Le groupe d’amitié France-Saint-Siège, présidé par M. Dominique de Legge (Les Républicains – Ille-et-Vilaine), a reçu, le 20 janvier 2021, M. Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits.
M. Jean-Baptiste Noé (à gauche) et M. Dominique de Legge (à droite)
Outre le président du groupe, étaient présents MM. Jean-Michel Arnaud (Union centriste – Hautes-Alpes), Arnaud de Belenet (UC – Seine-et-Marne), Bruno Belin (LR – Vienne), Éric Bocquet (Communiste républicain citoyen et écologiste – Nord), Mme Christine Bonfanti-Dossat (LR – Lot-et-Garonne), MM. Patrick Boré (LR – Bouches-du-Rhône), François Calvet (LR – Pyrénées-Orientales), Emmanuel Capus (Les Indépendants - République et Territoires – Maine-et-Loire), Pierre Cuypers (LR – Seine-et-Marne), Mme Jacquy Deromedi (LR – Français établis hors de France), M. Bernard Fournier (LR – Loire), Mme Joëlle Garriaud-Maylam (LR – Français établis hors de France), M. Jacques Grosperrin (LR – Doubs), Mme Nadège Havet (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants – Finistère), et MM. Loïc Hervé (UC – Haute-Savoie), Jean‑Michel Houllegatte (Socialiste écologiste et républicain – Manche), Daniel Laurent (LR – Charente-Maritime), Dominique de Legge (LR – Ille-et-Vilaine), Franck Menonville (INDEP – Meuse), Laurent Somon (LR – Somme) et André Vallini (SER – Isère).
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M. Dominique de Legge, président, après avoir rappelé le parcours de M. Jean-Baptiste Noé comme professeur, écrivain, œnologue et élu local, ainsi que ses livres sur Léon XIII, Pie XII, la Géopolitique du Vatican et la diplomatie du Pape François, l’a invité à expliquer l’idée selon laquelle le Vatican serait un État « a-géographique » et les raisons pour lesquelles le nombre d’ambassades près le Saint-Siège a été plus que multiplié par dix en un siècle, en faisant un « second ONU ». Il l’a interrogé sur ce que signifiait le rôle de l’Église comme « gardienne de la romanité » et pourquoi, selon lui, le renouveau catholique se produirait en Europe et non en Amérique latine ou en Afrique comme c’était souvent affirmé. Enfin, il l’a invité à expliciter les particularités de l’action internationale du Pape François au regard de ses origines et des grands textes du pontificat.
M. Jean-Baptiste Noé a indiqué que le Saint-Siège était tout d’abord un lieu privilégié pour recueillir du renseignement et s’informer sur le monde, l’Église catholique disposant de capteurs fiables dans les zones les plus reculées, notamment en conflit. Par ailleurs, le Saint-Siège n’a pas d’intérêt immédiat et direct, ni commercial, ni militaire, et a pour vocation de contribuer à la paix. Il a donc une neutralité qui lui permet de coopérer avec presque tous les acteurs. Il a par exemple permis la libération d’humanitaires britanniques en Iran, été médiateur entre l’Argentine et le Chili dans l’affaire du canal de Beagle, ou tout récemment entre les États-Unis et Cuba pour trouver les voies d’une normalisation. Son action est aussi importante dans le monde arabe auprès de l’Arabie-Saoudite, l’Égypte ou les Émirats Arabes Unis. Dans le cadre de la guerre en Syrie, les convergences avec Moscou ont très certainement empêché l’intervention militaire occidentale qui était prévue à l’automne 2013. Au final, le Vatican, bien qu’étant un très petit état, joue un rôle diplomatique majeur.
Le Saint-Siège est effectivement l’un des promoteurs de la « romanité », comprise comme un corpus culturel, intellectuel et juridique qui va au-delà de l’Europe ou de l’Occident et qui conduit à reconnaître une égale dignité aux êtres humains, et donc à promouvoir l’égalité entre hommes et femmes, à interdire l’esclavage, la prostitution… mais aussi à soutenir les structures internationales multilatérales, le droit international et les libertés, à commencer par la liberté religieuse.
À cet égard, la question chinoise montre les limites d’une diplomatie seulement morale. Il est très difficile de défendre la liberté religieuse contre la volonté de siniser et la répression croissante contre les chrétiens. L’accord entre le Vatican et la Chine est sans doute le fruit d’une certaine naïveté chez certains, mais aussi de la nécessité, au regard de la situation de l’Église locale. C’est également un pari sur l’avenir et la volonté de lier les autorités chinoises avec un compromis et de les engager dans un processus de discussion.
Deux autres grands sujets mobilisent l’action du Saint-Siège : l’union avec les Églises orientales, marquée par la rencontre majeure entre le Pape François et le patriarche Kirill à Cuba, et l’entente avec l’Islam. Il s’agit de contrer les islamistes en jetant des ponts avec le monde musulman. C’est tout le sens des récents voyages au Caire, en Jordanie, au Maroc et bientôt en Irak ou des relations entretenues avec la Syrie, l’Azerbaïdjan ou l’Iran.
Répondant à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Jean-Baptiste Noé a expliqué que le conflit du Haut-Karabakh était particulièrement complexe. Le Saint-Siège ne s’est pas exprimé publiquement sur le sujet parce qu’en droit international, il s’agit d’un territoire azéri, que c’est une région orthodoxe et que le vecteur de son action a été plutôt humanitaire. Mais la question reste ouverte, notamment au regard de la protection du patrimoine religieux et des populations. Il est tout à fait probable qu’une action officieuse ait été entreprise.
Revenant ensuite sur la question chinoise à l’invitation de M. André Vallini et de Mme Christine Bonfanti-Dossat, M. Jean-Baptiste Noé a souligné que l’accord avait été effectivement mal compris, mal reçu et parfois vu comme une trahison. Cet accord est un pari. Ses fruits seront peut-être décevants, mais cela dépend également des grandes puissances occidentales qui jusqu’à présent ont fait preuve d’une certaine naïveté à l’égard de la Chine. L’accord avec la Chine a été renouvelé. Il reste néanmoins secret. Il existe des zones grises entre l’Église clandestine et l’officielle. Globalement, la répression va croissant car la contestation politique à Hong-Kong est portée par les chrétiens protestants ou catholiques et la direction communiste veut à tout prix éviter une réplique de ce qui s’est passé en Pologne et en Allemagne de l’Est et qui a conduit à la chute de l’URSS. Afin d’éviter une aggravation de la situation, le Vatican n’a apporté aucun soutien public.
Interrogé par M. Bruno Belin sur le rôle de l’Église pendant les années 1930 et 1940, M. Jean-Baptiste Noé a estimé que la période était désormais bien connue. Pie XII est intervenu directement dans des projets d’assassinats d’Hitler, dans le sauvetage des Juifs ou même en transmettant les plans d’invasions de la France qu’il avait reçus de l’amiral Canaris. Pie XII a préféré une action secrète ou discrète à des déclarations publiques. Le silence est un dilemme, un cas de conscience.
Abordant la situation sur le continent africain à l’invitation de M. Jean-Michel Houllegatte, M. Jean-Baptiste Noé a rappelé que le Vatican ne s’ingère pas dans les affaires intérieures des autres États et que les hiérarchies ou les communautés catholiques locales avaient leur autonomie d’action. Dans des situations d’une grande complexité et très instable, l’Église est parfois la dernière institution légitime d’un pays. Mais elle est désormais confrontée, comme en Amérique latine, à la forte résurgence des religions autochtones plus qu’à l’essor des communautés évangéliques.
à suite de la question de M. Dominique de Legge, président, sur l’importance des origines argentines du Pape François, M. Jean-Baptiste Noé a indiqué qu’il était de culture européenne mais que son vécu était latino-américain, citant la dictature militaire, le péronisme et l’attention aux communautés populaires. Il en résulte une sensibilité à l’oppression sous toutes ses formes et aux luttes sociales.
Évoquant les aspects économiques, il a répondu à MM. Éric Bocquet et André Vallini que le Pape François était marqué par les inégalités et les bidonvilles d’Amérique-du-Sud. Il s’oppose à la corruption, au clientélisme et aux mafias et promeut activement une économie au service de tous. Il n’a pas consacré d’encyclique mais s’est exprimé dans de multiples cadres à ce sujet.
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- M. Matthieu MEISSONNIER
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