De gauche à droite : MM. Dominique de Legge et Antoine de Salins
Le mardi 21 mars 2023, le groupe d’amitié France-Saint-Siège, présidé par M. Dominique de LEGGE (Les Républicains ‑ Ille-et-Vilaine), président, a auditionné M. Antoine de SALINS, trésorier de la Fondation Notre-Dame, membre du comité d’investissement du Fonds de pension du Vatican et contributeur au document de l’Académie pontificale pour les sciences sociales intitulé Mensuram bonam, Mesures basées sur la foi pour les investisseurs catholiques : un point de départ et un appel à l’action publié en novembre 2022[1].
Étaient également présents MM. Jérôme BASCHER (LR ‑ Oise) et Bruno BELIN (LR ‑ Vienne), Mme Annick BILLON (Union Centriste ‑ Vendée), MM. François CALVET (LR – Pyrénées-Orientales), Pierre CUYPERS (LR – Seine-et-Marne), Bernard FOURNIER (LR – Loire), Loïc HERVÉ (UC – Haute-Savoie), Daniel Laurent (LR – Charente-Maritime) et Louis-Jean de NICOLAŸ (LR – Sarthe), Mme Lana TETUANUI (UC – Polynésie-Française) et M. Laurent SOMON (LR – Somme).
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Après avoir rappelé le parcours dans la finance de M. Antoine de SALINS, M. Dominique de LEGGE, président, a indiqué que Mensuram bonam s’inscrivait tout autant dans la Doctrine sociale de l’Église depuis Rerum novarum[2] en 1891 que dans la volonté de l’Église d’entretenir avec le monde et les hommes et femmes de bonne volonté un dialogue fondé sur la foi et la raison pour la construction d’une société plus juste. La réflexion proposée au monde de la finance est particulièrement nécessaire aujourd’hui pour protéger l’économie des turbulences des marchés mais aussi pour permettre aux citoyens d’investir leur épargne dans des produits véritablement éthiques et qui ne soient pas le résultat d’un simple « écoblanchiment », comme l’a récemment dénoncé UFC-Que Choisir[3].
M. Antoine de SALINS a expliqué que, dans ses réflexions sur la finance, l’Église s’appuie en premier lieu sur son enseignement social qui est une aide au discernement éthique. La richesse est tout autant une bénédiction de Dieu, un instrument pour agir, un appel au partage qu’un risque selon le mot de sainte Thérèse d’Avila « Quel excrément que l’argent mais pour la terre quel bon engrais ! ». Ses réflexions se sont toutefois accélérées et ont pris un tour plus opérationnel avec le pape François et la réforme de la gestion financière du Vatican. Pour lui, la finance n’est qu’une technique qui ne doit pas occulter les enjeux anthropologiques, moraux et spirituels. On peut également observer que ces réflexions rejoignent le « tsunami réglementaire » qui frappe le secteur, plus particulièrement en Europe, depuis la crise de 2008.
Mensuram bonam ne présente pas de nouveauté théologique mais apporte deux éléments importants. Ce document s’adresse tout d’abord aux catholiques en responsabilité financière dans le monde laïc, mais peut-être en premier lieu dans l’Eglise elle-même, les diocèses et les congrégations. Le monde catholique est très en retard sur cette question par rapport au monde protestant. Il est très difficile de mutualiser les ressources techniques car l’organisation de l’Eglise est très décentralisée. Ce document comprend ensuite un important volet pratique et rejoint en cela le principe de « double matérialité » développé par les instances de régulation. L’investissement durable conforme aux règles ESG (Environnement, Social et Gouvernance) vise autant à limiter les risques financiers qu’à produire un impact positif sur l’environnement et la société.
En résumé, Mensuram bonam est un appel à promouvoir la résistance à la puissance de l’argent et à la marchandisation du monde, la régulation de la finance comme bien collectif mondial et enfin l’utopie de changer le monde.
De gauche à droite : Mme Annick Billon et MM. Laurent Somon, François Calvet et Loïc Hervé
M. Loïc HERVÉ a demandé comment se situait cette réflexion par rapport au développement de la finance religieuse, notamment islamique. M. Jérôme BASCHER a souligné la difficulté de discerner le caractère éthique d’un investissement et le risque qu’un grand nombre d’investisseurs prennent les mêmes décisions à l’encontre d’un secteur économique ou industriel. Le nucléaire, c’est aussi bien le militaire que l’énergie décarbonée ou des traitements médicaux. M. Louis-Jean de NICOLAŸ a souhaité savoir si cette réflexion du Vatican prenait également en compte la délocalisation du travail et les conditions dans lesquelles elle se pratique. Enfin, M. Pierre CUYPERS s’est interrogé sur la place de l’innovation.
M. Antoine de SALINS a tout d’abord précisé que, pour lui, il y avait une exigence de formation des responsables dans les conseils d’administration des institutions financières ou dans les cercles politiques pour prendre conscience des enjeux. Concernant la finance éthique catholique, il n’y aurait qu’une vingtaine de SICAV (sociétés d'investissement à capital variable) ou FCP (fonds communs de placement) en France. Leur différence principale par rapport à d’autres produits réside dans la prise en compte de la bioéthique dans leurs placements. Cette approche présente le risque d’exclure tout investissement dans l’industrie pharmaceutique, ce qui peut avoir des conséquences néfastes en matière d’accès aux médicaments et d’éradication des pandémies. À travers cet exemple ou celui des énergies fossiles apparaissent deux écoles : celle de l’accompagnement des entreprises, qui souhaite les inciter à évoluer, et celle de l’exclusion, qui entend établir des barrières morales. Les droits humains sont quant à eux naturellement inclus dans la réflexion de l’Église, mais il est souvent difficile d’en mesurer l’impact d’un point de vue financier faute de données disponibles sur le cycle de vie des produits.
De gauche à droite : MM. Daniel Laurent, Pierre Cuypers, Bernard Fournier, Jérôme Bascher, Dominique de Legge et Antoine de Salins
Mme Lana TETUANUI s’est interrogée sur le lien entre le Vatican et les diocèses dans la gestion de leurs biens. M. François CALVET a souligné le retard pris par les catholiques sur ces sujets, les protestants ayant développé une vision plus positive de la richesse, M. Dominique de LEGGE, président, insistant plus sur l’ambivalence issue de la parabole des talents (Mt 25,14). Mme Annick BILLON a évoqué l’enjeu de la santé des femmes dans ces réflexions, et plus généralement des femmes appartenant au monde de la finance. Enfin, M. Daniel LAURENT a souhaité savoir où en était la réforme de la curie romaine initiée par le pape François.
M. Antoine de SALINS a expliqué qu’il n’y a pas de lien direct, s’agissant des problématiques de gestion, entre le Vatican, les diocèses et les congrégations. Au Vatican même, les choses changent progressivement. L’opacité diminue avec l’arrivée de professionnels extérieurs, qui viennent pallier un réel manque de compétences techniques. Il conviendrait encore de réaliser une unification des comptes pour en obtenir une vision globale, comme peuvent en disposer le Budget ou le Trésor pour l’État français.
La distinction entre catholiques et protestants, que l’on retrouve dans plusieurs ouvrages classiques de Max Weber comme dans le Mal Français d’Alain Peyrefitte, est en réalité discutable puisque la banque a été inventée dans la Lombardie catholique. Il y a de grands entrepreneurs, catholiques comme protestants, dont les comportements ne sont pas fondamentalement différents.
La faible place des femmes dans la finance résulte principalement de leur faible nombre dans les grandes écoles d’ingénieurs dont sont issus les acteurs financiers. Mais cela évolue, de grandes institutions financières étant désormais dirigées par des femmes. Les politiques « genrées » provenant des États-Unis ont un impact très fort à cet égard.
[1] https://www.pass.va/en/events/2022/mensuram_bonam.html
[2] https://www.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum.html
[3] https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-finance-verte-il-est-urgent-de-mettre-fin-a-l-ecoblanchiment-n106474/
Contact(s) :
- M. Matthieu MEISSONNIER