Résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur .

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (E 2520) a suscité au Sénat le dépôt, en application de l'article 73 bis du Règlement du Sénat, de trois résolutions respectivement présentées par M. Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, par M. Jean Bizet et par M. Robert Bret et plusieurs de ses collègues, et renvoyées pour examen à la commission des affaires économiques.

Au cours de la discussion générale en séance publique, M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques, a tout d'abord rappelé que la directive du 13 janvier 2004 relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « Bolkenstein » comportait deux volets tendant à simplifier le droit d'établissement d'une entreprise européenne dans un autre Etat membre, d'une part, et à faciliter la prestation de service d'une entreprise établie dans un pays à un client résidant dans un autre pays de l'Union, d'autre part. Il a noté que le débat autour de cette directive portait essentiellement sur l'application de la règle du pays d'origine selon laquelle les règles juridiques régissant la prestation sont celles du pays où réside l'entreprise et non celles du pays où réside le client. Mais il a indiqué que les nombreuses craintes exprimées à ce sujet devaient être relativisées dans la mesure où ce principe était loin d'être d'application générale du fait des nombreuses exclusions prévues, qu'il ne pouvait concerner que les services vendus par une entreprise à une autre entreprise et ne concernait donc pas les consommateurs et enfin qu'il ne s'appliquait pas aux services d'intérêt général.

Le rapporteur a considéré que l'enjeu économique représenté par la construction d'un grand marché européen des services, décidée lors du Conseil de Lisbonne en mars 2000, justifiait pleinement que des mesures soient prises pour faciliter les échanges de services. En effet, les services constituent un secteur potentiellement très créateur d'emplois et très porteur d'innovations.

Il a toutefois sévèrement qualifié la rédaction de la directive en la jugeant « mal calibrée, mal rédigée, mal évaluée en terme d'impact et parfois mal inspirée ».

M. Jean Bizet a estimé que son champ d'application était trop large car, si elle exclut bien les services d'intérêt général et vise les services économiques, elle inclut néanmoins certains secteurs non marchands comme la santé ou la culture qui ne doivent pas être concernés. Cette directive est mal rédigée car la limitation aux services économiques n'est pas suffisamment explicite et que les exclusions ne sont pas exposées de façon suffisamment lisible. La directive ne contient en outre pas d'informations suffisantes sur l'impact des mesures proposées. Enfin, elle ne permet pas de disposer des instruments de contrôle indispensables en ce qui concerne les travailleurs.

Sur ces différents points la commission des affaires économiques a souhaité apporter des précisions et modifications présentées dans la résolution adoptée le 9 mars 2005.

M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la délégation pour l'Union européenne, a tout d'abord insisté sur la nécessité de bien distinguer le débat sur la proposition de directive du débat institutionnel et constitutionnel.

Puis il a expliqué les conditions particulières dans lesquelles la délégation du Sénat avait étudié cette proposition de directive en décidant d'intervenir très en amont, dès l'été 2004, et en créant un « groupe de travail pluriel », composé de sénateurs de différents groupes politiques ayant pu procéder à des auditions à Bruxelles et établir un rapport d'information approfondi mis à disposition de l'ensemble des parlementaires et en particulier des membres de la commission des affaires économiques. M. Denis Badré a conforté les propos de M. Jean Bizet concernant la nécessité de mettre en place un marché unique des services en soulignant que cette initiative intervenait à un moment clef de la construction européenne tant en raison de l'élargissement à vingt-cinq Etats que de l'obligation de renforcer la compétitivité de l'Union européenne.

Analysant les conditions dans lesquelles la directive Bolkenstein avait été présentée, il a proposé, pour l'avenir, trois règles de bonne conduite consistant à ne pas construire l'Europe « à reculons » en suggérant implicitement aux Européens de sortir de la démarche qu'on leur proposait, à définir clairement les objectifs et pour cela à assortir les projets d'études d'impact et enfin, dans un souci d'efficacité et de transparence, à disposer de définitions communes car trop souvent les mêmes notions recouvrent, d'un pays européen à l'autre, des réalités très différentes. Le rapporteur de la délégation a considéré que le projet de directive « comport[ait] un certain nombre de bonnes dispositions notamment des mesures de simplification, de consolidation et de clarification pour une présentation cohérente et nette ». Mais il a souhaité préciser certains principes tels celui du « pays d'origine » (PPO) en affirmant qu'il ne devait pas être compris comme prônant un alignement sur le moins-disant mais, au contraire, comme le partage de l'exigence. Evoquant la jurisprudence « Cassis de Dijon », il a noté qu'elle n'était en rien transposable en matière de services : le cassis de Dijon ne peut être produit qu'à Dijon, en revanche le service est rendu dans le pays de destination et non dans le pays d'origine. Il convient dans ce cas, non pas de transposer un système dans un autre, mais de faire en sorte d'harmoniser au maximum les deux prestations de service. Il a conclu en affirmant que « nous devons chercher le meilleur moyen de construire l'Europe, d'en faire une véritable Union, tout en préservant sa diversité, à partir d'une démarche commune, ou bien unique dans certains domaines, lorsque cela est possible » et en considérant qu'il faudra valoriser ce qui fait notre tradition et notre richesse à transmettre à nos partenaires tout en acceptant leur regard sur notre système et en en tirant les conséquences qui s'imposent.

Mme Claudie Haigneré, ministre délégué aux affaires européennes, a jugé que la proposition de directive n'était en l'état pas acceptable tout en reconnaissant que l'approfondissement de marché intérieur dans le domaine des services était nécessaire et contribuerait directement au regain de croissance et d'emploi en Europe. Elle a considéré que les mesures de simplification, jugées globalement positives, ne devaient pas conduire à une remise en cause de notre modèle social et culturel. Elle a donc exposé la demande du Gouvernement tendant « à l'exclusion du champ d'application de la directive des services sociaux et de santé, de l'audiovisuel, des services collectifs de gestion des droits d'auteur et droits voisins, des professions juridiques réglementées, des transports dans leur intégralité et des jeux d'argent ». Elle a également précisé qu'une autre directive devrait concerner les services d'intérêt économique général afin de sécuriser leur rôle, l'organisation et le financement des services publics.

Pour ce qui concerne les prestations de service, elle a fait part de ses craintes quant à une application trop rigide du principe du pays d'origine risquant de conduire à un nivellement par le bas et a appelé à la mise en oeuvre d'une intense politique d'harmonisation. Elle a indiqué que des études d'impact par secteurs avaient été entreprises afin de juger précisément des effets du PPO et qu'elles seraient transmises aux autorités européennes.

Puis elle a exposé les conditions dans lesquelles se poursuivait la négociation au niveau européen, négociation marquée par un double constat partagé par l'ensemble des partenaires : l'importance de la construction du marché intérieur des services pour l'avenir de l'Europe et la nécessité de revoir la proposition de directive. Elle a souligné que la forte mobilisation du Gouvernement mais aussi des assemblées avait permis à la Commission de prendre conscience des difficultés et de manifester son intention de « construire un consensus ». La ministre a estimé que l'examen devant le Parlement européen devrait permettre de prendre en considération certaines demandes françaises. Elle a confirmé la ligne de conduite suivie lors des négociations fondée sur le besoin d'une législation européenne sur les services et le refus qu'elle résulte de la seule jurisprudence. Elle a précisé que les études d'impact seraient transmises aux autorités européennes afin qu'elles puissent orienter les travaux de remise à plat de la directive excluant de ce fait toute exigence de retrait pur et simple de ce texte qui ne serait pas une option favorable à nos intérêts. Enfin, la ministre a salué l'implication du Sénat dans l'élaboration de cette réglementation dans le souci de faire progresser l'Europe par le « haut » et non par le « bas ».

Dans la discussion générale sont alors intervenus Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Michel Mercier, Gérard Le Cam, François Fortassin, Roland Ries, Bruno Retailleau, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, Mme Catherine Tasca, MM. Bernard Murat, Francis Grignon et M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.

La discussion générale ayant dû être interrompue du 16 au 23 mars 2005, le rapporteur a pu, lors de la reprise de l'examen du texte, transmettre à ses collègues les très récents propos du président de la Commission européenne selon lesquels « la Commission [était] prête à travailler avec le Parlement européen afin de réaliser toutes les adaptations nécessaires pour aller à la rencontre des préoccupations exprimées en France ». Il a également noté que l'impression d'attention apportée aux positions françaises était largement partagée concernant le caractère inéluctable du réexamen de la directive et sa réécriture en profondeur notamment afin de tenir compte de la demande figurant dans la résolution concernant « l'abandon de la règle du pays d'origine dès lors qu'il n'existe pas de socle d'harmonisation ».

Ces propos ont été confirmés par la ministre qui a insisté sur l'exigence de préserver le modèle social européen lors de la réalisation du marché intérieur des services mais également sur la volonté partagée de parvenir à un accord, de poursuivre le processus d'harmonisation à propos du principe du pays d'origine en se fondant sur les études d'impact. Elle a également évoqué la demande française consistant à affirmer la primauté du droit sectoriel et du droit spécialisé sur le droit général. Enfin, elle a clairement marqué la distinction à établir et à respecter entre le débat sur la directive et le débat constitutionnel tout en jugeant très positivement les effets de la mobilisation française sur le contenu de la directive.

Passant à l'examen de la proposition de résolution, le Sénat a tout d'abord rejeté la motion tendant à opposer la question préalable déposée par M. Robert Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen et présentée par M. Guy Fischer s'interrogeant sur la portée réelle du revirement européen sur une éventuelle réécriture de la directive, traduisant la montée des inquiétudes face à la mise en place d'une réalité libérale et le simple report de la directive compte tenu des échéances référendaires et appelant au retrait de la directive et au rejet du traité constitutionnel (avis défavorables de la commission des affaires économiques et du Gouvernement).

Le Sénat a ensuite examiné le texte de la résolution sur lequel sont également intervenus MM. Robert Bret, Yannick Texier et Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne.

Le texte élaboré par la commission des affaires économiques a été modifié par plusieurs amendements présentés :

- par la délégation parlementaire pour l'Union européenne précisant la portée de la réglementation en matière de détachement de travailleurs (la directive spécifiant que les travailleurs détachés sont toujours soumis aux règles du pays d'accueil et qu'il convient que cet Etat puisse toujours contrôler la situation des travailleurs détachés sur son territoire), en spécifiant que la déclaration préalable au détachement devait être maintenue afin de permettre des contrôles efficaces (avis favorables de la commission des affaires économiques et du Gouvernement) ;

- par la délégation parlementaire pour l'Union européenne clarifiant la portée de la directive en indiquant dès l'abord les exclusions et notamment celle concernant les services d'intérêt général non économiques et énumérant ensuite les exclusions plus spécifiques (avis favorables de la commission des affaires économiques et du Gouvernement) ;

- par MM. Dominique Braye et Yannick Texier tendant à exclure expressément du champ d'application de la directive les services du logement social (avis favorables de la commission des affaires économiques et du Gouvernement) ;

- par M. Jean-Jacques Hyest visant à exclure de l'application de la directive les règles d'exercice professionnel sanctionnées pénalement (avis favorables de la commission des affaires économiques et du Gouvernement) ;

- par la commission des affaires économiques demandant que des études d'impact soient systématiquement réalisées sur les conséquences que pourrait avoir l'application du principe du pays d'origine aux différents secteurs d'activité concernés (avis favorable du Gouvernement) ;

- par la délégation parlementaire pour l'Union européenne appelant la Commission européenne à formuler une proposition d'instrument juridique communautaire spécifique pour les services d'intérêt économique général (avis favorables de la commission des affaires économiques et du Gouvernement).

Après les explications de vote de MM. Jean-Pierre Bel, Michel Mercier, Jacques Pelletier, Robert Bret, Bruno Retailleau et Philippe Nogrix, le Sénat, par scrutin public demandé par la commission des affaires économiques n° 155, a adopté les conclusions rectifiées du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution.

Travaux préparatoires

Sénat :

(15 et 23 mars 2005) : n°s 177, 182, 209, 230, 262, 236 et adoption 89 (2004-2005).

Nombre d'amendements déposés 20

Nombre d'amendements adoptés 6

(Scrutin n° 155)

Rapporteurs au Sénat : M. Jean Bizet, commission des affaires économiques, et, pour avis, M. Denis Badré, délégation pour l'Union européenne.

Analyse politique du scrutin n° 155

Séance du mercredi 23 mars 2005

sur l'ensemble de la proposition de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur.

Nombre de votants .........................................................

323

Suffrages exprimés .........................................................

323

Pour ......................................................

202

121

Contre ..................................................

GROUPE COMMUNISTE REPUBLICAIN ET CITOYEN ( 23 ) :

Contre .................................................................................

23

GROUPE UNION CENTRISTE-UDF ( 33 ) :

Pour .....................................................................................

33

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DEMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPEEN ( 15 ) :

Pour .....................................................................................

15

GROUPE SOCIALISTE ( 97 ) :

Contre .................................................................................

96

N'a pas pris part au vote ......................................................

1

Mme Michèle André - qui présidait la séance

GROUPE DE L'UNION POUR UN MOUVEMENT POPULAIRE ( 155 ) :

Pour ....................................................................................

154

N'a pas pris part au vote .....................................................

1

M. Christian Poncelet - président du Sénat

SENATEURS NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE ( 7 ) :

Contre ................................................................................

2

MM. Philippe Darniche, Bruno Retailleau

N'ont pas pris part au vote .................................................

5