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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Droit de vote par correspondance des personnes détenues
Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi
M. Louis Vogel, rapporteur de la commission des lois
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'intérieur
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'intérieur
Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles
M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants
M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants
Journée internationale de la Francophonie
Personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois
Rénovation énergétique du bâti ancien
M. Michaël Weber, auteur de la proposition de loi
Mme Sylviane Noël, rapporteure de la commission des affaires économiques
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Mise au point au sujet d'un vote
Ordre du jour du mardi 25 mars 2025
SÉANCE
du jeudi 20 mars 2025
71e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Catherine Conconne.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Conférence des présidents
Mme la présidente. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie hier soir sont consultables sur le site du Sénat.
En l'absence d'observations, je les considère comme adoptées.
Droit de vote par correspondance des personnes détenues
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues, présentée par Mme Laure Darcos et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe Les Indépendants.
Discussion générale
Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Je remercie de son soutien le président Malhuret pour l'inscription de ce texte à l'ordre du jour, ainsi que l'ensemble de mes collègues du groupe Les Indépendants, particulièrement Louis Vogel - je suis ravie qu'il soit le rapporteur du texte.
Les détenus, comme l'ensemble de nos concitoyens, ont la possibilité de participer à la vie démocratique de notre pays, sous réserve d'avoir conservé leurs droits civiques. Jusqu'en 1994, certains condamnés étaient de plein droit et sans limitation de durée déchus de leurs droits civiques. La privation du droit de vote est désormais limitée dans le temps.
Toutefois, ce droit est malaisé à mettre en oeuvre en raison de difficultés d'inscription sur les listes électorales ou à cause des modalités de vote. Ainsi, le taux de participation à l'élection présidentielle de 2017 des détenus n'a pas dépassé 2 %.
La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a introduit à titre expérimental le vote par correspondance, sous pli fermé, pour les élections européennes de 2019, dans des conditions permettant de respecter le caractère secret et personnel du vote et la sincérité du scrutin.
La loi du 27 décembre 2019 Engagement et proximité a généralisé cette modalité de vote.
Enfin, la loi organique du 29 mars 2021 a modifié la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.
Malgré le volontarisme politique, le taux de participation un peu supérieur à 20 % reste en deçà des attentes.
Pour pouvoir voter par correspondance, les détenus doivent demander à être inscrits sur la liste électorale de la commune chef-lieu de département. Ils sont affectés dans un bureau de vote correspondant. Le chef de l'établissement pénitentiaire transmet au maire la demande d'inscription sur les listes électorales. La commission de propagande électorale livre les documents de propagande électorale. Les plis sont acheminés sous l'autorité du préfet ; ils sont remis au président du bureau de vote et conservés jusqu'à la fermeture du bureau. Le président du bureau de vote émarge en lieu et place du détenu et place l'enveloppe dans l'urne.
La procédure ne souffre aucune contestation. Dès lors, pourquoi légiférer ? Parce que les modalités de vote sont très imparfaites.
Stéphane Beaudet, maire d'Évry-Courcouronnes et président de l'association des maires d'Île-de-France, Kadir Mebarek, maire de Melun, Joaquim Pueyo, maire d'Alençon et d'autres ont exprimé le souhait d'une évolution législative.
Ils jugent qu'il ne faut pas faire voter des détenus dans la commune de détention, dont ils ignorent tout et auquel ils sont totalement étrangers. Que peuvent-ils penser de la rénovation d'une cantine scolaire ou de travaux dans une maison de retraite ? Or, ils peuvent représenter 5 % des électeurs : leur vote pèse sur le résultat des élections locales.
Le système actuel porte une atteinte sérieuse à l'égalité entre candidats. Comment justifier qu'un parlementaire autorisé à tout moment à visiter un établissement pénitentiaire puisse aller y faire campagne, quand un autre candidat voit les portes demeurer closes ?
Le rattachement des détenus au chef-lieu de département ne répond qu'à des considérations logistiques.
Ainsi, notre proposition de loi supprime la faculté du détenu de s'inscrire dans le chef-lieu ou dans la commune du lieu de détention. Nous souhaitons qu'il puisse s'inscrire dans la commune de son dernier domicile ou dans celle d'un proche parent, ascendant ou descendant.
Ainsi, nous répondons aux demandes des élus locaux tout en préservant le droit de vote des détenus.
La commission des lois a soulevé une difficulté logistique d'acheminement des enveloppes. Aussi nous établissons une distinction entre les élections nationales et européennes d'une part, et locales et législatives d'autre part : pour les premières, le vote par correspondance serait possible ; pour les secondes les détenus auraient le choix entre voter par procuration ou demander une autorisation de sortie. J'approuve pleinement cette modification.
Nous sommes parvenus à une position équilibrée. Je remercie les représentants du ministère de l'intérieur, de la Chancellerie et de l'administration pénitentiaire qui ont fait évoluer positivement ce texte, et salue une nouvelle fois le travail remarquable du rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. Louis Vogel, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Cette proposition de loi a été adoptée, avec modification, par notre commission.
Je reviens sur l'état du droit. Les détenus disposent du droit de vote au même titre que l'ensemble de nos concitoyens, sauf s'ils ont été déchus de leurs droits civiques. Pas moins de 57 000 détenus ont le droit de participer aux élections. Jusqu'en 2019 ils pouvaient voter seulement soit en demandant une autorisation de sortie soit par procuration.
Les conditions du vote par correspondance étaient particulièrement restrictives avant le covid, et peu adaptées aux détenus. Les autorisations de sortie sont toujours accordées de façon prudente : moins de 100 aux dernières élections. Cela entraînait un faible taux de participation d'environ 2 % avant 2019.
Désormais les détenus peuvent s'inscrire non seulement dans leur commune de rattachement initiale mais aussi dans plusieurs communes où ils ont résidé ou dans celle où résident des membres de leur famille. La commune du conjoint, concubin ou partenaire de Pacs a été ajoutée.
Surtout, la loi de 2019 a créé un vote par correspondance. Mais la contrainte de faire parvenir le matériel électoral et de renvoyer les bulletins par double enveloppe est trop difficile à surmonter.
Un bureau de vote virtuel a donc été créé au sein des établissements, correspondant au chef-lieu de département. Ce bureau de vote n'est pas officiel, mais il est bien réel. Une urne, un isoloir et une liste d'émargement sont physiquement présents dans la prison, mais le bureau de vote n'a pas d'existence administrative. Ensuite, l'urne est transportée au chef-lieu de département.
Cela a permis un taux de participation de 22 % aux européennes et de 19 % aux législatives.
Toutefois des difficultés de fond se posent. Le soi-disant vote par correspondance « rompt tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription et méconnaît la tradition de notre droit électoral », selon le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi de 2019.
Il faudrait éviter tout effet disproportionné, du fait de la suppression du lien entre électeur et commune de rattachement. Dans plusieurs chefs-lieux, le nombre de détenus susceptibles d'être inscrits peut s'élever jusqu'à 11 % du corps électoral. Cela peut faire basculer une élection.
En la matière, ce n'est pas le contenu du vote qui importe, mais le fait que ce vote puisse déterminer l'issue d'élections locales alors même qu'il n'a aucun sens démocratique. Dans la majorité des cas c'est un vote hors sol (M. Alain Marc le confirme), car dénué de tout lien avec la commune de rattachement.
À l'inverse, le vote par correspondance n'a aucune incidence quand la circonscription est nationale - présidentielle, européennes, référendum.
Au vu du risque de contestation des résultats aux municipales, il faut faire évoluer le vote par correspondance.
La solution initiale de la proposition de loi, de bon sens, était de prévoir un véritable vote par correspondance pour que les détenus puissent voter dans leur commune de rattachement. Mais les auditions ont montré que les difficultés logistiques qu'elle entraînerait, et qui ont conduit d'ailleurs à l'abandon du vote par correspondance en 1975, demeuraient. On ne peut que regretter que ces difficultés empêchent de concilier vote par correspondance et rattachement électoral.
Parfois l'intendance, contrairement à ce que dit le Général, ne suit pas !
Je vous propose, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, de distinguer les élections locales ou législatives d'une part, et les élections à circonscription nationale d'autre part, à savoir les élections européennes, les référendums et l'élection présidentielle - celle-ci relevant d'ailleurs d'une loi organique et non du code électoral.
Pour ces dernières, le vote par correspondance des détenus serait maintenu dans ses modalités actuelles. Pour les premières, les détenus voteraient en obtenant une autorisation de sortie ou par procuration.
Ainsi on respecte le droit de vote des détenus, dont les modalités ont été élargies par la loi de 2019 et par cette même proposition de loi. Les détenus peuvent en effet, comme tout citoyen, accorder procuration à une personne qui réside dans une autre commune.
L'administration pénitentiaire m'a dit en outre pouvoir faire le nécessaire pour encourager le vote par procuration.
Je vous soumettrai un amendement technique. Sous réserve de son adoption, la commission des lois vous propose d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains)
Mme Corinne Bourcier. - Excellent !
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'intérieur . - Dans un an, des élections auront lieu : l'ensemble de nos compatriotes seront appelés aux urnes pour les élections municipales, qui sont toujours un moment fort de notre vie démocratique.
Les élections municipales mobilisent les électeurs : en 2014, la participation était ainsi de 64 %. Je ne mentionne pas 2020, chacun sachant combien le covid a perturbé ce scrutin.
La proposition de loi de Laure Darcos a pour objectif de résoudre un biais structurel auquel de nombreux candidats aux élections municipales sont exposés. Pouvoir voter aux prochaines élections est un temps fort du processus de réinsertion pour les détenus. Toutefois cela ne saurait déstabiliser l'expression démocratique. Or ce risque existe dans de nombreuses communes.
La loi de 2019 prévoit un lien électoral avec le chef-lieu sans qu'il n'y ait aucune attache avec ce territoire. Le Conseil d'État, dans son avis consultatif, a souligné « l'impact quantitatif significatif sur le corps électoral des communes concernées » par cette situation et alerté les pouvoirs publics sur le risque de déstabilisation du corps électoral. Il n'a pas été écouté. Il faut le regretter. À un an des prochaines échéances, ce risque est désormais avéré. Aucun démocrate ne peut accepter les conséquences concrètes de la loi de 2019.
Je prendrai l'exemple de Lille, où l'élection municipale s'est jouée en 2020 à 227 voix près. Pas moins de 400 détenus pourraient participer à la prochaine élection. Pouvons-nous accepter que l'avenir politique de la capitale des Flandres, dixième plus grande ville de France, soit ainsi déterminé par des gens qui n'ont aucun lien avec elle ?
À l'heure où il nous faut réparer le lien de confiance entre les Français et leurs élus, revenons sur cette anomalie démocratique.
C'est l'objet de cette proposition de loi, qui réserve la possibilité d'inscription sur les listes électorales aux communes de résidence avant incarcération, de résidence d'un ascendant ou d'un descendant.
En raison des difficultés logistiques, la commission des lois a limité cette possibilité aux seuls scrutins se déroulant dans le cadre d'une circonscription nationale. Le Gouvernement soutient cette proposition.
Pour les autres scrutins, il faudrait une permission de sortie ou une procuration, ce dernier dispositif ayant été assoupli puisqu'on peut la donner à une personne ne résidant pas dans la commune d'inscription. Cette proposition concilie la préservation de la sincérité du scrutin et l'exercice par les détenus de leur droit de vote.
Le Gouvernement émet un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi telle qu'issue des travaux de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.) Déposée par Laure Darcos et plusieurs membres du groupe Les Indépendants, ce texte modifie les modalités de vote par correspondance des détenus. Ce droit de vote spécifique a été reconnu il y a cinquante ans, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Ce dernier avait alors souligné que la prison signifiait privation de la liberté d'aller et venir, et rien d'autre.
Lorsqu'il avait serré la main d'un détenu en 1974, son geste avait suscité la polémique. C'était avant tout un geste humain, préfigurant cette reconnaissance civique.
Chaque détenu qui n'a pas été condamné définitivement à la perte de ses droits civiques doit pouvoir exercer son droit de vote.
En cas de refus de la permission de sortie, la procuration est possible. Il faut demander alors la délivrance d'un extrait de registre d'écrou justifiant l'incapacité à se rendre dans un bureau de vote. Mais se pose la question d'un mandataire de confiance. L'engagement électoral est resté longtemps très faible en raison des nombreux obstacles qui se présentaient.
Aux élections européennes de 2019, 4 500 détenus ont participé, soit une hausse sensible de la participation.
Le texte modifié par la commission des lois réserve le vote par correspondance aux élections européennes et présidentielles ainsi qu'aux référendums. Nous sommes, certes, attachés à la nécessité d'établir un lien de proximité effectif avec la commune de rattachement du détenu ou de sa famille, mais la proposition de loi initiale présentait des difficultés logistiques évidentes.
Mon groupe votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; MM. Michel Laugier et Olivier Bitz applaudissent également.)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi repose sur un constat encourageant : la citoyenneté et l'esprit républicain progressent dans les prisons. Le vote est un réel vecteur d'insertion.
L'instauration du vote par correspondance en 2019 était un projet ambitieux. L'augmentation des taux de participation qui a suivi démontre la réussite de ce dispositif. Le vote par correspondance est la modalité choisie par 90 % des détenus concernés. Il faut le maintenir, quitte à en repenser les modalités pour les adapter aux réalités du terrain.
Mais nous entendons les critiques. Le choix d'organiser le vote par correspondance sous la forme d'un bureau situé au chef-lieu a rompu tout lien personnel entre les électeurs et leur commune d'inscription. De plus, le nombre de détenus inscrits peut avoir un impact quantitatif significatif sur les scrutins, notamment municipaux.
Je salue donc l'initiative de Laure Darcos.
Le dispositif prévu initialement par la proposition de loi entraînait d'évidentes difficultés logistiques pour l'administration pénitentiaire - raison pour laquelle il n'avait pas été retenu en 2019. D'où le choix de la commission des lois, que nous comprenons.
Le RDSE votera ce texte, mais nous serons attentifs aux échanges à venir, puisqu'il entraîne un renoncement regrettable. Les élections municipales approchent. Nous devrons nous assurer que l'application de la loi n'entraîne pas un recul de la participation des détenus au scrutin.
L'exercice du droit de vote par les détenus contribue au maintien de leur lien avec la société ; c'est essentiel pour leur réinsertion. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPDI, du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Bitz . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.) Le temps de détention représente une sanction pour la personne condamnée et protège la société contre ses agissements, pendant un temps qui doit conduire à l'amendement de cette personne afin de prévenir la récidive. Pendant ce délai, tout doit être mis en oeuvre pour faciliter sa réinsertion.
L'exercice effectif de sa citoyenneté par une personne détenue, si aucune peine ne l'a déchue de ses droits civiques, est fondamental.
Lors de son discours du 6 mars 2018 à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Énap), le Président de la République s'est engagé à accroître la participation des personnes détenues aux élections. Des évolutions notables ont été introduites lors de l'examen au Parlement de la loi du 27 décembre 2019. Le vote par correspondance en est la principale. Il a été instauré avec la possibilité de rattachement aux listes électorales du chef-lieu.
Ce vote par correspondance avec rattachement au chef-lieu de département ne pose pas de difficultés pour les élections nationales. Il en va tout autrement pour les élections locales, où ce rattachement n'a aucun sens, comme le Conseil d'État l'a souligné dans son avis sur la loi de décembre 2019.
Dans l'Orne, qui compte deux établissements pénitentiaires, pas moins de 130 détenus, et jusqu'à 300 si tous étaient inscrits, sont susceptibles de voter à l'élection municipale d'Alençon. Ces voix peuvent évidemment faire basculer l'élection, plus encore dans un contexte de faible participation. Les anciens maires peuvent se heurter à des difficultés certaines.
Alençon est en outre dirigée actuellement par un ancien directeur de prison ! Moi-même, ancien directeur des services pénitentiaires, je ne suis pas certain que j'aurais fait un tabac auprès des détenus dont j'avais la responsabilité... (Sourires) Ce problème est encore plus prégnant à Melun, Évry ou Basse-Terre.
Pour les scrutins nationaux, le dispositif ne pose pas de difficulté. Pour les scrutins locaux, la proposition de loi ne ferme pas la possibilité pour les personnes détenues de s'exprimer dans les urnes. Mais des correctifs doivent être introduits. Il faut resserrer les mailles pour les élections territoriales.
La proposition de loi amendée par le rapporteur, dont je salue le travail, présente de nouveaux équilibres que le groupe UC soutient sans réserve.
Enfin, la promotion de la citoyenneté auprès des détenus ne s'arrête pas à l'exercice du droit de vote. L'implication du détenu dans l'exécution de sa peine, son engagement pour une détention plus active et sa sensibilisation à la place que chaque individu a dans la société sont tout aussi importants. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Louis Vogel et Antoine Lefèvre applaudissent également.)
M. Ian Brossat . - Cette proposition de loi touche à une question essentielle. En démocratie, le droit de vote n'est pas un privilège, mais un droit fondamental. Or pendant longtemps les personnes détenues, de fait, en ont été privées.
La loi de 2019 a marqué un progrès. Ses résultats ont d'ailleurs été immédiats, au vu de l'augmentation du taux de participation : de 2 % à l'élection présidentielle de 2017 à 22 % à celle de 2022.
Pourtant des obstacles et incohérences demeurent.
L'inscription dans le chef-lieu de département est un critère purement administratif, sans lien ni avec le parcours de vie des détenus ni leur ancrage territorial. Les ajustements apportés par le texte sont donc bienvenus.
Le choix effectué est cohérent et réinscrit le vote des détenus dans leur vie réelle. La privation de liberté ne saurait être une privation de citoyenneté. Aussi, le droit de vote ne saurait être suspendu par commodité administrative, sous prétexte de difficultés logistiques.
Maintenir le lien avec la société est un élément clé de la réinsertion. Permettre aux détenus de voter, c'est leur donner une voix, les responsabiliser, les faire participer aux choix relatifs à l'avenir du pays.
En France, la peine privative de liberté ne doit pas être une peine privative de droits.
Ce texte va dans la bonne direction. C'est une avancée attendue et nécessaire, mais nous aurions pu aller plus loin. D'autres pays comme le Danemark ou la Pologne ont fait le choix de l'installation de bureaux de vote directement dans les établissements pénitentiaires, avec un accès facilité et sécurisé. Cette réflexion mériterait d'être menée en France.
Cette proposition de loi est néanmoins bienvenue, le groupe CRCE-K votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE)
M. Guy Benarroche . - « Le droit de vote doit pouvoir être exercé plus simplement. Je vous le dis très sincèrement, on a essayé de m'expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter. Je n'ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où l'on ne sache pas organiser ni le vote par correspondance ni l'organisation d'un bureau. »
Ce ne sont pas mes paroles, mais celles du Président de la République Emmanuel Macron, le 6 mars 2018, à l'Énap. Le succès de 2019 n'a pas suscité un élan suffisant.
L'autorisation de sortie et la procuration, possibles depuis 1994, sont difficiles à mettre en oeuvre et ne se sont jamais traduites par une importante participation.
J'avais dès 2021 déposé des amendements en faveur d'une meilleure information des détenus sur leurs droits.
La prison est aussi un lieu de réinsertion. Priver matériellement les détenus d'exercer leurs droits civiques quand ils n'en ont pas été déchus est un non-sens.
Lors de la mission d'information sur le vote électronique ou de l'examen des propositions de loi modifiant le vote par procuration, je l'ai dit : le vote par correspondance est le seul à pouvoir garantir la sincérité du vote.
Je reste toujours surpris des reculs acceptés sur l'exercice des droits et libertés dans notre pays.
Les problèmes logistiques et le manque de volonté et de moyens pour y remédier ne peuvent justifier l'impossibilité de recourir au vote par correspondance. Je regrette cette explication de la commission des lois.
Alors que la participation aux élections est en baisse, l'augmentation de la participation des personnes détenues est attribuable au vote par correspondance.
En 2017, un peu plus de 300 permissions avaient été accordées pour l'élection présidentielle, selon l'Observatoire international des prisons. Mais cela ne pouvait pas toucher les 30 % des détenus en détention préventive - j'en profite pour dénoncer le recours démesuré à cette mesure d'exception.
Le sujet du vote en prison, c'est en réalité le sujet de la prison. La surpopulation carcérale atteint des niveaux sans précédent : 157 % d'occupation. Les quartiers des hommes de la prison des Baumettes à Marseille ont un taux d'occupation de plus de 200 % !
Nous ne pouvons pas voter un texte sur le vote par correspondance... qui ne permet pas le vote par correspondance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Lorsqu'on intervient en sixième position sur un texte contenant peu d'articles, la description de l'essentiel du dispositif a été exposée à plusieurs reprises. Ce n'est pas inutile, compte tenu de sa sophistication et de ses évolutions. Je ne vous parlerai donc pas de l'évolution du mode de scrutin des détenus à travers les âges, mais plutôt des droits que les détenus devraient avoir, si l'on considère qu'ils sont des citoyens à part entière.
Il fut un temps où une condamnation signifiait la privation du droit de vote. Ce n'est plus le cas. Elle signifie simplement parfois la privation du droit d'être élu.
Il est légitime que le détenu soit inscrit dans un bureau de vote de la commune de son établissement pénitentiaire, car il s'agit de son domicile. Ce n'est pas tordre la réalité du droit.
Cependant, la difficulté évoquée est quasiment insoluble.
La réponse apportée par le rapporteur n'est pas satisfaisante, malgré tous ses efforts. Comment concilier la possibilité pour un détenu d'être pleinement citoyen, donc de voter - alors que ce n'est pas l'urgence première pour tous les citoyens français... - sans que son vote n'influe sur le résultat du scrutin de sa commune de rattachement, avec laquelle il n'a pas d'attache réelle ?
En 2019, le législateur pensait avoir trouvé une solution, mais elle s'avère peu satisfaisante.
Par ailleurs, les difficultés logistiques de l'administration pénitentiaire sont réelles. Elles ont été rappelées dans l'excellent rapport de Mathieu Darnaud.
Procuration, permission de sortie, correspondance : voilà le triple système existant. Inscrire systématiquement les détenus dans la commune siège n'est pas cohérent. Je ne suis pas sûre que l'exemple de Lille soit le plus pertinent, monsieur le ministre, mais je reconnais là votre esprit taquin...
Le rapporteur a proposé une solution hybride, mettant de côté les élections à circonscription nationale. L'élection présidentielle est celle qui intéresse le plus les Français, et sans doute aussi les détenus. (M. Louis Vogel le confirme.)
Ce système hybride n'est pas totalement satisfaisant. Nous avons déposé un amendement reprenant l'exemple norvégien, pour installer des urnes physiques dans les prisons. Peut-être en arriverons-nous même au vote électronique, qui sera un réel progrès.
Si notre amendement n'était pas adopté, nous nous abstiendrions.
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Olivier Bitz et Michel Laugier applaudissent également.) Le Sénat est très attentif au fonctionnement de notre démocratie, singulièrement de notre démocratie locale.
Ce texte vise à rétablir un équilibre nécessaire dans nos territoires.
La participation aux élections est l'un des principaux indicateurs de la vitalité de notre démocratie. La loi Engagement et proximité de 2019 comportait plusieurs dispositions destinées à accroître la participation de la population carcérale aux élections. La participation s'est améliorée depuis lors.
Le vote par correspondance entraîne la centralisation des voix des détenus au sein du chef-lieu de département. Pour les scrutins correspondant à une circonscription nationale, un tel décompte des voix n'est pas réellement problématique. En revanche, il en va autrement pour les scrutins locaux.
Agréger les voix des détenus au niveau du chef-lieu déséquilibre le décompte des voix de la commune. Les habitants doivent composer avec des électeurs qui ne fréquentent ni leur commune ni leur territoire. Les détenus représentent souvent 2 % des inscrits, voire 5 % et parfois jusqu'à 11 %.
Le rapporteur a opéré une distinction essentielle entre les scrutins au vu des contraintes logistiques présentées par la version initiale de la proposition de loi : le vote par correspondance serait possible uniquement pour les scrutins nationaux.
C'est le seul moyen d'éviter un résultat déséquilibré par l'agrégation artificielle des votes des détenus.
Le vote par procuration est une option sensible, dont le périmètre est accru par le texte. Il est très facile pour les détenus de trouver un mandataire. Cette proposition de loi est nécessaire pour garantir la représentativité des scrutins. Le groupe Les Indépendants votera unanimement en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Olivier Bitz et Michel Laugier applaudissent également.)
M. Antoine Lefèvre . - « La continuité sociale entre intérieur et extérieur est impérative si l'on veut limiter les risques de fracture à la sortie », comme le soulignait un rapport de 2010 sur le droit d'expression des détenus.
Les prisonniers sont en capacité de s'informer de la vie publique. Comme le disait Jean Favard, juge à la Cour de cassation, le « détenu-citoyen » est en mesure de participer activement à la vie de la nation.
La peine carcérale est un moyen de réapprendre les exigences de la vie civique, les droits et devoirs de la vie en collectivité.
Au 1er décembre 2024, sur 81 000 détenus, 57 000 demeuraient en capacité de voter. Depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, les détenus ne sont plus automatiquement déchus de leurs droits civiques. Cette déchéance des droits n'est utilisée qu'à titre résiduel par le juge : 0,7 % des peines en cours d'exécution.
Par ailleurs, dans sa décision Heurst contre Royaume-Uni de 2005, la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé que l'interdiction générale et automatique du droit de vote constitue une atteinte grave aux droits politiques, incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie.
Pour autant, les détenus n'ont été que 2 % à voter à l'élection présidentielle de 2017, et moins de 1 % aux législatives.
La procuration ne garantit pas la confidentialité du souhait de vote et la permission de sortie est rarement accordée par le juge.
Les détenus placés en détention provisoire, en sûreté ou longue peine ne peuvent se voir accorder de permission.
Lors de sa visite de l'Énap en 2018, le Président de la République avait promis de simplifier le droit de vote en détention. C'est ainsi que la loi Engagement et proximité a introduit le vote par correspondance, qui s'est traduit par une hausse de la participation des détenus.
Le succès de ce dispositif est réel : jusqu'à 22 % de participation des détenus à la présidentielle de 2022. Les détenus sont de plus en plus nombreux à manifester leur intérêt pour les élections.
Notre mission de législateur est d'accompagner cette évolution.
Cette proposition de loi remédie à certaines carences de la loi Engagement et proximité.
Le Conseil d'État, dans son avis sur ce dernier texte, avait relevé deux principaux écueils : tout d'abord, le vote dans le chef-lieu supprime le lien entre l'électeur et la commune de rattachement. Or ce lien est l'expression de l'appartenance territoriale de l'électeur, mais aussi le socle de la légitimité de l'élu.
Rétablir le vote des détenus dans leur dernière commune de résidence procède d'une intention louable et leur donne voix au chapitre dans cette commune. C'est une façon de les responsabiliser. La peine carcérale doit engager sur la voie de la réhabilitation.
Toutefois, il y a un risque de déséquilibre du corps électoral. Une forte participation des détenus pourrait éloigner la commune de la tendance locale majoritaire. Cela pourrait favoriser la contestation de la légitimité du scrutin, d'autant que la concentration des détenus inscrits peut totaliser jusqu'à 11 % du corps électoral de la commune.
Afin d'éviter une trop forte distorsion des résultats, la loi de 2019 avait prévu la création d'un bureau de vote virtuel.
J'avais moi-même assuré la présidence du bureau n°20 de la ville de Laon qui centralise les votes des détenus de Laon et Château-Thierry. Toutefois des critiques ont été émises, notamment sur la mobilisation du personnel sur une journée entière alors que l'activité est concentrée sur le seul temps de dépôt des bulletins par les directeurs des deux centres.
La proposition de loi comportait des écueils auxquels la commission a remédié. L'acheminement des bulletins de vote vers la commune de résidence ne pouvait s'effectuer par voie postale. Il aurait fallu acheminer les bulletins de vote dans autant de communes qu'il y aurait eu de détenus électeurs.
Rapporteur spécial du budget de la mission « Justice », je sais combien l'autorité judiciaire a besoin de concentrer ses investissements sur des besoins autrement plus pressants.
Il convient de s'interroger sur les désencombrements, régulièrement ordonnés pour désengorger rapidement une maison d'arrêt trop surpeuplée. Nous devons retrouver un seuil acceptable de concentration de la population carcérale, le temps que des places en centre de détention ou en maison centrale se libèrent en nombre suffisant.
En définitive, la version du rapporteur nous semble un choix de sagesse. Elle offre un compromis entre maintien du lien territorial et garantie du vote par correspondance, moyen de l'expression démocratique en détention. Elle s'inscrit dans la lignée de l'intention initiale du texte de notre collègue Laure Darcos, dont je salue l'ambition humaniste.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC.)
Discussion des articles
Article unique
Mme la présidente. - Amendement n°1 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - En supprimant la possibilité de vote par correspondance pour les municipales et régionales, le rapporteur porte atteinte au droit de vote des détenus.
Le vote par correspondance est une avancée et un succès, grâce auquel le détenu peut éviter des démarches administratives complexes.
Le vote par procuration ou lors d'une permission de sortie était rare. Les détenus ont été 11 229 à voter par correspondance au premier tour de l'élection présidentielle de 2022.
Le succès est là : 22,4 % de participation aux européennes de 2024, 21,8 % et 19 % pour les deux tours des élections législatives de 2024.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Nous partageons tous le souhait d'accroître la participation au vote des détenus. Mais un vote sans lien avec le territoire n'a aucune valeur démocratique. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Monsieur Benarroche, par principe, je ne veux pas être désagréable avec vous... (M. Guy Benarroche s'en amuse) mais avis défavorable.
Le vote par correspondance applicable aux Français de l'étranger est entaché d'un taux de nullité de 25 %. Il y a de tels enjeux de sécurité du vote qu'il n'a jamais été retenu pour les Français de l'Hexagone.
Vous souhaitez que les détenus puissent voter dans le lieu de leur résidence avant détention pour les élections municipales. C'est possible grâce au vote par procuration, dont les modalités ont été totalement assouplies.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°7 de M. Louis Vogel, au nom de la commission des lois.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Cet amendement technique précise la notion de circonscription unique. En effet, le code électoral décrit la Guyane et la Martinique comme des circonscriptions uniques. Il faut préciser qu'il s'agit là des élections organisées à l'échelle nationale.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis favorable.
L'amendement n°7 est adopté.
L'article unique, modifié, est adopté.
Après l'article unique
Mme la présidente. - Amendement n°2 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - C'est un amendement d'appel pour privilégier la permission de sortie pour motif électoral, qui est dans les faits très peu accordée. Selon l'Observatoire international des prisons, le nombre de permissions de sortie accordées sur ce motif était de 200 pour l'élection présidentielle et 113 pour les élections législatives de 2017.
Tous les détenus ne sont pas éligibles à la détention de sortie, à commencer par les détenus en détention provisoire, qui sont tout de même 30 % de la population carcérale.
L'effectivité du droit de vote des détenus dépend de la mise en place de modalités simples et accessibles.
Pour rappel, 93 % des personnes détenues votant pour l'élection présidentielle de 2022 ont voté par correspondance.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Il faut un contrôle de proportionnalité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On va dire ça comme ça...
M. Louis Vogel, rapporteur. - Il faut une appréciation au cas par cas, en fonction de la dangerosité des détenus. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - C'est un amendement d'appel, une déclaration d'intention.
Il y a une difficulté de fond : l'autorité judiciaire ne pourrait plus apprécier individuellement la dangerosité d'un détenu. Pour m'éviter d'abuser des avis défavorables, le mieux serait de retirer cet amendement. (Sourires)
M. Guy Benarroche. - C'était effectivement un amendement d'appel pour montrer l'importance du vote par correspondance.
L'amendement n°2 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°5 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie et du groupe SER.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Du sort de cet amendement dépend notre vote sur le texte. (Mme Laure Darcos s'en amuse.)
Nous souhaitons qu'à titre expérimental, un bureau de vote soit installé dans chaque établissement pénitentiaire. Les pays où un tel bureau est mis en place ont la plus forte participation. Nous demandons également un rapport évaluant l'impact de la mesure sur le taux de participation des détenus et les éventuelles difficultés logistiques rencontrées par l'administration pénitentiaire.
Le Sénat n'accepte jamais les demandes de rapport, certes, mais le ministre pourrait nous transmettre des éléments.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Cela existe déjà pour les élections nationales à circonscription unique.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pas partout.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Ce n'est pas prévu pour les élections locales. Avis défavorable. Je vous rejoins en revanche sur la demande d'éléments adressée au ministre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Suspense...
M. François-Noël Buffet, ministre. - Pas de suspense : le vote par correspondance au sein d'un lieu de détention existe, et perdure pour les élections nationales ; il est toujours organisé dans le lieu de détention. Retrait ou avis défavorable.
Nous n'avons aucune difficulté à vous fournir des éléments. J'appuierai votre demande auprès du garde des sceaux.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - Cet amendement va dans le même sens que le précédent, avec une ambition moindre. Nous ne demandons pas une expérimentation, mais un rapport.
L'instauration des bureaux de vote dans les lieux de détention n'a jamais été expérimentée, car considérée comme trop complexe. Le Danemark et la Pologne ont pourtant suivi cette voie. Au Danemark, la participation aux législatives de 2011 a atteint 60 % chez les détenus.
L'absence d'urne dans les prisons n'est pas sans conséquence, puisque les détenus doivent voter avant la période de réserve électorale. Le dépouillement à la Chancellerie pose également question, tout comme la décision de publiciser les résultats du vote des détenus en tant que catégorie à part, et non par zone géographique.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Nous avons débattu du fond. Sur la forme, notre assemblée n'a pas coutume de voter des demandes de rapport. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis défavorable.
Le vote dans les lieux de détention existe.
Prévoir le vote physique pour les élections locales reviendrait à rattacher les votes à la commune d'installation de la prison. Quant à installer une urne pour chaque commune de résidence de chaque détenu, nous ne saurions pas faire !
Je vous invite à vous rendre, en tant que parlementaire, dans un lieu de détention un jour de vote, c'est tout à fait intéressant.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et même un autre jour.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Laure Darcos . - Je remercie l'ensemble des groupes. Les échanges ont été très intéressants. Je remercie le questeur de m'avoir qualifiée d'humaniste. C'est dans cet esprit que j'ai rédigé ce texte, et aussi avec une vision politique - je pense notamment à la ville de Lille, pour les élections municipales à venir.
Je remercie tous ceux qui ont travaillé sur cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, il faudrait inscrire rapidement ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale si l'on veut qu'il soit effectif pour les élections municipales.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'intérieur . - Nous essaierons d'inscrire rapidement ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles : quelles actions pour protéger les consommateurs et lutter contre les fraudes et la spéculation ? » à la demande du groupe Les Indépendants.
M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Vous achetez des places pour un spectacle, des mois à l'avance, mais peu avant le jour J, patatras ! L'imprévu, la mouche dans le lait. Vous cherchez à récupérer au moins une partie de la somme, quitte à revendre votre place moins cher, pour en faire profiter quelqu'un. Sur le site d'achat, aucun remboursement possible ; pire, la revente à un particulier est interdite. C'est du vécu.
Et je ne suis pas seul. Les jeunes qui utilisent les réseaux sociaux pour pallier cette carence s'exposent aux arnaques.
Non sans naïveté, j'ai donc déposé il y a plusieurs mois une question écrite, restée sans réponse. Madame la ministre, vous n'étiez pas encore en fonction à l'époque... Je vous remercie d'ailleurs de votre écoute. (Mme Véronique Louwagie apprécie.)
Je m'inquiétais qu'un organisateur interdise à un particulier de revendre le billet en dessous de sa valeur faciale. Face à l'absence de réponse, j'ai poursuivi ma réflexion et déposé une proposition de loi élargissant le sujet aux événements sportifs et culturels. Mon objectif était simple : permettre à un consommateur de revendre un billet à un prix inférieur plutôt que de perdre totalement son investissement, tout en favorisant l'accès aux événements pour le plus grand nombre. C'est une question de pouvoir d'achat mais aussi d'égalité, dans l'accès aux loisirs et à la culture, et entre ceux pouvant se permettre de perdre de l'argent et les autres.
L'article 313-6-2 du code pénal interdit la revente de billets sans autorisation des organisateurs.
Mon initiative a mis en lumière un sujet connu et a suscité des réactions des professionnels. Elle est sans doute perfectible, mais les auditions ont révélé que le droit actuel n'était pas satisfaisant, ni pour les consommateurs, ni pour les organisateurs, car la digitalisation a favorisé les pratiques déloyales - achats massifs pour ensuite revendre plus cher, fraude, spéculation outrancière. Ces dérives ont donné lieu à plusieurs contentieux, relatés dans la presse.
UFC-Que Choisir pointe les risques de fraude et de spéculation - prix gonflés ou billets invalides.
Autre problème, le manque de transparence et les difficultés de référencement sur internet. La confusion entre plateformes fiables et sites frauduleux entretient un climat de défiance voire d'insécurité.
Une piste serait d'interdire la revente de billets au-dessus de leur valeur faciale, ainsi que toute revente avant le lancement officiel de la billetterie.
J'ai transformé ma proposition de loi en débat, car le texte initial aurait eu des effets en cascade. L'encadrement des pratiques doit s'accompagner de garanties sur la traçabilité des billets, la clarté des transactions et la responsabilité des plateformes. Sans garde-fous, on risque d'aggraver le problème.
L'objectif du débat est de poser les bases d'une évolution législative.
Plutôt qu'un remboursement ingérable, il faut un mécanisme sécurisé de revente pour lutter contre la spéculation et rassurer les acteurs. Les organisateurs pourraient internaliser ou externaliser les procédures tout en conservant leur liberté contractuelle. Certains ont déjà mis en place des solutions vertueuses et efficaces ; il faut s'en inspirer.
Les auditions ont aussi révélé la diversité des organisateurs, avec d'importantes différences selon la taille et le caractère sportif ou culturel de la manifestation.
L'instauration d'un système de revente serait bénéfique pour les organisateurs, qui pourront ainsi contrecarrer les pratiques déloyales des plateformes frauduleuses, lutter contre les marchés parallèles et la spéculation à la hausse sur les prix. Toutefois, elle ne suffira pas. Le renforcement des sanctions et des dispositifs de lutte contre la fraude est une autre priorité.
Notre droit doit évoluer. Je vous ai présenté plusieurs pistes, non exhaustives. Poursuivons ce débat de façon transpartisane, avec la sagesse qui caractérise notre Assemblée. Merci au groupe INDEP d'avoir permis ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Laurence Garnier applaudit également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. - Je vous remercie de porter ce sujet qui touche à la vie de nos concitoyens. Oui, nous devons réfléchir à l'encadrement de la revente des billets. Merci d'avoir transformé votre proposition de loi en débat, au vu des difficultés juridiques.
Pas moins de 42 % des Français de moins de 35 ans se déclarent coutumiers de ces pratiques, qui se sont développées avec les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP).
Je suis prête à engager une concertation ou un dialogue associant les organisateurs, les plateformes et les parlementaires.
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La revente illégale de billets menace l'intégrité des événements sportifs et culturels et met en danger les consommateurs. Je remercie le groupe Les Indépendants d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour.
Le 28 mai 2022, la finale de la Ligue des champions a tourné au chaos. Des milliers de supporters munis de billets authentiques ont subi une attente interminable. Certains ont même été agressés. Une enquête de l'UEFA a conclu à une mauvaise organisation. Ces événements ont terni l'image de notre pays et ébranlé la confiance des spectateurs.
La protection des consommateurs et la lutte contre la fraude à la billetterie sont des problématiques récurrentes, contre lesquelles nous devons agir. Mais notre arsenal législatif n'est pas suffisant.
En dépit de la loi du 12 mars 2012, les plateformes illégales prospèrent. Elles vendent des billets à des prix exorbitants, pour des places parfois inexistantes.
Il faut d'abord renforcer contrôles et sanctions. La DGCCRF doit pouvoir intensifier ses contrôles. Les sanctions doivent être alourdies.
Il faut ensuite mieux encadrer la vente en ligne, en développant des partenariats entre plateformes, organisateurs et pouvoirs publics.
Enfin, il faut sensibiliser le public. Les campagnes d'information ont un réel impact sur la limitation de la demande sur le marché noir.
Mais la fraude ne connaît pas de frontières. Une réponse nationale ne suffira donc pas. Depuis la guerre en Ukraine, les fraudes visant les institutions culturelles et touristiques explosent. Exemple : le musée Anne Frank à Amsterdam est victime de nombreux sites miroirs, tenus par des hackers russes, qui vendent des billets 800 euros au lieu de 30...
La lutte contre la fraude à la billetterie doit s'adapter aux nouvelles pratiques du numérique et aux méthodes toujours plus sophistiquées des fraudeurs. Chaque scandale abîme la confiance des spectateurs et l'image de nos territoires. Nous devrons faire évoluer notre législation pour renforcer les contrôles, responsabiliser les plateformes et harmoniser les règles à l'échelle européenne.
Cette situation pénalise avant tout nos concitoyens, notamment ceux des classes populaires. Des billets sont revendus parfois à vingt fois leur prix initial ! Le sport et la culture doivent rester des espaces de passion, où la spéculation n'a pas sa place. Soyons des arbitres inflexibles ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Pierre-Antoine Levi . - La revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles est un sujet d'actualité, après les JOP qui ont mis en lumière les avantages et les limites du système actuel. Nous devons réfléchir à l'équilibre de notre cadre législatif.
L'article 313-6-2 du code pénal interdit la revente de billets sans l'autorisation des organisateurs, sous peine d'amende. Cette disposition est sécurisante mais peu adaptée aux pratiques contemporaines.
L'expérience des JOP l'a montré : la gestion centralisée de la billetterie a évité des incidents dramatiques, comme ceux qui ont marqué la finale de la Ligue des champions de 2022, mais de nombreux spectateurs ont regretté l'impossibilité de revendre des billets pour des épreuves moins courues, à un prix ajusté à la demande.
Le contrôle des entrées dans les stades et les salles de spectacle est lié à des impératifs de sécurité publique. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel en 2018, de nombreuses mesures de sécurité reposent sur l'identification précise des spectateurs : interdiction d'accès, contrôle du placement, etc. Elles seraient entravées par une libéralisation excessive de la revente sur des plateformes tierces, au risque de mettre en péril la sécurité collective.
Le fichier des interdits de stade est un outil de sécurité, protégé par le RGPD et contrôlé par la Cnil. Il n'est accessible qu'aux organisateurs d'événements. Permettre aux plateformes tierces d'intervenir dans la chaîne de billetterie impliquerait la transmission de données personnelles sensibles à des acteurs extérieurs, ce qui constituerait une violation grave des règles de confidentialité et de sécurité.
L'impossibilité pour ces plateformes de garantir une authentification fiable des spectateurs créerait des failles potentiellement dangereuses dans notre dispositif de contrôle.
Le contentieux lié à la revente illicite de billets a augmenté de 200 % entre 2018 et 2022, signe qu'il nous faut renforcer notre dispositif de contrôle et de répression.
Des plateformes comme Ticombo ont attaqué l'UEFA pour abus de position dominante. Elles estiment qu'en encadrant trop strictement les pratiques, on ne donne pas d'autre choix au consommateur que de se tourner vers les réseaux sociaux ou des plateformes non encadrées.
Il faut toutefois souligner les risques associés à une libéralisation excessive : marché noir, fraude... Des circuits non régulés favorisent la circulation de faux billets, comme on l'a vu dans le football.
Comment améliorer notre dispositif ?
Nous devons soutenir la DGCCRF dans ses missions de contrôle et de répression, en renforçant ses moyens humains et techniques.
Nous devons encourager les organisateurs à développer des plateformes de revente officielles plus performantes, flexibles et accessibles. La billetterie de Paris 2024, malgré quelques critiques, est un exemple ; une amélioration possible serait d'assouplir les prix de revente pour les événements moins demandés.
Nous pourrions aussi étudier la possibilité d'un agrément strict pour des plateformes de revente respectant un cahier des charges rigoureux.
Ce modèle, qui maintient le principe d'autorisation tout en l'élargissant à des acteurs sérieux, offrirait une voie d'évolution sans renoncer aux principes fondamentaux de notre système.
Enfin, une campagne d'information du grand public me semble indispensable. Nos concitoyens doivent être sensibilisés aux risques qu'ils encourent sur les plateformes non autorisées.
Alors que 42 % des moins de 35 ans revendent régulièrement des billets, nous devons encadrer cette pratique, non la nier. La lutte contre la fraude et la protection des données personnelles doivent demeurer des priorités, mais nous pouvons répondre aux attentes des consommateurs tout en préservant l'intégrité de notre modèle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jérémy Bacchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.) Après les réseaux de distributeurs comme France Billet et Ticketnet, nés dans les années 1990, l'avènement du commerce en ligne a vu le développement de la billetterie en ligne, qui s'est fortement accéléré.
Sur les 113 opérateurs de billetterie du marché, quatre se taillent la part du lion : France Billet, Ticketmaster, See Tickets et Veepee. Ce quasi-monopole d'acteurs financiarisés, souvent étrangers, fait primer les logiques capitalistiques au détriment des acteurs tiers. La diversité culturelle est l'un des biens les plus précieux de notre nation, or l'émergence de grands groupes soucieux de rentabilité immédiate conduit de facto à écarter les petits acteurs de diffusion.
Cette position dominante a conduit à des pratiques jugées anti-concurrentielles par l'Autorité de la concurrence. En 2012, la Fnac, France Billet et Ticketnet ont été condamnés pour entente ; en 2019, une enquête de la DGCCRF pour pratiques commerciales déloyales a révélé dix anomalies sur douze plateformes contrôlées.
Nous devons réagir face à cette domination du capital et à cette dépossession numérique. L'objectif devrait être non de maximiser les recettes et le remplissage, mais de promouvoir l'accès à la culture.
Il faut distinguer revendeurs professionnels et revendeurs occasionnels afin de viser les reventes organisées, spéculatives ou frauduleuses. Interdire une plateforme de revente occasionnelle inciterait les usagers à se tourner vers des offres illicites. Dans un cas, il s'agit de faire du business, dans l'autre, d'échanger entre particuliers.
Un dialogue entre les organisateurs de spectacle et les plateformes d'échange pourrait aboutir à une meilleure traçabilité des billets, ou à étaler dans le temps la mise en vente pour limiter le risque d'achat massif et d'anticipation des revendeurs. Oui à l'encadrement des plateformes de revente agissant en qualité de tiers de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du GEST)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La revente de billets pour les événements sportifs et culturels a pris de l'ampleur avec l'essor des plateformes numériques. Si elle répond à un besoin des consommateurs, elle est un terreau fertile pour la fraude et la spéculation.
La loi interdit par défaut la revente de billets sans l'autorisation des organisateurs, moyennant des sanctions pouvant aller jusqu'à 15 000 euros d'amende, 30 000 euros en cas de récidive. Cela préserve le contrôle des organisateurs sur la tarification et la distribution de billets.
Alors que certains revendeurs acquièrent des billets en masse pour les revendre à des prix exorbitants, ce contrôle est indispensable.
Mais des problèmes demeurent. Lors des JOP de Paris 2024, la plateforme officielle de revente imposait des règles strictes : la revente devait se faire au prix d'achat, même en cas de demande faible.
Toutefois, interdire la revente n'est pas une solution viable et serait même contreproductif pour lutter contre les abus. De nombreux spectateurs sont contraints de revendre leurs billets pour des raisons personnelles. Sans alternative officielle ou si les conditions sont trop contraignantes, ils se tournent vers des marchés parallèles peu sécurisés.
Des pistes existent pour concilier contrôle et liberté de revente encadrée. Nous pourrions ainsi envisager une certification des plateformes de revente.
Derrière la revente de billets, il y a le combat pour la démocratisation du sport et de la culture. Les passionnés doivent pouvoir continuer à accéder aux événements. Alors que le contexte est à la baisse des crédits pour le sport et la culture, avec la suppression du pass Culture pour les moins de 17 ans, la culture et le sport doivent rester des espaces de partage et d'émotion accessibles à tous.
Profitons de ce débat pour envisager des solutions pérennes d'encadrement des plateformes de revente. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes CRCE-K et INDEP)
M. Jean-Jacques Lozach . - Nous nous accommodons du retrait de la proposition de loi, dont nous cernions mal l'origine et l'objectif réel. Elle libéralisait la revente sans fournir de garanties suffisantes aux organisateurs et aux consommateurs.
Les spectateurs détenteurs de billets doivent pouvoir accéder en toute sécurité à des manifestations organisées sur le territoire national.
La loi du 12 mars 2012 a marqué une avancée dans la lutte contre la fraude. L'incrimination pénale de la revente illicite a eu un effet dissuasif.
Des contrôles sont menés par la DGCCRF et des contentieux contre certaines plateformes de revente ou d'échange sont engagés. Mais la procédure est longue avant la condamnation, et n'est pas une réponse adaptée pour lutter contre le développement des pratiques frauduleuses.
Les incidents survenus lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai 2022 ont occasionné des troubles à l'ordre public et d'importants risques sécuritaires. Le préfet Michel Cadot recommandait dans son rapport d'adopter une chaîne cybersécurisée de vente de billets électroniques, non transférables, uniquement transmis par l'organisateur et munis d'un QR code rotatif utilisant la technologie blockchain.
Un décret a précisé en 2023 les conditions dans lesquelles les organisateurs de manifestations sportives sont soumis à l'obligation de prévoir des titres d'accès nominatifs, dématérialisés et infalsifiables.
Roland-Garros et la Coupe du monde de rugby de 2023 ont anticipé ces évolutions. L'utilisation de ces dispositifs lors des JOP a concouru à leur succès, en garantissant la sécurité.
La revente spéculative nuit à tout l'écosystème sportif. Elle obère l'accès à des événements qui doivent rester populaires et pénalise les organisateurs, qui sont propriétaires et seuls détenteurs du droit d'exploitation des manifestations sportives qu'ils organisent. C'est un droit de propriété incorporelle sui generis, comme pour les oeuvres protégées par le droit d'auteur.
Fragilisés par un contexte atone et par la baisse du financement public et privé du sport, les organisateurs subissent un important manque à gagner puisqu'ils ne touchent aucune rémunération sur la revente de billets par des plateformes avec lesquelles ils n'ont pas contractualisé.
Leur intérêt légitime est de contrôler au plus près la chaîne de valeur générée par l'événement, de fixer eux-mêmes leurs conditions générales de vente, alors que la billetterie représente une recette vertueuse. Nombre d'entre eux ont internalisé leur système de billetterie et développé leur propre bourse de revente ou d'échange sécurisée. La plateforme centralisée de Paris 2024 illustre ce succès, avec 874 000 billets rétrocédés sur les 12 millions de billets vendus.
Ainsi sommes-nous favorables au maintien du cadre actuel et rejetons ce qui pourrait le fragiliser.
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La proposition de loi de notre collègue a suscité de nombreuses réactions : des incompréhensions, mais aussi nombre de soutiens. Preuve que le débat est nécessaire.
Il n'est pas rare qu'un imprévu vous empêche d'assister à un événement pour lequel vous aviez acheté un billet. Or il n'est pas toujours possible de se faire rembourser ou de revendre son billet.
Des spectateurs, en dernier recours et faute d'alternative, revendent leur billet sur des plateformes aux pratiques parfois répréhensibles - au détriment des organisateurs.
Les auditions ont montré qu'une évolution du cadre législatif était nécessaire. La proposition de loi revenait sur l'interdiction de revente par des tiers, conçue pour protéger les consommateurs des pratiques déloyales, mais qui, dans les faits, les empêche de revendre sereinement leurs billets.
Les organisateurs doivent pouvoir maîtriser les modalités de revente des billets. Ils ont besoin d'être protégés, surtout les plus petits, face aux plateformes, souvent installées à l'étranger. C'est l'absence de système de revente qui a contribué au développement d'un marché parallèle.
Il faut lutter contre la fraude et la spéculation à la hausse sur les prix. Des plateformes achètent les billets en masse dès leur mise en vente puis les revendent bien plus cher, quand le site officiel affiche complet. Cette pratique est vieille comme le monde, mais prend des proportions industrielles avec internet. On ne peut laisser perdurer ces dérives.
Les organisateurs ne disposent pas tous des mêmes leviers face à ces pratiques. Les moyens financiers ne sont pas les mêmes. Ainsi, le monde du sport s'est adapté plus rapidement que celui de la culture.
Juridiquement, les billets sont des droits d'accès, et l'organisateur reste maître dans l'attribution des places. Il peut ainsi interdire l'accès à un match sur critère nominatif afin d'éviter de potentielles violences.
Une réforme de notre droit est indispensable pour lutter contre la fraude et la spéculation et mieux protéger les consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Laurence Garnier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On dit parfois que le législateur traite de problèmes complexes qui n'intéressent pas nos concitoyens. Ce matin, nous nous adressons à tous les Français qui aiment le sport et la culture.
Comment protéger le consommateur ? Comment lui permettre de revendre des places de concerts ou d'événements sportifs auxquels il n'a pas pu se rendre ? Beaucoup de Français ont déjà été arnaqués en achetant des billets sur des plateformes illégales. En dix ans, le nombre de litiges a été multiplié par trois. Merci à M. Chevalier de mettre en lumière ces risques.
Avant de faire évoluer la loi, nous devons analyser le cadre juridique existant, ses vertus et ses manques.
Le code pénal interdit la vente de billet sans autorisation de l'organisateur et la punit de 15 000 euros d'amende. Cela constitue de fait un monopole de la revente par l'organisateur, défavorable au consommateur, et entraîne un risque de contournement via l'achat ou la revente sur les réseaux sociaux.
Mais si on libéralise trop rapidement ce système, les Français nous reprocherons à juste titre de les avoir exposés aux fraudes.
Les événements sportifs récents ont éprouvé le cadre juridique actuel. Mai 2022, la vente de faux billets par centaines contribue à la cacophonie et à l'anarchie lors de la finale de la Ligue des champions. Juillet 2022, la commission d'enquête sénatoriale remet ses conclusions et formule des recommandations. Juillet 2024, les JOP se déroulent remarquablement. Les organisateurs étaient seuls gestionnaires de la billetterie, entièrement numérique, avec une plateforme unique de revente officielle qui a permis de revendre près de 900 000 billets.
Le cadre juridique existant n'est pas parfait, l'UFC-Que Choisir en a souligné les limites. Mais il a évité la spéculation sur le prix des billets et les fraudes massives constatées en 2022. Avant de changer le cadre légal, pesons bien les risques que l'on ferait peser sur les consommateurs, au regard du gain attendu.
Sensibiliser les consommateurs au cadre légal les protégerait dans un premier temps - d'autant qu'aucune étude n'affirme que libéraliser le marché limiterait les fraudes.
L'idée du tiers de confiance est à étudier, sous réserve de lever certaines incertitudes juridiques. La possibilité de modifier le prix des billets uniquement à la baisse est aussi une piste. Il faut également réfléchir aux contrôles et aux sanctions concernant les activités de billetterie en ligne - je pense à l'hameçonnage des données bancaires sur les sites internet du parc Astérix et du musée d'Orsay.
Madame la ministre, vous avez là un beau dossier. Je conclus en saluant l'engagement des agents de la DGCCRF. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Teva Rohfritsch . - Ce sujet devait initialement faire l'objet d'une proposition de loi encadrant l'activité des plateformes de revente de billets agissant en qualité de tiers de confiance afin de lutter contre la spéculation et les marchés parallèles.
La loi du 12 mars 2012 a interdit la revente de billet sur des plateformes sans autorisation expresse de l'organisateur. Si l'objectif recherché par le législateur était légitime et a été en partie atteint, cela crée des difficultés.
Je remercie le groupe Les Indépendants de nous donner l'occasion d'en débattre.
Les Français, notamment les plus jeunes, sont nombreux à acheter des billets à des intermédiaires quand les organisateurs n'en proposent plus, soit sur les bourses officielles, ou, plus souvent, sur des plateformes tierces ou des réseaux sociaux où ils s'exposent aux arnaques.
La proposition de loi tirait la conséquence de l'inadéquation entre le droit et les pratiques.
Elle prévoyait le droit de tout consommateur de revendre ses billets sur une plateforme numérique agréée, cassant ainsi le monopole des organisateurs. Cela entraînait des difficultés, notamment sur le caractère nominatif de certains billets et la concurrence entre les plateformes agréées et les autres.
La lutte contre les fraudes et la spéculation participe à la protection des consommateurs. Les épisodes de fraude massive récents ont montré les limites de la loi du 12 mars 2012. En témoigne l'exemple désolant de la finale de la Ligue des champions de 2022, qui avait donné lieu à des scènes de chaos logistiques et sécuritaires, notamment liées à ce problème de billets.
Les faux billets circulent aussi dans le monde de la culture, notamment à cause de sites miroirs frauduleux dont le musée d'Orsay et Notre-Dame de Paris ont fait les frais récemment. Nous nous réjouissons de l'annonce par la ministre de la culture de la publication prochaine d'un décret sanctionnant ces arnaques.
Une des solutions réside dans la généralisation des bourses aux billets. De nombreux organisateurs s'en sont dotés, comme ceux des JOP, avec 815 000 billets olympiques et 59 000 paralympiques revendus. Mais ce n'est pas infaillible : de nombreux sites miroirs ont été créés lors des jeux. En outre, les plus petites structures ne peuvent se doter de tels supports numériques.
Le débat reste ouvert et nous serons ravis, madame la ministre, d'entendre vos réflexions. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Adel Ziane . - Ce débat pose la question de l'accès à la culture et celui des dérives. Notre législation doit être à la hauteur des enjeux. Nous, législateurs, devons être exigeants.
La proposition de loi que nous devions examiner nécessite un travail d'approfondissement pour éviter de consacrer la légalisation d'un système qui pénalise les ayants-droits, les organisateurs et les consommateurs.
Des plateformes comme Viagogo ont déjà été condamnées à plusieurs reprises pour leurs pratiques frauduleuses. Libéraliser sans garantie, c'est leur donner un blanc-seing. Le groupe SER se félicite donc du retrait de la proposition de loi.
Pour autant, le statu quo n'est pas satisfaisant. La spéculation sur les titres d'accès aux lieux culturels est une menace. Comment accepter les tarifs exorbitants de certains billets revendus ?
La plateforme de revente officielle de l'Opéra de Paris laisse le revendeur fixer librement le prix de revente, mais ce dernier ne peut excéder la valeur faciale du billet. C'est une initiative vertueuse, mais inaccessible aux petites salles et aux festivals indépendants.
Les condamnations tombent, mais les pratiques perdurent. Il est inadmissible que des consommateurs se fassent flouer en toute impunité. Ne tombons pas dans le piège du laxisme, mais évitons aussi l'immobilisme.
Le groupe SER considère qu'un marché encadré de la revente de billets pourrait constituer une solution viable s'il est régi par trois principes : les plateformes doivent être gérées par les organisateurs eux-mêmes ou des tiers agréés ; le prix de revente doit être encadré ; il faut renforcer la lutte contre la fraude.
Qu'en pense le Gouvernement ? Nous vous appelons à travailler avec les ayants droit et les associations de protection des consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je salue l'initiative du sénateur Chevalier, qui ouvre un débat nécessaire sur une pratique largement répandue chez les Français, notamment les plus jeunes.
Le Gouvernement demeure ouvert à un dialogue constructif et approfondi à l'avenir.
La décision de transformer la proposition de loi en débat est particulièrement louable ; elle traduit une méthode de travail exemplaire, marquée par une véritable écoute des différents acteurs concernés. Monsieur le sénateur, je vous en remercie chaleureusement.
L'idée de faciliter la revente de billets est en effet séduisante pour de nombreux concitoyens. Cependant, les incidents comme ceux de la finale de l'Euro au Stade de France montrent que les risques de fraude aux faux billets restent très élevés.
La loi de 2012 ne permet pas à la DGCCRF d'intervenir, sinon sous l'angle des pratiques commerciales trompeuses. Les plateformes étrangères sont difficilement atteignables.
Le Gouvernement n'aurait pas pu soutenir la proposition de loi en l'état. Un billet ne représente qu'un droit d'accès soumis à certaines conditions, et non un droit de propriété. Ce principe essentiel serait remis en cause par une revente sans autorisation de l'organisateur.
De plus, le texte soulevait un enjeu sérieux de sécurité publique, car les personnes interdites de stade pourraient ainsi accéder aux matchs.
La proposition de loi ne contenait pas de garanties de droit suffisamment solides. Elle entraînait un risque de fraude et de marché noir accru. Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de l'existant.
Notre approche sera fondée sur la concertation avec les acteurs. Vous avez été nombreux à formuler des propositions, qui nourrissent opportunément le débat.
Je souligne la volonté du Gouvernement de poursuivre le travail engagé en collaboration avec la ministre des sports, la ministre de la culture, et toutes les parties prenantes, dont vous-même, monsieur Chevalier.
Nous chercherons à atteindre un consensus efficace. Je reste à votre disposition. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants . - Je vous remercie sincèrement, chers collègues, de la pertinence et de la qualité de vos interventions.
J'ai apprécié les éclairages des différents groupes, notamment méthodologiques, et leurs propositions de pistes de travail.
Il faut toucher ces textes avec prudence, le remède pouvant être pire que le mal. J'ai senti néanmoins l'envie collective de faire évoluer les choses, y compris de votre côté, madame la ministre.
Le travail n'est pas achevé, avec l'envie collective d'éviter la fraude et les arnaques tout en permettant à nos concitoyens d'accéder facilement aux manifestations sportives et culturelles. (M. Adel Ziane applaudit.)
La séance est suspendue à 13 heures.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Journée internationale de la Francophonie
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, se lèvent.) Madame la ministre, mes chers collègues, nous célébrons aujourd'hui la Journée internationale de la Francophonie.
La Francophonie, à laquelle le Sénat a toujours apporté un soutien sans faille, est d'abord une communauté linguistique, rassemblant plus de 320 millions de locuteurs. Au-delà, elle est surtout une communauté humaine et culturelle, constituée des liens profonds tissés par nos peuples au fil du temps.
La Francophonie est aussi, bien sûr, une communauté de principes et de valeurs, comme la paix, le dialogue, les droits humains et la tolérance : des idéaux si importants dans un monde traversé par la violence et les divisions géopolitiques, menacé par les extrémismes et fragilisé par la désinformation.
Du 9 au 13 juillet prochain, le Sénat organisera, conjointement avec l'Assemblée nationale, la 50e session de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), en coordination étroite avec cette dernière et avec la section française de l'APF. Il aura ainsi le plaisir et l'honneur d'accueillir les quelque cinq cents participants, venus de tous les pays francophones, qui sont attendus à ce grand événement.
La séance est suspendue quelques instants.
Personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement, et par toutes les femmes, avant la loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, présentée par Mme Laurence Rossignol et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Discussion générale
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE) Je remercie mon groupe d'avoir inscrit ce texte dans son espace réservé. Je remercie Christophe-André Frassa pour son soutien et ses amendements d'amélioration et la commission des lois pour son vote unanime.
Il y a un peu plus d'un an, dans les débats précédant la constitutionnalisation de l'IVG, certains s'interrogeaient : n'était-ce pas importer des débats extérieurs à la France ? La menace aurait été lointaine, improbable. Il n'aurait pas fallu surréagir.
Depuis, J. D. Vance est venu à Munich expliquer aux Européens que les lois légalisant l'IVG étaient une atteinte à la liberté de conscience. Une chaîne de télévision, C8, a diffusé un film militant hostile à l'IVG. Le mouvement anti-choix a franchi les frontières des États-Unis. Il bénéficie de soutiens médiatiques et financiers colossaux.
Nul n'a mieux que Simone Veil décrit le drame humain et sanitaire des avortements clandestins. Le 16 janvier dernier, un collectif d'historiennes, dont Michelle Perrot et Christelle Taraud, a publié une tribune demandant la réhabilitation des femmes injustement condamnées avant 1975. C'est l'origine de la présente proposition de loi, visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur la base des législations pénalisant l'avortement avant 1975.
En matière d'avortement, il n'y a que deux options : avortement légal ou avortement clandestin. Interdire l'avortement, c'est donc renvoyer les femmes vers l'avortement clandestin. Au début du XXe siècle, près de 500 000 avortements clandestins étaient réalisés chaque année, et trois femmes mouraient chaque jour d'un avortement clandestin.
Depuis l'Antiquité, les États répriment l'avortement, et les femmes continuent pourtant d'avorter. Le documentaire Il suffit d'écouter les femmes le montre : une femme qui veut interrompre sa grossesse est prête à tout pour y parvenir, fût-ce au péril de sa vie.
Notre pays s'est longtemps montré très déterminé à contrôler la natalité et à priver les femmes de leur liberté de choix. Le code napoléonien en atteste. Le corps médical s'est structuré autour d'une doctrine anti-avortement. En 1920, les peines ont même été durcies. Et pourtant, il y a toujours eu plusieurs centaines de milliers d'avortements par an. Sous Vichy, l'avortement est même devenu un crime d'État, exposant celle qui l'avait pratiqué à être guillotinée.
Les étudiants qui travaillent à un recensement à partir des registres de la cour d'appel de Caen ont inventorié trente condamnations, rien qu'en appel, pour la seule année 1946 dans trois départements. Dans le contexte de l'après-guerre, une politique nataliste offensive était menée : les femmes devaient repeupler la France.
L'interdiction d'avorter faisait alors l'objet d'un double consensus, médical et politique, aggravé par l'absence des femmes dans ces deux domaines. Les hommes ont décidé seuls. Sans doute la seule connaissance de l'avortement qu'avaient les hommes chargés de ces questions était-elle celle de l'avortement de leur maîtresse...
La propagande anti-avortement est fournie et dense : L'avortement fléau national, publié en 1943 et dédicacé par Pétain, en est un exemple. Dans les années 1950, si le substrat est différent, la conclusion est la même.
Pourtant, des femmes au courage insensé ont milité pour le droit d'avorter. Je pense notamment à Nelly Roussel et Madeleine Pelletier. Rendons hommage à leur combat précurseur.
En 1956, le planning familial est créé, d'abord appelé la maternité heureuse - il fallait ruser. Mais que la route fut longue jusqu'en 1975 ! Il fallut le mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC), les cars vers l'Angleterre, le courage de Gisèle Halimi, le manifeste des 343, pour qu'enfin on range les aiguilles à tricoter, les cintres, l'eau de javel et les cocktails de médicaments, pour qu'on en finisse avec le curetage à vif à l'hôpital - « comme cela, ma petite fille, vous y penserez la prochaine fois ! »
La proposition de loi reconnaît l'ensemble des souffrances que ces femmes et leurs familles ont subies, y compris la honte qu'elles ont ressentie. Pour l'avortement comme pour le viol, la honte doit changer de camp.
Dans son article 2, elle instaure un comité chargé de recueillir les témoignages et de documenter l'histoire des femmes.
Je dédie ce texte aux millions de femmes auxquelles l'avortement est refusé et à celles qui luttent pour le défendre. Je pense en particulier aux 38 millions de femmes qui sont obligées dans le monde de recourir à un avortement clandestin ou non sécurisé.
La France fait partie des États qui ne plient pas. Dans notre pays, le consensus est solide. Je me réjouis de l'adoption imminente de cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi pose une question fondamentale : est-il nécessaire que la loi reconnaisse la souffrance des femmes qui ont subi le drame de l'avortement clandestin avant la loi Veil ? La commission des lois a répondu positivement.
Sa position aurait pu être différente s'il s'était agi d'une simple loi mémorielle. Mais il ne s'agit pas de déterminer les bons et les mauvais. La souffrance des femmes du fait de l'avortement clandestin est indiscutable. La proposition de loi la reconnaît officiellement, et cette reconnaissance favorisera le travail de mémoire en facilitant les témoignages.
Bibia Pavard et Isabelle Foucrier ont commencé à recueillir des témoignages de femmes pour l'Institut national de l'audiovisuel (INA). C'est parce qu'une institution officielle s'est intéressée au sujet que les témoignages ont afflué, nous ont-elles dit. La variété des situations et des traumatismes a enfin trouvé à s'exprimer. Mais ce travail n'en est qu'à ses débuts : moins de 20 % des témoignages ont été recueillis.
Un cadre adéquat est requis, dans lequel la mémoire sert de base à un travail historique et de recherche. D'où la volonté de la commission de faire siéger des historiens et des chercheurs dans la commission nationale instaurée par l'article 2, en accord avec Mme Rossignol.
Ce texte prévoit une reconnaissance ; il n'instaure pas un dispositif d'indemnisation. C'est pourquoi nous avons remplacé le terme « préjudice » par les termes « souffrances » et « traumatismes », pour éviter les confusions. Serait-il légitime de compenser de la même façon ceux qui ont agi par humanité et ceux qui ont fait commerce de la souffrance des femmes ? La loi ne peut pas choisir les bonnes victimes.
Notre volonté commune est de faire face à la réalité historique de l'avortement clandestin. Dans son célèbre discours devant l'Assemblée nationale, Simone Veil a insisté sur la nécessité de mettre fin à des lois devenues contraires aux moeurs et inapplicables. Le texte issu de la commission des lois, adopté en accord avec son auteur, nous paraît équilibré. Sous réserve de l'adoption de l'amendement de M. Reichardt, la commission des lois vous invite à le voter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Nous regardons en face notre propre histoire, faite de souffrance et d'injustice mais aussi de courage et de détermination. De conquête, aussi : les femmes se sont battues pour la liberté de maîtriser leurs corps et de choisir leur destin, liberté qui n'aurait jamais dû leur être arrachée. Oui, la République doit reconnaître et se souvenir.
Jusqu'en 1975, plus de 11 660 personnes ont été condamnées pour avoir avorté ou aidé à avorter. Sous le régime de Vichy, l'avortement était même un crime contre la sûreté de l'État, passible de la peine de mort. Certaines se passaient en secret le nom d'un médecin. D'autres ont vécu les tables de cuisine, les cataplasmes brûlants, les cintres tordus, les fils de fer, finissant parfois à l'hôpital sous les regards inquisiteurs. Ma mère fut l'une de ces jeunes filles, sur qui reposait le péché, la faute, la honte.
Ces avortements clandestins, on vous les faisait payer : ils se finissaient par des curetages sans anesthésie. Certaines ne pouvaient plus jamais devenir mère, car il fallait expier la faute. Ménagères, laborantines, étudiantes, ces femmes ont été décrites par Gisèle Halimi dans sa plaidoirie de 1972 : elles appartenaient toujours à la même classe des femmes sans argent et sans relations. Et il y avait celles et ceux qui les ont aidées ; médecins, infirmières, militantes, mères, soeurs, filles.
Cette proposition de loi est un acte de justice envers ces milliers de vies brisées, un acte d'hommage envers celles et ceux dont le courage a pavé notre chemin et que nous voulons réinscrire solennellement dans l'histoire des droits humains et des droits des femmes. C'est l'histoire de combattantes et combattants, citoyennes et citoyens, qui ont milité pour que les femmes puissent décider par elles-mêmes.
C'est l'histoire du manifeste des 343, coup de tonnerre qui a poussé la société française à regarder en face sa propre hypocrisie. C'est l'histoire de Gisèle Halimi, qui a créé en 1971 Choisir la cause des femmes. C'est l'histoire, à l'automne 1972, du procès de Bobigny, celle de Marie-Claire Chevalier livrée aux tribunaux par son propre agresseur ; sa mère et trois autres femmes ont été poursuivies pour l'avoir aidée.
La victoire de 1975 fut arrachée de haute lutte. Simone Veil a subi à la tribune de l'Assemblée nationale le mépris, les insultes et les pires attaques, notamment antisémites. Mais elle est restée debout, pour toutes celles qui auraient risqué leur vie sans cette loi, pour dire que le temps des hypocrites était révolu.
En cette année anniversaire de la loi Veil, nous fêtons aussi la première année de l'inscription dans la Constitution de la liberté garantie d'avorter. Sans le Sénat, rien n'aurait été possible. Ce n'est pas le point final de nos combats, mais une déclaration : la liberté et la dignité des femmes sont des valeurs fondamentales, et la République ne transigera jamais avec elles.
Ma génération a grandi en pensant que certaines conquêtes étaient irréversibles. Nous avions tort. Nous sommes à un moment de bascule : partout dans le monde, les forces néoconservatrices et l'intégrisme islamiste progressent. Leur objectif est toujours le même : reprendre le contrôle sur nos corps et nos consciences. Simone de Beauvoir nous l'avait dit : « Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».
Nous avons le devoir de réparer, d'alerter, de rendre justice à celles qui ont combattu dans l'ombre et à celles qui ont payé parfois de leur vie le simple droit de disposer librement d'elle-même. La liberté des femmes n'est pas une concession, mais une conquête. Nous devons l'honorer, la protéger et la transmettre, pour être à la hauteur de nos mères et de nos filles. (Applaudissements)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Agnès Evren applaudit également.) Il y a un an, nous étions réunis en Congrès pour inscrire dans la Constitution la liberté des femmes de disposer de leurs corps. Cinquante d'entre nous ont voté contre, par opposition à la démarche, à l'avortement lui-même ou jugeant qu'il s'agissait d'un débat étranger à la France.
Mais nous ne vivons pas sur une planète à part. Ce que nous disons ici résonne au-delà de nos frontières.
Il y a quelques jours, plusieurs d'entre nous, dont Laurence Rossignol, étaient à New York pour la Commission des Nations unies sur la condition de la femme. Madame la ministre, vous avez conduit une délégation française historiquement importante, composée d'élus, d'associations et de membres de la société civile. Nous étions une centaine de Français, c'est inédit.
Dominique Vérien, présidente de notre délégation aux droits des femmes, a attiré mon attention sur cet extrait de la déclaration finale des États-Unis : « Le gouvernement des États-Unis n'encouragera plus les idéologies radicales qui remplacent les femmes par des hommes dans les espaces conçus pour les femmes. Il ne dévastera pas non plus les familles en endoctrinant nos fils et nos filles pour qu'ils commencent à faire la guerre à leur propre corps, ou les uns aux autres. » Je n'avais pas conscience que défendre les droits de la moitié de l'humanité revenait à faire la guerre à l'autre.
La disposition du code pénal qui prévoyait une amende et une peine de prison dans tous les cas d'IVG jusqu'en 1975 est restée en vigueur jusqu'en 2001 pour des IVG ne respectant pas les conditions de la loi Veil. Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, rappelle que, entre 1870 et 1975, 11 660 personnes ont été condamnées par l'État français pour avortement. Un édit d'Henri II de 1556 exigeait que toutes les femmes célibataires ou veuves déclarent leur grossesse aux autorités, faute de quoi il y avait présomption d'infanticide en cas de perte de l'enfant à la naissance. Cette disposition digne du Moyen-Âge existe encore dans certains pays.
Les hommes ont légiféré sur le corps des femmes, dans tous les siècles et tous les pays. Une évidence s'impose : le corps de la femme est un objet politique.
Je salue l'engagement de Laurence Rossignol sur ce sujet. La pertinence de son texte est évidente.
Notre équipe de France a porté une voix attendue à l'ONU et fait avancer notre diplomatie féministe. Ce texte s'inscrit dans cette voie. Avec l'accord de Mme Rossignol, le rapporteur s'est assuré qu'il ne comporte aucune ambiguïté pouvant conduire à un futur. Le texte est donc symbolique, mais néanmoins très important.
La commission nationale indépendante créée par l'article 2 sera consacrée au recueil de la parole et à la transmission des histoires tues. Elle permettra que notre société ouvre les yeux sur la réalité concrète et charnelle que nos lois imposaient, récemment encore, à la moitié de la population. Elle sera précieuse pour les générations qui nous ont précédés et pour celles qui nous succéderont.
Le Groupe Union centriste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur de nombreuses travées)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Un an après l'entrée du droit à l'IVG dans la Constitution et cinquante ans après la loi Veil, nous reconnaissons la souffrance physique et morale subie par les femmes ayant bravé l'interdit et la répression patriarcale exercée par l'État sur le corps des femmes.
Nous saluons la création d'une commission nationale indépendante chargée de rétablir la vérité, mais regrettons qu'il n'ait pas été possible d'aller jusqu'à l'instauration d'une compensation financière.
Les femmes ont dû longtemps se débrouiller seules. Avant 1975, l'avortement, c'étaient des pratiques dangereuses, parfois mortelles, causant des hémorragies graves, des utérus percés, des septicémies. C'était s'exposer à des sanctions pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 100 000 francs d'amende, et même la mort sous Vichy. L'avortement clandestin, c'était une double transgression : sociale et pénale. C'était l'isolement, la stigmatisation, l'échec.
Simone Veil mentionnait 300 000 femmes par an recourant à l'avortement, mais nous savons maintenant qu'elles étaient bien plus nombreuses - plus du double, voire le triple.
Annie Ernaux souligne que le paradoxe d'une loi devenue juste est qu'elle conduit presque toujours les anciennes victimes à se taire, car « c'est fini, tout ça ». Avec cette proposition de loi, nous brisons ce silence. Les femmes ont payé parfois de leur vie ce diktat sur leurs corps. Les coupables, ce ne sont pas les femmes, mais l'État qui les a mises en danger.
Ce texte arrive dans un contexte préoccupant de recul des droits sexuels et reproductifs. Pas moins de 47 000 femmes meurent chaque année des suites d'un avortement clandestin. La désinformation prolifère, et les assertions mensongères ont de plus en plus d'influence, notamment sur les jeunes.
Les femmes recourent à l'avortement à tout âge. Elles s'exposent à l'incompréhension, des jugements moraux, des questions intrusives.
Au-delà du devoir de mémoire, ce texte nous renvoie à notre responsabilité de lutter pour rendre effectif le droit à l'IVG et de continuer à écrire la vérité de l'histoire des droits des femmes. Nous nous félicitons que la France regarde son passé en face et voterons cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remercie Laurence Rossignol d'avoir pris l'initiative de faire faire à l'État ce devoir de mémoire et de repentance.
À toutes ces femmes, à tous ceux qui les ont aidées à maîtriser leur vie en ayant accès clandestinement, donc dangereusement, à l'avortement, la France a envoyé l'an dernier un message puissant : vous n'auriez jamais dû subir ce que vous avez subi. Non, nous n'aurions jamais dû permettre les tricoteuses, les faiseuses d'ange. Le 4 mars 2024, nous avons dit implicitement que la France a eu tort de criminaliser l'avortement. Nous le disons aujourd'hui explicitement.
Lorsqu'une faute est établie, un préjudice reconnu, cela entraîne des responsabilités. Nous avons promis aux femmes que leur liberté serait garantie. Pourtant, beaucoup peinent à accéder à ce droit fondamental. Dans la Drôme, par exemple, il n'y a plus aucun centre de santé sexuelle. Un cinquième des femmes doivent quitter leur département pour avoir accès à l'avortement.
Le droit à disposer de son corps et de sa vie est universel. La France d'avant 1975, ce sont les États-Unis d'aujourd'hui. Le droit à l'avortement est partout remis en cause par l'internationale réactionnaire, y compris en France où les anti-choix sont nombreux.
La responsabilité de la France est de soutenir la solidarité féministe internationale, l'avancée des droits de femmes et d'envoyer un message puissant aux millions de femmes toujours soumises à la clandestinité dans le monde.
Nous votons des lois mémorielles, sur la déportation, la reconnaissance de la traite et de l'esclavage, la reconnaissance du génocide arménien ou la reconnaissance des personnes condamnées pour homosexualité. Dans quelques décennies - j'en prends le pari solennel -, d'autres lois mémorielles seront votées, par exemple pour reconnaître le préjudice subi dans notre pays par les personnes trans.
Ce jour n'est-il pas l'occasion de se demander s'il est opportun de continuer à défendre des positions qui nous rendront honteux demain ? Ne pourrait-on gagner du temps en allégeant le fardeau des fautes à reconnaître à l'avenir, par exemple en garantissant l'égalité des droits pour toutes et tous en France ? (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDSE)
M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Louis Vogel applaudit également.) Je vais vous parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, et c'est heureux - un temps où la société patriarcale, l'ordre moral, le cadre légal envoyaient nos grands-mères, nos mères, les épouses de certains d'entre vous, peut-être, dans les tribunaux, et même à l'échafaud.
Je vous parle d'un temps où l'on entravait le corps des femmes en France, où elles subissaient l'affront d'être jugées parce qu'elles avaient avorté.
Je vous parle d'un temps où le fruit de leurs amours ne convenait pas aux convenances sociales et aux attentes familiales.
Je vous parle d'un temps où le troussage des domestiques était monnaie courante, où le maître de maison engrossait la bonne avant de la mettre dehors.
Je vous parle d'un temps où les femmes dans la nuit et le brouillard montaient dans un car pour retrouver des faiseuses d'anges.
Je vous parle d'un temps où les femmes subissaient des curetages qui se passaient mal : beaucoup de femmes anonymes, mais aussi des femmes célèbres, dont une chanteuse, Dalida.
Je vous parle d'un temps où des militants et des militantes ont eu le courage de se lever, celles du MLAC, du MLF, les « 343 salopes » ; c'était Gisèle Halimi, c'était ces victimes qui osaient témoigner à visage découvert lors du procès de Bobigny, c'était ces femmes qui faisaient la une des journaux, mortes par décision de justice.
L'histoire nous oblige.
Le groupe SER votera cette proposition de loi en étant fidèle à son histoire. Depuis sa fondation, le parti socialiste a participé à tous les mouvements émancipateurs des femmes et a toujours été au rendez-vous de l'Histoire.
Avec cette proposition de loi, nous adressons trois messages.
Le premier c'est que la honte doit changer de camp. Une femme ne doit plus être obligée de baisser la tête, mettre un genou à terre parce qu'elle a avorté. Elle ne doit plus baisser les yeux.
Notre deuxième message est adressé aux Françaises et à toutes les femmes qui peuplent la surface de la Terre, en Iran, en Afghanistan, au Niger, en Ukraine, en Pologne et aux États-Unis : un grand pays, un vieux pays, un beau pays, la France, leur dit que nos voix, nos coeurs sont à l'unisson avec elles. La France renouvelle enfin sa vocation de porter un message universel, urbi et orbi, de liberté, d'égalité, de fraternité et de sororité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, du GEST, du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Sabine Drexler applaudit également.)
M. Louis Vogel . - Le 26 novembre 1974, à la tribune de l'Assemblée nationale, Simone Veil présentait son projet de loi légalisant l'IVG. Elle s'exprimait ainsi : « Personne n'a jamais contesté, et le ministre de la santé moins que quiconque, que l'avortement soit un échec, quand il n'est pas un drame. Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, bafouent nos lois, et qui humilient et traumatisent celles qui y ont recours. »
Nul ne peut contester les souffrances physiques et morales subies par ces femmes qui ont eu recours à des avortements clandestins. Comment ne pas y être sensible ? Réhabiliter leur mémoire est un devoir.
En réalité, le nombre d'avortements clandestins pratiqués dans les années 1970 était sans doute bien plus important. Mais il est difficile de disposer de données précises. Or ces chiffres sont essentiels.
Derrière eux, de véritables tragédies : des femmes souvent seules devant un choix impossible qui ont finalement opté pour un avortement clandestin, à un prix souvent exorbitant, avec de forts risques de complication.
La proposition de loi est bienvenue. Elle reconnaît les souffrances endurées par les femmes ayant eu recours à l'IVG et par les personnes condamnées pour les avoir aidées, et institue une commission nationale indépendante, placée auprès du Premier ministre, pour collecter des témoignages.
Ce texte mémoriel n'ouvrira aucun droit à compensation financière. La commission des lois l'a bien précisé.
J'approuve également son souhait d'écarter les représentants de l'État de la commission nationale pour leur préférer des historiens et des chercheurs.
Il était primordial de réhabiliter la mémoire de toutes les personnes qui ont subi ou pratiqué des avortements clandestins.
Dans la ligne de la loi constitutionnelle du 8 mars 2024, cette proposition de loi rendra hommage, enfin, à toutes celles qui n'ont pas bénéficié de cette nécessaire reconnaissance. Nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE, du groupe SER et du GEST ; Mme Sabine Drexler applaudit également.)
Mme Agnès Evren . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a un an, le Parlement français inscrivait dans la Constitution la liberté de recourir à l'IVG. C'est désormais un droit inaliénable.
Mais ce droit n'a pas toujours été une évidence. Pendant plus d'un siècle, avorter était un crime puni par la loi, réprimé par les tribunaux, combattu par la société.
Des milliers de Françaises ont été jugées, stigmatisées. Certaines ont tout perdu, certaines y ont laissé leur vie. Nous devons leur rendre justice. C'est le sens de la proposition de loi de Laurence Rossignol.
Des centaines de milliers de femmes ont dû avorter clandestinement dans des arrière-boutiques, sur des tables de cuisine, avec des aiguilles à tricoter. Elles ont subi l'infection, la peur, et parfois la mort. Au nom d'un puritanisme législatif, on a mis leur santé en danger.
Entre 1970 et 1975, plus de 11 660 personnes ont été condamnées pour avortement. Derrière ces chiffres, il y a des femmes courageuses, dont Marie-Claire, du procès de Bobigny. Elle a eu la chance d'être défendue par Gisèle Halimi et soutenue par les féministes, mais combien d'autres sont restées seules ?
L'IVG bénéfice d'une protection supérieure, mais comment pourrions-nous prétendre défendre cette liberté sans reconnaître celles qui ont subi cette injustice ?
Je salue l'excellent travail mené par Christophe-André Frassa et la commission des lois.
La mémoire est un rempart contre l'oubli. Nous devons documenter ces récits, écouter ces femmes. Ce n'est pas une démarche indemnitaire. Il ne s'agit pas de rouvrir des procès. Mais il faut dire que ces condamnations étaient une erreur. C'est un acte de vérité et de justice sociale.
Cette proposition de loi est aussi un message pour l'avenir. Les droits des femmes ne sont jamais acquis. Aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, ils sont remis en cause.
Quand on cesse de défendre un droit, on prépare sa disparition. C'est pourquoi notre vigilance, en France, se doit d'être constante.
Réhabiliter ces femmes, c'est aussi envoyer un message clair à toutes celles qui doutent : votre liberté est réelle. Femmes, votre corps vous appartient.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du RDSE, et des groupes INDEP et SER)
M. Xavier Iacovelli . - C'est un moment de vérité, de mémoire et de justice. Il y a cinquante ans, la loi Veil reconnaissait aux femmes le droit de disposer de leurs corps. Mais avant 1975, la société a condamné et brisé des milliers d'entre elles. C'était des mères, des soeurs, des filles, des amies - pas des criminelles. Elles étaient dans la détresse, et elles ont été traquées, jugées, enfermées. Beaucoup ont été poussées à la clandestinité, et parfois à la mort.
La loi les privait de choix, de liberté, du droit fondamental de disposer de leur corps.
En 1943, sous Vichy, Marie-Louise Giraud a été guillotinée pour avoir aidé d'autres femmes à avorter. Son nom restera le symbole de la trahison par la France de ses valeurs humanistes.
Une femme s'est levée, telle Marianne, pour briser l'omerta : Simone Veil.
Des femmes étaient mutilées, emprisonnées, parfois assassinées par l'indifférence du système qui préférait punir que protéger. Certaines estimations vont au-delà des 300 000 avortements par an.
Une commission nationale indépendante recueillera et transmettra la mémoire de ces préjudices. C'est une nécessité historique et morale. C'est dire à ces Françaises qu'elles étaient aussi des victimes. Nous avons un devoir de mémoire, le devoir de reconnaître l'injustice des peines qui ont frappé ces Françaises et leurs souffrances, tout comme celle des médecins qui ont payé très cher de les avoir soutenues.
Nous savons que l'Histoire peut vaciller, voire être réécrite, au détriment des droits fondamentaux.
Les femmes doivent pouvoir disposer de leur corps. Or partout leurs droits sont menacés. Des législations régressent, des voix réactionnaires progressent. En Italie, Pologne et Hongrie, la présence de l'extrême droite au pouvoir s'accompagne d'une remise en cause de leurs droits.
Ce texte est un acte politique. La France n'admettra jamais la remise en cause de la liberté des femmes. Nous défendrons toujours leur droit inaliénable à disposer de leur corps.
Sans mémoire pas de progrès, sans transmission pas de justice.
Changer le regard porté sur l'histoire des femmes c'est refuser l'oubli, c'est bâtir collectivement l'avenir d'une société juste et égalitaire.
Faisons en sorte que l'histoire se souvienne de ces luttes, de ces souffrances et de ces femmes.
Nous voterons cette proposition de loi et nous remercions Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du RPDI et du RDSE)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Olivia Richard applaudit également.) L'article 317 du code pénal de 1810 disposait que quiconque aura procuré ou tenté de procurer l'avortement à une femme enceinte sera puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans. Si l'avortement thérapeutique est reconnu dès 1852, l'arsenal répressif a été ensuite renforcé, notamment dans les années 1920, jusqu'à Vichy, qui l'a rendu passible de la peine de mort.
Il serait faux de croire que le combat contre la légalisation de l'avortement s'est arrêté avec la loi Veil. C'est la troisième cause de mortalité maternelle à l'échelle du globe et il reste interdit dans vingt-et-un pays. Certains pays ne sont parvenus à une légalisation que récemment, comme en Argentine, il y a quatre ans, après des luttes intenses.
Près de 40 % des femmes vivent dans des pays où l'avortement est restreint, y compris dans des pays développés, comme aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, à Malte ou à Andorre.
Pour les 750 millions de Françaises qui vivent dans des États où l'avortement est restreint ou prohibé - la Chine ou l'Arabie saoudite, par exemple -, le combat pour disposer de son corps est encore plein et entier.
Cette proposition de loi s'inspire de celle qu'a déposée Hussein Bourgi pour la reconnaissance des personnes condamnées pour homosexualité.
Notre exercice est avant tout un devoir de mémoire. L'article 1er réhabilite les femmes ayant souffert de ces lois et pratiqué un avortement clandestin. Le texte institue aussi une commission indépendante qui permettra de libérer la parole et de documenter la souffrance vécue. C'est une forme de réparation pour les victimes. Le RDSE votera unanimement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPDI et des groupes SER et CRCE-K ; Mme Olivia Richard applaudit également.)
Discussion des articles
L'article 1er est adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°1 rectifié de M. Reichardt et alii.
Mme Agnès Evren. - La commission mise en place par cet article aura à recueillir des témoignages, à effectuer un travail de mémoire, un travail d'historien, à l'image de ce qu'a entrepris l'INA récemment. La présence de parlementaires semble donc inutile.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Trop souvent nous créons des commissions qui, par réflexe corporatiste, prévoient des places pour les parlementaires.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Jamais... (Sourires)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Cette commission a un travail spécifique à mener de recueil de la parole sur ce qui s'est produit jusqu'en 1975. C'est un travail d'écoute et de mise en contexte : la place des magistrats est donc une évidence, tout comme celle des professionnels de santé, des représentants des associations ayant lutté pour le droit à l'avortement, des historiens et des chercheurs.
En revanche, la plus-value de la présence des parlementaires ne semble pas indéniable.
Avis favorable à la suppression de l'alinéa 3.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Sagesse.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Notre groupe votera contre cet amendement. À la lumière des débats, on ne peut que constater que le droit des femmes à avorter est éminemment politique, particulièrement en ce moment. Chacun a fait le rapprochement avec ce qui se passe partout dans le monde actuellement. La présence des parlementaires est donc utile.
L'amendement n°1 rectifié est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Laurence Rossignol . - L'histoire de la répression de l'avortement est celle de toutes les femmes, de la domination masculine, du patriarcat, de la solitude des femmes, des retards de règles, des escaliers descendus à toute vitesse, des tours de vélo que l'on fait encore plus en espérant que la grossesse n'aura pas lieu.
C'est aussi l'histoire de la sororité, de la solidarité des femmes, des gynécées, des savoirs médicaux féminins, qualifiés de sorcellerie. C'est notre histoire, notre mémoire collective. Je me réjouis qu'elle devienne une mémoire partagée et reconnue. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER, du GEST, du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)
M. Hussein Bourgi . - Le vote d'aujourd'hui ne vaut pas solde de tout compte. Il nous oblige pour le présent et pour l'avenir. Alors que l'hôpital public ne se porte pas bien, les fermetures de lits ne doivent pas se faire au détriment de l'accès à l'IVG. Je ne doute pas que Mme la ministre portera ce message.
Les travaux de la commission indépendante seront importants. Pour cela, il faut pouvoir accéder aux archives et disposer de moyens financiers permettant aux chercheurs et à des équipes pluralistes de poser un regard distancé et juste sur l'histoire de ces Françaises et de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
À la demande du groupe SER, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°237 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 340 |
Contre | 0 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Rénovation énergétique du bâti ancien
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien, présentée par M. Michaël Weber et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Discussion générale
M. Michaël Weber, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K) Victor Hugo disait : « Il est de règle que l'architecture d'un édifice soit adaptée à sa destination - et à son environnement, faudrait-il ajouter - de telle façon que cette destination se dénonce d'elle-même au seul aspect de l'édifice. »
Après vingt-neuf années de mandat local, attaché au patrimoine et à l'environnement et la découverte de la France à travers ses cinquante-neuf parcs régionaux naturels, j'ai constaté dans nos villages des rénovations parfois désastreuses. La standardisation grandit, la beauté de nos régions s'efface. Nous partageons tous ce constat.
Les travaux de Sabine Drexler et de Guillaume Gontard nous ont montré la nécessité de protéger le bâti ancien. Réhabiliter le bâti ancien, c'est encourager une architecture et un environnement respectueux de l'humain. Réinvestir le centre-bourg, c'est renouer avec des méthodes plus écologiques. Cette proposition de loi contribue à la réinvention d'un espace de vie collectif et durable, accessible à tous, recréant une meilleure cohésion sociale.
Le bâti ancien, par ses qualités bioclimatiques, est résolument moderne. Il encourage l'économie circulaire et l'artisanat et promeut les ressources locales, contribuant au dynamisme de nos territoires.
Mettre en valeur le déjà-là, c'est promouvoir un logement qui vit avec son environnement, en obtenant naturellement ce qu'on a du mal à reproduire artificiellement. Le bâti ancien est innovant : il optimise l'accès à la lumière, offre de la fraîcheur, protège de la chaleur. Les murs porteurs lourds et épais ont une réelle qualité hygrothermique.
Réhabiliter l'ancien, c'est veiller à préserver les qualités écologiques de ce type de bâti. Le bois, le torchis, le pisé, la terre crue, le roseau, le chanvre ou la paille sont adaptés aux enjeux de l'ancien et sont performants. Les matières biosourcées ou géosourcées permettent d'éviter des matériaux polluants et inadaptés aux bâtiments anciens.
Recouvrir la vieille pierre d'un enduit en ciment, remplacer des menuiseries en bois par des fenêtres en PVC provoquent des dégâts irrémédiables. Les matériaux nobles pourrissent sous la couche de matière synthétique, menaçant la structure même de l'édifice et la santé des habitants : nous sommes à la veille d'un scandale sanitaire en puissance.
Réhabiliter l'ancien, c'est oeuvrer pour un meilleur confort des habitants, contribuer à un urbanisme circulaire, lutter contre la vacance et la sous-occupation et encourager la revitalisation des villages.
Il s'agit d'une politique ambitieuse. Privilégier le réemploi plutôt que le neuf, des matériaux de qualité et une main-d'oeuvre plus qualifiée, tout cela a un coût. Aussi, l'État doit soutenir les plus modestes.
Plus de 4 millions de personnes sont mal ou pas logées en France. La réhabilitation du déjà-là est une des solutions.
Cette proposition de loi est résolument moderne, et toutes les constructions modernes qui s'inspirent des bâtis anciens en sont la preuve.
Préservons la richesse de notre patrimoine bâti ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Yannick Jadot et Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudissent également.)
Mme Sylviane Noël, rapporteure de la commission des affaires économiques . - Sur les 37 millions de logements français, plus de 7 millions sont des passoires thermiques, classées F ou G ; en y ajoutant les logements classés E, ce sont 15 millions de logements. Les logements construits avant 1948 représentent un tiers du parc. Deux tiers d'entre eux sont classés E, F ou G. Donc 7 millions de logements classés E, F ou G sont des logements anciens, soit la moitié de ces logements ! À l'inverse, seuls deux tiers des logements construits après 2013 sont classés B ou C.
Nous devons faire vite pour les rénover, mais pas n'importe comment. Les travaux inadaptés conduisent au développement de moisissures par exemple, par manque de respiration. Ces travaux dommageables traduisent une forte méconnaissance du bâti ancien.
Dans son rapport de 2023, Sabine Drexler, sénateur du Haut-Rhin, a tiré la sonnette d'alarme. Elle a plaidé pour la prise en compte des spécificités du bâti ancien dans la rénovation énergétique et la préservation de ses qualités patrimoniales. Les spécificités sont culturelles, mais aussi économiques.
Les exceptions de la loi Climat et résilience ne concernent que les bâtiments protégés. Or nombre de bâtiments anciens ne le sont pas. Notre commission a salué l'initiative de Michaël Weber qui s'inscrit dans la suite des travaux de Sabine Drexler et de la commission d'enquête rapportée par Guillaume Gontard et présidée par Dominique Estrosi Sassone, sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Je salue la qualité des échanges avec Michaël Weber.
Le texte issu des travaux de la commission établit un équilibre. Il préserve les qualités patrimoniales du bâti ancien sans créer d'instabilité ni de complexité normative, et limite les effets de bord de la loi Climat et résilience sans créer de nouvelles contraintes.
L'article 1er introduit une définition du bâti ancien dans la loi et prend en compte le confort d'été et d'hiver. L'article 2 adapte le DPE aux spécificités du bâti ancien, et prend en compte les caractéristiques hygrothermiques des matériaux.
À l'article 3, des compétences spécifiques sont exigées pour les auditeurs des bâtiments anciens. Malgré les efforts récents, les connaissances des diagnostiqueurs sont souvent insuffisantes.
L'article 5 prévoit un rapport du Gouvernement sur le soutien financier en faveur de la rénovation du bâti ancien ; cela peut passer par un couplage des aides MaPrimeRénov' et des certificats d'économie d'énergie (C2E).
Ce texte témoigne d'un équilibre à préserver entre les objectifs patrimoniaux et de rénovation énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du RDSE)
M. Stéphane Piednoir. - Très bien.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement . - Je vous prie d'excuser Mme Létard, retenue dans les transports - mais elle nous rejoindra. Ministre des relations avec le Parlement, je ne peux m'empêcher de constater avec plaisir que le groupe SER, malgré son opposition au Gouvernement, trouvera le soutien du Gouvernement sur ce sujet crucial.
Cette proposition de loi vise à concilier la préservation du patrimoine architectural, les impératifs de la transition énergétique et la sauvegarde du pouvoir d'achat des ménages. Les bâtiments anciens sont aussi un élément d'attractivité de nos territoires. Ils sont composés de matériaux qui ont traversé les siècles. Il s'agit de réduire aussi les factures d'énergie au travers de la rénovation énergétique.
Si certains bâtiments anciens sont très performants, d'autres sont des passoires thermiques. Pas moins de 29 % des résidences principales construites avant 1948 sont des passoires énergétiques, contre 14 % pour la moyenne des logements. Nous devons donc les rénover.
Rénover le bâti ancien présente des défis uniques. Une rénovation inadaptée peut nuire à ces bâtiments et au confort des habitants. Elle peut créer des problèmes de santé pour ses occupants ou le développement de moisissures.
Les ministres du logement et de la culture travaillent sur ce sujet : la semaine dernière, nous avons publié un guide pour les diagnostiqueurs.
Je remercie M. Weber d'avoir déposé ce texte qui comble une lacune de la législation actuelle, introduit une définition claire du bâti ancien et propose une meilleure prise en compte de ce dernier dans les DPE.
La ministre du logement a annoncé un plan pour fiabiliser les DPE et lutter contre la fraude. Nous serons impitoyables avec les diagnostiqueurs réalisant des DPE de complaisance. La formation des diagnostiqueurs doit intégrer des compétences en matière de bâti ancien.
J'en viens au financement, le nerf de la guerre. Rénover un logement coûte plus cher, du fait de l'utilisation de matériaux respectueux du bâti ancien, souvent locaux et durables.
Le recours à ces matériaux favorise la vitalité des collectivités territoriales. Ce sont elles qui savent le mieux quels matériaux employer. Je vous l'annonce, un décret paraîtra ce jour pour que les collectivités territoriales financent plus largement le dispositif MaPrimeRénov', en complément de l'aide nationale.
Cette proposition de loi montre que la transition énergétique peut aller de pair avec la préservation du patrimoine. Nous améliorerons la performance énergétique de notre parc immobilier tout en préservant notre héritage culturel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, sur quelques travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Jean-Pierre Corbisez . - La transition écologique comporte plusieurs échéances importantes ; la première est 2030, avec une division par deux de nos émissions de CO2, pour remplir l'objectif européen Fit for 55. La semaine dernière, nous avons débattu du ZAN, indispensable pour limiter les îlots de chaleur notamment.
Le secteur du bâtiment est responsable de 25 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Il est indispensable de rénover les logements. Les logements classés G sont interdits à la location depuis janvier 2024, ceux classés F le seront en 2028, et les E en 2034. Parmi eux le bâti ancien, c'est-à-dire les logements construits avant 1948. La moitié des 15 millions de logements interdits en 2034 pourraient être des bâtiments anciens. Faut-il pour autant les exonérer de rénovation et condamner à la précarité énergétique leurs résidents ?
Il est nécessaire de soutenir la bataille de la rénovation énergétique pour lutter contre le changement climatique. Il faut donc des moyens et tenir compte de la réalité des bâtiments. Il faut privilégier la réhabilitation et les matériaux biosourcés dans l'Hexagone aussi bien qu'en outre-mer - c'est le sens de notre amendement.
Les différentes techniques peuvent trouver des réponses économiques. Je regrette la suppression des subventions prévues initialement alors qu'elles sont la clé pour préserver un patrimoine de qualité sans rogner sur la performance énergétique. Nous espérons que la situation évoluera positivement lors du prochain PLF.
Mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi attendue par une grande majorité de nos concitoyennes et concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du GEST et du groupe INDEP ; M. Michel Masset applaudit également.)
M. Yannick Jadot . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) « L'équation est claire : construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit cinq fois plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'une réhabilitation. Les rendez-vous du siècle nous imposent donc de ne démolir qu'en dernière extrémité, de focaliser nos efforts sur la transformation de l'existant et de construire moins, beaucoup moins », comme le dit Sylvain Grisot dans son ouvrage Réparer la ville.
Face à ce constat, nous saluons cette proposition de loi qui reprend une partie des propositions de la commission d'enquête portée par Guillaume Gontard et présidée par Dominique Estrosi Sassone.
Plus de 80 % de la ville de demain existe déjà. À Paris, plus de 80 % du bâti date d'avant 1948. En France, 15 millions de logements sont des passoires thermiques, dont la moitié est du bâti ancien.
Les bâtiments anciens reflètent le patrimoine de nos régions, qui doit être rénové grâce à des matériaux biosourcés et géosourcés, dont ils sont composés à 90 %. Nous défendrons l'amendement n°2 rectifié bis en ce sens. Votre annonce, monsieur le ministre, permettra de le voter !
Vouloir définir le bâti ancien sans privilégier fortement ces matériaux serait une erreur : la filière biosourcée représente 4 000 emplois directs et indirects sur le territoire.
Nous regrettons que cette proposition de loi n'aborde pas davantage la formation des professionnels du secteur, y compris les architectes.
La rénovation thermique est le chantier du siècle. En dépendent notre souveraineté énergétique, la décarbonation, l'artisanat, le pouvoir d'achat et l'habitabilité des logements. Pourtant, le budget 2025 de MaPrimeRénov' a été baissé d'un tiers, atteignant 2,1 milliards d'euros.
Malgré quelques réserves, mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi. Selon Christine Leconte, ancienne présidente de l'Ordre des architectes : « Proposons de réparer cette ville plutôt que de chercher à en construire une autre. (...) Les lieux fabriquent des liens qui permettent de créer ensemble une société plus solidaire et conviviale ». (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER, CRCE-K et du RDSE)
M. Pierre Jean Rochette . - Depuis 2021, nous n'avons cessé de corriger les dispositions de la loi Climat et résilience. La semaine dernière, nous avons examiné la proposition de loi Trace, et dans deux semaines, nous examinerons une proposition de loi visant à clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements et à sécuriser leur application en copropriété.
Il est indispensable de réduire l'impact des bâtiments sur l'environnement. Nous devons améliorer leur efficacité énergétique, mais avec intelligence et pragmatisme.
Comment pouvons-nous évaluer avec la même grille la performance énergétique des bâtiments construits au début du siècle et ceux construits récemment ? Cette approche incite à rénover avec des matériaux modernes inadaptés, avec un impact environnemental plus fort, et qui dénaturent le patrimoine.
Cette proposition de loi est judicieuse. Nous saluons les ajouts de la rapporteure pour prendre en compte les spécificités thermiques du bâti ancien, notamment dans le DPE. Il faut considérer les atouts hygrothermiques de ce bâti. L'objectif doit être la simplification et la cohérence.
Inciter à l'utilisation de matériaux modernes relève parfois de l'absurdité totale. Rénover le bâti ancien nécessite des compétences spécifiques. Faut-il mobiliser un architecte des bâtiments de France (ABF) sur chaque audit ? Je ne le crois pas. Cela dit, ancien ne signifie pas patrimonial. Tous ces bâtis ne se valent pas. C'est uniquement quand il existe un intérêt patrimonial que solliciter cet auditeur est utile. Incitons les propriétaires à la rénovation. Ne rigidifions pas à l'excès.
Parce que le texte prône la simplification et l'efficacité, le groupe Les Indépendants votera ce texte. (M. Michel Masset applaudit.)
Mme Sabine Drexler . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je prendrai l'exemple d'une maison de Buschwiller, qui illustre la difficulté de préserver le patrimoine face aux exigences de rénovation énergétique.
Cette maison crépie a été sauvée grâce à deux passionnés de patrimoine rural. Leur inspection « clandestine » a révélé une façade du XVIe siècle. Une mobilisation citoyenne s'est organisée et un financement trouvé. Elle a été démontée avant sa destruction et sera prochainement remontée dans le parc de la maison alsacienne de Reichstett.
Ce texte contribuera à faire prendre la pleine mesure des dangers que court notre patrimoine. L'Alsace est une région reconnue pour ses maisons traditionnelles qui attirent les touristes. Pourtant, chaque année, trois cents d'entre elles disparaissent soit par démolition, comme à Buschwiller, soit à la suite de rénovations inappropriées qui portent atteinte à leur structure. Ce phénomène s'est accéléré avec la loi Climat et résilience.
D'abord, ce petit patrimoine manque de protection. Tout peut arriver : travaux inappropriés ou destruction.
Ensuite, rénover une maison ancienne pour la louer peut coûter plus cher que la démolition, ce qui pousse certains propriétaires à choisir cette option, faute d'aides financières.
Enfin, la pression foncière et immobilière fait que les terrains se négocient à des prix déraisonnables, comme c'est le cas à Buschwiller. Il est plus rentable de vendre un terrain que de réhabiliter une maison traditionnelle.
Ce triste constat repose sur une funeste ironie du sort : on sacrifie pour des raisons écologiques des maisons durables.
Pour endiguer ce phénomène, des mesures urgentes sont à prendre, notamment l'adaptation du DPE au bâti traditionnel avec des normes prenant en compte leur performance réelle plutôt que des modèles standards inadaptés.
Le soutien financier à une rénovation compatible avec le bâti ancien en est une autre, la transmission des savoir-faire et la formation aux techniques spécifiques pour ces rénovations également.
La disparition du bâti traditionnel - et l'uniformisation qui va avec - prive nos régions d'une partie de leur héritage et de l'art de vivre qui l'accompagne.
Le bâti traditionnel incarne une intelligence constructive dont nous devons nous inspirer. Il faut la faire reconnaître. Mon rapport et celui de la commission d'enquête en 2023 ont fait des propositions qui sont débattues. Nous faisons évoluer la législation, à petit pas, mais dans le bon sens. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - La proposition de loi vise à concilier performance énergétique et préservation du bâti ancien. Je salue l'initiative de Michaël Weber et le travail de la commission des affaires économiques, ainsi que celui de la rapporteure Sylviane Noël. Nous partageons la conviction que le bâti ancien est une richesse, mais c'est aussi un défi de taille en matière de rénovation énergétique.
Nous avons affirmé notre engagement en faveur de la transition énergétique en adoptant la loi Climat et résilience.
Toutefois, les spécificités du bâti antérieur à 1948 ont été insuffisamment prises en compte, comme en atteste le rapport de la commission d'enquête.
Nous devons donc adopter nos outils et méthodes au terrain. Les propriétaires sont confrontés à des injonctions contradictoires. Les aides sont mal calibrées ou inadaptées. Il faut des ajustements législatifs, d'où cette proposition de loi. Elle introduit des avancées majeures, notamment en définissant le bâti ancien et les matériaux biosourcés et géosourcés dans le code de la construction et de l'habitation. Le cadre juridique est clarifié. Les articles 2 et 3 intègrent ces spécificités au sein du DPE et des diagnostics.
L'article 5 soulève la question du soutien financier. Adapter le soutien financier au bâti ancien est nécessaire, il faut en évaluer l'opportunité.
Il faut aussi adopter une approche sur mesure pour prendre en compte les spécificités climatiques et architecturales des outre-mer. La réglementation thermique, acoustique et d'aération de 2010 a ainsi favorisé la ventilation naturelle pour limiter l'usage de la climatisation.
Le RDPI votera en faveur ce texte, pragmatique et utile.
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.) Représentant un tiers du parc de logements et 39 % de ses consommations d'énergie, le bâti ancien est un gisement important d'économies d'énergie et un levier de lutte contre la précarité énergétique.
Pourtant, les outils mis à disposition par le législateur, uniformes, se révèlent inadaptés. Le bâti ancien ne nécessite pas une approche exclusivement énergétique, mais globale, incluant les questions environnementales et patrimoniales. Ce n'est qu'ainsi que l'on préservera ses qualités techniques, environnementales et patrimoniales, ainsi que son confort, été comme hiver.
Ne créons pas de déséquilibre. Prenons en considération l'importance du recours à des matériaux naturels locaux, peu transformés, à base de terre cuite ou crue, de pierre et de bois.
Ce texte est un pas nécessaire vers une transition plus juste. Il y va de l'acceptabilité d'une politique souhaitable, qui exige pour réussir de ne pas être contestée.
Soyons vigilants : ces exigences ne doivent pas conduire à ce que le bâti ancien soit ou bien dégradé ou bien occupé uniquement par des publics précaires.
Si le bien-fondé du DPE n'est pas contestable, il faut l'adapter au bâti ancien. Le risque est que l'interdiction progressive des passoires thermiques n'entraîne une vacance des logements anciens ou une transformation vers des meublés touristiques. Ce phénomène d'éviction, déjà présent, est une source d'injustice pour des milliers de Français bloqués dans leur parcours résidentiel. Ce bâti ancien compose l'essentiel des habitations de centre-bourg, notamment dans le Lot-et-Garonne, mon département.
Pour lutter contre la désertification ou la disparition d'une partie de notre patrimoine, il faut concilier les objectifs de rénovation thermique avec ceux de la préservation du patrimoine bâti.
Nous voterons ce texte, même si la réécriture de l'article 5 vide la proposition de loi de son sens.
Un soutien financier est indispensable pour les ménages les plus modestes. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
Mme Marie-Lise Housseau . - La rénovation énergétique s'est imposée comme une politique publique essentielle parmi les différents défis auxquels nous devons répondre. Premier enjeu, l'environnement : troisième secteur d'émissions de gaz à effet de serre, le bâti représente 18 % de ces émissions en France.
Ensuite, l'enjeu social : 5,2 millions de logements sont considérés comme énergivores, et 30 % des ménages ont souffert du froid en 2023.
Enfin, l'enjeu économique : il nous faut repenser notre modèle d'aménagement des territoires. Alors que 80 % des logements de 2050 existent déjà, les deux tiers sont mal isolés. Alors que les surfaces constructibles sont de plus en plus rares, le dérèglement climatique nous impose de revoir nos règles.
Le législateur s'est déjà interrogé sur l'ambition à donner à cette politique, qu'il s'agisse de revoir le classement des passoires thermiques ou de donner des marges de manoeuvre aux acteurs publics et privés du bâtiment. Les normes législatives et réglementaires fluctuent en fonction des crises. Or le secteur du bâtiment demande de la stabilité et de la simplification.
Selon le rapport d'information de la commission de la culture sur le patrimoine et la transition de 2023, la législation en vigueur ne tient pas compte du bâti ancien, à l'exception des monuments historiques.
Le bâti ancien regroupe les bâtiments achevés avant 1948, soit un tiers du parc national. Ce type de bâtiment est singulier : il est composé de matériaux naturels, il exige une rénovation incompatible avec les matériaux modernes. Il faut des processus rigoureux et individualisés, afin d'améliorer la performance énergétique des lieux tout en conservant leur valeur patrimoniale.
Ce texte propose d'inscrire dans la loi la définition du bâti ancien, qui se caractérise par une faible empreinte environnementale.
Il précise que le DPE et les travaux de réhabilitation doivent tenir compte de ses qualités. C'est souhaitable, car le DPE et le label RGE (reconnu garant de l'environnement) sont dévalorisés et incompris par les propriétaires. La politique de stop-and-go des aides participe à la non-atteinte des objectifs de rénovation. Et je ne parlerai pas du reste à charge qui représente 65 % des dépenses engagées...
Les propositions de travaux devront être adaptées aux contraintes patrimoniales du bâti, ce qui demande des compétences supplémentaires. Cette mesure fait partie d'un vaste plan de formation à la rénovation énergétique proposé dans un rapport de l'Assemblée nationale de 2023.
La réponse au problème du financement doit être ambitieuse. Il faut imaginer une perspective pluriannuelle, pour faire monter en puissance la filière. Pourquoi ne pas créer une banque publique de la rénovation garantie par l'État, à l'instar de ce qui se fait outre-Rhin, les établissements bancaires étant trop frileux sur ces sujets ?
Cette proposition de loi est nécessaire : elle répond aux problèmes posés par le poids du bâti ancien dans le parc de logements, d'une part, et rappelle, d'autre part, les multiples défis qui jalonnent toute politique : la formation, la simplification et le financement.
Notre groupe votera en faveur du texte (M. Michel Masset applaudit.)
M. Gilbert Favreau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La rénovation énergétique est une priorité nationale. Nous voulons réduire la précarité énergétique, limiter l'artificialisation des sols, atteindre nos objectifs climatiques, mais il faut tenir compte du bâti existant.
Or la législation actuelle est mal adaptée au bâti ancien qui représente plus d'un tiers du parc immobilier.
La loi Climat et résilience est pensée pour le neuf, ignorant les spécificités des bâtiments d'avant 1948. Résultat : les travaux sont inadaptés, voire nuisibles. Une maison de campagne du XIXe siècle a été construite avec des matériaux respirants, son isolation repose sur une hygrométrie naturelle ; or les normes requises pour l'isolation intérieure imposent des matériaux étanches, comme le polystyrène ou la laine de verre. L'humidité ainsi piégée entraîne moisissures, condensation ou autres dégradations.
Les propriétaires financent parfois des rénovations qui accélèrent la détérioration de leur bien, pour que ce dernier reste louable.
Les aides comme MaPrimeRénov' sont inaccessibles ou mal calibrées pour le bâti ancien. Les dossiers sont complexes, les montants incertains, rendant les rénovations douteuses et risquées.
Les matériaux compatibles avec les constructions anciennes sont souvent plus chers mais paradoxalement moins bien subventionnés. Faute d'aide adaptée, beaucoup de propriétaires de maisons anciennes doivent vendre ou abandonner leur bien. Nous risquons de voir disparaître un pan entier de notre patrimoine, faute de solution de rénovation viable.
Il est donc urgent d'adopter une approche plus rationnelle et respectueuse du bâti ancien ; d'où cette proposition de loi, qui adapte les critères des évaluations énergétiques, prévoit un audit énergétique et patrimonial, encourage l'utilisation de matériaux biosourcés et géosourcés, garantit une rénovation saine, en imposant une vigilance accrue sur la ventilation et l'hygrométrie. Il ne s'agit pas de freiner la modernisation de notre parc, mais de la rendre plus intelligente, plus respectueuse des réalités architecturales et des techniques du bâti ancien. Votons le texte sans hésitation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Michel Masset applaudit également.)
M. Rémi Cardon . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La question de la rénovation thermique est chère au groupe socialiste. Après ma proposition de loi contre la précarité énergétique, après la proposition de loi de Mme Bélim sur l'adaptation des matériaux et normes de construction aux spécificités des outre-mer, la présente proposition de loi trouve toute sa place dans la chambre des territoires.
Le bâti ancien est notre patrimoine. Il fait la fierté de nos territoires. Il est le fruit de l'intelligence de ceux qui nous ont précédés, qui ont su construire des bâtiments vivants, en osmose avec leur environnement, observer la nature pour en tirer le meilleur. En témoignent les qualités thermiques et hydriques naturelles du bâti ancien.
De la maison en pans de bois et torchis blanchi chez moi, dans la Somme, au mas de Provence, de la chaumière normande à la maison basque, le bâti ancien est infiniment varié. Il se caractérise par le recours à des méthodes de construction vernaculaire et à des matériaux naturels locaux : pierre, terre, cuite ou crue, bois. Rural ou urbain, il a été conçu pour s'adapter à son environnement.
L'ambition de cette proposition de loi est d'en préserver la qualité architecturale en améliorant ses performances énergétiques.
Le bâti ancien représente onze millions de logements, soit un tiers du parc. Près de 70 % du bâti construit avant 1948 est classé E, F ou G.
Alors que la France s'est engagée à réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre et de 30 % sa consommation d'énergies fossiles d'ici à 2030, la rénovation du bâti ancien est un enjeu majeur - écologique, mais aussi de justice sociale, car éradiquer les passoires thermiques, c'est lutter contre la précarité énergétique qui touche les plus modestes.
La rénovation du bâti ancien exige une méthode. Une rénovation inadaptée peut compromettre la régulation naturelle de la température et du taux d'humidité, diminuant l'espérance de vie du bâtiment et nuisant au confort et à la santé de ses occupants.
La rénovation des bâtiments anciens, c'est aussi une promesse d'avenir. Leur empreinte environnementale est faible : 90 % de ces constructions utilisent des matériaux biosourcés et géosourcés, issus de filières courtes, qui réduisent notre dépendance aux importations et favorisent l'économie locale et la souveraineté industrielle.
La rénovation en milieu rural limite l'artificialisation des sols et revitalise les centres-bourgs. Elle soutient les filières artisanales en valorisant des savoir-faire et des emplois locaux non délocalisables.
Le groupe socialiste propose une méthode : en prenant en compte les spécificités du bâti ancien dans les rénovations performantes, à l'article 1er ; en adaptant le DPE au bâti ancien, à l'article 2 ; en adaptant l'audit énergétique à ses spécificités, à l'article 3 ; enfin en soutenant le financement de ces travaux de rénovation énergétique.
Voter cette proposition de loi, c'est renouer avec l'intelligence et le savoir-faire de nos territoires, c'est préserver et valoriser notre histoire patrimoniale. C'est répondre aux enjeux environnementaux, sociaux et sanitaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Michel Masset applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°4 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - La notion de réhabilitation n'existe pas dans le code de la construction et de l'habitation, alors qu'elle est utilisée par les conservateurs. La rénovation, plus intrusive, peut transformer significativement un bâtiment ; la réhabilitation, plus respectueuse, vise à valoriser les éléments d'origine tout en les adaptant aux normes modernes. Elle est souvent utilisée pour les bâtiments patrimoniaux. Inscrivons cette notion dans le code, comme hier, dans la proposition de loi sur les ABF, nous l'avons inscrite dans la loi sur l'architecture.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Les services du ministère de la culture ont relayé cette préoccupation en audition. Cela dit, remplacer les terminologies serait source de complexité et de confusion. MaPrimeRénov', par exemple, finance la rénovation énergétique des logements, non leur réhabilitation. Ne créons pas deux régimes distincts. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement. - Je vous prie d'excuser de mon retard ; je salue l'auteur de la proposition de loi, ainsi que Mme Drexler, que je sais très investie sur ce sujet. Je rejoins toutefois l'avis de la commission : attention au risque de confusion et de complexité qu'entraînerait cet amendement.
M. le président. - Le Sénat accepte bien volontiers vos excuses, madame la ministre.
Mme Valérie Létard, ministre. - Merci, monsieur le président.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 de M. Jadot et alii.
M. Yannick Jadot. - M. Mignola a annoncé la publication d'un décret sur la bonification des matériaux biosourcés et géosourcés dans la rénovation thermique. Vous pourrez donc voter mon amendement, qui en propose une définition sérieuse, à partir notamment des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur la rénovation énergétique.
Ces matériaux stockent du carbone durant toute la durée de vie du bâtiment, et concourent à l'habitabilité d'été, dont on parle trop peu. La filière française de matériaux d'isolation s'appuie sur des matériaux issus de l'agriculture, en circuit court, comme la paille et le chanvre. Les inscrire dans la loi soutiendrait son développement.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Cet amendement, qui rétablit une partie de l'article supprimée en commission, précise la notion de réhabilitation ainsi que la nécessité de conserver les matériaux existants dès que possible. En réduisant l'impact carbone du bâtiment, on s'inscrit dans une démarche écologique et durable.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Ces amendements remettent en cause le compromis trouvé avec l'auteur. On ne soutient pas une filière en introduisant des définitions dans la loi. La commission les a supprimées car elles risquaient d'être trop restrictives. Ainsi, le ciment aurait pu être considéré comme un matériau géosourcé.
La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) est déjà mentionnée indirectement à travers la mention de la politique énergétique renvoyant au budget carbone.
Enfin, l'amendement n°8 conduirait à créer un régime à deux vitesses. Avis défavorable aux deux amendements.
Mme Valérie Létard, ministre. - Monsieur Jadot, ce décret, que j'ai cosigné, permet aux collectivités territoriales d'aller plus loin dans le soutien aux matériaux biosourcés. On pourra désormais cumuler le PTZ et MaPrimeRénov'. C'est un accompagnement significatif, notamment pour les ménages modestes, qui pourront ainsi acquérir et reconquérir du logement ancien.
Je partage l'avis de Mme la rapporteure sur la définition proposée, qui pourrait inclure des matériaux d'origine minérale comme le béton, ce qui va à l'encontre de votre objectif... Retrait sinon avis défavorable.
L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°8 rectifié.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - C'est un amendement essentiel. Le bâti traditionnel, ce qu'on appelle le petit patrimoine, n'est pas protégé car il n'est pas identifié, notamment dans la ruralité, malgré son rôle dans l'attractivité de notre pays.
Vu les conséquences de l'effet croisé du ZAN et du DPE sur nos paysages architecturaux, il est urgent d'inciter les élus à répertorier leur bâti patrimonial dans les documents d'urbanisme, afin de limiter les travaux inappropriés et d'éviter sa disparition. La Collectivité européenne d'Alsace majore les subventions en cas de travaux de réhabilitation sur le bâti non protégé en cas d'inscription de ce dernier dans les documents d'urbanisme - mesure qui rencontre un grand succès.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Votre rapport de 2023 a mis en lumière le risque d'effacement progressif du bâti patrimonial non protégé.
Mais être situé dans une zone identifiée dans le PLU comme zone à protéger entraîne déjà des exceptions aux objectifs de rénovation énergétique. Sur ce plan, votre amendement est satisfait.
L'enjeu est d'encourager les collectivités à recenser les espaces à protéger. Ce n'est qu'une faculté, pas une obligation. Nous avons hélas très peu de données sur la mobilisation de cet outil. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis.
L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Comme précédemment, il s'agit de préciser la notion de réhabilitation à l'article L111-1 du code de la construction et de l'habitation.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Cette modification sémantique entraînerait de la confusion et de la complexité. Cela reviendrait à créer deux régimes distincts. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis, pour les mêmes raisons.
L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Défendu.
L'amendement n°6 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°23 de Mme Daniel et alii.
Mme Colombe Brossel. - Cet amendement promeut une vision plus équilibrée de la performance des bâtiments, en intégrant l'emploi de matériaux biosourcés et géosourcés, le confort d'été, la qualité d'air. La prise en compte du bien-être et de la santé améliore les conditions de vie des habitants. C'est fondamental, car l'habitat et le cadre de vie sont de plus en plus mis en avant dans les politiques de prévention.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Je propose un moratoire de cinq ans pour l'entrée en vigueur des interdictions de vente ou de louer des biens étiquetés E, F ou G. Il faudra adapter le DPE, notamment pour le bâti ancien. Alors que nous traversons une crise du logement sans précédent, voulons-nous sortir du parc quatre logements sur dix ? Donnons du temps pour ajuster la réglementation et réaliser les travaux.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement n°23. Gare à la multiplication des définitions : privilégions la simplicité et la lisibilité, pour que nos concitoyens gardent confiance dans le DPE et que les professionnels restent mobilisés. Le confort d'été et le renouvellement de l'air sont bien pris en compte.
Ce texte n'est pas le véhicule adapté pour un débat sur le calendrier issu de la loi Climat et résilience. En outre, l'amendement n°7 rectifié ferait coexister deux calendriers pour les mêmes bâtiments, ce qui serait facteur de complexité. Retrait ?
Mme Valérie Létard, ministre. - L'amendement n°23 est satisfait par l'article L171-1 du code de la construction et de l'habitation, qui cadre les exigences multicritères pour la construction et la rénovation, et par l'article L111-1 qui vise les bâtiments soumis à des contraintes architecturales et patrimoniales. Par ailleurs, le choix des matériaux doit se faire au cas par cas : imposer par la loi le recours à certains types de matériaux rigidifierait le dispositif. Demande de retrait.
Le report de plusieurs années du calendrier pour l'élimination des passoires thermiques n'est pas souhaitable, pour la crédibilité de l'action publique et pour protéger les occupants en situation de précarité énergétique - c'est une question de justice sociale et de pouvoir d'achat. Ce serait un mauvais signal envoyé à la filière de la rénovation, et un recul vis-à-vis de nos engagements climatiques. Avis défavorable à l'amendement n°7 rectifié, à défaut de retrait.
Nous aurons à débattre prochainement de la proposition de loi d'Amel Gacquerre qui apporte des assouplissements, tout en maintenant le calendrier. Je sais que la commission y travaille !
L'amendement n°23 est adopté.
L'amendement n°7 rectifié n'a plus d'objet.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°22 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - La question de la rénovation du bâti ancien est celle de l'adaptation au dérèglement climatique et de la précarité énergétique. À La Réunion et à Mayotte, j'ai vu les terribles conséquences matérielles et humaines des catastrophes climatiques.
Les logements anciens, en outre-mer, deviennent des passoires énergétiques. Pendant l'été austral, il fait plus de 40 degrés dans les salles de classe : difficile d'y suivre des cours ou d'y enseigner. Il faut rénover les bâtiments en établissant un diagnostic sérieux, tenant compte des particularités locales.
En Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte, les logements classés G seront interdits à la location au 1er janvier 2028 ; ceux qui sont classés F au 1er janvier 2031. Il faut que la rénovation soit performante partout, y compris en outre-mer.
Un degré supplémentaire, c'est 8 MgW de puissance de consommation. Après un pic de 500 MgW en 2023, nous avons atteint 514 MgW en février 2025 : stoppons la surenchère.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Il n'existe un cadre pour le DPE qu'en Guadeloupe et en Martinique, adopté par le conseil régional.
Le DPE ne prend en compte que les caractéristiques physiques du bâtiment. Il ne peut intégrer le climat, sauf à modifier le mode de calcul, ce qui ne va pas dans le sens de la simplification.
La commission a toutefois précisé que les qualités hygrothermiques des matériaux des bâtis anciens - qui ont une empreinte locale forte - seront prises en compte par le DPE. C'est une façon de tenir compte autrement du climat spécifique dans les outre-mer. Avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Le Gouvernement a prévu d'adapter le DPE aux conditions climatiques particulières des départements et régions d'outre-mer, nous y travaillons.
En application de l'article L126-26 du code de la construction et de l'habitation, le DPE évalue la quantité d'énergie effectivement consommée ou estimée, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre induites. Or la modélisation de l'utilisation standardisée d'un bâtiment en outre-mer suppose la prise en compte des caractéristiques climatiques du territoire. Retrait : nous nous attelons vraiment à ce sujet.
L'amendement n°22 est retiré.
M. le président. - Amendement n°25 de Mme Noël, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement rédactionnel n°25, accepté par le Gouvernement, est adopté.
M. le président. - Amendement n°9 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Il faut prendre en compte la perspirance et l'inertie thermique des matériaux pour éviter les pathologies du bâtiment et améliorer son confort thermique sans altérer ses qualités d'origine.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - L'hygrothermie désigne le taux d'humidité et la température ambiante ; la perspirance, la capacité d'un matériau à réguler naturellement l'humidité ; l'inertie, la capacité à conserver la chaleur. Ces notions sont incluses dans les apports de la commission et seront forcément prises en compte dans les mesures réglementaires d'application. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis.
M. Guillaume Gontard. - Il faut préciser le DPE et le rendre plus performant, car c'est un outil efficace. Les logiciels prennent ces éléments en compte - mais les diagnostiqueurs les mettent-ils en application sur site ? Font-ils la différence entre un matériau biosourcé et non biosourcé ? Tout l'enjeu, c'est la connaissance et la formation - d'où la préconisation de notre commission d'enquête de créer une carte professionnelle pour les diagnostiqueurs.
Mme Valérie Létard, ministre. - Oui, les remontées en ce sens sont nombreuses. Comment sécuriser le travail des diagnostiqueurs, les doter d'outils plus précis, mieux les former, contrôler, voire sanctionner en cas de comportements anormaux ? Nous avons formulé dix propositions, que j'ai présentées hier. M. Buzy-Cazaux travaille sur une formation post-bac à destination des diagnostiqueurs. Il y aura également de la formation continue, des certifications renforcées, des QR Code pour savoir qui est son diagnostiqueur. La consultation des DPE sera facilitée. Nous utiliserons l'intelligence artificielle pour améliorer les contrôles.
Sur quatre millions de DPE par an, il y en a 70 000 de complaisance - c'est peu mais déjà trop. Nous souhaiterions qu'il y en ait zéro. Le DPE doit être incontestable, irréprochable. C'est l'objectif pour 2025.
M. Michel Masset. - Il ne faut pas confondre le DPE avec l'étude thermique : l'un coûte 100 à 200 euros, l'autre 700 à 800 euros. L'étude thermique oblige à renseigner précisément la conception des matériaux.
L'amendement n°9 rectifié n'est pas adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Article 3
M. le président. - Amendement n°15 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Il s'agit de prendre en compte l'hygrothermie dans les travaux d'isolation thermique par l'extérieur. Si vous isolez par l'extérieur une maison à pans de bois avec du polystyrène, le bois pourrira en quelques années, et la maison ne sera plus habitable.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Je partage votre souci de favoriser les rénovations et isolations respectueuses du bâti ancien. Cela dit, la modification des règles relatives au droit de surplomb n'est pas une approche pertinente. En accord avec Michaël Weber, la commission a prévu la prise en compte de l'hygrothermie des matériaux dans le DPE. Retrait sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - La faculté de faire réaliser une isolation par l'extérieur en surplomb du fonds voisin en échange d'une indemnité n'est pas conditionnée aux techniques ou matériaux employés. Les rénovations énergétiques des bâtiments traditionnels doivent déjà être respectueuses, et ne pas entraîner de pathologies futures, notamment en veillant à la ventilation. Retrait.
L'amendement n°15 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié de Mme Drexler et alii.
L'amendement n°10 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°26 de Mme Noël, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement rédactionnel n°26, accepté par le Gouvernement, est adopté.
M. le président. - Amendement n°13 rectifié de Mme Drexler et alii.
L'amendement n°13 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°14 rectifié de Mme Drexler et alii.
L'amendement n°14 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°11 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - L'amendement rétablit une partie de l'article 3 supprimée par la commission, qui précise que le diagnostic énergétique est aussi patrimonial.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - La commission a supprimé l'audit énergétique et patrimonial car il était excessif de l'imposer à près d'un tiers du parc. Avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - L'audit énergétique réglementaire demande déjà une analyse des caractéristiques architecturales et patrimoniales du bien audité.
La prise en compte des enjeux patrimoniaux est une facette parmi d'autres, déjà intégrée dans l'audit énergétique. Ne complexifions pas. Avis défavorable.
L'amendement n°11 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°17 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Cet amendement précise que le réemploi des matériaux et que l'emploi des matériaux biosourcés et géosourcés doivent être privilégiés.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Remplacer le terme rénovation par réhabilitation n'est pas opportun. L'article L171-1 que vous visez concerne aussi le bâti neuf, soumis à une réglementation spécifique. Évitons tout effet de bord. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis.
L'amendement n°17 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°16 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Encore un rétablissement d'une partie de l'article initial. Il est utile de préciser dans l'article L173-1 du code de la construction et de l'habitation que les travaux engagés dans les bâtis anciens à valeur patrimoniale doivent respecter leurs qualités hygrothermiques, de perspirance et d'inertie.
M. le président. - Amendement n°12 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Défendu.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Ces amendements reviennent sur le compromis trouvé en commission afin d'éviter des coûts pour les propriétaires qui n'ont pas les moyens de payer des audits onéreux. L'article 2 que nous avons adopté précise déjà que les recommandations de travaux prennent en compte les spécificités du bâti ancien. Avis défavorable aux deux amendements.
Mme Valérie Létard, ministre. - La précision apportée par l'amendement n°16 rectifié n'est effectivement pas nécessaire. Elle risque d'être contre-productive et de compliquer inutilement la loi. Retrait.
Même avis pour l'amendement n°12 rectifié pour les mêmes raisons que pour les amendements nos10 rectifié et 11 rectifié.
L'amendement n°16 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°12 rectifié.
L'article 3, modifié, est adopté.
Après l'article 3
M. le président. - Amendement n°18 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Nous proposons d'ajouter un article pour enfin interdire l'isolation par l'extérieur sur les bâtiments à pans de bois. Les matériaux dérivés du pétrole ont des effets délétères sur ce type de façade : ils font pourrir le bois, provoquent des moisissures et rendent les logements insalubres en quelques années. Ils accélèrent en outre la propagation du feu. Un décret dresserait la liste des matériaux à proscrire.
Le sous-amendement n°27 n'est pas défendu.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Il n'est pas pertinent d'inscrire dans la loi une telle interdiction. Tous les professionnels audités m'ont dit être défavorables à des mesures d'interdiction strictes, chaque bâtiment étant différent. Privilégions la formation. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis.
L'amendement n°18 rectifié n'est pas adopté.
Article 5
M. le président. - Amendement n°2 rectifié bis de M. Jadot et alii.
M. Guillaume Gontard. - Cet amendement revient au texte originel en rétablissant une majoration de MaPrimeRénov' pour l'utilisation des matériaux biosourcés dans les bâtiments anciens.
Les matériaux biosourcés pour une rénovation, ce n'est pas forcément plus cher, mais c'est plus compliqué. Il faut de l'ingénierie, de la réflexion. Un tel bonus serait donc bienvenu : il lancerait un signal. Si l'on veut amorcer une réelle filière des matériaux biosourcés, il faut des encouragements. Cela ferait vivre les artisans qui se forment à ces matériaux, ce serait donc un cercle vertueux.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Cet amendement va à l'encontre du compromis adopté en commission. En 2025, les crédits de MaPrimeRénov' ont été réduits de plus de 1 milliard d'euros.
Plutôt qu'une majoration systématique, engageons une réflexion sur les contours possibles d'un soutien spécifique à la rénovation énergétique des bâtiments anciens, pour éviter les effets d'aubaine. Avis défavorable.
M. Yannick Jadot. - Sagesse !
Mme Valérie Létard, ministre. - Le contexte budgétaire est très contraint, mais la publication d'un décret permettant aux collectivités territoriales de bonifier MaPrimeRénov' permettra toutefois d'aller plus loin. (On en doute sur les travées du GEST.) Si, c'est une avancée réelle qui a demandé un travail de plus de trois mois. Cette bonification pourra être utilisée pour favoriser certains types de matériaux locaux.
L'Anah a lancé une expérimentation de trois ans pour 2024-2026 concernant les copropriétés de moins de vingt lots dans les centres anciens. Ses résultats pourront être utilisés pour adapter au mieux les aides aux spécificités du bâti ancien. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Guillaume Gontard. - Une précision concernant ce décret, que nous n'avons pas encore vu en détail...
Mme Valérie Létard, ministre. - Il a été publié ce matin !
M. Guillaume Gontard. - Ce sera à la charge des collectivités, non de l'État - même s'il est important qu'elles en aient la possibilité.
Il faut traiter cette question. Dans l'Isère, un bonus a été introduit dans la DETR pour l'utilisation de matériaux biosourcés. C'est un bon signal envoyé aux collectivités territoriales.
L'amendement n°2 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°24 de M. Michaël Weber et du groupe SER.
M. Michaël Weber. - Nous proposons que l'État engage une réflexion dans un rapport sur la bonification de MaPrimeRénov' pour l'utilisation de matériaux biosourcés dans les rénovations.
MaPrimeRénov' est plutôt bien consommée, ce qui est heureux. Avoir des informations plus précises serait bienvenu.
Pour réussir la transition énergétique et mettre en valeur notre bâti ancien, il faut construire ensemble des accompagnements financiers, avec les collectivités territoriales comme avec l'État. Ce n'est pas seulement une filière à créer, mais des validations techniques à obtenir. Proche de la frontière allemande, je peux constater que nos voisins sont plus efficaces sur ce point.
Pour nos concitoyens les plus fragiles, un tel accompagnement financier est nécessaire.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Dans la continuité des recommandations de la commission d'enquête de 2023, une telle évaluation serait pertinente. Avis favorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis.
L'amendement n°24 est adopté.
M. le président. - Amendement n°19 rectifié bis de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Cet amendement inclut dans le champ du rapport sur le dispositif MaPrimeRénov' une évaluation de la formation des accompagnateurs Rénov'.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Avis favorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis.
L'amendement n°19 rectifié bis est adopté.
L'article 5, modifié, est adopté.
Après l'article 5
M. le président. - Amendement n°21 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Nous souhaitons étendre le bénéfice de la déduction d'impôt associée à l'octroi du label de la Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique portant sur les parties intérieures des immeubles. Il est difficile de placer une isolation à l'extérieur, aidons l'isolation intérieure.
Mme Sylviane Noël, rapporteure. - Lors du projet de loi de finances pour 2025, la commission des finances et le Gouvernement avaient émis un avis défavorable à cet amendement, qui détournerait les objectifs de la Fondation du patrimoine vers la rénovation énergétique et entraînerait un saupoudrage.
Même s'il s'agit d'une recommandation de la commission d'enquête, nous n'avons aucune évaluation chiffrée.
Le rapport prévu à l'article 5 recensera toutes les pistes de soutien à la rénovation du bâti ancien. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Même avis, pour les mêmes raisons.
L'amendement n°21 rectifié n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Michaël Weber . - Je remercie la rapporteure pour son travail considérable, ainsi que la présidente de la commission.
Sur ce sujet, avec Sabine Drexler et Guillaume Gontard, nous avions pu trouver des consensus.
J'ai trouvé de l'écoute auprès de Mme la ministre, comme de Mmes Agnès Pannier-Runacher et Rachida Dati.
J'espère que nous saurons faire reconnaitre ce patrimoine, qui fait la richesse de notre pays. Je compte sur un vote unanime.
À la demande du groupe SER, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°238 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité ! (Bravos et applaudissements)
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Sabine Drexler. - Lors du scrutin public n°225, je souhaitais voter contre.
Acte en est donné.
Prochaine séance, mardi 25 mars 2025 à 9 h 30.
La séance est levée à 17 h 50.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 25 mars 2025
Séance publique
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
Présidence : M. Dominique Théophile, vice-président, M. Gérard Larcher, président, Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente, M. Didier Mandelli, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy
1. Questions orales
2. Proposition de loi visant à convertir des centrales à charbon vers des combustibles moins émetteurs en dioxyde de carbone pour permettre une transition écologique plus juste socialement, présentée par M. Khalifé Khalifé et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°462, 2024-2025)
3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte (texte de la commission, n°467, 2024-2025)
4. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents (texte de la commission, n°464, 2024-2025)