit pour nous d’attirer l’attention sur les zones géographiques où il y a discrimination contre les chrétiens et les croyants en général. Notre observatoire de la liberté religieuse analyse les discriminations quelques soit la confession ou la religion. Notre rapport sur la liberté religieuse dans le monde est publié sur une base bi-annuelle et porte sur 196 pays. Il ne s’intéresse donc pas uniquement à la liberté des chrétiens mais à celle de tous les croyants. Les analyses détaillées par pays peuvent se retrouver sur notre site Internet www.aed-france.org.
Cette approche permet de souligner que la question de la persécution des chrétiens n’était absolument pas évoquée par les médias jusqu’à il y a une dizaine d’années. Deux points de bascule ont permis que cette question vienne au premier plan. Le premier est l’intervention américaine en Irak en 2003 et le second, à l’été 2014, l’apparition de l’État islamique et l’exode des chrétiens qui s’en est suivi.
La question de la liberté religieuse pour l’ensemble des croyants est aussi une question de cohérence. Si nous voulons que la persécution des chrétiens soit prise en compte dans les médias il nous faut demander la liberté religieuse pour tous y compris dans des pays athées comme la Chine, la Corée du Nord ou le Vietnam.
AED, dont le prochain rapport complet est attendu en novembre 2016, publie un extrait portant sur les 20 pays où la situation est la plus dramatique. Ces pays sont : l’Afghanistan, la République Centrafricaine, l’Égypte, l’Iran, l’Irak, la Libye, les Maldives, le Nigéria, le Pakistan, l’Arabie Saoudite, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. Dans ces pays la cause principale de la persécution est liée à l’extrémisme musulman. En Birmanie, en Chine, en Érythrée, en Corée du Nord, en Azerbaïdjan et en Ouzbékistan, la persécution religieuse est liée à l’existence de régimes autoritaires.
Le Moyen-Orient est la zone géographique où la liberté religieuse est la moins respectée dans le monde, pas seulement vis-à-vis des chrétiens, puisqu’il existe une guerre entre musulmans qui opposent les sunnites (80% des musulmans) et les chiites. Le champion des premiers étant l’Arabie Saoudite, désormais talonnée par le Qatar, et l’Iran est le champion des seconds.
L’Arabie Saoudite a pour vocation, depuis plusieurs décennies, d’exporter sa version rigoriste de l’islam. Cette version de l’islam est le wahhabisme et son produit d’exportation le salafisme. Ce que l’on peut constater dans le monde aujourd’hui c’est une uniformisation de l’islam, une wahhabisation, qui vient recouvrir la diversité qui existait au préalable dans des pays comme le Maroc ou le Sénégal. Cette uniformisation conduit à une radicalisation. Ce mouvement, largement financé par l’Arabie Saoudite, est aussi le produit d’une crise de la modernité au sein de l’islam, d’une crise de la mondialisation qui fait que l’islam se radicalise partout dans le monde, y compris chez nous.
Face aux sunnites, les chiites menés par l’Iran, proviennent d’une division au sein de l’islam dont l’origine remonte à l’immédiate succession de Mahomet. Elle est le produit de l’histoire mais atteint aujourd’hui une dimension paroxystique entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour l’hégémonie au Moyen-Orient.
Le chiisme et le sunnisme sont deux manières différentes de pratiquer l’islam. La principale différence doctrinale et théologique tient sans doute à la décision prise au sein du sunnisme de fermeture de la recherche et de l’interprétation à partir du XIe siècle. La seconde différence tient à l’existence d’une structure hiérarchique au sein d’un véritable clergé du chiisme alors qu’au sein du sunnisme personne ne dirige. La troisième différence majeure est que les chiites ont le culte du martyr, non pas celui qui va se faire exploser dans un bus pour tuer des femmes et des enfants, mais celui qui va mourir pour ne pas renoncer à sa foi, ce qui le rapproche de la conception chrétienne du martyr, c’est-à-dire celui qui est témoin de la résurrection du Christ et qui va préférer mourir plutôt que d’abjurer sa foi. Cela étant, l’affrontement entre les deux branches de l’islam n’est pas principalement la dispute théologique mais une lutte pour l’hégémonie au Moyen-Orient.
L’Arabie Saoudite mais aussi le Qatar et l’ensemble de la péninsule sunnite essayent de se libérer de ce qu’elle considère comme l’étau chiite et de l’axe chiite qui passe par l’Iran – la Syrie et le Liban (Hezbollah) et par le Yémen au sud. Elle a choisi comme tactique de viser le maillon faible, c’est-à-dire la Syrie, et de se débarrasser de Bachar al Hassad qui est un Alaouite c’est-à-dire l’adepte d’une secte chiite.
L’autre raison de la guerre en Syrie est que le Qatar est principalement un producteur de gaz et que son évacuation pour l’exportation vers l’Europe, qui constitue son principal client, serait beaucoup plus aisée si un gazoduc était construit à travers la péninsule arabique, la Syrie et qui rejoindrait ainsi les principaux terminaux d’approvisionnement en gaz à travers la Méditerranée. Bachar va s’y opposer pour préserver les intérêts russes puisqu’il est évident que la construction d’un tel gazoduc diminuerait de manière significative la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe. Le Qatar et la Syrie sont subitement devenus ennemis et la guerre a commencé immédiatement après cette décision d’opposition du gouvernement syrien au projet qatari.
On voit bien que l’Arabie Saoudite et le Qatar ont intérêt à se débarrasser de la Syrie et vont entreprendre de financer la rébellion qui est en partie syrienne mais majoritairement étrangère. Ce sont des mercenaires étrangers qui proviennent de 90 pays différents dont la France. Il y a environ 1700 ressortissants français qui combattent en Syrie et en Irak. Très rapidement le gouvernement syrien va perdre le contrôle du nord-est et c’est dans cette zone grise que vont se développer les groupes terroristes comme le front Al Nosra, affilié à Al Qaïda, et l’État islamique qui a trouvé refuge dans cette zone et qui pendant quatre ans va être armé et financé par l’Arabie saoudite. Cela leur permettra de se renforcer et, en 2014, de passer la frontière, de prendre Mossoul et d’occuper, grâce à ce financement, une très large part de l’Irak et de la Syrie.
Ce qui est plus inquiétant c’est qu’une partie des armes dont il dispose sont d’origine occidentale, principalement provenant des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne même si ces pays avaient pris la précaution de dire que ces armes étaient livrées à la rébellion modérée. Le problème est que cette rébellion modérée n’existe pas ou tout au moins qu’elle a été subjuguée par de plus radicaux qu’elle qui se sont appropriés les armes quand celles-ci ne lui ont pas été tout simplement vendues. Le résultat est que, involontairement, ces organisations extrémistes disposent d’armes françaises.
Pourquoi avons-nous indirectement soutenu ce projet de l’Arabie Saoudite ? Depuis cinq ans il semble qu’il y ait un alignement de notre politique sur celle de ces pays sans doute parce que nous avons besoin de leur vendre des armes et de leurs investissements. La France est le troisième exportateur d’armes, l’Arabie Saoudite est le premier importateur ; cela crée des liens. La France a également besoin que l’on rachète sa dette et que l’on investisse chez elle et nous savons que le Qatar y met tout son cœur. Dans le conflit syrien la diplomatie française a pris position de façon véhémente dès le début pour le remplacement du président syrien.
Trois choses ont changé depuis cet été 2015 : la première est la crise des migrants qui sont venus à pied car le Moyen-Orient est proche de l’Europe comme on a pu s’en rendre compte. Ces migrants sont principalement des syriens, mais pas seulement. En tout cas, ils ne sont pas venus directement de Syrie. Ils étaient pour la plupart réfugiés dans des camps en Turquie depuis trois ou quatre ans. Ils étaient en sécurité dans ces camps et il n’y avait aucune raison de les faire venir en Europe, il fallait les soutenir sur place. Nous avons assisté à un double mouvement : d’une part, la Turquie a utilisé la crise migratoire pour faire pression sur l’Europe dans le cadre des négociations d’adhésion. Elle a ouvert ses frontières et même encouragé les réfugiés à partir. D’autre part, l’Allemagne, en déficit démographique, a besoin d’une main-d’œuvre importante. Il ne s’agit donc pas au départ d’un acte de charité mais de répondre aux intérêts de l’industrie allemande en important une main-d’œuvre qualifiée au détriment des pays d’origine dont elle constitue la force vive.
Deuxième changement majeur, l’intervention russe, qui vient contrecarrer l’alliance avec l’Arabie Saoudite qui fonctionnait à merveille et qui avait pour but de détruire le régime syrien. Les Russes veulent mettre fin à la guerre et pour cela il convient de soutenir l’État syrien et de lutter contre tous les rebelles, y compris les pseudos rebelles modérés. Le ministre des affaires étrangères russes, Monsieur Lavrov, a indiqué que l’aviation russe n’envoyait que des bombes modérées sur les rebelles modérés. Cela conduit à rebattre les cartes. Par ailleurs, l’État islamique est devenu suffisamment puissant pour se retourner contre l’Arabie Saoudite et la menacer comme pour menacer la France à travers les attentats que l’on a connus.
Ces attentats sont la troisième des choses qui ont changé depuis cet été et qui fait que la France a désormais une attitude plus proactive pour lutter contre l’État islamique. Nous restons encore très dépendants des Américains qui demeurent dans une position très ambiguë puisqu’il ne cherche pas vraiment à détruire l’État islamique. Notre action est limitée par la pénurie de bombes que nous devons commander en particulier aux Américains qui eux-mêmes doivent largement fournir l’Arabie Saoudite qui bombarde tous les jours le Yémen.
En tout état de cause, l’élimination de l’État islamique suppose une ferme volonté de tous, y compris de la Turquie, ce qui est loin d’être acquis aujourd’hui.
Le résultat est que la crise, au-delà de la communication, va perdurer et que ce sont les populations, majoritairement musulmanes qui souffrent. Pour les chrétiens, c’est encore plus problématique dans la mesure où ils sont en voie de disparition pure et simple. En Irak la population chrétienne est passée en 10 ans de 1,5 millions à moins de 200 000 et en Syrie la moitié de la population chrétienne a quitté le pays. Si la guerre continue il n’y aura bientôt plus de chrétiens ni en Irak ni en Syrie. C’est triste pour le christianisme mais c’est aussi triste pour ces pays-là car, comme on le sait, avec la disparition des chrétiens ils vont totalement se refermer sur eux-mêmes, ils vont continuer à se radicaliser et à poursuivre leur guerre intracommunautaire. Sans la présence des chrétiens pour les départager, on est en train de vouer ces pays à un chaos sans fin comme celui que nous avons réussi à provoquer en Libye.
M. Bruno Retailleau, président- Je remercie pour cette introduction géopolitique très intéressante et passe à présent la parole à M. Michel Varton au nom de l’ONG « Portes ouvertes ».
M. Michel Varton, directeur de l’ONG « Portes Ouvertes » - notre organisation est d’origine protestante évangélique. Elle existe depuis 1996 en France. « Open Doors » a été fondé en 1955 par un néerlandais, Ann Van Der Bijl. L’organisation travaille sur le terrain avec l’église dans plus de 60 pays, pas seulement entre protestants mais aussi, en particulier, avec les catholiques et les orthodoxes.
L’Index Mondial de de Persécution des Chrétiens dans le monde existe depuis plus de 20 ans. Il était au départ un travail interne destiné à aider à comprendre où était la persécution des chrétiens dans le monde. Cette étude est devenue un instrument de communication qui permet de suivre l’évolution de la persécution, d’en mesurer l’étendue et l’intensité. Il s’agit de suivre de manière objective les tendances de la persécution et d’avoir pour résultat un index chiffré. Du point de vue méthodologique, nous établissons un questionnaire qui comporte environ 150 questions qui sont posées sur le terrain avec les victimes des persécutions. Une équipe regroupe les résultats qui sont soumis à un audit indépendant.
Pour comprendre ce qu’est la persécution des chrétiens il faut regarder ce que nous appelons les cinq sphères de la vie.
En premier la vie privée, le for intérieur. Existe-t-il une liberté de prier, de croire dans son esprit comme dans ses pensées – dans certains pays comme la Corée du Nord la liberté de croire est un crime – est-il possible de posséder une bible ?
En second lieu la vie familiale ; souvent la persécution est difficile à vivre quand elle vient de propres membres de sa famille. Peut-on se marier, peut-on faire enterrer un défunt chrétien ?
La vie sociale : les chrétiens ont-ils accès aux puits, à l’éducation, peuvent-ils acheter des semences au même prix que les croyants d’autres religions ?
La quatrième sphère concerne la vie civile : il faut regarder les lois, la Constitution. Par exemple, y a-t-il mention de la religion sur la carte d’identité ?
Enfin, en dessous, il y a la vie ecclésiale : l’église peut-elle acheter un bâtiment, faire enregistrer une association cultuelle, créer une église ?
De manière transversale à ces cinq sphères de la vie il y a la violence : les personnes kidnappées, tuées, les femmes violées, les églises incendiées.
Portes ouvertes distingue deux types de persécution : l’effet marteau et l’effet étau. Le premier est ce qu’il y a de plus visible et de plus brutal, ce qui est le mieux rendu par les médias, tandis que le second est ce qui est vécu au quotidien : les pressions de chaque jour sur les individus. Cette pression qui vient de la famille, de la société peut étouffer et finalement avoir le même effet qui est de détruire l’église.
J’en viens à présent aux résultats de l’index 2016, publié en janvier, qui s’appuie donc sur le résultat de l’année 2015. Cette année est celle du « débordement » :
· débordement du djihadisme au Moyen-Orient mais aussi au-delà dans le Sinaï, au Kenya, au Nigéria, même en République démocratique du Congo ; le djihadisme change la donne, il change le type de persécution contre l’église ;
· débordement des réfugiés en Europe, en Afrique comme au Nigéria, en Asie avec le Pakistan ;
· débordement de réactions de certains pays face au djihadisme qui fait que ces pays resserrent les vis contre toutes les religions et spécialement contre les nouvelles églises chrétiennes ;
· débordement de l’islam radical sur des populations qui n’étaient pas auparavant radicalisées ;
· enfin, le débordement de la terreur chez nous, comme nous avons pu le constater avec les attentats.
S’il y a débordement c’est bien évidemment que le niveau de la persécution augmente. Pour cela il suffit de regarder l’augmentation du seuil d’entrée dans la liste des 50 pays que publie l’Index. Le seuil d’entrée est de 53 points, en augmentation de quatre points en un an. Sur ces 50 pays, 36 connaissent une augmentation, sept sont stables et sept seulement connaissent une baisse du nombre de points.
L’autre indicateur est celui de la violence, en particulier du nombre de chrétiens qui ont perdu la vie pour leur amour de Jésus-Christ. On en dénombre 7100 contre 4344 en 2014 ce qui correspond à un quasi doublement. Encore ce chiffre n’est-il que la partie visible de l’iceberg. Par exemple ne sont pas comptabilisés les morts dans les camps de travail forcé en Corée du Nord, faute de pouvoir garantir les éléments chiffrées dont on dispose, tant le pays est fermé. On estime que plusieurs milliers de chrétiens perdent leur vie chaque année en Corée du nord. Nous n’enregistrons pas non plus ces morts déguisées en accident, par exemple le cas de cette jeune convertie en Égypte qui serait « tombée de sa fenêtre » et qui a, en fait, été défenestrée.
Nous comptabilisons également comme indicateur le nombre de fermetures d’églises ; incendiées ou détruites. Il y a là aussi un doublement avec 2406 cas recensés dans notre index dont 1500 en Chine.
L’étendue de la persécution augmente en particulier dans trois foyers géographiques :
· le Moyen-Orient où les printemps arabes se sont traduits par un hiver chrétien, hiver qui est devenu glacial à présent ;
· l’Afrique qui compte 16 pays parmi les 50 de l’Index. « Portes Ouvertes » considère l’Afrique comme une véritable « bombe à retardement » pour la persécution de l’église. Si rien n’est fait, cette bombe arrivera à explosion sous l’effet de l’influence grandissante de l’islam wahhabite qui s’étend au détriment du soufisme en particulier ; en raison de l’explosion démographique et enfin en raison de la désertification qui pousse les populations musulmanes vers le sud où elles chassent les populations chrétiennes. Pourtant en l’espace de 15 ans l’église a progressé de plus de 50 % en Afrique ;
· le troisième foyer est le monde hindou et bouddhiste. L’Inde occupe le 17e rang sur les 50 pays de notre Index. En 2015 nous avons recensé 350 attaques contre des familles ou des chrétiens en raison de leur foi. Ces attaques se passent en toute impunité. Il existe une philosophie qui veut imposer que l’Inde retourne aux hindous et qui a pour but de chasser les chrétiens et les musulmans qui y sont présents. Dans cinq états indiens, des lois anti-conversion ont été adopté ; ces lois anti-conversion s’appliquent à sens unique puisqu’elles ont pour seul but d’empêcher de quitter la foi hindouiste. Il existe aussi des campagnes de « retour à la maison » qui font pression auprès des convertis pour revenir à l’hindouisme en offrant des récompenses pécuniaires en cas d’acceptation ou en retranchant des aides financières en cas de refus. Il est publiquement affirmé, sans contradiction aucune, que l’Inde devrait être hindoue à 100 % d’ici six ans !
Pour conclure, je voudrais insister sur deux tendances fortes. La première est que l’extrémisme islamique est la première source de persécution des chrétiens dans le monde. C’est le cas dans 35 pays sur les 50 de l’Index.
La seconde est le refus de coexister avec les chrétiens qui s’observe dans les pays islamiques, en Inde ou encore en Érythrée, pays dans lequel parmi les 5000 personnes qui fuient quotidiennement une majorité est chrétienne. Dans le passé, l’islam tolérait l’église à travers le processus de la dihmmitude sous un statut de citoyen de seconde zone ; alors qu’aujourd’hui, on constate un refus pur et simple de coexister et qui est la principale explication du flux des réfugiés au Moyen-Orient et en Afrique.
Pour conclure, quatre recommandations :
· il faut adopter une approche large de la protection de la liberté de religion. Aujourd’hui tous les droits sont menacés. Il faut comprendre la logique de la violence mais voir aussi au-delà du marteau pour appréhender aussi l’étau qui enserre la vie quotidienne ;
· en second lieu, la liberté religieuse comprend la liberté de changer de religion, c’est là une de ses composantes constitutives. C’est ce qui est très clairement indiqué à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion et de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » ; en cela, il y a lieu de dénoncer les lois anti-conversion ou encore la répression de l’apostasie qui ont cours dans certains pays ;
· La pratique de la liberté religieuse doit être une préoccupation de premier plan dans le cadre des relations politiques et des relations diplomatiques. Elle doit être prise en compte dans toutes négociations commerciales ;
· enfin, la liberté de croire est le fondement de toutes les libertés.
M. Bruno Retailleau, président – merci pour ces deux interventions très complémentaires, l’une plus géopolitique et l’autre qui a particulièrement insisté sur les foyers de développement de la persécution dans le monde. Je sais que vous mettez beaucoup de votre énergie et de votre cœur dans les actions que vous menez. Nous allons à présent procéder à un échange de questions et de réponses.
M. Charles Revet – les informations données sont quelque peu glaçantes. Dans les deux types d’islam les réactions antichrétiennes sont-elles différenciées entre les sunnites et les chiites ? Par ailleurs, la dimension missionnaire est-elle encore un enjeu en particulier dans sa dimension économique et de développement alors qu’il semble qu’il y ait eu une certaine diminution de l’influence des églises chrétiennes en Afrique ?
M. Jeanny Lorgeoux – S’agissant de l’analyse sur la Turquie ne faut-il pas considérer, plutôt que sa vocation de glacis protecteur de l’Europe, qu’elle est surtout un cheval de Troie inversé. Toute l’idéologie du parti AKP et du président Erdogan n’est-elle pas calquée sur celle des frères musulmans ? En Afrique le sunnisme est très différencié avec, comme au Maroc ou au Sénégal, une tendance très modérée, de tendance soufi, inscrite dans les structures de l’État. La progression de l’islam en Afrique s’inscrit dans le long terme comme en témoigne mon rapport de 1987, fait à l’Assemblée nationale, qui traitait de l’islamisation de la « ligne du palmier dattier » et de son expansion propagée à travers les bergers peuls du faite de la désertification.
M. Jean-Pierre Vial - Le conflit entre les sunnites et les chiites n’est pas la seule clé de lecture et il faut se garder d’une approche réductrice. La persécution invisible des chrétiens est un fait important. Au Maroc par exemple, c’est un délit que de remettre une bible à un ressortissant.
Mme Christianne Kammermann – Lors de la guerre qui a déchiré le Liban, la moitié de la population chrétienne s’est exilée. Or, nous connaissons aujourd’hui un mouvement de même type dans la crainte d’un nouveau conflit. On ne peut se départir d’un certain sentiment d’impuissance devant l’ampleur du problème auquel sont confrontés les chrétiens.
M. Christophe-André Frasa -Je suis étonné que figure dans l’index de la persécution deux pays d’Amérique latine, la Colombie et le Mexique, alors que ces deux pays sont fondamentalement catholiques. Il existe certes des problèmes internes de corruption et de trafic qui conduisent à de grands troubles mais dont la cause n’est pas à rechercher dans l’exercice de la religion. Au Mexique ce sont des chrétiens qui se massacrent entre eux mais plus pour le contrôle des trafics que pour des questions de foi et, en Colombie, la question des réfugiés est due à l’action de la guérilla des FARC. Il est donc un peu choquant de voir ces pays cités par l’Index au même titre que d’autres dans lesquels la persécution des chrétiens a des causes beaucoup plus barbares.
Mme Catherine Deroche – Une question simple : comment arrivez-vous à intervenir dans ces pays, quels sont le type de rapports que vous avez avec les gouvernements en place ?
M. André Reichardt - pour terminer sur une note plus optimiste, pouvez-vous nous dire dans quel pays il y a une amélioration de la situation ?
M. Marc Fromager - Ce que nous pouvons constater c’est qu’en général les sunnites manifestent une plus grande agressivité que les chiites envers les chrétiens en raison du processus de radicalisation, de wahhabisation et d’uniformisation dont nous avons parlé. C’est le cas au Maroc, pays que j’avais évoqué pour son ouverture tout comme le Sénégal, le Pakistan ou l’Indonésie. Ces différentes pratiques de l’islam tendent à disparaître aujourd’hui. Si le Maroc tient c’est en partie parce que c’est une monarchie qui a de plus une légitimité religieuse et que ces pays ont besoin de régimes forts qui leur permettent de résister mieux à la radicalisation.
Dans l’Iran chiite, il y a des églises ouvertes pour les chrétiens qui sont principalement d’origine arménienne. Ceux qui sont en très grand danger sont les nouveaux convertis en particulier en raison du fait que l’apostasie est interdite dans l’islam. Ils ne peuvent pratiquer que dans des églises particulières, c’est-à-dire chez eux, clandestinement et ce sont eux qui sont persécutés et emprisonnés.
M. Michel Varton - il n’y a pas vraiment de recul de l’activité missionnaire, tout au moins du côté des protestants. Notre association travaille principalement pour apporter une aide humanitaire aux églises. Il est en effet vital d’agir pour aider économiquement ces pays par exemple par des micros crédits. Un exemple parmi d’autres : au Pakistan nous donnons des cours à une population qui est analphabète pour leur permettre de mieux participer aux activités du pays. Ce qu’il faut constater que c’est qu’en général les musulmans sont meilleurs marchands, meilleurs hommes d’affaires et qu’ils s’implantent dans les villages avec pour conséquence, assez rapidement, que les chrétiens se trouvent discriminés et défavorisés.
M. Marc Fromager - il y a effectivement un certain recul des missionnaires catholiques qui se traduit par un moindre soutien financier. Auparavant, les missionnaires étaient soutenus par un réseau familial et local alors qu’aujourd’hui les moyens font défaut. C’est un problème très réel quand, par exemple, le prêtre ne dispose pas de véhicule pour visiter ses paroisses. On ne peut que constater une forte inégalité entre l’islam qui, soutenue par les pétrodollars, dispose d’une force de frappe énorme et l’église catholique n’a pas de pétrole. Il faut rappeler qu’au début du XXe siècle l’islam était moribond mais qu’il a pu rebondir en raison de la puissance pétrolière. On constate, partout dans le monde, des constructions massives de mosquées. Cela dit, la chrétienté est en pleine expansion en Afrique. On compte chaque année 6 millions de convertis ce qui signifie clairement que la bataille n’est pas perdue. C’est l’augmentation des chrétiens dans le monde qui crée les tensions. Non seulement les chrétiens tiennent leurs positions, mais ils en gagnent.
Comme le rappelait à l’instant le président Retailleau, la Turquie est un enjeu énorme pour l’Europe et au-delà. Je ne range absolument pas la Turquie dans le camp du bien. Elle est objectivement un allié de l’Arabie Saoudite et du Qatar et a été le soutien originel de l’État islamique et l’est toujours aujourd’hui. Ce sont des gens très dangereux. Le pays est dans un processus d’islamisation et c’est le projet de l’AKP et du président Erdogan même s’il y a eu précédemment un islam modéré qui n’était destiné qu’à préparer la radicalisation. Il y a encore le rêve d’un néo empire ottoman. La Turquie veut réoccuper le nord de la Syrie et de l’Irak et c’est la raison de son soutien à l’État islamique. La Turquie a de plus le désir de s’implanter en Europe et, du reste, l’ouverture des frontières à l’été 2015 (qui a été plus qu’une ouverture, une incitation à partir) fait partie d’un processus d’islamisation de l’Europe. Oui, la Turquie agit en cheval de Troie ; elle est un acteur qui n’apporte rien à l’Europe mais accélère au contraire sa fragmentation et son affaiblissement.
M. Michel Varton - Le processus de désertification au Sahel conduit en effet à l’augmentation des tensions. Sur les 4000 morts que nous avons recensés au Nigéria, 1500 sont dues aux Peuls et non à Boko Haram. Il y a non seulement une compétition pour la terre entre agriculteurs et nomades mais aussi une affirmation des islamistes d’un supposé droit de propriété sur la terre en raison de leur confession. « Portes Ouvertes » va réaliser une étude plus approfondie sur les persécutions au Nigéria. Ces persécutions : pogroms, destruction de quartier chrétien etc. durent depuis 15 ans. Certains États adoptent la charia et discriminent les chrétiens pour l’accès aux puits, l’accès à l’éducation etc., ce qui les conduit au départ.
M. Marc Fromager - Certes, l’opposition entre les sunnites et les chiites n’est pas la seule explication du conflit syrien. On est au-delà de la dispute théologique, dans une lutte politique pour l’hégémonie entre l’Iran, qui s’appuie sur l’axe chiite, au Moyen-Orient et l’Arabie Saoudite. Dans le reste du monde ce conflit est moindre pour la simple raison qu’il y a très peu de chiites en dehors du Moyen-Orient. L’opposition entre les deux branches de l’Islam reste l’une des clés de l’explication du conflit même s’il existe d’autres considérations comme la question énergétique, que j’ai déjà évoquée, et la question de l’ingérence occidentale avec le plan Israëlo-américain de redécoupage du Moyen-Orient et l’alignement sur la péninsule arabique sunnite ce qui rend du reste plus compliqué les rapports avec l’Iran qui vient d’être réintégré dans le jeu international.
M. Michel Varton - Que faire ? En tant que chrétien je crois que, malgré tout ce qui se passe, Dieu contrôle l’histoire. Il agit comme, par exemple, en Iran avec cette église nouvelle de 400 000 convertis qui témoignent de la nouvelle dynamique. De plus, je constate que jamais dans l’histoire les musulmans n’ont remis autant en question ce qu’est l’islam, en se posant pour beaucoup la question de savoir si l’islam, c’est la version prônée par Daech. Bien sûr, il faut donner aux églises les moyens pour survivre ; il faut les accompagner et aider ceux qui veulent rester. Je ne suis pas désespéré. Dieu agit.
M. Marc Fromager –. Nous sommes bien évidemment particulièrement attentifs à ce qui se passe au Liban. Ce pays de 4,5 millions d’habitants accueille 2 millions de réfugiés, ce qui correspondrait chez nous à une population de 30 millions. Malgré tout ce qui s’y passe le pays tient envers et contre tout. Il est particulièrement important de détruire Daech car s’il prend Damas, il prendra Beyrouth 24 heures plus tard et ce sera la fin du Moyen-Orient. Soyons conscients qu’après ce sera notre tour. Il faut également signaler le rapprochement du front de l’Europe avec ce qui se passe actuellement en Libye.
A la question : que faire ? Il faut d’abord constater que malgré un tableau assez dramatique le christianisme se développe numériquement mais aussi, et peut-être surtout au niveau des idées, des valeurs. C’est cela qui crée des tensions. Si l’on prend le cas de l’Inde, où les chrétiens représentent 2,6 % de la population, on ne s’explique pas la volonté d’aboutir dans les six années à une "hindouisation" totale du pays. C’est que les chrétiens développent le principe de l’égale dignité de tous qui s’oppose au système des castes et entraine la réaction des élites brahmanes qui ne veulent pas se trouver concurrencées par les autres castes. Pour reprendre les termes d’un évêque indien le christianisme est la « matière explosive » du système des castes. C’est la même chose dans le monde islamique ou le christianisme promeut l’égalité entre les hommes et les femmes, principe étranger à leur culture. Ces idées se répandent avec la mondialisation qui véhicule des valeurs judéo-chrétiennes. Tout cela constitue plutôt une bonne nouvelle.
M. Michel Varton - En Colombie comme au Mexique la persécution ne vient pas principalement de l’État comme l’a montré les cinq sphères de vie que j’ai présentées au début de mon exposé. Au Mexique, dans certains États, on constate un mélange de croyances qui aboutit à un syncrétisme et à une persécution contre les convertis qui font le choix de rejeter ces pratiques. On constate dans toute l’Amérique latine un mouvement de conversion au protestantisme. Effectivement, en Colombie ce sont les narcotrafiquants qui attaquent les religieux, prêtres comme pasteurs, parce que, en raison de leur croyance, ils s’opposent à la corruption et aux divers trafics.
S’agissant de la question posée par Mme Deroche, Portes Ouvertes n’est pas toujours la bienvenue dans un certain nombre de pays et il nous arrive de créer des O.N.G. locales sous un autre nom pour pouvoir agir. Nous faisons également des actions de plaidoyer comme en Inde. Mais il faut également souligner l’action très importante et l’impact énorme que vous pouvez avoir d’élu a élu et de gouvernement à gouvernement.
Sur le bilan « optimiste » nous ne pouvons que constater l’amélioration dans le monde communiste et postcommuniste. La situation des chrétiens au Vietnam ou à Cuba s’améliore. La Chine est aujourd’hui à la croisée des chemins et on ne sait encore si elle évoluera vers plus de liberté religieuse ou plus de contrôle.
M. Marc Fromager - effectivement en 1989 personnes ne pariait sur un effondrement de l’URSS. Aujourd’hui la liberté de culte existe et il est important de souligner la rapidité de la mutation qui a eu lieu. En Chine l’église catholique est peut-être un petit peu moins en bonne posture, et AED par voie de conséquence dans la mesure où nous sommes accusés par le parti communiste de dépendre d’un État étranger, le Vatican. Cela ne nous empêche pas de constater qu’il y a chaque jour entre 10 et 20 000 conversions en Chine ce qui fait qu’au milieu du XXIe siècle, la Chine sera le plus grand pays chrétien numériquement parlant.
Sans qu’il soit question de faire un amalgame entre toutes les personnes appartenant à l’islam qui rejettent la violence, n’ambitionnent que de vivre en paix et veulent s’intégrer, il faut constater que l’islam reste le principal souci. L’Index et notre Observatoire montrent que c’est dans les pays musulmans qu’il y a le plus de violence contre les chrétiens. Il est important de souligner que l’islam traverse une crise profonde, qui est d’ailleurs soulignée par ses principaux responsables comme en témoigne le discours du président Sissi, en décembre 2014, devant les responsables religieux de l’université Al-Azhar. Il a très clairement indiqué le risque de disparition de l’islam en l’absence d’une réforme et a souligné la responsabilité des religieux dans l’enseignement des sourates les plus violentes. La violence est le résultat de cette fuite en avant dont les responsables religieux islamiques n’ont pas la solution.
M. Bruno Retailleau - S’il est difficile pour notre groupe de s’adresser directement à Dieu, nous pouvons intercéder auprès de l’État et nous le faisons à titre individuel ou au nom de notre groupe. L’une de nos missions est qu’il n’y ait pas d’assoupissement dans les médias sur la question des chrétiens d’Orient. Nous préparons un colloque qui se déroulera dans cette salle le 11 mars prochain avec comme objectif de remettre cette question dans l’actualité.