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Table des matières
Prisonniers arméniens détenus illégalement à Bakou
Situation critique en République démocratique du Congo
Création d'une « MDPH 99 » pour les Français établis hors de France
Circulaire relative aux aspirations endotrachéales
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Projet de décret menaçant le secteur de la petite enfance
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Baisse de la prise en charge de l'apprentissage
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Généralisation des déclarations préremplies pour le RSA
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Police ou gendarmerie : cas d'une portion d'autoroute
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Bonification des trimestres des sapeurs-pompiers volontaires
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Indemnisation à la suite de catastrophes naturelles
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Délai d'attente pour passer l'examen du permis de conduire
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Indemnisation à la suite d'attaques de loups (I)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Indemnisation à la suite d'attaques de loups (II)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Projet de parc éolien - Gâtinais Val-de-Loing
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Conséquences du règlement européen 2023/1115 sur la Guyane
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Structures judiciaires à Mayotte
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Suppression de postes et de classes et fin de la décharge pour les directeurs d'écoles à Paris
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Difficulté des communes à souscrire un contrat d'assurance
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Sauvegarde de la ligne ferroviaire Guéret-Felletin
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Gratuité de la portion d'autoroute reliant Annemasse à Saint-Julien-en-Genevois
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Sécurisation des passages à niveau
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité
Accès au foncier des jeunes agriculteurs
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Gestion du loup dans la Nièvre
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Contrôle des salmonelles dans les oeufs
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Fermeture de la fosse de Petosse
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Conséquences de la nouvelle tarification de l'eau
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Ligne THT entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (I)
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (II)
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (III)
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Difficultés de l'entreprise F2J-Japy
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Tarifs de recharge des véhicules électriques
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Salut à une délégation parlementaire de la République démocratique du Congo
Mise au point au sujet de votes
Conversion de centrales à charbon (Procédure accélérée)
M. Khalifé Khalifé, auteur de la proposition de loi
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques
Renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte (Procédure accélérée)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois
Discussion de l'article unique
Intitulé de la proposition de loi
Restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants (Procédure accélérée)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois
Ordre du jour du mercredi 26 mars 2025
SÉANCE
du mardi 25 mars 2025
72e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Dominique Théophile, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy.
La séance est ouverte à 09 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
Prisonniers arméniens détenus illégalement à Bakou
Mme Marie-Arlette Carlotti . - En septembre 2023, l'attaque fulgurante de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh a fait des milliers de morts et a poussé à l'exode la quasi-totalité de la population - plus de 100 000 Arméniens - sans autre choix que de partir ou mourir.
La communauté internationale se félicite de l'annonce d'un futur traité de paix, mais nous savons très peu de choses sur son contenu ; faute d'alliés puissants, l'Arménie a dû faire beaucoup de concessions.
Les prisonniers de guerre arméniens ne peuvent être les oubliés des négociations ; 23 d'entre eux croupissent dans les geôles azerbaïdjanaises : anciens dirigeants de l'Artsakh, journalistes, militants des droits humains. Le 17 janvier, à Bakou, s'est ouvert un simulacre de procès, véritable théâtre de l'horreur. Nous avons vu leurs visages émaciés, leurs corps éprouvés par les privations. Tous sont torturés, humiliés. L'eau leur est refusée, la lumière ne s'éteint jamais, visites et soins médicaux sont interdits. Certains sont battus, d'autres vont disparaître dans l'anonymat. La France va-t-elle à son tour les abandonner ? Que faisons-nous pour les sortir de là ?
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux . - La France suit attentivement le procès des Arméniens du Haut-Karabakh devant le tribunal militaire. Nous sommes particulièrement attentifs aux alertes des ONG sur l'équité des procès et le traitement des accusés. Nous avons rappelé à plusieurs reprises au gouvernement azerbaïdjanais ses obligations internationales en matière de respect des droits fondamentaux, notamment le droit à une procédure régulière et à un procès équitable, ainsi que des conditions de détention dignes et sûres. Les signalements de torture et de mauvais traitements doivent faire l'objet d'une enquête rapide et impartiale.
Il faut une paix durable. Nous avons salué l'aboutissement des négociations et appelons à fixer sans délai une date pour la signature du traité de paix. La normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, dans le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des deux États, doit permettre au Sud Caucase de devenir un espace de paix, d'intégration et de coopération avec des frontières ouvertes. Nous continuons à suivre cette situation de très près ; nous connaissons votre engagement et vous ferons un complément de réponse par écrit si vous le souhaitez.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Merci.
Situation critique en République démocratique du Congo
M. Akli Mellouli . - La République démocratique du Congo (RDC) s'enfonce dans une crise aux ramifications régionales et internationales alarmantes. Cette guerre hybride est alimentée par des intérêts économiques, miniers et stratégiques qui échappent aux logiques classiques.
Le mouvement M23, soutenu par le Rwanda, s'inscrit dans une toile complexe d'ingérences, de prédation des ressources naturelles et de reconfiguration d'alliances régionales. Ce groupe armé, responsable d'exactions massives, avance en territoire congolais avec des moyens militaires incompatibles avec une simple rébellion locale. Ce n'est pas une guerre civile, c'est une agression dissimulée aux conséquences humanitaires désastreuses : plus de 6,9 millions de déplacés internes, des milliers de civils massacrés, des violences sexuelles systématisées, des structures de santé débordées, notamment à Goma, où plus de 4 500 blessés ont été pris en charge fin février.
Ce drame résonne douloureusement en France. De nombreux Français d'origine congolaise vivent dans l'angoisse, impuissants face au cauchemar de leurs proches. Joseph, un jeune collégien de Vitry, présent en tribune, m'a fait part de son désespoir alors que sa famille est restée à l'est du pays.
La France reste trop prudente - jusqu'à quand ? Quelle ligne rouge devra-t-elle être franchie pour qu'elle sorte de l'ambiguïté, alors que la souveraineté congolaise s'effondre ? La France est-elle enfin prête à nommer les responsabilités pour mettre fin à ce conflit qui menace tout l'équilibre de l'Afrique centrale et à prendre des sanctions, comme l'Allemagne et le Canada ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux . - La diplomatie française est mobilisée sur tous les fronts pour que la paix revienne dans cette région qui a déjà été trop meurtrie. Notre objectif : obtenir un cessez-le-feu et la reprise du dialogue entre les parties. Le président de la République et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sont en contact régulier avec leurs homologues de la région. Jean-Noël Barrot s'est rendu à Kinshasa et à Kigali fin janvier, porteur d'un message clair : le droit international doit être respecté, les armes ne résoudront pas les problématiques complexes de l'est de la RDC.
Au Conseil de sécurité de l'ONU, la diplomatie française a porté la résolution 2773, adoptée à l'unanimité le 21 février dernier, qui condamne pour la première fois clairement l'offensive et appelle le Rwanda à mettre fin à son soutien au M23 et à se retirer du territoire de la RDC. C'est un message fort et unanime.
À Bruxelles, nous avons adopté de nouvelles mesures contre neuf personnalités du M23 et de l'armée rwandaise et une entité, et sommes ouverts à d'autres mesures.
Nous avons décidé d'un appui humanitaire additionnel de 3 millions d'euros. Nous sommes mobilisés sur tous les fronts pour que les conditions d'une paix et d'une prospérité durables soient enfin réunies.
Création d'une « MDPH 99 » pour les Français établis hors de France
Mme Hélène Conway-Mouret . - Pour les Français de l'étranger, la reconnaissance du handicap d'un enfant puis l'obtention d'aide pour recruter un accompagnant d'élève en situation de handicap (AESH) relèvent du parcours du combattant.
Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) sont des guichets uniques qui recueillent toutes les demandes. Si les Français vivant à l'étranger peuvent choisir n'importe quelle MDPH, celle de Paris est la plus sollicitée avec 119 demandes l'année dernière contre 13 dans le Rhône. La procédure est longue, complexe et mal adaptée aux spécificités des Français résidant hors de France.
En concertation avec les conseillers des Français de l'étranger, j'avais proposé la création d'une MDPH dédiée aux Français de l'étranger. Cette piste a été écartée, faute d'un nombre de demandes jugé suffisant. Pourtant, le nombre de bénéficiaires d'AESH est passé de 69 en 2015-2016 à 474 en 2023-2024.
Les besoins sont réels et les dysfonctionnements persistent malgré les efforts des différents groupes de travail. Pourquoi ne pas implanter un guichet au sein d'une MDPH existante qui centraliserait les demandes et dont le personnel serait spécifiquement formé ? Cela réduirait les délais de traitement, améliorerait l'accompagnement des familles et garantirait que l'école inclusive soit accessible à tous nos enfants, où qu'ils se trouvent.
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux . - L'accompagnement des familles des enfants en situation de handicap à l'étranger constitue une priorité de l'action sociale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. En 2024, 821 allocations d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et 473 aides au financement des AESH ont été versées, pour 4,1 millions d'euros.
Le ministère a engagé un dialogue avec la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et le ministère de la santé afin de sensibiliser les MDPH à l'harmonisation des pratiques et à l'accélération du traitement des dossiers. Une fiche technique sur les spécificités des Français de l'étranger est en cours d'actualisation.
Pour toute urgence ou lorsque le délai d'instruction se prolonge, nos services saisissent la MDPH concernée pour inscrire le dossier à la commission pluridisciplinaire.
La création d'une MDPH dédiée aux Français de l'étranger n'a pas été retenue en raison du nombre limité des allocataires en situation de handicap résidant à l'étranger au regard du nombre moyen d'allocataires gérés par une MDPH en France.
L'AEFE travaille avec la CNSA pour faciliter les procédures pour obtenir un AESH. Des facilités peuvent être mises en place en cas de difficulté de paiement, notamment pour les familles boursières à 100 %.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Malgré vos efforts, des difficultés demeurent. Examinez ma proposition.
Circulaire relative aux aspirations endotrachéales
M. Pascal Martin . - La circulaire du 22 novembre 1999 relative aux aspirations endotrachéales entraîne des difficultés d'application pour les parents dont les enfants sont atteints de maladies rares qui les empêchent de s'alimenter par eux-mêmes. En effet, elle prévoit que le maintien de la liberté des voies respiratoires nécessite des aspirations endotrachéales périodiques, qui peuvent être pratiquées par les parents et, en cas d'indisponibilité, par des infirmiers et des masseurs kinésithérapeutes habilités à accomplir ces gestes, ainsi que sur prescription médicale par les personnes ayant suivi une formation ad hoc en l'absence d'infirmiers. Les infirmières libérales refusent souvent d'intervenir : la gastrotomie est un acte jugé trop contraignant. Les parents sont alors obligés de s'absenter de leur travail pour brancher et débrancher l'alimentation de leur enfant, y compris lorsqu'il est à l'école, car le personnel scolaire n'est pas autorisé à le faire. De nombreux parents manquent de tiers susceptibles d'assurer, périodiquement et très rapidement, ces aspirations. Dans certains instituts médico-éducatifs (IME), les infirmiers en charge des enfants trachéotomisés ne peuvent assurer des soins réguliers en raison de leur surcharge de travail.
Quelles sont les solutions envisagées lorsque les parents, souvent désemparés, ne peuvent s'absenter de leur travail et qu'ils ne parviennent pas à recourir aux personnes autorisées par la circulaire pour intervenir rapidement sur leurs enfants ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Les familles sont souvent stressées par cette situation de nécessité vitale. Le maintien de la liberté des voies respiratoires nécessite chez les personnes trachéotomisées des aspirations endotrachéales périodiques qui ne peuvent être planifiées et doivent être effectuées très rapidement. Les patients qui ont l'usage de leurs mains les réalisent eux-mêmes. Lorsque ce n'est pas le cas, ils doivent avoir recours à l'assistance d'un tiers.
Jusqu'en 1999, seuls les infirmiers et les masseurs kinésithérapeutes étaient habilités à accomplir ce geste, ce qui compromettait le retour à domicile ou l'accueil en structure d'hébergement de personnes dont l'état ne nécessitait plus une hospitalisation. Les textes parus en 1999 ont permis à toute personne ayant suivi une formation ad hoc à pratiquer ces aspirations en l'absence d'un infirmier.
Les problèmes soulevés relèvent de l'organisation et d'un manque de personnel. Des solutions liées à l'environnement de chaque personne sont à trouver dans le dialogue et dans l'organisation. Le personnel scolaire est parfaitement autorisé à faire ce geste s'il a suivi cette courte formation. En 2021, nous avons ajouté cet acte dans la formation des aides-soignants et des ambulanciers afin d'augmenter le nombre de personnes formées susceptibles d'intervenir.
Une concertation dans le cadre de la refonte de la profession d'infirmier a été lancée depuis 2023, aboutissant au vote en première lecture à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi élargissant les compétences des infirmiers. Cette problématique spécifique sera abordée avec les infirmiers libéraux et il n'y aura aucun blocage dans les textes. C'est une absolue nécessité tant pour les personnes concernées que pour leur entourage.
Projet de décret menaçant le secteur de la petite enfance
M. Stéphane Le Rudulier . - Le décret relatif à la nouvelle procédure d'autorisation d'accueil du jeune enfant et de renforcement de la qualité de l'accueil dans les microcrèches doit entrer en vigueur le 1er janvier 2026 et suscite de nombreuses inquiétudes chez les professionnels de la petite enfance.
Personne n'a rien de plus précieux à confier que ses enfants. Aligner les normes d'encadrement dans les microcrèches à celles en vigueur dans les crèches de petite taille est un objectif louable et partagé par tous. Mais l'État est actuellement incapable de former un nombre suffisant de candidats pour répondre aux besoins d'encadrement, ce qui pourrait faire disparaître 80 000 places d'accueil et plusieurs milliers de microcrèches, alors que nous manquons de professionnels qualifiés.
Pouvez-vous confirmer que cette réforme ne s'appliquera pas aux 15 000 professionnels déjà en poste titulaires d'un CAP Petite Enfance et que le niveau de qualification exigé ne concernera que les recrutements à compter du 1er septembre 2026 ? Pouvez-vous entamer une concertation sur le calendrier de cette réforme, la formation et la mise en oeuvre de mesures transitoires ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Ce projet de décret est fondamental pour assurer la qualité d'accueil du jeune enfant. De nombreuses informations erronées ont circulé. Il vise à aligner les normes d'encadrement des microcrèches sur les petites crèches. Les microcrèches devront compter au moins un professionnel de catégorie 1 - et l'accueil de moins de trois enfants par un seul professionnel, sous réserve qu'il soit titulaire de ce diplôme. Par ailleurs, un directeur ne pourra exercer des fonctions de direction que pour deux établissements au maximum.
Ce décret n'entrera en vigueur qu'à compter du 1er septembre 2026. Les auxiliaires de puériculture ou tout autre référent technique avant cette date pourront être maintenus sur leur poste. Les titulaires d'un CAP n'auront pas à acquérir le diplôme d'État d'auxiliaire de puériculture et pourront continuer à exercer. De nombreuses crèches disposent déjà d'un ou d'une directrice, d'un référent technique pour deux structures et de 40 % de personnel qualifié. Ces mesures sont essentielles pour respecter les besoins des enfants et leur sécurité.
L'État n'abandonne pas les microcrèches. Il finance ces établissements, notamment par le versement aux parents du complément de libre choix du mode de garde (CMG). Le prix de revient moyen des microcrèches reste inférieur au plafond de 10 euros ; je ne dispose à ce jour d'aucun élément financier démontrant l'inverse.
Pour reconnaître l'engagement des professionnels et renforcer l'attractivité des métiers, le Gouvernement facilitera l'accès au diplôme d'État d'auxiliaire de puériculture ou de tout autre diplôme de catégorie 1 par voie de validation des acquis de l'expérience.
M. Stéphane Le Rudulier. - Une mobilisation importante s'est tenue en février. Il est urgent d'ouvrir la concertation avec les professionnels du secteur et les élus locaux pour améliorer la qualité de l'accueil et augmenter les effectifs.
Résidences de répit partagé
M. Olivier Rietmann . - En France, plus de 11 millions de personnes soutiennent un proche en situation de handicap, de perte d'autonomie ou de maladie, et ce nombre devrait augmenter. En décembre 2022, l'Igas préconisait notamment le développement des séjours de vacances aidés-aidants, solution reprise par la stratégie Agir pour les aidants. L'Igas déplore toutefois le peu d'appels à projets ou à manifestations d'intérêt et la réticence des ARS à financer ce type d'offre. C'est pourtant une solution plébiscitée, comme en ont témoigné les amendements de Philippe Mouiller, Patrick Kanner et Monique Lubin lors de l'examen des textes budgétaires pour 2025. L'annexe du dernier PLFSS indique ainsi que 80 millions d'euros y seraient en partie consacrés. Sur le terrain, cette hausse est attendue par les ARS et par les porteurs de projet - je pense notamment à Luxeuil-les-Bains, qui offrirait aux aidants un accès aux soins thermaux. Madame la ministre, cette enveloppe servira-t-elle au déploiement de nouvelles places en résidence de répit partagé ? Comment inciterez-vous les ARS à s'en saisir ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Le rôle des aidants familiaux est essentiel dans cette chaîne de solidarité, mais aussi de vulnérabilité. Leur engagement a un effet sur leur santé, leur activité professionnelle, leur bien-être, leur temps libre. Ils expriment un besoin de répit ; pour y répondre, la stratégie de mobilisation et de soutien pour les aidants 2023-2027, dotée de 100 millions d'euros, compte un chapitre qui y est consacré avec l'objectif de créer 6 000 places supplémentaires d'ici 2027. Les résidences de répit partagé offrent effectivement à des personnes en perte d'autonomie, des séjours de vacances avec leurs proches aidants. En 2019, la France en comptait trois et nous n'en sommes effectivement qu'au début. Un engagement a été pris en 2024 d'en créer deux en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, avec 2,6 millions d'euros de crédits à la clé. Pour Luxeuil-les-Bains, l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté n'a reçu aucun dossier formel. Seule une demande de rendez-vous de l'association - dont je salue le président - est parvenue à l'ARS Bourgogne-Franche-Comté qui examinera le dossier avec la plus grande attention.
Baisse de la prise en charge de l'apprentissage
M. Stéphane Piednoir . - Grâce à l'apprentissage, les entreprises recrutent à un coût significativement moins élevé que des jeunes diplômés. Le cap du million de jeunes en apprentissage a été franchi l'an dernier, mais l'augmentation du reste à charge risque d'aboutir à une baisse substantielle. C'est regrettable : les étudiants les moins favorisés verront leur accès à des études de qualité limitées. Les aides à l'apprentissage ont certes créé un appel d'air pour des écoles lucratives peu scrupuleuses qui accueillent 15 % des étudiants, mais à l'inverse, les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig), qui réinvestissent l'intégralité de leurs revenus dans la formation, ne pourront pas absorber cette baisse. Il faut certes réduire la dépense publique, mais en prenant en compte la qualité des formations. Pouvez-vous fixer des critères objectifs en la matière ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - L'apprentissage a fait l'objet d'une révolution culturelle : la France a fait le choix de l'étendre à tous les jeunes, quel que soit leur niveau de qualification, pour montrer, dans un pays obsédé par les diplômes, que ce n'était pas une voie de garage. Les aides aux entreprises ont été rationalisées, passant de 6 000 à 5 000 euros pour celles de moins de 250 salariés qui concentrent 80 % des apprentis, et nous allons continuer. Nous devons aussi adapter les offres d'apprentissage aux besoins de l'économie et aux métiers d'avenir. Nous avons lancé fin novembre une concertation avec les branches professionnelles pour qu'elles puissent décider de variations beaucoup plus fortes. Cela passe aussi par une plus grande information des jeunes et des familles avec Parcoursup ou Inserjeunes, qui donnent des perspectives sur le taux d'emploi et les rémunérations attendues. Il faut enfin de meilleurs contrôles qualité ; nous y travaillons avec la ministre de l'éducation nationale et mon collègue de l'enseignement supérieur : une régulation est à faire, non simplement via Qualiopi et le travail de la Cour des comptes, mais également sur le contenu des formations.
Généralisation des déclarations préremplies pour le RSA
M. Jean-Gérard Paumier . - L'État a récemment décidé de simplifier les démarches d'accès au RSA et à la prime d'activité en lançant Solidarité à la source, dispositif calqué sur le prélèvement à la source des impôts, qui devrait bénéficier à plus de 6 millions de Français. S'il n'y a eu aucune étude d'impact, une expérimentation a au moins eu le mérite d'être lancée depuis deux mois dans les Alpes-Maritimes, l'Aube, l'Hérault, les Pyrénées-Atlantiques et la Vendée. Par un décret du 1er mars, le Gouvernement l'a toutefois généralisée, sans évaluation. Quelle étrange méthode, quand on connaît la charge financière que cela représente pour des départements déjà en difficulté, et sans prise en compte des propositions de Départements de France : nous avons là tous les ingrédients d'une réforme mal engagée... Comment expliquez-vous cette généralisation dans un calendrier aussi précipité ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - La solidarité à la source, effective depuis le 1er mars 2025, est une avancée concrète de simplification pour un meilleur accès des droits des plus fragiles et une meilleure allocation des ressources par la diminution des indus et une lutte plus efficace contre la fraude. Pourquoi généraliser ? Parce qu'aucun dysfonctionnement majeur n'a été constaté et que la réforme a été bien accueillie par les allocataires. Les déclarations préremplies sont très peu corrigées par ces derniers et, après vérification, ces corrections sont majoritairement faites à tort. Enfin, à la demande de Départements de France, un comité mensuel de suivi de la réforme s'est réuni pour la première fois vendredi dernier.
C'est une simplification très concrète pour nos concitoyens, génératrice d'économies ; c'est aussi le premier bloc d'une réforme attendue, l'allocation sociale unifiée, chère à Michel Barnier et reprise par le Gouvernement, afin de bien différencier les minima sociaux et le travail, qui doit payer plus.
M. Jean-Gérard Paumier. - Le Gouvernement avait soutenu récemment la prorogation de l'expérimentation du dispositif pour plus d'égalité des chances concernant différentes écoles de service public. Mais là, il généralise à marche forcée, sans consultation ni évaluation : les départements sont inquiets ! Rassurez-les.
Police ou gendarmerie : cas d'une portion d'autoroute
M. Daniel Fargeot . - Le rapport de la Cour des comptes du 13 janvier pointe un problème structurel dans la répartition des zones de compétences entre police et gendarmerie. La portion d'autoroute A1 de 13 km entre Surville et Roissy-en-France, dans le Val-d'Oise, en est un exemple concret : elle relève de la compétence de la compagnie CRS-7 autoroutière Nord-Île-de-France placée sous l'autorité de la préfecture de police, mais du fait de son éloignement géographique et des priorités d'intervention, cette dernière n'intervient que rarement, délaissant cette zone et ouvrant la voie à des runs sauvages et à des intrusions de migrants, par exemple.
Les autorités locales, le préfet du Val-d'Oise, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et le procureur de la République sont unanimes : il faut transférer cette portion d'autoroute en zone gendarmerie, en continuité avec l'Oise voisine. Même la préfecture de police ne semble pas s'y opposer, mais la décision resterait bloquée à la direction générale de la police nationale (DGPN). Cet axe autoroutier est un corridor stratégique ; pourquoi cette inertie bloque-t-elle une décision de bon sens attendue par tous les acteurs de terrain ? Le Gouvernement tente-t-il de clarifier cette situation ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Non, les policiers de la CRS autoroutière Nord-Île-de-France ne négligent pas cette zone, bien au contraire - je tiens à saluer leur engagement : en 2024, ils ont procédé à plus de 360 interventions pour accidents de la circulation, vols de fret, rodéos, délits routiers ; ils ont dressé plus de 700 procès-verbaux électroniques et traité plus de 200 délits, sans parler de lutte contre la vitesse excessive.
Pour autant, la répartition des compétences peut faire l'objet d'une réflexion concertée, mais rassurez-vous : aucune décision n'est bloquée au niveau de la DGPN. Le rapport de la Cour des comptes souligne la particularité de cette portion d'autoroute qui est de la compétence de la police pour la sécurité routière comme pour l'ordre public et la police judiciaire. En tout état de cause, soyez certains qu'indépendamment des zones de compétence, policiers comme gendarmes sont pleinement mobilisés pour l'A1.
Bonification des trimestres des sapeurs-pompiers volontaires
M. Patrice Joly . - Il y a près de deux ans, la loi du 14 avril 2023 octroyait aux sapeurs-pompiers volontaires justifiant d'au moins dix années d'engagement un trimestre pour les dix premières années et un trimestre par période de cinq années supplémentaires. Cette mesure de reconnaissance reste toutefois suspendue à la publication d'un décret d'application. Faut-il rappeler que les sapeurs-pompiers volontaires représentent près de 78 % des effectifs et jouent un rôle fondamental, notamment dans les zones rurales et périurbaines, en particulier avec le changement climatique, les catastrophes naturelles et les crises sanitaires ? Sans eux, notre dispositif de sécurité serait fragilisé.
Malgré l'engagement de Sabrina Agresti-Roubache pris en décembre ici même, ce décret n'a toujours pas été publié. Cette situation engendre des interrogations légitimes, notamment sur la prise en compte des années de service antérieures à 2023, et pourrait freiner le recrutement des nouveaux volontaires : la perspective d'une bonification de retraite constitue un levier majeur pour attirer et retenir ces femmes et hommes indispensables à notre sécurité. Pouvez-vous préciser la date de publication de ce décret et garantir qu'il s'appliquera à l'ensemble des sapeurs-pompiers volontaires, qu'ils aient effectué des carrières complètes ou non ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - L'engagement des 200 000 sapeurs-pompiers volontaires est remis en question par leur possible requalification en travailleurs. Ce sont des citoyens engagés, qu'il faut reconnaître, et le Gouvernement leur rend hommage. Le décret d'application de la mesure que vous citez n'a pas encore été pris : les premières écritures ne satisfaisaient pas l'esprit de la loi. Le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, est favorable à ce que l'attribution de trimestres soit progressive en s'ajoutant à des années complètes de cotisation. La concertation nécessite du temps pour ne pas aboutir à une situation insatisfaisante pour nos sapeurs-pompiers. Des travaux en interministériel ont repris ; comme vous, nous souhaitons qu'ils aboutissent le plus rapidement possible. Je ne peux pas vous donner de date, mais notre implication devrait vous rassurer.
Indemnisation à la suite de catastrophes naturelles
M. Philippe Grosvalet . - Chaque année, l'état de catastrophe naturelle est attribué à 6 000 communes à la suite d'inondations, qui, à elles seules, entraînent des indemnisations de l'ordre de 20 milliards d'euros. Les dommages subis par le magasin Leclerc de Saint-Nicolas-de-Redon sont estimés à 9 millions d'euros ; pour la galerie marchande, le montant s'élève à 6 millions d'euros.
Résultat : les assureurs sont réticents à assurer les équipements publics des communes en raison des risques climatiques, comme le signalait déjà notre collègue Jean-Yves Roux en 2021. Les entreprises et les particuliers risquent eux aussi d'être touchés. Or il faut être couvert par un contrat d'assurance pour bénéficier de l'indemnisation.
Comment le Gouvernement compte-t-il garantir les indemnisations en cas de sinistre ? Quelles suites seront données au rapport sur l'assurabilité des collectivités, remis au Gouvernement au mois d'avril dernier ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Face à la hausse de la sinistralité, le régime d'indemnisation, créé en 1982, est soumis à de fortes contraintes financières. C'est pourquoi le taux de la surprime CatNat a augmenté le 1er janvier 2025 : les ressources du régime augmenteront de 1,2 milliard d'euros par an.
Les collectivités rencontrent de plus en plus de difficultés à s'assurer, car les compagnies résilient des contrats ou imposent des conditions tarifaires difficilement soutenables.
Mais des solutions existent. Malgré un contexte budgétaire très contraint, l'État a augmenté de 145 millions d'euros les crédits du fonds Barnier, qui permet aux collectivités de se protéger contre les risques naturels. S'engager dans ces travaux réduit aussi le montant des primes demandées par les assureurs.
Délai d'attente pour passer l'examen du permis de conduire
M. Guislain Cambier . - La mobilité favorise l'épanouissement, mais surtout l'insertion économique et sociale de chacun. Dans nos territoires ruraux, pourtant situés à quelques encablures des métropoles, l'accès à l'examen du permis de conduire est problématique. Dans le Cambrésis, le délai d'attente est de neuf mois pour le permis auto ; les écoles situées en dehors de l'Avesnois sont favorisées pour l'attribution des places pour le permis moto.
Résultat : faute de visibilité sur la date d'examen, de nombreux élèves prennent la route sans permis pour se rendre au travail. Ainsi, on estime à 100 000 le nombre de conducteurs roulant sans permis. Alors que l'offre de transport est souvent inexistante dans nos territoires, ne pas pouvoir conduire favorise l'isolement. Peut-on enfin être attentif à la situation du Cambrésis et de l'Avesnois ? Les auto-écoles se retrouvent, elles aussi, en grande difficulté.
L'inégalité entre zones urbaines et territoires ruraux est flagrante et se renforce. Quelles solutions le Gouvernement compte-t-il instaurer pour réduire ces délais ? Augmenterez-vous le nombre d'inspecteurs ou déploierez-vous un dispositif spécifique pour ces zones périphériques dans lesquelles vivent 40 % des Français ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Le département du Nord se situe dans la moyenne nationale, avec un délai de passage de la deuxième épreuve pratique après un échec à la première de 76 jours, contre 77 au niveau national ; un taux de réussite à l'examen de 57,60 %, pour 58,77 % au niveau national ; enfin, un seuil formateur, c'est-à-dire le nombre d'élèves pris en compte par un formateur, de 5,4 pour 5,8 au niveau national.
Le Nord dispose de 50 postes d'inspecteurs qui seront tous pourvus dans les prochains mois : les six postes vacants ont en effet été attribués à des lauréats du concours. En outre, un inspecteur retraité continuera à réaliser des examens dès le 1er avril prochain. La situation s'améliore, donc.
M. Guislain Cambier. - Même si les chiffres que vous évoquez sont des moyennes, je vous remercie pour cette bonne nouvelle. Veillons toutefois à ce que les grandes entreprises, situées en dehors du territoire, ne phagocytent pas toutes les places offertes aux examens.
Avenir de l'écocontribution
M. Didier Mandelli . - Les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) doivent verser une écocontribution pour gérer la fin de vie des produits que celles-ci mettent sur le marché. La loi Agec a porté à 25 le nombre de filières concernées.
Les principes de non-réfaction et de répercussion à l'identique de l'écocontribution ne seront malheureusement plus obligatoires pour la filière REP de l'ameublement après le 31 décembre 2025 : celle-ci risque d'être déstabilisée.
La multiplication et l'accumulation des prises de marges sur l'écocontribution augmentent artificiellement le prix des produits et conduisent certains professionnels à remettre en cause le versement de ces écocontributions. Il est donc urgent de pérenniser la non-réfaction et la répercussion à l'identique pour l'ensemble des filières. Le Gouvernement est-il favorable à cette demande ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Affichage du montant de l'écocontribution sur la facture, impossibilité de négocier son montant à la hausse ou à la baisse sur l'ensemble de la chaîne : ce que l'on appelle la contribution visible sécurise le dispositif.
La responsabilité élargie du producteur découle du principe pollueur-payeur. L'écocontribution incite les producteurs à améliorer l'écoconception de leurs produits.
Dans la filière des équipements électriques et électroniques et celle des meubles, la contribution visible est répercutée jusqu'au consommateur final : cela évite que celle-ci fasse l'objet de négociations tarifaires tout au long de la chaîne de distribution. A contrario, ce dispositif est moins favorable à l'écoconception des produits ; il implique des charges administratives pour tous les acteurs ; enfin, il réduit l'intensité concurrentielle.
Ces dispositions présentent donc des avantages et des inconvénients, qui seront étudiés lors des travaux de la filière REP du bâtiment, annoncés récemment par Agnès Pannier-Runacher. (Mme Anne-Catherine Loisier ironise.)
M. Didier Mandelli. - Je suis assez circonspect. Voilà plusieurs mois que j'alerte le Gouvernement sur cette situation. La contribution visible est indispensable. Qu'une nouvelle concertation ait lieu, très bien ! Mais la filière ameublement et celle des produits et matériaux de construction du bâtiment ont besoin de visibilité.
Indemnisation à la suite d'attaques de loups (I)
Mme Frédérique Puissat . - Nous, sénateurs de tous bords politiques, sommes nombreux à vous interpeller sur les enjeux liés à la prédation du loup. Nous ne lâcherons pas, car nous sommes conscients du travail des éleveurs et de leurs souffrances.
La grille d'indemnisation établie en février 2024 tient compte de plusieurs paramètres, dont l'âge et la finalité de l'animal. Mais elle n'opère pas de distinction entre les brebis allaitantes, gestantes ou non suitées : cela nous semble inéquitable, car la prédation de brebis gestante entraîne une indemnisation pour la seule brebis, et non pour l'agneau porté par celle-ci. J'ai à l'esprit l'exemple d'un agriculteur ayant retiré les agneaux du ventre de la mère après une attaque.
Comptez-vous réviser la grille pour tenir compte de ce paramètre ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Deux réunions se tiendront aujourd'hui sur ce sujet extrêmement important.
Les éleveurs peuvent être indemnisés au titre des pertes directes et indirectes subies par leur troupeau, en application de l'arrêté du 22 février 2024. Les pertes directes correspondent à la perte d'animaux vivants, qui sont indemnisés pour leur valeur intrinsèque. Le montant de ces indemnisations a été revalorisé de 30 % en février 2024. L'indemnisation des femelles gestantes ou reproductrices est deux à cinq fois plus élevée que celle des agneaux.
Les pertes indirectes sont liées au stress et à la perturbation du troupeau, avec comme conséquence des avortements ou des baisses de lactation, entre autres. Le montant est fixé de façon forfaitaire selon la taille du troupeau attaqué ; cela n'est pas satisfaisant. C'est pourquoi le calcul de ces pertes indirectes est en cours de révision, dans le cadre du plan national d'actions 2024-2029 sur le loup et les activités d'élevage.
Mme Frédérique Puissat. - Nous suivrons ces travaux avec attention. Je pense aux éleveurs, alors que débutent les estives. Dans tous les territoires, c'est la panique : nous comptons sur le Gouvernement.
Indemnisation à la suite d'attaques de loups (II)
Mme Anne-Catherine Loisier . - Ma collègue a évoqué les pertes directes. Pour ma part, je concentrerai mon propos sur les pertes indirectes, calculées selon la taille du troupeau.
Les zones de polyculture comptent souvent des troupeaux de moins de cent animaux. En l'occurrence, l'indemnisation consiste en un forfait de 150 euros, auquel s'ajoutent quelques centimes par bêtes concernées. Ces éleveurs de zones intermédiaires rencontrent donc de graves difficultés : un agneau valant 90 euros à la naissance, la perte peut rapidement s'élever à plusieurs milliers d'euros pour l'exploitant.
Avortements sur les bêtes pourchassées, dommages sur les clôtures, achat de nouvelles agnelles, frais bancaires : autant de surcoûts pour les éleveurs. Alors que le coût d'une agnelle s'élève à 250 euros, les forfaits en vigueur ne sont pas à la hauteur des pertes réelles. Les éleveurs, dont les revenus sont faibles, sont en situation de grande détresse.
Le Gouvernement compte-t-il mieux indemniser les troupeaux de moins de cent animaux ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Chacun mesure l'impact économique de ce phénomène qui s'étend au-delà des territoires traditionnellement concernés.
Je l'ai dit tout à l'heure : les éleveurs peuvent être indemnisés au titre des pertes directes et indirectes subies par leur troupeau, en application de l'arrêté du 22 février 2024. L'indemnisation des femelles gestantes ou reproductrices est deux à cinq fois plus élevée que celle des agneaux.
Un travail est en cours pour affiner l'indemnisation de ces pertes indirectes. Nous souhaitons que ces travaux aboutissent le plus rapidement possible afin de réviser l'arrêté de février 2024.
Les éleveurs bénéficient d'un accompagnement financier en vue d'installer des clôtures électriques. En cas de dégradation, les réparations peuvent être indemnisées à hauteur de 80 % dans le cadre d'un contrat de protection. Je vous invite à prendre contact avec vos préfets, extrêmement mobilisés sur ce sujet.
Projet de parc éolien - Gâtinais Val-de-Loing
M. Louis Vogel . - Le projet de construction et d'exploitation du parc éolien de la Tonnelle, situé sur les communes de Souppes-sur-Loing, Poligny et Bagneaux-sur-Loing, prévoit l'implantation d'éoliennes à 1,2 km du centre-bourg de Poligny et à 3 km de Souppes-sur-Loing. La communauté de communes Gâtinais Val-de-Loing se mobilise fortement en faveur des énergies renouvelables : pas moins de 25 éoliennes sont ainsi déjà en place. Or la communauté de communes et les communes incluses dans la zone d'implantation potentielle s'opposent au projet, sur lequel la concertation est ouverte depuis le 5 février 2025.
Si le tracé réalisé respecte bien plusieurs contraintes posées par les services de l'État compétents et les gestionnaires de réseaux, la voix des collectivités doit être entendue. Quelle est la position du Gouvernement sur ce projet ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Je connais votre attachement à votre territoire et au dialogue avec les élus locaux, dont le rôle dans la transition écologique est primordial. L'éolien terrestre est essentiel à l'atteinte de nos objectifs environnementaux, mais il soulève également des interrogations.
La voix des territoires et des élus locaux doit être entendue dans les processus d'élaboration des projets d'énergies renouvelables. Le Gouvernement a exprimé son intention de la prendre en compte. L'analyse des contributions à l'enquête en cours fondera la décision du préfet d'autoriser ou non ce projet de parc éolien. Si ce dernier est mis en oeuvre, il pourra être soumis à des mesures de compensation.
M. Louis Vogel. - Je sais votre souci de faire entendre la voix des collectivités territoriales. Je fais confiance à votre ministère pour que ce projet en tienne compte. Les collectivités ne s'opposent pas à ce projet par conservatisme, mais par souci de sauvegarder la ruralité.
Conséquences du règlement européen 2023/1115 sur la Guyane
M. Georges Patient . - La Guyane sera-t-elle une fois de plus sacrifiée sur l'autel de la bonne conscience écologique ? Couverte à plus de 96 % par la forêt, dont 95 % de forêt primaire, elle sera une victime collatérale du règlement européen 2023/1115 relatif à la lutte contre la déforestation importée, qui omet la réalité de ce territoire. Une nouvelle fois, l'Union européenne légifère en oubliant les régions ultrapériphériques.
La Guyane est la seule région française dont la surface agricole utile croît en continu pour répondre à la croissance démographique et au défi de la souveraineté alimentaire. Le passage de 20 % à 50 % d'autosuffisance pour la production bovine à horizon 2030 a été acté dans le schéma d'aménagement régional. Or ce règlement interdit la mise sur le marché de certaines productions agricoles - bovins, cacao, café, huile de palme, bois - si elles ont été produites sur des terres défrichées après le 30 décembre 2020, ce qui mettra un coup d'arrêt brutal à des productions locales essentielles et bloquera le développement de la filière de production d'huile de palme.
Le Gouvernement doit agir vite et fort et demander une dérogation à ce règlement pour la Guyane. Après l'interdiction des forages pétroliers, les difficultés rencontrées par les employeurs locaux, le blocage des aides aux pêcheurs, trop, c'est trop !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - J'entends votre inquiétude. Le règlement que vous citez, partie importante du pacte vert européen, limite l'entrée sur le marché européen et l'exportation de certains produits de base associés à la déforestation et à la dégradation des forêts. La spécificité de la Guyane a été bien identifiée. Le schéma d'aménagement régional confère à certains espaces une vocation agricole. Le Gouvernement est très attentif à cette alerte. Nous sommes pleinement mobilisés pour faire passer ces messages auprès de la Commission européenne.
Structures judiciaires à Mayotte
M. Saïd Omar Oili . - Le directeur de la prison de Majicavo a démissionné en octobre dernier pour dénoncer la surpopulation carcérale, cause de tensions croissantes entre les détenus et le personnel pénitentiaire, éprouvé dernièrement par la mutinerie du 28 septembre 2024. Le taux d'occupation de cette prison est de 650 détenus pour une capacité de 278 places. La surpopulation est renforcée par le manque de structures judiciaires. Une cité judiciaire, un second centre pénitentiaire et un centre de semi-libertés avaient été annoncés.
Le 22 octobre 2024, j'ai sollicité par courrier le ministre de l'époque pour connaître l'état d'avancement de ces projets. Le 28 octobre, le garde des sceaux m'a répondu que leur calendrier de construction me serait rapidement communiqué. Je n'ai rien reçu. Pourriez-vous me communiquer cette information ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - J'adresse mon plein soutien ainsi que celui du Gouvernement à nos concitoyens mahorais. Le personnel de la justice assure sur place la continuité de ses missions avec courage et résilience, dans un contexte difficile. Le projet de la cité judiciaire de Mayotte regroupera des juridictions dispersées actuellement sur quatre sites. Un terrain a été identifié, le démarrage de la phase d'étude est prévu en 2026. La construction d'un second centre pénitentiaire à Mayotte a été annoncée en 2022, pour 400 places. En mars 2023, des recherches foncières ont débuté. Le garde des sceaux a demandé à ses services de se rendre sur place pour poursuivre les échanges avec les acteurs locaux et procéder aux évaluations géotechniques nécessaires.
Aucun centre de semi-liberté indépendant n'est prévu pour le moment. En revanche, l'intégration d'un tel centre dans le second centre pénitentiaire de Mayotte sera envisageable une fois que sa construction aura été lancée.
M. Saïd Omar Oili. - Les élus locaux ne sont au courant de rien. Parmi la dizaine de terrains que nous avions proposés pour la construction de la deuxième prison, aucun ne convenait au ministère de la justice. Dites-nous la vérité : voulons-nous réellement construire cette deuxième prison, qui est indispensable ? Associez-nous dans la recherche de terrains.
Suppression de postes et de classes et fin de la décharge pour les directeurs d'écoles à Paris
M. Ian Brossat . - La communauté scolaire parisienne est en colère, pour deux raisons : la suppression de la décharge accordée, au-delà de cinq classes, aux directeurs d'école à Paris, heureusement repoussée par Élisabeth Borne, et les suppressions de postes d'enseignants dans le premier degré. Près de 180 classes sont menacées de fermeture. Alors que la baisse de la démographie scolaire à Paris représente 3 % de la baisse de la démographie nationale, Paris concentre 25 % des suppressions de postes. De plus, nombre de suppressions de classes ont lieu dans des réseaux d'éducation prioritaire (REP). Le Gouvernement compte-t-il revenir sur ces suppressions ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - La question du taux d'encadrement scolaire est sensible dans tous les territoires, y compris à Paris où la baisse démographique sera particulièrement sensible à la rentrée prochaine, avec 3 200 élèves en moins pour le seul premier degré. Le nombre d'élèves par classe est en moyenne moins élevé à Paris qu'en Europe, avec 20 élèves par classe contre 21. De plus, en REP, 8 élèves sur 10, tous niveaux confondus, sont scolarisés dans des classes de moins de 20 élèves. Les fermetures prévues se traduiront donc par une hausse du taux d'encadrement.
La décharge d'enseignement accordée depuis 1982 aux directeurs d'écoles publiques parisiennes à partir de cinq classes, contre treize dans le reste du pays, a été décidée en accord avec la mairie de Paris. Or la Ville de Paris n'a plus contribué à ce dispositif depuis 2019, soit une perte sèche de 116 millions d'euros pour le ministère de l'éducation nationale et de fortes disparités territoriales. En septembre, la Cour des comptes a demandé au Gouvernement de mettre fin à cette situation. Le ministère a engagé une concertation avec la ville, puis Élisabeth Borne a signé un moratoire repoussant la fin de ce régime dérogatoire. La question reste entière.
M. Ian Brossat. - Rien n'interdit au Gouvernement d'étendre ce dispositif dérogatoire à d'autres villes ! (Mme Françoise Gatel s'en amuse.) Le sort réservé à Paris n'est pas favorable.
Ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse
M. Daniel Chasseing . - Le report en janvier 2027 de la livraison des trains Oxygène pour la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) pose de nombreux problèmes. Les délais annoncés par l'ancien directeur général de SNCF Logistics Alain Picard - livraison d'un maximum de trains en décembre 2026 et de la totalité en 2027 - doivent absolument être respectés.
Pour l'association « Urgence ligne Polt » et les élus, reporter une troisième fois cette livraison, initialement prévue fin 2023, était déjà inacceptable. Les passagers devront donc subir pendant trois ans des locomotives de plus de 40 ans et des voitures Corail à bout de souffle, souvent en panne malgré le travail sérieux des cheminots.
Cette ligne ferroviaire est stratégique : elle dessert quatre régions, 32 départements et 5 millions d'usagers potentiels. L'étoile ferroviaire de Brive-la-Gaillarde, essentielle pour la Corrèze, le Lot, la Dordogne, le Cantal et l'Aveyron, doit être protégée.
Quelles solutions concrètes pour garantir la livraison des nouvelles rames et l'achèvement des travaux de rénovation d'ici fin 2026 ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Je connais votre attachement au désenclavement des territoires. Pas moins de 2,4 milliards d'euros d'investissements ont été déployés pour cette ligne. Des travaux sont en cours sur les infrastructures. À partir de décembre 2027, les trains les plus rapides relieront Paris à Limoges en 2 h 52. Entre août 2025 et janvier 2026, une grande opération est prévue au nord d'Orléans. Près de sept allers-retours sur dix pourront circuler chaque jour, et le trafic de nuit sera sauvegardé.
Marc Ferracci et Philippe Tabarot ont commandité un audit sur les retards d'approvisionnement dans la filière ferroviaire, qui nous éclairera sur les mesures à prendre.
M. Daniel Chasseing. - En 1980, il fallait 3 h 50 pour aller de Brive à Paris. Il faut 4 h 40 en 2025 ! Cette ligne doit être réhabilitée. Sa vétusté est néfaste pour les usagers et l'économie de nos territoires.
Difficulté des communes à souscrire un contrat d'assurance
Mme Marion Canalès . - Quelque 1 500 communes n'ont pas de contrat d'assurance, faute d'avoir reçu une réponse à leur appel d'offres, ou en raison de tarifs trop élevés.
Dans le Puy-de-Dôme, l'un des dix départements dont le taux de sinistralité est dégradé, la commune de Thiers a vu ce poste de dépense augmenter de 118 %. Depuis 2023, un nombre croissant de collectivités voient leur contrat résilié par les assureurs.
Le rapport de notre collègue Husson et celui commandé par le Gouvernement au vice-président de l'AMF et à l'ancien président de Groupama abordent le sujet.
Des propositions ont été formulées pour lutter contre d'éventuels déserts assurantiels - saisine du médiateur de l'assurance, mission de réflexion sur la création d'un observatoire des tarifs des assurances -, sans toutefois que celles-ci répondent aux inquiétudes.
Qu'adviendra-t-il des mesures concrètes proposées dans les deux rapports ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Il s'agit d'un sujet important, dont il a été beaucoup question au Sénat. Le Gouvernement a confié un rapport au maire de Vesoul, Alain Chrétien, au titre de ses fonctions à l'AMF, et à un ancien responsable de Groupama.
Avec François Rebsamen, nous sommes attentifs à l'augmentation des prix et des franchises des assurances des collectivités, ainsi qu'à l'absence de réponse aux appels d'offres. Dans mon département d'Ille-et-Vilaine, une commune n'a pas d'assurance. L'offre d'assurance s'est contractée, ce qui se traduit par une hausse des primes. S'y ajoute l'augmentation des risques climatiques et cyber.
Cette situation n'est pas tenable. En liaison avec les représentants du secteur et les associations d'élus, le Gouvernement annoncera dans les prochaines semaines des actions concrètes issues des rapports mentionnés.
Zones FRR dans le Cher
M. Rémy Pointereau . - Les communes d'Azy et de Laverdines dans le Cher sont exclues du zonage issu de la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR), devenues France Ruralités Revitalisation (FRR). Pourtant, elles remplissent les critères nécessaires.
Depuis 2019, Laverdines fait partie d'une commune nouvelle, avec Baugy et Saligny-le-Vif, qui, elles, bénéficient de ce classement. En juillet 2021, le maire de Baugy avait obtenu la confirmation de la direction départementale des territoires (DDT) du Cher du classement de l'ensemble de la commune nouvelle ; or vos services m'indiquent le contraire. Comment l'expliquer ? C'est un signal décourageant pour la création de communes nouvelles, à laquelle vous êtes attachée, madame la ministre. Azy, entourée de communes classées FRR, est également exclue du dispositif.
Les entreprises et les professionnels de santé attendent ce classement pour s'installer. Envisagez-vous des ajustements ou des dérogations pour que ces communes bénéficient d'un soutien légitime ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Je connais votre engagement en faveur de ce dispositif et je vous en remercie. Il ne se passe pas une journée sans que je sois interpellée sur le sujet.
La situation est très complexe : je dois mettre en oeuvre les dispositions adoptées par le Parlement et celles conclues dans les accords locaux. La situation actuelle n'est pas satisfaisante ; il faudra remettre le système à plat.
Des communes qui n'étaient plus classées en ZRR l'ont été de nouveau en juillet 2024 pour ne plus l'être en 2027. Reprenons ce sujet de manière calme et mesurée notamment pour étudier la collision avec les dispositifs visant à faciliter l'installation de professionnels de santé.
En raison d'une approche par bassin de vie ou par intercommunalité, associée à la justification de conditions de seuils de population et de revenus médian inférieurs à la moyenne nationale, des communes éligibles seules au dispositif ne le sont plus. C'est le cas des communes évoquées.
Ma réponse est aussi claire que ce dispositif - qui ne l'est pas totalement.
M. Rémy Pointereau. - Il faut mettre en place un comité de suivi. En outre, le préfet doit disposer d'un pouvoir de dérogation.
Sauvegarde de la ligne ferroviaire Guéret-Felletin
M. Jean-Jacques Lozach . - Le 9 janvier 2025, la population creusoise a appris par voie de presse la fermeture de la ligne ferroviaire reliant Guéret à Felletin à compter d'août 2025. La mort programmée de cette ligne de désenclavement est désastreuse, notamment pour le développement économique ; elle alimente le sentiment d'abandon et fragilise toute une chaîne de mobilités, l'accès aux gares de Limoges et à Bordeaux, notamment.
Les besoins en régénération de la voie sont urgents ; leur financement relève de la responsabilité de l'État, de la région Nouvelle-Aquitaine et de la SNCF.
Le succès de la pétition « Touche pas à ma p'tite ligne ! » confirme la nécessité de préserver le ferroviaire, mobilité la plus adaptée à la lutte contre le réchauffement climatique.
Que comptez-vous faire pour assurer le maintien et la rénovation de cette liaison et mettre un terme à cette fracture ferroviaire qui éprouve mon département ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Votre question, au coeur des ruralités, concerne le maintien des petites lignes ferroviaires. En 2021, un protocole signé entre l'État et la région Nouvelle-Aquitaine prévoyait la répartition des besoins entre les cofinanceurs pour la régénération de 1 856 kilomètres de petites lignes ferroviaires. Celle de la ligne Guéret-Felletin est à la charge du conseil régional. Entre 50 et 80 millions d'euros sont nécessaires pour assurer la poursuite des circulations.
Le Gouvernement et plus particulièrement Philippe Tabarot souhaitent explorer les solutions envisageables au maintien de cette liaison essentielle aux Creusois, en concertation avec les acteurs concernés. L'avenir de cette ligne a été inscrit au deuxième plan particulier pour la Creuse, dont la signature ne saurait tarder. En effet, les crédits annoncés sont disponibles et François Rebsamen vous propose de le rencontrer avec des élus creusois.
Zonage FRR en Lot-et-Garonne
M. Michel Masset . - Dans le Marmandais, et dans d'autres territoires du Lot-et-Garonne, le nouveau découpage France Ruralités Revitalisation (FRR) a créé une situation critique : 21 communes du bassin de vie de Marmande sur les 43 que compte l'intercommunalité en sont exclues, ce qui entraîne des distorsions au sein de l'EPCI, des départs de médecins ou d'entreprises. Ce dumping fiscal réorganise l'espace et les activités dans un territoire déjà fragilisé.
Marmande n'est pas considérée comme une commune rurale, ce qui lui interdit tout rattrapage. Or des villes dans la même situation bénéficient du classement. Cette situation, incohérente, entraîne un risque de fracture pour le Marmandais et le Lot-et-Garonne. Marmande, centre urbain intermédiaire, appartient à un EPCI rural selon l'Insee. Si le déclassement devait perdurer, elle pâtirait de cette situation. Je suis certain que tel n'est pas l'objectif du Gouvernement.
Pouvons-nous envisager l'examen rapide de ce dossier ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Cher monsieur Masset, comme je l'ai expliqué lors de ma réponse à Rémy Pointereau, les nouveaux critères de zonage des FRR, qui prennent en compte la population et le revenu médian au niveau du bassin de vie ou d'un EPCI, ont créé une nouvelle cartographie insatisfaisante. C'est pourquoi les ex-communes en zones de revitalisation rurale (ZRR) y ont été intégrées, ce qui engendre des situations suscitant l'incompréhension au sein des intercommunalités. Nous avons échangé longuement sur ce sujet et vous défendez bien votre territoire.
Sincèrement, la perfection n'a pas été atteinte en la matière. J'ai demandé à la direction générale des collectivités locales (DGCL) de procéder à une première évaluation et de travailleur pour aboutir à plus de cohérence. Les communes qui ne sont pas éligibles au dispositif FRR ou ZRR peuvent bénéficier de mesures favorables en matière économique.
M. Michel Masset. - Chère madame Gatel, en effet, nous avons besoin de souplesse. Je souscris à l'idée d'un comité de suivi et nous serions ravis de vous recevoir sur notre territoire, madame la ministre.
Gratuité de la portion d'autoroute reliant Annemasse à Saint-Julien-en-Genevois
Mme Sylviane Noël . - Le 10 mars dernier, après un avis favorable de l'Autorité de régulation des transports (ART), la préfecture de Haute-Savoie a annoncé la fin de la gratuité de la portion de l'autoroute A40 reliant Annemasse à Saint-Julien-en-Genevois, en vigueur depuis quarante ans, à compter du 1er janvier 2029.
Cette décision soudaine et unilatérale de l'État suscite la colère des élus locaux et des habitants. Ce tronçon, un axe de contournement du Grand Genève, est emprunté par 50 000 véhicules par jour ; il devrait rester gratuit au même titre que d'autres axes autour de Paris, Lyon ou Tours.
Au-delà du strict impact financier, notamment pour les salariés payés en euros qui l'utilisent au quotidien, cela risque d'entraîner un report massif du trafic sur le réseau secondaire - déjà saturé - et de créer des nuisances environnementales et sonores pour les riverains éprouvés par les ballets incessants de véhicules venant de Suisse ou s'y rendant.
Quelles suites le Gouvernement entend-il donner à cette décision ? (M. Loïc Hervé applaudit.)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Permettez-moi d'associer Loïc Hervé à votre engagement. Entre 1991 et 2016, les frais d'exploitation étaient pris en charge par le conseil départemental de Haute-Savoie, qui n'a pas prorogé cette convention, créant une situation juridique qualifiée de non-droit selon la Cour des comptes. Le Gouvernement a pris le temps de la concertation pour régulariser cette situation. Des mesures d'accompagnement sont aussi mises en oeuvre : la remise à péage est accompagnée d'un abattement de 35 % dès le premier trajet pour les usagers disposant d'un badge. S'y ajoutent les réductions pour les usagers fréquents, qui paieront moins d'un euro un trajet.
Les conditions de circulations seront améliorées à Saint-Julien-en-Genevois et à Entrebières. Selon des études réalisées, l'impact sur le réseau secondaire est de l'ordre de 3 % du trafic actuel, mais une enveloppe de 750 000 euros sera consacrée à l'accompagnement des aménagements sur ce réseau secondaire.
Mme Sylviane Noël. - Ces mesures ne suffiront pas à nous faire avaler la pilule ! Nous attendons une décision politique en lien avec les élus locaux pour éviter des effets très lourds.
M. Loïc Hervé. - Comme en Bretagne !
Sécurisation des passages à niveau
M. Joshua Hochart . - Lundi dernier, dans le Pas-de-Calais, deux militaires du 41e régiment de transmission de Douai ont tragiquement perdu la vie, percutés par un train à un passage à niveau. J'ai une pensée pour leurs familles, leurs frères d'armes et les blessés. Ce drame vient s'ajouter à la longue liste des accidents survenus à des intersections critiques entre la route et le rail.
Malgré des efforts de sécurisation, les passages à niveau restent un véritable danger. Si certains ont été supprimés ou modernisés, force est de constater que trop peu de moyens sont alloués à leur modernisation, et les collectivités locales, en première ligne, peinent à obtenir les financements nécessaires.
La sécurisation de ces infrastructures vieillissantes doit être une priorité absolue. Les communes et départements, aux budgets contraints, ne peuvent pas assumer seuls les investissements colossaux nécessaires. Le plan de sécurisation des passages à niveau, initié en 2021, a certes permis de financer 130 projets pour 26 millions d'euros, mais cela reste largement insuffisant.
Ce drame nous rappelle brutalement que chaque jour de retard de ces travaux coûte des vies.
Il est urgent que l'État prenne ses responsabilités en augmentant significativement les crédits dédiés, mais aussi en simplifiant les démarches. Quelles mesures concrètes le Gouvernement prendra-t-il pour renforcer cet accompagnement ? Avec quels nouveaux financements ? Pouvez-vous nous garantir que la sécurisation de ces infrastructures deviendra une véritable priorité ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité . - Nous sommes très sensibles à cette question. Nous pensons aux victimes.
Je n'accuse personne, mais des comportements de conduite aboutissent parfois à ce résultat.
Certains passages à niveau, vétustes, ne garantissent pas de bonnes conditions de sécurité.
Après l'accident tragique de Millas en 2017, l'État a pris le problème à bras-le-corps, dans le cadre d'un plan annoncé en 2019, qui se déroule conformément aux prévisions. Un certain nombre de passages à niveau ont été sécurisés. L'État apporte un soutien financier annuel à ce plan, auquel 80 millions d'euros ont été ajoutés au titre du plan de relance. Les besoins exprimés par les préfets de région sont couverts.
Le Gouvernement est déterminé à poursuivre ces efforts, pour que de tels drames ne se reproduisent pas.
Accès au foncier des jeunes agriculteurs
Mme Marie-Claude Lermytte . - Alors que les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ont pour missions essentielles de dynamiser l'agriculture, favoriser l'installation des jeunes, protéger l'environnement et accompagner le développement de l'économie locale, il est regrettable que de jeunes agriculteurs renoncent à leur projet faute de terre.
La durée des procédures est un frein non négligeable, et la motivation des décisions est souvent incompréhensible. Un sentiment d'injustice frappe les jeunes agriculteurs qui voient des terres rétrocédées à des agriculteurs déjà installés, passant parfois par des prête-noms ou des sociétés opaques. Dès lors, la durée des recours devient intolérable.
Cette situation semble liée au fonctionnement des Safer et à leurs moyens financiers. Mises en place en 1960, elles sont nécessaires mais doivent impérativement s'adapter.
J'espère que le texte que l'Assemblée nationale a adopté sur ce sujet sera inscrit à l'ordre du jour du Sénat prochainement. La Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) a saisi Bruxelles, dénonçant un abus de position dominante. Sur le terrain, les contestations et interrogations sont nombreuses.
Quelles mesures de simplification des démarches et de réduction des délais le Gouvernement compte-t-il prendre ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Je partage votre préoccupation. Le renouvellement des générations en agriculture est un défi majeur.
Les Safer ont rétrocédé en pleine propriété plus de 32 000 hectares pour installation en 2023, à 71 % hors du cadre familial. La loi de finances pour 2025 a porté le délai de substitution de 6 à 10 mois afin de laisser le temps à des opérations complexes de se monter, ou aux jeunes d'obtenir des garanties bancaires. Le Gouvernement soutient toutes les options de transmission du foncier agricole hors acquisition, dont le portage, qui permet de ne pas grever le compte d'exploitation ; l'acquisition est retardée au moment où l'exploitation est financièrement stabilisée.
Les commissaires du Gouvernement auprès des Safer exercent une tutelle appuyée en vue d'obtenir des éléments clairs, précis et non stéréotypés sur les motivations des décisions. C'est central pour l'acceptabilité de celles-ci.
Soyez assurée que je veille à simplifier la transmission, enjeu capital.
Gestion du loup dans la Nièvre
Mme Nadia Sollogoub . - La méthode de comptage du loup employée par l'Office français de la biodiversité (OFB) suscite de nombreuses interrogations.
Ces dernières années, les cartographies de l'OFB faisaient état d'une présence occasionnelle du loup dans la Nièvre. En 2022, elles ne mentionnent plus aucune présence. Or cette absence de reconnaissance officielle est en contradiction complète avec les observations récurrentes et documentées sur le terrain.
Pouvez-vous préciser la méthodologie de l'OFB ? Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour améliorer la transparence de la collecte des données et assurer une meilleure prise en compte des signalements par les acteurs locaux ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Élue d'un territoire d'élevage, je sais combien la présence du loup affecte le pastoralisme. Il est indispensable de disposer de données fiables.
La méthode d'estimation de la population lupine par l'OFB a fait l'objet d'une évolution en 2024. Il a été décidé d'une estimation unique pour une meilleure lisibilité. De plus, les marges d'erreur de l'ancienne méthodologie étaient de plus en plus importantes, ce qui ruinait la confiance et nourrissait la colère des éleveurs. Enfin, il y avait un réel besoin de transparence.
La nouvelle méthode a été présentée aux membres du Groupe national loup fin 2024 et mise en oeuvre début 2025. Unique en Europe, elle permet de disposer rapidement d'une estimation fiable. En tout cas, c'est le voeu que je forme.
L'OFB a développé une carte accessible au grand public sur le site Loupfrance.fr. Vous pourrez y retrouver les indices recueillis dans la Nièvre et le traitement qui leur a été réservé. C'est gage de transparence.
Les données que vous évoquez sont issues de l'ancienne méthode. Or la nouvelle méthodologie établit un suivi plus fiable. Nous pourrons ainsi mieux réguler.
Mme Nadia Sollogoub. - L'essentiel est de s'assurer que cette méthode de comptage met en évidence que le loup a échappé à tout contrôle : 11 attaques en 2023, 48 en 2024 et déjà 39 en 2025 ! Peu importe la méthode de comptage, il faut des autorisations de régulation. C'est absolument vital.
Les éleveurs ont un immense sentiment d'abandon. Ils sont dans une situation dramatique. Toutes les nuits, ils se demandent où le carnage aura lieu. Des milices s'organisent. Il est impossible, en territoire de bocage, de rentrer les animaux toutes les nuits. Les procédures sont incompréhensibles et les éleveurs, fous de rage et de désespoir.
Contrôle des salmonelles dans les oeufs
M. Christian Klinger . - Les producteurs d'oeufs traversent une crise majeure. Actuellement, dès qu'un prélèvement unique détecte une suspicion de salmonelle, tout le cheptel de poules pondeuses doit être abattu. Sauf que ces résultats sont souvent discutables. Des analyses complémentaires réalisées par des laboratoires accrédités montrent régulièrement qu'il n'y a, en réalité, aucune contamination. C'est un vrai désastre pour les éleveurs !
En un an, le cheptel alsacien a chuté de 17 %. Certains exploitants sont à bout. Toute la filière est en danger, alors même que nous importons des oeufs de pays non européens où les règles sanitaires sont moins strictes.
Il faudrait un second test de confirmation avant l'abattage, comme en Belgique et aux Pays-Bas, tester directement les oeufs plutôt que les poussières ou les fientes, ou encore assouplir les règles pour les oeufs destinés à être consommés après cuisson.
L'Anses, saisie début 2023, n'a toujours pas rendu ses conclusions sur ces procédures. Comment répondre aux attentes des éleveurs et éviter un effondrement de cette filière ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - La filière oeuf est l'une des rares où nous sommes en souveraineté alimentaire. Les consommateurs plébiscitent l'oeuf français.
La salmonellose provoque de nombreuses intoxications alimentaires. Les méthodes de prélèvement en élevage sont basées sur les caractéristiques propres à cette bactérie, dont les volailles sont porteuses saines, et qui est excrétée par intermittence, ce qui rend sa détection difficile. Un prélèvement unique suffit. Les analyses, réalisées par des laboratoires agréés supervisés, sont particulièrement fiables.
L'Anses, saisie sur l'optimisation des méthodes de prélèvement en élevage, rendra ses travaux à l'automne 2025.
Les élevages relevant de la charte sanitaire sont indemnisés après la découverte de salmonelle.
La viande contaminée peut être tout aussi dangereuse que les oeufs. Il faut tout mettre en oeuvre pour préserver la santé humaine, ainsi que la confiance des consommateurs dans nos filières.
M. Christian Klinger. - On attendra les résultats de l'enquête de l'Anses, mais les éleveurs me disent que la détection de salmonelle dans les poussières ne signifie pas qu'il y en a dans l'oeuf. Un deuxième test serait une solution, parce qu'après abattage du cheptel, il faut longtemps avant d'avoir à nouveau des oeufs. Or les Français aiment les oeufs !
Fièvre catarrhale ovine
M. Guillaume Gontard . - Depuis l'été dernier, 26 000 élevages ont été touchés par la fièvre catarrhale ovine (FCO), qui a entraîné une surmortalité animale de 10 % au niveau national. C'est une hécatombe dans le nord-est de la France avec la FCO-3 et en Auvergne-Rhône-Alpes avec la FCO-8.
Alerté par les éleveurs et les parlementaires, votre ministère a réagi : 14 millions de doses de vaccins contre la FCO ont été commandées l'an dernier, et des avances d'indemnisation ont été versées aux éleveurs. Ces efforts ont réduit la mortalité et sauvé la trésorerie de milliers d'exploitations. Mais des vaccins manquent encore et la France dépend toujours des importations.
Surtout, nous devons nous préparer aux futures épidémies, qui se multiplieront dans les années à venir, en raison du réchauffement climatique et des échanges internationaux.
Quel est le périmètre des assises du sanitaire animal ? Comment assurer la disponibilité des vaccins ? Alors que de nouvelles souches de virus apparaissent, comme la FCO-12 aux Pays-Bas, quels moyens pour renforcer la recherche scientifique, les services vétérinaires et d'équarrissage ? Comment les spécificités de l'élevage en plein air seront-elles prises en compte, alors que les règles sont conçues pour l'élevage en hangar ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Je suis mobilisée sur ce sujet depuis le jour de mon entrée en fonction.
Du 2 août 2024 au 16 février 2025, une zone régulée a été mise en place pour limiter la maladie et préserver les échanges commerciaux. Dès le printemps 2024, une ambitieuse campagne de vaccination a été lancée. L'État a commandé 14 millions de doses de vaccins, pour 37 millions d'euros.
Dès mon arrivée au Gouvernement, j'ai mis en place un fonds d'urgence exceptionnel de 75 millions d'euros pour répondre à l'intégralité des demandes d'indemnisation.
Le Gouvernement a réagi rapidement en instaurant un guichet avance, qui a répondu à l'urgence en novembre 2024, puis un guichet solde, qui instruit les 9 425 dossiers déposés entre le 30 janvier et le 14 février.
Il faut une stratégie sanitaire résiliente axée sur la prévention. C'est pourquoi j'ai lancé les assises du sanitaire animal. Cette année, nous laissons le temps aux filières et au ministère de coconstruire les contrats sanitaires de filières. Nous anticipons la campagne de vaccination de 2025. Certes, nous manquons de laboratoires français qui produisent des vaccins, mais nous faisons tout pour accéder aux vaccins chaque fois qu'ils existent.
M. Guillaume Gontard. - Alors que nous approchons de la période à risque, nous déplorons le manque de coordination entre départements.
Fermeture de la fosse de Petosse
Mme Annick Billon . - Il y a trois ans, après plusieurs épidémies de grippe aviaire, l'État a ouvert en urgence des sites d'enfouissement, compte tenu de l'insuffisance des capacités d'équarrissage.
Dans ce cadre, une zone de préstockage temporaire a été créée à Petosse, en Vendée, sans que les élus en aient été informés. Fin 2022, les restes du site de Tallud-Sainte-Gemme ont été transférés dans cette fosse, là encore sans information des élus : le maire de Petosse l'a découvert en voyant arriver les camions chargés de carcasses...
La durée d'exploitation de cette fosse ayant été fixée à vingt-quatre mois, elle aurait dû fermer voilà un an. Pourtant, plus de 13 000 tonnes y sont encore stockées.
Pendant des mois, les questions des élus locaux sont restées sans réponse. Jusqu'à récemment, aucune information ne leur avait été communiquée sur les tests sanitaires.
Alors qu'un récent rapport d'inspection présente plusieurs solutions pour vider la fosse, les modalités d'évacuation des matières stockées n'ont pas été tranchées. Comment le Gouvernement entend-il résoudre cette situation, et dans quel délai ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Le Gouvernement est conscient des enjeux liés au site de stockage temporaire de Petosse.
Entre 2019 et 2023, notre pays a fait face à plusieurs épidémies d'influenza aviaire. Au plus fort de la crise, les usines d'équarrissage étant saturées, des mesures exceptionnelles ont dû être prises. Dans ce cadre, deux sites temporaires de stockage ont été créés à Petosse et Tallud-Sainte-Gemme. Afin de maîtriser les risques sanitaires et environnementaux, ces mesures ont été prises de manière concertée entre les ministères de l'agriculture et de l'environnement.
Le site de Petosse n'est pas destiné à l'équarrissage : il accueille un enfouissement temporaire décidé dans le cadre d'une gestion de crise. Sa qualité a été saluée par les représentants de la Commission européenne chargés d'apprécier la gestion de la crise d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP).
L'État cherche des solutions pour fermer ce site. Mon prédécesseur, Marc Fesneau, a diligenté une mission conjointe du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux et de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable, dont le rapport vient de m'être rendu. Les recommandations formulées sont en cours d'examen. Je prendrai une décision dans les prochains mois, en liaison avec les autorités locales.
Conséquences de la nouvelle tarification de l'eau
Mme Dominique Estrosi Sassone . - J'attire votre attention sur les conséquences de la tarification de l'eau entrée en vigueur le 1er janvier dernier pour les agriculteurs irrigants raccordés au réseau d'eau potable.
La redevance pour consommation de 0,43 euro par mètre cube place dans une situation intenable les professionnels maralpins raccordés, qui pratiquent une agriculture à taille humaine, sobre et orientée vers le maraîchage multirotations. Décidée sans concertation, cette charge pèse de manière disproportionnée sur les secteurs agricoles et agroalimentaires. La situation est critique dans mon département, où de nombreux agriculteurs dépendent du réseau d'eau potable.
Cette situation est le fruit du démantèlement des réseaux agricoles, de la pression urbaine et de l'absence d'un tarif spécifique agricole, qui permettrait d'éviter le décuplement des factures.
Sans action urgente, des cessations d'activité en cascade sont à craindre, de même que des renoncements à l'installation. Étranglés, les agriculteurs maralpins attendent une solution rapide : ils demandent la suspension des factures et l'instauration d'aides ciblées pour les professionnels en situation de dépendance. Quelles sont les intentions du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Vous mettez en lumière les effets cumulés de la réforme des redevances des agences de l'eau et des tarifs votés par celles-ci pour financer le plan Eau. L'enjeu est majeur pour les agriculteurs irrigants raccordés à l'eau potable, notamment dans les Alpes-Maritimes.
La réforme vise à rééquilibrer la contribution des différentes catégories d'usagers au financement de la politique de l'eau, à promouvoir la sobriété et à simplifier la fiscalité. Les redevances de consommation d'eau et de performance du service sont assises sur la consommation ; la redevance de performance assainissement repose sur l'eau usée rejetée.
Pour de nombreux professionnels, agriculteurs comme industriels de l'agroalimentaire, les factures s'envolent - elles sont parfois multipliées par vingt. Nous devons les accompagner par un mécanisme ciblé : j'y travaille avec mes collègues de l'écologie, de l'industrie et du budget.
Par ailleurs, les agences de l'eau ont reçu pour instruction d'accompagner les professionnels concernés dans la mise en oeuvre de procédés plus sobres.
L'eau est une ressource précieuse et limitée, mais on ne peut demander à des acteurs de l'économiser quand ils n'en ont pas. Nous devons leur donner accès à une ressource indispensable à l'exercice de leur activité dans certains territoires ; il y va de leur pérennité. Dans les années à venir, les progrès technologiques permettront une irrigation plus économe.
Difficultés de l'industrie
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Le Gouvernement tente de relativiser les difficultés de notre industrie et accuse de pessimisme ceux qui mettent en doute sa stratégie - si elle existe.
Pourtant, les faits sont là : les restructurations tombent en cascade. Vous prétendez que les ouvertures d'usine sont plus nombreuses que les fermetures, mais vous comptabilisez les simples extensions, quel que soit le montant investi.
Nos industries sont loin de tourner à plein régime. En décembre dernier, le taux d'utilisation est même tombé à 73,9 %, un niveau inédit en quinze ans hors Covid.
À Billy-Berclau, l'usine ACC ne monte pas suffisamment en cadence. Le fossé technologique se creuse, notamment avec la Chine. Travailleurs et élus mettent pourtant du coeur à l'ouvrage. La Commission européenne envisage une subvention, mais ACC répond : encore faut-il réussir à survivre jusque-là...
Nous allons dans le mur : il est urgent de rectifier le tir ! Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de planification ? Comment comptez-vous soutenir Lhoist et Catensys ? Tiendrez-vous l'engagement de M. Lescure de revenir à Calais ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Je vous réponds au nom de Marc Ferracci.
Nous oeuvrons à une réindustrialisation par territoire, avec des formations et des financements adaptés. Depuis 2017, nous avons créé 130 000 emplois dans l'industrie. L'année dernière, nous avons enregistré 89 créations et extensions nettes de site.
Il ne s'agit pas de nier les difficultés. Certains secteurs sont plus particulièrement exposés à une concurrence internationale plus ou moins loyale - je pense notamment à l'automobile. Un certain nombre de normes nationales ou européennes, mises en place pour de bonnes raisons, nous désavantagent par rapport à des concurrents qui n'ont pas les mêmes standards.
Dans l'acier, nous avons des surcapacités. Par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, nous voulons nous assurer que l'acier qui entre en Europe n'est pas produit dans des conditions déloyales. Dans la chimie, nous devons être plus attractifs.
Le rôle de l'État est d'accompagner les secteurs et les salariés. Nous concluons des accords avec certaines entreprises, comme Arc. Nous continuerons d'agir avec force. Je transmettrai à mon collègue votre demande de retour dans le Calaisis.
Ligne THT entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent
M. Laurent Burgoa . - La création d'une ligne aérienne à très haute tension (THT) est envisagée dans le cadre de la décarbonation de Fos-sur-Mer, deuxième zone la plus émettrice de CO2 en France.
Je comprends l'objectif, mais m'oppose au tracé retenu qui, dans le Gard, nuira à un secteur agricole et viticole emblématique : les Costières-de-Nîmes. Cette AOP a une importance majeure dans l'un des départements les plus pauvres. De plus, les territoires qui seraient traversés abritent des sites naturels, des monuments et des paysages qui suscitent une forte activité touristique. La construction de cette ligne risque donc de fragiliser l'emploi local.
Le collectif Stop THT 13-30, qui fédère plus de vingt associations engagées pour la préservation de l'environnement en Crau, Camargue, Alpilles et Terre d'Argence, propose une autre solution : déplacer la production d'hydrogène à Aramon, à proximité des sources d'électricité, et l'acheminer par des ouvrages enterrés le long des digues du Rhône. Le Gouvernement entend-il examiner cette alternative ? Sinon, pourquoi ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - La ligne Fos-Jonquières est essentielle pour décarboner la zone de Fos, où de nombreux projets dépendent de sa réalisation. Quelque 20 milliards d'euros et 10 000 emplois sont en jeu.
Les inquiétudes liées aux conséquences de cette ligne dans les territoires traversés sont tout à fait légitimes.
Envisager un enfouissement supposerait de lancer non seulement des études supplémentaires, mais aussi une recherche de terrains. Cet enjeu foncier est très complexe.
De plus, les conséquences environnementales d'un enfouissement risqueraient d'être plus importantes, notamment sur les milieux humides.
Enfin, cette solution serait plus coûteuse, et sa mise en oeuvre serait plus longue de deux à cinq ans.
La Commission nationale du débat public a été saisie par le préfet, pour que cette question difficile fasse l'objet d'un débat bien organisé et que cette ligne ne soit pas imposée, mais discutée collectivement.
M. Laurent Burgoa. - Contrairement à certains élus populistes, je ne m'oppose pas au projet, dont je comprends l'utilité. Mais il faut réfléchir à des projets pour le Gard de nature à compenser les désagréments subis.
Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (I)
M. Stéphane Demilly . - Le 12 février dernier, le Gouvernement a annoncé mettre en consultation un projet d'arrêté réduisant le soutien au photovoltaïque sur bâtiments, hangars et ombrières, avec effet rétroactif au 1er février 2025, pour le segment de puissance 0 à 500 kWc (kilowatt crête).
On ne laisse pas aux professionnels le temps de se retourner. Une entreprise de mon département, qui emploie 35 salariés, s'inquiète des conséquences de ces revirements ininterrompus, alors que le pacte solaire a été signé avec l'État il y a moins d'un an... Cette décision aura également des conséquences pour les agriculteurs et pour les collectivités locales, pour qui les projets photovoltaïques sont une source de financement.
Ces évolutions signifient-elles un moratoire pour la filière ? En avez-vous évalué les conséquences ? Le Conseil supérieur de l'énergie a demandé des modifications ; la Commission de régulation de l'énergie (CRE), davantage de prévisibilité. Allez-vous en tenir compte ? Je sais les contraintes budgétaires ; néanmoins, ne pourrait-on envisager une évolution moins radicale, en concertation avec les acteurs de la filière solaire ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Vous relayez légitimement les préoccupations suscitées par ces annonces.
Les modifications envisagées ne seront pas mises en oeuvre immédiatement. Les contrats déjà signés ne sont aucunement remis en cause : ils continueront de s'appliquer selon les conditions fixées par l'arrêté tarifaire d'octobre 2021.
Nous avons bien conscience des enjeux pour les entreprises du secteur ; Marc Ferracci veille à ce que les acteurs puissent s'adapter.
Pourquoi cette décision ? Sur le seul mois de janvier 2025, les demandes de contrats ont rempli la moitié de l'objectif annuel 2025. Cet emballement nous conduit à réfléchir au potentiel de déploiement, à la qualité et à l'origine des panneaux installés, et à réajuster le soutien apporté.
Le Conseil supérieur de l'énergie, réuni le 6 mars dernier, a été l'occasion d'apporter une clarification. Un projet d'arrêté tarifaire sera publié dans les prochains jours. L'appel d'offres sera simplifié, pour un volume donné sur le segment 100-500 kWc, avec un tarif viable économiquement ; il sera mis en place au plus vite, après échange avec les acteurs.
Les engagements du pacte solaire ne sont pas remis en question. Le secteur s'est emballé, il nous faut reprendre la main collectivement, dans la concertation.
Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (II)
M. Alain Duffourg . - Dans le Gers, 80 % des agriculteurs ont investi dans le photovoltaïque : ce sont 300 exploitations qui seront impactées par la baisse du tarif de rachat. Il s'agissait pourtant d'un dispositif à la fois écologique et intéressant pour les agriculteurs, puisque l'autoconsommation élimine les coûts de transport.
Le gouvernement entend-il revenir en arrière et entamer une concertation avec les organisations syndicales, les chambres d'agriculture et les institutionnels ?
Le malaise agricole demeure, le projet de loi d'orientation n'a pas entièrement répondu aux revendications légitimes. Dans plusieurs départements, les syndicats agricoles « de connivence » ont été remplacés à la tête des chambres d'agriculture par des syndicats « de rupture » - celle du Gers est désormais gérée par la Coordination rurale, organisme puissant et revendicatif. Si ces derniers n'obtiennent pas satisfaction, ils mèneront des actions...
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Le Gouvernement mesure l'impact des modifications récentes du tarif de rachat bonifié.
Je comprends les inquiétudes des acteurs locaux du Gers - notamment des agriculteurs, confrontés aux incertitudes climatiques, pour qui le photovoltaïque procure un complément de revenu. Ils ont besoin de visibilité.
Nous maintenons notre ambition sur le photovoltaïque, et le pacte solaire est toujours sur la table.
Le Conseil supérieur de l'énergie s'est tenu le 6 mars. Nous apportons des modifications au projet d'arrêté, et prévoyons un appel d'offres simplifié pour réguler les volumes tout en préservant le soutien à la filière sur le segment 100-500 kWc.
Il s'agit de trouver un équilibre entre la maîtrise du coût pour le contribuable et la compétitivité du secteur. Il n'y aura pas de rétroactivité pour les contrats déjà signés : les conditions tarifaires en vigueur resteront applicables. Nous avons pris en compte les préoccupations des collectivités, des syndicats d'énergie et des agriculteurs.
En parallèle, nous publierons prochainement un arrêté très attendu, permettant le soutien aux petits projets photovoltaïques au sol, afin de valoriser les friches.
Le Gouvernement est conscient de la nécessité d'un cadre stable et prévisible. Nous continuerons à accompagner la filière, tout en veillant à ce que ce soutien soit cohérent avec les besoins énergétiques et avec nos ressources collectives.
Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (III)
Mme Viviane Artigalas . - Ma question porte sur le même sujet - preuve de son importance ! Le projet d'arrêté rétroactif inquiète les PME de la filière, les particuliers qui choisissent l'autoconsommation, et les agriculteurs qui profitent de leurs bâtiments agricoles pour compléter leurs revenus. Dans les Hautes-Pyrénées, il risque de mettre à mal les projets solaires territoriaux portés par le syndicat départemental d'énergie. L'arrêt brutal des projets en cours menacerait la viabilité de nombreuses entreprises et la pérennité des emplois.
Le photovoltaïque est une technologie mature, compétitive, essentielle dans la transition écologique. C'est une filière dynamique et un écosystème non délocalisable, qu'il faut impérativement soutenir. Où en sont vos réflexions sur le sujet ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Le petit photovoltaïque participe à la transition énergétique, tout en apportant un complément de revenu et en favorisant l'autoconsommation. Votre département compte plusieurs projets solaires locaux, signe de l'engagement des acteurs.
Nous continuerons de soutenir de manière équilibrée et concertée le segment en dessous de 500 kWc. Cependant, vu l'engouement massif pour ce dispositif - en un mois, nous avons réalisé la moitié des objectifs de l'année ! - nous rééquilibrons notre soutien. Les ajustements sur le cadre tarifaire, découlant du Conseil de l'énergie du 6 mars, ne seront en aucun cas rétroactifs et le dialogue va se poursuivre. Un appel d'offres simplifié sur le segment 100-500 kWc, avec un tarif viable, sera mis en place. Nous sommes conscients de la situation particulière des collectivités. Un arrêté pour soutenir les petits projets photovoltaïques au sol sera également publié.
Nous croyons à l'énergie solaire, mais le petit photovoltaïque a un coût pour la collectivité, à travers les incitations fiscales et le coût du raccordement. Pour de très petites installations, les coûts de raccordement excèdent parfois les gains ; il est plus intéressant de favoriser l'autoconsommation. Il faut un équilibre entre les intérêts locaux et l'intérêt collectif d'un système électrique maîtrisé, rentable, économique, efficient et décarboné.
Mme Viviane Artigalas. - L'arrêté ne sera pas rétroactif, dont acte.
L'impact du coût de raccordement sur la rentabilité aurait dû être évalué avant. Au demeurant, les opérateurs savent déjà estimer l'intégration des projets photovoltaïques, maîtriser les coûts et préserver la sûreté des réseaux.
Nous ne tiendrons pas la trajectoire zéro carbone en 2050 avec ce stop and go. Ce changement brutal de politique, sans débat ni vote, aura des conséquences graves.
Difficultés de l'entreprise F2J-Japy
Mme Annick Jacquemet . - L'entreprise F2J-Japy, située à Valentigney, dans le pays de Montbéliard, bassin industriel orienté vers le secteur automobile, traverse une crise inquiétante. Elle emploie encore 102 salariés, mais en huit ans, a dû engager six plans de sauvegarde de l'emploi, fragilisant tout un territoire.
F2J-Japy peine à se diversifier, entre l'arrêt programmé de la vente de véhicules thermiques et la concurrence de pays aux normes environnementales et sociales moins exigeantes. Ces mutations n'ont hélas pas été suffisamment anticipées, alors que la transition écologique nécessite notamment des investissements dans la formation. C'est l'objet d'une mission sénatoriale sur l'avenir de la filière automobile, dont je suis corapporteur avec Alain Cadec et Rémi Cardon.
Quelles mesures prendre afin d'accompagner financièrement et stratégiquement la diversification de F2J-Japy, tout en préservant l'outil industriel et les emplois locaux ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - L'entreprise F2J-Japy est spécialisée dans les produits métalliques destinés à des grands groupes industriels, en particulier dans le secteur automobile. Elle souffre de la baisse des commandes liée à l'évolution du marché et la fin du thermique, et de la hausse du coût des matières premières.
Nous suivons de près le projet de restructuration, qui se traduit par un plan de réduction des effectifs. L'entreprise s'est engagée à rechercher des solutions de reclassement et à aider à l'accompagnement, à la mobilité et à la formation.
Sa pérennité passera par sa diversification, alors qu'elle dépend à 90 % de Stellantis. Des premières commandes ont été engrangées dans le machinisme agricole ou la fabrication de châssis de groupes électrogènes. Des échanges réguliers sont organisés avec Bercy.
Plus largement, la Commission européenne vient d'annoncer un plan d'envergure, reprenant les propositions de la France, pour aider la filière automobile dans cette phase de transition inédite. Ce plan, de bien meilleure facture, permettra de soutenir massivement la filière des batteries électriques, qui crée des emplois. Le principe de préférence européenne, que nous défendions, est acté et bénéficiera à nos sous-traitants. Nous introduirons des critères de contenu local pour localiser les chaînes de valeur en Europe.
Nous traversons une passe difficile, mais la stratégie est désormais plus claire, plus cohérente et plus positive pour nos territoires qui se cherchent un avenir.
Emplois menacés chez Valeo
M. Thierry Cozic . - Quelque 1 150 emplois sont menacés chez Valeo. En juillet 2024, l'équipementier automobile a annoncé rechercher un repreneur pour plusieurs de ses sites français, dont celui de Suze-sur-Sarthe. En février, il a annoncé la cessation anticipée de l'activité du site, au 25 avril. Ce sont 250 salariés qui attendent leur licenciement ou leur reclassement : aucune famille ne sera épargnée. L'intersyndicale dénonce un mépris inacceptable.
Le groupe Valeo, qui affiche de très bons résultats financiers pour l'exercice 2024 et a bénéficié du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) de 2020 à 2023, a pourtant délocalisé une partie de son activité dans des pays low cost.
L'État français, actionnaire de l'entreprise, doit protéger les salariés. Comment le Gouvernement compte-t-il éviter que cette situation ne se reproduise ? Quid de l'accompagnement social des salariés ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Suze-sur-Sarthe fait partie des sites pour lesquels Valeo cherche un repreneur depuis juillet 2024. La situation de Valeo en France s'est considérablement dégradée dernièrement en raison d'un déficit de compétitivité et de la remise en cause de la technologie 48V. S'ajoutent des difficultés conjoncturelles - baisse des volumes et stratégies d'achat des constructeurs dans des pays à bas coût.
Face à la chute de son chiffre d'affaires, Valeo a cherché des repreneurs pour deux de ses sites. L'un a trouvé un repreneur, mais pas le second, dans la Sarthe. Les salariés concernés ont été informés en novembre de la décision de fermeture et, après quatre mois de recherche d'un repreneur, une procédure pour signer un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été engagée.
Le Gouvernement est attentif à la qualité du dialogue social et au respect du code du travail. Il veille aussi à ce que Valeo maintienne une ambition forte en France. Ces dix dernières années, 9 milliards d'euros ont été investis en R&D, 2 milliards en outils de production. Dans les deux prochaines années, Valeo devrait investir 1,7 milliard d'euros en R&D - moteurs électriques, batteries, intelligence artificielle, logiciels embarqués.
Considérons la situation de la filière au niveau européen. Le plan européen annoncé la semaine dernière reprend les exigences françaises de préférence européenne et de contenu local : c'est une excellente nouvelle pour l'avenir de la filière et l'industrie européenne.
Tarifs de recharge des véhicules électriques
M. Bernard Buis . - Pourquoi n'existe-t-il aucune obligation d'affichage des tarifs de recharge pour les véhicules électriques, alors que cette transparence est exigée des fournisseurs d'énergie pétrolière ? La question a déjà été posée en juillet 2023 par notre collègue Christian Bilhac, mais elle est restée sans réponse.
Les tarifs sont variables et souvent très élevés. En effet, alors que le prix d'achat du kWh auprès d'EDF varie de 6 à 11 centimes, les tarifs pratiqués aux bornes peuvent atteindre 69 centimes ! L'opacité empêche les automobilistes de comparer les offres. Ces écarts, dans un marché qui bénéficie de subventions publiques, sont injustifiés.
Afin de renforcer la confiance des usagers, le Gouvernement envisage-t-il d'étendre l'obligation d'affichage des tarifs à la recharge des véhicules électriques ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Le sujet que vous soulevez a trait au pouvoir d'achat et à la transition écologique. J'y suis sensible.
Le nombre de voitures électriques est passé de 2 % du parc français en 2020 à 17 % en 2023, et 13 millions de véhicules électriques pourraient être en circulation en 2030. Nous comptons 150 000 bornes de recharge et voulons atteindre les 400 000.
La transparence des prix est essentielle pour le consommateur. Le prix de la recharge électrique dépend de la quantité d'électricité fournie, mais aussi de la puissance de la charge et la durée d'occupation de la borne. En outre, le nombre de véhicules se rechargeant en même temps, le niveau de charge initiale du véhicule et le modèle de la batterie ont un impact sur la durée de la recharge, donc sur le prix.
L'information tarifaire est donc beaucoup plus complexe que pour les carburants. Des règles harmonisées d'information sur les prix sont entrées en vigueur en avril 2024 : les points de recharge doivent désormais indiquer le prix de l'énergie en kWh, le prix de la durée d'occupation en minutes et le prix de la session de recharge. En outre, pour les bornes de recharge rapide de puissance supérieure à 50 kW, l'affichage du prix devra être indiqué sur la borne elle-même.
Afin de garantir l'application de ces nouvelles dispositions, la DGCCRF a lancé en 2025 une enquête nationale. Nous verrons s'il convient d'aller plus loin, afin que le consommateur n'ait pas le sentiment d'être pris en otage.
Contrats obsèques
M. Christophe Chaillou . - J'attire l'attention du Gouvernement sur les distorsions de concurrence en matière funéraire, liées à l'offensive d'opérateurs proposant des contrats obsèques en capital ou des formules de financement à l'avance.
Ces contrats sont en très forte augmentation : des souscriptions en hausse de plus de 15 % entre 2022 et 2023, pour 5,3 millions de contrats au total. Malgré un strict encadrement par la loi, de nombreux organismes financiers influencent les souscripteurs et les familles en deuil, en les orientant vers des entreprises partenaires, le plus souvent des groupes funéraires - alors que les PME représentent 60 % du marché et plus de 26 000 emplois. Certains organismes retardent même volontairement le versement du capital lorsque l'opérateur funéraire choisi n'est pas l'un de leurs partenaires exclusifs !
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de rétablir la libre concurrence organisée par la loi Sueur de 1996 ? Les familles en deuil doivent pouvoir choisir librement leur opérateur funéraire.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - La question du financement des funérailles concerne tous les Français. La DGCCRF va lancer une enquête nationale, ciblant 1 000 opérateurs funéraires, pour contrôler notamment le respect du nouveau modèle de devis funéraire, applicable à compter du 1er juillet prochain.
Les Français sont de plus en plus nombreux à recourir à des contrats d'assurance obsèques pour ne pas laisser cette charge à leur famille. C'est une question de pouvoir d'achat, mais aussi intime.
Il existe deux types de contrats d'assurance obsèques : soit des prestations funéraires déterminées à l'avance, soit un capital versé à un bénéficiaire pour financer les obsèques. Dans le premier cas - qui représente 20 % du marché - , la loi prévoit déjà expressément que le souscripteur peut changer à tout moment d'opérateur et de prestations, mais qu'à son décès, sa volonté doit être respectée. Dans le second, majoritaire, un capital est versé à un bénéficiaire choisi par le souscripteur : ce bénéficiaire est libre de choisir l'opérateur et les prestations - les assurances peuvent faire des suggestions, mais l'information sur ce libre choix mériterait d'être renforcée, j'en conviens.
Le député Daniel Labaronne nous a fait les mêmes retours que vous : le bénéficiaire se voit parfois imposer un opérateur funéraire et des prestations, ce qui me semble soulever de sérieuses difficultés. Les services de Bercy ont été chargés d'évaluer la légalité de ces contrats et nous envisagerons, le cas échéant, des ajustements ou des sanctions.
M. Christophe Chaillou. - Merci pour ces précisions très utiles. Nous restons vigilants, car ce sujet touche de nombreuses familles.
Shein et droits de douane
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - La déferlante du e-commerce à très bas prix menace l'industrie et le commerce, avec une concurrence ultra-déloyale : prix cassés, frais de transport quasi gratuits pour faire 10 000 kilomètres, pas de droit de douane, etc. Il y a urgence : chaque mois, des emplois disparaissent qui ne réapparaîtront pas de sitôt !
Il y a deux ans, afin d'enquêter sur les dérives de la fast fashion, l'un de vos prédécesseurs a saisi la DGCCRF, dont les conclusions étaient attendues pour l'automne 2023. Or elles n'ont toujours pas été rendues. Cela contraste avec votre efficacité sur le déréférencement de la plateforme Wish, preuve que quand on veut, on peut ! Où en est cette enquête de la DGCCRF ?
Pourquoi les colis de moins de 150 euros qui déferlent dans nos aéroports sont-ils exonérés de droits de douane ? Cela doit cesser, sans attendre 2026. Pourquoi ne pas envisager le paiement d'un droit forfaitaire pour tous ces colis de faible valeur et le transfert de la responsabilité du paiement des droits de douane du consommateur vers la plateforme ? Quelles sont les méthodes de contrôle de nos services des douanes ? Sont-ils dotés de moyens suffisants ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Ce sujet est au coeur de mon action comme ministre de tutelle des douanes. L'enquête de la DGCRF, sur Shein en particulier, est en cours, et je ne puis vous donner plus de détails.
Nous coordonnons notre action au niveau européen via le réseau de coopération en matière de protection des consommateurs (CPC). Le 3 février, la Commission européenne a informé Shein du lancement d'une enquête sur la conformité de ses pratiques aux obligations européennes - pratiques commerciales, droit des consommateurs, clauses abusives, indication des prix, numérique, etc. La Commission déterminera les prochaines étapes sur la base de ces éléments.
Je vous communiquerai le résultat de notre enquête, dès que la procédure m'y autorisera.
L'enjeu du déréférencement de Wish en 2021 était différent : il s'agissait de produits dangereux pour la sécurité des consommateurs.
Je suis très engagée au niveau européen pour mettre en place l'union douanière, afin d'appliquer droits de douane et TVA à l'ensemble des produits qui entrent sur notre sol. Quelque 800 millions d'articles sont entrés en France l'an dernier par petits colis. Je déplore de la fraude à la TVA, du non-paiement des droits de douane, mais aussi beaucoup de contenus illicites - drogue, contrefaçons, médicaments falsifiés.
Hier, j'ai présenté à La Seyne-sur-Mer le bilan des douanes 2024. Ce sujet est l'une de mes priorités, car il conduit à de moindres recettes pour nos finances publiques, une mise en danger des consommateurs et cet immense dumping alimente, je le crains, une crise industrielle en Europe. Notre mobilisation est totale, et je vous ferai parvenir toutes les informations souhaitées, dans le respect des enquêtes en cours.
La séance est suspendue à midi quarante.
Présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 14 h 30.
Salut à une délégation parlementaire de la République démocratique du Congo
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre se lèvent.) Je suis heureux de saluer en votre nom, dans la tribune d'honneur, le président du Sénat de la République démocratique du Congo (RDC), M. Sama Lukonde, et une délégation de sénatrices et de sénateurs, dont le président de la commission des relations extérieures et celui de la commission de la défense.
Ils sont accompagnés par nos collègues Guillaume Chevrollier, président du groupe d'amitié France-Afrique centrale, et Francis Szpiner, président délégué pour la République démocratique du Congo.
Nous venons de l'évoquer avec le président du Sénat de la République démocratique du Congo : alors que la RDC connaît une situation humanitaire dramatique, en particulier du fait des tentatives de déstabilisation orchestrées dans l'est du pays par le M23 et le Rwanda, le Sénat assure le peuple congolais de sa solidarité, de son attachement indéfectible à son intégrité territoriale et à sa souveraineté, et de son souhait que soit empêché le pillage de ses biens.
Notre pays a en particulier fait adopter, à l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies, la résolution 2773 condamnant les offensives du M23 et appelant au cessez-le-feu et au retrait immédiat des troupes rwandaises du territoire de la RDC.
Nous tenons à le rappeler avec force : la souveraineté et l'intégrité territoriale de la RDC ne sont pas négociables. Il y va de la stabilité du continent africain tout entier, nous venons de l'évoquer et de le partager.
Nous aurons l'occasion de retrouver nos collègues du Sénat de RDC, premier pays francophone au monde, à l'occasion de la 50e session de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui se tiendra à l'Assemblée nationale et au Sénat du 9 au 13 juillet 2025.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, je souhaite à nos collègues de RDC des échanges riches et féconds, en les assurant de l'amitié et de la confiance du Sénat de la République française. (Applaudissements)
Rappel à l'ordre
M. le président. - Mes chers collègues, avant de passer à notre ordre du jour, je voulais vous faire part d'un incident grave qui s'est produit lors de la séance du mardi 18 février après-midi, au cours des débats sur la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport.
Alors que le président Patrick Kanner avait la parole pour explication de vote sur les amendements portant suppression de l'article 1er de la proposition de loi, notre collègue Stéphane Ravier est intervenu en employant notamment le mot de « collabo » à son encontre. Laurent Burgoa a pris la parole en séance pour confirmer l'emploi de ce terme, comme l'atteste le compte rendu des débats.
Ces propos entendus par d'autres de nos collègues sont constitutifs d'une injure et donc passibles de la censure aux termes de l'article 94 de notre règlement. Par lettre en date du 19 février 2025, le président Kanner m'a donc demandé de prononcer contre Stéphane Ravier cette sanction qui emporte, de droit, la privation, pendant un mois, du tiers de l'indemnité parlementaire et de la totalité de l'indemnité de fonction. Jamais la censure n'a été prononcée contre un sénateur sous la Ve République.
Le bureau du Sénat s'est réuni le jeudi 20 mars afin d'examiner la situation de Stéphane Ravier. Le caractère inacceptable du propos tenu par notre collègue a fait l'unanimité.
Dans le cadre de la procédure, Stéphane Ravier a toutefois, par écrit, reconnu les faits et a présenté ses excuses au Président Kanner.
Au regard de ces éléments et après consultation du Bureau, j'ai donc décidé de ne pas proposer au Sénat de prononcer la censure, mais de procéder à un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal.
J'adresse donc ici un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal à Stéphane Ravier pour son attitude à l'égard du président Patrick Kanner lors des débats sur la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport.
Mes chers collègues, je me fais ici l'interprète du Bureau, là encore unanime, pour appeler solennellement chacune et chacun d'entre vous, dans tous les groupes, au respect mutuel.
Des débats difficiles nous attendent ces prochains mois et nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, basculer dans les injures et les outrages.
Méfions-nous des mots qu'il nous est parfois arrivé d'entendre lors de débats récents, comme ceux de négationniste, raciste, xénophobe...
Il est de notre intérêt et de notre devoir de préserver le ton très particulier du débat au Sénat, empreint de respect et d'écoute. Je n'accepterai pas qu'il en soit autrement et je compte sur vous, en particulier les vice-présidents, pour y veiller. Il y va du respect de la fonction parlementaire et du respect dû à nos concitoyens.
Mise au point au sujet de votes
M. Jean-François Longeot. - Lors du scrutin public n°237, mon collègue Hervé Maurey ne souhaitait pas participer au vote. Lors du scrutin public n°235, Olivia Richard souhaitait voter contre.
Acte en est donné.
Conversion de centrales à charbon (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à convertir des centrales à charbon vers des combustibles moins émetteurs en dioxyde de carbone pour permettre une transition écologique plus juste socialement, présentée par M. Khalifé Khalifé.
Discussion générale
M. Khalifé Khalifé, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.) Deux centrales à charbon, Cordemais et Saint-Avold, sont concernées par la proposition de loi que nous examinons. Je remercie M. le ministre d'avoir accepté de donner suite aux alertes des sénateurs de Moselle, d'avoir construit avec nous cette proposition de loi et d'avoir engagé son examen selon la procédure accélérée. Je salue les salariés de la centrale de Saint-Avold et les élus, accompagnés du président du département de Moselle, M. Patrick Weiten, qui ont fait le déplacement au Sénat aujourd'hui.
Au-delà de la question énergétique, nous parlons d'emplois, de justice sociale et de responsabilité envers les territoires qui, comme la Moselle, ont fait durant deux siècles la force industrielle de notre pays.
Construite au pied des mines après la guerre dans l'esprit du programme du Conseil national de la résistance, la centrale Émile-Huchet de Saint-Avold fut l'une des plus importantes d'Europe. Elle est l'un des témoins de cette grande aventure industrielle. Nous devons, pour nos enfants et notre environnement, tourner définitivement la page du charbon, personne ne le remet en cause, mais cela ne doit pas se faire au mépris des salariés. Il faut le faire avec dignité et respect pour ces hommes et ces femmes qui n'ont pas hésité à rallumer la flamme alors que la guerre frappait de nouveau l'Europe, en 2022, pour sauver le système électrique national - alors même que la fermeture de la centrale avait été décidée en 2019.
Ces allers-retours ne sont plus tolérables. Il faut stabiliser les emplois et sécuriser les dizaines de millions d'euros d'investissements nécessaires à la conversion. Tourner la page du charbon sans reproduire les erreurs passées est une obligation. C'est sur la base de l'interdépendance du charbon et de l'acier que les fondements de l'Europe ont été posés par le Mosellan Robert Schuman, père de l'Europe.
Cette proposition de loi transpartisane, déposée avec mes collègues de Moselle et signée par des sénateurs lorrains et plusieurs autres sénateurs, offre une solution pragmatique et équilibrée pour convertir les centrales à charbon sans peser sur les finances publiques. Elle garantit le maintien des emplois tout en réduisant les émissions de CO2, et concilie donc l'exigence écologique avec les nécessités économiques et sociales. Résultat d'un consensus entre les collectivités, les parlementaires, le Gouvernement, l'exploitant et les salariés du site, elle poursuit la sécurisation du système électrique lors des pics de consommation, particulièrement au regard du contexte international.
L'exploitant actuel doit investir plusieurs dizaines de millions d'euros pour des travaux d'une durée d'un an. La conversion favorisera le maintien d'une capacité de 600 mégawatts. Cette solution technologique, compétitive, suppose l'adoption de cette proposition de loi.
Les modifications apportées au périmètre du texte en commission ne nous ont pas rassurés. Introduites avec l'intention louable de sécuriser le dispositif, elles risquent de transformer un processus de conversion efficace en un labyrinthe, condamnant Saint-Avold à la fermeture.
L'article 1er vise à considérer l'installation, une fois convertie, comme une nouvelle installation de production pour lui permettre de candidater au mécanisme de capacité.
Le second article octroie une autorisation de production à la centrale une fois convertie si elle est éligible au mécanisme de capacité.
Cette proposition de loi est en adéquation avec la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Pour préserver le sens initial du texte, j'ai déposé plusieurs amendements, que je vous invite à voter, pour définir son périmètre à partir de la réglementation européenne existante, avancer la date butoir de conversion au 1er janvier 2025, supprimer les autorisations environnementales inutiles pour laisser la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) faire son travail et supprimer les dispositions conditionnant l'entrée en vigueur à une notification européenne déjà prévue par ailleurs.
Lors d'une de mes visites à la centrale, un salarié m'a dit qu'une transition bien pensée est celle qui ouvre une porte sans en fermer une autre brutalement. C'est ce que nous devons faire : sortir du charbon, en garantissant un avenir aux salariés et aux territoires. Cette proposition de loi sera un test pour notre volonté de respecter les engagements pris devant nos concitoyens. En votant cette proposition de loi, nous faisons un choix historique, et disons que la transition écologique peut être socialement juste et économiquement viable. Ne répétons pas les erreurs du passé comme la fermeture du site de Florange en Moselle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Dominique Estrosi Sassone et M. Bernard Buis applaudissent également.) Je me réjouis que nous examinions un texte transpartisan. Je suis certain qu'il sera voté, appliqué et servira de socle au projet de conversion de Saint-Avold. Il s'agit de 500 emplois directs et indirects, dans un département durement éprouvé par la fermeture des mines de charbon. Il est de notre responsabilité d'offrir un cadre juridique robuste à ce projet. Je suis convaincu de l'intérêt de ce texte : localement, mais aussi nationalement. Il nous faut sortir des dogmes : plutôt que d'arrêter les centrales à charbon, il faut les convertir en respectant des seuils d'émissions. Celles-ci peuvent contribuer ponctuellement à notre sécurité d'approvisionnement lors des pics hivernaux de consommation d'électricité.
Je remercie nos collègues Khalifé Khalifé, Jean-Marie Mizzon, Catherine Belrhiti, Christine Herzog et Michaël Weber d'avoir déposé ce texte, ainsi que la rapporteure pour avis, Christine Herzog, et les présidents Dominique Estrosi Sassone et Jean-François Longeot.
Maintes fois reportée, la sortie du charbon est toujours prévue. La loi Énergie-Climat de 2019 a fixé la fin du recours aux quatre dernières centrales à charbon de Cordemais, du Havre, de Gardanne et de Saint-Avold d'ici à 2022 et appliqué un plafond d'émission aux installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles. Sur cette base, une ordonnance a été prise en 2020, suivie d'un décret le 5 février 2022. La loi pour la protection du pouvoir d'achat de 2022 a ensuite maintenu ces installations en cas de menace sur la sécurité d'approvisionnement, puis deux décrets de septembre 2022 et août 2023 ont modifié le premier décret. Le Havre et Gardanne ont fermé en 2021.
Le Gouvernement envisage la fermeture ou la conversion des deux dernières centrales à charbon d'ici à 2027, selon des conditions prévues par le plan national intégré énergie-climat (Pniec) transmis à la Commission européenne. Le projet de PPE soumis à consultation publique vise à organiser la fin de la production d'électricité à partir du charbon et à accompagner le lancement de sites pilotes pour la conversion des centrales thermiques. Cette proposition de loi favorise la conversion via le mécanisme de capacité, un dispositif de rémunération des exploitants par Réseau de transport d'électricité (RTE), en contrepartie de leur engagement de disponibilité ; celui-ci est financé par une taxe sur les fournisseurs et les consommateurs. Le mécanisme de capacité doit être notifié à la Commission européenne au titre des aides d'État. Il est encadré par le règlement européen sur le marché de l'électricité de 2019.
L'article 1er facilite l'éligibilité des centrales à charbon à ce mécanisme. L'article 2 regroupe les autorisations des centrales en conversion.
Je retiens de mes auditions un accueil favorable au texte. GazelEnergie compte y recourir pour Saint-Avold, mais pas EDF pour Cordemais. Pour le Gouvernement, ce texte pourrait être aussi appliqué aux centrales au fioul et au gaz.
Les trois amendements que j'ai fait adopter relèvent de la consolidation juridique. Nous devons veiller à la robustesse du texte pour éviter toute censure du Conseil constitutionnel, comme en 2022.
Le texte adopté en commission ne modifie pas le périmètre. Il pourrait servir à la conversion de la centrale de Vaires-sur-Marne. Il n'a ajouté ni nouvelle contrainte ni nouveau délai. Nous avons introduit une référence à la loi de finances initiale pour 2025, car le mécanisme de capacité entrera en vigueur après notification à la Commission européenne au titre des aides d'État.
Nous avons aussi introduit une référence au code de l'environnement, toujours à des fins de consolidation.
Sur mon initiative, nous avons par ailleurs précisé que le texte concernait les centrales existantes, l'objectif étant de favoriser la conversion, non de déroger au décret du 21 avril 2020 qui prohibe de nouvelles installations. Cette précision présente un double intérêt, économique et environnemental : les projets de reconversion ne doivent pas être évincés au profit de nouveaux projets et les nouvelles capacités de production d'électricité doivent être nucléaires et renouvelables.
Nous avons aussi ajouté une disposition demandant à EDF de préciser l'avenir de la centrale de Cordemais.
Je vous invite à adopter cette proposition de loi. Soyez assuré de ma détermination à la faire aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme Christine Herzog, rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À l'origine de cette proposition de loi, il y a l'urgence de sauver les emplois de la centrale de Saint-Avold, en favorisant sa conversion. C'est un petit pas pour l'environnement, un grand pas pour l'emploi. Très attendue par les élus et les habitants du département, celle-ci me tient à coeur. Je salue les salariés, sous-traitants et élus locaux présents en tribune et ceux qui manifestent près du Sénat pour sauver un territoire qui a trop souffert de la fermeture des mines.
Nous avons pris l'initiative de cette proposition de loi pour défendre la vitalité économique de notre département.
Il y a quelques mois, j'avais interpellé le Gouvernement qui m'a encouragée à légiférer. Le choix d'un dépôt collectif traduit notre engagement commun. Ce texte est porteur d'espoir pour les 150 salariés de la centrale, les 150 sous-traitants et les 500 emplois directs et indirects du territoire.
Depuis l'annonce en 2019 de la fermeture progressive de la centrale, les travailleurs vivent dans une incertitude permanente. Ils ont tout connu : fermeture en février 2022, réouverture en urgence, échec de la conversion à la biomasse, nouveau projet de conversion au biogaz et gaz. Nous devons leur envoyer un signal clair.
La fermeture des centrales à charbon est une nécessité. Quelque 95 % de la production d'électricité française est bas-carbone, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables. Seules deux centrales à charbon subsistent, représentant 0,1 % de la production nationale. Nous devons limiter les émissions de gaz à effet de serre. Or le charbon est le mode de production d'électricité le plus polluant.
En 2022, la centrale de Saint-Avold a dû rouvrir en urgence face à la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Puis le Président de la République a annoncé la conversion des deux centrales à charbon d'ici à 2027. L'exploitant de Saint-Avold a proposé une conversion au gaz naturel et au biogaz, soutenu par le ministre de l'économie et des finances. Certes, le gaz naturel n'est pas idéal, mais il émet déjà deux fois moins de gaz à effet de serre que le charbon. La centrale ne fonctionnera pas en continu, mais environ quatre semaines par an, lors des pics.
Nous devons concilier environnement et justice sociale. La proposition de loi, solution de compromis, préserve les emplois tout en réduisant l'empreinte carbone de la production d'électricité. Saint-Avold pourrait ainsi réaliser sa transition vers des énergies moins polluantes en accédant au nouveau mécanisme de capacité.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable à la proposition de loi initiale. Mais, à titre personnel, j'estime que la version amendée par la commission des affaires économiques peut remettre en cause la conversion. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a néanmoins reconnu que la méthode pragmatique que nous proposions conciliait trois impératifs : climatique, de sécurité énergétique et de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie . - Cette proposition de loi est porteuse d'espoirs et de solutions. Notre pays doit une partie de son histoire au charbon. De 1230 à 2004, le charbon a fait vivre des bassins entiers de population. Le pacte charbonnier de 1994 a permis l'arrêt progressif de l'extraction houillère, jusqu'à la fermeture de la dernière mine, La Houve, en Moselle, en 2004.
Accompagner la sortie du charbon est un enjeu territorial et social. C'est l'avenir de nombreuses familles et de tout un territoire qui est en jeu à Saint-Avold. Ce texte renforcera notre sécurité d'approvisionnement en électricité et décarbonera notre bouquet énergétique.
Cette proposition de loi, modèle d'initiative transpartisane, témoigne de la culture du dialogue du Sénat. Je salue les sénateurs mosellans et l'engagement des élus de Moselle et de la région Grand Est. Le Gouvernement soutient pleinement cette initiative.
En septembre 2023, le Président de la République s'est engagé à convertir les centrales à charbon françaises. Saint-Avold a présenté un projet de conversion au biogaz ; de nombreux échanges avec mes services ont permis d'en préciser les modalités. Cette conversion étant impossible en l'état actuel du droit, il était indispensable d'agir.
Éric Lombard, Gérard Larcher et moi-même avons fait le nécessaire pour que ce texte soit examiné dans les meilleurs délais.
Parmi les projets éligibles au mécanisme de capacité, les lauréats seront ceux qui répondent aux besoins de sécurité d'approvisionnement électrique du pays. Ils seront réputés autorisés au titre de l'article L. 311-1 du code de l'énergie.
Ce texte doit rester centré sur les centrales à charbon, à tourbe et à schiste bitumineux. L'élargissement à d'autres combustibles fossiles risquerait de générer un effet d'aubaine injustifié.
Cette solution allège le cadre administratif sans alourdir le budget de l'État. C'est assez rare pour être souligné. (M. Michel Savin s'en amuse.) Les discussions avec les services de l'État sur le projet de Saint-Avold sont bien avancées. Les bénéfices seront nets pour l'emploi. Cette conversion représente un investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros de la part de GazelEnergie. Je salue les mesures prises en faveur des salariés durant cette délicate période de transition, notamment la prolongation des contrats de travail jusqu'au 31 août 2025.
Les bénéfices sont importants également pour assurer notre souveraineté énergétique et atteindre nos objectifs climatiques.
Cette proposition de loi illustre la nécessité de trouver des solutions adaptées aux spécificités de chaque territoire. Un territoire, une solution : cela s'applique à Cordemais, où le projet de conversion à la biomasse n'a pu aboutir en raison de coûts trop élevés. Nous sommes mobilisés avec EDF pour reclasser tous les salariés, notamment en lien avec l'usine Framatome.
Cette proposition de loi est un modèle de démarche transpartisane, d'écoute du terrain, de pragmatisme et d'efficacité. Je suis heureux de lui apporter mon plein soutien, pour la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Catherine Belrhiti. - Bravo !
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur pour leur travail sur ce sujet très important : la conversion des centrales à charbon. La transition écologique suppose de l'accompagnement. On ne peut bien faire qu'avec les acteurs locaux, afin de susciter de l'engagement. Il faut construire une culture du consensus autour de bénéfices partagés.
Les centrales à charbon en sont un contre-exemple : Emmanuel Macron promettait, dès 2017, de les fermer. Mais, en huit ans, aucune anticipation, aucun accompagnement, aucune stratégie. Nous payons l'absence de vision et de préparation du Gouvernement sur l'énergie.
Les deux centrales restantes représentent 1 000 emplois directs et indirects. Autant de salariés qui risquent de se retrouver sur le carreau.
En même temps, il faut investir dans de nouveaux projets. Ces salariés sont une partie de la solution, mais pas à n'importe quel prix.
Investir dans le gaz sans contrepartie sur l'approvisionnement est une erreur. À Saint-Avold, la conversion au biogaz est partielle - 40 % d'énergie fossile, 60 % de biogaz. Or nos ressources en biogaz sont très faibles. Le risque est que ces centrales fonctionnent au gaz naturel liquéfié (GNL) russe, qui finance Poutine et l'invasion de l'Ukraine, ou américain, à l'heure où Trump nous livre une guerre commerciale. Ce n'est pas viable !
Nous, écologistes, soutenons la biomasse, mais pour des unités de cette taille les difficultés d'approvisionnement sont inévitables. N'épuisons pas les terres, n'importons pas d'engrais azotés, n'altérons pas la production alimentaire. Souvenons-nous de l'échec de Gardanne, qui importe massivement du bois brésilien. Déforester l'Amazonie ou le Cerrado pour produire à Gardanne, cela ne va pas !
L'inclusion par la commission des centrales à fioul dans le texte est inacceptable.
Nos marges financières sont plus que jamais contraintes. Il faut taper juste. Les 800 millions d'euros que l'État compte débloquer pour Gardanne pourraient financer du solaire, de l'éolien offshore. Et je ne parle pas des dizaines de milliards d'euros investis dans les réacteurs pressurisés européens (European Pressurized Reactors - EPR), avec un risque maximal et sans aucune garantie.
Accompagnons les salariés, mais faisons mieux qu'ailleurs : il faut des plans de transition territoriaux pour accompagner en douceur le changement et mettre en oeuvre des solutions durables dans des calendriers réalistes.
La conversion est un leurre si nous voulons sortir de la dépendance énergétique. Il faut se concentrer sur le stockage ou l'hydrogène vert. C'est ce qui a été commencé à Saint-Avold. L'État doit se porter garant de la viabilité de ces projets.
Le GEST votera majoritairement contre le texte si l'inclusion des centrales à fioul est maintenue, sinon nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi est pertinente et doit être mise en oeuvre le plus rapidement possible. La conversion au biométhane participera à la transition écologique, l'équilibre économique des projets sera assuré par le mécanisme de capacité, l'emploi sera préservé et la vitalité des territoires maintenue. Les promesses du Président de la République bénéficieront en outre d'un contenu juridique. Le caractère transpartisan du texte nous aidera à trouver des solutions lors des pointes de consommation.
La centrale de Saint-Avold pourra participer à la fixation du prix de gros de l'électricité à partir de son coût marginal de production.
Comment s'affranchir des importations ? Nous subissons l'envolée des prix en cas de crise. La commission d'enquête sénatoriale de 2024 sur les prix de l'électricité n'a obtenu aucune réponse. La stabilité des prix et leur visibilité pour les consommateurs sont pourtant en jeu.
Le combustible de Saint-Avold sera constitué à 40 % de méthane et à 60 % de biogaz. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour faire disparaître le méthane ?
La conversion de Saint-Avold doit être une priorité. La substitution en commission du terme « fossiles » par le terme « solides » ne doit pas changer les priorités. Ne nous interdisons pas ensuite de convertir d'autres centrales. Je pense à Cordemais et à Gardanne qui devraient être soutenues par l'État.
Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle flambée des prix. Sous réserve que la priorité soit bien donnée aux centrales à charbon, le groupe SER votera ce texte.
Monsieur le ministre, il est insensé que la version 3 de la PPE ne soit pas soumise au Gouvernement. C'est un déni de démocratie.
M. Stéphane Piednoir. - Très bien !
M. Franck Montaugé. - Comment l'énergie peut-elle être soustraite à la discussion des représentants de la nation ?
Le Sénat a saisi tous les moyens pour aborder la révision de la PPE. Cela nous interpelle, de même que le limogeage du PDG d'EDF, sur la stratégie du Gouvernement. Les difficultés politiques engendrées par la dissolution de l'Assemblée nationale ne doivent pas être prétexte à un contournement du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Henri Cabanel et Mme Christine Herzog applaudissent également.)
M. Aymeric Durox . - Ce texte traite de la centrale à charbon de Saint-Avold, cas d'espèce, défendue avec énergie par mon collègue député Alexandre Loubet et l'ensemble de notre mouvement.
Saint-Avold, c'est le symbole des petits calculs politiciens du Président de la République et de la Macronie. Fermée en mars 2022, à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle, elle est rouverte une semaine après le second tour des législatives pour faire face au manque d'électricité dû à la fermeture de Fessenheim et aux atermoiements présidentiels.
Au RN, face au lobbyisme décroissantiste des écologistes voulant ramener la France à l'âge de pierre, nous défendons le nucléaire, car cette énergie décarbonée favorise notre souveraineté.
La conversion des centrales à charbon est nécessaire : pour l'emploi, pour notre souveraineté, et pour une vision écologique responsable.
Cette proposition de loi est attendue par les salariés, qui craignent une fermeture dès cet été.
Le RN a été bien seul pour défendre Saint-Avold. (Mme Frédérique Puissat ironise.)
La version de la proposition de loi issue de la commission favorise le développement des centrales à fioul, écologiquement absurde. Il faut se limiter à la conversion des centrales à charbon, pour ne pas menacer Saint-Avold. Inclure les centrales à fioul alourdirait en outre les procédures. Les salariés de Saint-Avold ne peuvent plus attendre : le code de l'environnement permet de franchir les obstacles.
La Commission européenne n'est pas légitime dans ce dossier : nul besoin de notifier cette proposition de loi. Ce serait une perte de souveraineté. S'il était voté en l'état, le texte trahirait la promesse de conversion.
Les salariés de Saint-Avold savent pouvoir compter sur les élus RN à l'Assemblée nationale et au Sénat. (Marques d'ironie sur quelques travées des groupes Les Républicains et SER)
M. Pierre Jean Rochette . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Des années d'atermoiements et de renoncements, des erreurs, des crises d'approvisionnement interrogent nos choix passés. Nous avons été incapables d'anticiper. Une transition efficace prend du temps, mais il est urgent d'agir.
Il faut un cap sur le long terme pour rendre attractives nos filières et un mix énergétique décarboné pour assurer un approvisionnement stable.
Cette proposition de loi corrige certaines erreurs passées. Je salue le travail de ses auteurs mosellans et celui du rapporteur. Nous devons sécuriser des centaines d'emplois. Parfois, à vouloir aller trop vite, on recule. Derrière, ce sont des bassins d'emplois qui sont affectés.
Mais il y aura aussi des effets sur l'approvisionnement énergétique national. Il y va de notre souveraineté : nous devons gagner en autonomie. Ce n'est pas en fermant des centrales que nous y parviendrons.
Les crises passées ont montré que la mobilisation de toutes nos centrales était nécessaire pour maintenir la stabilité du réseau électrique lors des pics de consommation.
Cette conversion représente des investissements importants et suppose la mobilisation de tous : il faut en garantir la viabilité économique. Considérer ces centrales comme de nouvelles installations pour assurer leur éligibilité au mécanisme de capacité sécurisera les investissements.
Les procédures sont regroupées : la sélection des centrales par RTE emportera l'attribution de l'autorisation d'exploiter ; c'est une simplification bienvenue. La précision du rapporteur sur l'autorisation environnementale y contribue également.
Malgré ces avancées notables, le chemin est encore long. Le défi de demain est technologique, industriel, financier et humain.
La consommation croissante d'électricité, le changement climatique et le contexte géopolitique doivent nous pousser à accroître notre production énergétique décarbonée. Nous devons nous doter de sources d'énergie complémentaires pour réussir la transformation de notre mix énergétique.
Le groupe Les Indépendants répond toujours présent quand il s'agit de défendre la souveraineté énergétique de la France. Nous voterons ce texte - unanimement ou majoritairement, selon l'évolution des débats.
L'expérimentation de Saint-Avold pourrait ensuite être extrapolée à d'autres territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Christine Herzog et M. Alain Marc applaudissent également.) Je salue l'ensemble des auteurs de cette proposition de loi, en particulier Khalifé Khalifé.
Je préside le groupe d'études Énergie depuis près de dix ans. S'il est bien un sujet sur lequel l'État a louvoyé, c'est celui de la fermeture des centrales à charbon.
La loi de 2019 prévoyait leur fermeture en 2022. J'avais dénoncé l'absence d'étude d'impact ; je voulais protéger les salariés et favoriser la création d'un fonds d'accompagnement. Nous avons eu gain de cause : le Gouvernement l'a créé. Chaque année, je propose un amendement pour revaloriser ses crédits.
En 2021, dans la loi Climat et résilience, l'État a voulu modifier le droit social appliqué aux centrales à charbon. Nous avions soutenu cette initiative, en veillant à consolider le droit à reclassement.
En 2022, dans la loi Pouvoir d'achat, l'État a réautorisé les centrales à charbon pour assurer notre sécurité d'approvisionnement ; nous l'avions soutenu sans réserve.
Cette proposition de loi accompagne les projets de conversion des centrales fossiles. C'est un texte technique, mais crucial. Les travaux de la commission ont consolidé ces projets sur le plan juridique. Celle-ci n'a pas modifié le périmètre initial du texte. À ce stade, seule Saint-Avold a fait part de son souhait d'en bénéficier. Un projet de conversion vers les huiles végétales hydrotraitées, expérimenté à Vaires-sur-Marne, ne sera pas exclu du périmètre du texte.
Des négociations sont en cours sur le mécanisme de capacité au niveau européen. La proposition de loi intervient à droit environnemental constant - j'insiste sur ce point. Le texte sécurise la forme sans rien changer au fond. En 2022, la précédente réautorisation des centrales à charbon, mal calibrée, avait été censurée par le Conseil constitutionnel.
L'État ayant trop louvoyé, c'est à la représentation nationale de définir notre cap énergétique. Je déplore que le Gouvernement envisage de recourir à un décret pour définir la PPE, sans passer par une loi de programmation, pourtant requise par loi Énergie et climat de 2019.
Le Sénat a débattu de notre mix énergétique. Nous souhaitons que notre chambre et l'Assemblée nationale s'emparent des choix stratégiques pour notre énergie de demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) De Germinal à la chanson Les Corons de Pierre Bachelet, l'extraction du charbon semble appartenir à une autre époque.
Pourtant, le charbon est toujours un sujet d'actualité. Il a été pointé du doigt pour les conditions de travail délétères et les risques sanitaires qu'il engendrait pour les mineurs. C'est aussi l'une des énergies les plus émettrices de CO2.
La dernière mine a été fermée à Creutzwald en 2004. Mais notre pays est toujours doté de centrales. En 2020, il y en avait encore quatre.
En septembre 2023, le Président de la République a annoncé l'ambition de décarboner notre économie et de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Il avait insisté sur la sortie du charbon pour le 1er janvier 2027 au plus tard, une étape importante pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 et pour fonder notre souveraineté énergétique sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
Les centrales de Saint-Avold et de Cordemais devaient être converties à la biomasse et au biogaz d'ici à 2027.
Cette proposition de loi s'assure que les installations de charbon converties à une autre source d'énergie primaire puissent être éligibles au futur mécanisme de capacité européen si celles-ci émettent moins de 550 grammes de CO2 par kilowattheure.
Ce texte présente de nombreux avantages. Il respecte nos propres engagements environnementaux, en l'espèce l'accord de Paris.
Se séparer d'une énergie fossile comme le charbon est inévitable. Utiliser des combustibles moins émetteurs de CO2 diminuera notre empreinte carbone. Nous réduirons nos importations : compte tenu des tensions internationales, nous avancerons dans notre quête de souveraineté énergétique.
Cette proposition de loi évite la fermeture du site. Environ 500 familles sont concernées si l'on compte les emplois indirects, dans un territoire déjà traumatisé économiquement.
Les débats en commission ont enrichi le texte : seules les centrales produisant de l'électricité à partir de combustibles fossiles qui existent déjà seront concernées.
Le RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Philippe Grosvalet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres. » Souhaitons que ce trait d'Alexis de Tocqueville illumine nos travaux.
Près de 150 ans après l'apparition des premières centrales thermiques françaises et 20 ans après la fermeture de la dernière mine de charbon, nous discutons de l'avenir des deux dernières centrales à charbon françaises, Cordemais et Saint-Avold.
Nous étions précurseurs en décidant de fermer ces centrales : en 2012, la production de charbon représentait encore 86 % de l'énergie produite en Pologne et 43 % aux États-Unis et en Allemagne.
L'exemplarité de cette démarche doit s'appliquer aussi à la conversion de nos deux dernières centrales nationales. Cela suppose une transition progressive, la garantie de nos approvisionnements en cas de pic de consommation, le respect des salariés, et le maintien de leur compétence rare d'énergéticien.
Nous ne pouvions que saluer la déclaration de septembre 2023 du Président de la République sur la conversion à la biomasse de ces centrales.
Quelque 800 salariés directs et indirects travaillent pour la centrale de Cordemais. Il a fallu dix ans pour élaborer un projet de territoire et pour soutenir la conversion, autour du projet Ecocombust.
Imaginez alors notre colère et notre révolte lorsque la direction d'EDF a annoncé ne pas donner suite au projet - je le rappelais ici même le 16 octobre dernier. Une entreprise, dont l'État est l'unique actionnaire, ne peut dicter sa loi aux politiques. Je ne ferai pas de commentaire sur l'actualité de la direction d'EDF.
Nous ne pouvons que saluer la démarche transpartisane de cette proposition de loi et le travail du rapporteur, tout comme l'esprit de sagesse de la commission des affaires économiques pour l'intégration de l'article 4, rédigé sur l'initiative de Karine Daniel. Celui-ci est crucial.
Le groupe RDSE aborde très favorablement cette proposition de loi, mais nous nous inquiétons de l'amendement du Gouvernement qui vide l'article 4 de sa substance. Il aurait été plus courageux, monsieur le ministre, de demander sa suppression ! Nous serons particulièrement vigilants sur la défense de cet article.
La transition énergétique ne se fera pas contre les territoires et leurs habitants. Saint-Avold et Cordemais doivent rester des lieux de production d'électricité. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Christine Herzog applaudit également.)
M. Jean-Marie Mizzon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Catherine Belrhiti et M. Khalifé Khalifé applaudissent également.) Cette proposition de loi, tant sur la forme que sur le fond, suscite pour l'heure la plus grande perplexité tant elle paraît contradictoire avec l'objectif poursuivi initialement. À l'origine, toutes les conditions étaient réunies pour un vote favorable, tant il allait de soi que la conversion des centrales à charbon était seule capable d'assurer une transition écologique plus juste socialement.
Cette proposition de loi a été cosignée par les cinq sénateurs mosellans. Transpartisane et consensuelle, elle répondait aux attentes manifestées sur toutes les travées.
La discussion en séance s'annonçait sereine, mais sera-ce toujours le cas ? En incluant le fioul dans le périmètre du texte, la commission fait redémarrer l'une des pires énergies fossiles en matière de gaz à effet de serre - je le regrette. Surtout, cela condamne la conversion de Saint-Avold et empêche la transition énergétique locale.
Cette proposition de loi a changé de nature.
La fermeture de Saint-Avold et Cordemais devait avoir lieu en 2026, puis en 2027, compte tenu de la guerre en Ukraine et de la faiblesse du nucléaire.
En 2023, le Président de la République a annoncé la reconversion de Saint-Avold en une centrale biomasse pour un coût de 500 à 600 millions d'euros ; ce montant serait de 100 millions d'euros si seulement 50 % de la centrale passait à la biomasse.
Les centrales thermiques classiques fonctionnent à partir de la chaleur produite par une chaudière alimentée par du charbon, du gaz naturel ou encore du fioul, mais aussi avec de la biomasse, combustible peu coûteux et disponible en grande quantité
In fine, alors qu'en 2024 le scénario d'un passage au biogaz s'est avéré peu rentable, c'est le 12 février 2025, en réponse à une question de Catherine Belrhiti, que le Gouvernement a confirmé une conversion plutôt vers le biogaz ou le gaz naturel. Or le ministre expliquait que ce n'était pas possible à droit constant. C'est pourquoi Khalifé Khalifé a déposé cette proposition de loi.
La décision de la commission dénature la proposition de Khalifé Khalifé et condamne la transition de Saint-Avold, car les financements seront captés par des infrastructures au fioul qui ne fonctionnent presque plus, ne nécessitent aucun investissement et où aucun emploi n'est menacé.
Le maintien en activité d'une centrale permet de conserver le personnel sur place, de conforter le réseau de sous-traitants et d'éviter un séisme socio-économique sur le territoire.
Saborder la conversion de Saint-Avold serait non seulement une faute politique, mais aussi une erreur économique et écologique. Les générations futures ne nous le pardonneraient pas. Sur le plan humain, quel gâchis ce serait !
Je ne voterai pas cette proposition de loi si nos amendements ne sont pas pris en compte - j'y crois !
Je salue la présence en tribune du président du conseil départemental de la Moselle, Patrick Weiten, et de salariés du secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Véronique Guillotin et M. Michaël Weber applaudissent également.)
Mme Silvana Silvani . - Cette proposition de loi de Khalifé Khalifé, cosignée par l'ensemble des sénateurs mosellans, est intéressante.
Avec la loi Énergie climat de novembre 2019, nous votions l'arrêt de quatre centrales à charbon tout en conservant la possibilité d'y recourir ponctuellement jusqu'en 2027. Oui, le changement climatique et les engagements de la France nous imposent de réduire l'utilisation du charbon.
Nous ne remettons pas en cause cet objectif, pour lequel nous avions posé des conditions. Premièrement, il ne devait y avoir aucune casse sociale ; le reclassement des salariés devait être une priorité. Deuxièmement, aucune fermeture ne devait intervenir sans garantie sur la gestion des pointes de consommation. Troisièmement, les conversions devaient être soutenues financièrement.
Pour l'instant, la gestion gouvernementale de ces fermetures laisse à désirer. Notre mix énergétique repose toujours sur une contradiction : l'intermittence des énergies renouvelables impose de conserver d'autres modes de production, pilotables. En outre, dans son modèle actuel, le nucléaire ne peut répondre aux variations rapides de la demande. Les projets de conversion de Cordemais et de Saint-Avold relèvent non pas d'un fétichisme industriel, mais d'une nécessité dictée par les conditions objectives du réseau électrique.
Nous souscrivons à la possibilité pour Saint-Avold de recourir au mécanisme de capacité. Toutefois, le site est détenu par une entreprise privée, propriété du milliardaire Kretinsky, qui profite de l'argent public avant de liquider les outils de production.
Le Gouvernement propose une conversion au gaz, enterrant ainsi le projet des salariés et de la CGT pour Cordemais. Celui-ci est pourtant vertueux. Il est inconcevable de laisser EDF enterrer ce projet de conversion à la biomasse sans présenter de projet alternatif pour s'assurer que Cordemais reste un site de production d'énergie.
La pérennité des deux centrales répond à la nécessité de garder un filet de sécurité, même si RTE affirme désormais que la couverture des coûts d'exploitation n'est pas garantie en cas de conversion.
Si ce n'était pas le cas, il faudrait alors recourir aux importations pour couvrir la pointe, mais le prix à payer et le coût environnemental seraient bien plus importants.
Nous réitérons notre exigence d'un projet de loi dédié à l'avenir de notre système électrique, en lieu et place d'un décret de programmation pluriannuelle de l'énergie, qui prive le Parlement de sa compétence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Christine Herzog applaudit également.) L'histoire de la Moselle est liée à ses industries et à ses mines. Le charbon a façonné son paysage industriel et son économie. Il a coûté cher à ses habitants. Les maladies respiratoires ou l'exposition à l'amiante sont des exemples du tribut payé par les populations. On ne peut laisser dépérir ces régions industrielles sans proposer de solutions durables.
Il faut résoudre cette équation complexe : en finir avec le charbon et les fossiles, assurer la production d'électricité en période de tension et préserver les emplois et le tissu industriel.
Nous ne pouvons abandonner les salariés, les ouvriers et les anciennes gueules noires et leurs ayants droit, car nous avons une dette collective envers eux.
L'État a une responsabilité envers ces territoires. Toutefois, il ne s'agit pas de donner un blanc-seing aux industriels en se contentant d'engagements jamais respectés.
Le projet de conversion de la centrale au gaz avec 60 % de biométhane réduirait a priori considérablement les émissions de carbone, mais tout dépend de l'origine des 40 % de gaz fossile.
Nous veillerons à ce que la centrale ne reste pas indéfiniment dans une phase transitoire. L'effort de la transition énergétique doit être partagé.
La réussite du projet de reconversion est un enjeu économique, environnemental, mais surtout social. La confusion régnant autour de l'avenir des salariés est aggravée par des atermoiements sans fin. La reconversion des dernières centrales à charbon est un engagement présidentiel ; tout nouveau retard vouerait le projet à l'échec.
Nous voterons - je l'espère de façon transpartisane - la suppression des dispositions susceptibles de créer des délais supplémentaires. La reconversion des centrales à charbon doit rester prioritaire. C'est un symbole important, mais tout reste à faire. Nous serons vigilants au respect de l'équilibre social, économique et environnemental, pour cette centrale comme partout ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Olivier Bitz et Mme Christine Herzog applaudissent également.)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est avec gravité et un profond sens des responsabilités que je prends la parole sur un enjeu fondamental : la conversion de la centrale Émile-HuchetHuchet de Saint-Avold.
La fermeture des centrales à charbon avait été décidée pour 2022, mais la guerre en Ukraine a bouleversé nos certitudes. Saint-Avold a vu son fonctionnement prolongé, initialement jusqu'en 2025. Cette prolongation devait s'accompagner d'une transition vers des énergies plus propres.
Le 24 septembre 2023, le Président de la République confirmait la conversion des centrales à charbon, avec la promesse d'un avenir viable pour Saint-Avold. Mais celle-ci s'est perdue dans des lenteurs administratives ; l'incertitude s'est installée, plongeant des familles dans l'angoisse. Je salue la présence en tribune du président du conseil départemental de la Moselle.
Le 3 juin 2024, soutenue par plus de 470 maires, j'interpellais de nouveau le Président de la République.
Des initiatives promues par l'exploitant témoignent de sa volonté de convertir le site. J'ai participé à la rédaction d'une proposition de loi pour simplifier la conversion des centrales à charbon. Celle-ci a été reprise dans ce texte transpartisan, cosigné par les cinq sénateurs de Moselle - je remercie mes collègues.
Son objectif est clair : lever les blocages administratifs, garantir une procédure transparente et offrir un cadre stable.
Il est de notre responsabilité de nous assurer que la transition énergétique soit juste socialement et qu'elle ne sacrifie ni les travailleurs ni la souveraineté énergétique de notre pays.
Le 12 février dernier, lors de la séance de questions au Gouvernement, le ministre Lombard a confirmé la transition de la centrale vers la biomasse et le biogaz. Cette déclaration a apporté un répit bienvenu. Nous devons nous inscrire dans la durée et mettre fin à l'incertitude entourant ce projet. Il ne faut pas alourdir la procédure administrative et introduire des délais incompatibles avec la réalité économique et industrielle du projet.
L'ajout du fioul ne correspond pas à la parole du chef de l'État, qui ne concernait que les centrales à charbon ; nous ne devons pas favoriser des énergies fossiles encore plus polluantes.
Les pertes engendrées par le rallongement des délais seraient de 40 millions d'euros par an. Quel signal donnerions-nous à nos employés et à notre industrie ?
Nous devons faire preuve de pragmatisme. Vous avez entre vos mains l'avenir de centaines de salariés, dont certains manifestent devant le Sénat. Revenons à l'esprit initial du texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Stéphane Piednoir . - L'examen de ce texte nous donne l'occasion de consacrer la priorité numéro un de la transition énergétique : poursuivre la décarbonation, et même la « défossiliation » et plus précisément la « décharbonation » de notre mix énergétique.
La France affiche des objectifs difficiles à atteindre, à des horizons dont on ne sait s'ils sont le fruit d'un marketing politicien ou de compétition avec nos voisins.
Pourtant, chacun sait que la France soutient la comparaison internationale, car les émissions de CO2 y sont inférieures à 6 tonnes par habitant, contre 15 par habitant en Amérique du Nord ou en Chine. Nous sommes même d'excellents élèves, puisque l'électricité produite sur notre sol est décarbonée à 95 %, grâce au nucléaire. Vouloir laver plus blanc que blanc peut confiner à l'ubuesque, même si nos vertus, réelles, ne nous empêchent pas de faire des efforts.
Il reste deux chantiers à mener.
Premièrement, électrifier nos usages. Sur le papier, le schéma est simple. En réalité, cela représente des investissements importants, alors que les entreprises manquent de visibilité tarifaire et politique. À ce titre, le changement de direction d'EDF n'est pas rassurant. J'ai rarement vu un navire changer de capitaine lorsqu'il faut tenir un cap. Mais les voies de la Macronie sont toujours aussi impénétrables que lors de la dissolution de juin dernier.
Deuxièmement, il reste à engager la conversion des dernières centrales à charbon. Celles-ci ont joué un rôle capital lors de la crise énergétique de 2022. Je salue les employés des centrales de Saint-Avold et de Cordemais.
La solution la plus simple, pour ces centrales, serait de les convertir au gaz. Certes, le gain en matière de gaz à effet de serre serait très modeste, mais cette solution aurait le mérite de la flexibilité. Un autre choix pourrait émerger : les SMR, les petits réacteurs modulaires, dont je suis surpris qu'ils ne fassent pas partie de notre débat. Certes, ces technologies de rupture ne sont pas encore matures, mais elles présentent des vertus écologiques ; en outre, leur pilotabilité est un atout.
Le mécanisme de capacité doit s'appliquer à toute forme de production dont le seuil d'émissions est inférieur à 550 grammes de CO2 par kilowattheure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°10 rectifié bis de M. Khalifé Khalifé et Mme Christine Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Avec cet amendement rédactionnel, nous voulons rendre le texte conforme à la réglementation européenne applicable aux conversions des centrales utilisant du charbon, de la tourbe ou du schiste bitumineux. Partant, nous éliminons le fioul, qui n'a pas les mêmes impacts environnementaux.
Mme la présidente. - Amendement identique n°17 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°24 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°6 de M. Montaugé et alii.
M. Franck Montaugé. - Afin de respecter les objectifs initiaux de cette proposition de loi, nous précisons le périmètre d'application de l'article 1er et souhaitons éviter la mise en concurrence des centrales au fioul avec les centrales à charbon lors d'une conversion.
Le Président de la République s'était engagé sur la conversion des centrales de Saint-Avold et de Cordemais. Aussi, le dispositif doit porter uniquement sur les centrales à charbon qui se convertissent vers des combustibles moins émetteurs de CO2.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - J'ai quelques doutes sur la solidité juridique des amendements identiques nos10 rectifié bis, 17 rectifié ter et 24. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Retrait, sinon avis défavorable à l'amendement n°6, contraire à la position de la commission.
M. Marc Ferracci, ministre. - Avis favorable aux amendements identiques nos10 rectifié bis, 17 rectifié ter et 24. Restreindre le dispositif à ces combustibles évite les effets d'aubaine que j'ai évoqués lors de la discussion générale. Cela permet aussi de s'inscrire dans le phasage des textes européens, qui mentionnent explicitement le charbon, la tourbe et le schiste bitumineux : nous pouvons ainsi être confiants sur l'avenir du mécanisme de capacité, lorsque celui-ci sera examiné par les autorités européennes.
En revanche, le périmètre de l'amendement n°6 est trop large : retrait.
M. Franck Montaugé. - J'ai besoin d'explications. J'ai compris que les schistes bitumineux, qui sont des roches poreuses, contiennent du pétrole. Je ne vois pas en quoi les introduire dans le périmètre de la loi empêcherait la reconversion des centrales au fioul.
M. Marc Ferracci, ministre. - Nous avons besoin de faire passer le mécanisme de capacité sous les fourches caudines de la Commission européenne et du régime des aides d'État. Nous devons respecter la neutralité technologique, principe adopté par la Commission. C'est pourquoi nous complétons et élargissons le mécanisme de capacité à ces deux éléments, en plus du charbon. Nous avons essayé d'aboutir à un équilibre, en excluant le fioul, mais en intégrant des combustibles reconnus par la Commission dans les textes.
M. Jean-Marie Mizzon. - Monsieur le ministre, merci pour votre réponse, que je n'ai toutefois pas totalement comprise... (Sourires) Le schiste bitumineux peut-il contenir du pétrole ? (Mme Dominique Estrosi Sassone renchérit.)
M. Franck Montaugé. - Oui !
M. Marc Ferracci, ministre. - Je suis un peu obligé de reprendre le fil de mon raisonnement. Nous voulons parvenir à un équilibre, en vue d'assurer la sécurité juridique de ce texte : cela suppose de ne pas aller à rebours du principe de neutralité technologique, présent dans les règles européennes relatives aux aides d'État. Nous élargissons à d'autres énergies, sans toutefois aller trop loin et ajouter une gamme trop vaste de combustibles. Nous évitons ainsi les effets d'aubaine.
M. Daniel Gremillet. - Monsieur le ministre, votre propos est clair et nous permet de parvenir à une réponse consolidée pour Saint-Avold. Le chemin est tortueux, mais je vous fais confiance et voterai ces amendements. Nous revenons ainsi à l'essentiel du texte initial de M. Khalifé Khalifé.
Mme Catherine Belrhiti. - Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse claire. (Mme Karine Daniel ironise.) Il n'y a pas de production d'électricité à partir de schiste bitumineux ou de tourbe en France, mais il fallait retenir cette rédaction compte tenu du droit européen.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Nous avons entendu l'appel des élus du territoire lors de la discussion générale. Le ministre a expliqué la nécessité d'être compatible avec les textes européens. Aussi faisons-nous de la dentelle.
En votant ces amendements, la parole de l'État sera tenue et nous respectons les textes européens.
M. Michaël Weber. - Monsieur le ministre, les collègues - en particulier, les Mosellans - souhaitent avoir la garantie que ce complément ne soit pas juste l'occasion d'intégrer le fioul dans cette proposition de loi. Nous faisons effectivement de la dentelle.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je fais miens les propos de M. Gremillet.
Le schiste bitumineux, c'est aussi du fioul - en tout cas selon Wikipédia. Théoriquement, cette aide à la fermeture de centrales s'applique aux États membres ayant un très faible revenu par habitant ou ne disposant pas de mécanisme de capacité.
Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre. Mais j'espère que cela ne fragilisera pas la proposition de loi, une fois celle-ci votée.
M. Marc Ferracci, ministre. - J'ajoute un élément de projection : avec les articles qui suivent, nous limiterons le dispositif aux centrales existantes. Or aucune centrale n'utilise actuellement le schiste bitumineux : cet élément doit vous rassurer, je pense. L'équilibre trouvé entre sécurité juridique et applicabilité est robuste.
Mme Antoinette Guhl. - Le mieux serait d'adopter tous les amendements : nous serions ainsi certains qu'il n'y aura pas de projet au fioul. Mais il faudrait que l'amendement de M. Montaugé ne soit pas rendu sans objet par l'adoption des précédents... À moins qu'il ne puisse être transformé en sous-amendement ?
Les amendements identiques nos10 rectifié bis, 17 rectifié ter et 24 sont adoptés.
L'amendement n°6 n'a plus d'objet.
Mme la présidente. - Amendement n°12 rectifié bis de M. Khalifé Khalifé et Mme Christine Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Nous remplaçons le 1er juillet par le 1er janvier 2025, pour une mise en oeuvre plus rapide.
Mme la présidente. - Amendement identique n°19 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°26 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Cette mesure est de nature à consolider le travail de la commission et convient aux acteurs administratifs et économiques. Avis favorable.
M. Marc Ferracci, ministre. - Même avis.
Les amendements identiques nos12 rectifié bis, 19 rectifié ter et 26 sont adoptés.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°11 rectifié bis de M. Khalifé et de Mme Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Même reformulation qu'à l'article 1er : nous visons les centrales utilisant du charbon, de la tourbe ou du schiste bitumineux.
Mme la présidente. - Amendement identique n°18 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°25 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°7 de M. Montaugé et du groupe SER.
M. Franck Montaugé. - Défendu.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Nous demandons l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques. Sur l'amendement n°7, retrait sinon avis défavorable.
M. Marc Ferracci, ministre. - C'est la même discussion qu'il y a quelques instants. Avis favorable aux amendements identiques ; retrait, sinon avis défavorable à l'amendement n°7.
Les amendements identiques nos11 rectifié bis, 18 rectifié ter et 25 sont adoptés.
L'amendement n°7 n'a plus d'objet.
Mme la présidente. - Amendement n°13 rectifié bis de M. Khalifé et de Mme Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Comme il y a quelques instants, il s'agit d'avancer de six mois la date d'entrée en vigueur du dispositif.
Mme la présidente. - Amendement identique n°20 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°27 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
Les amendements identiques nos13 rectifié bis, 20 rectifié ter et 27, acceptés par la commission et le Gouvernement, sont adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Montaugé et du groupe SER.
M. Michaël Weber. - Sur l'initiative du rapporteur, la commission a réécrit l'article, précisant notamment que le remplacement de l'autorisation d'exploiter par la sélection du mécanisme de capacité laisse inchangée l'autorisation environnementale, qui peut valoir autorisation d'exploiter dans certains cas. Alors que la modification prévue de l'installation n'est pas substantielle et que des discussions sont en cours avec la Dreal, cette disposition suscite de vives inquiétudes : superfétatoire, elle risque de retarder d'un an la conversion de Saint-Avold, compromettant ainsi la réussite du projet.
Mme la présidente. - Amendement identique n°14 rectifié bis de M. Khalifé et de Mme Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°21 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°28 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°31 de M. Gremillet.
M. Daniel Gremillet. - Je propose de simplifier la référence à l'autorisation environnementale. Celle-ci restera inchangée lorsqu'elle tient lieu d'autorisation d'exploiter. Il s'agit de sécuriser la reconversion de Saint-Avold et de permettre sa réalisation sans retard.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Ne pas prévoir d'articulation avec le code de l'environnement fragiliserait le texte. Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la loi Pouvoir d'achat de 2022, a émis des réserves d'interprétation sur le fondement de la Charte de l'environnement. Enfin, il ressort de l'audition de la direction générale de l'énergie et du climat que l'autorisation environnementale n'est pas supprimée.
Pour ces raisons, retrait, sinon avis défavorable aux amendements nos8, 14 rectifié bis, 21 rectifié ter et 28. En revanche, avis favorable à l'amendement n°31, plus simple dans sa rédaction et de nature à rassurer les acteurs économiques.
M. Marc Ferracci, ministre. - Mêmes avis que le rapporteur. Nous avons besoin de la disposition introduite en commission, et l'amendement de M. Gremillet en clarifie opportunément la rédaction.
Les amendements identiques nos8, 14 rectifié bis, 21 rectifié ter et 28 sont successivement retirés.
L'amendement n°31 est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°9 de M. Montaugé et du groupe SER.
M. Michaël Weber. - Le rapporteur a fait adopter en commission un nouvel article, relatif à la notification à la Commission européenne du mécanisme de capacité. Mais ce dispositif a déjà fait l'objet d'une notification, et rien de ce qui est prévu pour la conversion de Saint-Avold ne constitue un élément nouveau. Nous craignons que l'ajout de la commission ne retarde le projet, peut-être de dix-huit mois, au point de compromettre sa viabilité. La situation est anxiogène pour le territoire.
Mme la présidente. - Amendement identique n°15 rectifié bis de M. Khalifé et Mme Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°22 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°29 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Ne pas prévoir ces conditions d'application fragiliserait juridiquement le texte en renvoyant à des articles du code de l'énergie qui n'existent pas encore en droit. La direction générale de l'énergie et du climat nous a indiqué qu'il était préférable que la proposition de loi entre en vigueur en même temps que le nouveau mécanisme de capacité ; c'est également l'avis de RTE. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Marc Ferracci, ministre. - Même avis.
Les amendements identiques nos 9, 15 rectifié bis, 22 rectifié ter et 29 ne sont pas adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°16 rectifié bis de M. Khalifé et Mme Herzog.
M. Khalifé Khalifé. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°23 rectifié ter de M. Mizzon et alii.
M. Jean-Marie Mizzon. - Le cadre des appels d'offres du mécanisme de capacité a été voté dans le projet de loi de finances pour 2025, dont l'article 19 prévoit la notification à la Commission européenne de ce nouveau régime d'aides. Dès lors, l'article introduit par la commission me paraît superfétatoire.
Je constate que nous nous disons tous attachés à la simplification, mais que, lorsqu'il s'agit d'entrer dans les détails, nous ne parvenons à agir concrètement.
Je n'ai pas été convaincu par le rapporteur et le ministre : en quoi les dispositions actuelles ne suffiraient-elles pas ?
Mme la présidente. - Amendement identique n°30 de Mme Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°32 de M. Gremillet.
M. Daniel Gremillet. - Il s'agit d'une mesure de simplification et d'harmonisation. La proposition de loi entrera en vigueur selon les conditions prévues pour le mécanisme de capacité à l'article 19 de la loi de finances pour 2025. Cette concomitance a été jugée souhaitable par le Gouvernement.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Je répète qu'il convient de conserver cette référence, qui garantit une bonne articulation entre la proposition de loi et la loi de finances pour 2025 et le droit européen. Les amendements identiques n'assureraient pas la coordination avec l'article 1er : retrait, sinon avis défavorable. À l'inverse, l'ajustement rédactionnel opéré par l'amendement n°32 garantit une coordination complète, tout en conduisant à une rédaction plus compacte et propre à lever les inquiétudes des acteurs économiques : avis favorable.
M. Marc Ferracci, ministre. - Mêmes avis, pour les mêmes raisons.
Les amendements identiques nos16 rectifié bis, 23 rectifié ter et 30 sont retirés.
L'amendement n°32 est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
Article 4
Mme Karine Daniel . - Je remercie nos collègues de Moselle d'avoir déposé cette proposition de loi, qui nous offre l'occasion de débattre de la conversion des centrales à charbon restant sur notre territoire, singulièrement de celle de Cordemais.
Mes collègues de Loire-Atlantique et moi-même souscrivons à tous les arguments qui ont été avancés pour défendre le maintien d'un outil de production énergétique capable de faire face ponctuellement à des besoins de pic. Nous en avons besoin dans l'Ouest comme vous en avez besoin dans l'Est.
C'est pourquoi l'article 4 invite EDF à proposer un plan de conversion pour Cordemais, afin d'en faire une centrale facilement mobilisable à court terme au coeur des dispositifs de distribution d'énergie en Basse-Loire et dans tout l'ouest du pays. La vocation du site doit demeurer la production d'énergie.
Mme la présidente. - Amendement n°33 du Gouvernement.
M. Marc Ferracci, ministre. - Je partage votre intérêt pour la conversion de Cordemais, mais il faut envisager toutes les options. Obliger EDF à préparer un plan de conversion reviendrait à lui imposer de réaliser cette conversion, sans évaluation préalable, technique et économique, des diverses solutions envisageables, dont une reconversion industrielle.
Je rappelle que la décision récemment annoncée a fait l'objet d'une grande attention du Gouvernement, s'agissant en particulier du reclassement des salariés - notamment chez Framatome, dans le même bassin d'emploi.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - La commission a introduit cet article sur l'initiative de nos collègues Karine Daniel, Philippe Grosvalet, Fabien Gay et Ronan Dantec, avec mon appui. Il s'agit de demander à EDF de présenter un plan de conversion de la centrale de Cordemais vers des combustibles moins émetteurs. Le groupe pourra ainsi préciser ses intentions sur l'avenir de cette centrale, après qu'il a annoncé son arrêt d'ici à 2027 et que la conversion vers les pellets ou le gaz a été écartée pour des raisons technico-économiques.
Le Gouvernement souhaite préciser l'obligation faite à EDF en visant une évaluation plutôt qu'un plan et en intégrant des options de reconversion industrielle. J'y souscris, dans la mesure où il permet de rallier le Gouvernement à l'article. Avis de sagesse.
M. Ronan Dantec. - L'amendement du Gouvernement annule tout simplement le travail de la commission : son adoption nous ramènerait à la situation actuelle.
M. Philippe Grosvalet. - Tout à fait !
M. Ronan Dantec. - Comme le Gouvernement semble diriger directement EDF, j'ai le sentiment, monsieur le ministre, de parler au groupe en m'adressant à vous...
Oui, un plan suppose une évaluation technique : dire cela, c'est enfoncer une porte ouverte. Simplement, vous ne proposez pas un plan précédé d'une évaluation, mais une évaluation à la place du plan. Et vous ouvrez la voie à l'hypothèse de la fabrication de tuyaux, qui ne correspond en rien à la destination actuelle du site. Cet amendement n'est pas sage du tout ! Pour réussir la transition, il faut offrir de vraies perspectives aux salariés et sous-traitants.
Le site de Cordemais est extrêmement bien relié au réseau : il sera, demain, un lieu majeur de stockage d'électricité, d'autant que de grands parcs éoliens sont proches. La destination énergétique du site doit donc être préservée
M. Philippe Grosvalet. - Je le redis, nous soutenons la transformation de la centrale de Saint-Avold.
Monsieur le ministre, quand on veut tuer son chien, on prétend qu'il a la rage... J'ai dit à votre prédécesseure tout le mal que je pensais de la décision qu'elle a prise pour Cordemais, sans même rencontrer les organisations syndicales.
Monsieur le rapporteur, l'adoption unanime de cet article en commission rappelle qu'il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. On ne peut pas, d'un côté, soutenir l'évolution d'un site possédé par un milliardaire étranger et, de l'autre, laisser l'État, actionnaire unique d'EDF, se priver d'une production d'appoint indispensable pour l'Ouest. Pour des raisons de sécurité, la France a besoin de ces deux centrales engagées dans un projet intelligent.
Est-ce parce que les syndicats ont eu cette idée et que les polytechniciens à la tête d'EDF l'ont refusée que le groupe n'a jamais voulu s'engager dans cette évolution, quitte à fausser les chiffres ?
Mme Karine Daniel. - Les études nécessaires ont déjà été réalisées. Au reste, le marché de l'électricité évolue : une étude faite à l'instant t n'est peut-être plus valable à t+10.
Au fond, vous considérez que le site de Cordemais est juste une emprise foncière, sur laquelle pourrait s'implanter un site industriel qui pourrait être installé partout ailleurs. Nous considérons, quant à nous, que les emplois doivent rester tournés vers la production d'électricité.
Des inquiétudes naissent sur l'implantation d'un site industriel de soudage, alors que le marché de l'emploi dans ce domaine est déjà en extrême tension, avec les Chantiers de l'Atlantique et Airbus : ne prenons pas le risque de fragiliser toute une filière industrielle.
Nous voulons une ambition énergétique pour l'Ouest comme pour l'Est !
M. Michaël Weber. - Deux centrales sont concernées. Tous les arguments que nous avons faits valoir pour Saint-Avold sont valables aussi pour Cordemais. Les mêmes causes doivent produire les mêmes effets ! Entre la centrale et Framatome, ce ne sont pas du tout les mêmes métiers : veillons aux garanties sociales et au maintien des savoir-faire. Nous voterons contre l'amendement.
M. Marc Ferracci, ministre. - Monsieur Grosvalet, je ne pense pas que donner à voir les options possibles revienne à accuser son chien d'avoir la rage pour s'en débarrasser... Ce travail peut être réalisé en toute bonne foi.
Mme Daniel l'a dit, les conditions économiques et techniques sont évolutives : celles qui ont présidé à la décision annoncée peuvent changer. Établir un diagnostic partagé sur les diverses options est donc opportun. Si l'on impose à EDF de présenter un plan de conversion, on présuppose l'existence de solutions économiquement et techniquement viables dans cette direction : est-on en mesure de le faire ?
Notre démarche n'est aucunement dilatoire : nous voulons documenter les choses, en transparence.
L'amendement n°33 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Antoinette Guhl . - Mosellane d'origine - d'Hayange, près de Florange -, fille de sidérurgiste, je sais combien la désindustrialisation de la Moselle a meurtri ses habitants, laissant de nombreuses familles sur le carreau. La France a poursuivi son développement sans qu'un projet économique nouveau soit proposé au territoire, ce qui a engendré un fort sentiment de relégation.
Je pense à la centaine de femmes et hommes que j'ai rencontrés lors de ma visite à la centrale de Saint-Avold. Écologiste, je sais que le gaz produit inefficacement de l'électricité ; je forme le voeu que l'hydrogène vert, le stockage et la production de chaleur rendent leurs emplois pérennes. Mon espoir est que, très vite, nous venions à bout de toute forme d'énergie fossile.
M. Daniel Gremillet . - Je me félicite du chemin trouvé. Depuis 2019, le Sénat a toujours été au rendez-vous. Il faut maintenant que le débat se prolonge à l'Assemblée nationale.
Nous avons été attentifs à l'accompagnement des territoires - monsieur le ministre, je vous fais confiance pour Cordemais.
Nous avons besoin de solutions pour satisfaire, en l'absence de vent ou de soleil, les besoins de pointe des industries, des collectivités et des particuliers. Avec ce texte, nous garantissons l'évolution de Saint-Avold, qui sera un élément supplémentaire dans le concert énergétique de notre pays. Je suis fier du travail réalisé ! (Mme Christine Herzog applaudit.)
M. Michaël Weber . - Je me félicite du travail mené et rends hommage au rapporteur et à la présidente de la commission. Nos échanges montrent ce dont le Sénat est capable. Je pense aux salariés concernés et à leurs familles, attentifs à nos travaux. Saint-Avold est un site plein d'espoirs ! Fort des savoir-faire de ses salariés, il pourra, en s'orientant vers les énergies d'avenir, continuer à servir le développement économique du territoire.
M. Jean-Marie Mizzon . - Nous revenons de loin : il y a quelques jours encore, le vote de cette loi n'était pas du tout assuré. Je suis heureux que nous aboutissions à ce résultat : des territoires retrouvent des raisons d'espérer ! Je remercie notre rapporteur et la présidente de la commission, qui ont grandement oeuvré à ce succès.
À la reprise de la séance, le président Larcher nous a rappelé que nous devions travailler dans le respect mutuel. C'est ce que nous avons fait, en demeurant sereins et réfléchis.
M. Franck Montaugé . - Malgré le faible succès de nos amendements - c'est un euphémisme... -, le groupe SER votera ce texte. Nous avons cherché à attirer l'attention sur des enjeux majeurs, dont les priorités de la reconversion de Saint-Avold, dont je souhaite qu'elle soit la plus rapide possible. Je remercie les auteurs de la proposition de loi et salue le travail de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Il faut remettre l'église au milieu du village : c'est bien le Sénat qui s'est saisi de ce dossier ! Il a mené un important travail. En particulier, je me félicite des échanges qui ont eu lieu entre la commission des affaires économiques et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Nous avons su surmonter nos différences d'approche, et le bon sens sénatorial a prévalu, au service de l'intérêt général.
M. Bernard Buis . - Je salue l'excellente coopération des auteurs de la proposition de loi, de la commission et du Gouvernement. Nous parvenons à un consensus sur une conversion qui permettra aux salariés et aux sous-traitants de Saint-Avold de conserver leur emploi. Le RDPI votera naturellement la proposition de loi.
Mme Catherine Belrhiti . - Voilà trois ans que nous défendons cette solution : je remercie le Gouvernement d'avoir entendu les inquiétudes des ouvriers et de leurs familles. Je félicite la commission des affaires économiques pour son travail considérable. Au nom de tous les employés de notre centrale, merci.
M. Philippe Grosvalet . - Je me félicite de la sagesse qui s'est exprimée en commission puis dans l'hémicycle. L'intérêt général de notre pays et des territoires et salariés concernés a prévalu.
Monsieur le ministre, vous êtes le bienvenu à Cordemais, où vous pourrez entendre tous ceux qui, depuis dix ans, travaillent au projet de reconversion. Véronique Guillotin et moi-même aurions voté ce texte par solidarité : nous le faisons avec d'autant plus d'entrain que l'amendement du Gouvernement à l'article 4 a été rejeté.
Mme Silvana Silvani . - Pour l'anecdote, je suis, moi aussi, née en Moselle. Je fais partie de la génération qui a vécu les effets de la désindustrialisation, dont nous payons encore le prix.
Je me félicite de cette proposition de loi, qui préserve Saint-Avold et permet une avancée vers la fin des énergies fossiles. Mais pourquoi l'État n'a-t-il pas le même intérêt pour Cordemais ?
Nous appelons de nos voeux un projet de loi sur le futur de notre système électrique. Le Gouvernement doit aussi présenter sa vision d'avenir pour l'industrie, sur l'ensemble du territoire.
M. Khalifé Khalifé . - Je me réjouis de la qualité de nos débats, tant en commission qu'en séance. Au nom des salariés et des élus locaux, je remercie nos collègues, en particulier la présidente de la commission des affaires économiques et le rapporteur pour leur patience et leur écoute. Je remercie aussi Daniel Gremillet pour ses conseils avisés, ainsi que M. le ministre. Le Sénat a rempli sa mission ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme Christine Herzog, rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - En de pareils moments, nous sommes fiers de siéger au Sénat. Je remercie tous nos collègues et le Gouvernement. J'espère que la centrale Émile-Huchet a de beaux jours devant elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques . - Je m'associe aux remerciements qui ont été exprimés, en particulier à l'égard du rapporteur Patrick Chauvet (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; MM. Philippe Grosvalet et Ronan Dantec applaudissent également.) Il n'a pas eu d'autre intention que de consolider juridiquement cette proposition de loi. Je remercie aussi Daniel Gremillet pour son expertise, ainsi que les services de la commission.
Monsieur Longeot, madame Herzog, le chemin a été sinueux, mais nous sommes parvenus à un résultat.
Ce texte sera examiné par l'Assemblée nationale le 7 avril : j'espère une issue positive, le cas échéant après une commission mixte paritaire.
Je remercie nos collègues mosellans et tiens à dire à ceux de Loire-Atlantique que, si nous avons introduit l'article 4, c'est parce que nous avons entendu leurs interpellations répétées sur la centrale de Cordemais. Monsieur Dantec, je suis d'accord avec vous : vous voyez que tout arrive ! (Sourires)
Je forme le voeu que ce texte ouvre à la Moselle, mais aussi à la Loire-Atlantique, un avenir plus serein, avec des emplois et un dynamisme local préservés. (Applaudissements sur de nombreuses travées à droite et au centre)
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
Renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - (M. François Patriat applaudit avec énergie ; M. Gérald Darmanin le remercie.) Déposée à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi vise à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française sur l'archipel de Mayotte.
Nul ici n'ignore la situation exceptionnelle de ce territoire, le plus jeune de nos départements : flux migratoires d'une intensité inégalée, tensions sociales croissantes, pression démographique qui met à rude épreuve les services publics et le tissu social.
Mayotte a choisi de rester française et doit le rester. Pour cela, nous devons adapter notre droit sans renoncer à nos principes ni fermer les yeux sur une réalité devenue insoutenable.
La proximité géographique avec les Comores, qui continuent de revendiquer Mayotte, et la possibilité d'acquérir la nationalité française par simple effet du droit du sol ont transformé cette île en porte d'entrée de l'immigration irrégulière vers la République. Les chiffres sont éloquents : près d'un habitant sur deux est de nationalité étrangère ; chaque année, des milliers de femmes prennent tous les risques pour accoucher sur l'île. Telle est la réalité à laquelle nous devons répondre.
L'État est pleinement engagé. En 2023, plus de 25 000 reconduites à la frontière ont été réalisées à Mayotte - un tiers du total des expulsions. Depuis 2017, les effectifs des forces de l'ordre sur place ont doublé. L'opération Wuambushu a permis des avancées notables en matière de sécurité et de lutte contre l'habitat illégal.
Reste que ces efforts ne suffisent pas à enrayer la dynamique : le système scolaire est saturé et le centre hospitalier, débordé ; l'insécurité gagne ; le cyclone Chido a exacerbé des tensions déjà vives.
Nous devons protéger la République dans ce beau territoire, protéger les Français qui y vivent dans le respect de nos lois, protéger la promesse républicaine de sécurité, d'éducation et de soins.
La proposition de loi Gosselin est un pas dans cette direction. Elle ne remet pas en cause le droit du sol, ce que seule une révision constitutionnelle permettrait - j'y suis personnellement favorable. Elle encadre plus strictement l'acquisition de la nationalité à Mayotte, dans les limites fixées par le droit constitutionnel.
La proposition de loi initiale portait de trois mois à un an la condition de résidence régulière des parents, et l'exigeait des deux parents, afin d'éviter les reconnaissances de paternité opportunistes. Je me souviens d'un « père » ayant reconnu quatre-vingt-dix enfants en un an...
Il s'agit donc de restaurer un équilibre, afin que l'accès à la nationalité soit bien le fruit d'une intégration réelle et durable.
Dans la confusion qui s'est emparée de l'Assemblée nationale, certains ont joué la politique du pire et adopté un amendement du RN portant la condition de séjour à trois ans - qui serait à coup sûr censuré. Si la spécificité de Mayotte autorise des adaptations du droit, celles-ci doivent être limitées, adaptées et proportionnées. Une durée d'un an est proportionnée, mais pas de trois ans.
Votre commission des lois est revenue à une durée d'un an, et je remercie le rapporteur pour son travail. Elle a également repoussé l'extension de la condition de régularité de séjour aux deux parents ; je le regrette, même si je comprends la volonté de parer à tout risque de censure. Nous débattrons de l'amendement de Mme Ramia, et la rédaction peut évoluer d'ici à la CMP.
Les reconnaissances de paternité frauduleuses par des hommes en situation régulière contre quelques centaines d'euros sont difficiles à quantifier mais le phénomène est connu. Seule la condition de régularité du séjour des deux parents mettra fin à ce marché de la honte qui fausse la filiation d'enfants, fraude la nationalité française et pervertit l'état civil.
Nous devrons néanmoins veiller à ne pas discriminer les familles monoparentales. Les propositions du Modem à l'Assemblée nationale allaient dans le bon sens, et je défendrai un sous-amendement à l'amendement de Mme Ramia. Monsieur le rapporteur, je sais pouvoir compter sur vous pour que le sujet soit bien pris en compte en CMP. (M. Stéphane Le Rudulier le confirme.)
Beaucoup, dont je suis, voudraient aller au-delà de ce texte, mais il faut attendre d'avoir une majorité pour réformer le cadre constitutionnel ; ce sera un débat pour la prochaine élection présidentielle. Ne rien faire au prétexte que nous ne pouvons changer la Constitution serait abandonner Mayotte au désordre et rester sourd aux réalités.
Votre Haute Assemblée a toujours été attentive à l'adaptation de la loi dans tous les territoires, aux spécificités des outre-mer, et à Mayotte. Elle a toujours veillé à ce que l'adaptation des règles ne devienne jamais renoncement aux principes, mais qu'elle réponde aussi aux réalités.
La proposition de loi ne prétend pas tout régler mais constitue une avancée significative, attendue, juridiquement solide. Elle répond à une urgence, à l'État de droit et à la demande unanime des Mahorais. Je remercie le Sénat de l'adopter, pour Mayotte et pour la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDPI)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Mayotte est confrontée depuis des décennies à une intense pression migratoire ; sur 320 000 habitants, on compte 50 % de ressortissants étrangers, dont la moitié serait en situation irrégulière.
Un premier flux, en provenance des Comores, représente environ 20 000 migrants irréguliers chaque année. Le préfet qualifie cette immigration de « circulaire, familiale, domestique et vivrière ». Elle revêt trois dimensions. Géographique d'abord, puisque Mayotte appartient à l'archipel des Comores et n'est qu'à 70 km d'Anjouan. Historique, ensuite, car Mayotte est la seule des quatre îles à avoir choisi, en 1974, de rester dans la République, à 63 %. La majorité des Mahorais ont des liens familiaux et culturels avec les Comores, d'où de nombreux échanges et flux migratoires. Dimension économique, enfin, car cette immigration est favorisée par l'écart de niveau de vie : à Mayotte, le PIB par habitant est huit fois supérieur à celui des Comores.
Un second flux, moins volumineux, provient de l'Afrique des Grands Lacs - République démocratique du Congo, Tanzanie, Somalie, Burundi, Rwanda - avec environ 5 000 migrants par an, qui viennent pour obtenir le statut de réfugié ou l'asile, et non la nationalité.
L'immigration pose des difficultés d'accès aux services publics, qui ne sont pas dimensionnés pour faire face à la croissance démographique : les écoles mahoraises sont ainsi obligées d'instaurer des rotations par demi-journée. Cette pression est aussi sensible dans le domaine de la santé, de l'accès à l'eau - avec une consommation annuelle en hausse de 2 000 mètres cubes par jour - , de l'agriculture, avec des appropriations de terres et l'utilisation systématique de pesticides interdits. En 2021, un rapport d'information de la commission des lois a souligné l'augmentation de la délinquance sur l'île.
Ces flux migratoires conduisent au développement d'une économie informelle illégale : 100 millions d'euros circuleraient chaque année entre Mayotte et Anjouan, qui manquent cruellement à la demande intérieure.
Enfin, sur le plan sanitaire, on observe la résurgence de maladies disparues, faute de vaccination des enfants en situation irrégulière.
Dès 2018, le législateur a restreint le droit du sol à Mayotte, sur le fondement de l'article 73 de la Constitution, en exigeant une durée de séjour régulier d'au moins trois mois d'un des parents. Si cette loi ne produira ses pleins effets qu'en 2032, le nombre d'acquisitions de la nationalité française au titre du droit du sol est passé de près de 3 000 en 2018 à 800 en 2022.
Pour réduire ces flux, la proposition de loi restreint à nouveau les possibilités d'acquisition de la nationalité par le droit du sol. Si la commission des lois s'est montrée favorable à l'objectif, elle a émis des réserves sur la constitutionnalité du dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Afin d'éviter tout risque de censure, elle a réduit à un an la condition de séjour régulier, revenant à l'esprit initial du texte. La durée de trois ans apparaît en effet disproportionnée ; or le Conseil constitutionnel nous invite à la mesure dans l'adaptation des règles.
La commission est aussi revenue sur l'application aux deux parents de l'exigence d'une durée de séjour régulier, pour éviter une rupture d'égalité envers les enfants issus d'une famille monoparentale. J'espère un atterrissage d'ici à la CMP.
Elle a enfin supprimé l'obligation de présenter un passeport biométrique.
Ce texte ne résoudra pas à lui seul le problème migratoire à Mayotte. Il faut une réponse globale, qui passe par le rideau de fer annoncé en février 2024 par l'ancien ministre de l'intérieur,...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Excellent !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - ... un durcissement des conditions d'obtention des titres de séjour et une politique de coopération avec les Comores pour fixer ces populations à Anjouan.
Ce texte est une première pierre pour dissuader certains candidats à l'immigration pour lesquels l'acquisition de la nationalité est un facteur d'attractivité. Je vous invite à le voter, modifié par la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Après Chido et Dikeledi, l'heure devrait être à un plan d'investissement massif pour le développement et la mise à niveau des services publics. Mais tout est occulté par votre obsession migratoire. Dire aux Mahorais qui ont des difficultés d'accès à l'eau, à l'éducation ou à la santé que la réforme du droit du sol améliorera leur quotidien, c'est entretenir une illusion. Retirer des droits aux uns n'augmente pas ceux des autres !
Mayotte fait partie de la République et les principes républicains et constitutionnels doivent s'y appliquer. Si l'article 73 de la Constitution autorise des adaptations, elles doivent être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières du territoire. Dans sa décision de septembre 2018, le Conseil constitutionnel a permis au législateur de durcir les règles d'acquisition de la nationalité mais « dans une certaine mesure ». Or cette proposition de loi est manifestement disproportionnée. En mettant en place un traitement différencié et injustifié fondé sur l'origine, elle est discriminatoire. Cela va à l'encontre du principe d'égalité proclamé à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la France forme avec les peuples d'outre-mer une union fondée sur l'égalité des droits. »
C'est renouer avec une approche coloniale de la nationalité française. Nous refusons de revenir à un droit discriminatoire.
Nous n'avons pas besoin d'un nouveau durcissement après celui de 2018, qui impose une durée minimale de séjour régulier d'un des parents de trois mois. Qui d'entre nous choisit le lieu de sa naissance ? Qui est responsable de la situation administrative de ses parents ?
En outre, cette loi de 2018 n'a jamais eu d'effet sur les flux migratoires, qui se sont intensifiés depuis. L'accès à la nationalité n'est pas un motif de migration. La réalité, c'est qu'aucun étranger ne consultera ce texte avant d'immigrer. Ce qui les motive, c'est l'espoir d'une vie meilleure, de voir ses enfants aller à l'école, la peur aussi de mourir en couches dans le pays d'origine.
Limiter le droit de la nationalité n'aura aucun effet dissuasif. Vous allez seulement créer de la clandestinité et augmenter la précarité. La moitié des résidents étrangers sont en situation régulière et occupent des emplois formes, dans les champs ou sur les chantiers. Ceux à qui on refuse des papiers occupent des emplois informels, dans des conditions de travail indignes et illégales. L'irrégularité est aussi créée artificiellement faute d'accessibilité des services préfectoraux. Depuis deux ans, la préfecture de Mayotte ouvre rarement ses portes ; s'y ajoute la dématérialisation des démarches, ce qui revient à exclure les demandeurs et les plonger dans la clandestinité.
Depuis 2018, le nombre d'acquisitions de la nationalité a baissé, mais la situation des Mahorais s'est-elle améliorée ?
Le vrai problème est le sous-investissement de l'État à Mayotte, département le plus pauvre de France, avec 77 % de la population sous le seuil de pauvreté. Les services de santé sont saturés, les élèves ont cours par rotation, sur une demi-journée. À Mayotte, le droit de disposer de moyens convenables d'existence n'est pas assuré. C'est le département de l'injustice sociale, des promesses non tenues, des droits sociaux bafoués, des allocations et RSA non versés.
Prétendre que l'immigration comorienne menace la culture mahoraise, c'est oublier que Mahorais et Comoriens partagent une même culture, une même langue, une même religion, une même organisation matrilinéaire. Tous les Mahorais ont de la famille aux Comores, les couples mixtes sont légion. Nous n'avons pas besoin d'un nouveau durcissement du droit du sol mais de solutions effectives.
Dans un contexte où le Premier ministre parle de « sentiment de submersion migratoire », ce texte augure d'une dégradation généralisée des droits des étrangers, et d'une remise en cause du droit du sol sur tout le territoire national.
D'où cette motion d'irrecevabilité contre un texte qui porte de graves atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution et aux principes d'égalité et d'indivisibilité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
Mme Frédérique Puissat. - La proposition de loi porte une adaptation du droit de la nationalité pour les enfants nés de parents étrangers sur le territoire de Mayotte, sujet à d'importants flux migratoire. La maternité de Mamoudzou est la première de France en nombre de naissances.
Sans être l'unique facteur, les conditions d'accès à la nationalité française par le droit du sol ont contribué à renforcer l'attractivité de ce territoire. On est clairement dans le cadre des « caractéristiques et contraintes particulières » au sens de l'article 73 de la Constitution. L'intervention du législateur afin d'aménager le droit en fonction des réalités locales est pleinement justifiée.
Cette proposition de loi s'inscrit par ailleurs dans le prolongement du droit existant, validé par le Conseil constitutionnel en 2018, qui ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la loi, ni les exigences découlant de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni le préambule de 1946, ni le droit à mener une vie familiale normale.
Il n'y a donc aucune inconstitutionnalité dans ce texte. Nous voterons contre la motion, pour que le débat ait lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. J'aurais pu comprendre une telle motion sur la rédaction issue de l'Assemblée nationale, car la durée prévue de trois ans était effectivement disproportionnée. La commission s'est attachée à sécuriser le texte. L'article 73 de la Constitution permet d'adapter les règles d'accès à la nationalité pour un territoire spécifique. Enfin, nous avons réduit la durée de séjour requise de trois ans à un an, et veillé à ne pas exclure les familles monoparentales.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Bien sûr, la question de la naturalisation n'est pas le seul problème de Mayotte. On n'immigre pas à Mayotte uniquement pour la régularisation et la naturalisation, mais on le fait aussi pour cela. La nationalité française est attractive - preuve que notre modèle démocratique et social est performant. Nous comprenons que des gens immigrent à Mayotte ; ils ne le font pas de gaieté de coeur.
Mais on ne peut nier que les dysfonctionnements des services publics - santé, éducation, sécurité - sont aussi liés à une population étrangère trop nombreuse. Les Mahorais eux-mêmes le disent. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
Ce n'est pas la première fois que la République tente de restreindre l'accès à la nationalité de droit sur certains territoires : souvenez-vous des réflexions du gouvernement de Manuel Valls, que vous souteniez, concernant la Guyane.
Le principe d'égalité d'accès à la nationalité devrait s'appliquer partout sur le territoire national, à tous les peuples d'outre-mer ? Mais pardon, vous n'avez pas la même position s'agissant de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française ! Vous avez défendu des restrictions très fortes à l'accès à la nationalité en Nouvelle-Calédonie. Quand on est universel, on doit apporter les mêmes réponses partout.
Je n'ai pas compris votre parallèle avec les Comores - comme si les Comores avaient raison de revendiquer le territoire de Mayotte !
Ne pas évoquer la fraude organisée, considérable, sur les reconnaissances d'enfant, c'est nier la réalité à Mayotte. Il y a bien un sujet d'accès à la nationalité quand des « pères », étrangers réguliers ou Mahorais - car il y a aussi une hypocrisie dans la société mahoraise, et la police judiciaire a démantelé des réseaux impliquant des élus locaux - reconnaissent des centaines d'enfants par de faux certificats. C'est exploiter ces enfants et ces femmes. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K) Allez donc voir sur place !
Mme Corinne Narassiguin. - Le groupe SER votera cette motion, même si nous reconnaissons le travail du rapporteur pour éliminer une bonne partie des dispositions inconstitutionnelles. Mais nous avons des doutes sur l'interprétation de l'article 73 de la Constitution. Il reste à établir la réalité du lien entre immigration irrégulière et droit du sol...
Monsieur le garde des sceaux, la situation en Nouvelle-Calédonie n'est en rien comparable à celle de Mayotte. Vous connaissez trop bien vos dossiers pour faire cette comparaison irresponsable ! Si les accords de Nouméa ont abordé la question du droit du sol, c'était pour protéger l'identité canaque, dans le cadre d'un processus de décolonisation et de construction de la citoyenneté calédonienne. Cela n'a rien à voir avec Mayotte qui a choisi de rester française, de devenir un département, et qui a le droit de jouir de la totalité des droits fondamentaux de la République, notamment sur la nationalité. (Applaudissements à gauche)
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°2 de Mme Mélanie Vogel et du GEST.
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Annie Le Houerou et Evelyne Corbière Naminzo applaudissent également.) Nous considérons que l'examen de ce texte ne devrait pas avoir lieu : on ne peut légiférer sur des fantasmes ni encadrer des mythes. Or on nous propose de légiférer sur un sujet qui n'existe pas. Si la pression migratoire est un fait, elle n'est en rien liée au droit du sol. Regardez les chiffres !
Mue par le même raisonnement, la loi du 10 septembre 2018 a durci les règles d'acquisition de nationalité française à Mayotte : par dérogation au droit commun, un enfant né à Mayotte ne peut obtenir la nationalité française à ce titre que si, à sa naissance, l'un de ses parents résidait en France régulièrement depuis au moins trois mois. Bien. Depuis 2018, l'acquisition de la nationalité par le droit du sol à Mayotte a chuté de 72 % - passant de 2 900 à 860 personnes en 2022. Donc de presque personne à quasi-personne. Sur 150 000 étrangers, 860 ont accédé à la nationalité française par le droit du sol en 2022, soit 0,57 %... Mais pour vous, c'est encore un problème.
La part des étrangers à Mayotte est restée stable, autour de 50 %. En 2022, le nombre de nouveau-nés ayant une mère étrangère a augmenté de 14 % par rapport à 2020. En 2023, le nombre d'étrangers interpellés en mer a augmenté de 128 % par rapport à 2020, signe que l'attractivité de Mayotte reste intacte.
En revanche, la loi a nourri la clandestinité forcée et le trafic des reconnaissances de paternité.
Durcissement du droit du sol, absence d'aide médicale de l'État (AME), d'effet suspensif des OQTF, titres de séjour territorialisés : cet arsenal dérogatoire n'a jamais eu d'effet dissuasif. Les gens ne migrent pas pour le droit du sol, pour l'AME, ou pour une prestation sociale, mais parce que même si Mayotte est le département le plus pauvre de France, son PIB par habitant est huit fois supérieur à celui des Comores, et que c'est une terre de sécurité matérielle toute relative. La peur de mourir en couches, l'impossibilité de scolariser ou de nourrir ses enfants fera toujours préférer la vie dans un bidonville mahorais exposé aux cyclones à la certitude d'une vie bien pire, dans un des États les plus pauvres au monde. Aucune réforme législative n'y changera rien.
Le rapport de la commission des lois le dit en creux : « la pression migratoire n'a pas pour autant été endiguée ». Pourtant, la proposition de loi entend durcir de nouveau les conditions d'acquisition de la nationalité. Cela me fait penser aux médecins d'autrefois qui, voyant que l'état du malade se dégrade après une saignée, en préconisent une nouvelle, plus importante ! (M. Gérald Darmanin ironise.)
Puisque vous savez que le droit du sol n'a pas de lien avec la pression migratoire, pourquoi ce texte ? Pour vous attaquer au droit du sol tout court, pour rendre acceptable, petit à petit, la remise en cause de ce fondement de la République. Un enfant né en France est français. C'est notre histoire, notre tradition. C'est ainsi que la France est devenue un grand pays, a dit Nicolas Sarkozy.
Vous ne cessez de vous attaquer à l'État de droit, à soumettre au Sénat des textes manifestement inconstitutionnels : maintien en rétention, durée de résidence pour les prestations sociales, droit de vote des détenus, interdiction du mariage aux personnes en situation irrégulière, interdiction du voile dans le sport... On est dans la droite ligne des premières mesures de Trump !
Pourquoi ? Non parce que vos connaissances en droit constitutionnel seraient défaillantes, mais parce que la Constitution vous dérange. (M. Akli Mellouli applaudit.) Or la Constitution n'est pas un obstacle, mais un rempart contre les discriminations, le racisme et l'arbitraire. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Dans votre fuite en avant décomplexée, épargnez Mayotte ! Elle ne mérite pas d'être instrumentalisée. Dans le plus pauvre des départements français, personne n'a rien à gagner à voir s'effriter l'État de droit et les valeurs de la République. N'utilisez pas Mayotte pour détricoter la République ! (Applaudissements à gauche ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. Laurent Somon. - Les conditions d'accès à la nationalité française seraient sans incidence sur la situation de Mayotte, seuls compteraient les sujets économiques et sociaux ? C'est oublier l'effet démographique engendré par l'afflux d'une population immigrée - un habitant sur deux est étranger - et ses conséquences sur les problèmes de santé et de sécurité.
Nul ne méconnaît la réalité économique de Mayotte, notamment dans le contexte de l'après-Chido, qui devra faire l'objet de mesures législatives spécifiques.
Les lois ou règlements ne changeront pas l'équation économique régionale, certes, mais nous devons agir sur l'attractivité de Mayotte au regard des flux migratoires, auxquels un régime d'acquisition de la nationalité favorable contribue.
Notre groupe votera contre la motion.
J'ajoute que quand on souffre d'hémochromatose, les saignées ont du bon.
Je rappelle enfin qu'il y a eu aussi un processus, en Nouvelle-Calédonie, pour que la population décide de son avenir, comme à Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. Il y a certes d'autres facteurs d'attractivité, comme l'économie informelle : les 100 millions d'euros qui transitent de Mayotte vers Anjouan manquent cruellement à l'économie mahoraise, malgré un taux de croissance de 7 % en 2024.
Nous devons nous attaquer à tous les problèmes, et j'espère que le Gouvernement s'y attèle.
Nul ne peut nier que l'acquisition de la nationalité française est un facteur attractif... Non seulement les acquisitions de la nationalité par droit du sol sont passées de 3 000 à 800, mais le nombre de naissances à la maternité de Mamoudzou est passé de 12 000 par an à 9 000. On observe donc un infléchissement, et c'est encourageant.
Il faut aller beaucoup plus loin et envoyer un signal fort, tant aux Mahorais qu'aux Comores, pour dire que les conditions vont se durcir.
Je rappelle enfin que la loi de 2018 ne produira ses pleins effets qu'en 2032. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable.
Cette proposition de loi ne supprime pas le droit du sol à Mayotte.
Avouez que c'est un paradoxe d'entendre Mme Vogel nous accuser de mépriser la Constitution du général de Gaulle. Le principe républicain, c'est le droit du sang. Le droit du sol est le droit d'ancien régime : c'est le droit du seigneur de disposer des serfs. (M. Éric Kerrouche proteste.)
Qui a prévu le droit de la volonté ? Les révolutionnaires de 1789, puis la Constitution robespierrienne de 1793, chère aux communistes, qui prévoit que sont français ceux qui sont fidèles aux idées de la révolution, supprimant ainsi le droit du sol puis le droit du sang.
C'est Napoléon qui a mis en place le droit du sol, pour les besoins de la guerre. Ce n'était pas la République française, mais un empire, qui n'était pas un modèle de démocratie.
Avec le retour de la monarchie constitutionnelle, la France renoue avec le droit du sang ; puis Louis-Napoléon Bonaparte impose le droit du sol en 1851. Il a fallu le XIXe siècle pour que le droit du sol se combine avec le droit du sang - celui de la transmission, un droit républicain et révolutionnaire.
Italie, Grèce : les pays de culture latine n'ont pas le droit du sol. Et notre propre droit du sol n'est pas un droit automatique, madame la sénatrice : il ne suffit pas d'être né en France pour être français, il faut manifester sa volonté pour obtenir la nationalité française, à 13 ans, 16 ans et 18 ans. Pour ma part, je trouve cela trop automatique.
On peut être attaché au droit du sol ou du sang. La majorité des pays démocratiques n'ont pas le droit du sol, ce qui ne fait pas d'eux des pro-Trump ou des fascistes en herbe. Mais dire que le droit du sol est un droit républicain et le droit du sang un droit fasciste, c'est le contraire de l'histoire de France.
Mme Corinne Narassiguin. - Le groupe socialiste votera cette motion. Il ne s'agit pas, en réalité, de traiter des nombreux problèmes réels, que l'immigration irrégulière fait peser sur Mayotte, mais de s'attaquer au principe du droit du sol - d'abord à Mayotte, puis dans d'autres territoires, comme mon département de Seine-Saint-Denis, par exemple, puis dans la France entière.
Il est vrai que le droit du sol est plus ancien que la République. Il date de 1515 et a traversé les régimes. Être français, ce n'est pas détenir un patrimoine génétique, mais un patrimoine immatériel : l'adhésion à des valeurs, celles de la République française. Ce n'est pas un instrument d'affichage politique pour faire semblant de résoudre un problème.
Commençons plutôt par organiser la migration régulière avec les Comores ou les pays de la Corne de l'Afrique !
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Saïd Omar Oili . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit.) Cette proposition de loi a fait couler beaucoup d'encre et de salive.
Mon propos sera très pragmatique, en tant qu'ancien élu local. L'objectif est de lutter contre l'immigration clandestine. Depuis 2000, pas moins de douze rapports sur l'immigration à Mayotte ont été publiés par l'Assemblée nationale, le Sénat ou la Cour des comptes, soit un rapport tous les deux ans : 492 pages, 77 recommandations.
Les résultats de la lutte contre l'immigration illégale à Mayotte démontrent son échec patent.
De 2000 à 2024, 338 000 personnes ont été expulsées. La population de l'île d'Anjouan est de 350 859 habitants... Alors que 99 % des personnes expulsées viennent d'Anjouan, quelle est l'efficacité de cette politique ?
En 2018, la loi immigration restreignait déjà les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte. Il s'agit ici de réduire l'attractivité de Mayotte pour la population d'Anjouan. Or le nombre de reconduites à la frontière n'a jamais été aussi important depuis 2019.
Vouloir limiter l'accès à la nationalité française, c'est donner de faux espoirs aux Mahorais ; je n'y participerai pas. On leur vend la fin du droit du sol, ce qui est faux. On ne peut le faire, et cette disposition n'aura pas d'effet sur les flux migratoires.
Je propose une alternative soutenue très majoritairement par la population mahoraise : la suppression des cartes de séjour territorialisées pour les 90 000 étrangers en situation régulière, assignés à résidence à Mayotte. C'est une aberration héritée de la colonisation.
Mayotte ne veut plus être un territoire spécifique.
Mon amendement supprimant les titres de séjour territorialisés a été rejeté pour des raisons de procédure. Mais je ne renoncerai pas : j'ai déposé une proposition de loi pour supprimer ces titres de séjour et remettre Mayotte dans le droit commun. Car les 90 000 étrangers en situation régulière à Mayotte, à 60 kilomètres d'Anjouan, c'est une pompe aspirante pour l'immigration à Mayotte.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Saïd Omar Oili. - Les étrangers en situation régulière entretiennent des liens familiaux avec le reste de l'archipel des Comores. Mettez fin aux titres de séjour territorialisés et à cette assignation à résidence à Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. Christopher Szczurek . - Mayotte souffre - cela ne date pas de Chido. Cette souffrance est nourrie par une immigration massive, incontrôlée et destructrice. Malgré les visites officielles et les promesses, les gouvernements successifs ont échoué à protéger Mayotte. Le département le plus pauvre de France est submergé par une immigration anarchique. L'insécurité y est insoutenable, les services publics sont exsangues et les Mahorais se sentent étrangers sur leur propre terre.
Mayotte est au bord de l'explosion. Près de la moitié de la population est étrangère. Des milliers d'enfants y naissent, de parents en situation irrégulière qui profitent du droit du sol pour obtenir la nationalité française. Résultat : un hôpital saturé, un système social débordé, une criminalité endémique.
Marine Le Pen a fait ce constat depuis longtemps, d'où sa proposition de loi de 2018. Elle a écouté la détresse des Mahorais et leur a adressé un message clair : nous ne vous abandonnerons pas.
La présente proposition de loi va dans la bonne direction, mais elle insuffisante, tardive et partielle. Souhaitons que la majorité sénatoriale, mais aussi le groupe socialiste - qui a soutenu un durcissement substantiel à l'Assemblée nationale à l'insu de son plein gré - sauront en faire un outil efficace.
Avec nos amendements, nous voulons faire de cette proposition de loi locale un texte national. La nationalité française ne saurait être bradée. Être français, c'est un honneur et une responsabilité. Nous demandons que la nationalité française soit acquise par adhésion.
Mayotte est le présage de ce qui attend la France si nous laissons l'immigration de masse détruire notre cohésion nationale.
Si ce texte édulcoré est maintenu en l'état, nous nous abstiendrons. Et s'il était déclaré inconstitutionnel, il faudrait changer la Constitution. Ne cédons pas à l'impossibilisme tant décrié par Bruno Retailleau.
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis trop longtemps, nos compatriotes mahorais souffrent en silence. Mayotte connaît une situation dramatique. Nous l'avions constaté lors d'un voyage avec Stéphane Le Rudulier et François-Noël Buffet, alors président de la commission des lois.
Cette crise n'est pas que migratoire, elle est aussi sociale, sanitaire, sécuritaire et institutionnelle. Elle met en péril notre pacte républicain. Les Mahorais n'en peuvent plus ! Ils ont pourtant le droit de vivre dignement et en sécurité, au même titre que tous les citoyens français.
L'immigration irrégulière massive sature les infrastructures. La violence va croissant. L'économie informelle gangrène la société. L'accès à l'eau, à l'électricité, à l'éducation, aux soins, rien n'est garanti. Avec plus de 10 000 naissances chaque année, Mayotte est le deuxième département le plus nataliste de France. L'hôpital de Mamoudzou est à bout de souffle.
Détourné, le droit du sol ne fonctionne plus. La population vit un enfer et les passeurs se frottent les mains. Les reconnaissances de paternité frauduleuses sont légion. Mayotte est à un point de rupture, nous devons répondre à l'urgence dans le respect de nos principes constitutionnels.
Cette proposition de loi est une étape nécessaire. Elle ne remet pas en cause le principe du droit du sol, mais vise à éviter son instrumentalisation. Le rapporteur a proposé un délai d'un an, sans aller jusqu'à trois ans comme le proposait l'Assemblée nationale. C'est une question délicate : le délai de trois ans serait sans doute utile en pratique, mais probablement inconstitutionnel.
Ce texte ne résoudra pas, à lui seul, tous les maux de Mayotte, mais c'est un premier pas indispensable. Il faudra aussi renforcer les moyens de lutte contre l'immigration clandestine en demandant une coopération accrue des Comores. Les infrastructures devront être modernisées. Il faudra aussi revoir le modèle économique mahorais pour sortir de l'économie informelle. Tout ne se fera pas en un jour.
Les Mahorais attendent des actes. Mayotte est française et cela nous oblige. Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci au rapporteur et à la commission des lois pour leur travail.
La situation à Mayotte nous revient sous la forme d'une crise grave, et les conditions de vie au quotidien pour nos compatriotes sur l'île ne cessent de se dégrader. Les habitants du département français le plus pauvre ne sauraient être des citoyens de seconde zone. Or l'action de l'État porte davantage sur les conséquences que sur les causes.
Les chiffres sont connus : Mayotte est devenue la première maternité de France ; la moitié des 320 000 habitants seraient de nationalité étrangère. Les Mahorais ont manifesté, drapeau français en main, leur mécontentement à l'égard de l'anarchie migratoire, dont les conséquences sont l'insécurité, l'insalubrité, la dégradation de l'environnement, les problèmes sanitaires, la saturation des services publics, etc. Il a fallu les images terribles du passage du cyclone pour que les Français de l'Hexagone en prennent conscience.
L'accroissement incontrôlé de la population et les bouleversements climatiques sont un risque majeur pour Mayotte. On constate aussi une diversification de l'origine des migrants, avec l'augmentation des arrivées irrégulières depuis l'Afrique des Grands Lacs - formidable réservoir...
D'aucuns continuent de préférer ne rien faire contre les flux migratoires ou de prétendre que les dispositions envisagées ne changeront rien. C'est une position idéologique de refus du débat, qui ne tient pas compte des réalités.
Outre le différentiel de niveau de vie, les conditions d'accès à la nationalité française d'un enfant ou les conséquences sur le droit au séjour de sa famille contribuent à l'attractivité du territoire. La situation de Mayotte ne peut qu'empirer si aucune mesure drastique n'est prise. Face au nombre, il n'est plus question d'assimilation. Veut-on développer la violence avec les autochtones ou entre migrants ? Veut-on tuer l'économie mahoraise ?
Certes, cette proposition de loi ne réglera pas toutes les difficultés structurelles de Mayotte ; d'autres mesures, économiques et sociales, devront être prises, de même qu'une aide au développement renforcée dans la région. Mais il faut amorcer un mouvement en proposant des solutions opérationnelles, pour répondre à l'exaspération des Mahorais.
L'article 73 de la Constitution prévoit que nos lois et règlements peuvent être adaptés outre-mer. En 2018, le législateur a ajouté une condition supplémentaire spécifique à Mayotte pour l'acquisition de la nationalité française - disposition reconnue conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Afin de lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte, le législateur peut donc adapter, dans une certaine mesure, les règles sur l'entrée et le séjour des étrangers, ainsi que celles relatives à l'acquisition de la nationalité.
Le texte prévoit que la condition de résidence soit d'un an avant la naissance, appliquée à un seul parent, pour limiter le risque d'inconstitutionnalité. Et l'obligation de présentation d'un passeport biométrique a été supprimée, puisque tous les pays n'en disposent pas. Ces mesures équilibrées réduiront la pression à Mayotte.
Certains de nos compétiteurs stratégiques et leurs vassaux contestent notre présence dans des espaces géographiques très convoités. C'est le cas de nos outre-mer que la France peine à protéger. La présence française dans le sud de l'océan Indien et le canal du Mozambique est une cible. Narratif anticolonial, propagande et désinformation façonnent un environnement cognitif hostile à la France. Voyez ce qui se passe en Afrique francophone ou en Nouvelle-Calédonie. Certaines puissances instrumentalisent les flux migratoires vers l'Europe pour semer le chaos.
Leur rapprochement intéressé avec les États voisins de Mayotte est inquiétant. Ces compétiteurs soutiennent la restitution de Mayotte aux Comores, comme celle des îles Éparses à Madagascar. Pour eux, tous les moyens de déstabilisation sont bons - informationnels, juridiques...
Dans ce contexte, tout ce qui facilitera un retour à la vie normale à Mayotte doit être mis en oeuvre. C'est le cas de ce texte que je vous invite à adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Guillaume Chevrollier. - Très bien !
Mme Salama Ramia . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je m'exprime en tant que représentante de Mayotte, territoire confronté à une pression migratoire sans équivalent dans notre République. Plus de la moitié de la population est étrangère et la population a augmenté de 43 % en dix ans. L'immigration illégale massive fausse les données démographiques, masque les réels besoins de la population et compromet l'accès légitime des Mahorais aux infrastructures publiques. Mayotte, territoire français, suffoque.
Cette proposition de loi a crispé les débats. La commission des lois est revenue sur le délai de trois ans voté à l'Assemblée nationale. Sous la menace d'inconstitutionnalité, nous avons mis à terre l'espoir d'un peuple. Je suis sceptique sur cette réécriture, même si le délai d'un an est un progrès par rapport à trois mois.
En 2022, le CHU de Mamoudzou, plus grande maternité de France et d'Europe, a enregistré plus de 10 000 naissances. Pas moins de 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
La suppression de l'exigence de résidence pour les deux parents, pour éviter de discriminer les familles monoparentales, soulève des inquiétudes - d'où le rétropédalage du rapporteur. La tentation de trouver un père français le temps de la reconnaissance en mairie est un business lucratif bien connu. Le cadre réformateur annoncé a été délaissé au profit d'un simple encadrement des règles existantes. L'ambition s'est égarée en route.
La demande principale des Mahorais reste la suppression du titre de séjour territorialisé : Mayotte n'est ni un bagne ni un camp. Nous sommes fiers d'ambitionner un avenir radieux au sein de la République. Aussi j'appelle le Gouvernement à s'en saisir, dans le projet de loi pour Mayotte en cours de préparation. Sinon, tous nos efforts seront vains.
Face à la saturation et dans l'attente d'un projet de loi téméraire, cette proposition de loi est une solution partielle, un premier jalon, à compléter pour endiguer les flux migratoires et répondre à la demande des Mahorais qui luttent pour se réapproprier leur terre et leurs droits.
Au nom du RDPI, je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « La France est une République indivisible » : ces six mots d'une concision exemplaire figurent à l'article 1er de notre Constitution. Ce n'est pas un concept juridique à géométrie variable, en dépit de l'article 73.
La base de tout raisonnement juridique est un syllogisme. Majeure : la France est une République indivisible. Mineure : Mayotte est un territoire de la République. Conclusion : Mayotte ne peut donc être séparée du reste de la France. C'est un premier fait.
Deuxième fait : le droit du sol simple en France n'existe pas, contrairement aux États-Unis. On devient français par droit du sang, comme la majorité des Français qui vivent à l'étranger, ou par double droit du sol - en étant né en France, d'un parent lui-même né en France. Ce sont les seuls cas automatiques d'acquisition de la nationalité française à la naissance. Mais on peut aussi devenir français quand on est né en France, à partir de ses 13 ans et seulement si l'on y a vécu au moins cinq ans depuis ses 8 ans.
Que Mamoudzou soit la plus grande maternité de France ne change donc rien : pour être français, il faut naître en France et y rester, longtemps. Il existe déjà une immense différence à Mayotte, qui en fait un territoire en marge de la République : il faut de surcroît que l'un des deux parents y réside de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois lors de la naissance de l'enfant - délai que la proposition de loi porte à un an. Les migrants clandestins ne rempliront jamais cette condition... Ce délai est une immense entaille dans notre droit républicain. Et le Président de la République se trompe : ce n'est pas parce que l'on naît à Mayotte que l'on devient français - cessons avec ce fantasme !
Troisième fait : Mayotte fait face à un incommensurable problème d'immigration, principalement en provenance des Comores, dont Mayotte faisait partie jusqu'en 1974. La moitié des enfants sont issus de couples mixtes mahorais-migrant. C'est la preuve d'une culture commune. Dès lors, regardons plutôt du côté de l'acquisition de la nationalité française par mariage...
Les migrants ne vont pas à Mayotte pour le passeport, mais parce que les liens familiaux sont intenses, la religion commune, et surtout, parce que c'est un territoire très proche - 70 kilomètres, mais à des années-lumière en termes de développement.
Pour la France, Mayotte est un département pauvre avec des records de chômage, de pauvreté, d'insécurité ; mais pour les Comores, c'est un pays riche. Le taux de mortalité maternel est douze fois plus élevé aux Comores qu'à Mayotte. Les Comores sont dépendants des transferts d'argent en provenance de Mayotte, qui représentent 20 % du PIB. Mayotte est huit fois plus riche que les Comores, un écart de développement comparable à celui qui existe entre les États-Unis et le Mexique. Les migrants viennent à Mayotte parce qu'ils pensent y trouver une vie meilleure ; c'est une aspiration humaine.
Nous saluons l'honnêteté intellectuelle du rapporteur, qui a rendu le texte plus acceptable sur un plan constitutionnel - le texte de l'Assemblée nationale était une aberration... Mais nous ne pensons pas que c'est en modifiant une nouvelle fois le droit du sol - sans évaluer l'impact du changement de 2018 - que nous stopperons l'immigration illégale. Oui, la situation est insupportable pour les Mahorais, mais le droit n'y peut rien. Plutôt que de rogner une fois de plus le principe d'indivisibilité, attaquons-nous aux causes : la pauvreté aux Comores, grâce à l'aide publique au développement.
Radicalement républicain, le RDSE refuse de voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et des groupes SER et CRCE-K)
Mme Isabelle Florennes . - Tumultes, imbroglios, erreurs de vote : j'espère que nous éviterons les déboires de l'Assemblée nationale.
Dans leur rapport, Mme Jacques et MM. Bas et Lurel se sont interrogés sur la capacité de l'État à assurer ses missions premières et à mettre en place des politiques publiques répondant aux attentes des habitants. Leur recommandation n°22 préconise de revoir le mode d'acquisition de la nationalité via la durée de résidence des parents.
Cette proposition de loi renforce ainsi les conditions d'accès à la nationalité française. Je dis « renforce » pour rappeler qu'une mesure du même type avait été introduite par la loi de 2018.
Plusieurs autres pays européens ont des règles comparables, comme la Belgique et l'Irlande. En outre, la France n'est pas comme le Canada, le Mexique ou les États-Unis, où les enfants nés sur place obtiennent automatiquement la citoyenneté - le droit du sol ne joue en France qu'un rôle modeste.
Cette spécificité française a rendu possible l'application de mesures propres à Mayotte : nulle violation d'un principe, mais adaptation de notre droit à des circonstances particulières. Le Conseil constitutionnel l'a dit en 2018 : la différence de traitement tient compte des caractéristiques et des contraintes particulières de Mayotte. Ces dispositions pourraient être appliquées dans d'autres territoires ultramarins, selon l'article 73.
La proposition de loi propose un délai d'un an - et non pas trois comme voté à l'Assemblée nationale. L'extension de l'obligation de résidence aux deux parents, contrevenant au principe d'égalité pour les familles monoparentales, et l'obligation de posséder un passeport biométrique, qui n'est délivré que par un nombre limité de pays, ne sont pas conservées - nous nous en réjouissons.
C'est une approche réaliste : le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Jérémy Bacchi . - L'île de Mayotte, territoire déjà abandonné, a subi, il y a quatre mois, un cyclone dévastateur. Je rends hommage aux victimes. Quelque 77 % de la population de ce 101e département français vit sous le seuil de pauvreté ; le taux de chômage atteint 37 % ; 30 % des logements n'étaient pas raccordés à l'eau avant le cyclone ; un quart des logements étaient en tôle. Les montants de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de la prime d'activité et du RSA ne sont que de 50 % de ce qui est versé dans l'Hexagone.
Et l'urgence ne serait pas là ? Et l'enjeu serait la nationalité des enfants nés sur l'île ? Pourtant aucun chiffre ne démontre que les conditions d'accès à la nationalité sont un facteur d'attractivité pour le territoire. Ainsi, depuis le durcissement législatif de 2018, si le nombre de personnes devenues françaises a diminué, tel n'a pas été le cas du nombre de personnes étrangères.
Cette mesure discriminatoire enferme la population locale dans la précarité, tout comme les titres de séjours accordés à Mayotte qui ne permettent pas de circuler dans l'espace Schengen. La population de Mayotte est abandonnée par l'État et discriminée par nos lois.
L'histoire et la géographie de Mayotte sont trop souvent ignorées, pour servir des intérêts électoraux. En 1974, l'unité de l'archipel des Comores est reconnue, y compris par Valéry Giscard d'Estaing. Mais après le référendum, le Gouvernement change de position et interprète les résultats à son avantage, pour conserver une position stratégique dans le canal du Mozambique. Alors que 95 % des Comoriens se prononcent pour l'indépendance, 63 % des Mahorais votent contre : l'État français a alors divisé l'archipel et le peuple comorien.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il y a eu deux votes.
M. Jérémy Bacchi. - Loin de nous l'idée de rendre, a posteriori, Mayotte aux Comores, mais je souhaite retracer toute la complexité de la situation. Par sa géographie, sa culture et son histoire, la population comorienne reste unie.
Le droit du sol est un fondement de notre République, depuis 1789. Voter cette proposition de loi, c'est faire reculer la République française. (Applaudissements à gauche)
Mme Antoinette Guhl . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi est indécente, parce qu'elle détourne le regard d'une catastrophe humanitaire, sociale et écologique sans précédent ; parce qu'elle instrumentalise la détresse des Mahoraises et des Mahorais, au service d'une stratégie électorale dangereuse ; parce que Mayotte souffre.
Face à cette souffrance, quelle est votre réponse : durcir encore plus l'accès à la nationalité, restreindre le droit du sol, ajouter de nouvelles contraintes aux enfants de Mayotte ? Quelle indécence !
Ce département de la République est traité comme une exception permanente. C'est le territoire de toutes les régressions. Depuis 2018, les conditions d'accès à la nationalité française y ont déjà été restreintes par la loi Collomb. Pour quels effets, monsieur le ministre ? Mélanie Vogel l'a dit : aucun sur l'immigration. Et j'ajoute : aucun sur la pauvreté ni sur les tensions sociales. Mais cela a fabriqué des invisibles, une citoyenneté de seconde zone.
Avant le cyclone, la situation était catastrophique, avec une crise multiforme : sociale - pauvreté, chômage, inégalités -, écologique - eau, déchets - et humanitaire - conditions de vie, éducation, soins.... Le cyclone Chido a balayé ce qui restait, laissant derrière lui un paysage de désolation. Face à cette situation d'urgence absolue, l'État devrait protéger, pour garantir sécurité, dignité, solidarité. Il faut mettre fin aux politiques d'exception qui condamnent Mayotte à l'abandon.
Ce texte ne répond pas aux défis de Mayotte, mais détourne l'attention en désignant un bouc émissaire commode : l'immigration.
Vous voulez aller plus loin, comme si Mayotte était une terre étrangère à laquelle on refuse le droit commun. Mais les Mahorais sont français : ils doivent avoir les mêmes droits que les autres citoyens. Est-ce une expérimentation que vous menez avant d'étendre ces restrictions à l'ensemble du territoire national ?
Le droit du sol n'est ni une erreur ni une faiblesse. C'est une conception de la nation, qui repose sur l'inclusion et l'intégration.
Le vrai problème de Mayotte, ce n'est pas l'immigration, c'est l'abandon de l'État. Depuis des mois, votre majorité multiplie les attaques contre les étrangers et contre les principes républicains. Hier, vous vouliez interdire le port du voile dans le sport, aujourd'hui, vous vous attaquez au droit du sol. Vous reprenez les thèmes de l'extrême droite et normalisez son discours.
Nous nous battrons pour nos valeurs républicaines, dans cet hémicycle, dans la rue, partout. Car nous refusons cette musique nauséabonde de l'exclusion et du rejet de l'autre.
La France a besoin de solidarité, pas d'exclusion. Elle a besoin d'un État qui assume ses responsabilités, pas d'un État qui stigmatise. Elle a besoin de justice sociale, pas de surenchère sécuritaire.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Antoinette Guhl. - Nous voterons contre cette proposition de loi indécente, dangereuse et indigne. (Applaudissements à gauche)
Mme Corinne Narassiguin . - Le groupe Les Républicains, soutenu par le Gouvernement, propose de revenir sur le droit du sol à Mayotte, dans une confusion progressive avec l'extrême droite qui ira peut-être jusqu'à la fusion... Certains ici estiment avoir trouvé la solution aux problèmes de Mayotte, car le vrai problème serait l'immigration, encore et toujours.
Depuis 1515, le droit du sol fonde notre droit de la nationalité. Patrick Weil l'a dit : ce droit du sol républicain, progressif et conditionnel est à ce point au fondement de notre identité nationale, que même le régime de Vichy l'avait maintenu dans son projet de réforme de la nationalité.
Le simple fait de naître sur le territoire français ne confère pas la nationalité française : nulle automaticité, puisqu'une double condition cumulative de naissance et de résidence en France est exigée.
Vous proposez de violer le principe d'indivisibilité de notre République, une nouvelle fois après la loi asile et immigration de 2018.
En dépit de nombreuses demandes de parlementaires, il n'existe aucune évaluation de la restriction mise en place en 2018. Le nombre d'acquisitions de la nationalité française à Mayotte à la majorité a été divisé par trois, quand le nombre d'étrangers en situation irrégulière a été multiplié par dix. Comment osez-vous prétendre qu'il existe une corrélation entre le droit de la nationalité et l'immigration ?
Chers collègues de droite, votre aveuglement vous empêche de vous mettre à la place de ces hommes et de ces femmes qui fuient les Comores et d'autres pays de la région ? Qu'auriez-vous fait, vous, dans l'espoir d'une vie meilleure ? Au lieu de ça, vous les imaginez pesant le pour et le contre d'une traversée où ils risqueraient leur vie pour que leurs enfants obtiennent la nationalité française... Quel cynisme ! Et quelle compromission, notamment pour ceux qui se croient encore de gauche dans ce gouvernement !
Une fois de plus, vous violez notre Constitution. L'atteinte que vous portez au droit du sol n'est ni justifiée ni adaptée. Il n'a jamais été démontré que la réforme de 2018 avait endigué les flux migratoires. Elle n'a fait qu'accroître la précarité des familles. Saïd Omar Oili l'a rappelé : les visas territorialisés ont aggravé la situation. Vous vous entêtez dans cette voie populiste.
Le groupe SER s'opposera une nouvelle fois à cette tentative d'atteinte au droit du sol et aux droits fondamentaux d'hommes, de femmes, et surtout d'enfants. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)
Discussion de l'article unique
Avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°4 de M. Omar Oili et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Pas d'avis du Conseil d'État, pas d'étude d'impact, pas d'évaluation de la loi de 2018 : voilà comment nous légiférons. Ce texte est un tract politique et non une réponse juridique solide aux problèmes des Mahorais. Nos demandes d'évaluation sont restées lettre morte. En janvier, MM. Bas et Lurel recommandaient de réaliser une étude d'impact sérieuse. Ce qui est évident pour tous ne l'est pas pour la commission, qui se retranche derrière son aversion aux rapports, ni pour gouvernement qui depuis cinq ans fait obstruction à toute évaluation de la loi de 2018. Le RDPI a d'ailleurs renoncé à cette revendication depuis l'an dernier... Mais notre groupe n'a pas varié.
M. le président. - Amendement n°11 de Mme Vogel et du GEST.
Mme Mélanie Vogel. - Cet amendement demande également un rapport sur les effets de la loi de 2018. Au Sénat, on se plaint régulièrement de l'excès de législation. Je ne comprendrais pas que l'on refuse d'évaluer une loi, qui ne produira ses pleins effets qu'en 2032, avant de la modifier. Les données dont nous disposons tendent à montrer que la loi n'a eu aucun impact. Le Sénat ne souhaite-t-il pas savoir si la loi de 2018 a eu un effet ?
M. le président. - Amendement n°18 rectifié de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Nous demandons un rapport évaluant la loi de 2018, pour en connaître les conséquences sur les droits des enfants, sur les flux migratoires et sur le nombre de titres de séjour délivrés à Mayotte.
La présente proposition de loi s'inscrit dans la continuité des mesures de 2018, mais sans les avoir évaluées au préalable. Les chiffres dont nous disposons - du ministère de l'intérieur et des professionnels de terrain - ne montrent aucun effet du dispositif de 2018 sur les flux migratoires.
Ce texte est une menace pour les droits des enfants. La précarité des enfants de Mayotte est organisée par la République elle-même. Sur les bancs de l'école, ces enfants souffrent de la faim et subissent chaque jour les discriminations françaises.
Légiférons en toute connaissance de cause.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Vous connaissez la jurisprudence constante de la commission des lois sur les rapports : avis défavorable. Il faudra néanmoins évaluer la loi, un jour ou l'autre. C'est le sens des préconisations de MM. Bas et Lurel.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
Vous connaissez ma position sur les visas territorialisés : leur suppression ne sera possible que le jour où la question de l'immigration irrégulière sera réglée à Mayotte.
Ces visas ne sont pas récents, ce sont des visas Balladur, madame Narassiguin, que la gauche n'a pas supprimés quand elle a été aux responsabilités, par deux fois. Heureusement que vous n'êtes pas contre ces visas lorsque vous êtes dans l'opposition et pour quand vous êtes aux responsabilités, sinon cela pourrait être vu comme une posture politicienne... (Mme Marie-Pierre de La Gontrie proteste.)
Les difficultés de Mayotte commencent à toucher l'île de La Réunion.
Des propositions sur les visas territorialisés pourront venir de votre groupe, ou d'autres. M. le ministre d'État Valls aura l'occasion de donner la position du Gouvernement.
L'amendement n°4 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos11 et 18 rectifié.
Article unique
M. le président. - Amendement n°3 de Mme Narassiguin et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Avec cet article 2, nous sommes face à une forme de détournement de l'article 73 de la Constitution. Personne ne conteste la particularité de la situation migratoire de Mayotte. Mais cela n'autorise pas tout, et surtout pas n'importe quoi, notamment pas la remise en cause du droit de la nationalité, qui est sans lien avec les problèmes migratoires. Certains finissent par admettre cette absence de corrélation entre nationalité et immigration, mais peu importe et on continue à faire de la politique, plutôt que de résoudre les vrais problèmes de Mayotte : infrastructures, migration familiale avec les Comores, absence de toute politique de développement en direction des pays de la région, etc.
M. le président. - Amendement identique n°10 de Mme Mélanie Vogel et du GEST.
Mme Mélanie Vogel. - Je m'interroge sur la constitutionnalité des dispositions de l'article. En passant du droit commun à une exigence de résidence régulière de trois mois pour l'un des deux parents, on a coupé les trois quarts des naturalisations basées sur le droit du sol. C'est énorme !
Il était évident que le passage à trois ans pour les deux parents était absolument disproportionné et manifestement inconstitutionnel. Je pense que la version de la commission des lois l'est également. Ce droit était déjà peu utilisé, mais si seulement un quart des personnes peut y prétendre, l'exercice du droit du sol sur ce territoire de la République sera quasiment réduit à néant.
Or l'article 73 de la Constitution consiste non pas à supprimer un droit, mais à l'adapter aux situations particulières de ces territoires.
Un an ou trois ans, cela ne changera pas grand-chose pour le Conseil constitutionnel : cette disposition sera déclarée inconstitutionnelle. (M. Gérald Darmanin le conteste ; M. Jacques Fernique applaudit.)
M. le président. - Amendement identique n°12 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Cet article, qui instaure un traitement différencié et injustifié fondé sur l'origine, est contraire à notre Constitution. C'est proprement discriminatoire et contraire au principe d'égalité reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le plus inquiétant est que ce texte attaque précisément les enfants qui ne connaissent que la République française, et dont la République ne veut pas. Ils sont piégés à Mayotte ; pour eux, ce sont les bidonvilles, la peur, la faim, la haine.
Il y a moins d'une semaine, nous votions à l'unanimité une résolution contre le sans-abrisme des enfants. C'était un vote généreux et républicain.
Cette proposition de loi, elle, s'attaque aux droits fondamentaux des enfants, qui sont tous soumis à la régularité administrative de leurs parents. On leur rend l'accès à l'éducation difficile, on les affame, on compromet leur avenir.
Monsieur le ministre, si vous reconnaissez que le problème est la fraude à la paternité, cela revient à dire que ce texte est hors sujet.
Nous refusons que Mayotte et les outre-mer deviennent le laboratoire des lois hostiles aux étrangers.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable, bien évidemment. Cela revient à discuter de nouveau la question préalable. Nous sommes législateurs, non juges constitutionnels. (MM. Guillaume Gontard et Jacques Fernique ironisent.) Laissons le Conseil constitutionnel s'exprimer s'il est saisi.
Tout dépend de la mesure. Notre proposition est-elle proportionnée ? Je le pense, au vu des vagues migratoires successives que subit le territoire mahorais.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable. Les arguments d'anticonstitutionnalité étaient déjà portés contre les trois mois proposés par Gérard Collomb, qui ont été validés par le Conseil constitutionnel.
Je respecte votre opposition à cette mesure, madame Corbière Naminzo, mais vous ne pouvez pas dire qu'on affame les enfants et qu'on les prive d'aller à l'école. Les enfants peuvent s'inscrire à l'école, quelles que soient leur nationalité et leur situation administrative.
La République est généreuse. Pas moins de 90 % des personnes hospitalisées à Mayotte sont soignées gratuitement.
Nul besoin de dire des choses non seulement horribles, mais contraires à ce que fait la République. J'aimerais que vous rectifiiez vos propos.
M. Saïd Omar Oili. - Monsieur le ministre, vous connaissez bien Mayotte. On fait de ces jeunes des ni-ni (M. Gérald Darmanin acquiesce), c'est-à-dire qu'on expulse les parents tout en gardant les enfants, qui commettent des actes de délinquance.
Certes, on scolarise ces enfants, mais quand ils ont leur bac avec mention très bien et qu'ils veulent poursuivre leurs études, on leur dit : non, vous n'êtes pas français, et ils retombent dans la délinquance. Pourquoi alors ne pas expulser les enfants avec leurs parents ? La loi l'interdit. Résultat : Mayotte compte 6 000 enfants abandonnés, qui vivent dans les poubelles et causent des désordres.
Regardons la situation dans son ensemble.
Les Mahorais veulent vivre libres, tout simplement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Que faire des enfants abandonnés par leurs parents sur le territoire mahorais ? (Exclamations sur les travées du groupe SER)
Mme Silvana Silvani. - Non, dont les parents sont expulsés !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Non, ils sont abandonnés. Arrêtons de regarder cela de Paris. La question qui se pose est celle de l'expulsion de la fratrie. Est-ce que l'on régularise l'intégralité des enfants, qui sinon deviennent des ni-ni, ni expulsables ni régularisables ?
Que feriez-vous, monsieur Omar Oili ? Lorsque vous étiez maire, vous aviez déclaré ne plus vouloir scolariser les enfants pour interpeller l'État. Si un sénateur du groupe socialiste le dit, c'est bien que nous faisons face à un problème majeur. (M. Laurent Burgoa et Mme Marie Mercier renchérissent.)
Est-ce que l'on expulse les enfants ? La loi ne le permet pas. Est-ce ce que vous proposez ? Ou prônez-vous la régularisation de ces enfants ?
Vous prenez l'exemple d'un jeune réussissant le bac avec mention très bien : ce n'est pas parce qu'il n'est pas français qu'il ne peut pas faire d'études. Ce n'est pas ce que prévoit cette proposition de loi. Entre nationalité et irrégularité, il y a le statut d'étranger régulier.
On peut devenir français par le double droit du sol, par le mariage, par la volonté. De nombreux Français ne sont pas nés en France et n'ont pas de parents français : quand j'étais ministre de l'intérieur, je publiais entre 30 000 et 40 000 décrets en ce sens.
Quand les enfants ont un parcours méritoire, ils reçoivent un titre de séjour. Un grand nombre d'étrangers en situation régulière vivent des dizaines d'années en France avec un titre de séjour.
Les amendements identiques nos3, 10 et 12 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°7 de M. Christopher Szczurek et alii.
M. Christopher Szczurek. - Les Mahorais connaissent trop bien les conséquences de l'immigration : insécurité endémique, difficulté d'accès aux ressources de base comme l'eau, surpopulation dans les écoles, développement d'un habitat anarchique... Il nous faut, pour Mayotte et pour la France, tarir les sources légales de cette situation. Nous proposons une mesure simple : supprimer le droit du sol à Mayotte.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable : cela impliquerait une révision de la Constitution.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°9 de M. Szczurek et alii.
L'amendement n°9 est retiré.
M. le président. - Amendement n°14 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Cet amendement rétablit la rédaction de l'Assemblée nationale. Il faut des mesures ambitieuses pour lutter contre l'immigration à Mayotte, pénalisée par le titre de séjour territorialisé. Aucune répartition n'est réalisée avec La Réunion ou l'Hexagone. Dans ces conditions, nous demandons un durcissement, à défaut d'appliquer le principe de solidarité qui prévaut pourtant entre tous les territoires européens.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Je comprends votre intention, mais il s'agit aussi de lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Tel que rédigé, cet amendement exclut de facto les familles monoparentales, ce qui est inconstitutionnel.
Il faudra des contrôles pour éviter les contournements. Trouvons un compromis avant la CMP. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°14 est retiré.
M. le président. - Amendement n°15 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Amendement rédactionnel.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Sagesse sur cet amendement qui ne change rien à l'ensemble du dispositif.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°15 est adopté.
M. le président. - Amendement n°16 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Rédactionnel.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Sagesse.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°16 est adopté.
L'article unique, modifié, est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°17 de Mme Ramia et du RDPI.
L'amendement n°17 est retiré.
Vote sur l'ensemble
Mme Silvana Silvani . - Que faites-vous ? Qu'êtes-vous en train de faire ? On a déjà eu droit aux mariages mixtes lorsque l'un des prétendants était en situation irrégulière. La semaine dernière, on a allongé la durée de rétention pour les personnes sous le coup d'une OQTF. Désormais, on parle des conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte, en proposant de l'étendre - cela a été dit - au reste du territoire.
Le tout, sans étude d'impact sur les flux migratoires, voire en dépit des données dont nous disposons. Qu'êtes-vous en train de faire, sinon saturer le débat public sur les étrangers, rendus responsables de toutes nos difficultés ?
Nous étions déjà familiers de l'instrumentalisation de l'immigration par l'extrême droite. Nous devons désormais nous familiariser avec cette même instrumentalisation de la part des droites et de ce Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Saïd Omar Oili applaudit également.)
La proposition de loi, modifiée, est adopté.
La séance est suspendue à 19 h 50.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 35.
Restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - La proposition de loi soumise à votre examen a été déposée par le président Gabriel Attal dans le contexte de mutations profondes qui secouent notre société, avec une jeunesse à la fois auteure et victime de faits de plus en plus nombreux et violents. L'actualité récente en témoigne, avec des faits graves commis par des mineurs, parfois très jeunes, sur d'autres mineurs, parfois très jeunes.
Si la justice est l'affaire de tous, c'est encore plus le cas de celle des mineurs. Or l'État se révèle trop souvent un parent défaillant.
Pour protéger notre jeunesse et répondre aux infractions, nous pouvons compter sur l'engagement de tous les acteurs de la chaîne pénale : juges, huissiers, avocats, surveillants pénitentiaires, policiers et gendarmes, acteurs sociaux.
Chacun mesure que notre société est confrontée à une délinquance des mineurs toujours plus prégnante. Nous faisons face à des faits de plus en plus violents. Ce phénomène, qui certes ne touche pas seulement notre pays, est intolérable.
L'année dernière, 21 % des mis en cause avaient moins de 18 ans - ils sont impliqués en particulier dans des affaires de vol et de trafic de stupéfiants. Cela nous oblige à revoir nos pratiques sans remettre en cause les principes de la justice des mineurs, fondée sur l'éducation et l'accompagnement.
Nous ne devons pas non plus fermer les yeux sur les causes multiples de cette violence : précarité et isolement, défaillance de certains parents, questions migratoires et échecs de l'intégration, logements insalubres, réseaux de prostitution et de drogue ; l'école, les structures culturelles, nous-mêmes ne jouons pas toujours notre rôle. Chacun doit assumer sa part de responsabilité.
À commencer par les parents, car on ne met pas au monde un enfant impunément. Certains ont démissionné, mais d'autres doivent être accompagnés, notamment les femmes seules qui travaillent tard le soir ou tôt le matin et font face à des adolescents à qui manque l'autorité du père. Nous devons sanctionner les parents défaillants et aider ceux qui crient à l'aide. Les mineurs ont besoin d'un cadre et de respect. Nous devons renforcer l'autorité, qui va de pair avec l'éducation.
Mon anté-prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, a présenté le nouveau code de la justice pénale des mineurs, destiné notamment à rendre plus lisibles et cohérents les textes applicables. Cette réforme d'ampleur a été à l'origine d'améliorations, en particulier un raccourcissement des délais de jugement : en moyenne, les mineurs sont jugés aujourd'hui en moins de neuf mois. Je salue le travail considérable mené pour y parvenir.
La justice pénale des mineurs repose sur trois principes fondamentaux, consacrés par le Conseil constitutionnel.
D'abord, la spécialisation des acteurs de la procédure : les mineurs doivent être jugés par des juridictions spécialisées. Nous n'y revenons pas.
Ensuite, la primauté de l'éducatif sur le répressif : un mineur doit faire l'objet d'abord de mesures éducatives et éventuellement, lorsque les circonstances le justifient, répressives. Je considère qu'il faut l'éducatif et le répressif, et non l'éducatif ou le répressif. Je crois, monsieur le rapporteur, que c'est le sens dans lequel iront nos travaux.
Enfin, l'atténuation de la responsabilité du mineur en fonction de son âge - ce qu'on appelle communément l'excuse de minorité. À cet égard, la proposition de loi renverse en quelque sorte la charge de la preuve pour ce qui est de savoir si le juge peut considérer ou non que l'excuse n'a pas à s'appliquer.
Ces grands principes engagent la France, qui a également ratifié la Convention internationale de droits de l'enfant ; nous célébrons cette année les 35 ans de ce texte international, le plus ratifié de tous, avec 196 pays engagés. Son article 40 consacre la spécificité de la justice des mineurs.
Mais ces principes ne sont pas synonymes d'impunité ; ils doivent être conciliés avec la nécessité de prévenir les atteintes à l'ordre public. C'est donc d'une main tremblante, mais ferme tout de même, qu'il nous appartient de garantir l'autorité de la justice sur les mineurs - exercice délicat qui a donné lieu à l'Assemblée nationale à des débats longs et passionnés, mais toujours respectueux.
Un mineur délinquant doit être puni, mais il est souvent un mineur en danger. Nous devons agir pour protéger l'enfance en amont.
Le juge des enfants intervient dans le cadre de l'assistance éducative lorsqu'il y a danger pour un mineur au sein de sa famille. Cette procédure peut donc concerner des mineurs qui n'ont commis aucune infraction. Les mineurs sont entendus par le juge des enfants, qui doit rechercher l'adhésion des familles.
Mais les mineurs délinquants ont souvent connu un parcours de mineur isolé, à l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou ont subi les effets d'une déstructuration familiale.
Nous devons agir sur les deux volets de la justice des mineurs : une réponse plus ferme et une prévention plus efficace, en liaison avec les départements.
La procédure d'audience unique pose question, mais me paraît nécessaire. Le Gouvernement accompagnera cette réflexion sans tomber dans la démagogie, pour une réponse plus rapide.
La meilleure représentativité des tribunaux est une demande du Gouvernement. Je me félicite que la discussion sur ce sujet puisse avoir lieu. Je salue le travail considérable des assesseurs, qui aident les tribunaux à prendre en compte la situation sociale des jeunes.
Nous devons conjuguer fermeté et accompagnement. Le drame qui a touché le jeune Elias à Paris montre l'absurdité de notre système : les deux jeunes suspects étaient bien connus des services de la justice des mineurs, mais la violation de leurs mesures éducatives n'aurait entraîné aucune sanction.
Alors que la défiance envers nos institutions est de plus en plus prégnante, nous devons garantir l'autorité, l'efficacité et l'humanité de la justice. La fermeté que nous voulons instaurer n'est pas une fin en soi, mais une condition de la restauration de la confiance de nos concitoyens dans la justice. La justice des mineurs ne peut être celle des majeurs, mais les mineurs d'aujourd'hui ne sont pas ceux de 1945 : entre ces deux vérités, nous devons écrire une loi juste.
Le Gouvernement regrette l'absence de dispositions sur la protection de l'enfance. Nous en reparlerons.
Les modifications défendues par le rapporteur n'emportent pas toujours notre adhésion. Mais le Sénat saura trouver, conformément à nos engagements constitutionnels et internationaux, qu'il a toujours respectés...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Constitutionnels, pas toujours !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - ... une voie de sagesse. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois . - Des infractions de plus en plus violentes sont commises par des mineurs de plus en plus jeunes. Chacun d'entre nous a dans sa ville ou son département trop d'exemples de cette évolution préoccupante. Nous devons la juguler.
De nombreuses actions ont déjà été engagées, comme le nouveau code de la justice pénale des mineurs, grâce auquel les délais de jugement ont été raccourcis de 40 %, entre autres progrès.
Je me réjouis que le garde des sceaux ait rappelé les principes, intangibles, de la justice des mineurs, à commencer par la primauté de l'éducation : un mineur n'est pas un justiciable comme un autre. Nous avons en la matière des obligations qui résultent à la fois de notre Constitution et de nos engagements internationaux.
La justice des mineurs manque aussi de moyens : difficultés matérielles des juridictions, manque de places dans les structures spécialisées, moyens insuffisants de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Dans ce contexte, il n'est pas illégitime que nous examinions, une nouvelle fois, un texte sur la justice des mineurs. Si l'entrée en vigueur du nouveau code de la justice pénale des mineurs est encore fraîche, il aurait été naïf de croire qu'il résoudrait tout. La commission des lois n'est donc pas hostile par principe à rouvrir ces débats.
Néanmoins, nous avons le devoir, particulièrement au Sénat, de ne pas céder à deux tentations. La première serait de légiférer sous le coup de l'émotion suscitée par un fait divers, car nul ne peut se satisfaire de lois de circonstance dépourvues de portée. La seconde, de mettre de côté les principes dégagés par le Conseil constitutionnel en 2002.
La proposition de loi votée par l'Assemblée nationale a-t-elle échappé à ces deux écueils ? La commission des lois a répondu par la négative. Elle en a tiré les conséquences en remaniant profondément certains dispositifs et en en supprimant d'autres. Mais nous avons laissé ouvertes de nombreuses initiatives. Nous regrettons d'avoir travaillé dans des délais très contraints ; pour être fréquentes, ces conditions ne sont pas acceptables.
Le premier volet de ce texte tend à responsabiliser les parents. Nous avons adopté en la matière une démarche constructive. Si nous avons supprimé la redéfinition des éléments constitutifs du délit de soustraction des parents à leurs obligations légales, imprécise au point de fragiliser le texte, nous avons étendu le périmètre de la circonstance aggravante pour y inclure des délits dont la preuve sera plus simple à apporter ; nous avons ainsi cherché à muscler le texte en le rendant plus applicable. Nous avons supprimé la sanction civile contre les parents ne répondant pas à leur convocation en matière d'assistance éducative, mais sécurisé le dispositif actuel en matière pénale. Et c'est le Sénat qui a organisé la responsabilité réelle des parents en les associant au remboursement des dommages.
Oui, nous avons supprimé la comparution immédiate, parce qu'elle n'atteignait pas l'objectif recherché. Où est l'agresseur du rabbin d'Orléans ? En prison, et il sera jugé dans trois semaines. L'audience immédiate permet une réponse efficace. Nous considérons qu'il faut plutôt faciliter le recours à l'audience unique.
S'agissant de l'atténuation des peines, nous avons supprimé l'article 5, de portée limitée. En matière législative, il n'est pas inutile d'avoir un peu de mémoire : ce dispositif a été en vigueur entre 2007 et 2014, sans conduire à aucune inflexion. Les juridictions peuvent déjà déroger à l'excuse de minorité. Quand elles le veulent, qu'elles soient composées de magistrats seuls ou de magistrats et de jurés, elles peuvent prononcer les peines prévues pour les majeurs.
Enfin, le texte apportait des modifications au code de la justice pénale des mineurs, que nous avons en partie supprimées.
Ainsi, la commission des lois a expurgé du texte les dispositifs les plus problématiques. Oui, les Français attendent du législateur une réponse forte. Il faudra un jour parler des peines courtes, ce qui n'est pas l'objet de ce texte.
Merci, monsieur le garde des sceaux, d'avoir rappelé les principes de la justice des mineurs, qui doivent être respectés. Rien, mes chers collègues, n'est pire que les lois inutiles et inapplicables ! Ceux qui voudraient délibérément ne pas respecter la Constitution fragiliseraient notre État de droit, et la dénonciation facile du gouvernement des juges fait le lit de ceux qui veulent l'abattre. (Applaudissements sur plusieurs travées à gauche ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
Nous disposons déjà des moyens de combattre les infractions les plus graves. M. le garde des sceaux peut, par voie de circulaire, demander au parquet de requérir des peines sévères pour les ports d'armes et de couteaux. Nous avons le devoir d'écrire une loi qui ne sera pas source de déception par son inefficacité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées à gauche)
M. Joshua Hochart . - Restaurer l'autorité de la justice face aux mineurs délinquants et à leurs parents : noble ambition et chantier colossal. Mais quel aveu ! Alors que l'autorité républicaine s'est dissoute dans le laxisme et l'angélisme, ce texte va plutôt dans le bon sens. Enfin la majorité se réveille ; enfin, elle écoute les Français et Marine Le Pen.
Mais ce texte ne fait qu'effleurer la surface d'un problème abyssal. L'immeuble est en feu, et vous brandissez un pistolet à eau... Les amendes pour parents défaillants plafonnées à 7 500 euros ? C'est beaucoup, mais dérisoire dans certains cas, au vu de la gravité des faits. Les sénateurs du Rassemblement National proposeront plutôt de supprimer les allocations des parents défaillants.
L'assignation à résidence avec bracelet électronique dès 13 ans est la mesure la plus symbolique et la moins contraignante du texte. Un mineur condamné pour trafic de stupéfiants continuera depuis sa chambre, comme du reste le font les majeurs depuis leur cellule.
Le texte ne fait qu'effleurer l'ordonnance de 1945, ce monument d'indulgence en vertu duquel un mineur multirécidiviste est considéré comme un enfant égaré.
C'est un premier pas, mais bien mou. Rien sur les mineurs étrangers, rien sur la protection du corps professoral. Pourtant, la France n'en peut plus d'attendre : pendant que nous débattons, des citoyens se font agresser, des policiers caillasser, des enseignants insulter.
Français, tenez bon : on arrive !
Mme Marie-Claude Lermytte . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Impossible d'aborder ce texte sans une pensée pour toutes les victimes, leurs familles et leurs proches. Hier encore, une rixe a entraîné la mort d'un jeune de 17 ans dans l'Essonne.
Rixes, agressions, et trafics deviennent une réalité trop familière. La délinquance des mineurs s'impose à nous, de plus en plus précoce et de plus en plus grave.
La réponse judiciaire est plus rapide, mais des lacunes persistent. Si les mesures éducatives doivent être privilégiées, notre arsenal doit évoluer. Il faut une réponse ferme quand le mineur persiste, pour protéger nos concitoyens et mettre fin à la spirale de la délinquance.
La minorité est trop souvent une excuse pour réduire les peines de façon automatique. L'enjeu est d'introduire davantage de coercition sans porter atteinte à nos règles constitutionnelles. La dimension éducative doit rester centrale, mais il faut un équilibre entre éducation et sanction.
Ce texte comporte des avancées majeures que nous soutenons. Sur l'initiative du rapporteur, la commission des lois l'a précisé et sécurisé.
Pour préserver nos enfants de la délinquance, il faut replacer l'autorité parentale au centre. Notre groupe soutient pleinement la meilleure indemnisation des victimes, à laquelle participeront les parents - bien souvent, c'est l'assureur qui s'en charge.
Le rapporteur a introduit des dispositions sur le terrorisme et le crime organisé. Les réseaux criminels, conscients de la clémence de notre système, n'hésitent pas à recruter des mineurs. Quand un réseau criminel recrute un tueur à gages de 14 ans, où est notre responsabilité ? Nous n'avons d'autre choix que d'étendre le placement, l'assignation à résidence et, le cas échéant, la détention préventive.
Les mesures éducatives ne sont pas toujours efficaces et souvent insuffisantes. Il ne s'agit ni de traiter les mineurs comme des adultes ni de nier l'importance de l'approche éducative, mais nous devons donner à la justice les moyens d'être efficace. Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Lauriane Josende . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le rapport « Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive » de septembre 2022 a montré l'étendue du chantier. Il faudrait un traitement profond et exhaustif plutôt que des textes au coup par coup.
Cette proposition de loi a été largement remaniée en commission des lois. Elle est perfectible, mais constitue un amorçage pour lutter contre la délinquance juvénile qui gangrène peu à peu notre pays.
Notre indulgence devient notre faiblesse, notre bienveillance se retourne contre nous. Cessons d'opposer répression et éducation. Une sanction immédiate et adaptée revêt intrinsèquement une vertu éducative ; il faut donc sanctionner le mineur le plus tôt possible dans son parcours de délinquance.
J'ai déposé un amendement pour faciliter l'audience unique, afin de ne pas retarder la sanction : la césure crée un sentiment d'impunité, comme cela est largement démontré.
Mme Laurence Rossignol. - C'est l'inverse !
Mme Lauriane Josende. - Nous devrons ouvrir le débat de fond sur l'âge de la majorité pénale, au-delà de la sacro-sainte excuse de minorité. Cela appelle une réforme d'ampleur, pour prendre en compte l'évolution de la criminalité des mineurs.
Nous devons protéger nos enfants. N'oublions jamais que les premières victimes de la délinquance des mineurs sont d'autres mineurs. En chacun de nous il y a un parent à rassurer, face à une évolution sociétale bien plus rapide que nos décisions législatives.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et INDEP ; Mme Christine Herzog applaudit également.)
Mme Salama Ramia . - (M. Daniel Chasseing applaudit.) Cette proposition de loi puise son origine dans les émeutes urbaines qui ont suivi le décès de Nahel à Nanterre en 2023.
Nous voulons mettre les parents face à leurs responsabilités. Sans remettre en cause l'architecture du code de la justice pénale des mineurs, il convient de redonner un sens aux notions, qui nous sont chères, de famille, d'autorité, d'éducation et de justice.
Le nouveau code de la justice pénale des mineurs a divisé les délais de jugement par deux depuis 2019.
Hélas, cette proposition de loi a été dénaturée par la commission des lois.
M. Guy Benarroche. - Améliorée !
Mme Salama Ramia. - S'agissant du renforcement de la responsabilité parentale, nous regrettons que l'article 1er ait été vidé de sa substance.
De même, les articles 4, 5, 6, 9 et 10 ont été supprimés alors qu'ils traduisaient une volonté d'équilibre. Nous croyons à l'obligation de présence des parents aux audiences en matière d'assistance éducative, pour les sensibiliser à la nécessité d'aider leur enfant à se ressaisir.
Nous proposerons de rétablir l'article 2, vidé de sa substance en commission.
Nous souhaitons aussi rétablir la comparution immédiate. On ne peut se revendiquer comme caïd et ne pas en répondre sans délai devant la justice. Seuls les cas les plus extrêmes seraient concernés : les infractions graves, commises en flagrance, par des mineurs d'au moins 16 ans, en état de récidive légale.
Nous appelons en responsabilité à rétablir l'article 5, qui écarte l'atténuation de peine lorsqu'un mineur de plus de 16 ans commet certains crimes et délits graves en état de récidive légale. C'est une réponse nécessaire, conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 9 août 2007, à l'escalade de la violence juvénile.
L'appel à la responsabilité des parents doit s'étendre aux proches auxquels les enfants sont confiés, qu'il y ait ou non délégation de l'autorité parentale. À Mayotte notamment, des jeunes mineurs sont confiés à des proches de confiance, mais en réalité livrés à eux-mêmes ; ces parents de substitution doivent honorer leur promesse.
Les jeunes doivent retrouver le cadre familial qui construit, transmet des valeurs et le sens des responsabilités. La justice n'est pas l'ennemi : elle garantit au contraire une réhabilitation sociale. Nous saluons le travail exemplaire de la PJJ, qui contribue à faire de la justice des mineurs un levier de réinsertion.
Nous vous invitons à voter cette proposition de loi, telle que nous souhaitons la rétablir. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Marc-Philippe Daubresse applaudit également.)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La délinquance des mineurs a baissé de 30 % entre 2017 et 2023. C'est bon signe, mais cette délinquance est de plus en plus violente et implique des auteurs toujours plus jeunes : 10 % des mineurs poursuivables sont âgés de moins de 13 ans. La violence et l'âge sont deux paramètres qui défient notre compréhension de la délinquance juvénile.
Une fois n'est pas coutume, nous voudrions répondre par une nouvelle loi.
En 2022, un rapport d'information de la commission de la culture et de la commission des lois soulignait la corrélation entre décrochage scolaire et délinquance, l'appât du gain comme motivation dans la narco-criminalité et le rôle amplificateur des réseaux sociaux.
La délinquance des mineurs est à la croisée de plusieurs politiques publiques : lutte contre les violences intra-familiales, contre la pauvreté, éducation, politique de la ville.
Ce n'est pas l'approche de cette proposition de loi, qui n'a qu'un angle : la répression, censée, selon l'auteur, « provoquer un sursaut d'autorité et une prise de conscience » chez les adolescents concernés.
Le rapporteur Szpiner a réalisé un travail de juriste et en a tiré des conclusions implacables, auxquelles nous souscrivons. Il a ainsi supprimé la comparution immédiate, inadaptée à la justice des mineurs, que le Gouvernement veut réintroduire sous une forme remaniée.
Ce faisant, notre commission des lois n'est ni hors sol, ni laxiste. Elle adresse un message de sérieux. Ne faisons pas miroiter aux Français des mesures inadaptées à la réalité de la justice des mineurs, déjà profondément remaniée il y a quatre ans.
Le nouveau code conserve les grands principes de l'ordonnance de 1945, auxquels nous sommes attachés : distinction entre le mineur et l'adulte, primauté de l'éducatif sur le répressif, juridiction spéciale.
La commission n'a pas modifié la philosophie du texte, qui étend la circonstance aggravante et fait participer les parents à la réparation financière des dommages causés par leurs enfants. Nous ne souscrivons pas à cette vision de l'autorité parentale : on risque surtout d'accélérer la rupture de la cellule familiale qui préserve de la délinquance.
Enfin, il est illusoire de penser faire face sans augmenter les moyens, alors qu'au pénal comme au civil, nombre de mesures éducatives ou de protection ne peuvent être mises en oeuvre faute de moyens.
La majorité du RDSE s'abstiendra et votera contre en cas de rétablissement de la rédaction initiale. (Applaudissements sur les travées du RDSE et à gauche)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Trois ans après la large réforme de la justice pénale des mineurs, Gabriel Attal a souhaité faire évoluer la loi, face à des infractions toujours plus graves et des auteurs toujours plus jeunes.
Certains jeunes n'hésitent pas à sortir un couteau pour un simple différend. L'ultraviolence se banalise : 21 % des affaires impliquant des mineurs sont pour coups et blessures volontaires, une proportion plus élevée que chez les adultes !
Ce changement de paradigme doit trouver un écho dans la prise en charge par la justice. Le texte prévoyait une comparution immédiate pour les cas les plus graves, et facilitait la levée de l'excuse de minorité.
Se pose également la question de la responsabilité des parents. Nous pensons tous à la mère isolée, qui travaille de nuit et ne peut surveiller ses enfants - pas question d'aggraver son fardeau par des mesures punitives. Mais il y a aussi des parents démissionnaires, or l'éducation relève de la sphère familiale et nous devons le rappeler.
Le texte prévoyait une réécriture du délit de soustraction, une amende pour les parents ne se présentant pas aux convocations, et une responsabilité accrue des parents pour les dommages causés par leurs enfants. C'est peu dire que le rapporteur n'a pas été convaincu : quatre articles supprimés, deux vidés de leur substance... Si certaines mesures étaient mal cadrées, il aurait mieux valu les réécrire que les supprimer.
Le rapporteur a aussi amélioré certains aspects du texte, notamment l'article 3. Il aurait pu aller plus loin, sans jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous proposerons de rétablir en partie l'article 1er - tout en protégeant la mère qui refuserait de présenter ses enfants à un père violent ou abusif, ainsi que l'article 2 : il n'est pas acceptable que certains parents ne se présentent pas aux convocations. À l'article 3, nous proposerons que l'indemnisation soit due par les deux parents, même si l'assurance est au nom de la mère. C'est une mesure d'équité et de responsabilisation.
Nous souhaitons rétablir la comparution immédiate et les dispositions relatives à l'excuse de minorité, en réservant cet indéniable durcissement pénal aux cas les plus graves, car notre justice doit être en phase avec la réalité de cette nouvelle violence. L'assassin de Philippine avait bénéficié de l'excuse de minorité lors d'une précédente condamnation pour viol : il avait été condamné à sept ans de prison, cinq avec les remises de peine...
Il faut sanctionner rapidement les cas les plus graves et ne pas laisser sans contrainte des individus dangereux, quel que soit leur âge.
Ce texte n'est pas parfait, il ne répond pas au manque de moyens de la PJJ, mais il n'en est pas moins nécessaire, malheureusement, face à une délinquance qui évolue vite. Notre justice ne doit pas prendre plus de retard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; François Patriat applaudit également.)
M. Ian Brossat . - « La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Ainsi s'ouvrait l'ordonnance de 1945, signée par le général de Gaulle, qui organisait la justice pénale des mineurs selon les principes d'atténuation de la responsabilité en fonction de l'âge, de primauté de l'éducatif sur le répressif et de spécialisation des juridictions.
Nous nous apprêtions à combattre cette proposition de loi. En effet, mettre systématiquement en cause la responsabilité des parents en supposant qu'ils sont démissionnaires est contreproductif.
M. Olivier Paccaud. - Pas toujours !
M. Ian Brossat. - Les parents de mineurs délinquants ne sont pas forcément maltraitants. Souvent, ils sont contraints de cumuler plusieurs emplois, aux horaires décalés. Ces familles, souvent monoparentales, ont avant tout besoin d'un accompagnement.
Où est l'État pour combler ces carences ? Cette année encore, la PJJ, l'ASE et la justice des mineurs ont été abandonnées. Il manque 26 000 postes pour atteindre la moyenne européenne de dix-neuf élèves par classe. Le programme « Jeunesse et vie associative » a été amputé de 52 millions d'euros. La Cour des comptes alerte sur les inégalités dans les politiques publiques qui renforcent la précarité.
Cette proposition de loi prévoyait la comparution immédiate pour les plus de 16 ans. C'est une atteinte au principe de spécificité de la justice pénale des mineurs, contreproductive car inadaptée au temps de l'enfant, privé d'un temps de réflexion et d'accompagnement.
Le texte permettait également de déroger plus facilement à l'atténuation de responsabilité pénale. On interdit aux mineurs de voter, mais on les condamne comme des adultes ! Cette surenchère est vaine.
Nous saluons la lucidité du rapporteur, qui a évité le pire. Nous nous opposons toutefois à l'article 4 bis : même quand l'infraction est grave, un enfant de 13 ans ne peut pas être considéré comme un adulte, encore moins placé en détention provisoire. Ce serait contreproductif.
Nous défendrons toujours la primauté de l'éducatif sur le répressif.
Nous voterons contre le texte, mais serons attentifs aux modifications qui seront apportées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Encore une proposition de loi d'affichage, sans avis du Conseil d'État, sans concertation avec les acteurs de terrain. Et ce, alors que les effets de loi Belloubet n'ont pas été évalués. Il n'est pas bon de voter des mesures manifestement contraires à la Constitution, disiez-vous, monsieur le ministre, sur la loi Immigration. Au législateur de veiller au droit. Je rejoins le rapporteur : cette loi est mal écrite, au mieux inefficace ; les articles supprimés en commission n'avaient d'autre but que d'afficher une autorité forcément salvatrice. Merci à la présidente Jourda pour sa vigilance.
Je salue la réécriture de l'article 1 et la suppression de l'article 2. Alors qu'il manque des travailleurs sociaux à la PJJ et à l'ASE, la proposition de loi ferme les yeux sur ces dysfonctionnements et préfère jeter le discrédit sur les familles. C'était déjà le cas dans la proposition de loi sur le narcotrafic.
Cet acharnement contre des familles souvent monoparentales et précaires ajoute des maux aux maux sans rien résoudre dans le parcours éducatif et social des mineurs.
Notre groupe se félicite de la suppression de l'article 4. Encore une pure mesure d'affichage ! La justice des mineurs ne peut pas être cela.
Nous saluons la suppression de l'article 5 qui aurait été une source de complexité pour les juges.
Ce texte d'un ancien Premier ministre, redevenu député après un été de trêve politique olympique, relaye le mythe d'un prétendu laxisme judiciaire. Or un tiers des peines prononcées à l'encontre des mineurs sont des peines de prison. Les peines sont plus fréquentes et plus sévères : environ 800 mineurs sont incarcérés chaque mois depuis 2024, contre 700 au cours des dernières années.
La part de mineurs impliqués dans les délits est passée de 22 % en 1998 à 12 % en 2023 : c'est une baisse volumétrique tendancielle.
Le sujet de la justice des mineurs est celui des moyens, sur lequel la Défenseure des droits ne cesse d'alerter. Nous restons attentifs à l'évolution du texte et défendrons la spécificité de la justice des mineurs. (Applaudissements à gauche ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
Mme Laurence Harribey . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La violence des mineurs brise des vies et nourrit un sentiment d'échec collectif. Nous devons appréhender cette question sans céder à l'émotion provoquée par ces drames.
Quelques chiffres : en 2022, on comptait 168 900 affaires mettant en cause des mineurs, contre 198 000 en 2021, mais il est vrai que cette délinquance se rajeunit et devient plus violente. Le taux de réponse pénale est de plus de 90 % ; elle intervient plus systématiquement et plus vite que pour les majeurs : 816 mineurs étaient incarcérés au 1er octobre 2024, contre 614 en janvier 2023.
C'est l'apport récent du code de la justice pénale des mineurs, qui a refondu la procédure autour d'une double audience : l'audience de culpabilité, qui acte la responsabilité, et l'audience de sanction. Entre les deux, un travail éducatif qu'on pourrait appeler séquence de probation.
Le code va plus loin : il permet de sanctionner les parents qui ne se présenteraient pas aux audiences, d'échapper au principe d'atténuation, de juger plus vite les mineurs de plus de 16 ans multiréitérants. L'audience unique est une forme de comparution immédiate ; elle devait être l'exception, mais représente le tiers des affaires.
Le code de la justice pénale des mineurs est tout sauf permissif. Il est donc d'autant plus étonnant de voir arriver un texte pour « restaurer l'autorité de la justice », qui ignore les principes constitutionnels et internationaux de la justice des mineurs.
Le texte voté à l'Assemblée nationale aggravait les sanctions autour de trois lignes rouges : comparution immédiate, proscrite par le Conseil constitutionnel en 2011, inversion du principe d'atténuation des peines pour les mineurs de plus de 16 ans, qui pose un problème de proportionnalité, aggravation des sanctions envers les parents. Il relevait plus de la réaction à l'actualité que d'une volonté de corriger des faiblesses structurelles de la justice des mineurs que sont l'inapplication des peines prononcées, le manque d'éducateurs et la saturation des lieux d'accueil de la PJJ. On compte un juge des enfants pour 400 enfants, 650 places en milieu fermé, 4 200 mesures en attente d'application.
Pensez-vous qu'un mineur ne passera pas à l'acte s'il encourt quatre ans plutôt que trois ? Qu'un parent tiendra mieux ses enfants s'il encourt une amende plus élevée ? Concentrons-nous plutôt sur l'exécution des peines et le renforcement de l'institution judiciaire.
Sans être en phase avec la philosophie du texte, nous avons souscrit aux modifications de la commission, mais les amendements de séance traduisent la même inquiétante stratégie que lors des textes sur les prestations sociales ou sur la ferme France : on invoque l'opinion publique pour voter des mesures inconstitutionnelles, on attend la censure, puis on accuse le Conseil constitutionnel de s'opposer à la volonté du peuple - comme si l'inconstitutionnalité n'était plus un argument. (Applaudissements à gauche)
Nous avons montré, lors de la proposition de loi sur le narcotrafic, que nous savions être responsables. La délinquance des mineurs est une réalité, qui mérite une réponse réfléchie. Nous refusons d'opposer répression et éducation : il faut les deux.
Il est irresponsable d'entraîner le Parlement dans une forme de trumpisme législatif (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; « Oh ! » indignés à droite) en exposant le Conseil constitutionnel à la vindicte de l'opinion.
Pour notre part, nous agirons en respectant l'État de droit, avec pour devise : rigueur scientifique, honnêteté intellectuelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, du GEST et du RDSE)
M. Marc-Philippe Daubresse . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le rapporteur nous a présenté une vision fort critique du texte, pourtant voté à l'Assemblée nationale, par tous les groupes soutenant le Gouvernement. Le texte qui sort de la commission a été amélioré juridiquement sur la forme, mais aussi substantiellement modifié sur le fond.
La réponse est non - mais au fait, quelle était la question ? Cette proposition de loi n'est pas un texte de circonstance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah bon ?
M. Marc-Philippe Daubresse. - La violence des mineurs, plus grave, plus précoce, plus organisée, n'épargne plus aucun territoire.
Les mineurs âgés de 13 à 17 ans comptent pour 6 % de la population, mais représentent 40 % des mineurs mis en cause dans les vols avec violence. Le nombre de mineurs mis en cause pour coups et blessures volontaires sur d'autres mineurs a augmenté de 350 % depuis vingt ans. Ils sont toujours plus impliqués dans le narcotrafic, et dans les rixes entre bandes, dans la délinquance de rue. Le nier, c'est nier ce que vivent les Français, qui nous demandent de durcir notre politique pénale.
Ce matin, Bruno Retailleau...
M. Guy Benarroche. - Ah, voilà !
M. Marc-Philippe Daubresse. - ... a plaidé pour de courtes peines de prison de quelques semaines, pour la comparution immédiate et pour que l'excuse de minorité devienne l'exception. (Protestations à gauche ; applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il fallait le garder comme président de groupe !
M. Marc-Philippe Daubresse. - La réforme du code de la justice pénale des mineurs est insuffisante face à l'augmentation exponentielle de la violence. Il faut responsabiliser les parents et adapter nos procédures pour les mineurs récidivistes de plus de 16 ans. Nous proposerons de rétablir des articles supprimés, en renforçant les garanties procédurales. Les Français attendent de nous une réponse forte. Assumons nos responsabilités politiques ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; Mme Christine Herzog applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il fut un temps où la minorité était sacrée, ou l'autorité des parents était respectée, où l'école imposait ses règles, ou la justice n'excusait pas systématiquement. Mais ouvrons les yeux : les mineurs d'après-guerre n'ont rien à voir avec ceux de 2025.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ils étaient pires !
M. Stéphane Le Rudulier. - Aujourd'hui, des bandes ultraviolentes terrorisent nos quartiers, agressent les professeurs, caillassent les pompiers. Dimanche, un rabbin a été agressé en pleine rue à Orléans. Marseille, capitale du narcotrafic, est gangrenée par une armée de tueurs à gages adolescents, qui exécutent pour quelques milliers d'euros, qui n'ont peur de rien, car ils savent que la justice ne les sanctionnera jamais à la hauteur de leur crime. Il faut que cela cesse ! À 16 ou 17 ans, on sait ce que l'on fait. « Quand on ne sanctionne pas, on encourage », disait Nicolas Sarkozy.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Des nouvelles des réquisitions du parquet ? Avec ou sans bracelet électronique ?
M. Stéphane Le Rudulier. - Nous devons rétablir l'autorité - de l'État, des parents, de l'école. Fini les rappels à la loi, les peines symboliques : un acte grave appelle une sanction immédiate. Les mineurs de 2025 doivent comprendre que la République n'est pas une grande muette laxiste. Si certains adultes refusent d'éduquer leurs enfants, à nous de protéger la société de ces bombes à retardement.
L'impunité entraîne la récidive. Cessons de sacrifier la justice sur l'autel de la naïveté. La sanction a aussi une fonction éducative. Ce n'est pas un acte de répression aveugle, mais un acte fondateur de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a deux mois, le jeune Élias a été assassiné dans mon arrondissement par des mineurs multirécidivistes qui auraient dû être sous les verrous. Il faut en finir avec la culture de l'excuse, l'impunité et le renoncement. L'initiative de Gabriel Attal comportait des avancées significatives, sur des thèmes chers à la majorité sénatoriale. Je proposerai de rétablir certaines dispositions.
Il faut réévaluer la réforme qui a conduit à la césure du procès pénal des mineurs, et en tirer les conséquences. La punition n'est pas l'antithèse de l'éducation, mais son corollaire. Attendre que le mineur s'enfonce dans la délinquance pour agir, c'est laisser penser que la justice tolère. La première transgression doit être immédiatement sanctionnée. Il faut donc pouvoir prononcer de très courtes peines de prison, pour rappeler l'autorité de la loi et éviter la récidive.
Cessons d'invoquer la minorité comme prétexte à l'inaction. Pourquoi des mineurs capables d'une brutalité inouïe bénéficieraient-ils d'une indulgence systématique, au seul prétexte de leur âge ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est faux !
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La comparution immédiate doit être possible quand la gravité des faits l'exige. Pas de justice à la carte : en cas de refus, le mineur doit pouvoir être placé en détention provisoire. (M. Guy Benarroche s'indigne.)
Il faut une justice plus ferme, plus efficace, qui protège. Il y va de l'avenir de notre jeunesse, car les premières victimes de cette hyperviolence juvénile sont des jeunes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le débat a largement débuté, mais je note que personne ne revient sur le constat.
Je lève le gage sur l'amendement n°40 de Mme Ramia et sur l'amendement n°28 de M. Daubresse.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quelle surprise !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Sur les moyens de la PJJ, je ne puis qu'être d'accord, et vous engage à soutenir les crédits du ministère de la justice lors du prochain budget. La loi de programmation pour la justice a prévu des effectifs et des investissements supplémentaires pour la PJJ et pour la justice des mineurs ; j'ai souhaité rajouter une centaine de juges des enfants d'ici 2027 pour réduire le nombre moyen de dossiers par magistrat, aujourd'hui de 400.
Il y a un problème d'attractivité des métiers de la PJJ, mais aussi de suivi. Changer les dispositions du code sans donner à la justice les moyens de fonctionner n'aurait pas grand sens.
Les départements ont aussi une responsabilité en matière de protection de l'enfance.
Nous devrons donner plus de moyens au ministère de la justice - vous vous en souviendrez au prochain budget.
Mme Laurence Rossignol. - C'est rarement nous qui refusons de voter les crédits !
Discussion des articles
Article 1er
M. Olivier Paccaud . - « Si j'aurais su, j'aurais pas venu ! » : vous connaissez tous cette réplique culte de Petit Gibus, dans l'adaptation cinématographique de La Guerre des boutons. Mais nous ne sommes plus en 1912, date de parution du roman de Louis Pergaud, et Gérald Darmanin n'est pas le père Zéphirin, le garde champêtre. On n'utilise plus l'épée de bois ou la fronde, mais la kalachnikov ou le chalumeau. On est passé de Disney à Pulp Fiction, Orange Mécanique ou La Haine. Les temps ont changé : plus de violence, plus précoce.
L'excuse de minorité s'engouffre dans les failles du système. Des mineurs délinquants sont devenus des acteurs majeurs de la galaxie mafieuse. Oui, cette loi est utile. Oui, nous avons besoin de justice, de parents responsables et de sanctions adaptées aux réalités de 2025 !
« On n'est pas sérieux quand on a 17 ans » écrivait Rimbaud du haut de ses 16 ans, mais la violence n'attend pas le nombre des années.
Notre législation doit s'adapter pour protéger notre société et notre jeunesse en danger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Claude Tissot . - Cette proposition de loi est une réponse aux révoltes urbaines de 2023. Vous menez un combat populiste, avec une loi rédigée sous le coup de l'émotion. Nous sommes en présence d'un texte qui fédère contre lui, partiellement désavoué en commission à l'Assemblée nationale, puis complètement désavoué en commission au Sénat. Il va à l'encontre de nos engagements internationaux, notamment de la Convention internationale des droits de l'enfant, et de certains principes constitutionnels.
Monsieur le ministre, vous appelez, à raison, au respect de l'autorité. Mais si l'autorité humilie, elle ne fera qu'embraser. Non contents de fragiliser des familles déjà éprouvées, vous vous concentrez sur la seule réponse répressive et balayez d'un revers de main les avancées en psychologie de l'enfant. Vous offrez une fois encore des gages à l'idéologie punitive.
Les mesures d'accompagnement donnent pourtant des résultats pour ces jeunes qui, un jour, ont fait l'erreur de basculer. Il faut dire aux éducateurs, aux magistrats, que le budget de la justice ne sera pas renforcé pour les mineurs et qu'à la place vous proposez d'enfermer plus vite et plus longtemps.
J'espère que vous garderez sur la conscience que les jeunes qui ont déjà un pied dans la criminalité auront aussi, à cause de vous, un pied dans le chômage et la récidive. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme la présidente. - Amendement n°53 de M. Reichardt.
L'amendement n°53 n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Cet amendement rétablit l'article 1er, tout en conservant des avancées du rapporteur.
Les parents sont déjà punis s'ils se soustraient à leurs obligations légales. Si cette soustraction conduit leur enfant à commettre un crime ou plusieurs délits ayant donné lieu à condamnation, les parents seront punis de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende.
Nous retenons aussi des avancées du rapporteur comme l'extension du périmètre de la circonstance aggravante et la suppression de la peine complémentaire de travaux d'intérêt général.
Mme la présidente. - Amendement n°37 rectifié ter de M. Rochette et alii.
M. Pierre Jean Rochette. - En commission, le rapporteur a supprimé la circonstance aggravante. Mon amendement la restaure en remplaçant le lien direct par le caractère concomitant du comportement fautif du parent et de la commission du crime ou du délit par le mineur.
Il fait aussi entrer dans le champ de la soustraction le fait pour un parent de ne pas empêcher un mineur de circuler en dépit du couvre-feu.
Mme la présidente. - Amendement n°42 de M. Hochart et alii.
M. Joshua Hochart. - La commission a introduit un « joker juridique » pour le parent défaillant, en excluant les violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours. La peine applicable serait portée à cinq ans de prison et 50 000 euros d'amende.
Mme la présidente. - Amendement n°39 rectifié ter de M. Rochette et alii.
M. Pierre Jean Rochette. - Cet amendement de repli ne retient que la circonstance aggravante.
Mme la présidente. - Amendement n°38 rectifié ter de M. Rochette et alii.
M. Pierre Jean Rochette. - Cet amendement de repli ne retient que le non-respect du couvre-feu.
Mme la présidente. - Amendement n°56 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - Cet amendement exclut le délit de non-présentation d'enfant du périmètre des circonstances aggravantes, car c'est parfois un dernier recours pour protéger un enfant de violences intrafamiliales. La jurisprudence a admis que la non-présentation pouvait être justifiée en cas de sentiment de peur de l'enfant.
Pour protéger les parents qui protègent leurs enfants, nous ne voulons pas condamner un parent qui a choisi de protéger son enfant plutôt que de respecter la loi.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements nos1 rectifié ter, 37 rectifié ter, 39 rectifié ter et 38 rectifié ter.
L'article 227-17 du code pénal n'a donné lieu qu'à 220 condamnations. On ne pourrait se retourner contre les parents qu'après une condamnation définitive du mineur... Nous serions alors très loin de la commission des faits.
La concomitance restreint trop fortement le champ : la rédaction de la commission est la plus opérante pour condamner les parents.
Monsieur Benarroche, je suis un peu embêté : il est vrai que la jurisprudence admet des circonstances légitimes à la non-présentation. Cependant, nous parlons ici de condamnations définitives... Sagesse sur l'amendement n°56 ?
Avis défavorable à l'amendement n°42. La réponse doit pouvoir être immédiate.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - L'amendement n°53 me paraissait mieux rédigé que l'amendement n°1 rectifié ter, mais comme il n'a pas été défendu, avis favorable à l'amendement n°1 rectifié ter. Je partage cependant les observations du rapporteur : la CMP pourra en débattre.
Je souscris aux propos de M. Benarroche et du rapporteur : la jurisprudence le prévoit déjà et la rédaction de M. Reichardt l'incluait. Sagesse sur l'amendement n°56.
Avis défavorable aux autres.
Mme Dominique Vérien. - Monsieur Benarroche, j'ai oublié de préciser que votre préoccupation sur la non-présentation était reprise dans notre amendement.
Mme Laurence Rossignol. - Si c'est le cas, les services du Sénat nous le confirmeront.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le rapporteur a expliqué avec précision en quoi ces amendements sont inutiles - et le garde des sceaux n'est pas en désaccord. Nous sommes là pour faire la loi. Pourquoi voter des mesures inutiles ? Le groupe SER ne votera pas ces amendements.
M. Marc-Philippe Daubresse. - On n'est pas à la fac de droit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous voterons en revanche l'amendement n°56. La jurisprudence est une source de droit, certes, mais il est plus sûr de l'inscrire dans le code.
L'amendement n°1 rectifié ter n'est pas adopté, non plus que les amendements nos37 rectifié ter, 42 et 39 rectifié ter.
L'amendement n°38 rectifié ter est retiré.
À l'issue d'une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'amendement n°56, mis aux voix par assis et levé, n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°58 de Mme Ramia et alii.
Mme Salama Ramia. - La rédaction actuelle de l'article 1er exclut certaines situations répandues dans l'Hexagone comme outre-mer, celles de tiers recueillant l'enfant sans transfert de l'autorité parentale par la justice. Or à Mayotte, les mineurs délinquants, issus de l'immigration régionale, sont régulièrement confiés à des proches. Les adultes qui en acceptent la garde ne s'emparent pas de l'autorité confiée et ces enfants sont livrés à eux-mêmes. Aussi nous proposons d'étendre la sanction à ceux qui ont accepté la garde continue - en non ponctuelle - du mineur.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable : les obligations qui résultent de l'autorité parentale résultent de l'autorité parentale... Sans transfert, il ne peut y avoir de responsabilité de fait. Et en cas de non-scolarisation ou de mauvais traitements, le code pénal général s'applique.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°58 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Après l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°43 de M. Hochart et alii.
M. Joshua Hochart. - Depuis trop longtemps, nous assistons impuissants à une délinquance juvénile qui sème le chaos, en toute impunité. Où sont les parents ? Une partie de ces mineurs appartiennent à des familles où les parents sont soit absents, soit démissionnaires, soit complices. Nous voulons suspendre ou supprimer les allocations familiales pour mettre fin au laxisme parental. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Francis Szpiner, rapporteur. - J'invite notre collègue à lire le code de la justice pénale des mineurs : en cas de placement, ce sont les personnes ou l'établissement qui reçoivent les allocations et non les parents.
Tel que rédigé, cet amendement s'expose à un triple risque constitutionnel, puisque l'ensemble du foyer est sanctionné - à rebours du principe d'imputabilité -, la peine est automatique - à rebours du principe d'individualisation des peines - et il risque de violer d'autres principes à valeur constitutionnelle - droit de mener une vie familiale normale, droit au logement.
Travaillons plutôt à un meilleur partage des informations entre la justice des mineurs, la CAF et les services déconcentrés de l'État.
Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°43 n'est pas adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Nous rétablissons l'article 2 pour que les parents soient tenus de déférer aux convocations. Je comprends qu'une mesure éducative est meilleure quand il y a adhésion, mais si les parents ne se rendent pas aux convocations, on ne risque pas d'avancer ! L'amende peut les motiver à venir devant le juge des enfants.
Mme la présidente. - Amendement identique n°9 rectifié de Mme Ramia et alii.
Mme Salama Ramia. - Défendu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable. Nous avons procédé à des dizaines d'auditions et personne ne nous a fait part de cette demande. En réalité, l'article 311-5 du code de la justice pénale des mineurs n'a donné lieu qu'à 32 amendes civiles en huit ans. C'est dire combien les juges ne sont pas demandeurs !
Mais nous rendrons un avis favorable à l'amendement de Marie-Do Aeschlimann.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je suis en désaccord avec le rapporteur. Cet article responsabilise les parents en leur demandant de venir à l'audience, quand leur enfant doit comparaître. Aujourd'hui, un certain nombre de dysfonctionnements affectent la justice des mineurs, notamment le manque de présence des procureurs. Ces dispositions devraient pouvoir être rappelées par le procureur de la République quand les parents n'accompagnent pas l'enfant.
Les parents doivent acter le fait que leur autorité n'est pas respectée ou réfléchir à la façon de la restaurer. Ce n'est pas au juge de prendre la place des parents lorsqu'ils existent.
Il est vrai, pour avoir rencontré les professionnels dès mon arrivée place Vendôme, que ce n'est pas une demande des magistrats ; mais c'est du bon sens : qui pourrait s'y opposer ?
La majorité des parents ne viennent pas. Imaginons un enfant de 16 ou 17 ans qui ne voit pas ses parents à l'audience : cela montre un certain désintérêt.
Bien sûr, les parents peuvent être dans l'incapacité de venir - éloignement géographique, divorce difficile, travail en horaires décalés. On pourrait imaginer un mécanisme de justification d'absence.
Avis favorable.
Mme Dominique Vérien. - Apparemment, si mon amendement était adopté, celui de Marie-Do Aeschlimann deviendrait sans objet : pourrais-je rectifier le mien pour intégrer le sien, si elle en est d'accord ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - J'allais le proposer. Je prévois d'aligner le montant des amendes à 7 500 euros. En matière civile, la sanction s'élève à 10 000 euros ; en matière pénale, c'est 3 750 euros.
Mme Salama Ramia. - Je rectifie également le mien.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement n°44 : il est de bon sens d'aligner les montants. Mais ce qui me gêne, dans l'amendement n° 2 rectifié, c'est le renvoi à un décret en Conseil d'État des modalités d'application d'une peine. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La CMP devra se pencher sur la rédaction.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Décidément !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - C'est son rôle. Je pense notamment au cas de parents qui ne pourraient pas venir, de bonne foi.
Madame Aeschlimann, vous prévoyez 7 500 euros d'amende ; on pourrait déjà porter la porter à 3 500 euros.
Sous réserve de ces observations, avis favorable aux deux amendements et à leur fusion.
M. Christophe Chaillou. - Depuis tout à l'heure, monsieur le ministre, vous nous dites : on verra en CMP. Mais alors à quoi bon débattre d'un texte, après un travail très sérieux de la commission ?
Croyez-vous vraiment, monsieur le ministre, qu'une amende incitera les parents à se présenter à l'audience ? Quand on connaît le terrain, on sait bien que non. Et le rapporteur l'a dit : personne ne demande ce dispositif. On se fait plaisir, sans efficacité.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La CMP est le moment parlementaire par excellence : le Gouvernement n'y est pas.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ça, c'est bien !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Si vous ne voulez pas de CMP, il faut voter le texte sans modification.
Mme Laurence Harribey. - Ce n'est pas ce qui a été dit !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Bien souvent, quand on s'attache à la forme, c'est qu'on a une difficulté sur le fond.
J'ai été maire. Les bornes d'incendie étaient ouvertes tous les jours. On avait beau faire, rien n'y faisait ; c'était très agaçant. Tout a changé quand on a décidé de facturer aux parents les litres d'eau indûment versés. L'été d'après, pas une borne n'a été ouverte !
M. Christophe Chaillou. - Et ça a été réglé ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Oui, c'étaient des titres de recettes. Venez à Tourcoing !
M. Guy Benarroche. - Je ne voterai pas ces amendements. Nous ne participons jamais ou presque aux CMP ; dans les quelques CMP auxquelles j'ai participé, je n'ai pas eu l'impression que le Gouvernement était absent. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le confirme.) Et on reçoit les documents, plusieurs dizaines de pages, deux minutes avant la réunion... Laissez délibérer le Sénat.
Une fois vous nous dites de ne pas voter l'amendement et que l'on verra en CMP, et maintenant c'est l'inverse, vous nous dites de voter l'amendement et que l'on verra en CMP...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Très bien !
Les amendements identiques nos2 rectifié bis et 9 rectifié bis sont adoptés et l'article 2 est ainsi rédigé.
L'amendement n°44 rectifié quater n'a plus d'objet.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°57 de Mme Ramia et alii.
Mme Salama Ramia. - Défendu.
L'amendement n°57, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°46 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - La commission des lois a ouvert la possibilité pour l'assureur de faire participer les parents. Cet amendement précise que cette participation sera due par les deux parents. Dans une famille monoparentale, c'est souvent la mère qui souscrit l'assurance ; or le père doit aussi participer.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Une jurisprudence prévoit que deux parents, même séparés, sont solidaires. Votre amendement risque d'alourdir la rédaction. Avis défavorable, à défaut d'un retrait.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable.
Mme Dominique Vérien. - Je ne vois pas en quoi cela alourdirait...
L'amendement n°46 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°45 rectifié quinquies de Mme Aeschlimann et alii.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - La commission a amendé à juste titre l'article 3, en permettant aux assureurs de faire participer les parents à l'indemnisation d'un dommage commis par leur enfant, tout en tenant compte de leur solvabilité. Cet amendement vise à éviter que la participation des parents ne soit utilisée comme argument commercial : nous prévoyons qu'une telle promesse serait réputée nulle et non écrite.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis favorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Sagesse.
L'amendement n°45 rectifié quinquies est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
Article 4 (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°48 rectifié sexies de Mme Carrère-Gée et alii.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Le texte de l'Assemblée nationale était imparfait, mais il nous faut une procédure de comparution immédiate des mineurs : actuellement, les délais sont trop longs, ce qui compromet l'autorité de la justice et les attentes des victimes.
La comparution immédiate renforcera l'efficacité de la justice pénale. La réponse judiciaire doit être plus réactive et adaptée à la gravité des faits.
La comparution immédiate sera possible pour les mineurs déjà connus de la justice et pour les délits passibles d'une peine de plus de trois ans pour les plus de 16 ans et de plus de cinq ans pour les moins de 16 ans.
Il n'y aura pas de justice pénale à la carte. Si le mineur ou ses parents s'opposent à la comparution immédiate, celui-ci pourra être envoyé en détention provisoire ou soumis à une mesure de sûreté ; il sera jugé dans les plus brefs délais.
Cela ne remet pas en cause la spécificité du droit pénal des mineurs.
Mme la présidente. - Amendement n°52 du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Nous proposons de réintroduire cet article dans une rédaction légèrement différente du texte de Gabriel Attal.
À la différence de Mme Carrère-Gée, nous limitons notre amendement aux seuls mineurs de plus de 16 ans - c'était aussi le cas dans la version proposée par Gabriel Attal.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Cet amendement vise à rétablir l'article 4, mais je le retire au profit de celui de Mme Carrère-Gée.
L'amendement n°3 rectifié est retiré.
Mme la présidente. - Amendement identique n°10 rectifié de Mme Ramia et alii.
Mme Salama Ramia. - C'est aussi un amendement de rétablissement. La comparution immédiate ne concernera que les mineurs de plus de 16 ans déjà condamnés pour des infractions graves passibles de plus de 7 ans de prison et en état de récidive légale. Ils pourront être déférés le jour même pour une justice plus efficace. Cette procédure est réservée aux situations exceptionnelles.
Ainsi, nous faisons le choix d'une justice rapide et rigoureuse.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement n°10 rectifié est inapplicable : il faudrait que le mineur soit en récidive, c'est-à-dire que tous les droits de recours sont épuisés. D'ici là, il aura atteint la majorité !
Sur l'amendement de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, j'attire l'attention du Sénat sur le fait que présenter des gamins de 13 ans en comparution immédiate ne passera jamais devant le Conseil constitutionnel. Jamais ! Vous rendez-vous compte de ce que vous vous apprêtez à voter ?
M. Olivier Paccaud. - Oui !
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Et pour quels faits ? Si ce ne sont pas des faits criminels - le mineur irait alors directement devant le juge d'instruction - c'est tout le code pénal ! En réalité, vous supprimez purement et simplement la justice des mineurs. Voilà pourquoi j'émets un avis défavorable à l'amendement n°48 rectifié sexies. Si vous le votez, vous en prendrez la responsabilité !
Je remercie le Gouvernement pour son avis défavorable sur l'amendement n°48 rectifié sexies. (M. Gérald Darmanin sourit.) Mais j'ai l'impression que son amendement n°52 n'a pas prévu non plus de limite d'âge. Avis défavorable.
L'audience immédiate permet de juger un mineur rapidement : ainsi de l'agresseur du rabbin d'Orléans qui dort en prison et sera jugé dans trois semaines. Pour des faits criminels, le juge d'instruction a tous les moyens pour prononcer la détention et le contrôle judiciaire.
Cet amendement n'apporte rien : vous confondez la justice et la justice expéditive. Ce n'est pas ma conception.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - L'amendement n°52 ne concerne que les mineurs de plus de 16 ans, en raison des dispositions visées. Mais s'il faut le préciser... Je n'ose parler de CMP ! (M. Francis Szpiner s'en amuse.)
Il s'agit non pas de réitération, mais bien de récidive. Néanmoins, vous êtes trop fin juriste, monsieur le rapporteur, pour ignorer que tout le monde ne va pas en appel ou en cassation...
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avec une loi pareille, les avocats le conseilleront !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Certainement, cher maître... Mais même pour des cas peu nombreux, cela peut être utile. J'aurais aimé avoir ces dispositions lorsque nous avons eu à connaître les émeutes de 2023. La moyenne d'âge des interpellés était de 16 ans, et il s'agissait parfois de récidivistes. Nous aurions aimé pouvoir les soumettre à comparution immédiate pour les faire dormir en prison et éviter l'effet mimétique.
Non, cette disposition ne révolutionnera pas la justice pénale des mineurs, mais je pense que ce rétablissement, mieux écrit, est utile.
Madame Carrère-Gée, il n'est ni constitutionnel ni raisonnable qu'un jeune de 13 ans passe en comparution immédiate pour des délits passibles d'une peine de plus de cinq ans.
Avant 13 ans, on n'est pas pénalement responsable ; passer de rien à tout - la comparution immédiate - , c'est dur.
M. Marc-Philippe Daubresse. - On est responsable à 13 ans. (Exclamations sur les travées du groupe SER)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Pour que cette disposition soit constitutionnelle, de manière à ce que tout l'article 4 ne soit pas censuré, il faudrait au moins changer cet âge.
Mme Laurence Rossignol. - On va peut-être voter l'amendement de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, alors. (Sourires)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il faudrait donc rectifier votre amendement, madame Carrère-Gée.
M. Olivier Paccaud. - Ne restons pas à zéro.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - C'est ce que je propose. Avec une rectification, je retirerai mon amendement et donnerai un avis de sagesse.
Je préfère l'amendement du Gouvernement - ou celui de Mme Carrère-Gée, si celle-ci le rectifie - à l'amendement n°10 rectifié : dès lors, retrait, sinon avis défavorable.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Votre amendement, monsieur Darmanin, s'applique à tous les mineurs. (M. Gérald Darmanin le conteste.) Il permet la comparution immédiate des mineurs de plus de 13 ans. Vous en parlez comme si on allait envoyer tous ces mineurs en comparution immédiate.
Mon amendement porte sur les mineurs de plus de 13 ans déjà connus de la justice et qui ont commis des faits passibles de cinq ans de prison.
Je suis favorable à une rédaction commune, mais ayons conscience que l'amendement du Gouvernement est identique au nôtre.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - L'amendement du Gouvernement fait référence aux articles L. 423-7 et L. 423-4, concernant l'audience unique, qui ne s'applique qu'aux plus de 16 ans. Ne faites pas dire à mon amendement ce qu'il ne dit pas.
La séance est suspendue quelques instants.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - J'ai rectifié mon amendement afin de favoriser son adoption la plus large. Nous remplaçons « plus de 13 ans » par « plus de 15 ans ».
Mme la présidente. - Ce sera l'amendement n°48 rectifié septies.
M. Francis Szpiner. - C'est votre dernier prix ? J'y suis défavorable, mais me réjouis que vous ayez mentionné 15 ans : je sais que le Conseil constitutionnel rejettera cette disposition. (On s'en amuse à gauche.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Excellent !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je retire l'amendement n°52. Sagesse sur l'amendement n°48 rectifié septies.
L'amendement n°52 est retiré.
Mme Marion Canalès. - Le débat qui nous occupe est celui de l'accélération de la réponse pénale. Certains y voient un signe de fermeté. Nous y voyons un renoncement aux principes qui guident la justice pénale des mineurs. Plus haut, plus vite, plus fort !
Le code de la justice pénale des mineurs a à peine quelques années. Sur quoi se base-t-on pour une telle modification ? Où se trouve le principe de primauté de l'éducatif ? Tout ceci nous semble absolument incompatible : nous voterons contre l'amendement n°48 rectifié septies.
Mme Laurence Rossignol. - Quelles sont les hypothèses dans lesquelles cette comparution immédiate pourrait être utilisée ? On parle beaucoup des vols avec violences ou des émeutes urbaines - vous m'accorderez qu'il n'y en a pas tous les trois mois, et heureusement, d'ailleurs.
Une forme d'infraction pénale nous préoccupe beaucoup : celles à caractère sexuel. Il pourrait être utile d'être cohérent dans nos différents travaux. Nous savons que lorsqu'un mineur commet une infraction sexuelle, passible de plus de trois ans de prison, il peut de nouveau commettre l'infraction dans un centre éducatif fermé.
Très probablement, celui-ci a été précédemment victime de violences sexuelles. Pourquoi est-il utile d'avoir un temps entre l'audience de culpabilité et l'audience de sanction ? Pour qu'il exprime ce qu'il a subi en tant que victime et pour qu'il prenne conscience de ce qu'il a fait en tant qu'auteur.
Avec ce que vous proposez, vous créez une machine à récidivistes de violences sexuelles.
Non, la délinquance des mineurs, ce n'est pas uniquement mettre le feu à la bibliothèque.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Je voterai l'amendement n°48 rectifié septies ; nous sommes plusieurs à l'avoir cosigné.
La première version de la proposition de loi était inapplicable et posait de nombreux problèmes constitutionnels - merci au rapporteur pour son alerte. Comment être plus efficace ? Le symbole de la comparution immédiate est susceptible de faire évoluer des comportements. Cela aurait pu changer la donne lors des émeutes.
Même si la CMP revient sur l'âge, votons cet amendement, aussi fondamental que celui qui revient sur les atténuations de peine.
Mme Laurence Rossignol. - Cela n'existe pas, les atténuations de peine !
M. Guy Benarroche. - La rapporteur a été très clair. Qu'une comparution immédiate puisse dissuader, pourquoi pas ? Mais quelles études le démontrent ? Il n'y a eu ni étude d'impact ni avis du Conseil d'État.
Le rapporteur considère que passer de 16 à 15 ans expose à un risque supplémentaire d'inconstitutionnalité. Que visez-vous ? En votant sciemment une loi inconstitutionnelle, qui plus est inutile, ne cherchez-vous pas la censure, afin de hurler, une fois de plus, contre le prétendu gouvernement des juges ? À mettre ainsi en cause le Conseil constitutionnel, vous mettez le pied à l'étrier à Marine Le Pen. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Kerrouche. - « Les crimes de sang ont augmenté dans d'invraisemblables proportions. Des jeunes gens terrorisent la capitale. Face à cette armée encouragée au mal par la faiblesse des lois répressives et l'indulgence inouïe des tribunaux, que faisons-nous ? La suppression de l'apprentissage, l'affaiblissement des moyens de répression, et surtout ce fameux esprit de sensibilité humanitaire qui conduit à relâcher les délinquants aussitôt arrêtés ou à les condamner à des peines minimales, dans des prisons confortables. » Ce texte est paru le 20 octobre 1907, dans Le Petit Journal. Toujours les mêmes fantasmes !
Ce soir, nous ne faisons pas la loi, nous votons un tract politique.
L'arsenal existant est suffisant. Ce que vous faites, c'est ajouter un tract politique à de la propagande. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
Mme Laurence Rossignol et Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Très bien !
M. Antoine Lefèvre. - Tout en nuances !
M. Ian Brossat. - Nous légiférons avec désinvolture, en nous en remettant à la CMP ou au Conseil constitutionnel. Cela ne fait pas honneur à notre assemblée.
Il y a quelques mois, nous débattions d'une proposition de loi du groupe Les Républicains qui interdisait aux mineurs de recourir aux bloqueurs de puberté. Vous expliquiez que les mineurs ne savent pas ce qu'ils font...
Mme Laurence Harribey. - C'est vrai.
M. Ian Brossat. - ... et qu'il faut les traiter comme des enfants. Mais lorsqu'ils commettent des actes de délinquance, il faudrait les traiter comme des adultes ? C'est contradictoire. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER)
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°48 rectifié septies est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°239 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 221 |
Contre | 119 |
L'amendement n°48 rectifié septies est adopté et l'article 4 est ainsi rédigé.
L'amendement n°10 rectifié n'a plus d'objet.
Après l'article 4 (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°36 rectifié quater de Mme Josende et alii.
Mme Lauriane Josende. - La césure génère chez les plus jeunes un sentiment d'impunité.
Le code de la justice pénale des mineurs permet d'y déroger par l'audience unique, mais cette faculté est peu utilisée. Nous voulons y remédier ; en votant cet amendement, vous améliorerez la qualité de la réponse pénale.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis favorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Sagesse.
Mme Laurence Harribey. - Je ne comprends pas bien. Supprimer la césure, c'est bafouer le sens du code de la justice pénale des mineurs qui prévoit une audience de culpabilité et une audience de sanction. « Tu casses, tu répares », disait Gabriel Attal. Or, pour réparer, il faut une césure ! C'est l'occasion d'une prise de conscience, afin que la culpabilité se traduise par une réparation.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Dans le cours normal de la justice, on déclare le mineur coupable, puis il y a césure. On peut y déroger par l'audience unique, qui est visée par cet amendement. Dans ce cas, il est logique de raccourcir le délai.
Mme Laurence Harribey. - D'accord.
L'amendement n°36 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Nous avons examiné 20 amendements, il en reste 31.
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 26 mars 2025, à 15 heures.
La séance est levée à minuit et demi.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 26 mars 2025
Séance publique
À 15 heures, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Dominique Théophile, vice-président, Mme Sylvie Robert, vice-présidente,
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Catherine Conconne
1. Questions d'actualité
2. Désignation :
- des dix-neuf membres de la mission d'information sur le thème : « Faciliter l'accès aux services publics : restaurer le lien de confiance entre les administrations et les administrés » (droit de tirage du groupe RDPI) ;
- des vingt-trois membres de la mission d'information sur le thème : « 10 ans après la loi NOTRe et la loi Maptam, quel bilan pour l'intercommunalité ? » (droit de tirage du groupe RDSE).
3. Suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents (texte de la commission, n°464, 2024-2025)