L’analyse des élections législatives du 21 octobre 2019
Quelques heures après la clôture des bureaux de vote, Mme Isabelle Hudon, Ambassadrice du Canada en France, a convié une soixantaine de personnalités, dont de nombreux parlementaires, pour une première analyse du résultat des élections fédérales.
Elle a été effectuée par les politistes : M.Pierre Martin, de l’IEP de Grenoble, Mme Carolle Simard, professeur de sciences politiques à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et M. Frédéric Gagnon directeur de l'Observatoire sur les États-Unis et professeur au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal.
Les résultats en voix et en sièges sont les suivants :
La majorité absolue est de 170 sièges.
L’abstention a progressé, la participation étant de 65,7 % contre 68,3 % en 2015 : 16,8 millions de canadiens ont voté sur 27,1 millions d’inscrits.
La répartition des sièges souligne une distribution géographique assez homogène des sièges entre les trois principales formations politiques (libéraux, conservateurs, Bloc québécois) :
Selon les trois politistes, les leçons du scrutins ont été les suivantes :
1. Les conservateurs gagnent en voix mais non en sièges en raison du mode de scrutin majoritaire à un seul tour et de la concentration de leur électorat dans les provinces centrales. Ils gagnent ainsi tous les sièges du Saskatchewan, province dont est issu le leader conservateur et de l’Alberta.
Les conservateurs ont progressé en voix par rapport à 2015 mais ont échoué à gagner les élections notamment en raison de la faiblesse du leadership de M. Andrew Sheer.
2. Les libéraux ont gagné en sièges, malgré leur affaiblissement en voix due à la désillusion de quatre ans de mandat de M. Justin Trudeau, lequel avait suscité de fortes attentes lors de sa victoire sur le gouvernement conservateur sortant en 2015. Les voix des Libéraux ont été apportées par l’Ontario et le Québec, où ils réalisent une meilleure performance qu’au niveau fédéral avec 34,1 % des voix remportant ainsi 35 des 78 sièges du Québec.
3. L’échec est marqué pour le NPD qui recule en voix et en sièges et est renvoyé à sa position de 2004. Malgré la bonne image de son leader, M. Jagmeet Singh (sauf au Québec où le vote laïc a été heurté par le fait qu’il porte le turban confessionnel sikh), ce parti peine à incarner une alternative fédérale crédible et paie encore son échec de 2015 lorsqu’il avait failli gagné les élections fédérales.
4. Les Verts progressent en voix mais peu en sièges (passant de 2 à 3), et leur score reste inférieur au scrutin de 2008 (6,8 %), en dépit des enjeux climatiques très présents dans la campagne et des manifestations monstres en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique (500 000 personnes à Montréal), marquées par la présence de Greta Thunberg, laquelle s’est toutefois bien gardée d’appeler à voter écologiste. En outre, 43 % des canadiens ne sont pas prêts à dépenser plus pour l’environnement et Justin Trudeau a su lier emploi et écologie dans ses discours de campagne.
5. Le vainqueur du scrutin est le Bloc Québécois, qui progresse en voix et en sièges,mais qui ne peut utiliser cette victoire au niveau fédéral, n’ayant présenté de candidats qu’au Québec. Il constitue même “l’allié involontaire des Libéraux”, le vote non-libéral s’étant porté sur lui au détriment du vote Conservateur dans la Belle Province. Son leader, M. Pierre Blanchet, a gagné le débat télévisé francophone et sa retenue à l’égard de M. Trudeau lors de l’affaire du “blackface”[1] a été appréciée.
Quelles vont être les conséquences de ce scrutin ?
Contrairement aux élections québécoises de 2018 qui ont été des élections de réalignement, les élections fédérales sont marquées par la continuité. Les Libéraux occupent une position centrale dans l’échiquier. Trudeau est le moins impopulaire et le plus acceptable des deux prétendants sérieux à la fonction de Premier ministre. Mais les fractures territoriales profondes du Canada demeurent.
Les Libéraux vont former un gouvernement minoritaire, avec un Premier ministre affaibli, qui devra passer des compromis à la carte avec les autres formations politiques et principalement avec le NPD, sans pour autant former une coalition avec ce parti qui impliquerait une participation gouvernementale. Cette alliance devrait orienter la politique intérieure canadienne vers plus de progressisme.
Au cours de l'histoire de la politique canadienne, il y a eu quatorze gouvernements minoritaires au niveau fédéral. Aucun n’a dépassé une durée de dix-huit mois à deux ans.
Sur le plan international, on peut porter au crédit du Premier ministre sortant d’avoir réussi sa relation avec les États-Unis de Trump, notamment dans la renégociation de l’ALENA. Les relations difficiles avec la Chine n’ont pas pesé dans le débat électoral, bien que les Etats-Unis aient obtenu un droit de regard sur les relations commerciales sino-canadiennes. Le Canada devrait se rapprocher davantage de l’Europe.
L’élection a également confirmé que le Bloc québécois constituait un sérieux problème électoral pour les Conservateurs comme pour le NPD, en neutralisant leurs votes dans cette Province, les empêchant ainsi d’accéder aux responsabilités fédérales. Les provinces atlantiques, pauvres, votent Libéraux car elles ont besoin des fonds fédéraux pour se développer. À noter qu’au Canada, le gouvernement fédéral dispose d’excédents budgétaires tandis que les provinces doivent assumer de lourdes dépenses et sont généralement déficitaires, sauf Québec.
Par ailleurs, les minorités francophones de l’ouest comptent sur les Libéraux pour protéger leurs droits en tant que minorités.
L’alliance entre Libéraux et NPD devrait toutefois accroître les tensions avec le gouvernement caquiste du Québec. Les deux formations défendent en effet le modèle multiculturel tandis que la loi 21 du Québec, adoptée en juin dernier, vient d’imposer aux fonctionnaires un strict respect de la laïcité. Le gouvernement fédéral devrait par ailleurs refuser les demandes présentées par le Premier ministre du Québec M. Legault qui souhaite une autonomie renforcée de la province en matière de gestion de la politique d’immigration.
Dans ces premières déclarations après le scrutin, le Premier ministre Justin Trudeau a assuré que « la voix du Québec portera encore plus à Ottawa ».
1 À l’occasion d’une soirée de gala sur le thème “Nuits arabes” le Premier ministre - alors professeur dans l’école privée “West Point Grey Academy”, est âgé de 29 ans - s'était déguisé en “Aladdin”. Le magazine américain Time a publié le 18 septembre une photo où on peut l'apercevoir avec turban vissé sur la tête, tunique blanche, et la peau entièrement peinte en marron foncé, du visage jusqu’au bout des doigts.
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