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Table des matières
M. François Bayrou, Premier ministre
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Financement de la relance nucléaire
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Difficultés rencontrées par les pêcheurs
Journée mondiale de la trisomie 21
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
Traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Situation migratoire sur la Côte d'Opale
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur
Embauche de travailleurs saisonniers
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Campagne d'affichage de La France insoumise
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger
Prix de l'électricité pour les industries hyper électro-intensives
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Conflit en République démocratique du Congo
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Mise au point au sujet d'un vote
Exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Discussion de l'article unique
Architectes des Bâtiments de France
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Intitulé de la proposition de loi
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Mettre fin au sans-abrisme des enfants
M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution
Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement
Ordre du jour du jeudi 20 mars 2025
SÉANCE
du mercredi 19 mars 2025
70e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
Réforme des retraites (I)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, par lettre du 16 janvier vous m'avez confirmé votre engagement pour que la concertation sur les retraites se déroule sans totem ni tabou (« oh ! » à droite), pas même sur l'âge de départ...
En s'attaquant aux inégalités salariales, à l'emploi des seniors, à la justice fiscale, cet équilibre financier est à portée de main. Or pas une semaine ne se passe sans que vous vous immisciez dans les discours des partenaires sociaux, qui devaient être libres.
C'est un sabotage du dispositif que vous avez vous-même imaginé ; vous dégradez ainsi le dialogue social, vous contournez le Parlement, vous méprisez les citoyens qui se sont massivement mobilisés contre la réforme.
Allez-vous respecter vos engagements pour que les partenaires sociaux puissent construire une solution sans miner le terrain des négociations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST)
M. François Bayrou, Premier ministre . - Vous soulevez deux questions, en réalité : d'abord, les partenaires sociaux sont-ils légitimes pour travailler au financement et à l'équilibre du système des retraites ?
Certains pensent que non, ce n'est pas mon cas ; je leur ai donc donné la main. Cela dit, me suis-je immiscé dans leur débat ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Oui !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Jamais je ne me suis immiscé dans leur débat ; je ne leur ai même pas présenté le rapport de la Cour des comptes.
Vous avez rappelé ma lettre de mission ; elle indique que l'on ne peut pas dégrader l'équilibre financier. Dans une autre, j'ai expliqué qu'il fallait revenir à l'équilibre - la Cour des comptes a en effet montré qu'on avait atteint un déficit à hauteur de 7 milliards d'euros par an, qui va croissant.
On m'a demandé s'il était possible d'atteindre l'équilibre : à mes yeux, cela n'est pas possible en revenant à 62 ans. C'est mon analyse...
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous êtes Premier ministre !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Cette affirmation est partagée sur de nombreux bancs, y compris dans l'inconscient de ceux qui me posent la question... (Protestations à gauche)
J'ai rencontré de nombreux protagonistes qui veulent continuer à s'investir sur ce sujet. Je souhaite que l'on trouve les aménagements nécessaires pour atteindre l'équilibre financier indispensable à l'avenir de notre système. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; MM. Jean-François Longeot et Loïc Hervé applaudissent également.)
M. Patrick Kanner. - Mon inconscient va très bien.
N'êtes-vous pas en train de céder aux sirènes qui sifflent sur les places Beauvau et Vendôme ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Bruno Retailleau s'en amuse.)
Vous prétendez être du centre droit, ne vous dirigez-vous pas vers l'extrême droite du centre ? (Applaudissements à gauche ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Vous laissez se développer ici un débat qui vise à recycler des mesures d'extrême droite censurées par le Conseil constitutionnel, cautionnées par vos ministres ; c'est une dérive ! Nous ne vous suivrons pas sur ce tapis rouge que vous déroulez au RN. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Réforme des retraites (II)
M. Jérémy Bacchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Selon le Premier ministre, la démocratie sociale n'est pas négligeable. Qui croire ? Le Premier ministre de la déclaration de politique générale ou le Premier ministre des plateaux de télévision ?
En janvier, vous promettiez une discussion sans tabou et maintenant c'est un non ferme au retour à 62 ans. Après le 49.3 parlementaire, voici le 49.3 de la démocratie sociale.
Nul n'a le droit de proposer un retour à 62 ans avec un financement alternatif. Qui écouter ? Les ministres sociolibéraux ou les ministres clairement libéraux ? Le Premier ministre nous indique que le contrat n'a pas changé, mais, à force de saboter les négociations, il n'y aura bientôt plus personne autour de la table. Allez-vous oeuvrer contre les intérêts du plus grand nombre et refuser un retour à 62 ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a dit qu'il fallait faire confiance au dialogue social et aux partenaires sociaux ; ces règles ne changent pas. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K) La légitimité des partenaires sociaux est nécessaire et reconnue. Notre démarche est inédite.
Mme Cécile Cukierman. - Ah oui ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - D'abord, car nous avons demandé un diagnostic irréfutable à la Cour des comptes, qui indique que notre déficit atteint 7 milliards d'euros. (Mme Cécile Cukierman le conteste.)
Ensuite, dans une lettre de mission aux partenaires sociaux, le Premier ministre a rappelé l'exigence sine qua non de l'équilibre à 2030 pour notre régime de répartition. Quand vous arriverez à la retraite, vous et vos administrés pourrez ainsi bénéficier d'une retraite décente. (M. Fabien Gay proteste.) Démarche inédite aussi, car nous avons demandé aux partenaires sociaux d'établir un ordre du jour. Ils se réunissent tous les jeudis pour discuter sur divers sujets. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Cette discussion doit parvenir à son terme, pour corriger les injustices, notamment la pénibilité et la carrière des femmes. (M. François Patriat applaudit ; M. Fabien Gay s'exclame.)
Le Gouvernement veut réduire la part des dépenses de retraite dans le PIB, comme l'indique le rapport de la Cour des comptes : atteindre 13 centimes de retraites par euro produit en 2045 contre 14 centimes actuellement.
Ces menaces incitent les retraités à se mobiliser demain. Je salue leur mobilisation, ainsi que celle notamment des professions portuaires qui veulent faire reconnaître la pénibilité de leur métier et leur exposition à l'amiante. Pour nous, 64 ans, c'est toujours non ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Financement de la relance nucléaire
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Conseil de politique nucléaire a repris plusieurs propositions de la commission d'enquête sénatoriale sur le prix de l'électricité, ce dont je me félicite.
Nous nous réjouissons également de l'annonce du financement des six EPR 2, de la mise en place du contrat pour différence, de la relance de la quatrième génération des réacteurs à neutrons rapides et du renforcement de l'aval du cycle avec une nouvelle piscine à la Hague et une optimisation du recyclage.
Quel est le montant estimé des investissements nécessaires à la relance de la filière dans les dix prochaines années et comment se répartissent-ils entre l'État et les acteurs de la filière ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; marques d'ironie sur les travées du GEST)
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie . - La filière nucléaire est au coeur de notre stratégie énergétique, comme le rappelait le Président de la République lors de son discours de Belfort en février 2022. Le Conseil de politique nucléaire a fait le point sur le programme des six EPR 2 qui seront en service d'ici à 2038. Une maîtrise des coûts tout comme de l'organisation par EDF sont nécessaires. Le financement de l'EPR 2 sera fondé sur un prêt bonifié accordé par l'État à EDF, à l'instar de ce que la Commission européenne a accepté pour la République tchèque. En phase d'exploitation, il y aura un contrat pour différence, c'est-à-dire une modalité de rachat de l'électricité nucléaire dont le niveau a été fixé pour garantir un prix compétitif pour les industriels tout en assurant la soutenabilité du modèle économique d'EDF.
Le traitement du combustible nucléaire nécessite d'investir dans de nouvelles technologies, afin de fermer le cycle du nucléaire. Nous devons être indépendants des sources d'approvisionnement d'uranium naturel, localisé dans des pays qui ne sont pas toujours très fiables.
M. Yannick Jadot. - Allez !
M. Marc Ferracci, ministre. - Ce programme fait l'objet d'une contribution de l'État avec des prêts bonifiés et au titre de France 2030, à hauteur de 200 millions d'euros pour les petits réacteurs modulaires. Le programme EPR 2 coûtera environ 70 milliards d'euros. (M. Yannick Jadot ironise.)
M. Guy Benarroche. - Quelle histoire !
M. Vincent Delahaye. - Votre réponse ne nous rassure pas tout à fait. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Les acteurs de la filière ont besoin de lisibilité. Le partage de la participation à la relance doit être clair. On emprunte pour payer les salaires des fonctionnaires et leurs retraites, nous pourrions le faire aussi à hauteur de 10 milliards d'euros par an pour le nucléaire. (On ironise sur les travées du GEST.) C'est vital pour la France. Nous avons besoin du nucléaire pour notre économie, nos emplois et l'avenir des Français. (Exclamations sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Réforme des retraites (III)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les déclarations se multiplient pour contraindre les débats du conclave : la ministre du travail interfère en plaidant pour le départ à 65 ans et la capitalisation, le président du Conseil d'orientation des retraites (COR) outrepasse sa fonction en trouvant le débat dérisoire en période d'économie de guerre, la ministre des comptes publics le déclare irréaliste. Et voici que le Premier ministre lui-même interdit le retour aux 62 ans.
Pourquoi le rapport de la Cour des comptes n'a-t-il pas chiffré ce retour à 62 ans ? Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas suspendu la réforme le temps de la concertation ?
Vous rendez le débat forclos et méprisez une deuxième fois la démocratie sociale. Exit l'explosion des exonérations non compensées, les mesures pour une égalité salariale effective et l'amélioration des taux d'emploi et du rendement des cotisations. Le conclave se voit imposer sa conclusion et tourne au marché de dupes. Si vous sabotez votre propre conclave, comment comptez-vous donc revenir devant le Parlement ?
Le Parlement sera-t-il saisi des propositions et paramètres qui auraient dû être discutés par les partenaires sociaux ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Mickaël Vallet, Simon Uzenat et Ian Brossat applaudissent également.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Le dialogue va se poursuivre : laissons les partenaires sociaux travailler sereinement.
La Cour des comptes a fourni un rapport sur la trajectoire financière. Dans deux semaines, elle publiera un rapport sur les conséquences macroéconomiques, notamment du taux d'activité des seniors. Elle a répondu à une demande des partenaires sociaux sur la projection financière d'un retour à 62 ans.
Je souhaite que les partenaires sociaux puissent travailler sereinement. (Rires sur plusieurs travées du GEST)
M. Yannick Jadot. - Lesquels ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Il faut retrouver l'équilibre dès 2030 : un régime par répartition déséquilibré est une menace pour les futurs pensionnés. Il faut travailler sur les carrières hachées, le travail des femmes et la pénibilité.
Encore une fois, laissons les partenaires travailler sur les thèmes qu'ils ont choisis : vous aurez vos réponses.
Mme Raymonde Poncet Monge. - En cessant votre politique des caisses vides, qui justifie vos réformes antisociales et votre volonté de livrer nos retraites aux marchés, il est possible de revenir à 62 ans. Ayez au moins le courage d'en débattre ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol, MM. Simon Uzenat et Ian Brossat applaudissent également.)
Voile dans le sport
M. Michel Savin . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà un mois, le Sénat a adopté à une large majorité la proposition de loi interdisant le port de signes religieux lors d'événements sportifs. (Murmures désapprobateurs à gauche)
Vous avez soutenu cette proposition de loi en mettant fin à la déplorable cacophonie du Gouvernement, et je vous en remercie.
M. Jean-François Husson. - Très bien !
M. Michel Savin. - L'entrisme religieux est dangereux. Monsieur le ministre, parce que les actes valent mieux que les mots, quand inscrirez-vous cette proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Alain Marc applaudit également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Merci d'avoir eu le courage de déposer cette proposition de loi importante (on ironise à gauche) pour réaffirmer le principe de laïcité, qui ne souffre aucune exception.
Le Gouvernement a une seule ligne : soutenir cette proposition de loi. Un terrain de sport n'a pas à être un terrain d'entrisme religieux. Aucun maillot ne doit être politique ni religieux. (Protestations à gauche)
M. Patrick Kanner. - Amalgame !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Le Gouvernement inscrira votre proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nous devons réaffirmer nos valeurs. (Mme Mathilde Ollivier proteste.) Ceux qui empêchent la pratique des sports, ce sont ceux qui imposent aux femmes une tenue différente de la tenue sportive !
M. Patrick Kanner. - Amalgame !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - La liberté, c'est la laïcité ; et la laïcité, c'est l'émancipation, notamment des femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Akli Mellouli proteste.)
M. Jacques Grosperrin. - La gauche est absente ?
M. Michel Savin. - Me voici rassuré sur votre volonté d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Contrairement aux ministres des sports et de l'éducation nationale, je veux souligner l'urgence de légiférer. Il ne se passe pas un week-end sans qu'un président de club, un éducateur, voire la police, ne constate que le sport est devenu un terrain de conquête pour l'islam politique. Tous demandent un cadre clair.
Lorsque l'on participe à une compétition, on n'a pas besoin de connaître l'appartenance politique ou religieuse de son adversaire. Le voile est un objet politique, que les femmes qui le portent en aient conscience ou non. (Murmures désapprobateurs sur les travées du GEST) C'est l'instrument d'un projet politique échafaudé par les tenants de l'islam radical, qui se réjouissent de l'aveuglement et de la naïveté, voire de la complicité, de dirigeants et d'élus. Nous sommes face à un véritable enjeu de société, et ce n'est pas à la société de s'adapter !
Il faut un soutien sans équivoque du Gouvernement. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Bernard Buis applaudissent également.)
Difficultés rencontrées par les pêcheurs
Mme Nadège Havet . - (Mme Patricia Schillinger applaudit.) Fermeture du golfe de Gascogne, menaces d'interdiction de certaines techniques de pêche, problèmes liés au Brexit : les contraintes imposées aux pêcheurs sont nombreuses. Comme les agriculteurs, ils sont également sous la pression de certaines ONG. Ils ont un sentiment d'injustice.
Notre pêche, ce sont des emplois sur terre et sur mer. C'est l'identité de certains territoires, comme le pays bigouden. Au Guilvinec, madame la ministre, vous leur avez dit : j'enrage que notre pays, deuxième domaine maritime mondial, affiche un déficit commercial de plus de 5 milliards d'euros pour la pêche.
Depuis trente ans, la pêche française a fourni de nombreux efforts - quotas stricts, progrès techniques, sélectivité - qui ont porté leurs fruits. Il faut renforcer ce secteur, gage de souveraineté alimentaire. Pourquoi les mareyeurs doivent-ils importer des poissons par camion ou par avion ? (Mme Mathilde Ollivier et M. Yannick Jadot ironisent.) Il y a dix jours, des pêcheurs bretons ont fait part de leur ras-le-bol : ils ne veulent plus être montrés du doigt.
Alors que nous allons accueillir en juin la Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc), qu'allez-vous faire pour rassurer nos pêcheurs ? Le soutien à la pêche sera-t-il un axe fort de la position française ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes SER, UC et Les Républicains)
M. Max Brisson. - Très bien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - Les pêcheurs auront tout mon soutien à l'Unoc. C'est mon rôle de valoriser leur action pour mettre en place une pêche durable, de lutter contre la pêche illégale outre-mer, mais aussi parfois au large de l'Hexagone, et de m'assurer qu'ils contribuent à la souveraineté alimentaire dans un contexte géopolitique difficile - sachant que nous importons 80 % des produits de la mer que nous consommons. C'est l'ambition de notre contrat stratégique de filière, signé avec le Président de la République à l'occasion du salon de l'agriculture.
Je souligne l'action menée s'agissant du golfe de Gascogne. Mes services essaient d'obtenir de la Commission européenne une compensation à la hauteur. Je souhaite rouvrir la pêche en 2027, avec des méthodes conciliant biodiversité et pêche.
Je travaille aussi sur la lutte contre la concurrence déloyale. Lundi prochain, je rencontrerai le commissaire Kadís, auprès de qui je m'assurerai que la pêche ne sera pas la variable d'ajustement des négociations post-Brexit. Je défendrai une lutte ferme contre la pêche illégale dans le cadre du pacte sur les océans (M. François Patriat applaudit.)
Journée mondiale de la trisomie 21
M. Jean-Luc Brault . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Quatre-vingt-quinze euros : c'est ce qu'il reste à Loéline pour vingt heures de travail par semaine, une fois déduits les frais de transport à cause de son handicap.
Madame la ministre, auriez-vous la motivation de travailler vingt-quatre heures par semaine pour si peu ? Pas moi. Loéline, 19 ans, porteuse de trisomie 21, a ce courage. Lors du Duoday, le 21 novembre dernier, elle nous a exposé sa situation dans un discours très émouvant.
Son cas n'est pas isolé. Je puis vous fournir nombre d'exemples d'absurdités : une administration qui interdit à un père de représenter au téléphone son fils, porteur de trisomie avec des traits autistiques ; des employeurs, et j'en sais quelque chose, jetant l'éponge pour cause d'excès de paperasserie ; des aidants qui mettent des heures à monter un dossier pour obtenir, plusieurs mois plus tard, un refus non motivé ; une personne amputée des deux jambes qui doit attendre dix mois sa carte mobilité inclusion. On a l'impression que cela ne s'arrêtera jamais.
Les personnes en situation de handicap ne veulent pas être assistées : elles veulent oeuvrer à la vie de notre cité comme tout le monde. Vingt ans après la loi de 2005, nous en sommes au douzième comité interministériel du handicap (CIH). Il faudra qu'il cesse de se réunir un jour...
M. le président. - Quelle est votre question ?
M. Jean-Luc Brault. - Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques autres travées)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . - Vous avez raison : les personnes en situation de handicap demandent non à être assistées, mais à pouvoir se déplacer et vivre normalement, sans être entravées. Le Premier ministre et le Gouvernement souhaitent répondre à leurs aspirations légitimes.
Depuis 2017, il y a eu des améliorations. Nous avons augmenté le nombre d'enfants scolarisés, passé de 320 000 à 520 000, et il y a aujourd'hui plus de 80 000 AESH ; nous en recruterons encore davantage.
Nous augmentons la convergence entre les droits des personnes en situation de handicap et ceux de tous les salariés. À la demande du Premier ministre, la simplification a été au coeur du CIH du 6 mars.
Je réunirai une task force sur ces questions pour que, d'ici à la fin du premier semestre, nous présentions des mesures de simplification et d'efficacité, notamment dans les démarches des familles auprès des MDPH. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine
M. André Guiol . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La France a ratifié le 5 février l'accord historique pour la protection des océans. Historique par ses objectifs, la protection de la haute mer et des grands fonds, et par sa méthode, car il complète la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
La conférence de Nice en juin prochain devrait entraîner d'autres ratifications. Le Parlement s'est prononcé unanimement pour sa ratification.
La France, qui se veut une puissance d'équilibre, dispose d'une opportunité pour augmenter son influence en la matière dans le monde.
L'ONU tente d'être un fédérateur en face de pays qui convoitent les innombrables ressources des mers.
Nos concitoyens sont très attachés à la protection des océans.
Où en sont les ratifications ? Il faut que 60 États le ratifient pour qu'il entre en vigueur. Pouvez-vous rappeler les principaux enjeux de l'accord et la position de la France ?
L'année 2025 est l'année de la mer. C'est une formidable occasion de promouvoir cette noble cause. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur le traité BBNJ. Je connais votre engagement à ce propos, puisque vous aviez fait voter ici une résolution à ce sujet.
Cet accord est le premier à concerner la haute mer, espace presque de non-droit, puisque la convention de Montego Bay de 1982 n'y interdit rien, sauf la piraterie.
C'est pourtant notre principal puits de carbone : elle absorbe près de 30 % du CO2 que nous émettons et capte plus de 90 % de la chaleur liée au réchauffement ; sans elle, le dérèglement climatique se serait emballé depuis bien longtemps. La mer nourrit une très large partie de l'humanité, assurant une sécurité alimentaire qui évite des migrations problématiques.
C'est un patrimoine génétique méconnu, dont les ressources sont immenses. C'est un poumon bleu qu'il était plus qu'urgent de protéger.
Après six ans de négociations, ce traité BBNJ a été signé en 2023 par 112 États, grâce à la mobilisation du Président de la République et de la France.
Avec Jean-Noël Barrot, nous faisons en sorte que tous les pays signataires le ratifient, pour le rendre utile. C'est important dans la perspective de la conférence des Nations unies sur la mer...
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - ... et pour défendre l'exigence de défense de la biodiversité en haute mer. (MM. François Patriat et Henri Cabanel applaudissent.)
Vins et spiritueux (I)
M. Daniel Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Président du groupe Vigne et vin du Sénat, élu de la région du cognac, je vous alerte à nouveau sur les menaces graves qui pèsent sur notre filière viticole.
L'annonce de Trump d'une taxe de 200 % sur les vins et spiritueux accentue l'instabilité. Après les taxes de 25 % entre 2019 et 2021, la filière, qui a toujours cherché à rester en dehors des conflits commerciaux, est une nouvelle fois en première ligne. C'est une réponse à la menace de la Commission européenne de taxer les bourbons en représailles aux droits de douane sur l'acier et l'aluminium. La solution est simple : Bruxelles doit la retirer !
À cela s'ajoute la crise avec la Chine, qui a provoqué l'effondrement à l'exportation de ce marché stratégique, avec des pertes estimées à 50 millions d'euros par mois. Investissements gelés, restructurations, licenciements : la crise est grave. La filière cognac et armagnac attend des mesures fortes.
Il est de notre responsabilité de protéger cette filière emblématique de notre patrimoine. Quelles actions urgentes comptez-vous mener pour répondre à cette crise sans précédent ? (Vifs applaudissements et bravos sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger . - Vous avez raison : notre responsabilité est de soutenir la filière des vins et spiritueux dans son ensemble face aux enquêtes antidumping de la Chine et à la guerre commerciale voulue par les États-Unis.
La France ne veut pas de cette guerre commerciale ! Elle n'est bonne pour personne, y compris les Américains. Nous dialoguons avec eux en permanence.
En cas de hausse des droits de douane, l'Europe doit savoir riposter, mais intelligemment, sans mettre en danger les filières. Je suis en lien avec le commissaire européen chargé du commerce, Maro? ?ef?ovi?. Nous avons jusqu'à avril pour déterminer la réponse la plus pertinente.
En ce qui concerne la Chine, marché vital pour le cognac et l'armagnac, le dialogue diplomatique se poursuit. Jean-Noël Barrot se rendra sur place à la fin du mois. Les enquêtes antidumping ne sont pas favorables à une relation diplomatique sereine. Des produits sont en outre retirés du duty free, ce qui n'est pas acceptable.
Nous n'abandonnerons pas la filière et nous la protégerons ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Daniel Laurent. - Merci, monsieur le ministre, d'être venu en Charente-Maritime. Nous sommes au pied du mur pour sauver notre agriculture. Le Président de la République et le Gouvernement doivent se mobiliser. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Sophie Patru et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
Mayotte
M. Saïd Omar Oili . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après le passage de Chido qui a dévasté Mayotte, un fort élan de solidarité s'est exprimé dans l'Hexagone. La Fondation de France évoque une collecte de fonds record. J'ai pu mesurer la mobilisation des collectivités locales en Bretagne. Associations et ONG sont mobilisées.
La population mahoraise souffre d'une pénurie de denrées de première nécessité, dont l'eau. Imaginez : une famille avec des enfants, qui a de l'eau au robinet un jour sur trois, qui ne trouve pas de bouteilles d'eau dans des magasins, en France, trois mois après une catastrophe...
Pour couronner le tout, les aides humanitaires sont bloquées sur le port de Longoni. Les donateurs en numéraire ont une réduction d'impôt, mais pour les aides directes, il faut payer des droits portuaires... Cette situation est inacceptable dans notre République. Je vous demande d'agir pour permettre l'acheminement rapide de ces dons vers la population mahoraise en grande souffrance. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser Manuel Valls, en déplacement dans les Antilles.
Comme vous, je salue l'élan de générosité à l'égard de nos compatriotes mahorais. Le port de Longoni est particulièrement sollicité, or il est sous-dimensionné ; des investissements seront nécessaires pour augmenter ses capacités et fluidifier le transport de marchandises.
Le préfet de Mayotte a réuni les acteurs de la chaîne portuaire et logistique, mais aussi de la grande distribution, pour fluidifier la sortie des conteneurs et l'achalandage. Le port fonctionne en continu de 6 h 30 à 15 heures, week-end compris. Il n'y a pas de blocage. Près de 1 300 conteneurs y sont actuellement stockés ; en sortie de crise sociale en 2024, il y en avait 7 000. La réquisition serait contreproductive : ce serait interférer dans le flux logistique. J'ajoute que nos militaires sont déjà mobilisés sur des missions prioritaires.
Il est important que les donateurs prévoient les frais dans leur intégralité, notamment de transit ou de manutention. Les biens destinés à l'aide aux victimes peuvent être exonérés de droits de douane et d'octroi de mer. Je rappelle que la TVA ne s'applique pas à Mayotte.
La loi d'urgence a facilité les dons.
Vous êtes dans votre rôle en remontant les difficultés du terrain, comme le fait aussi Salama Ramia. Soyez assuré de la pleine mobilisation de l'État aux côtés de nos compatriotes mahorais.
Situation migratoire sur la Côte d'Opale
M. Jean-François Rapin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Monsieur le ministre d'État, vous êtes venu à deux reprises sur la Côte d'Opale pour mieux appréhender la situation migratoire, qui exige de déployer de gros moyens. Vous avez entendu les élus, les forces de sécurité, les sauveteurs en mer, dont la marine nationale, et testé les moyens de Frontex.
Lors de votre deuxième visite, vous étiez accompagné de votre homologue britannique, Yvette Cooper. La problématique tient en majeure partie à l'incroyable situation de l'emploi en Grande-Bretagne. Pouvez-vous dire à notre assemblée quelles suites ont été données par les Britanniques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Je me suis déplacé à deux reprises, la deuxième fois pour rendre compte des engagements pris lors de mon premier déplacement. J'ai détaillé les importants moyens supplémentaires accordés : moyens en matière d'enquête, renforcement des deux commissariats de Dunkerque et du Pas-de-Calais, notamment. Nous avons aussi obtenu une année de plus sur les accords de Sandhurst, pour ne pas perdre les financements britanniques.
Je m'étais engagé à faire évoluer les Britanniques sur l'attractivité du modèle anglais, qui reposait largement sur le travail clandestin. Il y a eu une petite révolution : le gouvernement Starmer vient de durcir la législation anti-immigration, ce qui a permis d'augmenter de près de 40 % les contrôles et sanctions pour travail clandestin.
L'attractivité du modèle britannique n'en demeure pas moins la principale cause de cet afflux migratoire, qui a déjà fait sept morts depuis le début de l'année.
Si l'on reste dans le face-à-face franco-britannique, on n'avancera pas. Notre frontière avec le Royaume-Uni est une frontière extérieure de l'Union européenne. Il nous faut patiemment reconstruire les mécanismes démontés par le Brexit, alors que 30 % de l'immigration irrégulière en Europe s'agrège sur les côtes de la Manche - cela suppose un cadre européen. Je m'y emploie, dans le cadre du groupe de Calais. Nous avançons vers un canal de réadmission et d'admission légale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-François Rapin. - Les conditions climatiques s'améliorent et le nombre de traversées va s'amplifier. Les élus veulent éviter des drames. Merci de votre bienveillance et de votre attention sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Embauche de travailleurs saisonniers
Mme Brigitte Devésa . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Lors du dernier salon de l'agriculture, nous nous sommes tous engagés à traquer les normes et contraintes qui pénalisent nos agriculteurs. Je suis donc navrée qu'un arrêté du 3 janvier 2025 vienne complexifier les procédures de recrutement de salariés hors Union européenne, indispensables à de nombreuses filières. Il impose de fournir une attestation sur l'honneur de logement décent pour un salarié qui, à ce stade, n'a pas de visa, ou encore la copie du contrat de travail signée des deux parties ! Un assouplissement a été accordé en urgence - la signature de l'employeur suffit - mais l'arrêté n'a pas été modifié.
Alors que se profile la saison des récoltes de fruits et légumes, il risque de manquer près de 5 000 saisonniers dans le Sud-Est.
Cet arrêté protège-t-il nos agriculteurs de la paperasse et du manque de salariés ? Si tel n'est pas le cas, il faut revenir dessus, comme vous le demandent les syndicats agricoles de mon département, ainsi que le président de la chambre d'agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - Des saisonniers, oui, des immigrés, non !
M. Pierre Ouzoulias. - Il y a un manque de cohérence !
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Les travailleurs saisonniers sont essentiels à certaines activités, notamment la cueillette.
Mme Laurence Rossignol. - Ils sont souvent immigrés.
Mme Annie Genevard, ministre. - Le Gouvernement est mobilisé pour les épauler. Le dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) a récemment été élargi aux coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma) et aux coopératives en fruits et légumes.
En 2024, le Gouvernement a élargi aux métiers saisonniers la liste des métiers en tension.
En outre, depuis 2020, mon ministère et Action Logement ont mis en place une aide financière pour le logement, facteur d'attractivité essentiel.
Mme Laurence Rossignol. - Certains dorment dans la rue...
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous sommes donc très actifs.
L'arrêté vise à combattre des abus, des fraudes parfois graves, qui relèvent du pénal. (Mme Laurence Rossignol ironise.)
Notre pays compte trois millions de demandeurs d'emploi. Il faut aussi, avec France Travail, trouver la main-d'oeuvre saisonnière dans ce réservoir d'emploi. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Brigitte Devésa. - Je connais votre détermination. Nous avons voté récemment la loi pour la souveraineté alimentaire qui vise à libérer l'agriculture de certaines surtranspositions normatives. Deux mots-clés : simplification et compétitivité. Mettons-les en pratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Campagne d'affichage de La France insoumise
M. Olivier Paccaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre de l'intérieur... (« Ah ! » sur les travées du groupe SER ; M. Mickaël Vallet fait mine d'applaudir.)
M. Yannick Jadot. - On n'est pas au congrès des Républicains !
M. Olivier Paccaud. - ... pour nous tous, la liberté d'expression est sacrée, et même consacrée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La République a toutefois ses garde-fous : on ne peut tout dire ni tout écrire. Or il y a quelques jours, un parti, qui a pignon sur rue, pupitre à l'Assemblée et micro ouvert dans les médias, a publié une affiche odieuse, qui reprend tous les codes de la propagande antisémite nazie.
Elle n'émane pas d'un loup solitaire ou d'un déséquilibré, mais d'un parti organisé, braconnant aux confins du champ républicain et multipliant les provocations. Vous-même venez d'en être victime, sur une autre affiche. Saisirez-vous la justice ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - J'ai vu cette affiche. Elle représente deux animateurs : Cyril Hanouna et Pascal Praud. Elle a clairement des relents antisémites. Elle a été vite retirée, certes, mais qui, dans ce parti, s'est excusé ?
L'antisémitisme a muté, il revient en force. Longtemps, il était le fait de l'extrême droite ; c'est aujourd'hui résiduel. (Vives protestations à gauche) Désormais, il présente un double visage : celui de l'islamisme politique et celui d'une extrême gauche sectaire qui utilise l'antisionisme pour attiser la haine raciste et antisémite... (Marques d'acquiescement sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Exactement !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - ... et instrumentalise la cause palestinienne à des fins électoralistes.
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Vladimir Jankélévitch a dit, il y a quelques années, que l'antisionisme était une incroyable aubaine car il donne la permission d'être antisémite au nom de la démocratie. Nous y sommes. Jamais je ne céderai.
Ce même parti a déposé une proposition de loi pour abroger le délit d'apologie du terrorisme. Je ne céderai jamais, à chaque fois que cette ligne est dépassée. J'ai fait un signalement à l'autorité judiciaire.
Cette violence, cette outrance, cet antisémitisme n'est pas qu'un poison, c'est une trahison de l'idéal républicain, de la fraternité française qui est une fraternité civique et non religieuse. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDPI et du RDSE ; Mme Raymonde Poncet Monge se gausse.)
M. Olivier Paccaud. - L'antisémitisme a l'âge de la Bible ; il a toutes les couleurs de l'arc-en-ciel : le vert de l'islamisme, le brun du fascisme, le rouge sang de LFI, la France indigne, ignoble, immonde, inculte. Ce parti se dit antifasciste mais incarne aujourd'hui le fascisme en France en nourrissant la bête immonde de sa pitance méphitique. (Protestations et marques d'exaspération à gauche) Chers collègues de gauche, réveillez-vous, vous qui êtes républicains ! Brisez les chaînes de la soumission électorale à LFI ! Amis républicains, faisons fi de LFI ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
Vins et spiritueux (II)
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En réponse aux projets de taxes Trump, je ne discerne toujours pas quelle est la stratégie du Gouvernement. Notre objectif doit être de préserver l'intégralité des positions de nos entreprises sur les marchés américain et chinois.
La Commission européenne est chargée de mener les négociations, mais quels sont les objectifs de la France pour les vins et spiritueux, les produits fermiers, l'automobile ou encore le luxe ? Quelle est votre méthode ? L'implication directe du Président de la République dans des négociations bilatérales avec les États-Unis est indispensable. La gravité du moment la justifie.
Rejetez-vous en bloc les augmentations ou accepterez-vous des aménagements ? Pour quels produits et avec quelles conséquences sur l'emploi et sur nos territoires ?
Cette déclaration de guerre économique menace de mort des filières sur le marché américain ; pour certaines, dont les vins et spiritueux, leur avenir même est en jeu. C'est un Gascon qui vous le dit : l'armagnac ne se remettra pas d'une taxe de 200 %. Au-delà des 20 % actuels, le déclin de nombreuses exploitations sera inéluctable.
Il faut viser le statu quo fiscal, notamment pour les filières sensibles. La viticulture, déjà en grande difficulté, ne peut être, une fois de plus, la variable d'ajustement de nos relations commerciales avec les États-Unis. Il y va de milliers d'emplois, de la vitalité de nos terroirs et de l'image pluriséculaire d'excellence de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger . - Ni la France ni aucun autre pays européen n'a souhaité cette situation ; elle est de la seule volonté des États-Unis.
Cette guerre commerciale n'a que des effets néfastes, pour l'Europe comme pour les États-Unis. Nous continuerons à dialoguer et à proposer un agenda positif à nos alliés et amis américains, pour augmenter les flux commerciaux et les investissements entre nos pays.
Si des droits de douane venaient à être imposés à l'Europe, comme récemment sur l'acier, l'aluminium et leurs dérivés, la Commission européenne devra riposter par des mesures de rétorsion.
Soyons intelligents ensemble pour ne pas fragiliser nos filières. Nous ne laisserons pas tomber la filière des vins et spiritueux, d'autant que le cognac et l'armagnac sont déjà fragilisés en Chine. Nous avons quelques semaines pour mener ce dialogue avec la Commission.
M. Hervé Gillé. - Jusqu'au 7 avril !
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. - J'y travaille avec le commissaire Maro? ?ef?ovi?. Au plus haut niveau, la France oeuvre pour que la réponse européenne ne mette pas en difficulté la filière des vins et spiritueux.
M. Rachid Temal. - Il y a aussi d'autres filières !
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. - Comptez sur le Gouvernement pour défendre cette filière d'excellence ! (M. François Patriat applaudit.)
M. Hervé Gillé. - Bref, rien de nouveau...
Prix de l'électricité pour les industries hyper électro-intensives
Mme Martine Berthet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je vous interpelle à nouveau sur le coût de l'électricité pour les industriels hyper électro-intensifs, dont la situation devient critique. Le manque de visibilité, l'instabilité politique et les droits de douane aux frontières les incitent à déprogrammer leurs investissements prévus en France - je pense à un industriel japonais installé dans mon département.
Ces industriels, notamment du consortium Exeltium, s'inquiètent à la veille de la disparition de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, l'Arenh. Ils attendent toujours qu'EDF propose un tarif, pour une signature qui ne pourra intervenir avant l'été. Certains se voient proposer des contrats irréalistes, interdisant toute compétitivité.
Ces productions sont des matières premières pour nos filières industrielles ; elles sont essentielles à notre souveraineté.
Alors que l'État est actionnaire à 100 % d'EDF, pourquoi le Gouvernement ne parvient-il pas à imposer que 10 % de la production nucléaire historique, amortie, serve à soutenir ces industriels ? Un cadre tarifaire compétitif et stable bénéficierait également à EDF, qui sécuriserait ainsi un important volume de consommation. Le Gouvernement prendra-t-il le risque que la position d'EDF fragilise ces filières, leurs emplois et notre souveraineté ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie . - En effet, les prix de l'électricité sont un facteur essentiel de notre souveraineté énergétique et industrielle.
Les industriels électro-intensifs, notamment dans l'acier et la chimie, doivent relever un défi d'électrification pour la décarbonation. Ils sont essentiels à des filières entières - je pense à nos industries de défense.
L'accord signé entre l'État et EDF en novembre 2023 prévoit le cadre destiné à succéder à l'Arenh, avec la signature de contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), des contrats à terme, pour un volume global de 40 térawattheures.
J'ai demandé un bilan des négociations à la présidence d'EDF. L'objectif est loin d'être atteint : 12 térawattheures font l'objet de simples lettres d'intention et un seul CAPN a été signé, pour moins de 1 % de l'objectif total.
Dans une tribune, des parlementaires m'ont interpellé sur le lancement par EDF d'une enchère européenne de CAPN non réservée aux électro-intensifs. Cette démarche relève de la politique commerciale d'EDF, mais ne l'exonère nullement du respect des engagements pris en novembre 2023. Nous y veillerons.
Conflit en République démocratique du Congo
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une souveraineté territoriale bafouée, des millions de personnes déplacées, des civils massacrés, des ressources minières stratégiques : je ne parle pas de l'Ukraine, mais de la République démocratique du Congo. (M. Akli Mellouli applaudit.)
Le conflit dans le Kivu dure depuis plus de trente ans ; selon la responsable de la Mission de l'organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, c'est l'une des crises humanitaires les plus graves et les plus négligées de notre époque.
Notre groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique centrale a reçu des représentants de ce pays, le plus grand pays francophone du monde. Après Goma, en janvier, Bukavu est tombée en février. Le groupe rebelle M23, soutenu par des pays voisins, continue d'avancer.
Tensions ethniques, griefs historiques : les sources du conflit sont complexes. Mais le fait est que les sous-sols congolais attirent les convoitises. On peut même parler d'une malédiction des ressources naturelles... L'exploitation illégale des minerais rapporterait 800 000 dollars par mois au M23.
La résolution de l'ONU initiée par la France, qui exige le retrait du M23 et la fin du soutien rwandais, demeure lettre morte. Et c'est le Qatar qui a réuni, hier, les présidents congolais et rwandais pour une médiation.
Alors que d'autres puissances s'investissent sur le continent, la France doit reconstruire un partenariat fort avec l'Afrique. Nous avons une responsabilité historique et stratégique.
Comment la France et l'Union européenne agissent-elles pour favoriser une paix durable dans la région des Grands Lacs et renforcer notre coopération avec les États africains ? (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Akli Mellouli, Jacques Fernique et Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Je vous remercie d'aborder la crise qui déchire la région des Grand Lacs et salue votre engagement à la tête du groupe d'amitié France-Afrique centrale du Sénat.
Cette crise est l'une des plus graves du moment : sept millions de personnes déplacées, des victimes civiles par milliers. L'offensive du M23, soutenue par l'armée rwandaise, menace la souveraineté congolaise. Un embrasement de la région entière est à craindre.
La diplomatie française se mobilise sur tous les fronts. Aux Nations unies, nous avons fait adopter à l'unanimité du Conseil de sécurité une résolution condamnant les agissements du M23 et appelant au retrait des troupes rwandaises. À Bruxelles, nous venons de faire adopter des mesures restrictives visant neuf individus et une entité ayant violé le droit international. Au plan bilatéral, le Président de la République est en contact étroit avec ses homologues dans le cadre des processus de Louanda et de Nairobi.
Fin janvier, je me suis rendu à Kinshasa et à Kigali pour rencontrer les présidents Tshisekedi et Kagame et appeler à la cessation des hostilités. Plus récemment, j'ai décidé d'un appui financier de 3 millions d'euros pour répondre aux besoins vitaux des populations touchées.
Nous continuerons d'oeuvrer pour l'apaisement dans la région et pour traiter les causes structurelles du conflit. Nous comptons aussi sur la diplomatie parlementaire pour y parvenir. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
La séance est suspendue à 16 h 15.
Présidence de M. Alain Marc, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Patricia Schillinger. - Lors du scrutin public n°232, Georges Patient souhaitait voter contre.
Acte en est donné.
Avis sur une nomination
M. le président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n°2010-837 et de la loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis un avis favorable (38 voix pour, 2 contre) à la nomination de M. Jean Maïa aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, présentée par Mmes Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec.
Discussion générale
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi . - Je voudrais nous féliciter collectivement, et d'abord le groupe Les Républicains, d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de loi pour inaugurer le premier espace réservé transpartisan de notre assemblée. Je remercie Anne-Marie Nédélec pour notre travail commun.
Mieux protéger ceux qui nous protègent, telle est notre ambition, avec notre rapport de mai dernier comme avec cette proposition de loi.
Je rends hommage à tous les sapeurs-pompiers de France, professionnels ou volontaires, dont l'action est essentielle et qui oeuvrent au péril de leur santé. Il appartient à la représentation nationale de les défendre et de reconnaître les risques qu'ils courent.
Ce texte a pour ambition d'inscrire dans la loi l'obligation pour les Sdis de mettre en place des fiches d'exposition pour tous les sapeurs-pompiers. Ces fiches ont déjà été mises en oeuvre, à la suite de la publication de notre rapport, par une circulaire publiée en janvier dernier. Mais il faut aller plus loin, en inscrivant cette mesure dans la loi.
Selon les colonels de l'association Anamnesis, l'emploi des fiches d'exposition reste une initiative locale, dépendante des moyens octroyés aux Sdis et de la sensibilité des responsables. Du fait de l'autonomie de gestion des Sdis, il existe autant d'outils que d'établissements.
La généralisation des fiches, sur le modèle conçu par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), est donc fondamentale.
Les expositions sont multiples. Dès 2003, un rapport avait souligné l'absence de données épidémiologiques et la nécessité d'assurer une veille sanitaire des sapeurs-pompiers. Plus de vingt ans plus tard, aucun effort coordonné n'a pourtant été réalisé.
Ceci s'explique notamment par un désengagement des pouvoirs publics dans la recherche et l'influence des entreprises productrices de substances potentiellement cancérogènes.
Madame la ministre, j'en appelle à vous pour enfin mettre en oeuvre des études épidémiologiques sérieuses.
Nous devons aussi aller plus loin dans la reconnaissance du cancer comme maladie professionnelle.
En juin 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l'homme. Chez les sapeurs-pompiers, par exemple, le risque de développer un mésothéliome serait plus élevé de 58 % par rapport à la population générale, et de 16 % pour le cancer de la vessie.
La France connaît un retard important en matière de reconnaissance de ces maladies professionnelles. Seuls deux types de cancer sont présumés imputables au service des sapeurs-pompiers : le carcinome nasopharyngé et le carcinome hépatocellulaire.
Or 28 types de cancer peuvent être reconnus comme maladie professionnelle pour les sapeurs-pompiers du Nevada. C'est 19 en Ontario et 9 au Québec. Comment expliquer de telles disparités avec la France ? Il faut élargir la présomption d'imputabilité au service à l'ensemble des pathologies reconnues comme maladies professionnelles par le Circ.
Nous invitons donc le Gouvernement à créer un tableau de maladies professionnelles regroupant les pathologies liées à l'exposition au feu. Cependant, ces tableaux sont déterminés après consultation des partenaires sociaux, selon des logiques qui semblent ne pas tenir compte des réalités scientifiques. Comme le dit l'historien Paul-André Rosental, ce sont des maladies « négociées », qui font l'objet de conflits d'intérêts entre les représentants des industriels et les représentants des salariés qui luttent contre la sous-reconnaissance.
Ainsi, le cancer de la vessie et le mésothéliome ne sont pas considérés comme directement imputables au service. Dès lors, il revient aux sapeurs-pompiers eux-mêmes de prouver le lien entre leur maladie et leur fonction. Un comble !
Les pompiers sont exposés à des composés organiques volatils, à l'amiante, à des particules fines, à des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Plus récemment, le rôle des retardateurs de flamme a été mis en évidence. Les conséquences de la polyexposition restent méconnues. Pensons aussi à l'accumulation d'autres facteurs de risque, comme le travail de nuit ou le port de charges lourdes.
Une mise à jour régulière des tableaux est donc nécessaire pour garantir aux sapeurs-pompiers une protection efficace.
Il faut mieux reconnaître les maladies professionnelles, mais aussi mieux prévenir.
Il existe certes une doctrine nationale de prévention éditée par la DGSCGC, mais tous les Sdis ne l'appliquent pas. Il faudrait améliorer la consultation d'aptitude à l'embauche, pour que les sapeurs-pompiers s'acculturent eux-mêmes à la prévention des risques.
Il faut aussi renforcer le dépistage, avec la mise en oeuvre de programmes nationaux, et renforcer le suivi post-professionnel, en dépit des difficultés rencontrées pour recruter des médecins du travail des sapeurs-pompiers. Les Sdis devraient proposer tous les cinq ans une visite de contrôle assurée par un médecin dédié.
Nous appelons le Gouvernement à accorder une dotation exceptionnelle pour équiper chaque sapeur-pompier de cagoules filtrantes de nouvelle génération, à l'efficacité scientifiquement prouvée.
Cette proposition de loi n'est qu'une première étape. La prévention reste une priorité. Nous devons aussi reconnaître l'imputabilité des pathologies lourdes au service, comme le font d'autres grandes nations. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, du RDPI et du RDSE)
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Alors que vient de prendre fin un épisode de feux de forêt dans la vallée de la Roya, rappelons-le : les sapeurs-pompiers font face à des risques graves, protéiformes, omniprésents.
Je me réjouis que la représentation nationale se mobilise ainsi. Cette proposition de loi a vocation à mieux les protéger, eux qui protègent les autres. Elle découle de la mission d'information sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier. Je remercie Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec pour leur engagement.
La nature cancérogène des substances auxquelles sont exposés les sapeurs-pompiers est de mieux en mieux documentée, mais le nombre de maladies déclarées reste très bas, ce qui laisse présupposer une sous-déclaration d'ampleur.
Pourtant, l'activité de sapeur-pompier a été considérée comme cancérogène pour l'homme par le Circ, en raison du contact quotidien avec des produits toxiques contenus dans les mousses anti-incendie ou dans certains matériaux de construction.
Or seules vingt-quatre maladies professionnelles ont été recensées en 2023 pour les sapeurs-pompiers professionnels, soit moins de 1 % de la sinistralité pour cette catégorie professionnelle. Aucun cancer professionnel n'a en outre été détecté pour ces agents entre 2013 et 2025.
Cette sous-déclaration est inacceptable, pour qui connaît le dévouement des sapeurs-pompiers. Certains agents de Sdis, malades du fait de leur activité, sont injustement privés du bénéfice de l'allocation d'invalidité temporaire (AIT) et du congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis).
Il revient aux agents de prouver le lien entre leur maladie et leur activité, faute d'un recensement dans les tableaux figurant dans le code de la sécurité sociale. Il est pourtant presque impossible pour eux d'objectiver ce lien lorsque la maladie survient plusieurs années après l'exposition.
Le décret du 5 novembre 2015 prévoit que l'autorité territoriale présente chaque année une synthèse des activités potentiellement exposantes pour l'agent. Ces documents sont en théorie conservés pour cinquante ans. Or, de l'aveu des directeurs de Sdis, cette obligation est très imparfaitement mise en oeuvre ; certains Sdis sont en décrochage.
La proposition de loi inscrit donc dans la loi l'obligation pour les Sdis de réaliser des fiches d'exposition. La consécration législative de cette obligation doit provoquer une réelle prise de conscience des employeurs et constitue une protection supplémentaire, cette obligation ne pouvant être amoindrie par des mesures réglementaires. Le texte prévoit aussi la publication de modèles standardisés de fiches d'exposition, pour que les Sdis s'en saisissent.
Cependant, la diversité des environnements dans lesquels sont amenés à intervenir les sapeurs-pompiers complexifie le suivi exhaustif des risques de contamination. Tout dépend en effet des missions confiées aux agents, du type de produit ou encore des équipements.
La DGSCGC a publié le 14 janvier des modèles nationaux de fiche d'exposition, à la suite du rapport de nos collègues. La publication de ces modèles et l'adoption du présent texte constituent une étape décisive pour que, partout sur le terrain, les agents se voient garantir une réelle prise en charge.
Les dispositions du texte sont toutefois indissociables de réels progrès en matière de prévention : protocoles de sécurité pour réduire l'exposition aux risques, port d'équipements de protection, suivi médical renforcé... La prévention est le premier rempart contre les maladies professionnelles des sapeurs-pompiers.
Prévention et prise en charge : telles sont les conditions d'un exercice sain et juste de la mission essentielle des sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER, du RDPI et du RDSE)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, ainsi que Laurent Marcangeli, tous trois totalement investis auprès des sapeurs-pompiers de notre pays.
Le Sénat a régulièrement prouvé sa grande attention aux services de lutte contre les incendies. Il le prouve encore aujourd'hui avec cette initiative transpartisane.
Le texte aborde une question grave : comment mieux protéger ceux qui nous protègent ? Comment prévenir les cancers imputables à l'activité des sapeurs-pompiers ?
Ces derniers sont exposés à des risques moins visibles que le feu : les agents cancérogènes et pathogènes. Malheureusement, nous connaissons mal ces risques d'un point de vue médical. Les travaux se multiplient à ce sujet, notamment à l'étranger.
Je n'ignore pas les difficultés rencontrées par les pompiers victimes de maladie pour faire reconnaître l'origine professionnelle de leur maladie. Nous devons donc agir.
Votre proposition de loi nous invite à renforcer la traçabilité des expositions des sapeurs-pompiers à des agents toxiques.
Concernant l'exposition aux agents chimiques mutagènes ou toxiques pour la reproduction, les sapeurs-pompiers sont protégés par le code du travail, comme tous les travailleurs, et par le document unique d'évaluation des risques professionnels.
L'objectif est donc de mieux accompagner les Sdis et de rendre effective la traçabilité.
Depuis 2015, la mise en oeuvre du suivi par chaque Sdis est très inégale. Nous pouvons et devons mieux faire. C'est le sens de la circulaire du 14 janvier dernier, qui fournit aux Sdis des fiches de suivi. Sa publication a été saluée par les syndicats comme une avancée. Depuis 2024, l'Observatoire de la santé des agents des Sdis y travaille. Le dispositif, robuste, doit maintenant se traduire en actes. La DGSCGC y sera particulièrement attentive.
Améliorer la traçabilité facilitera la reconnaissance des maladies professionnelles. Nous devons notamment actualiser les tableaux de maladies professionnelles. Nous avons engagé cette révision avec l'Anses, saisie à l'automne 2024. Les cancers concernant les pompiers seront traités en priorité.
J'observe une grande convergence de vues entre votre proposition de loi et les initiatives du Gouvernement. Les travaux de la mission d'information nous ont permis d'engager des actions utiles.
Le Gouvernement a quelques réserves techniques sur le dispositif proposé, mais il partage l'objectif de mieux protéger les pompiers. Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
M. Joshua Hochart . - Ce texte n'est pas une simple mesure bureaucratique ni un ajustement technique. C'est un impératif, un engagement que nous devons à ceux qui mettent leur vie en danger pour protéger la nôtre. Pompier, ce n'est pas un métier, c'est une vocation, un engagement total, où l'on accepte d'affronter les incendies, les inondations, les explosions, les accidents de la route, où chaque seconde compte, où chaque erreur peut être fatale.
Mais le danger ne disparaît pas une fois le feu éteint. Il s'infiltre, il ronge en silence. Les particules issues des matériaux brûlés sont cancérogènes. Amiante, dioxydes sont autant de poisons invisibles.
Pourtant, jusqu'ici, la reconnaissance de cette exposition et de ses conséquences est restée insuffisante. Les pompiers malades doivent trop souvent se battre pour faire reconnaître l'origine professionnelle de leur maladie, dans un parcours du combattant indigne du service qu'ils ont rendu à notre nation.
Cette fiche recensera précisément les substances auxquelles les sapeurs-pompiers sont exposés. C'est la voie vers une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles, qui permettra d'anticiper les risques sanitaires et d'offrir une prise en charge adaptée et digne.
Mais ce premier pas doit s'accompagner d'une réflexion plus large, pour améliorer les équipements de protection, moderniser les casernes et faire évoluer les protocoles d'intervention et de décontamination.
C'est surtout une question de justice pour ces hommes et ces femmes qui nous protègent. Derrière ces chiffres et ces maladies, il y a des visages, des familles brisées, des camarades endeuillés.
Mme Marie-Claude Lermytte . - L'engagement sans faille des sapeurs-pompiers au service de nos concitoyens les expose à des dangers considérables, et des expositions répétées ont des conséquences directes sur leur santé. Or aucune étude exhaustive sur leur santé n'est disponible aujourd'hui.
En 2022, le Circ a classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérigène, mais le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire sont les deux seuls cancers reconnus en France. Nous accusons un retard indéniable, et les sapeurs-pompiers ont du mal à faire reconnaître le lien entre leur métier et leurs maladies.
L'article unique de la proposition de loi introduit dans le code général de la fonction publique l'obligation pour les Sdis de réaliser des fiches d'exposition. Il prévoit aussi la publication de modèles de fiches. Légiférer en la matière offre une portée supplémentaire au dispositif. Notre groupe soutient cette démarche, qui permettra une meilleure reconnaissance et une prise en charge adaptée pour les sapeurs-pompiers.
Toutefois, il faut l'accompagner de mesures de prévention. Face à l'évolution des connaissances, il est indispensable de renforcer les équipements, les protocoles de sécurité et la formation.
La sécurité des sapeurs-pompiers est une priorité absolue. Je leur rends hommage, particulièrement au Sdis 59.
Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Mme Anne-Marie Nédélec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans nos départements et surtout en ruralité, les sapeurs-pompiers sont souvent le seul recours en cas de problème. Leur disponibilité est totale et je leur rends hommage. Il est normal de s'intéresser à leur sécurité et à leur santé. Je souligne la création en 2024 de l'Observatoire de la santé des agents des Sdis.
Il fallait poursuivre le travail réalisé avec Mme Poumirol lors de la mission d'information sénatoriale. La proposition de loi vise donc à rendre obligatoire un modèle national de fiche d'exposition en intégrant les fumées aux agents toxiques. Depuis 2015, un suivi professionnel a été mis en place, mais la surveillance médicale pendant et après l'activité de sapeur-pompier doit être renforcée. Nos politiques de prévention ne sont pas à la hauteur des enjeux et du dévouement des sapeurs-pompiers.
Je vois un premier problème d'organisation. Les Sdis sont autonomes et il n'existe pas de coordination nationale ; d'où des disparités. Le remplissage des fiches n'est ni généralisé ni complet.
Seules deux études ont été réalisées sur le sujet, en 1995 et 2012. Elles concluent à une mortalité plus faible chez les sapeurs-pompiers que dans la population générale. Cela s'explique par le phénomène dit du « travailleur sain » : les sapeurs-pompiers sont en meilleure santé physique que l'ensemble de la population. La seconde étude relevait une surmortalité modérée sur certains types de cancer, tandis que la première notait une surreprésentation des cancers urogénitaux, respiratoires et digestifs.
Nous regrettons l'absence de données épidémiologiques exploitables. Les sapeurs-pompiers exercent une activité professionnelle les exposant aux agents cancérogènes ou mutagènes. Si le lien entre l'exposition à des fumées toxiques et le développement de cancers est intuitif, la France n'a pas d'analyse sur le sujet. Nous travaillons à partir de données internationales, souvent disparates.
Le Circ a classé l'activité de sapeur-pompier cancérogène pour l'homme. La reconnaissance de ces maladies imputables au service diffère dans le monde. Au Canada, 9 maladies sont reconnues imputables à cette activité, contre 19 en Ontario.
Je salue les ministères de l'intérieur et du travail, qui, conscients des enjeux, ont rédigé une circulaire en janvier dernier sur les fiches d'exposition. Notre texte en précise le cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Patricia Schillinger . - Chaque jour, nos 253 000 pompiers sont en première ligne. Face aux flammes et substances dangereuses, ils risquent leur vie, et insidieusement leur santé. Ils méritent la reconnaissance et la solidarité de la nation, qui doivent se traduire en actes concrets : tel est l'objet de ce texte.
Les risques auxquels les sapeurs-pompiers sont confrontés sont multiples : PFAS, retardateurs de flamme... En 2024, le Circ a classé cette activité comme cancérogène. Pourtant, la reconnaissance des maladies professionnelles reste un parcours du combattant. En 2023, seules vingt-quatre maladies professionnelles ont été recensées, soit 0,55 % de la sinistralité.
Les raisons de la sous-déclaration sont multiples : manque de traçabilité ou de reconnaissance de lien entre activité et maladies. Il revient aux sapeurs-pompiers eux-mêmes de prouver ce lien, ce qui est souvent impossible en l'absence d'un suivi rigoureux.
Cette proposition de loi prend tout son sens en systématisant la recension de ces facteurs cancérogènes, grâce à la fiche d'exposition. Une circulaire du ministre de l'intérieur a encouragé ce dispositif en janvier dernier. C'est un outil essentiel de prévention et de reconnaissance des maladies professionnelles.
Protéger ceux qui nous protègent est un impératif. Le Sénat y travaille depuis plusieurs années. Je salue le travail de Mmes Poumirol et Nédélec. La mission d'information flash du Sénat a mis en lumière une réalité trop longtemps ignorée. Il est urgent de protéger ces femmes et ces hommes.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera ce texte. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Nous sommes réunis pour examiner cette première proposition de loi discutée dans le cadre d'une niche transpartisane. Elle fait suite au rapport d'information sénatorial de mai dernier. Mais, dès 2017, un rapport de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales alertait sur la surmortalité des pompiers par cancer.
Seuls deux types de cancers sont actuellement reconnus comme maladie professionnelle par la France : le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire. Nous sommes très loin d'autres pays : le nombre de cancers reconnus aux États-Unis est de 28 ; il est de 12 en Australie et de 9 au Québec.
La traçabilité est une tâche ardue en raison de l'absence de fiches d'exposition. On constate un phénomène de sous-déclaration des maladies professionnelles. Il s'agit donc de rattraper notre retard et d'adapter notre droit pour améliorer la prévention.
Ce texte amendé par la rapporteure prend en compte les récentes évolutions en la matière, comme la publication du modèle de fiche d'exposition de janvier dernier.
L'article unique inscrit dans la loi deux obligations importantes : élaboration de modèles de fiches d'exposition, obligation de remplir une fiche d'exposition après chaque situation dangereuse. Voilà qui répond aux attentes de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Actuellement, le remplissage de ces fiches n'est ni systématique ni généralisé.
Dans le Lot-et-Garonne, les sapeurs-pompiers sont solidaires de toutes les campagnes de sensibilisation et de récolte de fonds pour lutter contre le cancer.
Le groupe RDSE votera ce texte. Je rends hommage aux sapeurs-pompiers professionnels et volontaires qui sont la preuve de ce que les hommes et les femmes peuvent produire de meilleur. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mmes Patricia Schillinger et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. Pascal Martin . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il est des sujets intimes qui touchent au coeur même de notre pacte républicain. Cette proposition de loi est une reconnaissance à l'égard de ceux qui oeuvrent chaque jour à la protection de tous : sapeurs-pompiers, gendarmes, policiers. Ils portent tous un uniforme, qui, bien plus qu'une fonction, symbolise un engagement et une exigence de chaque instant.
La famille des sapeurs-pompiers m'est particulièrement chère, y ayant très longtemps appartenu ; elle force l'admiration de tous. Elle ne cherche ni les honneurs ni les acclamations. Nous admirons la bravoure de ces femmes et ces hommes qui affrontent des dangers tous les jours.
Mais la profession impose à leurs corps une usure et des souffrances invisibles. Des poisons chimiques s'infiltrent insidieusement dans leurs corps.
Aujourd'hui, deux cancers seulement sont imputables à leur profession. En outre, il est à la charge des sapeurs-pompiers de prouver le lien entre leur profession et leur maladie. Comment accepter qu'ils luttent seuls pour faire reconnaître leurs blessures ? À leur dévouement sans faille, peut-on leur imposer l'épreuve du doute ? La gratitude, même sincère, ne suffit pas : il faut des mesures de protection effectives. C'est pourquoi je salue cette proposition de loi.
La fiche d'exposition sera obligatoirement remplie après chaque intervention, assurant une meilleure traçabilité, et, à terme, une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles. C'est un changement attendu et nécessaire.
Notre premier devoir est de prévenir, et donc d'assurer une protection renforcée aux sapeurs-pompiers dès qu'ils affrontent le danger. Équipements, véhicules, système de ventilation, tout doit être repensé.
J'ai récemment échangé avec le directeur du Sdis de Seine-Maritime. Il m'a fait part d'avancées, comme l'équipement complet des véhicules en kits de dépollution. Il faut mieux former aux risques, instaurer des zonages pour limiter la dispersion des polluants, favoriser les techniques innovantes d'intervention, élaborer un suivi médical rigoureux pour toutes les matières toxiques... Bref, une réflexion globale.
Les sapeurs-pompiers sont les gardiens de nos valeurs. Ce texte ne leur accorde ni faveur ni indulgence. Nous rappelons simplement à ces héros du quotidien que la nation sait protéger ceux qui la protègent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Céline Brulin . - Les sapeurs-pompiers suscitent souvent l'unanimité de nos décisions. Cette proposition de loi améliore la reconnaissance des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers. C'est encore plus vrai lors d'un incendie comme celui de Lubrizol, au cours duquel près de 10 000 tonnes de produits sont parties en fumée, dont 7 000 tonnes de produits dangereux.
Les expositions lors des incendies entraînent un risque de mésothéliome plus élevé de 58 % ; c'est 16 % pour les cancers de la vessie.
La mission d'information du Sénat a fait dix recommandations. Cette proposition de loi reprend celle ayant trait à l'élaboration d'une fiche d'exposition. C'est donc une première réponse. Elle doit être complétée par un renforcement de la prévention, mais aussi des réparations à l'égard des malades.
Un examen régulier des poumons doit être mis en place, via un scanner annuel obligatoire.
Une dotation exceptionnelle versée aux Sdis pour acquérir de nouveaux équipements doit être envisagée, comme les cagoules-filtres. L'État doit s'engager, d'autant plus que les finances des Sdis sont mises à mal par l'augmentation des cotisations à la CNRACL.
Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. Nous devons protéger les sapeurs-pompiers comme ils nous protègent au quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je salue les autrices de la proposition de loi, Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, ainsi que la rapporteure Françoise Dumont pour son engagement.
J'espère que l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour dans le premier espace transpartisan augure d'une sensibilité accrue à la santé environnementale.
À ceux qui, chaque jour, mettent en péril leur vie pour nous, je dis : merci ! Mais les remerciements ne suffisant pas. Par leur activité, les sapeurs-pompiers font face à des cancérogènes notables, à un niveau de risque qui a conduit le centre international de recherche sur le cancer à placer leur activité elle-même comme cancérogène.
C'est le cas des Pfas, que les écologistes combattent de longue date, utilisés dans leurs tenues et les mousses anti-incendie. Le GEST avait demandé leur interdiction au moins lors des formations et entraînements, en vain.
Les écologistes ont testé la présence des Pfas chez les pompiers volontaires, en partenariat avec leurs organisations syndicales ; le plus jeune pompier était le plus contaminé aux Pfas, mais tous l'étaient, sans exception.
L'Agence européenne des produits chimiques a proposé de les interdire dans les mousses anti-incendie à horizon 2027 ; madame la ministre, je vous appelle à défendre soutenir cette mesure dès la révision du règlement européen sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des substances chimiques (Reach) cet automne, et en France dans les meilleurs délais.
La médecine préventive des pompiers doit aussi être renforcée. En ce sens, j'avais interrogé le ministre de l'intérieur sur la transmission d'un rapport à ce sujet.
Le risque de sous-déclaration doit entraîner une révision des tableaux : seuls deux cancers sont reconnus comme maladie professionnelle présumée chez les pompiers. Nous ne pouvons pas légiférer pour chaque maladie. Il faut que le système soit revu dans son ensemble.
Nous appelons à ce que l'exposition des pompiers aux toxiques soit prise en compte dans la pénibilité pour la retraite.
Portons une attention particulière aux femmes sapeurs-pompiers. Lors d'une conférence que j'ai organisée le 10 mars, les scientifiques Claire Philippat et Robert Barouki ont en effet souligné les effets particuliers de ces toxiques sur les organismes féminins. Madame la ministre, je compte sur vous pour soutenir la recherche en la matière.
Le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Evelyne Corbière Naminzo et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi est le fruit d'un travail transpartisan, témoin de notre capacité à transcender les clivages pour défendre les sapeurs-pompiers.
Je salue le travail précieux d'Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, qui ont mis en lumière des lacunes dans la prise en charge des risques sanitaires auxquels les pompiers sont exposés.
Des risques accrus sont avérés pour d'autres cancers que ceux qui sont reconnus, comme ceux du côlon et de la prostate. Cela appelle un suivi médical post-professionnel.
L'une des principales difficultés est l'absence de données scientifiques fiables sur ces risques. En 2003, le rapport Fournier avait préconisé une veille sanitaire, notamment par une banque nationale de données pour mener des études épidémiologiques.
Hélas, il n'y a pas de suivi réel et les études disponibles sont souvent contradictoires.
Un rapport de l'Anses de 2019 appelle pourtant à mieux prendre en compte les risques auxquels les sapeurs-pompiers sont exposés. Il faut arrêter de lanterner, de tergiverser ; ce serait irresponsable juridiquement, mais aussi moralement : nous parlons de la santé - donc de la vie - des sapeurs-pompiers.
Il est urgent de mettre en place un suivi médical post-professionnel. La CNRACL joue un rôle central, notamment son fonds national de prévention qui met à disposition son logiciel Prorisq et finance des études épidémiologiques.
Les sapeurs-pompiers bénéficient d'une présomption d'imputabilité, mais seulement pour deux cancers, alors qu'ils sont bien plus nombreux dans d'autres pays. En outre, chaque Sdis agit à sa guise. Depuis dix ans, la CNRACL n'a enregistré que 21 demandes d'allocations temporaires d'invalidités liées à des cancers professionnels, dont aucun ne provenait d'un sapeur-pompier. En 2022, seules 31 maladies professionnelles ont été répertoriées dans ce corps de métier. Cela laisse penser que la sous-déclaration est importante, sans doute en raison de la difficulté à prouver l'exposition et l'absence de prise en compte de la polyexposition.
Je me réjouis que cette proposition de loi améliore la traçabilité des expositions en imposant une fiche d'exposition pour chaque intervention.
Si elle va dans le bon sens, il reste des progrès à accomplir, notamment dans la généralisation des bonnes pratiques sur le territoire. Il faut renforcer la prévention des risques grâce à des équipements de protection ; je salue à ce propos le nouveau modèle de cagoule filtrante.
Mais ces équipements ont un coût. Le Gouvernement pourrait accompagner l'investissement des Sdis. Nous parlons souvent des pactes capacitaires pour le matériel. Il serait bon d'y inclure la protection des sapeurs-pompiers.
Dans une circulaire du 14 janvier 2025, le DGSCGC a rappelé l'obligation de tenir un relevé des expositions des sapeurs-pompiers aux toxiques et présenté un modèle unique de fiche. Un amendement a été adopté en commission pour en tenir compte.
Le groupe SER votera cette proposition de loi et s'associera à toute démarche témoignant de notre reconnaissance aux sapeurs-pompiers. Nous ne leur rendons jamais suffisamment hommage, alors que chaque jour ils sont sur le terrain pour sauver des vies. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE)
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Consommables, de la passion au poison : ainsi s'intitule le documentaire choc réalisé par les sapeurs-pompiers des Alpes-Maritimes et diffusé sur Public Sénat ; ce film immersif, loin du cliché des héros infaillibles, évoque la difficulté de la reconnaissance des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers, sur laquelle j'interpelle les gouvernements successifs.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la droite ligne de l'excellent rapport d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol. J'espère qu'elle sera votée à l'unanimité.
La fiche d'exposition a déjà été mise en place dans certains Sdis. Sa généralisation est un symbole fort qui apportera une véritable efficience.
Je remercie l'engagement de Bruno Retailleau qui, par le biais d'une circulaire, a généralisé la traçabilité des expositions.
Nous devons continuer à mener ensemble ce travail collectif.
À ce jour seules deux maladies sont reconnues comme imputables à l'activité de sapeur-pompier.
En décembre dernier, le Gouvernement avait indiqué que le ministère du travail avait entamé les démarches de révision des tableaux de maladies professionnelles. La ministre vient de le confirmer. Je souhaite que ce soit fait rapidement.
Le groupe Les Républicains votera évidemment cette proposition de loi. Je rends hommage aux 258 000 sapeurs-pompiers de France, qui incarnent les plus belles valeurs d'humanité et de solidarité de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et sur quelques travées du RDSE ; Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
Discussion de l'article unique
L'article unique constituant la proposition de loi est adopté.
M. le président. - Belle unanimité !
(Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Architectes des Bâtiments de France
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'exercice des missions des architectes des Bâtiments de France, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Examiner un texte sur les missions des architectes des Bâtiments de France (ABF) au sein d'un espace transpartisan est en soi un exploit, quand on sait combien ce sujet peut déchaîner les passions... (Sourires ; Mme Marie-Pierre Monier et M. Pierre Ouzoulias renchérissent.)
Cette proposition de loi est le fruit d'une mission d'information dont j'étais rapporteur. Pourquoi l'ai-je déposée ? J'ai été maire d'une commune rurale dotée d'un bâtiment classé et j'ai été amené à travailler avec l'ABF, ou plutôt avec l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine (Udap). J'ai identifié ce sujet comme exemplaire des incompréhensions entre, d'un côté, les maires et les citoyens et, de l'autre, les services de l'État.
Je remercie Marie-Pierre Monier, avec laquelle je n'étais pas totalement en phase au début de nos travaux... (Mme Marie-Pierre Monier s'en amuse.) Nous avons tenté de dresser un constat le plus objectif possible : quand on se connaît et qu'on se parle, cela fonctionne ; quand on est dans une commune rurale, avec moins de services administratifs, que le maire ne connaît pas l'ABF, que l'intensité patrimoniale est moins évidente, les choses se compliquent.
Les réponses au questionnaire envoyé à tous les maires de France le confirment. Le manque de prévisibilité et de cohérence des décisions rendues est largement déploré. On connaît tous l'histoire des avis qui changent selon les ABF, voire à quelques mois d'intervalle avec un même ABF.
L'intensité patrimoniale n'est pas la même partout : pour quelqu'un qui veut changer ses fenêtres, les exigences ne peuvent être les mêmes autour du château de Versailles et à 480 mètres de la tour de Crécy-sur-Serre, dont j'étais maire...
Ce n'est pas le législateur qui déterminera le choix des matières, l'origine des produits, la PME à retenir : souvent, il s'agit simplement d'améliorer la performance énergétique avec des moyens limités. D'ailleurs, le sujet des énergies renouvelables et de l'autoconsommation du photovoltaïque est revenu très souvent dans nos échanges.
La mission d'information a émis vingt-quatre recommandations, qui ont été votées à l'unanimité. Elles ont été présentées à Mme la ministre de la culture en janvier dernier.
Cette proposition de loi prévoit une extension des périmètres délimités des abords (PDA), afin de sortir de la délimitation arbitraire des 500 mètres. Cette possibilité, autorisée par la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (Lcap), est plébiscitée par les élus et les ABF, mais trop peu utilisée, notamment dans les communes rurales, à cause des procédures administratives. Cela prend du temps et coûte de l'argent.
Nous proposons de ne plus recourir à l'enquête publique. En clair, le maire travaille avec l'ABF et le conseil municipal entérine la décision par une délibération.
Nous proposons de rendre publics, consultables en ligne, les avis de l'ABF.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Cela permettra aux pétitionnaires comme aux ABF de dégager une forme de jurisprudence.
La proposition de loi prévoit une commission de concertation : tout le monde est contre - sauf les élus et les pétitionnaires. Inspirée par l'expérience dans certains territoires, l'idée est de rendre obligatoire un moment de dialogue et d'échange. Partout où cela a été mis en place, cela fait un malheur ! En quelques heures, de nombreux dossiers sont réglés.
La proposition de loi met enfin en avant la réhabilitation en l'insérant dans la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture.
Il faut aussi parler de ce qui relève du règlement. L'harmonisation des décisions des ABF fait beaucoup débat. Il faudrait - je ne sais quel terme utiliser - un guide, un cadre, des directions nationales sur un certain nombre de sujets. Quid des énergies renouvelables, des matériaux à utiliser ?
Il y a enfin ce qui relève des bonnes pratiques : un ABF, lorsqu'il arrive dans un département, va à la rencontre des élus et leur présente un document simple indiquant sa manière de travailler.
Il y a enfin le sujet de la sensibilisation des plus jeunes au patrimoine et de la formation des ABF, et notamment un module sur leur relation aux élus. (Applaudissements)
Mme Rachida Dati, ministre de la culture . - Cette proposition de loi marque une nouvelle étape en faveur de la sauvegarde de notre patrimoine et la préservation de notre cadre de vie.
Trop longtemps, la relation entre les ABF et les élus locaux a souffert d'incompréhension. Trop longtemps, les ABF ont fait l'objet de critiques, de reproches, alors qu'ils jouent un rôle fondamental. Ce ne sont pas seulement des techniciens et des administrateurs, mais les gardiens de notre patrimoine, dont l'oeil attentif veille à ce que la laideur ne dégrade pas notre cadre de vie. Ce sont 189 ABF, soutenus par les 741 agents des Udap, compétents sur 8 % de notre pays et un tiers des logements. À travers leur expertise, leur engagement, ils s'assurent que chaque pierre, chaque façade, chaque panorama nous rappelle ce que nous sommes et d'où nous venons.
La mission d'information, présidée par Marie-Pierre Monier et dont M. Pierre-Jean Verzelen était le rapporteur, a formulé vingt-quatre propositions acceptées à l'unanimité, alors que les avis sur ce sujet sont souvent tranchés.
Cette proposition de loi concrétise ce travail précieux. Son ambition est simple : renouveler le dialogue entre les ABF et les acteurs locaux, afin de simplifier, d'alléger les contraintes pesant sur les porteurs de projet.
C'est le sens de la généralisation des PDA ; en effet, les zones de protection automatiques et leur périmètre de 500 mètres sont parfois inadaptés aux réalités locales. Elles sont souvent synonymes de procédures longues, coûteuses et souvent infructueuses.
Il est ensuite proposé d'assurer la transparence des décisions rendues par les ABF en les publiant dans un registre national. Le mouvement vers plus de transparence concerne tous les pans de l'action publique. Toutefois, un tel registre serait inutile. L'accès aux décisions est déjà possible dans le cadre du droit d'accès aux documents administratifs et elles sont également consultables en mairie - avec, si j'ose dire, une explication de texte. Cela constituerait aussi une charge financière considérable : les ABF rendent 530 000 avis et 200 000 conseils par an, notamment en mairie ou dans les Udap.
Cela pourrait susciter de la délation, voire des règlements de compte. Ce sont des informations sensibles du point de vue sécuritaire : pour les logements, il y a un risque de cambriolage voire de braquage ; pour les entreprises, cela reviendrait à divulguer des plans et des secrets, parfois stratégiques.
Le texte prévoit la création d'une commission départementale. L'objectif est louable, mais c'est en contradiction avec l'objectif de réduire le nombre d'instances administratives et de simplifier les procédures. Je ne garantis pas l'efficacité de 100 nouvelles commissions mobilisant quelque 2 000 membres. D'autant plus qu'il existe déjà une commission régionale, qui peut être saisie à tout moment, y compris par visioconférence, pour des recours ou de la conciliation.
La proposition de loi fait de la rénovation respectueuse du bâti ancien un objectif partagé. On privilégie trop souvent la destruction. Je me réjouis de cette proposition, car le bâti ancien fait partie de l'âme de nos communes.
Je ne puis que me satisfaire que le patrimoine et sa sauvegarde fassent l'objet d'un consensus ; c'est sa vocation : nous rassembler autour de lieux communs. Les ABF y contribuent au quotidien. Avec cette proposition de loi, ils savent désormais qu'ils ne sont pas seuls. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; Mmes Laure Darcos et Marie-Pierre Monier applaudissent également.)
Mme Laure Darcos . - Je salue le travail de Pierre-Jean Verzelen.
La mission d'information présidée par Marie-Pierre Monier, dont il a été rapporteur, a fait plusieurs constats. Entre 2013 et 2023, les avis rendus ont augmenté de 63 % alors que le nombre d'ABF n'a pas augmenté. Créé en 1946, le corps des ABF compte 189 architectes, avec plus de 700 agents à leurs côtés. Ils traitent 500 000 dossiers d'autorisation de travaux par an - dont seulement, contrairement aux idées reçues, 7 % font l'objet d'un avis défavorable. Ils n'ont pas le temps de motiver leurs décisions et se heurtent donc souvent à l'incompréhension des élus.
Cette proposition de loi vise à fluidifier les relations entre ABF et élus locaux, sans revenir sur leurs prérogatives - je me félicite du maintien de l'avis conforme. Les ABF oeuvrent à la préservation des sites, à la mise en valeur et à la restauration de notre patrimoine.
Les quatre articles visent à encourager la généralisation des PDA, assurer la publicité des décisions rendues par les ABF, renforcer le dialogue avec les élus et ériger la réhabilitation du bâti ancien en priorité partagée.
Le droit actuel prévoit des restrictions dans un périmètre de 500 mètres autour d'un monument historique. Or ce zonage ne correspond pas toujours aux besoins effectifs ; c'est donc une bonne idée de faciliter les PDA.
Nous saluons l'article 2, qui facilite la publication et la compréhension des décisions des ABF, d'autant plus qu'un amendement voté en commission prévoit que cette publication sera accompagnée d'éléments de contexte expliquant la décision.
L'article 3 crée des commissions de conciliation à l'échelle départementale. Chargées de faciliter l'examen des contentieux, elles seront composées d'un représentant du préfet, de l'ABF, du pétitionnaire, du maire, le conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et des associations pouvant y participer.
L'article 4 ajoute la réhabilitation des constructions existantes aux éléments constitutifs de l'intérêt architectural prévu par la loi de 1977.
Je me réjouis que le groupe Les Indépendants soit à l'initiative de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques autres travées)
Mme Sabine Drexler . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Jean Verzelen applaudit également.) La protection du patrimoine est un sujet fédérateur, mais dès lors que l'on parle de ses gardiens, les ABF, cette belle unité n'existe plus. On le sait, ils ont des détracteurs, y compris au Sénat, qui les identifient comme des obstacles au développement et à la modernisation des communes.
Compte tenu des faibles moyens des Udap, leurs décisions ne peuvent être que mal comprises, car ils ne peuvent pas les expliquer.
La France est reconnue dans le monde entier pour la richesse et la qualité de son patrimoine bâti, fruit à la fois de l'héritage du passé, des évolutions du présent et des perspectives du futur.
La proposition de loi de Pierre-Jean Verzelen vise à trouver cet équilibre, justement. Je salue le travail de la mission d'information, qui est partie du constat de l'incompréhension entre ABF et élus locaux, et dont j'ai eu la chance de faire partie. Nous avons relevé un manque de pédagogie et d'accompagnement des porteurs de projet dû à la surcharge de travail administratif des ABF et aux enjeux de la transition énergétique.
Cette mission d'information a réuni des sénateurs aux obédiences politiques variées et aux points de vue parfois très éloignés - certains espéraient même remettre en question les principes de la protection patrimoniale. Je salue la qualité de ce travail transpartisan : il va faire changer le regard sur les ABF, en simplifiant la procédure d'adoption des PDA, en rendant publics les avis rendus par les ABF, en mettant en place une concertation locale, et en ajoutant la réhabilitation des constructions au champ des intérêts publics associés à l'architecture.
Il faudra débattre de la nécessité d'associer les architectes le plus en amont possible des projets de réhabilitation pour éviter des interventions inadaptées sur le bâti patrimonial relevant de la déclaration préalable qui peuvent se révéler catastrophiques.
Il faut mettre fin au saccage patrimonial à l'oeuvre depuis la loi Climat et résilience. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Les ABF jouent un rôle fondamental. Leur mission soulève pourtant des interrogations sur leur articulation avec les collectivités et la rigueur de leurs décisions.
Cette proposition de loi fait l'objet d'un large consensus : d'où son inscription dans cet espace de l'ordre du jour transpartisan.
Je salue le travail de notre collègue Pierre-Jean Verzelen qui a été le rapporteur de cette mission et nos collègues qui y ont participé, comme Jean-Baptiste Lemoyne.
Nous sommes nombreux à avoir relevé les incompréhensions mutuelles et les frustrations suscitées par les avis des ABF. Il est important que notre chambre se saisisse de la question. Les vingt-quatre recommandations adoptées en octobre dernier doivent avoir une traduction juridique. Un déplacement dans un pays moins sensible au patrimoine peut aider à prendre la mesure de notre richesse historique et du rôle des ABF.
Cette proposition de loi renouvelle les conditions du dialogue entre les ABF, les élus locaux et l'ensemble de nos concitoyens.
Elle simplifie le recours aux PDA, dont quelques milliers seulement ont vu le jour depuis leur création, alors que l'on compte 45 000 monuments historiques dans notre pays.
Nous sommes réservés sur les articles 2 et 3. La publication des avis des ABF pourrait générer de nombreux contentieux ; elle soulève aussi un problème de protection des données. Nous craignons que les commissions créées par l'article 3 se heurtent aux mêmes difficultés que celles qui existent déjà, qui peinent souvent à atteindre le quorum.
L'article 4 ajoute la réhabilitation au champ d'intérêt public de la profession ; il a fait débat. La rédaction de la commission nous semble juste et proportionnée.
Le RDPI votera cette proposition de loi, qui s'inscrit dans une démarche constructive. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques autres travées)
Mme Mireille Conte Jaubert . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) L'objet de la proposition de loi est d'apaiser les tensions entre la préservation du patrimoine et les besoins des territoires. En renforçant le dialogue, en conciliant les enjeux patrimoniaux et sociaux, il s'agit de rendre l'action des ABF plus lisible et adaptée à la réalité locale.
La mission d'information à laquelle avait participé Guylène Pantel avait pointé des points de friction : le manque de prévisibilité des avis rendus en raison de la subjectivité des critères esthétiques ; le coût parfois excessif des exigences relatives au choix des matériaux techniques employés ; le manque d'accompagnement et d'explication sur les motifs des décisions ; la conciliation entre patrimoine et rénovation énergétique.
Il ne s'agit ni de déposséder les ABF de leurs prérogatives ni de sacrifier notre patrimoine sur l'autel de la modernité, mais de gagner en souplesse et en concertation.
De nombreux projets de rénovation ou de réhabilitation se heurtent à des refus ou des demandes de modification aux motivations peu claires. C'est le cas en Gironde, où les ABF imposent des séchoirs à tabac ; quoique voisin de la Dordogne, ce territoire viticole n'en a pourtant jamais connu. Pourquoi être soumis à des obligations absurdes, qui engendrent des surcoûts considérables ?
Ce texte, fruit d'un travail transpartisan dont notre assemblée a le secret, permet aux élus d'instaurer un règlement encadrant l'architecture dans les zones sensibles.
Il prévoit la publication des avis des ABF sur une plateforme en ligne. Ces décisions restent trop peu accessibles.
Autre avancée : la création d'une commission de conciliation. Ce sera un cadre de dialogue adapté, permettant d'aboutir à des solutions partagées. Les élus locaux doivent être associés et c'est tout le sens de l'amendement porté par notre collègue Guylène Pantel à l'article 3.
La protection du patrimoine et l'innovation sont les deux revers d'une même pièce. Ce texte modernise un cadre parfois trop rigide, sans remettre en cause, l'avis conforme - acquis inestimable de notre droit, à laquelle notre commission de la culture est particulièrement attachée.
L'histoire et l'avenir doivent coexister en bonne intelligence. Il faut concilier performance énergétique et respect des identités locales. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Sonia de La Provôté . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Fruit d'un travail consensuel du Sénat, ce texte reprend les propositions de la mission d'information adoptées en septembre dernier.
Comme le rapporteur, dont nous saluons le sens de l'équilibre et de l'écoute, nous nous félicitons de l'inscription de cette proposition de loi dans un espace transpartisan de l'ordre du jour.
Élus locaux, nous le savons : la relation avec les ABF n'est pas un long fleuve tranquille ; ils sont pourtant les gardiens indispensables du maintien de la qualité urbaine et paysagère des territoires. Nous faisons le constat d'incompréhensions récurrentes. Les ABF ont aussi à progresser, pour faire mieux, sans empêcher.
Oui, défendons nos ABF. Nous abriter derrière leur avis négatif est parfois bien pratique. Les ABF, c'est comme l'Europe, quand ça ne va pas, c'est de leur faute... (Sourires)
Cette proposition de loi corrige plusieurs problèmes : le manque d'harmonie des avis rendus, qui varient d'un ABF à l'autre, le manque de dialogue et d'explication dans les avis rendus.
L'article 1er rend plus simple le PDA pour faciliter son intégration dans le PLU ou PLUi. Cela garantit la constance et la cohérence des avis dans le temps et évite ainsi le procès en arbitraire, trop récurrent. Un PDA, c'est une bonne discussion une bonne fois pour toutes.
L'article 2 prévoit la publication systématique des avis de l'ABF dans un registre national.
L'article 3 crée des commissions départementales ; la recommandation n°1 de la mission d'information était de faciliter le dialogue fécond dans le département, le plus en amont possible. Il faut apaiser, pour éviter les recours. L'échelon départemental, c'est celui de la connaissance fine des communes.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
Mme Sonia de La Provôté. - L'article 4 ajoute les constructions existantes au sein de l'intérêt architectural de la loi de 1977.
Prendre en compte les spécificités du bâti ancien dans les objectifs de rénovation énergétique est indispensable.
Un bardage classique sur du torchis ou du colombage détruit le bâti, ne tient pas compte du confort d'été, sans parler de la question des goûts et des couleurs... Nous devons adopter une vision enfin patrimoniale de la rénovation thermique.
Le groupe UC votera ce texte qui améliore la fonction des ABF sans la remettre en cause.
Le problème réside dans le manque flagrant d'effectifs des Udap. Plus de temps sur le terrain pour concilier, négocier, pour faire aimer les ABF, voilà ce qu'il faut. Or les effectifs sont quasi stables, quand la charge de travail explose. La surcharge administrative laisse trop peu de temps aux ABF pour expliquer leurs décisions.
Il faudra discuter des moyens en loi de finances.
Mme Marie-Pierre Monier. - Oui !
Mme Sonia de La Provôté. - Rendez-vous à l'automne prochain, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Pierre Ouzoulias . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La qualité architecturale de notre quotidien et la préservation du patrimoine sont constitutives de notre identité culturelle, mais les décisions de l'État en la matière sont aussi perçues par les élus comme des entraves à la liberté de construire. Il y a une tension paradoxale entre la demande croissante de classement et les réticences à accepter les contraintes qui en résultent.
En contact direct avec les élus, les ABF tentent de gérer ce paradoxe. Ils sont tenus responsables de l'inertie ministérielle mais aussi des tracasseries bureaucratiques... Rendons hommage à leur travail, à leurs efforts pour concilier les obligations imposées par une législation protectrice et les souhaits souvent contradictoires des pétitionnaires et des autorités chargées de délivrer les permis.
Les maires n'ont aucun intérêt à un affaiblissement de l'avis conforme des ABF, qui les exposerait à des contentieux actuellement assumés par l'État.
Mme Marie-Pierre Monier. - Tout à fait !
M. Pierre Ouzoulias. - Le rapport de M. Verzelen, dont je salue la qualité, relativise ce ressentiment général supposé. Là où un dialogue s'instaure, les conflits sont rares et résolus par la négociation. En revanche, des différends peuvent surgir quand les ABF n'exercent pas leur mission de conseil auprès d'élus démunis face à la complexité du droit du patrimoine.
Dans un rapport d'octobre 2018, Philippe Bélaval souligne que la baisse des effectifs et des moyens des Udap amène souvent les ABF à donner la priorité aux avis, au détriment de leurs autres compétences. Cela pèse négativement sur l'image des ABF mais aussi des dispositifs de protection eux-mêmes, et affaiblit le rôle que joue le ministère de la culture pour la préservation d'un cadre de vie de qualité. Tout est dit.
Madame la ministre, vous avez proposé dans le cadre du Printemps de la ruralité le renforcement des effectifs des Udap dans les départements ruraux, pour qu'ils disposent d'au moins deux ABF. Il est temps de mettre ce plan en oeuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.) « L'architecture est un art socialement dangereux, parce qu'imposé à tous. L'architecture impose une immersion totale. On peut ne pas écouter une musique laide, ne pas regarder un tableau laid. Mais un immeuble laid reste là, devant nous ».
Mme Marie-Pierre Monier. - Bravo !
Mme Monique de Marco. - Ces mots de Renzo Piano justifient à eux seuls les missions des ABF : veiller à ce que les lubies de quelques-uns ne viennent pas défigurer les perspectives du plus grand nombre.
Depuis quelques années, les ABF font l'objet de vives critiques. C'était déjà le cas en 2016, lors de la loi LCAP. On leur reproche des décisions opaques, variables et coûteuses.
Les travaux de notre mission d'information ont démystifié les conditions d'exercice de leurs compétences.
Le taux de refus est assez faible, à 7 %, et une décision défavorable n'est pas définitive. Seuls 0,1 % des projets seraient refusés, donnant lieu à moins d'une dizaine de contentieux par an - signe de l'efficacité des procédures fondées sur l'échange.
On bâtit pour des années, des siècles. Les ABF ne sont pas responsables de ces nécessaires lenteurs !
La proposition de loi parvient à un bon équilibre : plus de flexibilité avec la généralisation des PDA, une meilleure compréhension de la jurisprudence des ABF avec la publicité des avis.
On reproche parfois aux ABF de faire obstacle à la rénovation énergétique. L'Italie a su concilier conservation, rénovation et transition énergétique : des panneaux photovoltaïques ont été installés dans la maison de Cérès à Pompéi et le parc de l'Appia Antica à Rome... Cela devrait aussi être possible en France.
Je me félicite que la notion de réhabilitation ait été inscrite dans la loi de 1977. Réhabiliter plutôt que démolir permet d'optimiser l'empreinte écologique des milieux habités. La réhabilitation est un travail subtil de transformation conciliant mémoire, performance et usage.
La beauté de nos territoires est menacée par des constructions court-termistes. Dans l'Antiquité, les élus athéniens faisaient ce serment : « Je vous promets, Athéniens, de vous rendre Athènes plus belle que vous me l'avez donnée. » L'architecture renforce le désir d'appartenir à une société. Faisons appel aux architectes pour la conception, mais aussi la réalisation de nos grands projets d'urbanisme. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Marie-Pierre Monier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « L'architecture est le grand livre de l'humanité, l'expression principale de l'homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence », écrit Victor Hugo. Les ABF sont les précieux gardiens de ce récit commun.
Il suffit de se balader dans les rues de Figeac, exemple de coopération efficace entre ABF et élus, dont l'architecture attire des touristes du monde entier.
Le rôle des ABF a pourtant parfois fait débat dans notre hémicycle. Merci à Pierre-Jean Verzelen pour cette proposition de loi, qui émane de la mission d'information que j'ai présidée, et qui illustre les consensus que nous pouvons obtenir au Sénat. Après 20 auditions, 4 déplacements, 1 500 témoignages d'élus locaux, nous avons abouti à des propositions communes, au plus près du terrain.
Les PDA créés par la loi de 2016 avaient vocation à rationaliser la protection des périmètres aux abords des monuments. Pour encourager leur généralisation, l'article 1er simplifie les procédures administratives associées, notamment l'obligation d'enquête publique ou de consulter le propriétaire ou l'affectataire du monument. À l'issue de l'examen en commission, l'enquête publique a été supprimée dans les cas où le PDA réduit le périmètre automatique des 500 mètres autour du monument, et maintenue dans le cas contraire. Les élus pourront élaborer un règlement du PDA en lien avec l'ABF, inscrit dans le PLU.
L'article 2 répond à ce même objectif de prévisibilité pour les porteurs de projet et les élus en rendant publiques les décisions des ABF.
L'article 3 crée une commission de conciliation pour favoriser l'émergence de solutions concertées sur des dossiers litigieux avant l'engagement de procédures de recours. Il s'agit de généraliser les bonnes pratiques qui existent déjà dans certains départements, pour lever les difficultés par le dialogue. Les interrogations exprimées par les acteurs auditionnés ont conduit le rapporteur à réécrire le dispositif pour préciser sa composition et son articulation avec la procédure de recours.
Enfin, l'article 4 répond à la volonté de faire de la réhabilitation du bâti ancien un objectif partagé - il faut encourager la dynamique amorcée.
Lors des auditions, le manque de moyens humains et d'ingénierie dans les territoires a été abondamment souligné. Le Sénat avait adopté un amendement en loi de finances visant à recruter un ABF supplémentaire par département. Nous n'y échapperons pas : il faut diminuer leur charge de travail pour augmenter le temps consacré à leur mission de conseil et d'accompagnement.
Le groupe SER votera ce texte, qui propose des solutions concrètes pour faciliter la vie de nos élus, sans fragiliser la préservation du patrimoine. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Gérard Paumier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi renouvelle les conditions de dialogue entre les ABF, les élus locaux et nos concitoyens. Héritiers de Prosper Mérimée et des architectes ordinaires des monuments historiques créés en 1907, les ABF sont confrontés à l'élargissement progressif des espaces protégés. Comme Janus, une face tournée vers le passé et l'autre vers l'avenir, ils ont le visage de la confiance pour certains maires, celui de la défiance pour d'autres. Je peux témoigner de l'un et de l'autre en Indre-et-Loire.
Notre ancien collègue Yves Dauge, avec le service départemental d'architecture, a entraîné les neuf maires de sa communauté de communes à préserver et protéger le patrimoine et les paysages ruraux de leurs pays de Rabelais. Résultat : le premier classement en cours d'un territoire géographique, la Rabelaisie, symbole de la Renaissance.
Mais de nombreux maires dénoncent un manque de dialogue et voient en l'ABF un censeur. Ils critiquent aussi des prescriptions subjectives, qui varient d'un ABF à l'autre, et génèrent des surcoûts.
La généralisation des PDA favorise une approche fine. La publication des avis des ABF est aussi bienvenue.
La commission départementale pour la médiation sur les dossiers litigieux marque un retour à plus de proximité : c'est le bon échelon. Nul doute qu'elle réglera de nombreux problèmes.
À la Cité de l'architecture et du patrimoine, il nous a été suggéré d'ajouter dans la formation des ABF un nouveau module sur la vie et la gestion locales, pour qu'ils s'imprègnent des contraintes des maires.
Les guides nationaux d'insertion architecturale et paysagère doivent être élaborés en liaison avec les collectivités et avoir des déclinaisons départementales adaptées aux territoires. Il faut travailler davantage avec les associations de maires et les CAUE, qui jouent un rôle clé auprès des élus et du grand public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°13 rectifié de M. de Legge et alii.
M. Dominique de Legge. - Ce texte va dans le bon sens, celui de la simplification et de la clarification.
Vous avez toutefois oublié de consulter les propriétaires ou affectataires de monuments classés : il faut les mettre dans la boucle, car ils participent à l'attractivité du territoire en entretenant ces bâtiments.
M. le président. - Amendement n°4 rectifié bis de M. Lemoyne et alii.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - La proposition de loi allège la procédure de création des PDA. À défaut d'enquête publique, il faut au moins une information des propriétaires des monuments. En 2025, en France, nous devrions être capables de procéder à cette information. La France ne serait pas la France si nous n'y arrivions pas !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Sur le principe, nous sommes tous d'accord. Mais dans la réalité, il y aurait beaucoup de perte en ligne, car de nombreux biens sont en indivision, et il est très difficile de consulter et informer tout le monde. De nombreux PDA sont bloqués à cause de cela. Avis défavorable, donc.
Mme Rachida Dati, ministre. - Je m'associe aux arguments du rapporteur. Le propriétaire du monument classé n'est pas propriétaire des abords : c'est une servitude, dans l'intérêt général. Avis défavorable.
M. Dominique de Legge. - L'argument ne tient pas, je vous le dis en toute amitié. Vous ne me ferez pas croire que le problème de la protection des abords des monuments historiques, ce sont les indivisions ! Ces bâtiments sont le plus souvent propriété d'une personne morale ou physique. On ne va pas supprimer la possibilité pour les propriétaires de s'exprimer au motif qu'il y aurait quelques cas d'indivision !
Je retire mon amendement au profit de celui de M. Lemoyne, mais ce n'est pas parce que les extérieurs ne leur appartiennent pas que ceux qui entretiennent ces bâtiments n'ont pas un avis à donner sur la protection du site.
L'amendement n°13 rectifié est retiré.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je crois à l'intelligence collective. Si l'on ne trouve pas un moyen pour associer les propriétaires de monuments à l'élaboration des PDA, c'est qu'on n'est pas bon !
Merci à Dominique de Legge pour son soutien. D'ici à la lecture à l'Assemblée nationale, nous aurons le temps d'y travailler. Mais nous devons marquer un point ici. Ne laissons personne au bord de la route.
Mme Monique de Marco. - Le PDA réduira le périmètre actuel des 500 mètres. Quel intérêt de consulter les propriétaires s'ils sont déjà dans le périmètre ?
L'amendement n°4 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n° 15 rectifié ter de Mme Belrhiti et alii.
Mme Catherine Belrhiti. - Nos concitoyens attendent plus de transparence et de simplicité dans leurs interactions avec les institutions. Je propose de remplacer l'enquête publique par une consultation numérique pour réduire les coûts administratifs, renforcer la participation citoyenne et simplifier le traitement des observations. ?uvrons pour une administration plus moderne et plus proche de nos concitoyens.
M. le président. - Amendement n°3 de M. Lemoyne et alii.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°12 rectifié bis de M. de Legge et alii.
L'amendement n°12 rectifié est retiré.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Partout où ils sont mis en place, les PDA fonctionnent, mais les communes rurales ont du mal avec procédures administratives. D'où notre proposition de supprimer l'enquête publique quand on réduit le périmètre, et de la maintenir quand on l'étend. Vous proposez une procédure certes souple, mais qui reste une procédure, avec du formalisme, potentiellement source de recours.
Je redoute la perte en ligne. L'objectif, c'est de développer les PDA. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis, pour les mêmes raisons.
L'amendement n°3 est retiré.
L'amendement n°15 rectifié ter n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°5 rectifié ter de Mme Josende et alii.
M. Laurent Burgoa. - Parfois, deux ABF jugent différemment de situations totalement analogues ; parfois, l'avis rendu par un ABF est remis en cause par son successeur. Cet amendement apporte de la sécurité juridique en limitant le caractère subjectif des avis des ABF et en assurant leur cohérence, ainsi que leur continuité dans le temps, à l'échelle de la commune et du département.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous partageons l'objectif : améliorer la prévisibilité et rendre les avis cohérents. L'article 2 assure la transparence de décisions afin d'élaborer dans le temps une sorte de jurisprudence. Votre amendement est un peu rigide. Il ne précise ni la période, ni le secteur, or les situations, les matériaux, les techniques évoluent. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
L'amendement n°5 rectifié ter n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié de Mme Brulin et alii.
Mme Céline Brulin. - L'avis négatif d'un ABF doit être assorti de conseils pour trouver des solutions, afin de faire avancer les projets. Or nous sommes confrontés à des avis couperets, qui conduisent à annuler des réhabilitations de sites, des requalifications de bâtiment, lesquels deviennent des verrues dans nos communes. Les ABF ne peuvent assurer leur mission de conseil qui si leurs effectifs sont suffisants.
Sans hiérarchiser, il faut aussi développer une vision globale. Certains territoires comptent plusieurs éléments patrimoniaux remarquables : un théâtre gallo-romain, une église néogothique, des maisons ouvrières - si ces dernières se retrouvent également dans quantité d'autres communes du département, leur conservation n'est pas forcément prioritaire par rapport aux autres éléments.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - À mon sens, votre amendement est satisfait. Pour les quelques dossiers qui reçoivent un refus, l'avis de l'ABF est déjà motivé. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
Mme Céline Brulin. - Il s'agissait d'un amendement d'appel, que je retire. Cela dit, j'insiste : si les ABF et les Udap ne jouent pas leur rôle de conseil, c'est faute d'effectifs.
Souvent des solutions existent et pourraient être mises en oeuvre avec un accompagnement ; cela peut même être très intéressant, au plan architectural. Mais toutes les communes ne disposent pas de services d'architectes ou d'urbanistes.
L'amendement n°7 rectifié est retiré.
Mme Rachida Dati, ministre. - Je comprends votre demande de conseil et d'interaction avec les ABF. Dans la majorité des cas, les relations avec les ABF fonctionnent bien.
Attention, toutefois, à l'excès de transparence, qui peut conduire à de la délation et des règlements de comptes, voire à une récupération d'informations stratégiques à d'autres fins...
La création d'un nouveau registre doit être mise en regard de la charge administrative qu'elle engendre. Les ABF rendent 500 000 avis par an ! Gérer des millions d'avis prendra du temps - qui ne sera pas consacré à autre chose. Ils rendent 200 000 conseils par an.
Le financement du plan Printemps de la ruralité a été sanctuarisé, malgré les contraintes budgétaires : il y a aura bientôt un deuxième ABF par département.
Parfois, l'utilisation de certaines données n'est pas très saine.
M. Pierre Ouzoulias. - La discussion montre que nous avons besoin d'une gradation supplémentaire dans les procédures de classement. Il manque un niveau intermédiaire, plus simple, qui permettrait d'attirer l'attention sur un bâtiment sans forcément le classer.
Quand j'étais jeune conservateur à l'École nationale du patrimoine - ça date... (sourires) - j'ai travaillé sur la protection du troisième type, qui était partagée entre la Drac et le département. Il serait intéressant de rouvrir ce débat, pour proposer aux élus autre chose que le classement.
Mme Rachida Dati, ministre. - Vous avez raison, certaines situations intermédiaires ne nécessitent pas d'aller jusqu'au classement monument historique. C'est possible par le biais des PLU (M. Laurent Lafon renchérit) ou des sites patrimoniaux remarquables - Paris est concerné au premier chef.
L'article 2 est adopté.
Après l'article 2
M. le président. - Amendement n°6 rectifié bis de Mme Belrhiti et alii.
Mme Catherine Belrhiti. - Cet amendement vise à harmoniser les pratiques des ABF. Il prévoit un document référentiel national élaboré par une commission d'experts centralisant un ensemble de critères standardisés. Nombreux sont les élus et porteurs de projets qui déplorent l'imprévisibilité et l'incohérence des décisions rendues par les ABF, d'un département à l'autre. Assurons une application homogène des normes.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Pas bête !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Avis défavorable, même si, là encore, je partage l'ambition. Votre amendement est satisfait, puisque le ministère y travaille. Un guide, c'est bien, mais sur quel périmètre ? Et avec quel niveau de détail ? Le bâti dans l'Aisne n'est pas le même qu'en Moselle, à Biarritz ou dans les Hauts-de-Seine. Les réalités patrimoniales sont différentes.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
M. Max Brisson. - L'avis de la ministre mériterait un supplément d'explication. Nous sommes très favorables aux ABF, mais savons aussi que leurs décisions peuvent diverger : on se demande parfois s'il y a une ligne directrice, une vision partagée. Madame la ministre, on nous dit qu'un référentiel se prépare : pouvons-nous en savoir plus ?
Mme Rachida Dati, ministre. - Le Gouvernement prévoit la publication d'un guide pratique, avec des fiches par département et par région, car il y a une hétérogénéité patrimoniale. Il ne saurait être figé. Les porteurs de projet pourront s'y référer. Ce guide ne figure pas dans la proposition de loi car il n'est pas de nature législative.
Mme Marie-Pierre Monier. - Comment améliorer la prévisibilité des avis rendus par les ABF ? Une doctrine nationale unique ne correspond pas aux situations locales. Nous avons besoin de concertation entre les élus et les ABF - encore faut-il que ces derniers en aient les moyens, sachant qu'un ABF rend en moyenne treize avis par jour ouvré ! Si on leur donne plus de moyens, le travail de concertation et de coconstruction des projets avec les élus aura lieu.
M. Pierre Ouzoulias. - J'ai été confronté à cette demande, en tant qu'archéologue - profession qui suscite le même niveau d'exécration que les ABF : nous sommes les persécutés de la culture ! (Sourires)
Ces normes ont un nom : l'état de l'art, soit le niveau de connaissances existant à un moment donné. Ainsi de la conservation des églises néogothiques de la seconde moitié du XIXe, peu prisées, mais dont la disparition effacerait tout un pan de notre patrimoine. Aussi, cet état de l'art doit-il être modifié en fonction des connaissances.
C'est le rôle du service de l'inventaire - naguère sous la tutelle du ministère de la culture, désormais sous celle des régions.
Quelles sont les interactions entre les Udap et les services de l'inventaire en région sur l'analyse des potentialités patrimoniales, madame la ministre ? Je crains qu'elles soient faibles.
Mme Catherine Belrhiti. - Votre réponse est incomplète, madame la ministre. Peu importe le nom qu'on lui donne, il faut pouvoir consulter un document qui donne un schéma. Il faut une référence, pas trop stricte, au niveau national.
Mme Monique de Marco. - Je partage l'avis du rapporteur : quel périmètre ? Quel niveau de détail ? Le patrimoine n'est pas identique du Pays basque à la Bretagne, ou outre-mer ! Comment imaginer un guide applicable de la même façon partout ? Moi qui suis pour la décentralisation, je n'y suis pas favorable.
M. Vincent Louault. - Je comprends les inquiétudes de mes collègues. Un ABF autorise les fenêtres en aluminium, le suivant exige qu'elles soient en bois. C'est hallucinant ! J'entends l'argument sur l'état de l'art, mais je n'aime pas le fait du prince, bien trop fréquent chez les ABF. Un référentiel national n'a pas de sens, mais un référentiel sur l'état d'esprit de nos ABF en aurait !
Il faut avancer avec pragmatisme, savoir quelles fenêtres mettre, PLUi par PLUi, zone par zone. Ceux qui habitent à côté du château de Chenonceaux doivent savoir à quelle sauce ils vont être mangés ! (Mme Catherine Belrhiti approuve.)
Le ministère arrivera-t-il à tenir ses ABF et à édicter une doctrine ? Dans mon département, les ABF ont toujours refusé de formuler des règles par collectivité. Ils tiennent au fait du prince.
Mme Catherine Belrhiti. - Tout à fait !
Mme Rachida Dati, ministre. - Je vous entends, mais je récuse l'expression de fait du prince. Il peut y avoir un manque de dialogue, des incompréhensions...
Élue du 7e arrondissement, très patrimonial, j'ai beaucoup échangé avec les ABF. J'ai pu les faire changer d'avis, lever des réserves. Cela demande de la discussion, du temps et de l'énergie, c'est vrai.
Un guide existe déjà pour la région Paca, notamment sur les énergies renouvelables. Des référentiels existent, il s'agit de les généraliser et peut-être de les institutionnaliser. Mais cela ne relève pas du domaine législatif.
Mme Annick Billon. - Je ne voterai pas cet amendement. Les ABF émettent un avis favorable dans 36 % des cas, défavorable dans 14 % des cas seulement ; dans 50 %, l'avis est assorti de prescriptions. Cela fonctionne donc plutôt bien. L'objet de ce texte est de simplifier ; or cet amendement complexifie !
L'amendement n°6 rectifié bis n'est pas adopté.
Article 3
Mme Jocelyne Guidez . - Il ne s'agit pas de remettre en cause la protection du patrimoine, mais de réintroduire du bon sens. Ce sera l'objectif de la commission de conciliation prévue à cet article - à condition d'accorder au maire un rôle décisionnaire.
Les ABF sont trop souvent un frein au développement économique dans nos communes. À Janville-sur-Juine, dans l'Essonne, une brasserie artisanale dynamisait le village. Elle a voulu s'agrandir, créer des emplois. Le projet a été refusé par l'ABF, qui préfère garder une station-service en ruine. Résultat : la brasserie quitte le bassin de vie. Notre patrimoine est sain et sauf...
Les décisions ne doivent pas être motivées par le seul aspect architectural et patrimonial, ni se prendre sans concertation avec les élus. Il est temps de faire confiance à nos maires face aux décisions parfois incompréhensibles des ABF. Ce sont eux qui connaissent la réalité de leur territoire, eux qui rendent des comptes. Ils doivent être associés aux décisions.
Trop de projets sont retardés par des recours interminables. Cette commission entend éviter les blocages et limiter les recours en réglant les dossiers litigieux en amont. L'imprévisibilité arbitraire des ABF se doit d'être compensée par une cohérence au moins départementale.
M. Pierre Ouzoulias . - Nous devons réfléchir à la présence de l'État-culture dans les départements. À l'époque, les services départementaux de l'architecture et du patrimoine (Sdap) étaient sous l'autorité des préfets de départements ; désormais, ils sont sous celle des préfets de région. Avec la création des très grandes régions, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) sont très éloignées des élus locaux, qui ont besoin d'un relais départemental. Comment retisser du lien entre le maire, le département et les ABF ? (Mme Sonia de La Provôté acquiesce.) Il faut mettre en synergie les ex-Sdap, les CAUE et les ABF, car ce qui fonctionne le mieux, dans le domaine patrimonial, c'est le couple commune-département. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Rachida Dati, ministre. - Votre argument est pertinent, car les départements sont les premiers investisseurs dans la culture. Ce qui a fait souffrir les Drac, c'est la fusion des régions. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)
Tous les élus sont invités aux commissions régionales, qui sont des instances de recours et de conciliation. Il est possible d'y participer par visioconférence. Recréer des commissions départementales nécessiterait 2 000 personnes supplémentaires, autant de ressources humaines qui manqueraient sur le terrain.
M. le président. - Amendement n°9 de Mme Drexler.
Mme Sabine Drexler. - Afin de prendre en compte au moins en partie la volonté des auteurs du texte, je propose d'élargir les compétences des commissions locales de site patrimonial remarquable, afin qu'elles se prononcent sur les projets de travaux concernant leur site.
M. le président. - Amendement identique n°17 du Gouvernement.
Mme Rachida Dati, ministre. - Défendu.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - La commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) existe déjà. Les gens n'ont pas envie d'entrer dans ces procédures. Des médiations régionales sont prévues, mais ce système ne fonctionne pas. Les personnes ne sont pas en cause : c'est lié au fait régional, qui éloigne les décisions. On me dit : hauteur de vue ? Je réponds : dépossession. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)
D'où la création de la commission départementale, présidée par le préfet de département : il s'agit simplement de remettre de l'humain dans le processus. Je suis convaincu que l'ABF, s'il sait qu'il sera appelé à justifier sa décision dans un tel cadre, ne rendra pas son avis tout à fait de la même façon.
Cet article vise l'ensemble des zones protégées, et non les seuls sites patrimoniaux remarquables, où le système fonctionne très bien. Avis défavorable.
M. Jean-Gérard Paumier. - Si nous n'instaurons pas la commission départementale, ce sera, dans ce palais, une nouvelle journée des dupes ! (Sourires) S'il y a peu de recours, c'est du fait de l'éloignement de la commission, mais aussi parce que les collectivités territoriales ont peu de temps pour préparer un recours.
En Centre-Val de Loire, région qui n'a pourtant pas été fusionnée, je me souviens qu'une difficulté importante s'est présentée : appelée par le préfet, la Drac a tout promis, mais, deux ans plus tard, rien ne s'est passé...
La commission départementale est essentielle : elle réunira des personnes motivées, qui régleront les problèmes au plus près du terrain, avec le préfet et les sous-préfets.
Les amendements identiques nos9 et 17 ne sont pas adoptés.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Voter cet amendement revenait à être contre la création de la commission départementale. (On le conteste sur les travées du groupe Les Républicains ; marques de perplexité sur diverses travées.)
M. le président. - Amendement n°14 rectifié quater de Mme Belrhiti et alii.
Mme Catherine Belrhiti. - Il s'agit de porter d'un à deux mois le délai dont dispose la commission de conciliation pour examiner un dossier après réception de l'avis de l'ABF, afin de permettre une instruction approfondie et une réelle concertation avec les parties prenantes. Il s'agit aussi d'une mise en cohérence avec le délai laissé à l'ABF pour se prononcer sur un permis de construire.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Un pétitionnaire privé peut présenter un recours dans un délai de deux mois. Les communes n'ont que sept jours pour le faire. Le texte prévoit de leur laisser un mois ; avis favorable cependant à cet amendement qui double le délai.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable, par cohérence avec mon opposition à la création de la commission.
L'amendement n°14 rectifié quater est adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié bis de Mme Pantel et alii.
Mme Guylène Pantel. - Pour régler les dossiers litigieux, il faut une procédure collégiale et proche du terrain, favorisant un dialogue direct et réactif avec les ABF. Dans cet esprit, nous voulons intégrer des élus communaux, départementaux ou régionaux à la commission de conciliation. Cette mesure figurait déjà dans notre proposition de loi portant création d'une commission départementale du patrimoine et de l'architecture. Les élus mènent souvent des projets culturels ou participent à leur financement : leur regard dans ces instances serait utile.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Avis défavorable, car satisfait. La composition minimale - le préfet, l'ABF, le pétitionnaire et le maire - n'est pas exhaustive, et le préfet peut inviter d'autres élus. Au reste, je pense que, moins on est nombreux autour d'une table et mieux on connaît le dossier, plus on est efficace.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
Mme Guylène Pantel. - Je maintiens l'amendement. Si ce que nous proposons est possible, pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi ?
L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°16 rectifié quater de Mme Belrhiti et alii.
Mme Catherine Belrhiti. - Il s'agit de renforcer le rôle de la commission de conciliation en lui donnant le pouvoir d'émettre un avis conforme. La démarche est claire : renforcer la légitimité des décisions rendues. Si ces commissions n'exercent pas pleinement leur rôle, elles seront de simples instances décoratives...
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous êtes dure avec les personnes qui participeront à ces commissions... Dans le cadre de cette niche transpartisane, dont la durée est contrainte, nous créons déjà la commission de conciliation. Il n'est pas possible de remettre à plat l'ensemble du système. D'ailleurs, aucun amendement n'a été déposé pour supprimer l'avis conforme des ABF : l'avis conforme, c'est pourtant bien le coeur du sujet. L'idée de la commission, c'est : on se voit, on s'explique et on trouve une solution. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
L'amendement n°16 rectifié quater est retiré.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié de Mme Brulin et alii.
Mme Céline Brulin. - Par cet amendement d'appel, nous proposons d'inscrire dans la loi que les ABF prennent en compte la nécessité de respecter l'objectif du ZAN et de favoriser la réhabilitation du bâti au regard des enjeux de rénovation énergétique. Les élus locaux ont souvent l'impression d'être soumis à des injonctions contradictoires : on leur dit qu'il ne faut plus artificialiser, mais sans leur donner les outils pour construire la ville sur la ville, comme disent certains. La préservation du patrimoine ne peut plus se concevoir comme par le passé. Des emprises en coeur de ville vont nécessairement devoir être utilisées.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Avis défavorable. Nous avons longuement débattu du ZAN la semaine dernière et encore hier. Le métier de l'ABF, c'est le patrimoine. C'est au préfet de région de trancher en cas d'objectifs contradictoires.
Mme Rachida Dati, ministre. - Même avis.
L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
Après l'article 3
M. le président. - Amendement n°10 rectifié bis de Mme Bellamy et alii.
Mme Béatrice Gosselin. - Afin de favoriser le règlement des dossiers litigieux en amont des procédures de recours à l'échelon régional, l'article 3 permet au maire de saisir une commission de conciliation départementale, dont l'avis serait consultatif. Le préfet de région restera compétent pour infirmer le refus d'accord de l'ABF. Dans un souci de proximité et de cohérence, Mme Bellamy propose de donner compétence au préfet de département pour statuer sur les recours à l'encontre des avis des ABF.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Faut-il placer l'ABF sous la tutelle du préfet ?
Mme Catherine Belrhiti. - Oui !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - C'est une grande question. J'y suis plutôt favorable, mais cela dépasse l'objet du texte. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°10 rectifié bis n'est pas adopté.
Article 4
M. le président. - Amendement n°11 de Mme de Marco.
Mme Monique de Marco. - Je me suis replongée dans l'article 1er de la loi du 3 janvier 1977. Il faudrait le dépoussiérer, car les autorisations de bâtir n'existent plus depuis 2007. Peut-être pourriez-vous vous engager à y travailler, madame la ministre ? Il s'agit d'un amendement d'appel, et je le retire.
L'amendement n°11 est retiré.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié de Mme Drexler et alii.
Mme Sabine Drexler. - Les lois votées depuis 2021 - Climat et résilience, ZAN, DPE - ont entraîné des effets pervers pour la préservation du bâti ancien. Je pense notamment aux prescriptions de travaux d'isolation par l'extérieur utilisant des matériaux inadaptés, qui provoquent des dégâts irréversibles sur les constructions traditionnelles, notamment celles présentant du bois en façade. L'identité visuelle du bâti ancien s'en trouve dénaturée. Les propriétaires doivent être mieux conseillés, notamment dans les secteurs non protégés.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - L'ABF rend un avis dans les périmètres protégés ; hors de ces périmètres, on fait à peu près ce que l'on veut. C'est une question fondamentale, mais le texte porte sur les périmètres protégés. En outre, le recours à un architecte est coûteux.
Mme Sabine Drexler. - Je retire l'amendement, mais maintiens l'alerte. Le conseil aux propriétaires ne suppose pas le recours à un architecte privé : il y a les CAUE et les architectes conseils des collectivités.
Mme Rachida Dati, ministre. - Votre proposition est pertinente, mais dépasse le cadre de ce texte. Un travail est en cours avec le ministère du logement. Nous aboutirons dans le cadre de la future loi logement.
L'amendement n°2 rectifié est retiré.
L'article 4 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°18 de M. Verzelen, au nom de la commission de la culture.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Il s'agit d'écrire « bâtiments » avec une majuscule, conformément au code du patrimoine... (Sourires)
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis favorable.
L'amendement n°18 est adopté et l'intitulé est ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
M. Max Brisson . - Je salue la qualité du travail du rapporteur.
Nous défendons le rôle des ABF et savons ce que leur doit la préservation de notre patrimoine. Cela dit, nous sommes passés à côté d'un texte vraiment sénatorial, en faveur de plus de proximité : nous aurions pu renforcer le rôle de la commission départementale, mais aussi du préfet de département. La plupart d'entre nous disons être favorables au retour de l'État dans les départements : dommage de laisser passer l'occasion d'agir en ce sens. Malgré ce regret, nous voterons le texte.
Mme Marie-Pierre Monier . - Ce texte est examiné dans le cadre d'une niche transpartisane : les sujets clivants n'ont pas été évoqués, c'est normal. La commission départementale est créée, dont acte. Les ABF sont des experts : on peut ne pas être d'accord avec eux, mais ils ont des compétences que nous n'avons pas et sont indépendants. Ils font du patrimoine de la France ce qu'il est.
M. Pierre Ouzoulias . - Je me réjouis que nous ayons débattu de ces questions de manière apaisée, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé.
M. Max Brisson. - C'est trompeur !
M. Pierre Ouzoulias. - Je pense aussi à l'archéologie préventive et à certains débats houleux... (Sourires)
La nécessité de la préservation du patrimoine est entrée dans les moeurs et les politiques, mais il ne faut pas en rester là. Une réflexion plus générale est nécessaire sur les outils de protection. En particulier, sont-ils adaptés à la préservation du petit patrimoine non classé, qui constitue souvent l'identité propre de nos villages ?
Sans aller jusqu'à une décentralisation, dont les collectivités territoriales ne voudraient d'ailleurs pas, il faut réfléchir à une meilleure articulation du département et des CAUE, des régions et des services de l'État pour une action patrimoniale coordonnée et planifiée.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Je remercie tous ceux qui ont participé à la mission d'information, en particulier Pierre-Jean Verzelen, son initiateur. Sur un sujet qui n'est pas forcément consensuel, nous avons réussi à avancer collectivement. Je me réjouis qu'au cours de la mission d'information, mais aussi après, un dialogue se soit établi entre Marie-Pierre Monier, Pierre-Jean Verzelen et les ABF. Ce dialogue est fondamental, compte tenu des difficultés qui se présentent à certains endroits. Il faut l'instaurer dès la formation des ABF. Ce texte s'inscrit pleinement dans cet esprit : favoriser un dialogue apaisé et constructif.
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Je remercie tous nos collègues qui ont participé à la mission d'information et aux travaux préparatoires à ce texte. Nous permettons aux communes de redéfinir, de manière très souple, un périmètre de protection, pour que l'avis conforme soit accepté par tous. Nous créons une référence nationale des avis rendus. Enfin, nous instaurons une commission départementale pour remettre les élus autour de la table et que les ABF puissent justifier leurs choix et, éventuellement, les revoir. Tout cela, nous l'avons fait en deux heures et dans le cadre d'une niche transpartisane : ce n'est pas rien ! (Applaudissements)
Mme Rachida Dati, ministre de la culture . - Il est vrai que nous partions de loin : souvent, ces débats se transforment en tribunaux contre les ABF. Je reconnais avoir découvert ces questions en arrivant au ministère de la culture - je pense aussi au rôle de l'archéologie préventive et de l'archéologie subaquatique.
Le patrimoine nous rassemble ; nous voulons tous le préserver et le restaurer. Les ABF nous incitent parfois à revoir nos conceptions et jouent un rôle de conseil.
Dans le cadre des projets Quartiers de demain, le recours à un architecte a été prévu. Nous avons vu, par le passé, comment certains quartiers ont été construits... Intégrer la protection patrimoniale dans les débats sur le logement serait une grande avancée culturelle.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
M. le président. - Je constate que le vote est unanime.
La séance est suspendue à 20 h 10.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 40.
Mettre fin au sans-abrisme des enfants
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution . - Nous sommes réunis pour débattre d'une proposition de résolution qui pose une question simple : comment tolérer en France, sixième puissance économique du monde, que des enfants dorment dehors ? C'est pourtant le quotidien de milliers de familles, d'enfants, de nourrissons contraints de survivre dans la rue, enchaînant les solutions d'hébergement précaires et inadaptées.
Dans le 18e arrondissement de Paris, où je suis élu, le centre Suzanne Valadon les accueille. Je les ai rencontrés dimanche dernier. Derrière ces chiffres, il y a des visages d'enfants : Pierre-Maël, 5 ans, se réveille chaque nuit en pleurant, car sa chambre est infestée de souris ; Anne-Laure, 3 ans, ignore ce qu'est un foyer sûr et durable. Ils ne vivent pas, ils survivent.
Certains ont trouvé refuge dans des gymnases, des urgences hospitalières ou des églises. D'autres dorment dans la rue, dans des abris de fortune, des hôtels miteux ou des squats. Nourrissons, enfants, adolescents, tous vivent une extrême précarité.
Cette situation n'est ni une fatalité ni une conséquence des crises économiques : elle est due à l'absence de volonté réelle d'y mettre un terme. La France, qui se présente comme la patrie des droits de l'homme, signataire de la Convention des droits de l'enfant, dont l'article 27 fait peser sur l'État l'obligation de garantir à l'enfant un cadre sécurisé, ne fait pas le nécessaire. L'observation générale n°21 du Comité des droits de l'enfant de l'ONU souligne la vulnérabilité des enfants dans la rue et exige des États qu'ils y mettent un terme. Nous ne sommes pas à la hauteur de nos engagements. Sans pointer le Gouvernement ou tel ou tel ministre, c'est un échec global.
Les chiffres sont alarmants : le 19 août 2024, l'Unicef et la fédération des acteurs de la solidarité ont recensé plus de 2 000 enfants sans solution d'hébergement - deux fois plus qu'il y a trois ans - dont 467 avaient moins de 3 ans. Pas moins de 400 enfants dorment dehors à Paris, et on en recensait 300 à Lyon fin 2023, soit une augmentation de 200 % en deux ans.
Des centaines de nourrissons et d'enfants dorment chaque soir sans protection, sans compter les familles qui n'appellent plus les numéros d'urgence. Il faut prendre en compte l'ensemble des conséquences du sans-abrisme : troubles du sommeil, anxiété, stress post-traumatique. Le mal-logement multiplie par 1,5 le risque de retard scolaire.
Il faut agir sans attendre - c'est le sens de cette proposition de résolution transpartisane signée par des représentants des huit groupes de notre Haute Assemblée. C'est en effet une question d'humanité : accepter que des enfants dorment dehors, c'est renoncer à notre humanité.
Cela suppose de développer des places d'hébergement adaptées, pas des gymnases ou de chambres d'hôtels qui ne permettent pas de faire la cuisine. Il faut des hébergements dignes pour parer à l'urgence.
À plus long terme, cela suppose des logements très sociaux adaptés à des familles aux revenus extrêmement modestes.
Le seul objectif est qu'il n'y ait plus d'enfants qui dorment dans la rue en 2025. (Applaudissements)
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cher Ian Brossat, merci pour cette proposition de résolution qui fait honneur au Sénat. Voilà un peu plus de soixante ans, Geneviève de Gaulle-Anthonioz prenait la présidence de l'antenne française d'ATD Quart Monde, organisation créée par le père Joseph Wresinski pour mettre fin à l'extrême pauvreté. En 1991, interrogée sur cet engagement, Geneviève de Gaulle-Anthonioz déclarait : « Quand j'ai découvert que les droits de l'homme, dans mon propre pays, après avoir combattu pour eux, n'étaient pas respectés - parce que la misère, ce n'est pas les droits de l'homme - ça m'a fait un drôle de choc ». Ce choc est encore le nôtre aujourd'hui. Cette résolution nous permet d'aborder un sujet dont nous détournons trop souvent les yeux.
La France accuse un retard sur le mal-logement. Au moins 4,2 millions de nos compatriotes sont mal logés, dont au moins 350 000 sans domicile. Les autres vivent dans des abris de fortune, des taudis, des logements surpeuplés. Les plus chanceux auront trouvé des places en structure d'accueil ou à l'hôtel. Nous ne pouvons pas nous habituer à cette situation indigne du grand pays qu'est la France.
Cette situation n'est pas une nouveauté ; au contraire, elle s'aggrave, ce qui appelle un réveil collectif. Entre 2012 et 2014, le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 145 %.
Certes, le nombre de places d'hébergement a été porté de 150 000 à 200 000 entre 2017 et 2023 ; mais c'est insuffisant et il faudrait financer nos ambitions. Le programme 177, « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », est l'objet d'une surexécution chronique de 200 millions d'euros. Cette sous-budgétisation empêche les acteurs de mener sereinement leurs actions. Alors que le stock de places n'a cessé de croître, qu'attendons-nous pour mettre tout cela en cohérence ? Les décaissements tardifs mettent en péril les plus petites structures.
Au coeur de cette réalité tragique figure celle, encore plus tragique, du sans-abrisme des enfants.
Selon l'Unicef, plus de 2 000 enfants étaient dans la rue fin août, soit 120 % de plus qu'en 2020. Pourquoi ? Parce qu'ils se sont vu opposer une impossibilité de prise en charge. On aimerait se dire que la patrie des droits de l'homme est à la pointe de la lutte contre la pauvreté des enfants ; mais non, en Europe, la France est une mauvaise élève. Selon la Fondation pour le logement des défavorisés, plus de 25 % des mineurs sont en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale, soit le sixième taux européen. En 2025, il est intolérable que des enfants soient confrontés à ces réalités.
La loi de finances pour 2025 prévoit l'ouverture de 1 000 places d'hébergement d'urgence et de 1 000 places pour les femmes proches de la maternité. C'est louable, mais nous devons être aux côtés de la ministre pour faire mieux.
Deux axes sont à étudier. D'abord, mieux considérer le cas des femmes avec enfants pour leur proposer des hébergements adaptés. Ensuite, le statut des travailleurs sociaux qui s'occupent de ces personnes et font un travail remarquable est à améliorer.
La gestion de l'urgence n'est pas une fin en soi : ce qui manque à ces enfants, ce n'est pas seulement un toit, mais aussi l'accès à leurs droits - école et santé physique et mentale en premier lieu. Cela passe par l'accès à des logements pérennes à bas prix.
Face aux défis que rencontre notre pays, ne commettons pas l'erreur d'oublier les plus vulnérables d'entre nous. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Cette proposition de résolution transpartisane est révélatrice de la situation sociale actuelle et de l'insuffisance des politiques publiques pour y remédier. Je remercie Cécile Cukierman pour cette initiative.
Il faut mettre des mots sur l'indicible. Notre délégation aux droits des femmes, à laquelle j'appartiens, a publié un rapport sur les femmes sans abri. Elles seraient près de 120 000 dans nos rues. La majorité d'entre elles bénéficient d'un hébergement, mais les autres n'ont pour seul toit que le ciel parfois étoilé. Leurs enfants les accompagnent souvent ; près de 3 000 d'entre eux partagent la précarité de leurs parents.
Chaque jour dans la rue est un jour volé à leur enfance, à leur avenir. Aucun enfant ne mérite de vivre un tel traumatisme. En tant que mère de famille, je resterai marquée par des rencontres lors de maraudes avec l'Ordre de Malte. Je revois ces yeux rougis par la faim, ces têtes baissées par la honte, mais aussi ces sourires innocents et ces gestes de reconnaissance.
Rejoignez-nous au sein de la maraude des parlementaires : offrir trois heures de notre temps, c'est mieux que faire de longs discours. Les mots volent, mais le mal-logement et le sans-abrisme demeurent - ils augmentent, même.
En 2022, le Gouvernement s'était engagé à ce qu'aucun enfant ne dorme dans la rue. L'État a fourni des efforts considérables, mais mal récompensés. En dix ans, il a triplé les crédits pour l'hébergement. La Cour des comptes a cependant pointé que les besoins en la matière étaient envisagés comme temporaires, alors qu'ils s'amplifient. Une grande partie du sans-abrisme des enfants est liée à des situations familiales précaires. Il faut accentuer l'accès à la santé et offrir un accompagnement social adapté.
Le rapport de la délégation aux droits des femmes a jugé essentiel de reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial dédié aux parents. Il faut également renforcer les moyens alloués aux dispositifs de médiation scolaire pour garantir une inscription à l'école sans exiger un justificatif de domicile. Nous partageons tous la même ambition : mettre fin au sans-abrisme des enfants doit être une priorité constante.
Cette proposition de résolution est une étape décisive, mais pas une fin en soi. La voter confirmera notre volonté de lutter contre la tragédie qu'est le sans-abrisme - tragédie particulièrement cruelle quand elle touche des enfants.
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et des groupes INDEP et UC) Je remercie nos collègues du groupe CRCE-K qui mettent en lumière une urgence sociale à laquelle nous devons répondre collectivement. Ce texte cosigné par des sénateurs des huit groupes de notre assemblée témoigne d'une prise de conscience partagée.
Le RDSE est particulièrement sensible à la protection des enfants, comme en témoigne notre proposition de loi renforçant la protection judiciaire des enfants victimes de violences intrafamiliales.
La question du sans-abrisme des enfants n'est pas un simple enjeu social ou budgétaire, c'est une question de droits fondamentaux, de dignité, de respect du contrat républicain.
Selon Nelson Mandela, rien ne révèle mieux l'âme d'une société que la façon dont elle traite ses enfants.
Selon l'Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité, plus de 2 000 enfants se sont retrouvés sans solution d'hébergement en août dernier, parmi 6 700 personnes.
Derrière ces chiffres, il y a des vies, celles de ces enfants marqués par la peur. Un enfant sans domicile a deux fois plus de risques de développer des troubles de santé mentale. Comment grandir, apprendre, se construire un avenir quand on vit dans de telles conditions ? Que dire des 28 000 enfants qui vivent à l'hôtel, privés d'un cadre stable ? Comment un enfant peut-il s'épanouir dans un environnement aussi précaire ?
Aucun enfant ne doit dormir dans la rue, c'est une évidence. Pourtant, malgré les engagements des gouvernements successifs, cette promesse n'a pas été tenue. Certes, la capacité d'hébergement d'urgence a été portée à 203 000 places, mais cela n'a pas suffi.
Madame la ministre, nous connaissons votre engagement, mais comment aller plus loin ? Les défis sont immenses.
La logique de gestion de crise doit être dépassée. La précarité n'est pas une fatalité, des solutions existent. Le plan Logement d'abord et le pacte des solidarités sont des avancées, malheureusement insuffisantes. L'observatoire du sans-abrisme peine à fonctionner, il faut le relancer.
Il y a tout un accompagnement global à repenser. Le comité de l'ONU l'a rappelé : l'accès à l'éducation, aux soins et à la stabilité sociale de ces enfants doit être une priorité.
Le RDSE votera unanimement ce texte. Nous refusons de détourner le regard. Nous refusons que chaque soir, en France, des enfants soient livrés à la rue, exposés aux violences et à l'angoisse du lendemain. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Lors des débats budgétaires, j'ai été rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales sur le programme 177. J'ai alors découvert les chiffres effrayants de la souffrance dans la rue, produits par les opérateurs associatifs - le dernier baromètre de l'Insee datant de 2012.
Les familles monoparentales et les enfants en bas âge - 29 % ont moins de 3 ans - sont surreprésentés parmi les familles hébergées. Pourtant, l'hôtel n'est pas adapté ; il ne permet pas aux enfants d'acquérir une autonomie, une vie affective ni de bénéficier d'un lieu calme pour poursuivre une scolarité. Selon le Samu social, 40 % des familles qui y sont hébergées ne mangent pas à leur faim. Cela ne tient pas compte des familles sans hébergement après un appel au 115, dont 59 % concernaient des personnes avec enfant, malgré la priorisation mise en place à leur profit.
Les familles en situation de non-recours n'ayant même pas tenté de joindre le 115 par découragement ou peur de se voir retirer leurs enfants, ne sont pas comptabilisées, pas plus que les mineurs non accompagnés en situation de rue, qui sont pourtant des enfants.
Plusieurs remarques : tous les enfants sont en danger, ceux qui sont dans la rue comme ceux qui ont un hébergement temporaire ; le programme 177 manque d'efficience ; les enfants ne sont pas des statistiques : chacun devrait pouvoir écrire son parcours de vie sereinement.
La privation de logement les confronte à des conditions de vie dégradées. Pas moins de 17 décès dans la rue d'enfants de moins de 15 ans ont été recensés en 2023, et 36 décès de jeunes entre 15 et 25 ans.
Beaucoup d'enfants à la rue intériorisent leur trouble : « je me sens étouffé, je n'ai pas beaucoup d'espace pour dépenser mon énergie, alors je suis vite en colère », dit l'un d'eux. Leur santé mentale est compromise dès le plus jeune âge.
Ces enfants sont confrontés à une triple précarité : des conditions de vie, sociale et administrative. À la rue, ils sont deux fois plus sujets aux problèmes de santé mentale que les enfants logés à faibles revenus.
Le maintien dans le projet de loi de finances pour 2025 à un niveau budgétaire constant du programme 177 est à saluer, dans ce contexte. Mais nous devons dénoncer une sous-budgétisation chronique de ce programme - report d'un déficit ancien. Cette forme d'insincérité place les opérateurs du sans-abrisme en insécurité.
Les 250 millions d'euros manquants en 2024 ont pu être virés in extremis en fin de gestion, mais les associations ont besoin de plus de visibilité pour fonctionner. Leurs trésoreries sont mises à mal.
Nombre d'entre elles risquent de disparaître et, avec elles, le dernier filet des politiques publiques au plus près des plus fragiles.
Le soutien des acteurs associatifs doit rester une priorité.
Selon Albert Einstein, le mot progrès n'aura aucun sens tant qu'il y aura des enfants malheureux.
Il est douloureux de penser aux enfants sous les bombes, aux enfants qui meurent de faim ou de soif sur des terres arides et stériles, aux enfants chahutés par des adultes sans scrupules, qui d'une manière ou d'une autre ne les respectent pas, aux enfants malheureux d'ici ou d'ailleurs qui quittent trop vite le temps sacré de l'enfance. N'oublions pas ces petits invisibles qui, dans la rue, dans des hôtels sordides, dans le froid, la faim, l'indifférence, étouffent en silence.
Je travaille à une mission d'information sur la prévention en santé. Ici aussi, l'attention portée aujourd'hui évitera les drames de demain. Le groupe UC votera cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune », proclame l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Pourtant, la nuit du 24 février dernier, 5 835 personnes n'ont pas pu obtenir de place d'hébergement d'urgence au 115 ; parmi eux, 1 728 enfants, dont 379 de moins de 3 ans. Cette nuit-là, à Paris, il faisait 4 degrés.
En 2024, 735 personnes sont mortes à la rue - la plus jeune avait 2 mois. C'est 111 de plus qu'en 2022. Entre-temps, il y a eu une inflation record, mais aussi la loi Kasbarian-Bergé de juillet 2023, qui accélère les expulsions et expose ces familles à la violence d'une possible intervention policière.
En vingt ans, le nombre d'expulsions locatives a augmenté de 150 %.
Dans la septième puissance mondiale, nous devons pouvoir proposer un hébergement, un logement, à ces personnes, même sans ressources. Laisser cette misère perdurer, c'est les déshumaniser, c'est aussi perdre une part de notre humanité.
L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen semble souvent un idéal bien éloigné de la réalité. Mais si nous ne pouvons pas mettre à l'abri nos enfants, que pouvons-nous ?
Des promesses, nous en avons entendu. « La première bataille, c'est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d'ici la fin de l'année, avoir des femmes ou des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. » C'était Emmanuel Macron, en juillet 2017. Depuis, le nombre des personnes sans domicile fixe a doublé. Les 210 000 places d'hébergement ne suffisent pas.
Nous espérons que cette proposition de résolution fera l'unanimité et convaincra le Gouvernement d'agir. Dès le 31 mars, fin de la trêve hivernale, dès le 15 avril, fin de la trêve cyclonique à La Réunion, empêchons les expulsions sans relogement, quand des enfants sont concernés. Votons les crédits nécessaires, construisons des logements accessibles au plus grand nombre, encadrons mieux les loyers. Le logement est le premier de tous les droits. Il ne peut être confié à un marché où 3,5 % de la population possède la moitié des logements en location, et qui laisse démunies 330 000 personnes, dont 42 000 enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remercie nos camarades communistes pour cette excellente initiative.
« Nous devons à nos enfants, les êtres les plus vulnérables de toute société, une vie exempte de violence et de peur ». Cette phrase de Nelson Mandela résonne, quand on sait qu'en France, plus de 2 800 enfants dorment dans la rue. Parmi eux, 25 % ont moins de 3 ans. Ces chiffres en constante augmentation traduisent l'échec d'une politique publique incapable d'assurer un droit fondamental : celui d'avoir un toit.
Derrière ces statistiques glaçantes, il y a des destins brisés, des enfants sacrifiés. Chaque nuit, des centaines de familles confrontées à l'exclusion sociale affrontent l'insécurité, le froid et la peur. Les conséquences sur les enfants sont dramatiques : troubles du développement, décrochage scolaire, atteinte à la santé physique et mentale. Sommes-nous prêts à fermer les yeux sur la détresse de ceux que nous devrions protéger en priorité ?
Nous devons refuser cette fatalité, agir avec détermination pour que chaque enfant ait un habitat digne.
Mathilde Ollivier avait fait voter un amendement au projet de loi de finances créant 6 000 places d'hébergement d'urgence, contre l'avis du Gouvernement ; il n'a hélas pas prospéré. Le Gouvernement a entériné en 2025 un statu quo budgétaire qui rend impossible l'objectif « zéro enfant à la rue ». S'en tenir aux 203 000 places d'hébergement existantes revient à abandonner des milliers d'enfants à la précarité.
Sans compter ces communes qui refusent encore, par idéologie, de construire des logements sociaux, aggravant la saturation des dispositifs d'hébergement. C'est condamner des familles entières à l'exclusion, et faire peser sur les associations une charge qui incombe à la puissance publique. Ces derniers mois, des associations citoyennes ont pallié les défaillances de l'État ; des élus ont mis leur permanence à disposition. Mais cette solidarité ne peut remplacer une politique structurée et ambitieuse. Il faut construire massivement des logements sociaux - madame la ministre, je sais votre engagement sur ce sujet.
Cela passe par la mise en oeuvre du plan Logement d'abord 2, correctement financé et accompagné d'une programmation pluriannuelle ambitieuse. Il faut transformer le parc d'hébergement, sortir de la logique des nuitées hôtelières, coûteuses et inadaptées aux familles. Il faut aussi renforcer l'accompagnement afin de garantir une insertion sociale et professionnelle pérenne.
Ces enfants, nos enfants, ne doivent plus être laissés au bord du chemin. Transformons les promesses en actes !
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme proclamait que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer son bien-être et celui de sa famille. Cet idéal ne doit pas rester un voeu pieux, pour chaque enfant, pour l'honneur de la République et pour la dignité humaine. Nous voterons cette résolution (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE)
M. Jean-Luc Fichet . - Cette proposition de résolution découle de la mobilisation de la Fédération des acteurs de la solidarité et de l'Unicef. Je rends hommage aux acteurs associatifs et aux élus locaux qui se démènent au quotidien pour trouver des solutions.
Selon le baromètre des enfants à la rue, 2 043 enfants n'avaient pas de solution d'hébergement à la veille de la rentrée 2024, soit une hausse de 120 % par rapport à 2020. Parmi eux, 467 ont moins de 3 ans.
Ces chiffres ne sont pas exhaustifs, car les personnes sans abri n'appellent pas forcément le 115 ou n'arrivent pas à le joindre, et les mineurs non accompagnés ou les personnes vivant en squat ou en bidonville ne sont pas comptabilisées.
Lors de ses voeux pour 2018, Emmanuel Macron s'engageait à apporter un toit à tous les sans-abri. Nous ne pouvons que constater l'échec de cet engagement.
Le parc du logement social est saturé : 2,42 millions de personnes sont en attente d'un logement social. Les loyers du parc privé ont augmenté de 56 % sur vingt ans et sont devenus inaccessibles pour de nombreux foyers. La baisse de la construction entraîne celle de la production locative, tant privée que publique.
Selon l'Insee, nombre de sans-abri sont dans cette situation à la suite de drames familiaux : séparation, décès, violences...
En 2022, la Fondation pour le logement des défavorisés soulignait que le logement n'avait jamais été une priorité depuis 2017 - avec la réduction des APL notamment. Des orientations politiques délétères ont été prises ces dernières années, avec la loi dite antisquat et le détricotage de la loi SRU. Le fond de l'air est mauvais. Sous la pression de l'extrême droite, je crains qu'on ne cesse même de protéger des femmes enceintes et des enfants de moins de 3 ans.
Notre groupe, lui, est mobilisé. La proposition de loi de Rémi Féraud, adoptée le 24 janvier 2024, prévoit un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune - c'est essentiel, notamment en milieu rural.
Le rapport d'information « Femmes sans abri, la face cachée de la rue », de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, fait état de 330 000 personnes sans abri en 2024, dont 120 000 femmes. Parmi elles, 3 000 femmes et autant d'enfants passent la nuit dehors.
Parmi les recommandations du rapport : attribuer à l'État la responsabilité de l'hébergement des femmes enceintes et mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans ; reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour les parents ; renforcer les moyens dédiés à la médiation scolaire, notamment pour faciliter l'inscription à l'école. Je rends hommage aux personnels de l'éducation nationale qui accueillent inconditionnellement tous les enfants.
Les sénateurs socialistes voteront avec conviction cette résolution. Nous souscrivons au principe de l'hébergement inconditionnel et attendons une loi de programmation pour l'hébergement et le logement. L'adoption unanime de la présente résolution est un appel à la mobilisation de tous, pour faire cesser le scandale du sans-abrisme. (M. Ian Brossat applaudit.)
Mme Corinne Bourcier . - Je remercie nos collègues de mettre en lumière ce grave sujet.
Dans le Maine-et-Loire, le nombre d'enfants à la rue a baissé de 50 % entre 2023 et 2024 - même si c'est encore trop. À l'échelle nationale, en revanche, leur nombre a augmenté de 120 % par rapport à 2020. Nous sommes loin de l'objectif zéro enfant à la rue. Sur ces 2 000 enfants, un quart a moins de 3 ans. En Europe, ils seraient 400 000. Et ces chiffres sont loin de refléter la réalité : ils ne recensent que les appels au 115, et ne tiennent pas compte de ceux qui vivent dans des squats ou des logements insalubres.
Les conséquences du sans-abrisme sont terribles pour tous, mais pour les enfants, elles sont particulièrement injustes et révoltantes.
Un enfant sans abri, ce n'est pas qu'un problème de logement. Leur présent et leur avenir sont compromis. Leur santé physique et mentale est mise en danger, leur capacité d'apprentissage mise à mal. L'absence de domiciliation rend l'inscription à l'école plus difficile.
Un enfant devrait vivre dans l'insouciance, pas lutter chaque jour ! Un enfant qui vit dans la rue, c'est l'échec d'une responsabilité collective : celle de l'État, des départements, des parents - car c'est de la maltraitance, même involontaire.
Pourtant, le nombre d'hébergements d'urgence n'a jamais été aussi élevé, mais cela ne suffit pas. Et il ne s'agit que d'une solution temporaire. Il faut malgré tout en proposer davantage. Il n'est pas acceptable que 28 000 enfants vivent dans des hôtels.
Les solutions de long terme exigent des moyens, pour intervenir en amont des difficultés et éviter les ruptures de prise en charge.
Se pose alors la question des financements, alors que certains départements sont à bout de souffle. Le Gouvernement doit agir en concertation avec eux. Il faut des logements pérennes. Les familles et les enfants doivent avoir un toit, une vie normale.
S'il y a bien une crise du logement, elle relève plus d'une crise des prix et de l'attractivité pour certaines zones que d'un manque de logements sociaux. Sachant que 70 % des ménages français seraient éligibles à un logement social, ne faut-il pas reconsidérer les critères y ouvrant droit ? La socialisation accrue du parc immobilier conduit à une pénurie pour ceux qui en ont réellement besoin.
L'observatoire du sans-abrisme fournira des chiffres actualisés.
Je remercie les associations d'aide aux sans-abri. Le moindre enfant qui grandit dans la rue représente à lui seul une situation inacceptable. Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de résolution. (M. Michel Masset applaudit.)
Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.) Je salue l'initiative du groupe CRCE-K et remercie M. Brossat et Mme Cukierman.
Dans une société qui se veut solidaire, il n'est pas possible de laisser se développer la misère, a fortiori quand elle touche les enfants. Le sans-abrisme des enfants est une réalité insupportable, que vous avez décrite avec force témoignages touchants. Je n'y reviens pas.
Des solutions ont été construites au fil du temps. Nous les améliorons, avec l'appui du Sénat, notamment dans les discussions budgétaires. L'année prochaine sera plus compliquée encore : il nous faudra faire des choix. Le Parlement devra établir des priorités politiques.
Je partage vos préoccupations et défendrai la priorité donnée à la lutte contre le sans-abrisme et la protection des enfants. Je compte sur votre soutien, car c'est en joignant les volontés que l'on a le plus de chances de réussir.
Depuis dix ans, des moyens croissants sont mis en oeuvre face à des demandes d'hébergement en forte hausse. Notre parc d'hébergement d'urgence a été soumis aux conséquences de crises mondiales impliquant des flux migratoires importants.
Les crédits consacrés à l'hébergement d'urgence ont triplé pour atteindre 2,9 milliards d'euros cette année.
Les plans Logement d'abord sont reconduits chaque année depuis 2017, avec 29 millions d'euros cette année. Ils permettent d'aider des gens brisés par la vie à reprendre leur route et à mieux surmonter les chocs.
L'accès au logement est indispensable pour aider les familles, mais il faut agir sur le continuum : hébergement d'urgence, construction de logements sociaux. L'objectif est de faire sortir les personnes de l'hébergement et, à terme, de réduire les crédits d'hébergement, pour pouvoir construire plus de places de logement social.
Au-delà de l'hébergement d'urgence, nous agissons donc sur tous les leviers. Grâce notamment à la réduction de la ponction sur les bailleurs sociaux, un objectif de 116 000 nouveaux agréments de logements sociaux et de 120 000 rénovations a été fixé avec l'Union sociale de l'habitat.
Je salue les collectivités territoriales inscrites depuis 2017 dans la dynamique des 46 territoires mobilisés pour l'accélération du programme Logement d'abord. Face à des besoins croissants, je suis convaincue que seule une coopération renforcée entre associations, collectivités et État permettra d'apporter des réponses concrètes et durables. Chacun doit redoubler d'efforts.
Depuis 2018, 650 000 personnes, dont 146 000 enfants, ont pu accéder à un logement. Si l'objectif premier est d'accélérer les sorties vers un logement pérenne, il faut des solutions d'hébergement suffisantes pour ne laisser aucun enfant à la rue.
D'autre part, le Gouvernement défend la mise à l'abri inconditionnelle des personnes.
Le nombre de places d'hébergement généraliste a augmenté de 65 % par rapport à 2016. Au même moment, grâce au renforcement des effectifs des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), la prise en charge des sans-abris a été renforcée. La dernière période hivernale a fait l'objet d'une attention particulière. Mon instruction du 5 novembre dernier a renforcé l'accompagnement des personnes par grand froid.
Le Gouvernement a maintenu cette année le parc d'hébergement d'urgence à 203 000 places, ce qui n'était pas acquis. Une attention particulière est accordée aux femmes et enfants à la rue, grâce à un amendement d'initiative sénatoriale prévoyant 20 millions d'euros supplémentaires. Des places d'hébergement spécialisé pour les femmes enceintes ou victimes de violences sont prévues.
Je salue l'engagement de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, dont les travaux représentent un apport précieux.
L'État poursuit aussi son engagement pour l'amélioration des conditions de vie : amélioration du bâti grâce au fonds géré par l'Agence nationale de l'habitat (Anah), créations d'espaces partagés et de jeu.
L'accès à l'alimentation est également primordial. En 2021, dans le cadre de France Relance, une soixantaine de tiers-lieux alimentaires ont été créés, pour 25 millions d'euros. Leur reconduction est prévue dans le cadre du pacte des solidarités.
Nous voulons prévenir l'exposition des enfants aux situations de précarité, dont les conséquences sont graves pour leur développement à long terme. Le dispositif Un chez soi d'abord, expérimenté à partir de 2011, a montré son efficacité.
La santé mentale ayant été déclarée grande cause nationale, une vigilance particulière est de mise.
Enfin, la lutte contre le sans-abrisme, notamment des enfants, impose de renforcer le pilotage et de développer une stratégie globale, autour d'une feuille de route interministérielle. Je mobiliserai prochainement l'Insee pour une enquête destinée à nous donner une vision claire des besoins. La dernière étude date, en effet, de 2012. Ses conclusions nous permettront de consolider la politique structurelle que j'entends mettre en place contre le sans-abrisme.
Le Gouvernement poursuit son action volontariste pour apporter des solutions concrètes et pérennes à ce problème. Ce sera un combat, et nous devons tous nous mobiliser pour cette cause essentielle. Une société moderne et solidaire ne laisse pas des enfants à la rue. Agissons résolument, pour aller aussi loin que possible avec les moyens que nous pourrons obtenir. Ce sera l'honneur de notre République. (Applaudissements)
À la demande du groupe CRCE-K, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°236 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements)
Prochaine séance demain, jeudi 20 mars 2025 à 10 h 30.
La séance est levée à 22 h 50.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 20 mars 2025
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures, de 14 h 30 à 16 heures, à l'issue de l'espace réservé au groupe Les Indépendants et au plus tard de 16 heures à 20 heures
Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente M. Pierre Ouzoulias, vice-président
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Catherine Conconne
1. Proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues, présentée par Mme Laure Darcos et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°434, 2024-2025)
2. Débat sur le thème : « Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles : quelles actions pour protéger les consommateurs et lutter contre les fraudes et la spéculation ? »
3. Proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement, et par toutes les femmes, avant la loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, présentée par Mme Laurence Rossignol et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°432, 2024-2025)
4. Proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien, présentée par M. Michaël Weber et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°425, 2024-2025)