Renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - (M. François Patriat applaudit avec énergie ; M. Gérald Darmanin le remercie.) Déposée à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi vise à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française sur l'archipel de Mayotte.
Nul ici n'ignore la situation exceptionnelle de ce territoire, le plus jeune de nos départements : flux migratoires d'une intensité inégalée, tensions sociales croissantes, pression démographique qui met à rude épreuve les services publics et le tissu social.
Mayotte a choisi de rester française et doit le rester. Pour cela, nous devons adapter notre droit sans renoncer à nos principes ni fermer les yeux sur une réalité devenue insoutenable.
La proximité géographique avec les Comores, qui continuent de revendiquer Mayotte, et la possibilité d'acquérir la nationalité française par simple effet du droit du sol ont transformé cette île en porte d'entrée de l'immigration irrégulière vers la République. Les chiffres sont éloquents : près d'un habitant sur deux est de nationalité étrangère ; chaque année, des milliers de femmes prennent tous les risques pour accoucher sur l'île. Telle est la réalité à laquelle nous devons répondre.
L'État est pleinement engagé. En 2023, plus de 25 000 reconduites à la frontière ont été réalisées à Mayotte - un tiers du total des expulsions. Depuis 2017, les effectifs des forces de l'ordre sur place ont doublé. L'opération Wuambushu a permis des avancées notables en matière de sécurité et de lutte contre l'habitat illégal.
Reste que ces efforts ne suffisent pas à enrayer la dynamique : le système scolaire est saturé et le centre hospitalier, débordé ; l'insécurité gagne ; le cyclone Chido a exacerbé des tensions déjà vives.
Nous devons protéger la République dans ce beau territoire, protéger les Français qui y vivent dans le respect de nos lois, protéger la promesse républicaine de sécurité, d'éducation et de soins.
La proposition de loi Gosselin est un pas dans cette direction. Elle ne remet pas en cause le droit du sol, ce que seule une révision constitutionnelle permettrait - j'y suis personnellement favorable. Elle encadre plus strictement l'acquisition de la nationalité à Mayotte, dans les limites fixées par le droit constitutionnel.
La proposition de loi initiale portait de trois mois à un an la condition de résidence régulière des parents, et l'exigeait des deux parents, afin d'éviter les reconnaissances de paternité opportunistes. Je me souviens d'un « père » ayant reconnu quatre-vingt-dix enfants en un an...
Il s'agit donc de restaurer un équilibre, afin que l'accès à la nationalité soit bien le fruit d'une intégration réelle et durable.
Dans la confusion qui s'est emparée de l'Assemblée nationale, certains ont joué la politique du pire et adopté un amendement du RN portant la condition de séjour à trois ans - qui serait à coup sûr censuré. Si la spécificité de Mayotte autorise des adaptations du droit, celles-ci doivent être limitées, adaptées et proportionnées. Une durée d'un an est proportionnée, mais pas de trois ans.
Votre commission des lois est revenue à une durée d'un an, et je remercie le rapporteur pour son travail. Elle a également repoussé l'extension de la condition de régularité de séjour aux deux parents ; je le regrette, même si je comprends la volonté de parer à tout risque de censure. Nous débattrons de l'amendement de Mme Ramia, et la rédaction peut évoluer d'ici à la CMP.
Les reconnaissances de paternité frauduleuses par des hommes en situation régulière contre quelques centaines d'euros sont difficiles à quantifier mais le phénomène est connu. Seule la condition de régularité du séjour des deux parents mettra fin à ce marché de la honte qui fausse la filiation d'enfants, fraude la nationalité française et pervertit l'état civil.
Nous devrons néanmoins veiller à ne pas discriminer les familles monoparentales. Les propositions du Modem à l'Assemblée nationale allaient dans le bon sens, et je défendrai un sous-amendement à l'amendement de Mme Ramia. Monsieur le rapporteur, je sais pouvoir compter sur vous pour que le sujet soit bien pris en compte en CMP. (M. Stéphane Le Rudulier le confirme.)
Beaucoup, dont je suis, voudraient aller au-delà de ce texte, mais il faut attendre d'avoir une majorité pour réformer le cadre constitutionnel ; ce sera un débat pour la prochaine élection présidentielle. Ne rien faire au prétexte que nous ne pouvons changer la Constitution serait abandonner Mayotte au désordre et rester sourd aux réalités.
Votre Haute Assemblée a toujours été attentive à l'adaptation de la loi dans tous les territoires, aux spécificités des outre-mer, et à Mayotte. Elle a toujours veillé à ce que l'adaptation des règles ne devienne jamais renoncement aux principes, mais qu'elle réponde aussi aux réalités.
La proposition de loi ne prétend pas tout régler mais constitue une avancée significative, attendue, juridiquement solide. Elle répond à une urgence, à l'État de droit et à la demande unanime des Mahorais. Je remercie le Sénat de l'adopter, pour Mayotte et pour la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDPI)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Mayotte est confrontée depuis des décennies à une intense pression migratoire ; sur 320 000 habitants, on compte 50 % de ressortissants étrangers, dont la moitié serait en situation irrégulière.
Un premier flux, en provenance des Comores, représente environ 20 000 migrants irréguliers chaque année. Le préfet qualifie cette immigration de « circulaire, familiale, domestique et vivrière ». Elle revêt trois dimensions. Géographique d'abord, puisque Mayotte appartient à l'archipel des Comores et n'est qu'à 70 km d'Anjouan. Historique, ensuite, car Mayotte est la seule des quatre îles à avoir choisi, en 1974, de rester dans la République, à 63 %. La majorité des Mahorais ont des liens familiaux et culturels avec les Comores, d'où de nombreux échanges et flux migratoires. Dimension économique, enfin, car cette immigration est favorisée par l'écart de niveau de vie : à Mayotte, le PIB par habitant est huit fois supérieur à celui des Comores.
Un second flux, moins volumineux, provient de l'Afrique des Grands Lacs - République démocratique du Congo, Tanzanie, Somalie, Burundi, Rwanda - avec environ 5 000 migrants par an, qui viennent pour obtenir le statut de réfugié ou l'asile, et non la nationalité.
L'immigration pose des difficultés d'accès aux services publics, qui ne sont pas dimensionnés pour faire face à la croissance démographique : les écoles mahoraises sont ainsi obligées d'instaurer des rotations par demi-journée. Cette pression est aussi sensible dans le domaine de la santé, de l'accès à l'eau - avec une consommation annuelle en hausse de 2 000 mètres cubes par jour - , de l'agriculture, avec des appropriations de terres et l'utilisation systématique de pesticides interdits. En 2021, un rapport d'information de la commission des lois a souligné l'augmentation de la délinquance sur l'île.
Ces flux migratoires conduisent au développement d'une économie informelle illégale : 100 millions d'euros circuleraient chaque année entre Mayotte et Anjouan, qui manquent cruellement à la demande intérieure.
Enfin, sur le plan sanitaire, on observe la résurgence de maladies disparues, faute de vaccination des enfants en situation irrégulière.
Dès 2018, le législateur a restreint le droit du sol à Mayotte, sur le fondement de l'article 73 de la Constitution, en exigeant une durée de séjour régulier d'au moins trois mois d'un des parents. Si cette loi ne produira ses pleins effets qu'en 2032, le nombre d'acquisitions de la nationalité française au titre du droit du sol est passé de près de 3 000 en 2018 à 800 en 2022.
Pour réduire ces flux, la proposition de loi restreint à nouveau les possibilités d'acquisition de la nationalité par le droit du sol. Si la commission des lois s'est montrée favorable à l'objectif, elle a émis des réserves sur la constitutionnalité du dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Afin d'éviter tout risque de censure, elle a réduit à un an la condition de séjour régulier, revenant à l'esprit initial du texte. La durée de trois ans apparaît en effet disproportionnée ; or le Conseil constitutionnel nous invite à la mesure dans l'adaptation des règles.
La commission est aussi revenue sur l'application aux deux parents de l'exigence d'une durée de séjour régulier, pour éviter une rupture d'égalité envers les enfants issus d'une famille monoparentale. J'espère un atterrissage d'ici à la CMP.
Elle a enfin supprimé l'obligation de présenter un passeport biométrique.
Ce texte ne résoudra pas à lui seul le problème migratoire à Mayotte. Il faut une réponse globale, qui passe par le rideau de fer annoncé en février 2024 par l'ancien ministre de l'intérieur,...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Excellent !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - ... un durcissement des conditions d'obtention des titres de séjour et une politique de coopération avec les Comores pour fixer ces populations à Anjouan.
Ce texte est une première pierre pour dissuader certains candidats à l'immigration pour lesquels l'acquisition de la nationalité est un facteur d'attractivité. Je vous invite à le voter, modifié par la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Après Chido et Dikeledi, l'heure devrait être à un plan d'investissement massif pour le développement et la mise à niveau des services publics. Mais tout est occulté par votre obsession migratoire. Dire aux Mahorais qui ont des difficultés d'accès à l'eau, à l'éducation ou à la santé que la réforme du droit du sol améliorera leur quotidien, c'est entretenir une illusion. Retirer des droits aux uns n'augmente pas ceux des autres !
Mayotte fait partie de la République et les principes républicains et constitutionnels doivent s'y appliquer. Si l'article 73 de la Constitution autorise des adaptations, elles doivent être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières du territoire. Dans sa décision de septembre 2018, le Conseil constitutionnel a permis au législateur de durcir les règles d'acquisition de la nationalité mais « dans une certaine mesure ». Or cette proposition de loi est manifestement disproportionnée. En mettant en place un traitement différencié et injustifié fondé sur l'origine, elle est discriminatoire. Cela va à l'encontre du principe d'égalité proclamé à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la France forme avec les peuples d'outre-mer une union fondée sur l'égalité des droits. »
C'est renouer avec une approche coloniale de la nationalité française. Nous refusons de revenir à un droit discriminatoire.
Nous n'avons pas besoin d'un nouveau durcissement après celui de 2018, qui impose une durée minimale de séjour régulier d'un des parents de trois mois. Qui d'entre nous choisit le lieu de sa naissance ? Qui est responsable de la situation administrative de ses parents ?
En outre, cette loi de 2018 n'a jamais eu d'effet sur les flux migratoires, qui se sont intensifiés depuis. L'accès à la nationalité n'est pas un motif de migration. La réalité, c'est qu'aucun étranger ne consultera ce texte avant d'immigrer. Ce qui les motive, c'est l'espoir d'une vie meilleure, de voir ses enfants aller à l'école, la peur aussi de mourir en couches dans le pays d'origine.
Limiter le droit de la nationalité n'aura aucun effet dissuasif. Vous allez seulement créer de la clandestinité et augmenter la précarité. La moitié des résidents étrangers sont en situation régulière et occupent des emplois formes, dans les champs ou sur les chantiers. Ceux à qui on refuse des papiers occupent des emplois informels, dans des conditions de travail indignes et illégales. L'irrégularité est aussi créée artificiellement faute d'accessibilité des services préfectoraux. Depuis deux ans, la préfecture de Mayotte ouvre rarement ses portes ; s'y ajoute la dématérialisation des démarches, ce qui revient à exclure les demandeurs et les plonger dans la clandestinité.
Depuis 2018, le nombre d'acquisitions de la nationalité a baissé, mais la situation des Mahorais s'est-elle améliorée ?
Le vrai problème est le sous-investissement de l'État à Mayotte, département le plus pauvre de France, avec 77 % de la population sous le seuil de pauvreté. Les services de santé sont saturés, les élèves ont cours par rotation, sur une demi-journée. À Mayotte, le droit de disposer de moyens convenables d'existence n'est pas assuré. C'est le département de l'injustice sociale, des promesses non tenues, des droits sociaux bafoués, des allocations et RSA non versés.
Prétendre que l'immigration comorienne menace la culture mahoraise, c'est oublier que Mahorais et Comoriens partagent une même culture, une même langue, une même religion, une même organisation matrilinéaire. Tous les Mahorais ont de la famille aux Comores, les couples mixtes sont légion. Nous n'avons pas besoin d'un nouveau durcissement du droit du sol mais de solutions effectives.
Dans un contexte où le Premier ministre parle de « sentiment de submersion migratoire », ce texte augure d'une dégradation généralisée des droits des étrangers, et d'une remise en cause du droit du sol sur tout le territoire national.
D'où cette motion d'irrecevabilité contre un texte qui porte de graves atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution et aux principes d'égalité et d'indivisibilité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
Mme Frédérique Puissat. - La proposition de loi porte une adaptation du droit de la nationalité pour les enfants nés de parents étrangers sur le territoire de Mayotte, sujet à d'importants flux migratoire. La maternité de Mamoudzou est la première de France en nombre de naissances.
Sans être l'unique facteur, les conditions d'accès à la nationalité française par le droit du sol ont contribué à renforcer l'attractivité de ce territoire. On est clairement dans le cadre des « caractéristiques et contraintes particulières » au sens de l'article 73 de la Constitution. L'intervention du législateur afin d'aménager le droit en fonction des réalités locales est pleinement justifiée.
Cette proposition de loi s'inscrit par ailleurs dans le prolongement du droit existant, validé par le Conseil constitutionnel en 2018, qui ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la loi, ni les exigences découlant de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni le préambule de 1946, ni le droit à mener une vie familiale normale.
Il n'y a donc aucune inconstitutionnalité dans ce texte. Nous voterons contre la motion, pour que le débat ait lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. J'aurais pu comprendre une telle motion sur la rédaction issue de l'Assemblée nationale, car la durée prévue de trois ans était effectivement disproportionnée. La commission s'est attachée à sécuriser le texte. L'article 73 de la Constitution permet d'adapter les règles d'accès à la nationalité pour un territoire spécifique. Enfin, nous avons réduit la durée de séjour requise de trois ans à un an, et veillé à ne pas exclure les familles monoparentales.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Bien sûr, la question de la naturalisation n'est pas le seul problème de Mayotte. On n'immigre pas à Mayotte uniquement pour la régularisation et la naturalisation, mais on le fait aussi pour cela. La nationalité française est attractive - preuve que notre modèle démocratique et social est performant. Nous comprenons que des gens immigrent à Mayotte ; ils ne le font pas de gaieté de coeur.
Mais on ne peut nier que les dysfonctionnements des services publics - santé, éducation, sécurité - sont aussi liés à une population étrangère trop nombreuse. Les Mahorais eux-mêmes le disent. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
Ce n'est pas la première fois que la République tente de restreindre l'accès à la nationalité de droit sur certains territoires : souvenez-vous des réflexions du gouvernement de Manuel Valls, que vous souteniez, concernant la Guyane.
Le principe d'égalité d'accès à la nationalité devrait s'appliquer partout sur le territoire national, à tous les peuples d'outre-mer ? Mais pardon, vous n'avez pas la même position s'agissant de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française ! Vous avez défendu des restrictions très fortes à l'accès à la nationalité en Nouvelle-Calédonie. Quand on est universel, on doit apporter les mêmes réponses partout.
Je n'ai pas compris votre parallèle avec les Comores - comme si les Comores avaient raison de revendiquer le territoire de Mayotte !
Ne pas évoquer la fraude organisée, considérable, sur les reconnaissances d'enfant, c'est nier la réalité à Mayotte. Il y a bien un sujet d'accès à la nationalité quand des « pères », étrangers réguliers ou Mahorais - car il y a aussi une hypocrisie dans la société mahoraise, et la police judiciaire a démantelé des réseaux impliquant des élus locaux - reconnaissent des centaines d'enfants par de faux certificats. C'est exploiter ces enfants et ces femmes. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K) Allez donc voir sur place !
Mme Corinne Narassiguin. - Le groupe SER votera cette motion, même si nous reconnaissons le travail du rapporteur pour éliminer une bonne partie des dispositions inconstitutionnelles. Mais nous avons des doutes sur l'interprétation de l'article 73 de la Constitution. Il reste à établir la réalité du lien entre immigration irrégulière et droit du sol...
Monsieur le garde des sceaux, la situation en Nouvelle-Calédonie n'est en rien comparable à celle de Mayotte. Vous connaissez trop bien vos dossiers pour faire cette comparaison irresponsable ! Si les accords de Nouméa ont abordé la question du droit du sol, c'était pour protéger l'identité canaque, dans le cadre d'un processus de décolonisation et de construction de la citoyenneté calédonienne. Cela n'a rien à voir avec Mayotte qui a choisi de rester française, de devenir un département, et qui a le droit de jouir de la totalité des droits fondamentaux de la République, notamment sur la nationalité. (Applaudissements à gauche)
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°2 de Mme Mélanie Vogel et du GEST.
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Annie Le Houerou et Evelyne Corbière Naminzo applaudissent également.) Nous considérons que l'examen de ce texte ne devrait pas avoir lieu : on ne peut légiférer sur des fantasmes ni encadrer des mythes. Or on nous propose de légiférer sur un sujet qui n'existe pas. Si la pression migratoire est un fait, elle n'est en rien liée au droit du sol. Regardez les chiffres !
Mue par le même raisonnement, la loi du 10 septembre 2018 a durci les règles d'acquisition de nationalité française à Mayotte : par dérogation au droit commun, un enfant né à Mayotte ne peut obtenir la nationalité française à ce titre que si, à sa naissance, l'un de ses parents résidait en France régulièrement depuis au moins trois mois. Bien. Depuis 2018, l'acquisition de la nationalité par le droit du sol à Mayotte a chuté de 72 % - passant de 2 900 à 860 personnes en 2022. Donc de presque personne à quasi-personne. Sur 150 000 étrangers, 860 ont accédé à la nationalité française par le droit du sol en 2022, soit 0,57 %... Mais pour vous, c'est encore un problème.
La part des étrangers à Mayotte est restée stable, autour de 50 %. En 2022, le nombre de nouveau-nés ayant une mère étrangère a augmenté de 14 % par rapport à 2020. En 2023, le nombre d'étrangers interpellés en mer a augmenté de 128 % par rapport à 2020, signe que l'attractivité de Mayotte reste intacte.
En revanche, la loi a nourri la clandestinité forcée et le trafic des reconnaissances de paternité.
Durcissement du droit du sol, absence d'aide médicale de l'État (AME), d'effet suspensif des OQTF, titres de séjour territorialisés : cet arsenal dérogatoire n'a jamais eu d'effet dissuasif. Les gens ne migrent pas pour le droit du sol, pour l'AME, ou pour une prestation sociale, mais parce que même si Mayotte est le département le plus pauvre de France, son PIB par habitant est huit fois supérieur à celui des Comores, et que c'est une terre de sécurité matérielle toute relative. La peur de mourir en couches, l'impossibilité de scolariser ou de nourrir ses enfants fera toujours préférer la vie dans un bidonville mahorais exposé aux cyclones à la certitude d'une vie bien pire, dans un des États les plus pauvres au monde. Aucune réforme législative n'y changera rien.
Le rapport de la commission des lois le dit en creux : « la pression migratoire n'a pas pour autant été endiguée ». Pourtant, la proposition de loi entend durcir de nouveau les conditions d'acquisition de la nationalité. Cela me fait penser aux médecins d'autrefois qui, voyant que l'état du malade se dégrade après une saignée, en préconisent une nouvelle, plus importante ! (M. Gérald Darmanin ironise.)
Puisque vous savez que le droit du sol n'a pas de lien avec la pression migratoire, pourquoi ce texte ? Pour vous attaquer au droit du sol tout court, pour rendre acceptable, petit à petit, la remise en cause de ce fondement de la République. Un enfant né en France est français. C'est notre histoire, notre tradition. C'est ainsi que la France est devenue un grand pays, a dit Nicolas Sarkozy.
Vous ne cessez de vous attaquer à l'État de droit, à soumettre au Sénat des textes manifestement inconstitutionnels : maintien en rétention, durée de résidence pour les prestations sociales, droit de vote des détenus, interdiction du mariage aux personnes en situation irrégulière, interdiction du voile dans le sport... On est dans la droite ligne des premières mesures de Trump !
Pourquoi ? Non parce que vos connaissances en droit constitutionnel seraient défaillantes, mais parce que la Constitution vous dérange. (M. Akli Mellouli applaudit.) Or la Constitution n'est pas un obstacle, mais un rempart contre les discriminations, le racisme et l'arbitraire. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Dans votre fuite en avant décomplexée, épargnez Mayotte ! Elle ne mérite pas d'être instrumentalisée. Dans le plus pauvre des départements français, personne n'a rien à gagner à voir s'effriter l'État de droit et les valeurs de la République. N'utilisez pas Mayotte pour détricoter la République ! (Applaudissements à gauche ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. Laurent Somon. - Les conditions d'accès à la nationalité française seraient sans incidence sur la situation de Mayotte, seuls compteraient les sujets économiques et sociaux ? C'est oublier l'effet démographique engendré par l'afflux d'une population immigrée - un habitant sur deux est étranger - et ses conséquences sur les problèmes de santé et de sécurité.
Nul ne méconnaît la réalité économique de Mayotte, notamment dans le contexte de l'après-Chido, qui devra faire l'objet de mesures législatives spécifiques.
Les lois ou règlements ne changeront pas l'équation économique régionale, certes, mais nous devons agir sur l'attractivité de Mayotte au regard des flux migratoires, auxquels un régime d'acquisition de la nationalité favorable contribue.
Notre groupe votera contre la motion.
J'ajoute que quand on souffre d'hémochromatose, les saignées ont du bon.
Je rappelle enfin qu'il y a eu aussi un processus, en Nouvelle-Calédonie, pour que la population décide de son avenir, comme à Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. Il y a certes d'autres facteurs d'attractivité, comme l'économie informelle : les 100 millions d'euros qui transitent de Mayotte vers Anjouan manquent cruellement à l'économie mahoraise, malgré un taux de croissance de 7 % en 2024.
Nous devons nous attaquer à tous les problèmes, et j'espère que le Gouvernement s'y attèle.
Nul ne peut nier que l'acquisition de la nationalité française est un facteur attractif... Non seulement les acquisitions de la nationalité par droit du sol sont passées de 3 000 à 800, mais le nombre de naissances à la maternité de Mamoudzou est passé de 12 000 par an à 9 000. On observe donc un infléchissement, et c'est encourageant.
Il faut aller beaucoup plus loin et envoyer un signal fort, tant aux Mahorais qu'aux Comores, pour dire que les conditions vont se durcir.
Je rappelle enfin que la loi de 2018 ne produira ses pleins effets qu'en 2032. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable.
Cette proposition de loi ne supprime pas le droit du sol à Mayotte.
Avouez que c'est un paradoxe d'entendre Mme Vogel nous accuser de mépriser la Constitution du général de Gaulle. Le principe républicain, c'est le droit du sang. Le droit du sol est le droit d'ancien régime : c'est le droit du seigneur de disposer des serfs. (M. Éric Kerrouche proteste.)
Qui a prévu le droit de la volonté ? Les révolutionnaires de 1789, puis la Constitution robespierrienne de 1793, chère aux communistes, qui prévoit que sont français ceux qui sont fidèles aux idées de la révolution, supprimant ainsi le droit du sol puis le droit du sang.
C'est Napoléon qui a mis en place le droit du sol, pour les besoins de la guerre. Ce n'était pas la République française, mais un empire, qui n'était pas un modèle de démocratie.
Avec le retour de la monarchie constitutionnelle, la France renoue avec le droit du sang ; puis Louis-Napoléon Bonaparte impose le droit du sol en 1851. Il a fallu le XIXe siècle pour que le droit du sol se combine avec le droit du sang - celui de la transmission, un droit républicain et révolutionnaire.
Italie, Grèce : les pays de culture latine n'ont pas le droit du sol. Et notre propre droit du sol n'est pas un droit automatique, madame la sénatrice : il ne suffit pas d'être né en France pour être français, il faut manifester sa volonté pour obtenir la nationalité française, à 13 ans, 16 ans et 18 ans. Pour ma part, je trouve cela trop automatique.
On peut être attaché au droit du sol ou du sang. La majorité des pays démocratiques n'ont pas le droit du sol, ce qui ne fait pas d'eux des pro-Trump ou des fascistes en herbe. Mais dire que le droit du sol est un droit républicain et le droit du sang un droit fasciste, c'est le contraire de l'histoire de France.
Mme Corinne Narassiguin. - Le groupe socialiste votera cette motion. Il ne s'agit pas, en réalité, de traiter des nombreux problèmes réels, que l'immigration irrégulière fait peser sur Mayotte, mais de s'attaquer au principe du droit du sol - d'abord à Mayotte, puis dans d'autres territoires, comme mon département de Seine-Saint-Denis, par exemple, puis dans la France entière.
Il est vrai que le droit du sol est plus ancien que la République. Il date de 1515 et a traversé les régimes. Être français, ce n'est pas détenir un patrimoine génétique, mais un patrimoine immatériel : l'adhésion à des valeurs, celles de la République française. Ce n'est pas un instrument d'affichage politique pour faire semblant de résoudre un problème.
Commençons plutôt par organiser la migration régulière avec les Comores ou les pays de la Corne de l'Afrique !
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Saïd Omar Oili . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit.) Cette proposition de loi a fait couler beaucoup d'encre et de salive.
Mon propos sera très pragmatique, en tant qu'ancien élu local. L'objectif est de lutter contre l'immigration clandestine. Depuis 2000, pas moins de douze rapports sur l'immigration à Mayotte ont été publiés par l'Assemblée nationale, le Sénat ou la Cour des comptes, soit un rapport tous les deux ans : 492 pages, 77 recommandations.
Les résultats de la lutte contre l'immigration illégale à Mayotte démontrent son échec patent.
De 2000 à 2024, 338 000 personnes ont été expulsées. La population de l'île d'Anjouan est de 350 859 habitants... Alors que 99 % des personnes expulsées viennent d'Anjouan, quelle est l'efficacité de cette politique ?
En 2018, la loi immigration restreignait déjà les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte. Il s'agit ici de réduire l'attractivité de Mayotte pour la population d'Anjouan. Or le nombre de reconduites à la frontière n'a jamais été aussi important depuis 2019.
Vouloir limiter l'accès à la nationalité française, c'est donner de faux espoirs aux Mahorais ; je n'y participerai pas. On leur vend la fin du droit du sol, ce qui est faux. On ne peut le faire, et cette disposition n'aura pas d'effet sur les flux migratoires.
Je propose une alternative soutenue très majoritairement par la population mahoraise : la suppression des cartes de séjour territorialisées pour les 90 000 étrangers en situation régulière, assignés à résidence à Mayotte. C'est une aberration héritée de la colonisation.
Mayotte ne veut plus être un territoire spécifique.
Mon amendement supprimant les titres de séjour territorialisés a été rejeté pour des raisons de procédure. Mais je ne renoncerai pas : j'ai déposé une proposition de loi pour supprimer ces titres de séjour et remettre Mayotte dans le droit commun. Car les 90 000 étrangers en situation régulière à Mayotte, à 60 kilomètres d'Anjouan, c'est une pompe aspirante pour l'immigration à Mayotte.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Saïd Omar Oili. - Les étrangers en situation régulière entretiennent des liens familiaux avec le reste de l'archipel des Comores. Mettez fin aux titres de séjour territorialisés et à cette assignation à résidence à Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. Christopher Szczurek . - Mayotte souffre - cela ne date pas de Chido. Cette souffrance est nourrie par une immigration massive, incontrôlée et destructrice. Malgré les visites officielles et les promesses, les gouvernements successifs ont échoué à protéger Mayotte. Le département le plus pauvre de France est submergé par une immigration anarchique. L'insécurité y est insoutenable, les services publics sont exsangues et les Mahorais se sentent étrangers sur leur propre terre.
Mayotte est au bord de l'explosion. Près de la moitié de la population est étrangère. Des milliers d'enfants y naissent, de parents en situation irrégulière qui profitent du droit du sol pour obtenir la nationalité française. Résultat : un hôpital saturé, un système social débordé, une criminalité endémique.
Marine Le Pen a fait ce constat depuis longtemps, d'où sa proposition de loi de 2018. Elle a écouté la détresse des Mahorais et leur a adressé un message clair : nous ne vous abandonnerons pas.
La présente proposition de loi va dans la bonne direction, mais elle insuffisante, tardive et partielle. Souhaitons que la majorité sénatoriale, mais aussi le groupe socialiste - qui a soutenu un durcissement substantiel à l'Assemblée nationale à l'insu de son plein gré - sauront en faire un outil efficace.
Avec nos amendements, nous voulons faire de cette proposition de loi locale un texte national. La nationalité française ne saurait être bradée. Être français, c'est un honneur et une responsabilité. Nous demandons que la nationalité française soit acquise par adhésion.
Mayotte est le présage de ce qui attend la France si nous laissons l'immigration de masse détruire notre cohésion nationale.
Si ce texte édulcoré est maintenu en l'état, nous nous abstiendrons. Et s'il était déclaré inconstitutionnel, il faudrait changer la Constitution. Ne cédons pas à l'impossibilisme tant décrié par Bruno Retailleau.
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis trop longtemps, nos compatriotes mahorais souffrent en silence. Mayotte connaît une situation dramatique. Nous l'avions constaté lors d'un voyage avec Stéphane Le Rudulier et François-Noël Buffet, alors président de la commission des lois.
Cette crise n'est pas que migratoire, elle est aussi sociale, sanitaire, sécuritaire et institutionnelle. Elle met en péril notre pacte républicain. Les Mahorais n'en peuvent plus ! Ils ont pourtant le droit de vivre dignement et en sécurité, au même titre que tous les citoyens français.
L'immigration irrégulière massive sature les infrastructures. La violence va croissant. L'économie informelle gangrène la société. L'accès à l'eau, à l'électricité, à l'éducation, aux soins, rien n'est garanti. Avec plus de 10 000 naissances chaque année, Mayotte est le deuxième département le plus nataliste de France. L'hôpital de Mamoudzou est à bout de souffle.
Détourné, le droit du sol ne fonctionne plus. La population vit un enfer et les passeurs se frottent les mains. Les reconnaissances de paternité frauduleuses sont légion. Mayotte est à un point de rupture, nous devons répondre à l'urgence dans le respect de nos principes constitutionnels.
Cette proposition de loi est une étape nécessaire. Elle ne remet pas en cause le principe du droit du sol, mais vise à éviter son instrumentalisation. Le rapporteur a proposé un délai d'un an, sans aller jusqu'à trois ans comme le proposait l'Assemblée nationale. C'est une question délicate : le délai de trois ans serait sans doute utile en pratique, mais probablement inconstitutionnel.
Ce texte ne résoudra pas, à lui seul, tous les maux de Mayotte, mais c'est un premier pas indispensable. Il faudra aussi renforcer les moyens de lutte contre l'immigration clandestine en demandant une coopération accrue des Comores. Les infrastructures devront être modernisées. Il faudra aussi revoir le modèle économique mahorais pour sortir de l'économie informelle. Tout ne se fera pas en un jour.
Les Mahorais attendent des actes. Mayotte est française et cela nous oblige. Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci au rapporteur et à la commission des lois pour leur travail.
La situation à Mayotte nous revient sous la forme d'une crise grave, et les conditions de vie au quotidien pour nos compatriotes sur l'île ne cessent de se dégrader. Les habitants du département français le plus pauvre ne sauraient être des citoyens de seconde zone. Or l'action de l'État porte davantage sur les conséquences que sur les causes.
Les chiffres sont connus : Mayotte est devenue la première maternité de France ; la moitié des 320 000 habitants seraient de nationalité étrangère. Les Mahorais ont manifesté, drapeau français en main, leur mécontentement à l'égard de l'anarchie migratoire, dont les conséquences sont l'insécurité, l'insalubrité, la dégradation de l'environnement, les problèmes sanitaires, la saturation des services publics, etc. Il a fallu les images terribles du passage du cyclone pour que les Français de l'Hexagone en prennent conscience.
L'accroissement incontrôlé de la population et les bouleversements climatiques sont un risque majeur pour Mayotte. On constate aussi une diversification de l'origine des migrants, avec l'augmentation des arrivées irrégulières depuis l'Afrique des Grands Lacs - formidable réservoir...
D'aucuns continuent de préférer ne rien faire contre les flux migratoires ou de prétendre que les dispositions envisagées ne changeront rien. C'est une position idéologique de refus du débat, qui ne tient pas compte des réalités.
Outre le différentiel de niveau de vie, les conditions d'accès à la nationalité française d'un enfant ou les conséquences sur le droit au séjour de sa famille contribuent à l'attractivité du territoire. La situation de Mayotte ne peut qu'empirer si aucune mesure drastique n'est prise. Face au nombre, il n'est plus question d'assimilation. Veut-on développer la violence avec les autochtones ou entre migrants ? Veut-on tuer l'économie mahoraise ?
Certes, cette proposition de loi ne réglera pas toutes les difficultés structurelles de Mayotte ; d'autres mesures, économiques et sociales, devront être prises, de même qu'une aide au développement renforcée dans la région. Mais il faut amorcer un mouvement en proposant des solutions opérationnelles, pour répondre à l'exaspération des Mahorais.
L'article 73 de la Constitution prévoit que nos lois et règlements peuvent être adaptés outre-mer. En 2018, le législateur a ajouté une condition supplémentaire spécifique à Mayotte pour l'acquisition de la nationalité française - disposition reconnue conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Afin de lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte, le législateur peut donc adapter, dans une certaine mesure, les règles sur l'entrée et le séjour des étrangers, ainsi que celles relatives à l'acquisition de la nationalité.
Le texte prévoit que la condition de résidence soit d'un an avant la naissance, appliquée à un seul parent, pour limiter le risque d'inconstitutionnalité. Et l'obligation de présentation d'un passeport biométrique a été supprimée, puisque tous les pays n'en disposent pas. Ces mesures équilibrées réduiront la pression à Mayotte.
Certains de nos compétiteurs stratégiques et leurs vassaux contestent notre présence dans des espaces géographiques très convoités. C'est le cas de nos outre-mer que la France peine à protéger. La présence française dans le sud de l'océan Indien et le canal du Mozambique est une cible. Narratif anticolonial, propagande et désinformation façonnent un environnement cognitif hostile à la France. Voyez ce qui se passe en Afrique francophone ou en Nouvelle-Calédonie. Certaines puissances instrumentalisent les flux migratoires vers l'Europe pour semer le chaos.
Leur rapprochement intéressé avec les États voisins de Mayotte est inquiétant. Ces compétiteurs soutiennent la restitution de Mayotte aux Comores, comme celle des îles Éparses à Madagascar. Pour eux, tous les moyens de déstabilisation sont bons - informationnels, juridiques...
Dans ce contexte, tout ce qui facilitera un retour à la vie normale à Mayotte doit être mis en oeuvre. C'est le cas de ce texte que je vous invite à adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Guillaume Chevrollier. - Très bien !
Mme Salama Ramia . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je m'exprime en tant que représentante de Mayotte, territoire confronté à une pression migratoire sans équivalent dans notre République. Plus de la moitié de la population est étrangère et la population a augmenté de 43 % en dix ans. L'immigration illégale massive fausse les données démographiques, masque les réels besoins de la population et compromet l'accès légitime des Mahorais aux infrastructures publiques. Mayotte, territoire français, suffoque.
Cette proposition de loi a crispé les débats. La commission des lois est revenue sur le délai de trois ans voté à l'Assemblée nationale. Sous la menace d'inconstitutionnalité, nous avons mis à terre l'espoir d'un peuple. Je suis sceptique sur cette réécriture, même si le délai d'un an est un progrès par rapport à trois mois.
En 2022, le CHU de Mamoudzou, plus grande maternité de France et d'Europe, a enregistré plus de 10 000 naissances. Pas moins de 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
La suppression de l'exigence de résidence pour les deux parents, pour éviter de discriminer les familles monoparentales, soulève des inquiétudes - d'où le rétropédalage du rapporteur. La tentation de trouver un père français le temps de la reconnaissance en mairie est un business lucratif bien connu. Le cadre réformateur annoncé a été délaissé au profit d'un simple encadrement des règles existantes. L'ambition s'est égarée en route.
La demande principale des Mahorais reste la suppression du titre de séjour territorialisé : Mayotte n'est ni un bagne ni un camp. Nous sommes fiers d'ambitionner un avenir radieux au sein de la République. Aussi j'appelle le Gouvernement à s'en saisir, dans le projet de loi pour Mayotte en cours de préparation. Sinon, tous nos efforts seront vains.
Face à la saturation et dans l'attente d'un projet de loi téméraire, cette proposition de loi est une solution partielle, un premier jalon, à compléter pour endiguer les flux migratoires et répondre à la demande des Mahorais qui luttent pour se réapproprier leur terre et leurs droits.
Au nom du RDPI, je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « La France est une République indivisible » : ces six mots d'une concision exemplaire figurent à l'article 1er de notre Constitution. Ce n'est pas un concept juridique à géométrie variable, en dépit de l'article 73.
La base de tout raisonnement juridique est un syllogisme. Majeure : la France est une République indivisible. Mineure : Mayotte est un territoire de la République. Conclusion : Mayotte ne peut donc être séparée du reste de la France. C'est un premier fait.
Deuxième fait : le droit du sol simple en France n'existe pas, contrairement aux États-Unis. On devient français par droit du sang, comme la majorité des Français qui vivent à l'étranger, ou par double droit du sol - en étant né en France, d'un parent lui-même né en France. Ce sont les seuls cas automatiques d'acquisition de la nationalité française à la naissance. Mais on peut aussi devenir français quand on est né en France, à partir de ses 13 ans et seulement si l'on y a vécu au moins cinq ans depuis ses 8 ans.
Que Mamoudzou soit la plus grande maternité de France ne change donc rien : pour être français, il faut naître en France et y rester, longtemps. Il existe déjà une immense différence à Mayotte, qui en fait un territoire en marge de la République : il faut de surcroît que l'un des deux parents y réside de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois lors de la naissance de l'enfant - délai que la proposition de loi porte à un an. Les migrants clandestins ne rempliront jamais cette condition... Ce délai est une immense entaille dans notre droit républicain. Et le Président de la République se trompe : ce n'est pas parce que l'on naît à Mayotte que l'on devient français - cessons avec ce fantasme !
Troisième fait : Mayotte fait face à un incommensurable problème d'immigration, principalement en provenance des Comores, dont Mayotte faisait partie jusqu'en 1974. La moitié des enfants sont issus de couples mixtes mahorais-migrant. C'est la preuve d'une culture commune. Dès lors, regardons plutôt du côté de l'acquisition de la nationalité française par mariage...
Les migrants ne vont pas à Mayotte pour le passeport, mais parce que les liens familiaux sont intenses, la religion commune, et surtout, parce que c'est un territoire très proche - 70 kilomètres, mais à des années-lumière en termes de développement.
Pour la France, Mayotte est un département pauvre avec des records de chômage, de pauvreté, d'insécurité ; mais pour les Comores, c'est un pays riche. Le taux de mortalité maternel est douze fois plus élevé aux Comores qu'à Mayotte. Les Comores sont dépendants des transferts d'argent en provenance de Mayotte, qui représentent 20 % du PIB. Mayotte est huit fois plus riche que les Comores, un écart de développement comparable à celui qui existe entre les États-Unis et le Mexique. Les migrants viennent à Mayotte parce qu'ils pensent y trouver une vie meilleure ; c'est une aspiration humaine.
Nous saluons l'honnêteté intellectuelle du rapporteur, qui a rendu le texte plus acceptable sur un plan constitutionnel - le texte de l'Assemblée nationale était une aberration... Mais nous ne pensons pas que c'est en modifiant une nouvelle fois le droit du sol - sans évaluer l'impact du changement de 2018 - que nous stopperons l'immigration illégale. Oui, la situation est insupportable pour les Mahorais, mais le droit n'y peut rien. Plutôt que de rogner une fois de plus le principe d'indivisibilité, attaquons-nous aux causes : la pauvreté aux Comores, grâce à l'aide publique au développement.
Radicalement républicain, le RDSE refuse de voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et des groupes SER et CRCE-K)
Mme Isabelle Florennes . - Tumultes, imbroglios, erreurs de vote : j'espère que nous éviterons les déboires de l'Assemblée nationale.
Dans leur rapport, Mme Jacques et MM. Bas et Lurel se sont interrogés sur la capacité de l'État à assurer ses missions premières et à mettre en place des politiques publiques répondant aux attentes des habitants. Leur recommandation n°22 préconise de revoir le mode d'acquisition de la nationalité via la durée de résidence des parents.
Cette proposition de loi renforce ainsi les conditions d'accès à la nationalité française. Je dis « renforce » pour rappeler qu'une mesure du même type avait été introduite par la loi de 2018.
Plusieurs autres pays européens ont des règles comparables, comme la Belgique et l'Irlande. En outre, la France n'est pas comme le Canada, le Mexique ou les États-Unis, où les enfants nés sur place obtiennent automatiquement la citoyenneté - le droit du sol ne joue en France qu'un rôle modeste.
Cette spécificité française a rendu possible l'application de mesures propres à Mayotte : nulle violation d'un principe, mais adaptation de notre droit à des circonstances particulières. Le Conseil constitutionnel l'a dit en 2018 : la différence de traitement tient compte des caractéristiques et des contraintes particulières de Mayotte. Ces dispositions pourraient être appliquées dans d'autres territoires ultramarins, selon l'article 73.
La proposition de loi propose un délai d'un an - et non pas trois comme voté à l'Assemblée nationale. L'extension de l'obligation de résidence aux deux parents, contrevenant au principe d'égalité pour les familles monoparentales, et l'obligation de posséder un passeport biométrique, qui n'est délivré que par un nombre limité de pays, ne sont pas conservées - nous nous en réjouissons.
C'est une approche réaliste : le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Jérémy Bacchi . - L'île de Mayotte, territoire déjà abandonné, a subi, il y a quatre mois, un cyclone dévastateur. Je rends hommage aux victimes. Quelque 77 % de la population de ce 101e département français vit sous le seuil de pauvreté ; le taux de chômage atteint 37 % ; 30 % des logements n'étaient pas raccordés à l'eau avant le cyclone ; un quart des logements étaient en tôle. Les montants de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de la prime d'activité et du RSA ne sont que de 50 % de ce qui est versé dans l'Hexagone.
Et l'urgence ne serait pas là ? Et l'enjeu serait la nationalité des enfants nés sur l'île ? Pourtant aucun chiffre ne démontre que les conditions d'accès à la nationalité sont un facteur d'attractivité pour le territoire. Ainsi, depuis le durcissement législatif de 2018, si le nombre de personnes devenues françaises a diminué, tel n'a pas été le cas du nombre de personnes étrangères.
Cette mesure discriminatoire enferme la population locale dans la précarité, tout comme les titres de séjours accordés à Mayotte qui ne permettent pas de circuler dans l'espace Schengen. La population de Mayotte est abandonnée par l'État et discriminée par nos lois.
L'histoire et la géographie de Mayotte sont trop souvent ignorées, pour servir des intérêts électoraux. En 1974, l'unité de l'archipel des Comores est reconnue, y compris par Valéry Giscard d'Estaing. Mais après le référendum, le Gouvernement change de position et interprète les résultats à son avantage, pour conserver une position stratégique dans le canal du Mozambique. Alors que 95 % des Comoriens se prononcent pour l'indépendance, 63 % des Mahorais votent contre : l'État français a alors divisé l'archipel et le peuple comorien.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il y a eu deux votes.
M. Jérémy Bacchi. - Loin de nous l'idée de rendre, a posteriori, Mayotte aux Comores, mais je souhaite retracer toute la complexité de la situation. Par sa géographie, sa culture et son histoire, la population comorienne reste unie.
Le droit du sol est un fondement de notre République, depuis 1789. Voter cette proposition de loi, c'est faire reculer la République française. (Applaudissements à gauche)
Mme Antoinette Guhl . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi est indécente, parce qu'elle détourne le regard d'une catastrophe humanitaire, sociale et écologique sans précédent ; parce qu'elle instrumentalise la détresse des Mahoraises et des Mahorais, au service d'une stratégie électorale dangereuse ; parce que Mayotte souffre.
Face à cette souffrance, quelle est votre réponse : durcir encore plus l'accès à la nationalité, restreindre le droit du sol, ajouter de nouvelles contraintes aux enfants de Mayotte ? Quelle indécence !
Ce département de la République est traité comme une exception permanente. C'est le territoire de toutes les régressions. Depuis 2018, les conditions d'accès à la nationalité française y ont déjà été restreintes par la loi Collomb. Pour quels effets, monsieur le ministre ? Mélanie Vogel l'a dit : aucun sur l'immigration. Et j'ajoute : aucun sur la pauvreté ni sur les tensions sociales. Mais cela a fabriqué des invisibles, une citoyenneté de seconde zone.
Avant le cyclone, la situation était catastrophique, avec une crise multiforme : sociale - pauvreté, chômage, inégalités -, écologique - eau, déchets - et humanitaire - conditions de vie, éducation, soins.... Le cyclone Chido a balayé ce qui restait, laissant derrière lui un paysage de désolation. Face à cette situation d'urgence absolue, l'État devrait protéger, pour garantir sécurité, dignité, solidarité. Il faut mettre fin aux politiques d'exception qui condamnent Mayotte à l'abandon.
Ce texte ne répond pas aux défis de Mayotte, mais détourne l'attention en désignant un bouc émissaire commode : l'immigration.
Vous voulez aller plus loin, comme si Mayotte était une terre étrangère à laquelle on refuse le droit commun. Mais les Mahorais sont français : ils doivent avoir les mêmes droits que les autres citoyens. Est-ce une expérimentation que vous menez avant d'étendre ces restrictions à l'ensemble du territoire national ?
Le droit du sol n'est ni une erreur ni une faiblesse. C'est une conception de la nation, qui repose sur l'inclusion et l'intégration.
Le vrai problème de Mayotte, ce n'est pas l'immigration, c'est l'abandon de l'État. Depuis des mois, votre majorité multiplie les attaques contre les étrangers et contre les principes républicains. Hier, vous vouliez interdire le port du voile dans le sport, aujourd'hui, vous vous attaquez au droit du sol. Vous reprenez les thèmes de l'extrême droite et normalisez son discours.
Nous nous battrons pour nos valeurs républicaines, dans cet hémicycle, dans la rue, partout. Car nous refusons cette musique nauséabonde de l'exclusion et du rejet de l'autre.
La France a besoin de solidarité, pas d'exclusion. Elle a besoin d'un État qui assume ses responsabilités, pas d'un État qui stigmatise. Elle a besoin de justice sociale, pas de surenchère sécuritaire.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Antoinette Guhl. - Nous voterons contre cette proposition de loi indécente, dangereuse et indigne. (Applaudissements à gauche)
Mme Corinne Narassiguin . - Le groupe Les Républicains, soutenu par le Gouvernement, propose de revenir sur le droit du sol à Mayotte, dans une confusion progressive avec l'extrême droite qui ira peut-être jusqu'à la fusion... Certains ici estiment avoir trouvé la solution aux problèmes de Mayotte, car le vrai problème serait l'immigration, encore et toujours.
Depuis 1515, le droit du sol fonde notre droit de la nationalité. Patrick Weil l'a dit : ce droit du sol républicain, progressif et conditionnel est à ce point au fondement de notre identité nationale, que même le régime de Vichy l'avait maintenu dans son projet de réforme de la nationalité.
Le simple fait de naître sur le territoire français ne confère pas la nationalité française : nulle automaticité, puisqu'une double condition cumulative de naissance et de résidence en France est exigée.
Vous proposez de violer le principe d'indivisibilité de notre République, une nouvelle fois après la loi asile et immigration de 2018.
En dépit de nombreuses demandes de parlementaires, il n'existe aucune évaluation de la restriction mise en place en 2018. Le nombre d'acquisitions de la nationalité française à Mayotte à la majorité a été divisé par trois, quand le nombre d'étrangers en situation irrégulière a été multiplié par dix. Comment osez-vous prétendre qu'il existe une corrélation entre le droit de la nationalité et l'immigration ?
Chers collègues de droite, votre aveuglement vous empêche de vous mettre à la place de ces hommes et de ces femmes qui fuient les Comores et d'autres pays de la région ? Qu'auriez-vous fait, vous, dans l'espoir d'une vie meilleure ? Au lieu de ça, vous les imaginez pesant le pour et le contre d'une traversée où ils risqueraient leur vie pour que leurs enfants obtiennent la nationalité française... Quel cynisme ! Et quelle compromission, notamment pour ceux qui se croient encore de gauche dans ce gouvernement !
Une fois de plus, vous violez notre Constitution. L'atteinte que vous portez au droit du sol n'est ni justifiée ni adaptée. Il n'a jamais été démontré que la réforme de 2018 avait endigué les flux migratoires. Elle n'a fait qu'accroître la précarité des familles. Saïd Omar Oili l'a rappelé : les visas territorialisés ont aggravé la situation. Vous vous entêtez dans cette voie populiste.
Le groupe SER s'opposera une nouvelle fois à cette tentative d'atteinte au droit du sol et aux droits fondamentaux d'hommes, de femmes, et surtout d'enfants. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)
Discussion de l'article unique
Avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°4 de M. Omar Oili et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Pas d'avis du Conseil d'État, pas d'étude d'impact, pas d'évaluation de la loi de 2018 : voilà comment nous légiférons. Ce texte est un tract politique et non une réponse juridique solide aux problèmes des Mahorais. Nos demandes d'évaluation sont restées lettre morte. En janvier, MM. Bas et Lurel recommandaient de réaliser une étude d'impact sérieuse. Ce qui est évident pour tous ne l'est pas pour la commission, qui se retranche derrière son aversion aux rapports, ni pour gouvernement qui depuis cinq ans fait obstruction à toute évaluation de la loi de 2018. Le RDPI a d'ailleurs renoncé à cette revendication depuis l'an dernier... Mais notre groupe n'a pas varié.
M. le président. - Amendement n°11 de Mme Vogel et du GEST.
Mme Mélanie Vogel. - Cet amendement demande également un rapport sur les effets de la loi de 2018. Au Sénat, on se plaint régulièrement de l'excès de législation. Je ne comprendrais pas que l'on refuse d'évaluer une loi, qui ne produira ses pleins effets qu'en 2032, avant de la modifier. Les données dont nous disposons tendent à montrer que la loi n'a eu aucun impact. Le Sénat ne souhaite-t-il pas savoir si la loi de 2018 a eu un effet ?
M. le président. - Amendement n°18 rectifié de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Nous demandons un rapport évaluant la loi de 2018, pour en connaître les conséquences sur les droits des enfants, sur les flux migratoires et sur le nombre de titres de séjour délivrés à Mayotte.
La présente proposition de loi s'inscrit dans la continuité des mesures de 2018, mais sans les avoir évaluées au préalable. Les chiffres dont nous disposons - du ministère de l'intérieur et des professionnels de terrain - ne montrent aucun effet du dispositif de 2018 sur les flux migratoires.
Ce texte est une menace pour les droits des enfants. La précarité des enfants de Mayotte est organisée par la République elle-même. Sur les bancs de l'école, ces enfants souffrent de la faim et subissent chaque jour les discriminations françaises.
Légiférons en toute connaissance de cause.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Vous connaissez la jurisprudence constante de la commission des lois sur les rapports : avis défavorable. Il faudra néanmoins évaluer la loi, un jour ou l'autre. C'est le sens des préconisations de MM. Bas et Lurel.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
Vous connaissez ma position sur les visas territorialisés : leur suppression ne sera possible que le jour où la question de l'immigration irrégulière sera réglée à Mayotte.
Ces visas ne sont pas récents, ce sont des visas Balladur, madame Narassiguin, que la gauche n'a pas supprimés quand elle a été aux responsabilités, par deux fois. Heureusement que vous n'êtes pas contre ces visas lorsque vous êtes dans l'opposition et pour quand vous êtes aux responsabilités, sinon cela pourrait être vu comme une posture politicienne... (Mme Marie-Pierre de La Gontrie proteste.)
Les difficultés de Mayotte commencent à toucher l'île de La Réunion.
Des propositions sur les visas territorialisés pourront venir de votre groupe, ou d'autres. M. le ministre d'État Valls aura l'occasion de donner la position du Gouvernement.
L'amendement n°4 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos11 et 18 rectifié.
Article unique
M. le président. - Amendement n°3 de Mme Narassiguin et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Avec cet article 2, nous sommes face à une forme de détournement de l'article 73 de la Constitution. Personne ne conteste la particularité de la situation migratoire de Mayotte. Mais cela n'autorise pas tout, et surtout pas n'importe quoi, notamment pas la remise en cause du droit de la nationalité, qui est sans lien avec les problèmes migratoires. Certains finissent par admettre cette absence de corrélation entre nationalité et immigration, mais peu importe et on continue à faire de la politique, plutôt que de résoudre les vrais problèmes de Mayotte : infrastructures, migration familiale avec les Comores, absence de toute politique de développement en direction des pays de la région, etc.
M. le président. - Amendement identique n°10 de Mme Mélanie Vogel et du GEST.
Mme Mélanie Vogel. - Je m'interroge sur la constitutionnalité des dispositions de l'article. En passant du droit commun à une exigence de résidence régulière de trois mois pour l'un des deux parents, on a coupé les trois quarts des naturalisations basées sur le droit du sol. C'est énorme !
Il était évident que le passage à trois ans pour les deux parents était absolument disproportionné et manifestement inconstitutionnel. Je pense que la version de la commission des lois l'est également. Ce droit était déjà peu utilisé, mais si seulement un quart des personnes peut y prétendre, l'exercice du droit du sol sur ce territoire de la République sera quasiment réduit à néant.
Or l'article 73 de la Constitution consiste non pas à supprimer un droit, mais à l'adapter aux situations particulières de ces territoires.
Un an ou trois ans, cela ne changera pas grand-chose pour le Conseil constitutionnel : cette disposition sera déclarée inconstitutionnelle. (M. Gérald Darmanin le conteste ; M. Jacques Fernique applaudit.)
M. le président. - Amendement identique n°12 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Cet article, qui instaure un traitement différencié et injustifié fondé sur l'origine, est contraire à notre Constitution. C'est proprement discriminatoire et contraire au principe d'égalité reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le plus inquiétant est que ce texte attaque précisément les enfants qui ne connaissent que la République française, et dont la République ne veut pas. Ils sont piégés à Mayotte ; pour eux, ce sont les bidonvilles, la peur, la faim, la haine.
Il y a moins d'une semaine, nous votions à l'unanimité une résolution contre le sans-abrisme des enfants. C'était un vote généreux et républicain.
Cette proposition de loi, elle, s'attaque aux droits fondamentaux des enfants, qui sont tous soumis à la régularité administrative de leurs parents. On leur rend l'accès à l'éducation difficile, on les affame, on compromet leur avenir.
Monsieur le ministre, si vous reconnaissez que le problème est la fraude à la paternité, cela revient à dire que ce texte est hors sujet.
Nous refusons que Mayotte et les outre-mer deviennent le laboratoire des lois hostiles aux étrangers.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable, bien évidemment. Cela revient à discuter de nouveau la question préalable. Nous sommes législateurs, non juges constitutionnels. (MM. Guillaume Gontard et Jacques Fernique ironisent.) Laissons le Conseil constitutionnel s'exprimer s'il est saisi.
Tout dépend de la mesure. Notre proposition est-elle proportionnée ? Je le pense, au vu des vagues migratoires successives que subit le territoire mahorais.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable. Les arguments d'anticonstitutionnalité étaient déjà portés contre les trois mois proposés par Gérard Collomb, qui ont été validés par le Conseil constitutionnel.
Je respecte votre opposition à cette mesure, madame Corbière Naminzo, mais vous ne pouvez pas dire qu'on affame les enfants et qu'on les prive d'aller à l'école. Les enfants peuvent s'inscrire à l'école, quelles que soient leur nationalité et leur situation administrative.
La République est généreuse. Pas moins de 90 % des personnes hospitalisées à Mayotte sont soignées gratuitement.
Nul besoin de dire des choses non seulement horribles, mais contraires à ce que fait la République. J'aimerais que vous rectifiiez vos propos.
M. Saïd Omar Oili. - Monsieur le ministre, vous connaissez bien Mayotte. On fait de ces jeunes des ni-ni (M. Gérald Darmanin acquiesce), c'est-à-dire qu'on expulse les parents tout en gardant les enfants, qui commettent des actes de délinquance.
Certes, on scolarise ces enfants, mais quand ils ont leur bac avec mention très bien et qu'ils veulent poursuivre leurs études, on leur dit : non, vous n'êtes pas français, et ils retombent dans la délinquance. Pourquoi alors ne pas expulser les enfants avec leurs parents ? La loi l'interdit. Résultat : Mayotte compte 6 000 enfants abandonnés, qui vivent dans les poubelles et causent des désordres.
Regardons la situation dans son ensemble.
Les Mahorais veulent vivre libres, tout simplement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Que faire des enfants abandonnés par leurs parents sur le territoire mahorais ? (Exclamations sur les travées du groupe SER)
Mme Silvana Silvani. - Non, dont les parents sont expulsés !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Non, ils sont abandonnés. Arrêtons de regarder cela de Paris. La question qui se pose est celle de l'expulsion de la fratrie. Est-ce que l'on régularise l'intégralité des enfants, qui sinon deviennent des ni-ni, ni expulsables ni régularisables ?
Que feriez-vous, monsieur Omar Oili ? Lorsque vous étiez maire, vous aviez déclaré ne plus vouloir scolariser les enfants pour interpeller l'État. Si un sénateur du groupe socialiste le dit, c'est bien que nous faisons face à un problème majeur. (M. Laurent Burgoa et Mme Marie Mercier renchérissent.)
Est-ce que l'on expulse les enfants ? La loi ne le permet pas. Est-ce ce que vous proposez ? Ou prônez-vous la régularisation de ces enfants ?
Vous prenez l'exemple d'un jeune réussissant le bac avec mention très bien : ce n'est pas parce qu'il n'est pas français qu'il ne peut pas faire d'études. Ce n'est pas ce que prévoit cette proposition de loi. Entre nationalité et irrégularité, il y a le statut d'étranger régulier.
On peut devenir français par le double droit du sol, par le mariage, par la volonté. De nombreux Français ne sont pas nés en France et n'ont pas de parents français : quand j'étais ministre de l'intérieur, je publiais entre 30 000 et 40 000 décrets en ce sens.
Quand les enfants ont un parcours méritoire, ils reçoivent un titre de séjour. Un grand nombre d'étrangers en situation régulière vivent des dizaines d'années en France avec un titre de séjour.
Les amendements identiques nos3, 10 et 12 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°7 de M. Christopher Szczurek et alii.
M. Christopher Szczurek. - Les Mahorais connaissent trop bien les conséquences de l'immigration : insécurité endémique, difficulté d'accès aux ressources de base comme l'eau, surpopulation dans les écoles, développement d'un habitat anarchique... Il nous faut, pour Mayotte et pour la France, tarir les sources légales de cette situation. Nous proposons une mesure simple : supprimer le droit du sol à Mayotte.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable : cela impliquerait une révision de la Constitution.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°9 de M. Szczurek et alii.
L'amendement n°9 est retiré.
M. le président. - Amendement n°14 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Cet amendement rétablit la rédaction de l'Assemblée nationale. Il faut des mesures ambitieuses pour lutter contre l'immigration à Mayotte, pénalisée par le titre de séjour territorialisé. Aucune répartition n'est réalisée avec La Réunion ou l'Hexagone. Dans ces conditions, nous demandons un durcissement, à défaut d'appliquer le principe de solidarité qui prévaut pourtant entre tous les territoires européens.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Je comprends votre intention, mais il s'agit aussi de lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Tel que rédigé, cet amendement exclut de facto les familles monoparentales, ce qui est inconstitutionnel.
Il faudra des contrôles pour éviter les contournements. Trouvons un compromis avant la CMP. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°14 est retiré.
M. le président. - Amendement n°15 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Amendement rédactionnel.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Sagesse sur cet amendement qui ne change rien à l'ensemble du dispositif.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°15 est adopté.
M. le président. - Amendement n°16 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Rédactionnel.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Sagesse.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°16 est adopté.
L'article unique, modifié, est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°17 de Mme Ramia et du RDPI.
L'amendement n°17 est retiré.
Vote sur l'ensemble
Mme Silvana Silvani . - Que faites-vous ? Qu'êtes-vous en train de faire ? On a déjà eu droit aux mariages mixtes lorsque l'un des prétendants était en situation irrégulière. La semaine dernière, on a allongé la durée de rétention pour les personnes sous le coup d'une OQTF. Désormais, on parle des conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte, en proposant de l'étendre - cela a été dit - au reste du territoire.
Le tout, sans étude d'impact sur les flux migratoires, voire en dépit des données dont nous disposons. Qu'êtes-vous en train de faire, sinon saturer le débat public sur les étrangers, rendus responsables de toutes nos difficultés ?
Nous étions déjà familiers de l'instrumentalisation de l'immigration par l'extrême droite. Nous devons désormais nous familiariser avec cette même instrumentalisation de la part des droites et de ce Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Saïd Omar Oili applaudit également.)
La proposition de loi, modifiée, est adopté.
La séance est suspendue à 19 h 50.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 35.