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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Gaza

M. Akli Mellouli

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Droits de douane américains (I)

Mme Dominique Estrosi Sassone

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Droits de douane américains (II)

M. Jean-Baptiste Lemoyne

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Avenir de l'entreprise Verney-Carron

M. Pierre Jean Rochette

M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie

Saint-Pierre-et-Miquelon face aux droits de douane américains

M. Jean-Marc Ruel

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Droits de douane américains (III)

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Nouvelle-Calédonie

M. Robert Wienie Xowie

M. François Bayrou, Premier ministre

Avancées sur le statut de l'élu

M. Ludovic Haye

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité

Professeur empêché de faire cours à l'université Lumière-Lyon-II

M. Max Brisson

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Protection de l'enfance

Mme Marion Canalès

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Soutien à Haïti et lutte contre le narcotrafic

Mme Micheline Jacques

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur

Conséquences budgétaires des droits de douane américains

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

Interdiction du téléphone portable à l'école

M. François Bonhomme

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Mortalité infantile et services de maternité

M. Patrice Joly

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Paul Maillot Rafanoharana

M. Christophe-André Frassa

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Brigades de gendarmerie

M. Franck Dhersin

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur

Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone

Discussion générale

M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

M. Frédéric Buval

M. Henri Cabanel

Mme Jocelyne Guidez

M. Robert Wienie Xowie

M. Jacques Fernique

Mme Nicole Bonnefoy

M. Christopher Szczurek

M. Pierre-Jean Verzelen

Mme Annick Petrus

M. Stéphane Piednoir

Mme Marie Mercier

Discussion des articles

Article 1er

Rappels au règlement

CMP (Nominations)

Traitement des maladies des cultures végétales par aéronefs télépilotés

Discussion générale

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Bernard Fialaire

M. Yves Bleunven

M. Gérard Lahellec

M. Daniel Salmon

M. Jean-Claude Tissot

M. Vincent Louault

M. Pierre Cuypers

M. Bernard Buis

M. Christian Klinger

Discussion des articles

Article 1er

Vote sur l'ensemble

M. Daniel Salmon

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Daniel Gremillet

La santé mentale, grande cause du Gouvernement pour l'année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ?

Mme Marion Canalès, pour le groupe SER

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

Mme Jocelyne Guidez

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Anne Souyris

Mme Annie Le Houerou

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Jean Sol

M. Bernard Buis

Mme Mireille Conte Jaubert

Mme Anne-Sophie Romagny

Mme Corinne Féret

Mme Marie-Claire Carrère-Gée

M. Simon Uzenat

M. Alain Milon

Mme Patricia Demas

M. Laurent Somon

Mme Anne Ventalon

M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe SER

Ordre du jour du jeudi 10 avril 2025




SÉANCE

du mercredi 9 avril 2025

79e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Guy Benarroche, Mme Catherine Di Folco.

La séance est ouverte à 15 h 05.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.

Gaza

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) À Gaza, l'humanité s'effondre : jamais un peuple n'a été aussi méthodiquement isolé, affamé, bombardé, avec le silence complice de la communauté internationale. Des blessés graves ne peuvent être évacués ; des enfants meurent de faim à côté d'entrepôts pleins, volontairement bloqués ; des médecins entament des grèves de la faim pour exiger un cessez-le-feu et un corridor humanitaire.

Des femmes accouchent au sol sans anesthésie ; des chirurgiens opèrent à la lumière des téléphones portables, sans eau ni médicaments ; l'odeur de la mort remplace celle de la vie. Il y a un an, je disais : à Gaza, on ne soigne plus, on ampute. Désormais, on n'ampute plus, on enterre. Chaque jour qui passe est une trahison de nos valeurs fondamentales.

Il est temps de passer des discours aux actes. Si, comme le dit le Président de la République, notre pays est opposé à l'annexion de Gaza et de la Cisjordanie, la France doit reconnaître sans tarder l'État de Palestine, unique levier pour stopper le génocide. Allez-vous exiger un cessez-le-feu immédiat, l'ouverture d'un corridor humanitaire et le respect du droit international ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER, CRCE-K et du RDSE ; exclamations sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Vous auriez pu, dans votre question, saluer la visite du Président de la République hier à El-Arich, à 35 kilomètres de Gaza, pour apporter 8 tonnes de fret humanitaire, se rendre au chevet des blessés et rencontrer les acteurs humanitaires.

Vous auriez pu soulever la responsabilité historique du Hamas dans la situation dans laquelle est plongé le peuple palestinien. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC)

La France a bien fait passer les messages que vous souhaitez.

Une voix à gauche.  - Ce n'est pas très efficace...

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Le Président de la République s'est entretenu avec les dirigeants des pays arabes afin qu'ils fassent pression sur le Hamas pour obtenir la libération des otages retenus dans les tunnels de Gaza. Il s'est entretenu avec le Premier ministre israélien et le Président américain pour obtenir une reprise du cessez-le-feu. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)

Nous préparons avec l'Arabie saoudite la conférence des Nations unies sur la solution à deux États, seule susceptible d'apporter la paix et la sécurité à Israël comme au peuple palestinien. Cela passera, le moment venu, par des reconnaissances collectives et croisées, avec des garanties de sécurité permettant aux deux peuples de vivre en paix. C'est dans cet esprit que nous travaillons. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)

M. Akli Mellouli.  - Quand le droit s'efface devant la force, quand la dignité humaine devient une variable d'ajustement diplomatique, l'ordre international vacille. Soyez fidèles aux valeurs de la France ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Droits de douane américains (I)

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Les mots droits de douane sont les plus beaux du dictionnaire », disait le candidat Trump. Ils sont devenus le pire cauchemar de nombre d'entreprises françaises, salariés et consommateurs.

Après la surenchère permanente, le jour J a vu les États-Unis augmenter les droits de douane vis-à-vis de 56 pays, selon une règle de calcul tirée de ChatGPT. Pour l'Union européenne, ils sont portés à 21,2 %. Nombre de secteurs sont touchés : 24 % du secteur des boissons, spiritueux et eaux minérales, par exemple.

Quel est le plan du Gouvernement pour accompagner ces secteurs en urgence ? Comment ne pas s'étonner de l'impréparation de l'Europe ? Donald Trump fait ce qu'il avait annoncé. Quelles mesures de prévention et de riposte avons-nous préparées ? Dans un monde plus dangereux à l'est, moins amical à l'ouest, souvent non coopératif au sud, quand allons-nous sortir du monde des Bisounours ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, et sur plusieurs travées du groupe INDEP)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Les mots « droits de douane » sont d'abord synonymes d'impôt sur les classes moyennes américaines, qui vont s'appauvrir. Les derniers sondages montrent que les Américains sont conscients de l'impact désastreux sur leur pouvoir d'achat.

Ces décisions, nous ne les avons pas provoquées, et espérons qu'elles seront revues. Si le président Trump ne revient pas dessus, nous nous tenons prêts, en Européens, à riposter en mobilisant toute la palette des instruments à notre disposition, tarifaires et non tarifaires.

Au niveau européen, une première salve de contre-mesures a été adoptée ce matin : 22 milliards d'euros de produits américains seront soumis à des droits de douane de 25 %. La Commission européenne travaille à une deuxième salve de mesures.

Le Président de la République a réuni, avec le Gouvernement, les responsables des filières concernées dès jeudi. Hier, le ministre de l'industrie a réuni le Conseil national de l'industrie ; aujourd'hui, le ministre de l'économie consultera les représentants des filières et les syndicats sur les impacts attendus de ces décisions dévastatrices.

Le Gouvernement est mobilisé aux côtés des filières pour défendre nos intérêts. Nous prescrivons calme, détermination et unité. C'est dans cet esprit que nous échangeons avec nos partenaires européens et avec la Commission européenne, qui dispose de la compétence. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - L'Europe doit rester un pôle de stabilité, mais doit se faire respecter. Nous devons nous réarmer et redevenir acteurs de notre avenir.

Nos trois commissions des affaires économiques, de la défense et des affaires européennes vont mettre sur pied une mission d'information sur les nouveaux paradigmes du commerce international. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP ; M. Akli Mellouli applaudit également.)

Droits de douane américains (II)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Là où Donald Trump passe, le commerce trépasse. (On apprécie la formule.) Depuis 6 heures ce matin, des droits de douane supplémentaires s'appliquent au monde entier ou presque ; pour l'Union européenne, le tarif est de 20 %.

Cette guerre commerciale est une mauvaise réponse à un mauvais diagnostic. Mauvais diagnostic, car le Président Trump veut résorber de prétendus déficits commerciaux, mais ne prend en compte que les biens et non les services. Mauvaise réponse, car les économies sont interdépendantes. Les entreprises françaises emploient 700 000 salariés aux États-Unis ; les entreprises américaines, 400 000 salariés en France.

Les Américains seront les premiers à subir ce choc, mais les entrepreneurs français sont légitimement inquiets. La France exporte pour 48 milliards d'euros aux États-Unis : du chablis, bien sûr, du fromage, des produits de luxe, des cosmétiques, des produits pharmaceutiques.

Heureusement, l'Union européenne n'est plus l'idiot du village global, ouvert à tous les vents. Elle s'est réarmée en matière commerciale.

Comment allez-vous maintenir le dialogue avec cette administration déterminée, mais qui commence à se diviser ? Comment éviter que l'Union européenne soit le déversoir de produits chinois ? Comment aider nos entreprises à trouver de nouveaux débouchés ? Comment répliquer sans dommages collatéraux pour nos économies ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - Vous avez raison. Laurent Saint-Martin et moi-même échangeons régulièrement avec nos interlocuteurs américains, notamment Scott Bessent. Nous le faisons aussi avec la Commission européenne, dont c'est le mandat : le commissaire Maro? ?ef?ovi? parle avec Howard Lutnick, le secrétaire au commerce américain.

Comment protéger l'Union européenne ? Par une réaction très vigoureuse. Un premier paquet de mesures a été décidé ce matin, qui s'appliquera à partir du 15 avril sur 22 milliards d'exportations américaines. Nous travaillons à un deuxième paquet, autour des droits de douane, mais aussi d'autres droits et sanctions.

Le conseil des ministres des finances de l'Union européenne à Varsovie en fin de semaine sera l'occasion de calibrer ce paquet. Nous voulons entamer les discussions pour faire baisser ces droits.

Les États-Unis ne représentent que 15 % de nos exportations, mais nous travaillons pour augmenter nos parts de marché ailleurs. Nous accompagnerons nos entreprises en ce sens ; c'est l'une des raisons de ma présence aux côtés du Président de la République en Égypte.

Notre objectif est le retour au libre-échange. Pour cela, nous dialoguerons assidûment avec les Américains et avec tous nos partenaires, en veillant aux équilibres mondiaux, pour revenir à la normale. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Avenir de l'entreprise Verney-Carron

M. Pierre Jean Rochette .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) J'associe les trois sénateurs de la Loire à ma question.

Verney-Carron est le dernier fabricant français d'armes légères. Cette entreprise, située à Saint-Étienne, est menacée de liquidation judiciaire. La ville a apporté un soutien de 2 millions d'euros par un montage immobilier, mais il manque encore 1 million.

Alors que l'on parle quotidiennement de souveraineté, de réarmement, comment se fait-il que l'État n'arrive pas à injecter 1 million dans une entreprise aussi stratégique ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie .  - Nous suivons la situation de cette entreprise historique de Saint-Étienne, qui compte environ soixante salariés. Spécialisée dans la fabrication d'armes de prestige pour la chasse, elle n'a pas de contrat stratégique en lien avec les enjeux nationaux de défense. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Ses difficultés n'ont donc pas d'implication directe sur notre souveraineté. Elles sont liées à des commandes insuffisantes et à un fort endettement qui a conduit à la cessation des paiements et au redressement judiciaire.

Pour laisser le temps de trouver une solution pérenne, l'État a gelé un passif public de plus d'1 million d'euros ; 80 % des salariés sont en activité partielle, et le crédit d'impôt recherche a été débloqué. Les discussions sont en cours entre l'actionnaire et des repreneurs potentiels. Avec Sébastien Lecornu, nous serons vigilants à ce que la solution retenue soit la plus durable, pour les salariés, le savoir-faire et le territoire. Les élus seront tenus informés : vous pouvez compter sur notre mobilisation. (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)

M. Pierre Jean Rochette.  - J'ai envie de vous croire !

Effectivement, Verney-Carron ne fournit pas la défense, mais elle fournit le ministère de l'intérieur. En fait, la commande publique s'est détournée des entreprises françaises et a préféré acheter allemand ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et CRCE-K)

Mme Cécile Cukierman.  - On a renoncé à notre souveraineté nationale !

M. Pierre Jean Rochette.  - Les appels d'offres, c'est très bien, mais faire primer le critère prix tue l'entreprise française !

Il faut que l'entreprise et les emplois restent à Saint-Étienne. Une reprise, d'accord, mais attention à ce que Verney-Carron ne tombe pas dans des mains hostiles à nos valeurs.

Je le répète : la commande publique française a un problème avec les entreprises françaises. S'il n'y a pas d'armes françaises dans la défense, c'est parce qu'on a acheté à l'étranger. J'espère que nous corrigerons le tir à l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC, Les Républicains et CRCE-K ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman.  - Exactement !

Saint-Pierre-et-Miquelon face aux droits de douane américains

M. Jean-Marc Ruel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire de 6 000 habitants et 242 km², se voit imposer 50 % de droits de douane sur ses exportations vers les États-Unis. Cette mesure, aussi absurde que brutale, a mis en lumière la vulnérabilité de mon archipel.

Vulnérabilité économique : ces taxes étranglent la filière pêche et renchérissent le coût de la vie sur l'archipel, dépendant de l'acheminement maritime depuis l'Hexagone ou le Canada.

Vulnérabilité structurelle : les infrastructures de transport sont à bout de souffle. Les quais des ports d'État menacent de s'effondrer, or aucun financement n'est prévu avant 2027.

Vulnérabilité géopolitique : l'accord Ceta a été relancé, mais les pays et territoires d'outre-mer en sont exclus, alors que nous sommes les plus proches voisins du Canada ! En 2019, on nous avait promis un fonds d'innovation et de diversification en compensation. Nous l'attendons toujours.

Le Gouvernement entend-il redonner à Saint-Pierre-et-Miquelon son rôle de plateforme stratégique ? Ou veut-on en faire une prison pour les OQTF les plus dangereux, comme le propose Laurent Wauquiez ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST, des groupes UC, SER et CRCE-K)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas le ministre de l'intérieur qui répond ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Décidément, le sort s'acharne !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ah ça !

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Il y a huit jours, le président Trump, oubliant que Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire à part entière de la République, lui applique un double tarif. Depuis quelques jours, certains proposent de faire de l'archipel un centre de rétention administrative. (MM. Akli Mellouli et Ronan Dantec applaudissent.)

Tous les territoires ultramarins sont membres à part entière de la République, fussent-ils dans l'Atlantique Nord. Chacun doit à Saint-Pierre-et-Miquelon respect et considération, comme à tous les territoires de la République. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du GEST, du RDSE et du groupe UC ; M. Mickaël Vallet applaudit également.)

Après les déclarations fracassantes dans le bureau ovale, Saint-Pierre-et-Miquelon a été retirée du décret présidentiel sur les droits de douane.

Tous les territoires de la République seront pris en compte dans les préconisations que nous ferons à la Commission européenne pour qu'elle ajuste sa réplique, afin d'obtenir le retrait de ces droits de douane et de défendre nos filières.

Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, le Ceta prend aujourd'hui une dimension différente, puisque le Canada est opposé à cette guerre commerciale qui ne fait que des perdants. (M. Fabien Gay s'exclame.)

M. Jean-François Husson.  - On ne va pas refaire le match !

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Le ministre d'État, ministre des outre-mer, en déplacement à Mayotte, aura à coeur, de poursuivre le plan de développement de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je lui ferai état de votre attente. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

Droits de douane américains (III)

M. Christian Redon-Sarrazy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Antoinette Guhl applaudit également.) Les conséquences potentiellement dévastatrices des taxes annoncées par Donald Trump inquiètent à juste titre le monde économique et nos compatriotes. La stratégie de négociation « zéro pour zéro » de la Commission européenne sera préjudiciable aux intérêts de la France et de nos filières les plus exposées : aéronautique, automobile, vins et spiritueux. Cette réponse profitera surtout à l'Allemagne et à l'Italie compte tenu de leurs excédents commerciaux.

Le président américain ne reviendra pas sur sa décision. Taxer les banques américaines et les Gafam n'aura aucun impact utile sur notre économie, faute d'alternatives françaises et européennes crédibles et d'investissements suffisants dans les services.

La bonne réponse, c'est de relocaliser certaines filières, de mettre en oeuvre des droits de douane ciblés et de prévoir une stratégie de planification industrielle qui renforcera notre souveraineté et améliorera notre balance commerciale. Elle nous protégera aussi de l'ajustement stratégique que la Chine ne manquera pas de mettre en oeuvre à l'égard du Vieux Continent.

Défendrez-vous cette stratégie auprès de la Commission européenne ? C'est la seule capable de protéger les Français et de redonner à la France les rênes de son destin économique.

Pour une fois, ne soyons plus perdants, mais pionniers ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Nous veillerons à ce que les décisions prises, qui appauvriront les classes moyennes et les entreprises américaines, soient revues. Sinon, nous n'aurions d'autre choix que de riposter, comme avec le passage à 25 % des droits de douane sur 22 milliards d'euros d'exportations américaines vers l'Europe, adopté ce matin, ou avec des mesures non tarifaires. En effet, depuis 2023, la Commission européenne dispose d'instruments pour limiter l'accès aux marchés publics ou à certains services sur le marché unique européen.

Nous ne pouvons pas nous contenter de réagir. Nous devons nous poser des questions sur nous-mêmes. Le marché unique n'a jamais été aussi important pour la diversification de nos entreprises. Or les barrières dressées entre pays de l'Union européenne représentent encore l'équivalent d'un droit de douane de 45 %. En les levant, nous donnerons aux entreprises la possibilité de compenser l'impact de l'extravagante décision américaine.

Nous devons nous préparer à la guerre commerciale avec les États-Unis. Gagnons en compétitivité, ôtons la chape de plomb qui pèse sur les entreprises françaises. Les annonces de la Commission européenne vont dans le bon sens. Il faut accélérer, pour gagner des parts de marché. (MM. François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Les Français n'ont pas à assumer les conséquences budgétaires du diktat américain. Quand nos grands groupes français, au mépris de tout patriotisme économique, continuent à investir aux États-Unis pour contourner les droits de douane, ils refusent explicitement de soutenir notre économie et montrent une indifférence totale aux inquiétudes des Français. Le Gouvernement doit prendre des mesures pour éviter l'effondrement de certaines filières.

Le pouvoir d'achat des Français ne doit pas être une nouvelle fois amputé par une hausse des prix. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST ; M. Fabien Gay applaudit également.)

Nouvelle-Calédonie

M. Robert Wienie Xowie .  - Grâce à une approche nouvelle, le ministre d'État a permis que l'ensemble des partenaires, dont les représentants du peuple colonisé, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), amorcent la première phase de discussion, vers un accord gagnant-gagnant attendu avec fébrilité.

Le ministre a affirmé que l'accord de Nouméa constituait un socle intangible et confirmé que le droit à l'autodétermination était garanti par la Constitution pour le peuple colonisé, le peuple kanak.

Ces bases posées permettent d'espérer un compromis. Néanmoins, demeure une inconnue : l'accès à la décolonisation. Un proverbe de la région du député Tjibaou dit : « Tu saurais où se trouve la porte si tu avais aidé à construire la case. »

La trajectoire d'émancipation enclenchée depuis 1983 doit nous conduire à une évolution allant au-delà de l'accord de Nouméa. Il faut transférer des compétences régaliennes pour refermer la parenthèse coloniale en Kanaky-Nouvelle Calédonie.

Monsieur le Premier ministre, comment sortir de la décolonisation si la perspective n'est que de décoloniser dans la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)

M. François Bayrou, Premier ministre .  - L'une des premières décisions du Gouvernement, dès son installation, a été, sous l'autorité de Manuel Valls, de reprendre le dialogue, devenu très difficile après les événements de Nouvelle-Calédonie.

Dès le 29 janvier, j'ai écrit à toutes les formations politiques pour ouvrir des discussions en vue d'un accord politique et de la sortie du marasme qui date des émeutes de mai 2024.

L'expérience de Manuel Valls et son travail avec les Calédoniens offriront aux habitants de Nouvelle-Calédonie des perspectives importantes.

Dès février, des réunions se sont tenues à Paris, puis à Nouméa, où le ministre d'État s'est rendu à deux reprises. Un premier document d'orientation, puis un projet d'accord ont été examinés par toutes les parties.

Nous avançons collectivement, pas à pas, selon une méthode respectueuse de chacun. Nous nous inscrivons dans la lignée des accords de Matignon-Oudinot, puis de Nouméa.

La question de l'autodétermination est centrale, reconnue par les Nations unies, mais aussi par l'article 53 de notre Constitution.

Ce principe a souvent été rappelé, mais les conditions de son exercice sont au coeur des discussions. Trois référendums se sont déroulés : même si le dernier s'est tenu dans des conditions un peu particulières, tous se sont soldés par une réponse négative.

Les options sont sur la table : je sais votre aspiration à une souveraineté pleine et entière de la Nouvelle-Calédonie. Le ministre d'État reviendra à Nouméa fin avril pour ces discussions.

Je pense qu'un accord est possible. Or, sans un tel accord, le territoire ne pourra pas se rétablir.

Le Gouvernement le doit à l'ensemble des Calédoniens. L'État affirme donc qu'il est à leurs côtés, quelle que soit la forme adoptée : elle sera forcément originale pour ce pays qui retient depuis si longtemps notre engagement, et notre affection. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas un pays !

M. Robert Wienie Xowie.  - Nous serons attentifs aux suites données au processus de décolonisation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Avancées sur le statut de l'élu

M. Ludovic Haye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce lundi, une tribune de l'Association des petites villes de France (APVF) et d'élus nationaux était publiée dans Le Monde. Les violences contre les élus se multiplient, tout comme les démissions. Un maire sur deux ne se représentera pas en 2026, selon une étude du Cevipof d'hier. Ce chiffre monte à deux sur trois en zone rurale, contre un sur quatre en zone urbaine - c'est un révélateur brutal d'une fracture territoriale qui s'accentue.

Pourtant l'engagement altruiste des élus, celui de servir les autres et la République, ne faiblit pas. Il est temps de le reconnaître pleinement et de le valoriser.

Une révision du statut de l'élu ne serait pas un privilège, mais une juste reconnaissance. Les élus attendent des propositions concrètes, notamment sur l'aménagement du temps pour exercer leur mandat. Il faut aussi renforcer leur sécurité et durcir les sanctions contre ceux qui s'en prennent à eux.

Les élus souhaitent une indemnisation digne et une adaptation cohérente de leur retraite. Leur choix de faire passer leur engagement citoyen avant leur carrière professionnelle doit être reconnu.

Une proposition de loi sénatoriale, adoptée en mars 2024, tentait de répondre à ces enjeux. Elle reste en suspens. Depuis, une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale et la mission Woerth a rendu son rapport. Ces textes peuvent s'enrichir mutuellement.

À quelle date cette proposition de loi sera-t-elle inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il y intégrer pour envoyer un message fort aux élus locaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Mireille Jouve et M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudissent également.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité .  - Il y a un peu plus d'un an, le Sénat adoptait à l'unanimité une proposition de loi créant le statut de l'élu.

Je remercie le Premier ministre pour son engagement : il tient à la prospérité de ce texte, tout comme François Rebsamen. De nombreux élus ne cessent de réclamer son application.

Les élus locaux sont la République des faiseurs, des sentinelles. Chacun connaît l'importance de leur mission et la fragilité de leur engagement.

Le Gouvernement entend faire prospérer la proposition de loi sénatoriale, enrichie par les travaux de l'Assemblée nationale, d'Éric Woerth, de Boris Ravignon et de Christian Vigouroux.

Faciliter l'engagement des élus et sécuriser l'exercice de leur mandat sont des exigences et des urgences. Le Gouvernement entend que ce texte soit adopté avant la fin de la session. Il est temps de conclure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Professeur empêché de faire cours à l'université Lumière-Lyon-II

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 19 février dernier, à Lyon, un collectif radical prenait d'assaut la salle H 103 de l'université Lumière. Depuis, les provocations se multiplient : blocages, occupations, prières en plein campus, invectives publiques contre la direction accusée de racisme et d'islamophobie.

Le 1er avril, un nouveau cap a été franchi. Quinze militants cagoulés ont violemment interrompu le cours du professeur Fabrice Balanche, l'injuriant, le menaçant, le traitant de sioniste et de génocidaire.

Madame la ministre d'État, vous avez affiché votre soutien. Pourtant, la salle est toujours occupée et les intimidations continuent. L'idéologie professée est antifrançaise, radicale, violente. (M. Michel Savin renchérit.) Est-il tolérable que nos universités deviennent des zones de non-droit ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Mon message est clair : fermeté absolue et soutien total à Lyon-II et à ses enseignants. Empêcher la tenue d'un cours est inacceptable, encore plus par l'irruption d'individus cagoulés qui, menaçant le professeur, l'obligent à quitter son amphithéâtre. C'est intolérable. Avec Philippe Baptiste, nous ne laisserons rien passer.

L'université est le creuset de la démocratie, un espace d'expression respectueuse. L'établissement a immédiatement réagi en accordant la protection fonctionnelle au professeur et en faisant un signalement au procureur.

M. Stéphane Ravier.  - Demi-mesure !

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État.  - Une information judiciaire est ouverte. J'ai demandé au ministère de se porter partie civile.

Avec Philippe Baptiste, nous défendrons toujours la liberté d'enseigner et serons aux côtés du professeur. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; M. Mickaël Vallet applaudit également.)

M. Max Brisson.  - Vous venez de nouveau de condamner cette agression, c'est bien.

Samedi, Jean-Michel Blanquer vous a lancé un appel.

Interrompre un cours est une attaque frontale contre les libertés académiques et le cours du Pr Balanche ne l'a pas été par hasard. Il a été ciblé pour ses travaux sur le Moyen-Orient et parce qu'il refuse de céder à l'intimidation d'idéologues gauchistes islamistes. Ont aussi été ciblés Gilles Kepel, Bernard Rougier et Florence Bergeaud-Blackler par exemple. Jusqu'à quand laisserons-nous faire ? Il faut réagir fermement, exiger l'évacuation des locaux et exclure les agresseurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Mickaël Vallet, Alain Cazabonne et Aymeric Durox applaudissent également.)

Le ministre de l'intérieur protège ses policiers. Il est temps que le ministère de l'enseignement supérieur protège ses professeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Protection de l'enfance

Mme Marion Canalès .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Hier, la commission d'enquête sur les manquements de la protection de l'enfance a rendu son rapport, qui formule 450 préconisations.

Personne n'ignore l'état de la protection de l'enfance et des 400 000 enfants, accompagnés parfois, protégés pas toujours.

Quand les décrets d'application des lois votées seront-ils pris ? Il y a un écart immense entre les paroles et les actes. Seuls 30 % des bilans de santé globaux sont réalisés. À quand une loi pluriannuelle de protection de l'enfance pour tracer des perspectives et donner des moyens ? Qu'avez-vous fait du rapport sur le travail social ?

Il faut agir. Chacun de ces 400 000 enfants est une figure républicaine. Certains tiennent, d'autres non. Nous leur devons une mobilisation à la hauteur de leur résistance.

Le financement des solidarités ne saurait reposer uniquement sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). La protection de l'enfance repose sur le nombre d'appartements vendus : voilà la réalité de notre système !

Installerez-vous une commission nationale de reconnaissance de ces victimes ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; MM. Philippe Grosvalet, Robert Wienie Xowie et Ian Brossat applaudissent également.)

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles .  - Vous évoquez l'excellent travail de la députée Isabelle Santiago, avec laquelle je me suis entretenue à plusieurs reprises, comme avec la députée Perrine Goulet.

Lundi, j'ai mis en avant les sujets sur lesquels je souhaite travailler. Dans un premier temps, nous devons publier les décrets. C'est le cas de l'un de ceux qui concernent la loi Taquet.

Les départements s'engagent en faveur de l'aide sociale à l'enfance (ASE). L'État les accompagne.

Avec Florence Dabin, nous avons établi un plan d'action : pas d'enfant de moins de 3 ans en accueil collectif ; renforcement du vivier des assistants familiaux en les autorisant à travailler quand les enfants sont scolarisés ; examen de la rémunération des agents ; orientation professionnelle des enfants ; bilan de santé à l'arrivée à l'ASE. (Mme Laurence Rossignol réagit.)

Vous avez fait allusion aux travailleurs sociaux : j'ai rendez-vous à 16 h 30 avec le président Klein et Daniel Goldberg.

Sur décision du Premier ministre, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a été prolongée jusqu'en 2026 : telle est la mission confiée à la haute-commissaire Sarah El Haïry. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Marion Canalès.  - Je regrette que vous n'abordiez pas dans vos annonces le sort des enfants dépendant totalement de l'État. Quid des 150 enfants attendant une place en institut médico-éducatif (IME) en Gironde par exemple ?

Nous n'avons pas eu la chance de vous auditionner sur ces sujets, madame la ministre, et je le regrette. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien !

Soutien à Haïti et lutte contre le narcotrafic

Mme Micheline Jacques .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) L'année dernière, 50 tonnes de cocaïne ont été saisies, résultat de la lutte intensive contre le narcotrafic engagée sur notre territoire. En une seule nuit, la semaine dernière, 830 kg ont été interceptés. En Guyane, le dispositif d'interception des mules a réduit drastiquement les passages.

Mais la hausse des saisies est le corollaire de la hausse de la production. Les territoires français de la Caraïbe sont particulièrement exposés. Récemment, une chaîne de télévision a montré un trafiquant guadeloupéen, bracelet électronique à la cheville, poursuivant son trafic : ce n'est pas tolérable.

À moins de 1 000 kilomètres de Saint-Martin, Port-au-Prince est aux mains de gangs dont tout porte à croire qu'ils sont financés par des cartels. Si la capitale haïtienne devait tomber aux mains des trafiquants, le passage de la drogue et des armes serait facilité. Nous ne pouvons rester inactifs. La part des mineurs dans les rangs des gangs serait de 30 %, or nous ne pouvons demander à l'armée d'intervenir contre des enfants. En revanche, nous disposons de forces de police formées à la guérilla urbaine. Comment pouvons-nous aider Haïti pour éviter que ce pays ne devienne un hub du narcotrafic ?

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Hélas, les drogues les plus dures sont disponibles partout et tout le temps. Les Caraïbes sont une zone de transit entre les pays producteurs d'Amérique du Sud et les pays de consommation, en Amérique du Nord et en Europe.

Oui, Haïti est en plein chaos : crise sécuritaire, crise politique, crise humanitaire s'y imbriquent. Autant d'opportunités pour les gangs ultraviolents du narcotrafic.

Depuis longtemps, la France se tient aux côtés de ce pays. Nous aidons de notre mieux la police haïtienne : conseils, formation, livraison de matériel. Cette aide va être renforcée, ainsi qu'en sont convenus le Président de la République et le président du Conseil de transition, le 29 janvier dernier. Le Raid conseille la police haïtienne ; nous lui livrons des drones et même des véhicules blindés, et essayons de monter sur place un équivalent de notre Office anti-stupéfiants.

Alors que la plupart des pays se sont retirés du pays, la France continue de se tenir aux côtés des Haïtiens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. François Patriat et Alain Duffourg applaudissent également.)

Mme Micheline Jacques.  - Aider Haïti, c'est aider nos outre-mer caribéens. Je sais pouvoir compter sur votre détermination personnelle et celle de la France. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

Conséquences budgétaires des droits de douane américains

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Premier ministre estime à 0,5 point de PIB la répercussion potentielle sur notre économie de la hausse des droits de douane annoncée par le président Trump. C'est considérable.

Nous devons accompagner nos entreprises, notamment les filières exportatrices comme les vins et spiritueux ou l'aéronautique.

Mais c'est aussi choc sur nos finances publiques, déjà dégradées. La stagnation menace, et les plus pessimistes parlent même de récession.

Madame la ministre, vous avez saisi le Haut Conseil des finances publiques. Quelle est votre nouvelle prévision de croissance pour 2025 ? Comment conserver la confiance des marchés financiers, au moment où les taux remontent ?

L'objectif d'un déficit à 3 % en 2029 est-il compromis ? Allez-vous maintenir l'effort structurel de maîtrise des dépenses, hors dégradation nouvelle de la conjoncture ? La conférence sur les finances publiques de mardi prochain reviendra-t-elle sur cet objectif, ou vous donnerez-vous les moyens de respecter notre trajectoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat et MM. Michel Savin et Raphaël Daubet applaudissent également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Plus la guerre commerciale que nous livrent les États-Unis durera, plus ses effets seront importants sur les économies européennes.

Cela représente, a priori, quelques points de PIB de croissance, mais les incertitudes sont fortes, y compris sur les mesures de rétorsion que nous prendrons pour résister et, surtout, pour annuler ces droits irrationnels et infondés.

Le cap fixé par le Premier ministre en matière de finances publiques est clair : sous aucun prétexte nous ne renoncerons à nous désendetter. C'est pourquoi j'ai annoncé ce matin une réduction des dépenses de 5 milliards d'euros, pour tenir compte du ralentissement de la croissance. Nous continuons de viser un déficit de 3 % ou moins en 2029 - parce que c'est le niveau à partir duquel nous stabiliserons, puis réduirons, notre dette.

Nous serons transparents envers la représentation nationale et les Français, pour que les contraintes soient connues et les décisions, comprises. C'est le sens de la réunion que le Premier ministre a convoquée la semaine prochaine : nous ferons le point sur la situation, les risques et nos objectifs, dans une transparence totale. (MM. François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)

Interdiction du téléphone portable à l'école

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les effets délétères des écrans sur nos enfants et adolescents sont connus. Leur sommeil, leur attention sont altérés, source de décrochage. Le déluge numérique permanent auquel ils sont soumis est pour beaucoup dans la dégradation des apprentissages et plus largement de la réussite scolaire.

Depuis la dernière rentrée, une interdiction effective des téléphones portables est expérimentée dans un nombre réduit de collèges. Souhaitez-vous généraliser cette mesure à la rentrée prochaine ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER ; M. Yannick Jadot applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Oui, je souhaite que la pause numérique soit généralisée à tous les collèges à la prochaine rentrée.

M. Mickaël Vallet.  - Bravo !

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État.  - Une enquête récente du Conseil national du livre (CNL) montre qu'en moyenne, un jeune passe cinq heures par jour sur un écran, mais seulement trois heures par semaine sur un livre. Et parmi ceux qui lisent, la moitié fait autre chose en même temps avec son téléphone...

Ce phénomène est préjudiciable à la réussite des élèves. D'où l'expérimentation, dans une centaine de collèges, de la pause numérique, à la suite du rapport de la commission Écrans, remis au Président de la République il y a un an. Les résultats sont très positifs : amélioration du climat scolaire, large soutien des parents et des professeurs. Naturellement, ce dispositif n'exclut pas des usages encadrés du numérique à des fins pédagogiques.

Dans le cadre de la généralisation de ce dispositif, les modalités de mise en oeuvre seront laissées à l'appréciation des chefs d'établissement, en liaison avec les conseils départementaux.

Cette mesure est essentielle pour le bien-être et la réussite de nos élèves. (MM. François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne ainsi que MmeVéronique Guillotin et Mireille Conte Jaubert applaudissent.)

M. Mickaël Vallet.  - C'est plus urgent que les uniformes !

M. François Bonhomme.  - Je souscris largement à votre position. Mais voilà quinze ans que ce phénomène sévit, provoquant des dégâts considérables et contribuant à l'effondrement du niveau des élèves. Oui, il faut généraliser l'interdiction effective. Mais il faudra faire preuve de fermeté et de courage. Et pourquoi ne pas étendre cette protection aux lycées ? (M. Mickaël Vallet renchérit.) Faites preuve de détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Mickaël Vallet, Serge Mérillou, Jean-Claude Tissot et Alexandre Basquin applaudissent également.)

Mortalité infantile et services de maternité

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis plusieurs années, la mortalité infantile augmente : 3,6 décès pour mille naissances en 2021, 3,9 en 2023, 4,1 en 2024. Quand allons-nous réagir ? En 2024, 2 800 nouveau-nés ont perdu la vie avant leur premier anniversaire. Les départements les plus pauvres et les départements ruraux, où 20 % de femmes en âge de procréer vivent à plus de 45 minutes d'une maternité, sont les plus touchés. Selon le récent rapport de l'Institut national d'études démographiques (Ined), la France est à la vingt-troisième place sur vingt-sept en matière de mortalité infantile.

Une enquête des journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin sur le scandale des accouchements en France a identifié les causes de cette régression inacceptable : la fermeture massive des maternités pour des raisons budgétaires et la pénurie de soignants faute de courage politique pour imposer une meilleure répartition. En cinquante ans, 75 % des maternités publiques ont disparu.

Pouvons-nous encore sacrifier la santé des femmes et des enfants, continuer de fermer les maternités qui réalisent moins de mille naissances et laisser les femmes accoucher sur les routes ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles .  - Je salue le rapport que Mmes Jacquemet et Guillotin viennent de me remettre. (M. Jean-François Husson et Mme Jocelyne Guidez applaudissent.)

Les chiffres montrent que la période critique se situe entre le premier et le vingt-septième jour, mais nous manquons d'une évaluation précise des causes des décès. D'où ma décision de mettre en place un registre national. Équipement néonatal, précarité, éloignement de la maternité, âge de la mère à la naissance de son premier enfant : tous ces éléments doivent être renseignés, pour trouver les solutions.

Ensuite, je veux travailler sur un sujet transpartisan : je m'engage à réviser les derniers décrets en matière de néonatalité, qui datent de 1998. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin, M. Bernard Buis et Mme Annick Jacquemet applaudissent également.)

M. Patrice Joly.  - Devons-nous continuer, dans nos territoires, à être maltraités à la naissance, ignorés adultes et abandonnés en fin de vie ? Devons-nous fermer les yeux sur la tiers-mondisation de notre système de santé ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Paul Maillot Rafanoharana

M. Christophe-André Frassa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà près de quatre ans que notre compatriote Paul Maillot, ancien officier de la gendarmerie française, purge sa peine dans des conditions innommables à Madagascar, à la suite de l'affaire dite Apollo 21. Le caractère arbitraire de sa détention est évident et les Nations unies ont demandé sa libération immédiate.

Paul Maillot ne doit pas être l'otage des relations entre la France et Madagascar. Il mérite l'assistance de son pays, la France, non une simple mobilisation de principe.

Le 24 avril, se tiendra à Madagascar le sommet des chefs d'État de la Commission de l'océan Indien ; il faut demander la libération de Paul Maillot. Sa fille aînée, présente en tribune, est éreintée. Les Malgaches souhaitent rééquilibrer nos relations bilatérales : dont acte ! C'est pourquoi Paul Maillot doit rentrer en France, dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Maryse Carrère et M. Éric Gold applaudissent également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La situation de Paul Maillot est suivie de près par mon ministère, sous l'autorité du Premier ministre. Les agents consulaires de Madagascar l'ont régulièrement. Nous avons un dialogue soutenu avec les autorités malgaches dans le cadre de notre coopération judiciaire.

Les conditions de sa détention sont source de vives inquiétudes et nous plaidons pour leur amélioration.

Nous sommes aussi aux côtés de sa famille. Sa fille a été reçue par mon cabinet le 24 février. Mon ministère soutient et écoute tous nos compatriotes détenus à l'étranger, pour tenter d'obtenir l'amélioration de leurs conditions de détention et leur libération. Nous apportons aussi notre soutien moral à leurs familles. (M. François Patriat applaudit.)

M. Christophe-André Frassa.  - Il est temps de faire plus que du soutien moral.

M. Laurent Burgoa.  - Eh oui !

M. Christophe-André Frassa.  - Pour les Malgaches, Paul Maillot est un otage. La présence du Président de la République à la réunion de la Commission de l'océan Indien est une occasion : il faut que la libération de Paul Maillot soit évoquée lors de sa rencontre avec le président malgache. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

Brigades de gendarmerie

M. Franck Dhersin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'associe mes collègues de la Marne et de la Haute-Loire à ma question.

En 2022, le Président de la République annonçait la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie afin de lutter contre les déserts sécuritaires, notamment dans les territoires ruraux. Nous saluons l'ampleur de l'engagement : 239 brigades ont finalement été créées.

La sécurité ne saurait être à géométrie variable. Pourtant, des signaux d'alerte nous remontent. Les élus sont prêts, mais les effectifs ne sont pas là. À Caudry, le maire a investi 90 000 euros, à Renescure, c'est 40 000 euros, mais on n'a aucune nouvelle des gendarmes promis ! Les 2 000 ETP annoncés ont-ils été budgétés ? Ou sont-ils gelés ?

Je vous invite à passer un week-end à Zuydcoote. (On apprécie la référence.) Les choses s'y passent bien, parce que c'est le seul endroit de France où les gendarmes sont payés par Sa Gracieuse Majesté.

Nous avons besoin de clarté et attendons que la promesse présidentielle soit tenue. Où en est la programmation ? Quand les effectifs seront-ils déployés ? Les engagements seront-ils honorés dans les délais annoncés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Vous avez raison : j'ai récemment négocié une rallonge budgétaire avec mon homologue britannique, Yvette Cooper.

Le Président de la République a pris un engagement, en effet, mais c'est aussi un engagement législatif, avec la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).

Nous avons déployé 80 brigades l'an dernier ; cette année, l'objectif est de 57. La priorité va aux départements qui n'ont pas encore été pourvus et aux collectivités territoriales qui ont déjà réalisé des investissements. Nous avons la masse salariale, mais nous devons encore obtenir l'autorisation de création des 464 postes de gendarmes.

Enfant de la ruralité, je connais bien la gendarmerie nationale, dont le statut est complémentaire à celui de la police nationale. Je tiens à son statut militaire et à son enracinement dans tous les territoires. Le gendarme est le soldat de la loi, mais aussi du lieu, car on ne protège bien que ce que l'on connaît bien. Plus il y a de distance, plus la confiance se réduit.

J'ai entendu votre question : il faut répondre aux engagements présidentiels, mais aussi législatifs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

La séance est suspendue à 16 h 20.

Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président

La séance reprend à 16 h 35.

Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à l'indemnisation des victimes du chlordécone, présentée par M. Dominique Théophile.

Discussion générale

M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) J'ai l'honneur de vous demander de reconnaître la responsabilité de l'État dans les préjudices moraux et sanitaires infligés aux habitants de la Martinique et de la Guadeloupe exposés au chlordécone. Il est des scandales si profondément enracinés qu'ils traversent les décennies sans perdre leur force d'indignation.

De 1972 à 1992, l'État a autorisé la mise sur le marché de ce produit pour lutter contre le charançon de la banane, ignorant l'avertissement sur sa toxicité formulé dès 1968 par la commission interministérielle d'étude de l'emploi des toxiques en agriculture.

En 2019, la commission d'enquête menée par les députés Benin et Letchimy insistait sur la responsabilité de l'État.

Aujourd'hui, le constat est sans appel : les Antilles sont au premier rang mondial des cancers de la prostate, et le risque de récidive est multiplié par 2,5 avec l'exposition au chlordécone.

L'exposition au chlordécone est susceptible de réduire la durée de la grossesse et de provoquer des malformations, voire des décès d'enfants. L'exposition des parents est associée, pour les enfants, à des troubles neurodéveloppementaux, des leucémies, des tumeurs cérébrales, au bec de lièvre ou encore à des malformations sexuelles.

Tout cela est documenté par la science : le cancer de la prostate a été inscrit en 2021 comme maladie professionnelle.

L'enquête Ti-Moun a conclu au risque de réduction de la grossesse quand les femmes ont une concentration dans le sang supérieure à 0,52 microgramme par litre.

Dans un arrêt du 11 mars 2025, les juges de la cour administrative d'appel de Paris reconnaissaient que des maladies graves étaient susceptibles de se développer en cas d'exposition au chlordécone : cancer de la prostate chez l'homme, prééclampsie chez la femme, cancers pédiatriques.

La cour a condamné l'État à indemniser une dizaine de requérants en réparation du préjudice d'anxiété.

Ma proposition de loi vise à permettre aux Martiniquais et Guadeloupéens d'obtenir une réparation de leur préjudice d'anxiété sans passer par un recours administratif, mais aussi aux personnes malades d'obtenir une juste indemnisation. C'est pourquoi je propose la création d'une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de définir les conditions d'indemnisation.

J'ai donc été étonné par le rejet du texte par la commission, au motif qu'il n'était pas assez équilibré, argument difficile à entendre pour toutes les personnes exposées et position injuste, car le présent texte se fonde sur un consensus scientifique international.

L'article 1er reconnaît la responsabilité de l'État et fixe le principe d'une indemnisation. Il organise également une campagne de prévention à l'échelle nationale.

Dans son arrêt du 11 mars, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que l'État a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en Martinique et en Guadeloupe.

Les nuances que la commission souhaiterait introduire n'ont d'autre objet que de vider le texte de sa substance.

L'article 2 fixe les conditions de l'indemnisation prévue à l'article 1??. Il impose au demandeur la charge de la preuve pour le lieu et la durée de séjour et les préjudices indemnisés au titre de la proposition de loi. La liste des pathologies visées sera fixée par décret. Il entend limiter le délai de recours à l'indemnisation à six ans après l'entrée en vigueur de la loi. Une indemnisation du préjudice d'anxiété est aussi prévue.

L'article 3 prévoit que les éventuelles réparations déjà perçues, notamment au titre du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), sont déduites du capital versé.

L'article 4 prévoit la création d'une autorité administrative indépendante, le comité d'indemnisation des victimes du chlordécone (Civic), et crée une présomption de causalité pour la victime. Une AAI nous prémunit de tout risque de partialité, à l'instar du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen).

L'article 5 aligne le régime prévu pour le chlordécone sur celui de l'amiante. Il faut que les indemnités soient exemptées d'impôt.

L'article 6 prévoit des financements du dispositif.

Notre ministre des outre-mer a annoncé en Martinique qu'il soutenait le texte. Le refuser, ce serait prolonger la rémanence, non plus celle des pesticides, mais celle de l'indifférence.

Je souhaite que nous prenions nos responsabilités, pour réparer, reconnaître et reconstruire. Je vous invite à soutenir ce texte, en l'état, pour réconcilier le peuple de Martinique et de Guadeloupe avec l'État. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du groupe SER et du GEST)

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Dans ses Mémoires d'espoir, le général de Gaulle disait : « Aussi l'État, qui répond de la France, est-il en charge, à la fois, de son héritage d'hier, de ses intérêts d'aujourd'hui et de ses espoirs de demain. » Le présent texte s'inscrit dans cet esprit.

La République française a su endosser jusqu'aux souvenirs les plus vifs et honteux. Il s'agit ici des dommages subis par les victimes du chlordécone. Je salue l'engagement de Dominique Théophile.

Depuis début 2000, pas moins de cinq propositions de loi, principalement venues de l'Assemblée nationale, ont traité de ce sujet. Quelque cinq rapports d'information ont été publiés. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a réalisé en 2009 et février 2023 des travaux. Deux rapports d'information ont fait état de l'impact du chlordécone. Le rapport le plus récent traitait des conséquences sur les sols, la faune et la flore, les milieux aquatiques.

Notre collègue Nicole Bonnefoy, dans une mission commune d'information présidée par Sophie Primas, avait souligné les difficultés environnementales et sanitaires que posait l'utilisation des pesticides. Mme Bonnefoy mettait alors en avant un besoin de reconnaissance des dommages causés par les pesticides. Le FIVP a d'ailleurs été institué à son initiative en 2020 : il indemnise les personnes malades ayant obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle, ainsi que les parents de victimes exposées in utero.

Ce fonds est un premier point d'entrée sur le long chemin de l'indemnisation. Depuis 2021, les victimes du chlordécone peuvent le saisir.

Lors de l'examen du texte en commission, selon notre gentlemen's agreement et la volonté de l'auteur, nous avons réservé le débat sur le texte à la séance publique, sans contester le bien-fondé du texte.

J'ai entendu quatorze personnes en huit heures d'audition. Je suis partie d'une feuille blanche ; mon cheminement résulte de mes échanges avec les experts et les victimes qui m'ont convaincue de la nécessité d'aboutir à un régime d'indemnisation. Néanmoins, des améliorations sont possibles : c'est le sens du travail et de la navette parlementaires.

Des précisions qui peuvent paraître sémantiques sont utiles. Nous précisons la portée de la responsabilité de l'État, en la circonscrivant aux « dommages sanitaires ». Nous passons aussi des « préjudices moraux et sanitaires », à la définition incertaine, à une notion juridique sans équivoque, sur le fondement du caractère certain, déterminé et direct du dommage. Le formalisme juridique se justifie pour faire face au soupçon de partialité supposée des institutions d'indemnisation.

C'est pourquoi j'ai déposé un amendement pour éviter d'ajouter une institution supplémentaire à l'édifice des AAI dénoncé en 2009 par Jacques Mézard. Nous pourrions nous appuyer sur le FIVP.

Nos espérances se tournent vers la recherche et les sciences, seules à même de définir un chemin crédible de réparation. L'article 2 pose le principe d'une indemnisation large. Personne ne conteste ce principe. Cependant, mes travaux ont fait apparaître un besoin de temps long, compatible avec le temps de la science.

Il est important d'établir un régime d'indemnisation crédible et proportionné, pour rétablir le lien entre la métropole et les Antilles. (Applaudissements sur les travées du RDPI, à l'exception de M. Dominique Théophile)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - Ce sujet est difficile et complexe, il emporte des enjeux historiques, sanitaires, environnementaux et sociaux. Il est le fruit de pratiques tardivement, mais heureusement, révolues. Il reste d'une actualité vive, car nos compatriotes de Guadeloupe et de Martinique vivent encore avec les conséquences de la pollution au chlordécone, en matière d'eau potable, de sols, mais aussi de santé personnelle et collective.

Cela engendre beaucoup de colère. Ce sont des sentiments légitimes, tout comme le sont les attentes des Martiniquais et des Guadeloupéens.

Monsieur le sénateur, votre proposition de loi soulève des enjeux légitimes : l'État doit y répondre sans détour, en responsabilité, en prenant le sujet dans sa globalité.

Je salue l'engagement de Dominique Théophile qui porte le sujet du chlordécone depuis de nombreuses années. Votre proposition de loi est une nouvelle étape sur la voie de l'indemnisation des victimes.

Elle vise d'abord la reconnaissance de l'État en la matière. Or elle a déjà été établie par la justice et reconnue par le chef de l'État dans son discours au Morne-Rouge en septembre 2018.

J'accueille favorablement votre souhait de porter cette reconnaissance dans la loi. Cela ne pose pas de difficulté. Je vous remercie de l'échange musclé que nous avons eu au téléphone et qui m'a fait prendre conscience des enjeux, moi, simple élu de l'Isère, au territoire bien éloigné de chez vous.

La formulation proposée par la rapporteure est à la hauteur des enjeux. Elle reconnaît la responsabilité des pouvoirs publics, à une époque d'aveuglement collectif.

Graver la responsabilité assumée et établie de l'État dans le désastre du chlordécone est un préalable symboliquement essentiel. Mais la responsabilité de l'État est de continuer d'agir toujours mieux : réparer les préjudices, protéger la santé des habitants et informer sur les risques.

Depuis 2020, le FIVP a dédommagé les professionnels directement affectés par les pesticides. L'article 2 renforcera les possibilités d'indemnisation pour dommage sanitaire. C'est juste et légitime. Mais ce nouveau régime d'indemnisation doit reposer sur des preuves scientifiques pour établir le préjudice dû au chlordécone. Sur ce point, je salue l'important travail réalisé par la rapporteure.

Un État qui prend ses responsabilités, c'est un État qui reconnaît, mais aussi qui répare et agit. Notre stratégie chlordécone publiée en 2021 a trois objectifs : informer, protéger et réparer, en nous fondant sur la science, l'écoute et le dialogue.

Nous proposons des mesures très concrètes : pour tous les habitants, contrôles renforcés de l'eau et des aliments, prise en charge des surcoûts de traitement de l'eau potable par l'État ; pour les pêcheurs et les agriculteurs, analyses de sols gratuites, aides techniques et financières pour les pêcheurs et éleveurs bovins.

Tout cela est soutenu par un budget inédit, de 92 millions d'euros, rehaussé à 130 millions d'euros. En quatre ans, plus de 48 millions d'euros de fonds publics ont déjà été engagés, soit 22 millions de plus que les crédits engagés sur le plan 2014-2020.

Je m'appuierai sur ces moyens renforcés pour avancer sur deux points. Premièrement, la recherche pour l'amélioration continue des connaissances scientifiques, notamment sur la santé des femmes et la dépollution des sols. Deuxièmement, le dépistage et la prévention, car la présence de chlordécone dans le sang n'est pas systématiquement dangereuse ; elle est réversible, notamment grâce à des actions sur l'alimentation.

J'accorde toujours une attention particulière à la situation des outre-mer. Le dépistage du chlordécone doit devenir un réflexe en Guadeloupe et en Martinique, pour accompagner plus vite et mieux ceux qui en ont besoin.

Je respecte votre engagement. Vous pouvez compter sur le mien. Cette nouvelle étape est autant un sujet de santé publique et environnementale qu'une marque de considération pour les habitants de Martinique et de Guadeloupe. (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)

M. Frédéric Buval .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte transpartisan va dans le sens de l'histoire. Il s'agit de réparer une injustice faite à des millions de nos compatriotes. Comment ne pas entendre le cri de douleur de nos concitoyens guadeloupéens et martiniquais à 90 % marqués dans leur chair par ce pesticide cancérogène ? Comment ne pas entendre la demande légitime de réparation d'un préjudice volontairement causé par l'un des derniers scandales d'État du XXe siècle ?

La pollution au chlordécone est un scandale environnemental dont souffrent la Martinique et la Guadeloupe depuis des années, rappelait le Président de la République. Des années 1970 à 1993, nous avons choisi de continuer à l'utiliser, alors que d'autres territoires l'avaient interdit bien plus tôt. Pendant des décennies, les sols des Antilles ont été sciemment empoisonnés : sciemment, car l'État connaissait la toxicité du chlordécone depuis 1968, avant l'autorisation de la molécule.

Cette autorisation a été plusieurs fois reconduite par les autorités administratives et sanitaires, pendant plus de vingt ans, malgré l'interdiction du chlordécone dès 1976 aux États-Unis. Or la Martinique détient le triste record mondial du nombre de cancers de la prostate.

En l'absence de réponse politique, des associations de droits de l'homme se sont tournées, en vain, vers la justice nationale et internationale.

Cette proposition de loi offre des avancées pour la reconnaissance des maladies professionnelles. Mais seuls 150 dossiers ont été traités à ce jour, alors que 12 700 personnes travaillent dans les bananeraies.

Notre groupe appelle le Gouvernement à aller plus loin, en dépistant systématiquement le cancer de la prostate dès 47 ans, et en imposant le zéro chlordécone dans l'alimentation. Il faut aussi communiquer davantage sur la gratuité des tests sanguins. Enfin, nous demandons la création d'un institut dédié aux soins oncologiques, notamment pour les ouvrières agricoles, dont les cancers du sein ou de l'utérus ne sont toujours pas reconnus comme maladie professionnelle.

Le code civil est pourtant clair : l'auteur d'un dommage doit le réparer. Aimé Césaire disait : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » Faisons preuve de courage politique, en votant ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST ; M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Problèmes de fertilité, naissances prématurées, malformations congénitales, difficultés et retards de développement moteur et cognitif : voici les effets du chlordécone sur la santé humaine.

Pas moins de 95 % des Guadeloupéens ont des traces de chlordécone dans le sang. La molécule peut rester jusqu'à 700 ans dans la nature. Plusieurs milliers d'hectares de terre sont contaminés. Le secteur de la pêche est durement affecté. Ce scandale sanitaire a nourri la défiance des populations antillaises à l'égard de l'État.

La cour d'appel de Paris a reconnu la responsabilité partagée de l'État pour la commercialisation du chlordécone et son épandage dans les Antilles. L'État a failli dans ses missions.

Ce texte permet à toutes les victimes de demander une indemnisation complète de leurs préjudices. Le RDSE l'aborde favorablement.

Les produits que nous utilisons dans nos champs, nos constructions et nos terres peuvent avoir des impacts sociaux et économiques majeurs. Rappelons ici le scandale de l'amiante. La protection de nos filières passe par la mémoire des leçons du passé : prudence est mère de sûreté.

Il faut résorber la crise de confiance envers l'État. Les collectivités et les associations demandent réparation pour les Antilles. La réponse de l'État doit marcher sur deux jambes : une exigence de vérité et de clarté, des actions concrètes et ambitieuses pour réparer les préjudices. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Jocelyne Guidez .  - (M. Jean-François Longeot et Mme Solanges Nadille applaudissent.) Chacun d'entre nous aborde la discussion du texte avec un certain malaise, pour ne pas dire un malaise certain. Le chlordécone est un scandale sanitaire avéré, un scandale d'État.

Dès le début, l'État savait. Les faits sont là, têtus et glaçants. Dès 1968, la commission interministérielle d'étude sur les pesticides avait explicitement exclu l'usage du chlordécone en raison « de sa grande persistance et de sa toxicité ». Pourtant, en 1972, elle autorisait son utilisation à titre dérogatoire pour lutter contre le charançon de la banane. Et l'autorisation a été reconduite pendant vingt ans.

Comment avons-nous pu reproduire cette autorisation, alors que les États-Unis, qui ne sont pas un parangon de vertu sanitaire, n'y avaient pas recours depuis les années 1970 ? Ce qui a été instauré dans les bananeraies des Antilles ne l'aurait sans doute pas été dans les vergers d'Occitanie ou les vignobles de Bourgogne. C'est révoltant.

Près de 90 % de la population des Antilles est contaminée par le chlordécone. Ne nous faisons pas d'illusion : le produit a été répandu pendant plus de vingt ans, et il ne s'est pas arrêté au pied des bananiers. Tous les milieux sont concernés. Les tubercules comme le dachine, essentiels dans le régime alimentaire des Antillais, sont contaminés.

Actuellement, les conditions d'ouverture des droits à l'indemnisation sont très restrictives, et l'indemnisation est forfaitaire. Ainsi, ce texte inscrit dans la loi une reconnaissance pleine et entière de l'État et crée un régime général d'indemnisation. L'État a déjà créé un régime analogue pour les victimes de l'amiante ou des essais nucléaires.

Or, ce texte a été rejeté par la commission.

L'État ne serait pas seul responsable, dit-on ; les industriels le sont aussi. Il n'y aurait pas de consensus scientifique sur le lien entre l'exposition au chlordécone et les pathologies. Argument technique : comment articuler le FIVP et sanctionner juridiquement le préjudice d'anxiété ? Enfin, argument budgétaire : sans étude d'impact, comment connaître les coûts ?

Tous ces arguments s'entendent en métropole, mais pas dans les Antilles. Nous ne pouvons nous en tenir à l'existant : la présente proposition de loi ne saurait être une énième tentative d'avancer sur le sujet. Le Gouvernement, juge de paix, doit trouver une solution pour reconnaître les souffrances des populations et réparer les préjudices qu'ils ont subis. Notre groupe votera ce texte, sur le fondement du consensus qui se dégagera des amendements gouvernementaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et du RDSE)

M. Robert Wienie Xowie .  - (M. Alexandre Basquin applaudit.) Il n'est jamais trop tard pour reconnaître et corriger ses erreurs. C'est particulièrement vrai pour le chlordécone, produit classé cancérogène probable en 1979 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et interdit dès 1977 aux États-Unis. Il a fallu treize ans pour obtenir son interdiction en France, en 1990, tandis que sa vente a perduré trois ans de plus en Guadeloupe et en Martinique.

Pas moins de 77 % des travailleurs des bananeraies ont été exposés, et 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont contaminés, selon Santé publique France.

Risque de naissances prématurées, conséquences sur la croissance, risque de cancers de la prostate... Tout cela est connu. Mais pourquoi cette différence entre les Antilles et l'Hexagone ?

Depuis 2020, un fonds d'indemnisation existe, mais seulement 200 dossiers ont été déposés, 154 ont été validés, et toutes les indemnités ne sont pas encore versées.

Les arguments pour justifier le rejet du texte en commission pourraient prêter à sourire, s'il n'était pas question d'un sujet aussi important.

La proposition de loi prévoit une indemnisation généralisée. Or le rapport évoque un « exceptionnalisme », concurrent du régime général d'indemnisation des victimes de pesticides. L'État avait moins de mal à faire des exceptions lorsqu'il autorisait la vente d'un produit dangereux.

Un exceptionnalisme ? Cette proposition de loi vise à reconnaître une injustice. Elle ne doit pas se traduire par une injustice supplémentaire.

Il faut indemniser les victimes de ce scandale sanitaire. Mais il faut aussi aller plus loin, par exemple en cessant de reporter l'interdiction du glyphosate. En 2017, Emmanuel Macron avait pourtant promis son interdiction dans les trois ans. En 2018, à propos du chlordécone, il dénonçait un aveuglement collectif, qui devait nous pousser à nous battre contre des logiques analogues.

En 2022, le FIVP a reconnu le lien entre le glyphosate et les malformations. Combien de personnes faudra-t-il encore indemniser avant d'interdire sa vente ?

La santé et l'environnement doivent être des priorités. La justice aussi. Notre groupe votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Alexandre Basquin et Victorin Lurel applaudissent également.)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Responsabilité pour faute, carences et négligences fautives, manquement au devoir d'information des citoyens, faillite dans ses missions de contrôle, graves impérities administratives : la coupe de l'État est pleine !

La responsabilité de l'État est admise juridiquement. Il faut la reconnaître solennellement ; c'est l'objet du premier aliéna de l'article 1er du texte. Cela n'exonère pas les acteurs privés de leurs torts partagés. Pourquoi la commission a-t-elle cru lire dans cette formulation une responsabilité exclusive de l'État ? Je constate qu'aucune autre proposition n'a été faite.

Les dégâts sanitaires sont colossaux : l'Anses et Santé publique France ont détecté du chlordécone chez plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais.

La version initiale du texte pose les bases ambitieuses d'un dispositif d'indemnisation à la hauteur des dommages, face à l'insuffisance du premier geste que constitue le FIVP. Seules 178 personnes professionnellement exposées ont reçu une proposition favorable.

On ne peut balayer leur légitime demande en arguant du contexte budgétaire contraint, ou en disant que ce serait légiférer à l'aveugle. Comme pour l'amiante, nous risquons d'agir un demi-siècle trop tard !

En se bouchant les yeux, certains ont autorisé la vente d'un produit dont la dangerosité était connue dès 1968. Des intérêts économiques s'imposent contre les droits des personnes et les droits environnementaux : de l'amiante aux néonicotinoïdes, jusqu'aux PFAS, quand tirerons-nous les leçons de ces désastres ?

Après son rejet en commission, l'ambition du texte sera rabotée par les amendements de la rapporteure et du Gouvernement. Ils font peser la charge de la preuve sur les victimes, ce qui limitera leur capacité à obtenir réparation, le lien entre exposition et maladie étant souvent difficile à prouver.

L'injustice serait encore plus lourde si l'amendement n°4 était voté. La commission a supprimé la notion de préjudice d'anxiété, pourtant reconnue.

La réparation forfaitaire est une réparation au rabais.

Si nous suivons le Gouvernement et la commission, plus question d'autorité administrative indépendante, et donc plus de respect du contradictoire !

Plus question de financer l'indemnisation par une taxe additionnelle sur les industriels phytosanitaires : on n'indemnisera qu'avec les moyens que l'on a déjà, soit pas grand-chose.

Mon groupe, qui a cosigné cette proposition de loi, craint que la portée du texte soit réduite par le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Franchement, tout ça pour ça ? (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER et CRCE-K, du RDPI et du RDSE)

Mme Nicole Bonnefoy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie Dominique Théophile. Le chlordécone fait partie des pesticides de synthèse à base de chlore. Il a pollué les sols, les eaux... Sa toxicité est établie scientifiquement ; c'est un perturbateur endocrinien, notamment pour les femmes.

Dans mon rapport de 2012, j'indiquais clairement que l'exposition au chlordécone multipliait le risque de développer un cancer de la prostate chez les hommes.

Le chlordécone n'est pas digéré par la nature, sa structure moléculaire se dégrade difficilement. De plus, 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des Martiniquais dépassaient la valeur toxicologique de référence interne voulue par l'Anses.

Face à ces chiffres, nous pourrions réexaminer certaines dispositions récentes du Sénat sur les néonicotinoïdes. (MM. Ronan Dantec et Victorin Lurel renchérissent.)

En tant que législateurs, nous avons une responsabilité évidente pour les générations futures. En étant sourds aux alertes de nos agences sanitaires et scientifiques, nous prenons des risques inconsidérés pour l'environnement et la santé humaine.

Par ailleurs, je m'étonne de l'incohérence des textes inscrits à l'ordre du jour de cet après-midi par le RDPI : le second vise en effet à autoriser l'épandage des pesticides par drones, notamment dans les bananeraies...

M. Victorin Lurel.  - En effet, c'est étrange !

Mme Nicole Bonnefoy. - C'est un pas en avant, puis deux en arrière. Mais si les hommes manquent de mémoire, ce n'est pas le cas des sols : on y récolte ce qu'on y a semé.

La preuve : la rémanence du chlordécone dans de nombreux produits alimentaires locaux, jusqu'aux poissons et crustacés.

Cette proposition de loi reconnaît la responsabilité de l'État dans l'exposition des populations à cette substance entre 1972 et 1993 et prévoit un régime d'indemnisation spécifique. Elle s'inscrit dans la continuité des travaux menés par notre ancienne collègue Hélène Vainqueur-Christophe, notre collègue Victorin Lurel et le député Élie Califer.

J'ai moi-même été à l'origine de la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes des pesticides, dont la portée a hélas été réduite : les indemnisations ne sont pas intégrales, mais forfaitaires, et seules les maladies professionnelles y donnent droit. J'aurais préféré qu'on élargisse ce fonds aux victimes du chlordécone. Toutefois, compte tenu de la gravité des faits, vécus sur place comme un scandale qui nourrit la défiance vis-à-vis de l'État, nous soutenons l'article 1er.

Cette proposition de loi donne corps à un engagement présidentiel non tenu et confirme l'arrêt récent de la cour administrative d'appel de Paris. Mais c'était compter sans les amendements de dernière minute de la rapporteure et du Gouvernement, qui reviennent sur la reconnaissance des préjudices moraux, l'autorité administrative indépendante et la réparation intégrale. Leur adoption conduirait à une version moins-disante du texte : ce serait dommageable.

Je me félicite toutefois que le Gouvernement maintienne la reconnaissance des victimes professionnelles et non professionnelles : c'est un progrès.

Notre position finale dépendra de l'issue de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Christopher Szczurek .  - Trop méconnu dans l'Hexagone, le scandale du chlordécone témoigne de l'abandon structurel de nos outre-mer.

De 1972 à 1993, cet insecticide a été largement utilisé en Guadeloupe et en Martinique, notamment après le passage du cyclone David, en 1979. Cette molécule s'est instillée dans l'eau, les sols et les corps de nos compatriotes des Antilles. Résultat : de nombreux cancers, troubles reproductifs, malformations... Le chlordécone n'a été interdit qu'en 1993.

Ce scandale historique illustre aussi l'absence d'une volonté de développement autonome de nos territoires ultramarins. De fait, la monoculture intensive de la banane représente des milliers d'emplois.

Plus largement, les pollutions agricoles et industrielles sont un scandale dans de nombreux territoires : du bassin minier du Pas-de-Calais aux Antilles, l'État doit assumer ses responsabilités et indemniser les victimes.

Je le redis, c'est aussi l'abandon structurel de nos territoires ultramarins qui est mis en lumière. Quelle économie de la mer, quelle autonomie productive ? L'État n'a jamais répondu à ces questions : c'est aussi pour cela qu'il a préféré maintenir l'utilisation du chlordécone, avec l'appui de forces économiques locales.

Ce texte va dans le bon sens : nous le voterons, même si nous regrettons le dépôt d'amendements qui l'affaiblissent. Il est du devoir de l'État de réparer les dommages causés aux populations.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Nous sommes nombreux à regretter que le Sénat n'ait pas été saisi de la proposition de loi examinée par l'Assemblée nationale l'année dernière. Certes, elle est perfectible, mais nous aurions gagné du temps.

Nous saluons le travail de la rapporteure Havet sur ce sujet sensible.

Ce qui s'est passé aux Antilles pendant vingt ans est inacceptable et inexcusable. Aucun Guadeloupéen, aucun Martiniquais n'ignore le scandale du chlordécone, ce pesticide utilisé entre 1972 et 1993 contre le charançon du bananier. La terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire sont contaminées pour 600 à 700 ans.

Les conséquences sanitaires sont dramatiques pour les populations, bien au-delà des seuls professionnels et sur plusieurs générations : infertilité, cancers, malformations liées à l'exposition in utero. Les Antilles détiennent le triste record du taux de cancers de la prostate.

Or cette situation résulte non d'une catastrophe, mais d'une succession de décisions administratives. Le chlordécone a d'abord été autorisé temporairement, puis cette autorisation a été renouvelée chaque année, y compris après l'interdiction du produit en métropole, en 1990.

Pourtant, les États-Unis avaient interdit l'utilisation du chlordécone dès 1976. En France, sa nocivité avait été reconnue dès 1968. Difficile, dès lors, de ne pas comprendre l'indignation des victimes. À qui la faute ? À l'État, sans conteste, mais pas seulement : la responsabilité est partagée entre de multiples acteurs, y compris au niveau local.

L'équilibre est délicat à trouver entre préservation d'une activité économique, avancées de la connaissance et prévention des risques sanitaires. La filière de la banane est précaire aux Antilles : comme d'autres cultures dans d'autres parties du pays, elle doit relever les défis du changement climatique, de la multiplication des maladies et du renouvellement des générations agricoles, tout en affrontant une concurrence qui ne s'exerce pas toujours dans des conditions équitables.

Il est indispensable d'investir dans la recherche et le développement pour mettre au point des techniques plus durables et pour dépolluer les sols.

Quant aux milliers de victimes, elles méritent réparation. Nous soutenons donc l'esprit de ce texte, car toutes les responsabilités doivent être clairement établies et reconnues.

Mme Annick Petrus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Frédéric Buval et Jean-François Longeot applaudissent également.) Je salue l'initiative de Dominique Théophile, qui porte haut la voix de celles et ceux qu'on n'a pas voulu entendre pendant trop longtemps. Ce texte est un acte politique, un acte de justice et d'espoir.

C'est avec une émotion particulière que je prends la parole, car le chlordécone est un désastre sanitaire, écologique et humain qui marque la Caraïbe, et pour longtemps.

En dépit d'une toxicité connue, son usage a été autorisé et prolongé. Ce n'est pas une imprudence, mais une faute.

Les terres sont polluées pour des siècles et les corps porteront longtemps les traces de la contamination et de l'angoisse. S'y ajoute le sentiment d'avoir été abandonné.

Reconnaître la responsabilité de l'État est essentiel pour commencer à panser les blessures ; c'est la condition de toute réparation et de toute réconciliation.

Saint-Martin n'a pas connu le chlordécone, mais j'exprime notre solidarité à nos frères et soeurs de Guyane et de Martinique.

Je voterai sans réserve cette proposition de loi qui pose des bases nécessaires. Elle ne réglera pas tout, mais dit à ceux qui souffrent : la République vous voit, vous croit et vous doit. Reste à transformer ces paroles en actes pour rendre enfin justice aux victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER, du RDPI et du GEST)

M. Victorin Lurel.  - Bravo !

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'interviens dans cette discussion comme président de l'Opecst, qui a été pionnier dans l'analyse approfondie de la pollution par le chlordécone.

En 2009, un premier rapport a été établi par notre ancienne collègue Catherine Procaccia et mon prédécesseur à la tête de l'Office, le député Jean-Yves le Déaut ; le chlordécone y est qualifié d'« alien chimique ».

Cette substance persistante a gravement contaminé les sols, les eaux et jusqu'aux milieux marins. Ces conséquences rendent nécessaires une cartographie des dommages et des recherches actives sur les techniques de dépollution. De même, un suivi s'impose des populations exposées.

En 2023, Catherine Procaccia a réalisé un nouveau rapport, consacré aux avancées de la connaissance scientifique et de l'action de l'État. Notre ancienne collègue y formulait vingt-quatre recommandations : renforcer la communication auprès des populations antillaises sur la « chlordéconémie », mieux surveiller les produits consommés... Monsieur le ministre, certaines de ces recommandations ont-elles été mises en oeuvre ?

Je regrette que mon amendement étendant l'indemnisation aux personnes ayant été exposées sur place pendant plusieurs années ait été déclaré irrecevable.

En revanche, je considère que l'extension de la réparation aux ayants droit va trop loin.

J'assure tous nos concitoyens antillais du soutien total de l'Opecst dans leur combat pour faire reconnaître les conséquences de la pollution au chlordécone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme Marie Mercier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Bientôt vingt ans que la pollution au chlordécone fait l'objet de débats réguliers. Elle constitue un traumatisme collectif local, qui se double d'une incompréhension face aux tergiversations de l'État.

Ma conviction, c'est qu'il y a des sujets qui ne se discutent pas. Qui d'autre que l'État pourrait être responsable ? C'est lui qui a autorisé sur place ce qui était interdit ailleurs, notamment aux États-Unis.

Je comprends le souci de la rapporteure de laisser la porte ouverte à une voie judiciaire.

J'adhère à ce texte, qui reconnaît la responsabilité de l'État et ouvre la voie à une indemnisation. Les travaux de la commission ont abouti à un texte équilibré : je salue ce travail de recentrage et de concrétisation. Il est indéniable que la contamination a été source d'anxiété, mais l'ériger en principe d'indemnisation serait complexe.

La recherche a encore des marges de progression certaines. Les travaux doivent être poursuivis, afin de rétablir la confiance. L'histoire est une biographie collective : celle du chlordécone marquera les Antilles, hélas, pour longtemps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°16 rectifié de Mme Havet, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Nous proposons de centrer le premier alinéa de l'article sur les dommages sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique. Nous reconnaissons la responsabilité de l'État, indubitable, sans exclure la recherche future de coresponsabilités par les tribunaux.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Avis favorable à cet amendent qui recentre la responsabilité de l'État sur les dommages sanitaires liés aux négligences fautives commises par celui-ci. Ce dispositif prévoit l'indemnisation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, dont le préjudice moral.

Toutefois, comme l'a déclaré le Président de la République en 2018 au Morne-Rouge et comme la justice administrative et judiciaire l'a confirmé, la pollution au chlordécone est le fruit d'un aveuglement collectif qui a conduit tous les acteurs à accepter cette situation.

M. Victorin Lurel.  - Je suis assez estomaqué qu'on prétende ne reconnaître que le préjudice sanitaire. La cour administrative d'appel a pourtant bien reconnu un préjudice d'anxiété ! Je m'élève contre cette approche réductrice, pour ne pas dire minimaliste. La proposition de loi de M. Califer intègre les préjudices sanitaires, moraux et environnementaux. M. Théophile a été raisonnable, ne visant que les préjudices sanitaires et moraux. Il a bien travaillé, restons-en à sa rédaction. Nul ne peut nier les multiples préjudices qui persistent ! J'habite moi-même dans une zone contaminée et subis des analyses chaque année.

M. Yannick Jadot.  - C'est la deuxième fois que le ministre parle d'aveuglement collectif. Je suis sidéré qu'on puisse prétendre qu'on ne savait pas : les études, les alertes, tout était déjà là ! Non, le cynisme, la cupidité et le mépris ne sont pas un « aveuglement collectif », mais un crime et un scandale d'État.

M. Jacques Fernique.  - L'amendement de la commission maintient la responsabilité de l'État, ce qui est positif. Mais il la limite aux dommages sanitaires, ce qui constitue un recul. Nous voterons contre.

M. Dominique Théophile.  - La suppression de la notion de préjudice moral aurait pour conséquence la disparition de tout fondement pour l'indemnisation du préjudice d'anxiété. Cela priverait d'indemnisation 80 % des personnes exposées, alors qu'elles ont peur.

Pourtant, la cour administrative d'appel de Paris a reconnu ce préjudice d'anxiété. Il est impératif de ne pas faire disparaître cette mention, sans quoi le texte serait moins-disant par rapport à la jurisprudence. Soyons cohérents, sinon nous ne réglerons que partiellement l'affaire.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Je précise que seul le premier alinéa de l'article est modifié par notre amendement.

M. Frédéric Buval.  - En accord avec mon groupe, je souhaite déposer un sous-amendement pour rétablir le préjudice d'anxiété.

M. le président.  - Mon cher collègue, un sous-amendement doit modifier l'amendement sur lequel il porte. Il ne peut pas s'agir d'un nouvel amendement.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Il faut voter contre l'amendement de la commission !

M. François Patriat.  - Je sollicite une brève suspension de séance.

La séance est suspendue quelques instants.

M. Frédéric Buval.  - Je renonce à déposer le sous-amendement que j'ai annoncé.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Monsieur Jadot, les mots ont un sens. Le préjudice d'anxiété, c'est la crainte de développer une maladie. Le préjudice moral, la douleur morale liée au fait d'être atteint. Les deux sont donc bien distincts.

Les alinéas 2, 3 et 4 de l'article 1er sont inchangés par l'amendement de la rapporteure. La formulation qu'elle propose est plus correcte juridiquement, mais, je le répète, le préjudice moral sera bien pris en compte.

M. Victorin Lurel.  - Et l'anxiété ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous n'irons pas sur ce terrain.

À la demande de la commission, l'amendement n°16 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°259 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 189
Contre 135

L'amendement n°16 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié de M. Piednoir et alii.

M. Stéphane Piednoir.  - Une campagne de prévention paraît pertinente dans les territoires concernés, non sur l'ensemble du territoire national.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - En cohérence avec l'amendement qui vient d'être adopté, sagesse.

M. Ronan Dantec.  - Les personnes potentiellement exposées peuvent se trouver partout sur le territoire ! Comme ministre de la santé, vous devriez être défavorable à cet amendement.

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - Je sollicite le retrait de l'amendement.

M. Stéphane Piednoir.  - Nous faisons confiance à la rapporteure et retirons l'amendement. Mais il s'agit d'une campagne de communication sur la chlordéconémie : tous ceux qui ont travaillé ou habité aux Antilles sont bien au courant de la situation.

L'amendement n°2 rectifié est retiré.

À l'issue d'une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'article 1er, modifié, mis aux voix par assis et levé, n'est pas adopté.

Rappels au règlement

M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi.  - Je retire ma proposition de loi.

La proposition de loi est retirée.

M. Patrick Kanner.  - Mon intervention se fonde sur l'article 32 de notre règlement, relatif à la qualité des débats.

Ce qui vient de se passer est proprement désespérant pour les populations de Martinique et de Guadeloupe. Nous avons assisté à une forme de mascarade, s'agissant d'un texte que nous étions prêts à soutenir, comme les députés socialistes l'ont fait pour celui d'Élie Califer.

Nous en sommes là, monsieur le ministre, parce que vous n'avez pas voulu prendre vos responsabilités, mais continuer à procrastiner. Je regrette vivement ce rendez-vous manqué avec les populations des Caraïbes. Cette séquence restera marquée d'une pierre noire.

M. Jacques Fernique.  - J'interviens à mon tour sur le fondement de l'article 32. Je comprends la décision de M. Théophile, mais ce débat avorté est, en effet, un rendez-vous manqué. Faisons mieux la prochaine fois.

Mme Frédérique Puissat.  - Rappel au règlement sur la base du même article. Monsieur Kanner, assumez vos choix ! C'est vous qui avez voté contre l'article 1er de la proposition de loi.

M. Patrick Kanner.  - Le scrutin public sur l'amendement, c'est vous !

M. Victorin Lurel.  - Une méchanceté !

M. Stéphane Piednoir.  - C'est faux : le scrutin a été demandé par la commission.

M. Yannick Jadot.  - Rappel au règlement sur le même fondement que les précédents. Guadeloupéens et Martiniquais attendent depuis des années une réparation sur le plan sanitaire comme sur le plan moral. Hélas, on a voulu faire du « en même temps », comme le Président de la République qui, lors du grand débat, avait mis en doute devant des élus d'outre-mer la responsabilité du chlordécone dans les cancers. On retrouve toujours la même ambiguïté dans les débats sur les pesticides : vous n'arrivez pas à trancher en faveur de la santé plutôt que des intérêts économiques.

Quel mépris pour les préjudices sanitaires et pour l'anxiété de nos compatriotes antillais !

Mme Frédérique Puissat.  - C'est vous qui avez voté contre l'article 1er.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est la politique de la terre brûlée !

M. Yannick Jadot.  - (S'indignant) La politique de la terre brûlée, c'était le chlordécone !

Acte est donné des rappels au règlement.

CMP (Nominations)

M. le président.  - Une candidature pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires (CMP) chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anticriminalité organisée a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

La séance, suspendue à 18 h 25, reprend à 18 h 35.

Traitement des maladies des cultures végétales par aéronefs télépilotés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l'aide d'aéronefs télépilotés.

Discussion générale

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI) Sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, qui fait légitimement débat, ma position est claire : la réduction des risques et celle des usages. L'enjeu est en réalité celui de l'accompagnement des agriculteurs, car les interdictions brutales sont nocives.

Les progrès techniques, et notamment l'agriculture de précision, sont des alliés pour protéger les cultures tout en réduisant les risques environnementaux et sanitaires.

Je remercie le député Jean-Marc Fugit, initiateur du texte, et le rapporteur Henri Cabanel pour leur travail.

Après une expérimentation menée sur trois ans, l'Anses conclut que « le recours à des drones de pulvérisation est une alternative pouvant présenter de multiples avantages ». D'abord, une amélioration des conditions de travail. L'Anses estime que le facteur de réduction des risques pour l'utilisateur est de 200 sur un terrain en pente, entre l'utilisation d'un drone et d'un chenillard.

Ensuite, une amélioration d'ordre sanitaire, en raison d'un meilleur ciblage et d'un éloignement de l'appliquant de la zone d'épandage. Les travailleurs des bananeraies qui luttent contre la cercosporiose noire sont contraints à une pulvérisation depuis le sol vers le sommet des bananiers, qui les expose à des retombées de produits fongicides - sans parler de la fatigue. L'usage du drone est un vrai progrès pour eux.

Enfin, une amélioration d'ordre environnemental, grâce à la moindre utilisation de produits de traitement.

Voici donc une solution concrète, scientifiquement validée qui, tout en préservant les bénéfices des produits de traitement, en réduit drastiquement les risques.

La proposition de loi borne strictement son cadre d'utilisation. Le périmètre d'utilisation du drone est restreint aux seuls terrains en forte pente, aux bananeraies et aux cultures de vigne-mère. Les applications par drone sont limitées aux produits à faible risque pour la santé humaine, aux produits de biocontrôle et à ceux utilisés en agriculture biologique. Voilà qui est de nature à rassurer. L'établissement de distances de sécurité garantira la santé des personnes et la préservation de l'environnement. C'est donc un texte équilibré, qui offre des garanties suffisantes à nos agriculteurs comme à nos concitoyens.

Il établit une méthode robuste, fondée sur l'évaluation scientifique des avantages manifestes du drone pour la santé et l'environnement. Le dispositif pourra être étendu par voie réglementaire à d'autres parcelles ou cultures. En mettant la science au coeur du processus, on réduira la lourdeur des procédures.

Au vu de ces progrès, je vous invite à voter ce texte conforme. Il inscrit notre agriculture dans une démarche équilibrée, au bénéfice de notre production, de la santé humaine et de l'environnement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, du RDPI et du RDSE)

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Vincent Louault applaudit également.) Ce texte, attendu par les agriculteurs, permet de déroger, sous de strictes conditions, à l'interdiction générale de pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, en autorisant l'usage de drones.

Je reconnais que la transition avec le précédent texte, sur le scandale du chlordécone, n'est pas simple - mais il est question ici d'améliorer la protection des applicateurs et de réduire à terme la quantité de pesticides utilisés.

Cette proposition de loi modernise le cadre législatif applicable à l'usage des drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques. Nous poursuivons ainsi la dé-surtransposition de notre droit.

Le Sénat s'est déjà prononcé par deux fois sur cette question : en mai 2023, dans la proposition de loi Ferme France, portée par MM. Duplomb, Louault et Mérillou et plus récemment, dans la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, de MM. Duplomb et Menonville, qui contient un dispositif quasi-identique.

Considérant qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, notre commission a adopté ce texte sans modification. C'est du reste le souhait des acteurs agricoles que j'ai entendus en audition.

Tout en maintenant l'interdiction de principe, l'article unique prévoit une dérogation spécifique pour certains usages de drones, conformément à l'article 9 de la directive européenne de 2009 relative à l'utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

Cet usage est encadré et limité. Il n'est pas question d'autoriser la pulvérisation par hélicoptère de produits toxiques ! Seuls les produits de biocontrôle, les produits autorisés en agriculture biologique et ceux classés à faible risque sont concernés, et uniquement sur les parcelles en pente, les bananeraies et les vignes-mères porte-greffe. Enfin, les règles générales entourant l'usage de drones et l'usage de produits phytopharmaceutiques s'appliquent.

Seule différence avec le dispositif adopté dans la proposition de loi Duplomb-Menonville, le pourcentage minimal de la pente passe de 30 % à 20 %. Cela permettra à davantage d'agriculteurs de bénéficier de cette technique, et donc de réduire leurs risques au travail. Rappelons qu'en 2023, la viticulture détenait le triste record d'accidents du travail graves et mortels. Si le texte réduit l'exposition aux produits phytopharmaceutiques et les accidents liés à l'utilisation de machines agricoles, ce sera un progrès.

La question de l'usage des produits phytopharmaceutiques dans les bananeraies est sensible, nos débats sur le précédent texte l'ont montré. Ce texte ne répond qu'imparfaitement aux besoins spécifiques de la filière, frappée par la cercosporiose noire, mais c'est un point de départ.

Il prévoit un mécanisme d'expérimentation sur d'autres cultures, qui fera l'objet d'une évaluation de la part de l'Anses, avant de pouvoir être pérennisé s'il y a des bénéfices manifestes pour la santé humaine et pour l'environnement. Cela permet de faire évoluer les règles de façon plus agile que s'il fallait repasser par le Parlement pour chaque filière.

Je vous invite à voter sans modification ce texte équilibré, qui tient compte des incertitudes restantes. Dès lors, l'avis de la commission sera défavorable sur les treize amendements déposés -  nous en débattrons.

Nous tenons ici un compromis intéressant pour notre agriculture, même s'il ne résoudra pas l'ensemble des problèmes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDSE et du RDPI)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Nous sommes ici pour confirmer le vote de la proposition de loi visant à lever les contraintes sur le métier d'agriculteur. La principale différence réside dans le pourcentage minimal de pente, qui passe à 20 %, ouvrant plus largement le bénéfice de cette innovation.

Il fallait revenir sur une surtransposition, en autorisant la pulvérisation par drone quand les avantages pour la santé humaine et l'environnement sont manifestes. Cette technologie n'en est qu'à ses prémices, mais elle réduit l'exposition des opérateurs et la quantité de produits phytosanitaires et d'eau utilisée, elle renforce l'attractivité des métiers agricoles en limitant les contraintes et la pénibilité, et elle sauvera de l'arrachage des vignobles héroïques, comme j'en connais chez moi, dans le Beaujolais. (M. Vincent Louault renchérit.)

L'écriture proposée ici est un compromis équilibré. Le dispositif est circonscrit à l'épandage de produits à faible risque ou autorisés en agriculture biologique. L'Anses évaluera les risques et avantages de cette méthode, et jouera le rôle de garde-fou.

Ce texte s'appuie sur une expérimentation évaluée par l'Anses, dont le rapport a fait état de résultats mesurés. Les performances de drones apparaissent encore inférieures à celles des pulvérisateurs terrestres classiques, et des incertitudes subsistent.

Ce texte prolonge cette expérimentation sans risques sanitaires ou environnementaux et envoie un signal positif à la recherche et à l'innovation, tout en accompagnant nos agriculteurs, en attendant la technologie du futur : une identification des maladies sur pied pour traiter les dès la première infection. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Yves Bleunven .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit également.) Le progrès technique au service de la transition écologique, voilà qui pourrait résumer ce texte. Ce postulat est évident pour nombre d'entre nous, pourtant je sais que nos débats seront nourris.

Le cadre européen, qui interdit l'épandage aérien de produits phytosanitaires, autorise des dérogations sous certaines conditions strictes. En 2018, dans le cadre de la première loi Égalim, nous avions autorisé l'expérimentation pour trois ans de la pulvérisation aérienne de produits utilisés en agriculture biologique ou dans les exploitations labellisées haute valeur environnementale (HVE), pour des surfaces présentant une pente supérieure ou égale à 30 %.

L'Anses a rendu son rapport d'évaluation et conclu que le recours aux drones présente de multiples avantages par rapport à la pulvérisation terrestre. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a fait aussi état de son efficacité.

Mais l'expérimentation étant arrivée à son terme, la France se retrouve à nouveau en surtransposition, alors que le droit européen offre des marges de manoeuvre. D'où la nécessité de légiférer.

Si la dissolution de l'Assemblée nationale a mis du plomb dans les hélices de cette proposition de loi, le Sénat a déjà autorisé par deux fois une dérogation, dans la proposition de loi Ferme France, puis dans la proposition de loi de MM. Duplomb et Menonville, que je remercie.

Un drone pèse moins qu'un pulvérisateur dorsal de 40 kg, ne se renverse pas sur une pente raide, et n'expose pas de la même manière les travailleurs aux produits pulvérisés : selon l'Anses, l'exposition est 200 fois plus faible avec un drone qu'avec un chenillard. Nos agriculteurs gagnent ainsi en confort, en sécurité, en espérance de vie.

Les drones sont aussi écologiques, leur précision permet de mieux cibler les traitements et d'utiliser moins de produit. Ils sont utiles sur des sols détrempés, les traitements pouvant être appliqués directement pour éviter une propagation rapide ; ils offrent une solution au tassement des sols pour l'agriculture de conservation.

La législation de l'utilisation de nouvelles technologies est aussi un enjeu de souveraineté alimentaire, puisque notre capacité à produire en dépend. Les acteurs agricoles sont demandeurs, et l'Allemagne, l'Autriche ou la Belgique autorisent déjà ces pratiques.

La proposition de loi pose un cadre strict. Elle ne concerne que les produits de biocontrôle, les produits utilisés dans l'agriculture biologique et les produits à faible risque, et seulement pour les parcelles en pente, pour les bananeraies et pour les vignes-mères de porte-greffes,

Si l'expérimentation est évaluée favorablement par l'Anses, le régime d'autorisation devra être étendu.

Arrêtons de prendre une pente décroissante et offrons à nos agriculteurs la possibilité d'utiliser les nouvelles technologies, lorsqu'elles ont fait la preuve de leur efficacité : c'est du pragmatisme ! Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. Gérard Lahellec .  - (M. Alexandre Basquin applaudit.) Pour assurer le développement durable de notre agriculture, nous devons soutenir les modernisations et donc la recherche, surtout quand il s'agit de réduire la consommation de produits phytosanitaires, d'économiser l'eau et de limiter les gaspillages. C'est pourquoi nous soutenons les missions de l'Inrae, les expertises de l'Anses et les politiques publiques visant à pérenniser les spécificités de notre agriculture familiale, en ne laissant aucune ferme sur le bord de la route. Il n'y a pas de ruralité vivante sans agriculteurs !

Je salue l'excellence de votre approche, monsieur le rapporteur. En tant que viticulteur converti au bio, vous avez à coeur la protection de la santé des producteurs, mais aussi des voisins. Je salue également en vous l'héritier des Lumières : merci de rappeler que le progrès des sciences et des techniques peut améliorer les conditions de production, soulager la condition humaine et protéger la nature.

La mécanisation motorisée de l'agriculture est encore minoritaire à l'échelle mondiale. La traction humaine, par des femmes, est encore de mise dans certaines contrées. Quand des technologies nouvelles apparaissent qui servent le mieux-être de l'humanité, ne nous en privons pas. Avec vous, j'ai envie de dire : vive le progrès !

Mais il existe un abîme entre le silex et l'énergie cosmique : piloter cette dernière implique connaissances et précautions. Cela vaut aussi pour l'épandage des produits phytosanitaires par drone.

La culture viticole étant faiblement développée en Bretagne, je me garderai de tout commentaire sur les avantages attendus de cette pratique. Sensible au drame du chlordécone, je me garderai là aussi de toute conclusion hâtive.

Mais ce débat me semble décalé, dans un contexte d'obscurantisme marqué par des attaques contre les scientifiques. Le degré de précaution du texte constitue un aveu : difficile de conjuguer tous les paramètres. Plus la loi entre dans les détails, plus elle devient précaire et contestable. Pourtant, on nous reprochera sans doute bientôt d'avoir été trop prudents, d'avoir trop limité le périmètre...

La boîte de Pandore est ouverte, les imprécisions sont trop importantes. Nous nous opposerons à ce texte.

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de la loi Égalim de 2018, qui avait remis en cause l'interdiction absolue de l'épandage aérien de pesticides. Alors que le monde agricole est en crise et que l'agrochimie altère notre biodiversité, pérenniser la pulvérisation de pesticides par drone n'était vraiment pas une priorité.

Si la majorité sénatoriale s'est déjà prononcée en faveur d'un dispositif similaire, nous estimons, nous, que ce n'est pas une solution aux enjeux de rendement ni de santé des agriculteurs. Notre objectif est la sortie encouragée et progressive des pesticides de synthèse. (M. Laurent Duplomb maugrée.) Nous ne sommes pas opposés par principe aux évolutions technologiques, si celles-ci améliorent les conditions de travail des agriculteurs, dans le respect de la santé humaine et environnementale. Mais les conditions ne sont pas réunies.

Certes, vous vous limitez à certains produits et à certaines parcelles, mais nous y voyons un cheval de Troie visant à enterrer à terme le principe d'interdiction des pulvérisations aériennes. Le rapporteur l'a dit : cette proposition de loi n'est qu'un point de départ. On sait ce qui se cache derrière. (M. Vincent Louault s'exclame.)

Ce procédé est présenté comme moins néfaste, mais l'Anses souligne que les essais sont trop peu nombreux pour aboutir à des conclusions fiables. On ne peut garantir l'innocuité de ces pratiques : le principe de précaution doit s'appliquer.

Nous nous opposons donc à cette expérimentation. Il faut des données scientifiques supplémentaires. Une étude d'impact aurait été utile. Nous nous opposons plus encore à la généralisation des essais sur tous les types de culture en cas d'« avantage manifeste », alors qu'il faudrait une évaluation objective de l'ensemble des incidences, et non se fonder sur des données partielles et orientées.

En ouvrant la voie à la généralisation des drones, ce texte alimente l'endettement et prolonge un système productiviste à bout de souffle (« Oh là  ! » exaspérés sur les travées du groupe Les Républicains), alors qu'il faudrait orienter la recherche vers une vraie transition agroécologique. Sans compter que l'usage de technologies importées altère notre souveraineté.

Nous conditionnerons notre vote à l'adoption des amendements de compromis que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Victorin Lurel applaudit également.)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.) Cette proposition de loi entend déroger au principe général d'interdiction de pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques.

Je suis surpris de la juxtaposition de deux textes contradictoires dans cet espace réservé : l'un tendait à indemniser les victimes du chlordécone - ce que la majorité sénatoriale n'a pas permis.

Mme Frédérique Puissat.  - C'est ça, oui !

M. Jean-Claude Tissot.  - L'autre étend les possibilités d'épandage ! Comme si la réalité des scandales sanitaires passés n'avait aucun effet.

Une directive d'octobre 2009, transposée en 2010, pose le principe général d'interdiction de l'épandage de produits phytosanitaires par avion, hélicoptère et ULM, en raison de la nocivité de ces produits pour l'homme et l'environnement. Ce qui était vrai il y a quinze ans l'est toujours. Pourtant, l'interdiction fait l'objet de dérogations, de coups de boutoir : en atteste la proposition de loi Ferme France ou la proposition de loi Duplomb-Menonville.

Les auteurs du texte s'appuient sur des rapports de l'Anses et de l'Inrae - pour une fois cités en exemple et non pointés du doigt. Toutefois, je n'en ai pas la même lecture. Dans son rapport d'évaluation de 2022, l'Anses estime que les performances d'application par drone sont « plus faibles et plus variables que celles d'applications par matériel terrestre ». Surtout, l'Anses ne donne aucun avis tranché et préconise de poursuivre les expérimentations avant toute généralisation. L'efficacité est donc discutable.

Il y a d'autres moyens pour améliorer les conditions de travail des paysans que d'arroser les champs de pesticides. Mais la vraie raison figure dans l'exposé des motifs : « préserver le potentiel agricole ». Comme toujours, on en revient à la logique productiviste et compétitive.

Nous sommes conscients des spécificités de certains territoires, notamment ultramarins. Ce sujet mérite une réflexion spécifique.

Pour nous, il convient de dissocier l'usage de la technique d'une part, et des produits utilisés d'autre part. Jamais les socialistes ne refuseront le progrès, surtout quand il améliore les conditions de travail. En revanche, jamais nous ne défendrons l'usage des pesticides. Il s'agit de la santé des paysans, des consommateurs, des riverains, des sols, de la faune, de la flore et des milieux aquatiques.

Dès 2012, le rapport de Nicole Bonnefoy dénonçait l'épandage aérien des pesticides, soulignant le risque de dérive. Voté à l'unanimité, il prônait l'application stricte du principe de précaution. Nous en sommes loin. Quant au droit à l'essai, ouvrant l'autorisation pour toute culture et toute parcelle « en cas d'avantage manifeste à l'issue de l'expérimentation », sans repasser devant le Parlement, il est excessivement dangereux.

Fidèle à sa position, le groupe SER s'opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous voterons bien sûr cette proposition de loi conforme.

Aucun agriculteur n'aime pulvériser des produits de protection des plantes. La manipulation et le remplissage sont très pénibles, cela coûte fort cher et l'hygrométrie impose de pulvériser très tôt ou très tard. L'avenir est à l'emploi d'automates, dont les drones : personne ne veut revenir à l'épandage par hélicoptère ou ULM !

Ce texte ne généralise pas l'usage des drones pour tous les produits et toutes les parcelles : je le regrette, car le drone, c'est l'avenir. (M. Alexandre Basquin lève les bras au ciel.)

Il prévoit trois dérogations très encadrées, que je trouve pour ma part dépourvues d'ambition. (M. Christian Redon-Sarrazy ironise.) Les produits concernés sont autorisés au niveau européen et français et expressément approuvés pour un usage par aéronef : bref, ils ont une autorisation de mise sur le marché (AMM), comme tout produit. Uniquement des produits de biocontrôle, à faible risque ou autorisés en agriculture biologique : quelle ambition... Seuls trois types de parcelles sont concernés, uniquement quand la pente est supérieure à 20 % : bonjour l'usine à gaz ! Nos amis de l'Office français de la biodiversité (OFB) contrôleront... L'exploitant doit posséder un certiphyto - c'est déjà le cas. L'Anses est présente à chaque étape - c'est déjà le cas.

Les drones ne sont pas la panacée, mais ils réduisent la pénibilité et l'accidentologie. On sait les accidents parfois mortels causés par le retournement d'un tracteur vigneron. Ces innovations de précision sont des alliées certaines de l'agriculture et de l'environnement, et limitent l'impact des traitements sur la santé. Quand vous pulvérisez manuellement les bananeraies, le produit retombe sur votre tête. Pourquoi se priver d'un usage étendu des drones ?

Les drones de 2025 permettent d'intervenir au plus près de la culture, dès l'apparition de la maladie, pour limiter la progression : en cas d'invasion du puceron cendré sur le colza, on ne traite plus tout le champ, mais seulement une partie. C'est un progrès immense.

Plusieurs pays ont mis en place de tels usages. Ici, il s'agit d'une avancée minimale, mais nous avançons, peu à peu, vers une agriculture plus vertueuse, attractive, innovante et économiquement viable. Nous sommes à la pointe de la modernité : les solutions existent, utilisons-les ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Pierre Cuypers .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous nous sommes déjà prononcés à deux reprises sur ce sujet, lors de la proposition de loi Ferme France et lors de la proposition de loi Duplomb-Menonville, dont j'étais rapporteur. Le groupe Les Républicains votera ce texte, qui reprend quasiment mot pour mot la disposition relative aux drones que nous avions adoptée alors, à la suite de l'accord avec la ministre, que je remercie.

Les produits autorisés dans le dispositif sont les moins dangereux ; leur usage est limité à trois situations : parcelles en pente, vignes-mères porte-greffes, bananeraies.

Nous sommes loin d'une ouverture incontrôlée ! Il s'agit de tirer parti des possibilités offertes par le droit européen pour adapter et moderniser notre agriculture, au bénéfice des applicateurs de produits phytopharmaceutiques, de l'environnement et de la réduction des intrants. Demain, nous pourrons traiter au plus près des besoins, et non l'ensemble de la parcelle.

La semaine dernière, à l'initiative de Laurent Duplomb, nous sommes allés dans l'Oise assister à une pulvérisation d'eau par drone sur un verger. En dix ans, la technologie a fait des progrès considérables, en termes de précision. L'usage des drones à des fins agricoles est autorisé en Suisse, et les surfaces traitées augmentent d'année en année.

L'adoption de ce texte facilitera les débats à l'Assemblée nationale, en mai, sur la proposition de loi Duplomb-Menonville, texte très attendu par la profession agricole et soutenu par notre ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte de Jean-Luc Fugit a été inscrit dans notre espace réservé en raison des incertitudes autour de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi Duplomb-Menonville, et parce que le RDPI entend répondre aux attentes du monde agricole.

Les travaux de l'Anses sur l'expérimentation menée entre 2019 et 2022 ont montré que l'exposition des opérateurs aux produits phytosanitaires était 200 fois inférieure qu'avec un matériel terrestre. Un pulvérisateur à dos d'homme pèse 40 kg, et chaque année, des agriculteurs meurent écrasés par leur tracteur lors d'un épandage. L'épandage par drone est très utile pour les sols instables, comme les rizières, pour les bananeraies ou encore les parcelles à forte pente, comme dans la vallée du Rhône, à Tain-l'Hermitage - je salue au passage notre collègue Gilbert Bouchet.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Bernard Buis.  - Les drones sont légers, rapides, manoeuvrables et précis : c'est donc une solution intéressante pour traiter plus efficacement et préserver la santé des agriculteurs.

L'autorisation d'épandage sera strictement limitée aux produits phytopharmaceutiques autorisés en bio et aux produits de biocontrôle. Les opérations seront soumises à l'évaluation favorable de l'Anses.

Nous avons l'occasion de voter conforme un texte attendu par la profession agricole. Le Sénat a déjà adopté ces mesures à deux reprises, en mai 2023 et janvier 2025.

La grande majorité de notre groupe votera pour. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'agriculture est un pilier de notre économie et notre patrimoine. Nos agriculteurs font face à des défis croissants : changement climatique, pression économique, exigences environnementales. Nous avons la responsabilité d'accompagner ces femmes et ces hommes qui nous nourrissent en leur donnant accès aux outils les plus innovants.

Depuis 2011, la France interdit la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques. Toutefois, certaines zones pentues ne peuvent être traitées efficacement par des moyens terrestres. La proposition de loi ne revient pas sur l'interdiction de principe, mais adapte la législation aux réalités de terrain. Ce n'est pas un retour en arrière, mais une avancée pragmatique, raisonnée et responsable.

La proposition de loi permettra de réduire l'usage global de produits phytosanitaires, grâce à une meilleure application des produits.

Elle répondra à une forte demande des agriculteurs, notamment ceux qui exploitent dans des conditions topographiques complexes.

Enfin, et surtout, elle protégera la santé des agriculteurs. Les expériences menées en Alsace et en Ardèche le démontrent, avec une baisse des risques d'accident du travail, entre autres. Car aujourd'hui, pour traiter les vignes sur les terrains escarpés, les agriculteurs ont recours à des moyens lourds, coûteux et dangereux.

Des acteurs engagés, comme les domaines Schlumberger ou la CFTC Agri, ont montré que la technologie des drones pouvait être au service de la sécurité des personnes.

La législation européenne de 2009 visait les hélicoptères et les avions. La surtransposition française a inclus les drones, mais il en va autrement en Allemagne ou en Autriche. La Suisse assimile la pulvérisation par drone à une pulvérisation terrestre.

En votant cette proposition de loi, nous faisons le choix d'une agriculture raisonnée, au service du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°9 de M. Salmon et alii.

M. Daniel Salmon.  - L'Anses a rendu une évaluation prudente, mais elle note qu'avec un drone, par rapport à des matériels d'application classiques, les dépôts sur les cultures sont supérieurs, de même que le niveau de contamination de mannequins placés à quelques mètres de la parcelle. Les incertitudes sont trop importantes !

Nous nous opposons à la généralisation de cette technique à toutes les cultures, alors que nous ne disposons d'aucune évaluation scientifique. Ouvrons les yeux : il s'agit de généraliser demain l'épandage de toutes sortes de pesticides sur toutes les cultures !

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Avis défavorable. Ce texte est équilibré : il veille à ne pas pulvériser n'importe quoi n'importe quand. Certes, il y a une légère dérive, mais les buses antidérive la réduiront. L'Anses a réalisé ses comparaisons avec des produits phytosanitaires de synthèse, or il s'agit ici de produits de biocontrôle.

Mme Annie Genevard, ministre.  - J'ajoute l'amélioration des conditions de travail de l'agriculteur, ce n'est pas rien. Avis défavorable.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Daniel Salmon.  - Évidemment, nous ne sommes pas insensibles aux conditions de travail des opérateurs. Mais ces épandages sont réalisés dans le cadre d'une agriculture intensive qui contribue au développement des maladies et conduit au surtraitement. On nous dit d'un côté que l'opérateur sera moins exposé et de l'autre qu'il s'agit de produits tolérés en agriculture biologique : c'est un peu contradictoire.

Cette expérimentation est un faux nez : en fait, c'est le premier pas vers une autorisation généralisée des pesticides.

M. Victorin Lurel.  - Cela n'améliorera pas les conditions de travail dans les bananeraies, parce que vous traiterez la canopée, mais il restera des pulvérisations à faire à dos d'homme. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Aussi voterai-je cet amendement.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°11 de M. Salmon et alii.

M. Daniel Salmon.  - Nous en restons à la prorogation de l'expérimentation en cours, très encadrée, et demandant un nouveau bilan de l'Anses dans deux ans.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Avis défavorable. Cet amendement revient à l'état du droit tel qu'issu de la loi Égalim de 2019. Six ans plus tard, nous devons aller de l'avant. Je suis pour une expérimentation, mais n'ayons pas peur de notre ombre.

Les conclusions de l'Anses sont globalement positives, malgré quelques réserves, levées car il s'agit de produits peu dangereux.

L'expérimentation permettra en outre d'évaluer les bénéfices d'autres usages des drones.

Mme Annie Genevard, ministre.  - L'expérimentation a démarré en 2018 avec la loi Égalim -  il y a sept ans. L'Anses a rendu son rapport en 2022 -  il y a trois ans. À un moment, il faut décider. Avis défavorable.

M. Daniel Salmon.  - Je reprends les arguments de Victorin Lurel : la pulvérisation par drone n'est possible que pour certaines cultures. Si des champignons sont situés sous les feuilles, cela ne fonctionne pas.

Continuons d'expérimenter et restons prudents. Voyez le chlordécone ! Il faut aller de l'avant, mais avec modération, en pesant le pour et le contre, sans fuite en avant technosolutionniste.

M. Victorin Lurel.  - L'épandage aérien a été interdit en 2014 en Guadeloupe et en Martinique. Les avions ont été vendus à Saint-Domingue, qui vend aussi des bananes avec le label bio... J'ai personnellement suivi cette affaire lorsque j'étais directeur de la chambre d'agriculture. Je suis très prudent, car on ne sait jamais quels produits sont épandus. Je voterai l'amendement de M. Salmon.

M. Laurent Duplomb.  - L'interdiction de l'utilisation de drones pour les bananiers a imposé d'intervenir par le dessous des feuilles, alors que la maladie débute sur le dessus des feuilles.

Si, intelligemment, on pouvait utiliser les mêmes produits pour une intervention par le dessus des feuilles, nous ne serions pas dans cette situation et nous n'aurions pas connu de telles baisses de rendements !

Résultat : nous importons des bananes du Costa Rica qui sont traitées avec 46 traitements aériens -  contre 9 chez nous  - et des molécules interdites en France. Avec les drones et les mêmes produits que pour les traitements au sol, nous pourrions réduire notre nombre de passages à six. (M. Jean-Claude Tissot proteste.)

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié bis de M. Tissot et alii.

M. Jean-Claude Tissot.  - Cet amendement supprime le droit à l'essai, car le Parlement ne serait pas consulté avant l'extension de l'épandage par drone à d'autres cultures. Cela revient à ouvrir une boîte de Pandore que nous ne réussirons jamais à refermer. L'objectif, on le voit, c'est de supprimer toutes les réglementations et de limiter l'intervention des agences de l'État, comme l'Anses, dans un contexte de forte défiance à l'égard du monde scientifique.

Face à ce risque de fuite en avant, nous réaffirmons le principe de précaution : l'exception ne doit pas devenir la règle.

M. le président.  - Amendement identique n°10 de M. Salmon et alii.

M. Daniel Salmon.  - Nous allons vers une généralisation, alors que toutes les cultures n'ont pas fait l'objet d'évaluation : cette fuite en avant est inquiétante.

Mme la présidente.  - Amendement n°13 de M. Salmon et alii.

M. Daniel Salmon.  - Nous allons mesurer les « avantages manifestes » des drones : c'est donc bien que l'on veut des conclusions positives... Remplaçons « avantages manifestes » par « incidences », afin de mesurer les avantages, mais aussi les inconvénients, en toute objectivité.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements identiques nos8 rectifié bis et 10. L'expérimentation est une bonne méthode lorsqu'elle est encadrée, comme c'est le cas ici. Si les évaluations de l'Anses ne sont pas concluantes, elle ne sera pas pérennisée. Le Parlement n'a pas à autoriser à chaque fois : il pose un cadre et le pouvoir réglementaire applique.

Sur l'amendement n°13, notre rédaction reprend les mots de la directive sur les produits phytopharmaceutiques, il n'y a donc pas lieu d'en changer. Avis défavorable.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Même avis. La méthode par expérimentations successives, c'est la prudence même !

Les amendements identiques nos8 rectifié bis et 10 ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement n°13.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié de M. Tissot et alii.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Cet amendement revient au régime dérogatoire actuel en matière d'épandage.

La rédaction de la proposition de loi est ambiguë. Le code rural et de la pêche maritime prévoit que l'épandage aérien ne peut être déclenché qu'en cas de danger sanitaire grave. Or la proposition de loi semble autoriser l'épandage même si les produits épandus n'ont pas pour objet de lutter contre ledit danger sanitaire grave.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié bis de M. Tissot et alii.

M. Jean-Claude Tissot.  - Amendement de repli : nous précisons que la dérogation pour danger sanitaire grave ne peut porter que sur la pulvérisation de produits visant à lutter contre ce danger.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - L'amendement n°1 rectifié est quasi rédactionnel. Mais nous voulons adopter le texte conforme, aussi avis défavorable. Même avis sur l'amendement n°2 rectifié bis.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Avis défavorable. Il s'agit d'une modification assez formelle.

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2 rectifié bis.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié bis de M. Tissot et alii.

Mme Émilienne Poumirol.  - La rédaction actuelle de la proposition de loi prévoit que la dérogation s'applique aux parcelles comportant une pente supérieure à 20 %. C'est ambigu : les parcelles dont seulement une partie présente une pente de plus de 20 % sont-elles concernées ?

Présidence de M. Xavier Iacovelli, vice-président

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Avis défavorable, toujours : l'usage du verbe « comporter » ne soulève pas de difficultés.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Avis défavorable. Si l'on suit votre raisonnement, certaines parcelles à traiter le seraient et par drones et par chenillards, selon la pente. Mettez-vous à la place de l'opérateur ! (MM. Jean-Claude Tissot et Christian Redon-Sarrazy protestent.)

L'amendement n°3 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié bis de M. Tissot et alii.

Mme Annie Le Houerou.  - Cet amendement vise à appliquer le principe de précaution, en modifiant le degré minimum de pente. L'expérimentation de la loi Égalim 1 portait sur une pente supérieure à 30 % et l'Anses avait émis des réserves... Monsieur le rapporteur, vous avez souligné la qualité des travaux de l'Anses : vous seriez bien inspiré d'entendre ses réserves !

Prévoir l'épandage aérien dès 20 % de pente est prématuré : l'abaissement du taux sans étude d'impact est une erreur. Les partisans de l'épandage aérien ne manqueront pas de vouloir baisser toujours plus ce seuil.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - L'Assemblée nationale a longuement débattu de ce pourcentage de pente.

Vous savez bien que les risques sur une pente à 20 % ou 30 % sont les mêmes ! On parle d'une pente comparable à un escalier intérieur ! En cas de fortes pluies, avec des engins de plusieurs tonnes, je prends en compte avant tout la sécurité de l'applicateur. Avis défavorable.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Avis défavorable, également. Nous avons eu ce débat lors de l'examen de la proposition de loi Duplomb-Menonville : dans les deux cas, il s'agit de zones pentues, très accidentogènes et très pénibles pour les opérateurs, qui ont jusqu'à 30 kg sur le dos. Restons-en au texte adopté par l'Assemblée nationale.

L'amendement n°4 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié bis de M. Tissot et alii.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Nous instaurons une zone de non-traitement à moins de 20 mètres des habitations en cas d'épandage par drone, car les risques de dérive sont accrus, comme l'a montré l'évaluation de l'Anses de 2022. Je vous renvoie aussi à notre rapport d'information sur les pesticides de 2012. Certains estiment que le risque de dérive est limité avec les drones : cela reste à démontrer.

Nous proposons 20 mètres, contre 250 mètres à l'Assemblée nationale : nous sommes donc raisonnables.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Avis défavorable. Je le répète : il s'agit de la pulvérisation de produits moins dangereux. Dès lors, pourquoi appliquer les mêmes règles que pour les produits toxiques ?

L'Anses définit les conditions d'usage des produits parmi lesquelles la distance de protection -  qu'elle calcule dans des conditions de vent fort. Lors de notre déplacement avec Pierre Cuypers, nous avons constaté que nous étions loin d'avoir besoin de ces 25 mètres...

Mme Pascale Gruny.  - Très bien !

Mme Annie Genevard, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°5 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié bis de M. Tissot et alii.

M. Victorin Lurel.  - Monsieur Duplomb, nous ne sommes pas contre les drones, mais nous sommes prudents sur les produits utilisés.

La baisse de tonnage de la production de la banane n'est pas due uniquement à la cercosporiose.

Cet amendement vise à préserver les espaces naturels, qui seraient exclus de la zone d'épandage aérien : mieux vaut le dire clairement.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Cet amendement prévoit une exclusion large et sans discernement, qui s'appliquerait à des zones fort différentes. Dans un parc naturel, l'utilisation d'un drone pourrait être la seule solution pour traiter certaines zones, pentues par exemple.

Avis défavorable.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°6 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié bis de M. Tissot et alii.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - L'arrêté précisant le régime dérogatoire doit être pris après avis conforme -  et non avis simple  - de l'Anses. Son expertise et son indépendance sont essentielles, même si nous avons conscience des pressions qu'elle subit.

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Chacun doit rester dans son rôle : l'Anses rend un avis, et, en général, les ministres en tiennent compte. Quoi qu'il en soit, le droit européen, précis et strict, s'impose aux autorités nationales : avis défavorable.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Quiconque s'intéresse à l'Anses sait à quel point ses avis pèsent lourd dans nos décisions. Un avis conforme n'ajouterait rien : avis défavorable.

L'amendement n°7 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°12 de M. Salmon et alii.

M. Daniel Salmon.  - Nous proposons au Gouvernement de consulter les associations agréées de protection de l'environnement, en plus des organisations professionnelles et syndicales agricoles. (On ironise à droite.) J'entends vos murmures, chers collègues de la droite, mais les associations environnementales ont toute leur place pour rédiger des arrêtés.

M. Laurent Burgoa.  - (Levant les bras au ciel) Aïe aïe aïe !

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - On peut demander leur avis à ces associations, mais c'est bien le politique qui prend la décision finale. (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny applaudissent.)

M. Laurent Burgoa.  - Bravo !

M. Henri Cabanel, rapporteur.  - Je suis un grand défenseur de la démocratie contributive, mais in fine c'est la démocratie représentative qui doit l'emporter, via nos élus, au suffrage universel.

Dès lors, avis défavorable, tout en rappelant que ces associations peuvent aussi saisir l'Anses.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Avis défavorable. Le projet d'arrêté sera soumis à la consultation du public, puisqu'il s'agit d'une réglementation à incidence environnementale. Une large consultation est prévue : croyez-moi, les associations sont familières de ces pratiques.

Mme Frédérique Puissat.  - Exactement !

M. Vincent Louault.  - Au regard du nombre d'amendements déposés par MM. Jean-Claude Tissot et Daniel Salmon, il n'y a pas que les buses qui dérivent !

L'amendement n°12 n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Daniel Salmon .  - Nous nous opposons à cette expérimentation, prélude à une généralisation de l'usage des drones.

Il existe d'autres moyens pour lutter contre la cercosporiose noire. Avec la fuite en avant sur les pesticides, au Brésil, il faut renouveler les molécules tous les quatre ans. J'ai entre les mains une étude : en travaillant sur l'agronomie, sur la répartition spatiale des cultures, en plantant des haies, on évite la propagation de la cercosporiose, avec des résultats probants. Bien sûr, cela ne plaît pas à certains acteurs, mais il y va de la biodiversité et de la santé humaine.

Madame la ministre, le terme « avantages manifestes » aurait été adopté par mes collègues députés, dites-vous ? Ce n'est pas tout à fait exact : ils ont ajouté « manifestes » et c'était un repli au repli... Une étude doit être impartiale, sans mentionner au départ les résultats auxquels on veut aboutir.

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - La directive européenne interdit l'utilisation des drones, hormis quelques cas dérogatoires, bien encadrés : nul cheval de Troie.

Les pentes de 20 % concernent certains vignobles. Je suis favorable à un encépagement de vignes plus résistantes, en vue de réduire radicalement les intrants. Ces dérogations sont une avancée pour les vignes-mères, desquelles sont retirés les greffons qui feront les vignes de demain, et qui pourront être traitées par drone à 60 cm du sol.

Tous les traitements effectués par drone seront préventifs, ce qui diminuera la pénibilité du travail pour les applicateurs intervenant dans les bananeraies. (M. Victorin Lurel acquiesce.)

M. Daniel Gremillet .  - Je remercie le rapporteur. Ce texte, que nous soutenons, sera facteur de progrès : nous pourrons intervenir sur un timbre-poste, et non de manière généralisée. Cher collègue Daniel Salmon, chaque fois qu'un paysan peut éviter un traitement, il le fait.

Ce texte protégera mieux les plantes et réduira les traitements : je le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Pascale Gruny.  - Très bien !

À la demande du RDPI, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°260 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 237
Contre   97

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE)

La séance, suspendue à 20 h 30, reprend à 22 heures.

La santé mentale, grande cause du Gouvernement pour l'année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ?

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur « La santé mentale, grande cause du Gouvernement pour l'année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ? », à la demande du groupe SER.

Mme Marion Canalès, pour le groupe SER .  - En 2025, un Français sur cinq est touché par un problème de santé mentale, soit 13 millions de personnes, tandis que 3 millions souffrent de troubles psychiques sévères. Les Français consomment le plus d'anxiolytiques au monde. Quelque 13 % des enfants et adolescents, soit 1,6 million de mineurs, présentent un trouble psychique. Selon un rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), la médication des 6-17 ans a doublé.

Le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d'euros.

Michel Barnier avait pourtant érigé la santé mentale en grande cause nationale.

À quoi pourrait ressembler notre pays avec une politique publique à la hauteur ? Faisons un exercice de projection optimiste.

Nous sommes en 2040. Parlons d'abord des jeunes. La France a rattrapé son retard, et, comme au Canada, elle compte un psychologue pour 3 000 étudiants, et non plus un pour 30 000, et elle cherche à atteindre le rapport de un pour 1 500.

Toujours en 2040, Santé publique France révèle que le nombre de gestes suicidaires a fortement baissé : les urgences ne sont plus contraintes de réguler les accès.

Dans le Puy-de-Dôme, les 5,7 ETP de psychiatrie infanto-juvénile pour 100 000 enfants ne sont plus qu'un lointain souvenir. Les enfants sont accompagnés à l'école et on recrute des infirmières scolaires.

En 2040, toute une génération obtient une réponse de soin dans des délais acceptables, et non plus un sur deux, comme en 2025. Les nouveaux parents, qui n'ont pas bénéficié des mêmes chances, rappelleront à leurs enfants qu'à leur époque, tout cela n'existait pas.

Comment y parvenir ? En créant trois postes universitaires en pédopsychiatrie dans chaque faculté, et 15 000 postes de psychologues dans l'éducation nationale, ou encore en développant les bureaux d'aide psychologique universitaire (Bapu).

J'en viens à la démographie médicale et paramédicale. Nous sommes toujours en 2040. Les effets de l'ouverture du numerus clausus sont une réalité. Les projections de 2020 se sont réalisées et le retour à la hausse du nombre de psychiatres est réel. Plus aucun département ne connaît de déserts pédopsychiatriques.

Comment y parvenir ? En revalorisant les professionnels, en recréant des postes, en ouvrant des lits de pédopsychiatrie.

Passons à l'hôpital. En 2040, le temps d'attente en centres médico-psychologiques (CMP) s'est considérablement réduit, et n'est plus de 18 mois. Les pathologies sont prises en charge tôt, s'aggravent moins, impactant favorablement la chaîne d'accompagnement.

Enfin, les territoires. En 2040, dans les campagnes, les contrats locaux de santé mentale (CLSM) sont généralisés, et sont mieux implantés dans les territoires. Territoires ruraux et QPV sont mieux couverts. Les disparités sont en passe d'être résolues.

Comment y parvenir ? En finançant les CLSM et en mettant au coeur de l'offre de soin les droits des patients et des aidants.

Évidemment, cet exercice peut sembler décalé. Mais je me projette avec optimisme sur ce sujet grave. Ce sujet touche tout le monde. Je veux croire que nous prendrons des décisions de long terme, qui changeront radicalement les choses. Jaurès disait que le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel.

Nous devons voir loin, notamment en santé mentale. Pour relever ce défi, il faut de la constance et du sérieux, et le Sénat ne manque ni de constance ni de sérieux. Combien de rapports avons-nous déjà consacrés à ce sujet ? J'attends avec impatience le rapport de mes collègues de la commission des affaires sociales.

Je le répète : le coût des problèmes de santé mentale est de 110 milliards d'euros. À l'image de la Lopmi, nous avons besoin d'une vraie loi de programmation, qui viserait à faire de la France un pays où on retrouve équilibre et sécurité structurelle.

Cette ambition dépasse les clivages politiques. La santé mentale des Français et les finances publiques seraient gagnantes. Faisons ensemble le pari de cette France que j'ai décrite ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - (MmeFrédérique Puissat et Marie-Claire Carrère-Gée applaudissent.) La santé mentale est un des défis majeurs de l'époque. En faire un grand débat national reflète la prise de conscience à l'oeuvre.

Les députés et les sénateurs se sont investis sur ce sujet ; je remercie le groupe SER de l'avoir inscrit à l'ordre du jour, Marion Canalès en particulier.

Je partage votre ambition : il faut donner les moyens de renforcer la santé mentale ; et j'ajouterais qu'il faut en faire une cause durable, tant les chiffres sont inquiétants.

Notre pays est le premier consommateur de psychotropes d'Europe. Le suicide reste tragiquement la première cause de décès des 15-35 ans. Les professionnels font face à des tensions croissantes, nous manquons de ressources médicales.

Nous sommes tous concernés par cet enjeu prioritaire de santé publique. Il faut créer un mouvement de fond, une mobilisation collective qui embarque toute notre société.

Je vois le nombre de propositions de loi et de rapports sur ce sujet ; certaines initiatives sont intéressantes et proviennent de tous bords.

On peut citer la mission d'information sur la grande cause, conduite par Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin, ou encore la proposition de résolution de Nathalie Delattre.

On parle de plus en plus librement de santé mentale à l'école ou en famille. Les personnes publiques prennent aussi la parole, comme dernièrement des personnalités révélant leur bipolarité. Les mentalités changent.

Il s'agit d'ancrer notre politique dans une ambition de long terme et transversale. Dans mon intervention le 19 mars dernier, j'ai présenté en conseil des ministres mes priorités d'action.

La première priorité est le développement de l'accès aux soins et le renforcement de la prévention, avec une augmentation des crédits de 3 millions d'euros entre 2020 et 2024, soit une hausse de 42 % : d'où le numéro national de prévention du suicide 3114, des repérages plus précoces, ou la formation des médecins du travail au repérage des troubles psychiques.

Je veux garantir un accès rapide aux soins psychiatriques. Il convient de faire monter en puissance le dispositif Mon soutien psy, dans lequel plus de 500 psychologues supplémentaires se sont engagés. Nous voulons désengorger les services hospitaliers, à la suite du rapport de Sandrine Rousseau et de Nicole Dubré-Chirat.

J'ai demandé hier à la Commission nationale de psychiatrie de travailler à des propositions d'évolution de la psychiatrie de secteur pour qu'elle se coordonne mieux avec les centres experts et pour réduire les délais de prise en charge en CMP, encore trop longs.

Je sais que nous partageons ces priorités.

Le renforcement des maisons de l'enfant et infanto-juvéniles est un point important, tout comme l'attention aux plus vulnérables, notamment aux enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Nous devons aussi lutter contre toutes les formes d'addictions.

Ma deuxième priorité est la formation et l'attractivité de la psychiatrie, sans quoi les actions évoquées resteront des voeux pieux. La maladie psychiatrique fait partie de la santé mentale, mais c'est aussi un sujet à part entière qui nécessite une prise en charge par des spécialistes.

Il faut faire en sorte que des jeunes rejoignent ces spécialités mal connues. Favoriser les stages en psychiatrie pendant les cursus pourrait être une solution. En effet, 37 % des futurs médecins déclarent que la psychiatrie leur fait peur. Cette appréhension est liée à des drames, des actes de violence commis par des patients.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Ces drames nous amènent à prendre des mesures fortes. Bruno Retailleau l'a détaillé ; nous y reviendrons lors de l'examen de la proposition de loi du député Philippe Pradal.

Je souhaite aussi encourager la pratique avancée des infirmiers. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)

Mme Jocelyne Guidez .  - La santé des personnes souffrant de troubles mentaux ou psychologiques passe par la garantie de leur sécurité. En 2011, l'Igas pointait des défaillances en matière de sécurité. Elle dénonçait une sous-estimation des agressions, notamment sexuelles, et une organisation peu adaptée.

À Massy, il y a quinze jours, une femme a perdu la vie, poussée sur les voies par un homme souffrant de troubles psychiatriques. Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre ni sur les patients ni sur les soignants, qui ne sont pas des gardiens de prison. Mais il faut garantir à la fois la sécurité des malades, sans renoncer à la sécurité de tous.

Cela faisait partie des enjeux du plan pour la sécurité des professionnels de santé de septembre 2023, qui prévoyait des dispositifs d'alerte et le déploiement de caméras. Monsieur le ministre, ce plan a-t-il donné lieu à un premier bilan ? D'autres actions sont-elles envisagées ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - C'est un sujet légitime. Concernant les infrastructures sécurisées, les unités doivent être modernisées, notamment pour les patients agités. Il faut renforcer les équipes mobiles de crise ou de post-crise pour éviter les hospitalisations sous contrainte. Le programme Quality Rights de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) y contribue.

Environ 24 000 agressions de soignants ont lieu chaque année, chiffre sans doute sous-estimé. Nous examinerons la proposition de loi Pradal qui rend notamment obligatoire la déclaration d'agression de soignants et des dispositifs anonymisés en matière de dépôt de plaintes.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - La santé mentale a été érigée au rang de grande cause nationale, c'est un grand pas en avant. Toutefois, nous nous interrogeons sur la prise en charge des malades en France. La prise de parole de Nicolas Demorand sur sa bipolarité met en lumière les errances médicales endurées par les patients. Ainsi, la quétiapine est actuellement en rupture.

Avec 6 000 cas par an, le suicide est la première cause de mortalité chez les 16-25 ans.

La désertification médicale et le manque de personnels empêchent une prise en charge correcte.

À Lens, le dernier médecin, qui gérait à lui seul dix unités fonctionnelles, vient de démissionner. Ainsi, 2 500 enfants et jeunes se trouvent sans solution, dans un bassin de vie de 240 000 habitants. Accompagnement, traitement et soins adaptés pour chaque patient, voilà le triptyque sur lequel nous devons nous appuyer. Quels moyens l'État entend-il mettre en place pour y parvenir ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Les troubles bipolaires touchent 1 à 2 % de la population. Ils sont souvent mal ou tardivement diagnostiqués. S'y ajoutent d'autres pathologies comme la schizophrénie ou l'autisme de haut niveau, qui bénéficient de centres experts.

Il faut former plus et mieux les personnels paramédicaux pour réduire les délais de prise en charge dans les CMP.

Quelque 60 % des étudiants en médecine considèrent la psychiatrie comme une sous-spécialité, mal valorisée : il faut renforcer l'attractivité de cette discipline.

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a donné son autorisation pour obtenir des équivalences de quétiapine. Un fractionnement à l'unité est aussi possible.

Mme Anne Souyris .  - En France, on prescrit plus qu'on ne guérit : 16 millions de Français ont déjà pris des psychotropes et seulement 20 % des patients suivent une psychothérapie en complément de la prise de médicaments.

Thérapies cognitives et comportementales (TCC) et EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires), ces psychothérapies non médicamenteuses ont montré leurs effets positifs.

À Paris, les étudiants attendent cinq mois pour une consultation en Bapu ; pour les CMP, c'est trois mois.

Quand allons-nous orienter systématiquement les patients et les patientes sous psychotropes vers un professionnel de santé mentale et une psychothérapie ? À quand un remboursement des séances de psychothérapie pour l'ensemble de la population ? La santé psychique est un soin comme un autre.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Il existe en effet un paradoxe entre la surmédication et le défaut d'accompagnement humain. La France est le premier consommateur européen de psychotropes.

Dans ce contexte, nous avons favorisé le développement de Mon soutien psy, des équipes mobiles et des groupes d'entraide mutuelle.

Toutefois, la démédicalisation excessive n'est pas la solution, tout comme la prescription ne l'est pas non plus. Convergeons vers une approche intégrative fondée sur l'alliance thérapeutique, et sur la capacité à reconstruire un projet, une forme de confiance.

Nous réfléchissons à un remboursement des psychothérapies.

Mme Anne Souyris.  - Chez les enfants, la consommation des antidépresseurs a augmenté de 62 % entre 2014 et 2021 et de 74 % pour les psychostimulants, alors que seules 20 % des personnes sont suivies. Les psychothérapies devraient être systématiquement remboursées. Il est urgent d'agir : il y a eu 40 % de plus de tentatives de suicide ces dernières années, principalement des jeunes.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Ces chiffres sont réels. Notre stratégie vise à développer les dépistages précoces des troubles de l'attention chez les enfants. C'est une recommandation des associations de psychiatres, qui conduit à plus de prises en charge, et donc plus de prescriptions médicamenteuses. Oui pour réfléchir au remboursement des psychothérapies.

Mme Anne Souyris.  - J'espère que cette réflexion aboutira à un remboursement.

Mme Annie Le Houerou .  - Les populations vulnérables sont souvent victimes d'une double stigmatisation : sur le plan psychologique et sur le plan social. Ainsi, 75 % des sans-abri présentent des troubles psychiatriques. Leur accès aux soins est problématique, alors que les services de psychiatrie, saturés, peinent à recruter et que les soignants généralistes sont peu ou pas formés à la santé mentale.

Résultat : les maires sont démunis. Ainsi, le maire de Saint-Brieuc a été agressé récemment. Combien de maires ont été confrontés à ce type de situation ? Les forces de l'ordre absorbent les manquements de notre système, mais sans réponse adaptée.

Pourtant, des réponses existent : les équipes mobiles de psychiatrie et précarité, les pensions de famille, les groupes d'entraide mutuelle. Les réponses médicales doivent être mieux coordonnées.

Comment aider ces personnes déjà éprouvées ? Comment développer l'aller-vers ? Comment rendre les métiers de la psychiatrie plus attractifs ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Je ne sais pas si je pourrai répondre à toutes vos questions.

Les publics les plus vulnérables sont l'objet d'une attention constante. Des projets territoriaux seront mis en place avec l'État avant l'été, au profit des publics vulnérables, avec des parcours enfants-adolescents.

Nous sommes limités par le manque de professionnels, notamment de paramédicaux : il faut en former davantage, en partenariat avec les régions. Je regrette la suppression il y a quelques années des infirmiers spécialisés en psychiatrie. Les docteurs juniors interviendront dans les territoires, et n'oublions pas nos 5 000 étudiants à l'étranger : j'espère que le Sénat acceptera la proposition de loi leur permettant de revenir en France. Enfin, des mesures financières sont prévues pour renforcer l'attractivité, par exemple pour Mon soutien psy.

Cet ensemble de mesures améliorera la situation, mais cela suppose faut un investissement pluriannuel. (Mme Émilienne Poumirol acquiesce.)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - Les constats sont alarmants : selon les derniers chiffres de la Drees, le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-24 ans ; chez les agriculteurs, le risque est supérieur de 30 % aux autres catégories professionnelles.

Quelque 21 % des internes en médecine ont eu des pensées suicidaires, et 13 % d'entre eux consomment des antidépresseurs. Que dire des élus ? Selon l'AMF, 83 % des maires estiment que leur mandat est usant.

Certaines catégories de population sont plus exposées que d'autres, mais la santé mentale nous concerne tous. En matière de santé, il faut intervenir le plus tôt possible : cela suppose une présence de proximité, avec des professionnels capables d'orienter. Sur 1 800 postes de médecins scolaires, seuls 650 postes sont pourvus. Comment renforcer l'attractivité de ces métiers ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - La société est frappée par ces questions dans son ensemble. Un agriculteur se suicide tous les trois jours, malheureusement.

Nous voulons réarmer la médecine scolaire : des campagnes de rattrapage musclées en matière de vaccination sont prévues, en septembre notamment contre le papillomavirus.

Des médecins peuvent avoir l'occasion d'une deuxième vie professionnelle dans ces métiers.

Mais, encore une fois, il faut former davantage de soignants et améliorer l'attractivité des carrières de santé. Cela ne passe pas uniquement par des revalorisations salariales : la qualité du travail et la quête de sens concourent à améliorer les choses.

M. Jean Sol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Romagny et M. Bernard Fialaire applaudissent également.) Au sein de la commission des affaires sociales, je mène une mission d'information avec Daniel Chasseing et Céline Brulin sur l'état des lieux de la santé mentale depuis la crise sanitaire : les CMP sont à bout de souffle. Les délais d'attente sont de six mois, voire un an. Les centres sont contraints de se concentrer sur les patients les plus touchés.

Les ARS accordent des financements aux organisations innovantes. Or les CMP, pas toujours innovants, ont fait leurs preuves. La pénurie de médecins psychiatres ne se résoudra pas rapidement : orientons les crédits vers de nouveaux postes d'infirmiers en pratique avancée (IPA). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Yannick Neuder, ministre.  - Ces délais sont en effet insupportables. Toutefois, certains territoires, dont le vôtre, bénéficient encore d'une prise en charge par secteur. Il faut aider au réarmement des CMP, qui ont un rôle fondamental. Là encore, il n'y a aucune restriction budgétaire, mais davantage de professionnels à former. Je priorise tous les professionnels qui veulent s'engager dans les CMP !

Nous avançons sur les projets territoriaux de santé mentale, avec une action spécifique, avant l'été, sur la prise en charge des plus jeunes.

Le Premier ministre formulera des propositions avant la fin avril. Les déserts médicaux touchent aussi la santé mentale. J'espère faire venir de nombreux professionnels - nos étudiants partis à l'étranger, ceux que nous formons en formation initiale ou continue, nos jeunes docteurs.

Je vais prochainement faire un diagnostic précis de l'offre de santé dans chaque département, intercommunalité par intercommunalité - cela me semble être le bon échelon.

M. Jean Sol.  - Tout l'enjeu de la grande cause nationale sera de traduire des actions identifiées par la feuille de route en financements effectifs sur le terrain.

M. Bernard Buis .  - Ayant été gestionnaire de collège pendant 35 ans, j'aborderai la santé mentale des jeunes. Selon l'enquête nationale en collège et en lycée menée par l'École des hautes études en santé publique et l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives sur la période 2018-2022, la santé mentale des collégiens et lycéens s'est dégradée : 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression ; 24 % des lycéens déclarent des pensées suicidaires et 13 % d'entre eux ont déjà fait une tentative de suicide, dont 3 % ont débouché sur une hospitalisation.

Selon le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Frank Bellivier, la situation ne s'améliore pas depuis la crise sanitaire.

L'école ne peut pas tout, mais pèse pour beaucoup dans la construction d'un élève. Comment en faire un lieu de prévention et de sensibilisation ? Au-delà des numéros d'urgence, du protocole santé mentale et de la démarche École promotrice de santé, comment le Gouvernement peut-il renforcer les moyens déployés à l'école ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous voulons réarmer la médecine scolaire, qui manque cruellement de médecins et d'infirmiers. En mai se tiendront les assises de la santé scolaire, avec pour objectif d'améliorer les recrutements. Nous avons plusieurs leviers. Nous continuons à développer les maisons des adolescents et des jeunes adultes, avec un objectif de doublement d'ici à 2027. Il y en a actuellement 125, nous en voulons au moins une par département.

Nous devons aussi avancer sur les projets territoriaux de santé mentale, avec des actions particulières en direction des jeunes. Les élus locaux ont des propositions à faire en la matière ; Daniel Fasquelle, maire du Touquet, les représente dans la task force dédiée.

Mme Mireille Conte Jaubert .  - La pandémie a mis en lumière une triste réalité : la santé mentale de nos jeunes. Troubles du sommeil, anxiété, isolement, décrochage, les difficultés s'accentuent face à la pression académique et la peur de l'avenir.

Les établissements doivent rester des lieux où l'on apprend, mais aussi où l'on est accompagné. Or les services de santé universitaires sont saturés, la médecine scolaire est sous-dotée et les délais pour consulter un spécialiste s'allongent.

Des dispositifs existent, mais doivent être mieux intégrés au parcours des jeunes. La grande cause nationale est une avancée - je rappelle l'engagement de Nathalie Delattre sur le sujet, notamment au travers de sa proposition de résolution, adoptée ici à l'unanimité.

Il faut multiplier le nombre de psychologues dans les universités, sensibiliser étudiants et enseignants, garantir un accès rapide à des soins adaptés. Quelles mesures envisagez-vous pour renforcer l'accompagnement psychologique au sein des établissements ? Nous devons être au rendez-vous de cette urgence.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Les étudiants peuvent se rendre dans les maisons des adolescents, selon leur âge. Les dispositifs Mon soutien psy et Santé psy étudiant ont fusionné : ils sont désormais accessibles à tous et remboursés dès l'âge de 3 ans.

Nous réfléchissons à une feuille de route sur le sommeil, qui se dégrade chez les jeunes. Nous envisageons aussi une limitation du temps d'écran au sein des établissements. Il existe de nombreux dispositifs : le 3114, VigilanS, les groupes d'entraide mutuelle. Il faut les amplifier pour faire face aux besoins grandissants de notre jeunesse. Pour ce faire, je le répète, il nous faut former des professionnels.

Mme Anne-Sophie Romagny .  - Merci au groupe socialiste pour cette initiative.

Le covid, avec ses confinements et ses déconfinements, son lot d'angoisses, a eu des effets ravageurs sur la santé mentale des jeunes, qui ont été isolés à l'âge où l'on se construit.

Le rapport de l'Igas sur la pauvreté et les conditions de vie des jeunes ruraux met en évidence leur précarité et formule des recommandations pour lutter contre l'exclusion croissante de cette jeunesse invisible. L'éloignement géographique freine leur accès à la santé ou à l'emploi, l'isolement pèse sur leur santé mentale. Les dispositifs spécialisés de formation et d'accompagnement vers l'emploi ou la santé se concentrent dans les grandes agglomérations. Le rapport plaide notamment pour un renforcement de l'accompagnement en santé mentale. Quelles mesures spécifiques prévoyez-vous pour les jeunes ruraux, en sus du dispositif Sentinelle qui s'attache au mal-être agricole ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - La ruralité cumule les difficultés : isolement, difficulté d'accès à certains plateaux techniques, à certaines structures d'hospitalisation. Le taux de suicide chez les agriculteurs est élevé. Le dispositif Agri'écoute fonctionne bien, avec une trentaine de psychologues qui offrent un soutien téléphonique ; ces dispositifs sont souvent animés par d'anciens agriculteurs bénévoles.

J'espère que les communautés territoriales des professionnels de santé (CTPS) se multiplieront, et se mobiliseront sur la santé des jeunes.

Je veille à ce que les maisons des adolescents soient accessibles partout, y compris en zone rurale. D'où l'enjeu de formation, pour rattraper les retards accumulés et offrir à tous les jeunes, des villes et des champs, l'accès à ces dispositifs.

Mme Corinne Féret .  - Les troubles du neurodéveloppement (TND) - autisme, troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), troubles dys - ont des effets importants sur le quotidien des jeunes, mais aussi des proches aidants. La mission d'information sur les TND, dont j'étais rapporteure avec Jocelyne Guidez et Laurent Burgoa, a souligné notre retard en matière de diagnostic et de prise en charge, faute de psychiatres, de psychomotriciens, d'ergothérapeutes et d'orthophonistes.

Nos recommandations ont été reprises dans la loi du 15 novembre dernier, qui introduit deux examens de repérage, à 9 mois et à 6 ans.

Ériger la santé mentale en grande cause suppose de disposer de professionnels pour la psychoéducation, les thérapies comportementales, la remédiation cognitive. Que comptez-vous faire pour améliorer l'accompagnement des personnes souffrant de TND ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Les TND sont aussi suivis par Charlotte Parmentier-Lecocq avec une stratégie de repérage, d'accompagnement et d'articulation des parcours. Les troubles du spectre autistique ou les TDAH présentent un lien évident avec le champ de la santé mentale. Les repérages précoces vont dans le bon sens.

Il faut associer les Maisons de l'enfant et de la famille, structurer et coordonner l'offre spécialisée. Quelque 400 ETP supplémentaires sont prévus pour les CMP pour enfants, avec des centres labellisés pour l'autisme à haut niveau. L'article 51 sur la santé protégée ou le programme Pegase pour les enfants confiés à l'ASE sont des initiatives intéressantes. Nous avons inscrit les TND dans le programme de la Haute Autorité de santé (HAS) pour 2025-2030. Je lancerai prochainement les filières régionales de prise en charge du TDAH. Enfin, la création des plateformes de coordination et d'orientation permet d'accélérer la prise en charge, pour un parcours plus fluide et décloisonné. Mais là encore, il faut des professionnels de santé.

Mme Corinne Féret.  - Près de deux enfants par classe sont concernés. Les familles attendent des moyens supplémentaires.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée .  - Je sais gré au Gouvernement de François Bayrou d'avoir repris la décision de Michel Barnier de faire de la santé mentale la grande cause de 2025.

Je regrette le silence assourdissant sur la consommation de cannabis des jeunes, qui affecte insidieusement leur santé mentale. Il faut briser le tabou et rappeler que le cannabis ralentit la maturation du cerveau, dégrade la mémoire de travail, entrave les capacités d'apprentissage, affecte la manière de traiter l'information. Dans un monde saturé de fausses informations, cette fragilité cognitive rend le cerveau des jeunes plus vulnérable aux manipulations. La consommation de cannabis affaiblit la résilience à l'effort, provoque une anxiété diffuse, mine la motivation, avec à la clé un repli sur soi et une incapacité à faire face aux exigences scolaires. C'est enfin l'un des principaux risques de déclenchement de la schizophrénie. Que de vies brisées par une substance que d'aucuns présentent comme inoffensive...

Que comptez-vous faire pour mettre fin à l'illusion dangereuse selon laquelle le cannabis n'est pas dangereux pour la santé mentale ?

Mme Frédérique Puissat.  - Bravo !

M. Yannick Neuder, ministre.  - Vous avez bien résumé les impacts néfastes du cannabis sur les fonctions neurosupérieures. Le cannabis est aussi une cause facilitante d'accidents de la voie publique, première cause de mortalité et de traumatologie chez les jeunes.

La banalisation du cannabis, souvent mélangé avec d'autres drogues, est une porte d'entrée vers d'autres drogues plus dures, comme la cocaïne.

Certains États comme le Canada regrettent de l'avoir légalisé : la consommation d'autres drogues plus dures y a augmenté. (Mme Émilienne Poumirol s'exclame.) C'est donc tolérance zéro, à l'exception du cannabis thérapeutique. Non au cannabis dit récréatif, qui a des conséquences terribles sur la santé de nos jeunes.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Pouvez-vous vous engager à mener une campagne de communication sur ce sujet cette année ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Faire une campagne de communication sur les dangers de la drogue, certainement. Nous y travaillons avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

M. Simon Uzenat .  - La santé mentale n'est plus une bombe à retardement, mais à fragmentation ; la crise sanitaire a été un amplificateur. Les maladies psychiatriques sont les premières affections de longue durée chez les moins de 30 ans. Nous regrettons qu'il ait fallu attendre cinq ans pour en faire une cause nationale.

Entre 2020 et 2022, 24 % des établissements psychiatriques ont fermé 10 % à 30 % de leurs lits. On arrive à un point de rupture des capacités d'hospitalisation. Très peu d'étudiants choisissent la psychiatrie, et 23 % des postes à l'hôpital public sont vacants. Parmi les causes citées, il y a la responsabilité juridique.

Il faudrait une démarche globale et coordonnée, avec un institut national dédié, comme pour le cancer. Qu'en pensez-vous ?

Jeunes comme personnes âgées sont concernés. La coordination entre les équipes médicales est cruciale, or la dimension psychiatrique est insuffisamment prise en compte, tout comme le lien avec les proches.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Je regrette comme vous les fermetures de lits en psychiatrie. Je me répète : il faut former plus de soignants pour pouvoir rouvrir des lits.

L'entrée en psychiatrie se fait dans 40 % des cas via les urgences. Le rapport de la députée Dubré-Chirat préconise de nombreuses mesures ; j'espère en prendre certaines par voie réglementaire, comme prévoir dans chaque service d'urgences un référent pour prendre en charge les malades psychiatriques.

Je mesure les inquiétudes liées à la responsabilité. Les internes disent que la psychiatrie leur fait peur. Derrière, il y a le risque de laisser sortir un malade qui commettrait des délits ou crimes. La responsabilité est réelle. On peine d'ailleurs à trouver des psychiatres pour siéger dans les groupes d'évaluation départementaux.

Je ne suis pas favorable à la création d'un institut national à l'image de l'Institut national du cancer (Inca) : l'heure n'est pas à la création de superstructures. Redonnons plutôt à notre jeunesse l'envie de s'investir dans ces filières.

M. Simon Uzenat.  - Former plus de soignants, oui, mais il faut donner aux internes l'envie de s'orienter vers ces métiers. Attention au saupoudrage de la prise en charge.

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un Français sur quatre sera concerné par un trouble mental au cours de sa vie. Déstigmatisation, prévention et repérage précoce, amélioration de l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, accompagnement, voilà les priorités. Il faut dépasser l'affichage et déployer une force de premier recours pour le dépistage et la prévention, de nouveaux métiers, de nouvelles compétences afin de recentrer le temps médical sur les prises en charge complexes.

Répondre à ces besoins implique de former des professionnels de santé au repérage des troubles, mais aussi de financer des postes d'IPA, d'assistants médicaux, de coordonnateurs, et de sensibiliser les professionnels accueillant le public.

Il faut structurer l'offre de soins sur le territoire, pilotée par les ARS en lien avec les collectivités territoriales.

Quelles mesures ont été adoptées, ou proposées, pour donner un contenu à cette grande cause nationale ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous avons centré nos efforts sur le renforcement de la première ligne, agi sur les déterminants de santé mentale, comme l'exposition aux violences, notamment sexuelles, les addictions, les discriminations, la précarité financière. Nous avons consolidé les maisons des adolescents, les CPTS, avec Mon soutien psy. Nous avons renforcé de 400 postes les CMP pour enfants.

Rendez-vous en juin, lors du comité interministériel, qui visera à fluidifier les parcours. Je rappelle que l'année a commencé début mars, après l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale !

Mme Patricia Demas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La santé mentale a été déclarée grande cause nationale en 2025. Les acteurs de la santé mentale l'attendaient depuis des années, mais ils veulent plus qu'une déclaration d'intention. En fin de semaine, le forum national pour la santé mentale se tiendra dans mon département des Alpes-Maritimes.

Douze millions de Français souffrent de troubles psychiques ; une tentative de suicide a lieu toutes les trois minutes... Il est urgent de nous en préoccuper.

Face à la pénurie de psychiatres, à la désertification médicale, à la saturation de notre système de santé, nous devons développer les complémentarités pour améliorer les parcours de soins.

Comment votre feuille de route prévoit-elle de remédier à la saturation des CMP ? Quelles améliorations pour Mon soutien psy ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous nous verrons donc vendredi, à Cannes, pour la deuxième édition du Psychodon, que j'inaugurerai.

Mon soutien psy est désormais remboursé et en accès direct. J'ai demandé un rapport pour en mesurer les résultats. Les douze séances proposées ne sont pas toutes utilisées, mais plus de 500 000 patients ont été pris en charge, par 5 500 psychologues conventionnés.

Je souhaite aussi renforcer les moyens des CMP, qui ont plus besoin de personnels formés que de moyens financiers.

Mme Patricia Demas.  - J'aurais aimé parler de moyens financiers, car c'est le nerf de la guerre. Nous avons besoin d'un ordre de grandeur. Merci de votre mobilisation.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Voici des chiffres : entre 2018 et 2026, 3,3 milliards d'euros seront consacrés à la santé mentale.

Mme Patricia Demas.  - La santé mentale est grande cause nationale en 2025, mais il faut poursuivre l'effort sur plusieurs années.

C'est un enjeu de société qui concerne toutes les générations, qui révèle nos fractures sociales, et autour duquel nous devons réunir toutes les forces vives de notre nation, mais aussi des moyens financiers.

M. Laurent Somon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La santé mentale est un enjeu majeur : 12,5 millions de personnes sont concernées ; un jeune adulte sur deux montre des signes de dépression ; on compte 6 000 suicides par an. Avec plus de 23 milliards d'euros, les maladies psychiatriques sont le premier poste de dépenses de l'assurance maladie.

Les assises de 2021 ont montré que l'on avait besoin d'une approche holistique, articulée aux besoins des territoires. Les structures locales jouent un rôle essentiel dans l'accompagnement du patient. Les élus locaux, garants du lien social, ont une responsabilité particulière, en impulsant des politiques locales et en mobilisant les acteurs de santé.

Pour une meilleure articulation entre le national et le local, pourquoi ne pas envisager un délégué interministériel à la santé mentale, avec des référents dans les ARS ? Il faudrait aussi renforcer les projets territoriaux de santé mentale et créer des centres experts pour la santé mentale, ainsi qu'un centre référent d'accompagnement.

Il faut redéfinir le rôle des structures locales et des élus dans le pilotage de la politique nationale de la psychiatrie. Faisons en sorte que chaque territoire ait les moyens nécessaires !

M. Yannick Neuder, ministre.  - L'appel de Nantes a permis à cinq associations nationales d'élus de s'engager.

Le projet territorial de santé mentale est l'outil le plus efficace, s'il est en lien avec les conseils locaux de santé mentale. Nous avons déjà un délégué ministériel ; c'est à mon ministère de se mettre en relation avec les autres ministères pour porter ces politiques publiques.

Il existe déjà des centres experts, certes pas partout. Développons-les, sans créer de nouvelles structures.

Mme Anne Ventalon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Selon l'OMS, treize millions de Français présentent un trouble psychique et un quart de la population consomme des psychotropes. C'est la première cause d'invalidité, la deuxième cause d'arrêt maladie et le premier poste de dépenses du régime général de l'assurance maladie, avec 23 milliards d'euros. Les problèmes de santé mentale frappent tous les milieux et tous les âges.

Je me réjouis que le Gouvernement en ait fait une grande cause nationale. Encouragées par les ARS, des collectivités territoriales mettent en place des conseils locaux de santé mentale, mais se heurtent au manque de psychiatres et de pédopsychiatres. L'accès aux soins en santé mentale reste très dégradé. Comment allez-vous accompagner les collectivités dans le déploiement des conseils locaux en santé mentale ?

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous devons renforcer la territorialisation de nos actions, en nous appuyant sur les élus locaux.

Formation de professionnels, renforcement de l'attractivité -  tant à l'hôpital qu'en ville  - , déstigmatisation : autant d'enjeux.

C'est un travail de longue haleine. Je n'ai pas de solution immédiate, mais avec une vision transversale et interministérielle sur ces sujets très préoccupants, nous avancerons.

M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie les orateurs pour la qualité de leurs interventions.

La santé mentale est une réalité complexe et multidimensionnelle, de la souffrance ordinaire jusqu'à l'anxiété, la dépression, le suicide, les troubles autistiques, notamment. Elle prend des formes nouvelles : souffrance au travail, éco-anxiété.

Les souffrances mentales sont peu connues. Pourtant elles ont de nombreuses répercussions sur les malades et leur entourage et suscitent souvent incompréhension et inquiétude.

Plus de 2 millions de Français sont pris en charge par les services psychiatriques : c'est la première source d'arrêts de travail prolongés et 25 % des causes d'invalidité.

Selon une enquête de Santé publique France, 24 % de la population présente un état anxieux -  11 points de plus qu'avant la pandémie  - , 17 % un état dépressif, en hausse de 7 points, une personne sur dix a des pensées suicidaires, en hausse de 6 points.

Cette détérioration est particulièrement marquée chez les jeunes, d'où l'importance des chèques psy, mais la limitation du nombre de séances n'a pas de sens -  les soins psychiques prennent du temps.

Les femmes souffrent davantage. Quelque 38 % des femmes salariées sont en situation de mal-être au travail, contre 22 % pour les hommes.

La santé mentale est le parent pauvre de notre système de santé depuis des décennies, avec un sous-financement chronique. Pas moins de 60 % des lits ont été fermés ces 40 dernières années. Résultat : la pression augmente sur les hôpitaux publics et les déserts médicaux se multiplient.

Depuis 2017, le Président de la République et ses gouvernements successifs n'ont pas saisi l'urgence d'agir, malgré deux feuilles de route, insuffisantes. Une première feuille de route, en 2018, a créé la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie et prévu des mesures sur la prévention, la réinsertion et le soin, mais sans moyens suffisants. La seconde feuille de route, en 2021, a prévu 1,9 milliard d'euros sur cinq ans, mais en recyclant des mesures déjà annoncées.

La grande cause nationale est un symbole, mais c'est surtout un appel à la mobilisation de toute la société. Cela doit être l'occasion d'accorder de nouveaux moyens financiers à un secteur en crise.

Il faut une approche globale et pluriannuelle, par le biais d'une loi de programmation et grâce à des institutions vraiment adaptées à l'accueil des malades. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Prochaine séance demain, jeudi 10 avril 2025, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 35.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 10 avril 2025

Séance publique

À 1h 30 et l'après-midi

Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président, Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, Mme Nicole Bonnefoy

1Débat sur l'apprentissage (demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport)

2Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (procédure accélérée) (texte de la commission, n°524, 2024-2025) (demande du Gouvernement)

3Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d'un processus politique de sortie de crise, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (n°900 rectifié, 2022-2023) (demande du groupe SER)

4. Débat sur le thème : « Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en oeuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ? » (demande du GEST)