Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions orales

Taxe sur les locaux commerciaux vacants

M. François Bonneau

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Présence postale dans le Calvados

Mme Corinne Féret

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Difficultés de recouvrement de la taxe d'aménagement

Mme Nicole Bonnefoy

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Retombées fiscales du tunnel Lyon-Turin pour les collectivités territoriales

Mme Martine Berthet

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Extension des échanges automatiques d'informations à des fins fiscales

M. Bernard Delcros

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (I)

M. Gilbert Favreau

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (II)

M. Guillaume Chevrollier

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Soutien à l'innovation dans le commerce rural

Mme Béatrice Gosselin

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme

Avenir des micro-crèches privées

Mme Laure Darcos

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Protection de l'enfance dans les départements

M. Xavier Iacovelli

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Regroupement hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris Nord

Mme Catherine Dumas

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Ehpad

Mme Audrey Linkenheld

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Soutien de l'État aux Ehpad publics

Mme Anne Chain-Larché

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Accessibilité du vote

Mme Anne Ventalon

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Indemnités kilométriques des infirmiers

Mme Patricia Demas

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Service de psychiatrie de l'hôpital Cochin

M. Francis Szpiner

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Dépistage néonatal de l'amyotrophie spinale

Mme Chantal Deseyne

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Maladie de Lyme

Mme Élisabeth Doineau

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Musicothérapie

M. Jean-Raymond Hugonet

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Suppression du délégué militaire départemental adjoint des Alpes de Haute-Provence

M. Jean-Yves Roux

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants

Visas pour les militantes afghanes pour les droits humains

M. Thomas Dossus

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants

Bonification retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires

M. Alain Marc

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants

Dommages causés par l'amiante

M. Jean-Pierre Corbisez

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants

Justice administrative dans le Vaucluse

M. Jean-Baptiste Blanc

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants

Qualité des services publics

M. Jean-Marie Mizzon

M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification

Remplacement des agriculteurs

Mme Marie-Lise Housseau

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Prédation du loup

Mme Frédérique Espagnac

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Suppressions de postes dans l'enseignement public

Mme Colombe Brossel

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Baisse de la démographie scolaire

M. Jacques Grosperrin

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Défis de l'école en Guadeloupe

Mme Solanges Nadille

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Accès aux données des collectivités territoriales

M. Michel Canévet

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Meublés de tourisme en montagne

M. Cyril Pellevat

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Financement des CAUE

Mme Christine Bonfanti-Dossat

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Paiement de MaPrimeRénov' en cas de décès du demandeur

M. Jean-Claude Anglars

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Difficultés des communes à s'assurer

Mme Alexandra Borchio Fontimp

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Présence postale dans les territoires ruraux

Mme Jocelyne Guidez

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Obligation d'installation d'itinéraires cyclables

M. Pierre Jean Rochette

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Ligne de TER Lyon - Paray-le-Monial - Nevers

M. Fabien Genet

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville

Maintien des effectifs de terrain de l'ONF

Mme Sabine Drexler

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Fonds territorial climat

M. Sebastien Pla

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Chasses traditionnelles du Sud-Ouest

Mme Denise Saint-Pé

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Rénovation énergétique

M. Hervé Gillé

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Contribution de la France au budget de l'UNRWA

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Inégalités salariales

M. Alexandre Basquin

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Procédure accélérée - Suite)

Explications de vote

Mme Cécile Cukierman

M. Ronan Dantec

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Aymeric Durox

M. Pierre Jean Rochette

M. Jean-Marc Boyer

M. Bernard Buis

Mme Mireille Jouve

M. Guislain Cambier

Scrutin public solennel

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation

Rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité

Discussion générale

M. Roger Karoutchi, auteur de la proposition de loi

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur

Exception d'irrecevabilité

M. Patrick Kanner

Discussion générale (Suite)

M. Guy Benarroche

M. Christophe Chaillou

M. Stéphane Ravier

M. Louis Vogel

M. Stéphane Le Rudulier

M. Teva Rohfritsch

M. Michel Masset

Mme Dominique Vérien

M. Ian Brossat

Mme Catherine Belrhiti

Mme Marie-Do Aeschlimann

Discussion des articles

Avant l'article 1er

Article 1er

Article 2

Article 3

Après l'article 3

Vote sur l'ensemble

M. Christophe Chaillou

M. Daniel Salmon

M. Ian Brossat

Mme Frédérique Puissat

M. Guy Benarroche

Condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales

Discussion générale

Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de loi

Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la commission des lois

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap

Exception d'irrecevabilité

Mme Laurence Rossignol

Question préalable

Mme Raymonde Poncet Monge

Discussion générale (Suite)

Mme Corinne Narassiguin

M. Stéphane Ravier

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Laurence Muller-Bronn

Mme Guylène Pantel

M. Olivier Henno

Mme Silvana Silvani

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Solanges Nadille

Discussion des articles

Avant l'article 1er

Article 1er

M. Jean-Claude Tissot

Article 2

Après l'article 2

Vote sur l'ensemble

Mme Élisabeth Doineau

Mme Silvana Silvani

Mme Laurence Rossignol

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Frédérique Puissat

M. Marc Laménie

M. Pascal Savoldelli

Mme Valérie Boyer

Mise au point au sujet de votes

Ordre du jour du mercredi 19 mars 2025




SÉANCE

du mardi 18 mars 2025

69e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président

Secrétaires : M. Guy Benarroche, M. Fabien Genet.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

Taxe sur les locaux commerciaux vacants

M. François Bonneau .  - Les mairies peuvent décider d'instaurer une taxation sur les locaux commerciaux non utilisés, afin d'inciter les propriétaires à relouer ou à vendre.

Cependant, sa mise en oeuvre dépend du service des impôts du département, qui se fonde sur les éléments adressés par le propriétaire et non sur les éléments factuels relevés par la commune. Dès lors que le propriétaire démontre que le bien a vocation à changer de destination ou fait l'objet de travaux, il n'est pas assujetti à la taxe. En Charente, certains locaux sont vacants depuis des années : il suffit d'apporter chaque année un justificatif de travaux minimes ou une annonce de mise en vente à un prix irréaliste. La véritable intention de rénover ou de vendre n'est pas contrôlée par les services fiscaux.

Comment le Gouvernement compte-t-il exercer un meilleur contrôle - par exemple en limitant l'exonération dans le temps - pour permettre de redynamiser nos centres-villes ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - La lutte contre la vacance commerciale est une priorité du Gouvernement. Alors que celle-ci augmente, tant en centre-ville qu'en périphérie, il nous faut repenser l'offre commerciale dans sa globalité.

Les chambres de commerce et d'industrie ont lancé une opération nationale 2025, soutenue par une étude approfondie de la direction générale des entreprises afin de mesurer et définir ce phénomène.

Parmi les outils à disposition des collectivités figure la taxe sur les friches commerciales (TFC). Celle-ci est néanmoins complexe et chronophage à mettre en oeuvre, et son efficacité limitée par l'absence de zonage et par des conditions d'exonération trop légères.

Une réflexion est en cours pour optimiser les modalités de collecte de la TFC et rendre cet instrument plus contraignant, avec une analyse de faisabilité, notamment juridique, afin de répondre plus efficacement aux attentes.

Des mesures concrètes seront proposées prochainement pour renforcer la lutte contre la vacance commerciale et soutenir la redynamisation des centres-villes.

Je vous propose d'organiser un rendez-vous avec la direction générale des entreprises, si vous le souhaitez.

M. François Bonneau.  - Merci pour ces éléments concrets. Ce rendez-vous serait utile.

Présence postale dans le Calvados

Mme Corinne Féret .  - La Poste exerce quatre missions de service public : le service universel postal, le transport et la distribution de la presse, la contribution à l'aménagement du territoire et l'accessibilité bancaire.

Or sur le terrain, dans le Calvados comme ailleurs, le scénario est toujours le même : diminution des horaires d'ouverture, suppression progressive de certains services et des effectifs - jusqu'à la fermeture définitive du bureau, tout en imposant un modèle économique « tout numérique » qui met à l'écart les plus vulnérables.

La Banque Postale, dernier rempart contre l'exclusion bancaire, déserte progressivement nos territoires. Sans parler de la disparition progressive des distributeurs automatiques de billets (DAB)...

Année après année, on ferme des bureaux de poste pour absence de rentabilité, remplacés, au mieux, par des agences postales communales ou des relais commerçants.

Les élus n'ont d'autre choix que de prendre en charge les dépenses d'investissement et de fonctionnement de ces points de contact, car la fermeture d'un bureau de poste menace tout un écosystème, à commencer par les commerces de proximité, surtout dans le monde rural.

Le prochain contrat de présence postale territoriale 2026-2028 devant être signé fin 2025, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour stopper l'hémorragie et faire respecter strictement les obligations de la loi de 2010 relative à La Poste et aux activités postales ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - Dans un contexte général de baisse de fréquentation de ses bureaux, La Poste adapte les modalités de sa présence, dans le respect du contrat de présence postale, qui stipule que La Poste adapte son réseau de points de contact en nouant des partenariats locaux publics ou privés, à l'instar des agences postales communales et des points La Poste Relais. Ces adaptations se font dans le dialogue avec les élus.

Dans le Calvados, au 1er janvier 2025, 94,9 % de la population est à moins de 5 km d'un point de contact postal, soit une hausse de 0,3 % par rapport à l'année dernière. Le département compte 189 points de contact, dont 71 bureaux de poste, 81 La Poste Agence Communale et 37 La Poste Relais en partenariat avec des commerçants. Un seul DAB sera retiré, en raison de l'obsolescence de l'appareil ; la commune concernée est équipée d'un DAB d'un réseau concurrent. Pour les communes équipées d'un seul DAB de La Banque Postale, cet équipement est maintenu et le cas échéant renouvelé.

Depuis 2021, une dotation annuelle est inscrite au projet de loi de finances. Elle s'élevait, en 2024 et 2025, à 174 millions d'euros, un niveau historiquement élevé.

La première séance de travail sur le prochain contrat de présence postale aura lieu le 27 mars, dans le cadre de l'Observatoire national de la présence postale. Il est encore trop tôt pour annoncer ce qui sera mis en oeuvre dans le cadre de ce contrat.

Soyez assurée que le Gouvernement veille au bon accomplissement par La Poste de ses missions de service public et que son soutien n'a jamais été remis en question.

Difficultés de recouvrement de la taxe d'aménagement

Mme Nicole Bonnefoy .  - La taxe d'aménagement (TA) finance des politiques publiques départementales et communales, mais également des structures d'expertise en aménagement du territoire tels que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement.

J'avais déjà alerté l'année dernier sur le risque d'effritement de cette ressource. Aujourd'hui, c'est son recouvrement qui fait défaut. La grande majorité des avis de paiement n'ont pas été envoyés depuis plus d'un an, presque deux. Le manque à gagner pour les finances publiques atteindrait 750 millions à 1 milliard d'euros !

Selon un communiqué de Bercy, il y aura effectivement un décalage sur les reversements de taxe d'urbanisme. Des dispositifs d'acompte sont prévus, mais seulement pour les projets de plus de 5 000 m2. Or les collectivités ont besoin de ces ressources maintenant ! L'émission des titres et le recouvrement n'ont pas les mêmes délais.

Qu'est-il ressorti de la réunion du 13 mars entre la DGFiP et les associations d'élus ?

Au niveau des ressources humaines, les formations tardent et la plateforme « Gérer mes biens immobiliers » a été lancée très prématurément. Comment comptez-vous traiter rapidement cette problématique ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - Le transfert de la gestion de la taxe d'aménagement à la DGFiP, qui n'en assurait que le recouvrement, s'est accompagné du report de la date d'exigibilité, calée dorénavant sur la réalisation définitive des travaux, unifiant ainsi les obligations déclaratives fiscales en matière foncière et d'urbanisme. Un système d'acompte neutralise les effets pour les collectivités du décalage de l'exigibilité de la taxe pour les très grands projets dont la construction s'étale sur plusieurs années.

La liquidation de la TA s'appuie sur la dématérialisation du processus déclaratif via l'outil « Gérer mes biens immobiliers », la création d'un référentiel des délibérations des collectivités et l'automatisation du calcul des taxes d'urbanisme.

Des dysfonctionnements opérationnels ont effectivement été observés à l'ouverture de ces nouveaux services, et des erreurs déclaratives ont freiné la liquidation des taxes.

Les redevables sont toutefois bien identifiés et les taxes dues seront bien encaissées et reversées aux collectivités.

Le processus déclaratif a été rendu plus lisible et un parcours digital rénové est proposé depuis le 3 février 2025. En parallèle, la DGFiP a sécurisé les éléments déclarés en 2024 et relance les redevables n'ayant pas encore déposé de déclaration.

Enfin, la baisse des montants de TA collectés en 2024 tient à la diminution des autorisations d'urbanisme, de 21,5 % en 2023 après moins 11 % en 2022. L'assiette taxable a donc sensiblement diminué.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Il y a urgence pour les collectivités, dont les finances sont exsangues. Nous n'avions pas besoin de ce désordre supplémentaire, qui exaspère la population.

Retombées fiscales du tunnel Lyon-Turin pour les collectivités territoriales

Mme Martine Berthet .  - Le chantier du tunnel Euralpin Lyon-Turin, symbole de coopération européenne et levier de développement pour la vallée de la Maurienne, devait avoir des retombées fiscales pour les collectivités territoriales, estimées en 2014 par la mission d'expertise de la direction régionale des finances publiques à 103 millions d'euros.

Or celles-ci n'ont toujours rien perçu - ni la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou sa compensation, ni la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), malgré les nombreux hangars et installations sur le chantier.

Il serait légitime qu'elles bénéficient aussi en partie de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Malgré une amorce de versement en 2022 -  2 400 euros pour la seule commune d'Avrieux - il n'y a eu aucune nouvelle rentrée fiscale, alors que les besoins vont s'accentuer.

Pour se faire entendre, les collectivités concernées se voient désormais contraintes de refuser la signature de convention avec Tunnel Euralpin Lyon-Turin, ce qui compromet l'avancement du chantier.

Par ailleurs, il faudra réajuster le fonds d'accompagnement et de soutien territorial (Fast) à la hauteur du montant actuel du chantier.

Comment le gouvernement compte-t-il garantir le versement de ces taxes aux collectivités directement impactées par le chantier ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - Depuis le 1er janvier 2023, les communes, EPCI et départements ne perçoivent plus de CVAE. Une compensation est attribuée au bloc communal par l'octroi de deux parts de TVA : une part fixe, de 5,3 milliards d'euros, dont le montant et la répartition sont figés à compter de 2023 ; une part variable, affectée à un fonds national de l'attractivité économique des territoires (Fnaet), réparti de la même manière que la CVAE, au prorata des valeurs locatives et des effectifs salariés. La part fixe doit consolider les recettes des collectivités et la part variable, qui était de 208 millions d'euros en 2024, doit les inciter à accueillir de nouvelles activités.

Ces règles budgétaires ne permettent pas de reverser ces produits aux communes savoyardes concernées par le chantier du tunnel Euralpin Lyon-Turin.

La TFPB pèse sur les installations destinées à abriter des personnes ou des biens lorsqu'elles sont assimilables à de véritables constructions qui n'ont pas vocation à être déplacées. Si une entreprise dispose d'un tel bien, elle sera redevable d'une CFE établie dans la commune d'implantation, qui en percevra le produit.

Je vous propose d'organiser un rendez-vous avec Éric Lombard pour poursuivre la discussion.

Extension des échanges automatiques d'informations à des fins fiscales

M. Bernard Delcros .  - Au moment où nous devons faire face au dérapage des comptes publics, la fraude fiscale nous prive de recettes importantes.

L'entrée en vigueur, en 2016, du système d'échanges automatiques d'informations au sein de l'OCDE nous permet de lutter efficacement contre l'évasion fiscale par l'intermédiaire de comptes non déclarés à l'étranger. Le bilan positif de la campagne 2023 atteste des progrès permis par cette coopération renforcée.

Pour autant, ce système présente d'importantes carences, mises en évidence par l'Observatoire européen sur la fiscalité dans son rapport de l'an dernier. En particulier, l'échange automatique d'informations couvre les seuls avoirs financiers, et non les biens immobiliers. Résultat : les conversions d'avoirs financiers en biens immobiliers sont en forte progression. Une partie des biens concernés sont détenus à Paris et sur la Côte d'Azur. Le cas de Dubaï, emblématique, concerne directement la fiscalité française.

La voix de notre pays compte au sein de l'OCDE. Comment le Gouvernement entend-il lutter contre cette technique spécifique d'évasion fiscale ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - À partir du 1er janvier 2027, des informations relatives aux cryptoactifs seront échangées de manière automatique entre la France et une cinquantaine de pays. De ce fait, l'évasion fiscale par le recours aux cryptoactifs sera largement rendue impossible.

Les biens immobiliers n'entrent pas dans le champ de la norme commune de déclaration de l'OCDE. Pour autant, les administrations ne sont pas dépourvues de tout moyen d'action en la matière.

Ainsi, il est possible d'obtenir des informations immobilières d'États non européens à travers l'échange sur demande. Au sein de l'Union européenne, la directive de 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal autorise l'échange automatique de données immobilières.

Mais la situation n'est pas encore satisfaisante. Le Gouvernement plaide au niveau international pour une extension du champ des normes d'échange automatique, en particulier aux biens et revenus immobiliers. Cette approche porte ses fruits : les ministres des finances du G20 ont donné un mandat clair à l'OCDE pour lancer des travaux en vue de permettre aux juridictions d'échanger des informations relatives aux biens immobiliers, y compris aux bénéficiaires effectifs des entités propriétaires.

Dans le cadre de ces travaux, la France défend une approche ambitieuse, visant à assurer la participation la plus large possible aux échanges et à améliorer progressivement la qualité des informations échangées.

M. Bernard Delcros.  - Merci d'avoir précisé les intentions du Gouvernement. Au moment où nous cherchons des pistes d'économie et où les collectivités territoriales, en particulier, sont mises à contribution, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales doit être une priorité. Nous avons en la matière des marges de progression.

Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (I)

M. Gilbert Favreau .  - Le Gouvernement vient d'annoncer une modification du cadre de soutien au développement du photovoltaïque en toiture. Son intention de baisser brutalement les tarifs et de réviser à la baisse les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie suscite une vive inquiétude au sein de la filière solaire et parmi les agriculteurs et industriels qui comptaient sur cette énergie pour diversifier leurs revenus.

En particulier, la baisse rétroactive des tarifs risque d'entraîner l'annulation de nombreux projets en cours, alors que nous cherchons à renforcer notre indépendance énergétique et à répondre à une demande croissante en électricité. Quant au mécanisme de dégressivité envisagé, il pourrait conduire à un moratoire de fait sur les installations de taille intermédiaire. Souvenons-nous du moratoire de 2010 et des 20 000 emplois perdus.

Les organisations professionnelles demandent le maintien du cadre tarifaire actuel pour le segment S21, dans l'attente d'un dispositif de soutien plus adapté. Quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter pour assurer la pérennité des investissements et des emplois ? Un dialogue est-il prévu pour trouver un compromis garantissant la stabilité de cette filière stratégique pour notre transition énergétique ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - L'État soutient depuis de nombreuses années le secteur du photovoltaïque sur bâtiment.

L'arrêté tarifaire actuel offre un soutien aux installations depuis octobre 2021. Il a été fortement souscrit, largement au-delà des objectifs. Ainsi, au mois de janvier, près de 1 GW de demandes ont été déposées sur le segment 100-500 kWc, soit la moitié de la puissance prévue pour l'année entière. Cet emballement nous conduit à ajuster le soutien sur ce segment.

Pour les petites installations de particuliers, l'intérêt est avant tout l'autoconsommation. Ces dernières années, malgré une baisse de la prime à l'investissement, les demandes ont continué à augmenter.

Une concertation a été menée avec la filière, jusqu'au Conseil supérieur de l'énergie qui s'est tenu il y a quelques jours. Le tarif proposé au prochain trimestre a été fixé dans ce cadre : de 95 euros par MWh, il est compatible avec le développement de la filière. La concertation a également conduit à des évolutions du projet d'arrêté tarifaire. L'arrêté définitif sera publié dans les prochains jours, puis un appel d'offres simplifié sera lancé, après échanges avec la filière, sur le segment 100-500 kWc, avec un tarif viable. Les collectivités territoriales feront l'objet d'échanges spécifiques. Un arrêté particulier sera publié prochainement pour le soutien aux petits projets au sol ; il est très attendu par le monde agricole.

M. Gilbert Favreau.  - Il faut espérer que les projets engagés ne pâtissent pas de l'excès des décisions qui viennent d'être annoncées.

Évolution du cadre réglementaire du photovoltaïque (II)

M. Guillaume Chevrollier .  - À mon tour, j'attire l'attention du Gouvernement sur les vives inquiétudes suscitées par ses récentes annonces touchant à l'évolution du cadre réglementaire des installations photovoltaïques de 100 à 500 kWc, en Mayenne comme ailleurs. Je pense en particulier aux mesures rétroactives appliquées depuis le 1er février dernier.

Bien souvent soutenus par les collectivités territoriales, de nombreux projets sont en cours : ils jouent un rôle important dans la transition énergétique, servent notre souveraineté énergétique et créent de fortes dynamiques locales.

Comment le Gouvernement entend-il garantir à la filière un cadre stable et prévisible, afin de préserver la viabilité des projets et l'équilibre économique des acteurs ? Comment allez-vous renforcer la concertation avec les collectivités territoriales et la filière pour prendre en compte la diversité des projets en cours et futurs ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - Le décret S21, relatif au photovoltaïque sur bâtiment, a été soumis pour consultation au Conseil supérieur de l'énergie. Acte a été pris de la nécessité, dans un contexte budgétaire contraint, de différencier le soutien aux grandes et aux petites installations.

L'efficacité économique du soutien public est moindre pour les secondes, compte tenu des coûts de raccordement. De plus, les objectifs relatifs aux petites installations ont été largement dépassés, comme je l'ai expliqué en réponse à M. Favreau.

Il est donc nécessaire d'ajuster notre soutien afin d'optimiser la production d'électricité et les coûts de raccordement. Les échanges avec les acteurs ont permis de fixer le tarif du prochain trimestre à 95 euros par MWh, un niveau compatible avec le développement de la filière - les acteurs l'ont confirmé.

Dans la continuité de l'arrêté tarifaire, un appel d'offres simplifié permettra d'allouer un volume donné sur le segment 100-500 kWc, avec un tarif viable. Il sera mis en place dans les prochains mois, après échanges avec la filière.

Les collectivités territoriales feront l'objet d'échanges spécifiques, et un arrêté permettant le soutien aux petits projets au sol sera prochainement publié.

Le dialogue ne sera jamais rompu avec la filière pour que le développement du photovoltaïque soit compatible avec les besoins énergétiques du pays.

M. Guillaume Chevrollier.  - Les collectivités territoriales ont besoin d'un cadre stable quand elles engagent des projets structurants. Les nombreuses évolutions qu'a connues le secteur photovoltaïque ne vont pas dans ce sens. Pourtant, les petites installations sont à l'origine de dynamiques intéressantes dans les territoires. J'espère que la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie sera débattue au Parlement.

Soutien à l'innovation dans le commerce rural

Mme Béatrice Gosselin .  - Les petits commerces font face à une concurrence de plus en plus rude de la part des géants du e-commerce, qui accentuent leur domination.

Pourtant, les commerces de détail sont essentiels à l'attractivité de nos territoires, notamment en zone rurale. Depuis plusieurs années, des propositions sont avancées pour instaurer une fiscalité plus équitable ; je pense en particulier aux projets de taxes sur les livraisons ou sur l'artificialisation liée à la construction de grands entrepôts. Mais ces mesures sont restées sans suite. Pendant ce temps, la concentration des géants du e-commerce s'accélère, avec des conséquences préoccupantes pour nos commerçants, dans la Manche comme ailleurs.

Les commerces de proximité doivent pouvoir s'adapter aux attentes des consommateurs et anticiper les évolutions plutôt que de les subir. Or le secteur bénéficie de peu de dispositifs de soutien à l'innovation. La formation des commerçants au numérique doit être renforcée, et nous devons les accompagner dans la transition vers un modèle hybride, alliant digital et commerce physique. Certains ont su mettre en place des systèmes de commande en ligne : ces innovations doivent être généralisées.

Revoir la fiscalité des grandes plateformes ne peut être la seule réponse. Ces géants sont des spécialistes de la logistique avant d'être des commerçants : il faut les concurrencer sur ce terrain, tout en préservant l'interaction humaine qui fait la richesse du commerce de proximité.

Comment le Gouvernement entend-il accompagner nos commerçants vers le commerce de demain en ruralité ?

Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme .  - Le Gouvernement partage votre analyse sur les défis des petits commerces face à la concurrence du e-commerce.

Les consommateurs considèrent les deux modèles comme complémentaires. Le commerce en ligne représente une opportunité pour les commerçants de centre-ville, en particulier à travers la livraison et la collecte en magasin. L'enjeu majeur est d'accompagner tous les commerçants, notamment les plus petits, dans leur transition numérique.

Nous avons mis en place des dispositifs visant notamment à intégrer l'intelligence artificielle dans leurs pratiques. La plénière du Conseil national du commerce, prévue le mois prochain, favorisera des synergies entre commerçants et start-ups pour l'innovation.

Par ailleurs, dans le cadre du dispositif « commerce rural », plus de 600 projets ont déjà été financés, pour 14 millions d'euros. Le plan de transformation des zones commerciales a été conçu pour encourager les projets d'adaptation des zones périphériques.

Sur le plan fiscal, les études montrent qu'il n'y a pas de déséquilibre majeur entre le commerce traditionnel et le e-commerce : les impôts de production représentent 5,5 % de la valeur ajoutée pour le premier, 5,4 % pour le second.

Une extension de la taxe sur les surfaces commerciales aux entrepôts présenterait des difficultés, notamment en raison de la convergence des modèles physique et numérique. En outre, elle risquerait de pénaliser principalement les e-commerçants français.

Mme Béatrice Gosselin.  - Si nos commerces disparaissent, la vie de nos territoires disparaîtra. Soyons vigilants !

Avenir des micro-crèches privées

Mme Laure Darcos .  - L'inquiétude grandit au sujet de la réforme de la procédure d'autorisation des établissements d'accueil de jeunes enfants. Dans l'Essonne, de nombreux gestionnaires de micro-crèches se mobilisent pour sauver leurs structures.

La mise en oeuvre du service public de la petite enfance ne saurait se faire au détriment d'un acteur majeur qui offre aux parents des solutions de garde pertinentes. Hélas, on se dirige vers une régulation excessive du secteur, alors que 200 000 nouvelles places doivent être créées pour répondre aux besoins des familles et que nous manquons dramatiquement de professionnels de la petite enfance.

Chaque structure doit disposer de salariés compétents et formés : nul, du reste, ne songerait à confier son enfant à une personne sans expérience. Mais, de grâce, ne prenez pas des mesures aussi brutales !

Il est impensable de renforcer la formation des professionnels en poste dans le bref délai prévu ; la date du 1er septembre 2026 pour le recrutement des futurs professionnels qualifiés n'est sans doute pas parfaitement adaptée. De même, il me semble incompréhensible que les salariés des micro-crèches ne puissent évoluer à la faveur de la validation des acquis de l'expérience.

Toute réforme doit faire l'objet d'une concertation approfondie pour être acceptée. Il est indispensable de parvenir à un consensus sur la manière de renforcer la qualité de l'accueil des jeunes enfants et d'améliorer les conditions de travail et de formation des professionnels.

Le Gouvernement est-il prêt à retarder quelque peu la mise en oeuvre de cette réforme pour prendre le temps de travailler à des solutions pertinentes pour les familles, les salariés et les structures ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Le projet de décret que vous mentionnez est fondamental pour assurer la qualité d'accueil du jeune enfant.

À ce sujet, de nombreuses informations erronées ont circulé : l'objectif est d'aligner les normes d'encadrement des micro-crèches sur celles des crèches classiques de taille similaire, les petites crèches. Plus précisément, les micro-crèches devront compter au moins un professionnel de catégorie 1 et accueillir moins de trois enfants quand il n'y a qu'un seul professionnel ; un directeur ne pourra exercer pour plus de deux établissements.

Ce décret n'entrera en vigueur que le 1er septembre 2026. Les auxiliaires de puériculture et les autres professionnels occupant le poste de référent technique avant cette date pourront être maintenus. Les titulaires d'un CAP n'auront pas à acquérir le diplôme d'État d'auxiliaire de puériculture et pourront continuer d'exercer. De nombreuses crèches disposent déjà d'un directeur pour deux structures et de 40 % de personnels de catégorie 1.

Ces mesures sont essentielles pour respecter les besoins des enfants. Il n'y a pas de raison que les conditions d'encadrement diffèrent dans les micro-crèches et les petites crèches classiques.

L'État n'abandonne pas les micro-crèches : il les finance par le versement aux parents du complément de libre choix du mode de garde. Concernant les micro-crèches prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), le prix de revient moyen reste inférieur au plafond de 10 euros.

Pour reconnaître l'engagement des professionnels et renforcer l'attractivité des métiers, le Gouvernement facilitera l'accès au diplôme d'État d'auxiliaire de puériculture et à tout autre diplôme de catégorie 1 par la validation des acquis de l'expérience.

Mme Laure Darcos.  - Je vous remercie, ainsi que Mme Vautrin. Au-delà des micro-crèches, c'est l'ensemble du secteur qui est en crise. La création de berceaux ne suffira pas à compenser la baisse du nombre d'assistantes maternelles. J'espère que Mme El Haïry, nouvellement nommée haut-commissaire à l'enfance, se saisira rapidement de ces sujets.

Protection de l'enfance dans les départements

M. Xavier Iacovelli .  - Si je me réjouis de la nomination de Sarah El Haïri en tant que haut-commissaire à l'enfance - nous pourrons compter sur sa détermination -, de nombreux départements annoncent une réduction des budgets de la prévention spécialisée. Ils sacrifient l'avenir des enfants sous notre protection aux choix politiques et électoraux. Lors des cérémonies de voeux, certains représentants départementaux ont tenu des propos méprisants à l'égard des acteurs sociaux ; ce fut le cas dans votre département.

Après les attentats de 2015, la prévention juvénile a éloigné de la délinquance de nombreux jeunes issus de quartiers défavorisés et les départements ont fait d'importantes économies : quelque 60 000 euros par placement et par enfant évité.

Face à ces coupes budgétaires entraînant la suppression de dizaines de postes, quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre ? La protection de l'enfance ne devrait-elle pas être recentralisée ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Je réponds pour Mme Vautrin qui salue votre engagement pour la protection de l'enfance. Le Gouvernement partage vos préoccupations. La prévention spécialisée est une mission essentielle : elle favorise l'insertion des jeunes et la cohésion sociale.

Dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, le département organise et finance des actions de prévention spécialisée. Si la jurisprudence a reconnu le caractère obligatoire des dépenses en cas de risques d'inadaptation sociale, les départements définissent les conditions d'exercice selon les circonstances locales.

La contractualisation 2025 entre l'État et les départements incitera ceux qui réduisent leurs budgets à s'engager dans ce dispositif. L'État est intervenu pour soutenir la prévention spécialisée notamment au travers de la lutte contre la pauvreté...

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - ... ou de la politique de la ville -  Mme la ministre Vautrin a accordé un plan de refondation lors de son audition par la commission d'enquête à l'Assemblée nationale.

Regroupement hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris Nord

Mme Catherine Dumas .  - En 2013, le Président de la République annonçait la création d'un hôpital Saint-Ouen Grand Paris Nord, porté par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l'université Paris-Cité, réunissant les hôpitaux Bichat et Beaujon à l'horizon 2028 à Saint-Ouen-sur-Seine.

Il s'agit de renforcer l'offre de soins notamment au nord de la capitale qui souffre d'un déficit d'infrastructures hospitalières adaptées. La fermeture de ces deux hôpitaux, qui accueillent respectivement plus de 80 000 passages annuels aux urgences, inquiète. Le maire du 17e arrondissement de Paris, Geoffroy Boulard, ceux du 18e arrondissement et de Clichy alertent sur ce projet et le directeur général de l'AP-HP a déclaré connaître des difficultés de financement.

Quels sont le plan de financement et le calendrier des travaux ? Les mairies d'arrondissement et les villes concernées seront-elles consultées ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Je réponds pour Mme Vautrin. Ce projet améliorera l'accès et la qualité des soins et promouvra l'excellence de l'enseignement supérieur dans le nord de Paris. Il ne déstabilise pas l'offre de soins, car il recouvre la même zone de recrutement que les hôpitaux Bichat et Beaujon.

L'hôpital de Saint-Ouen comptera 105 places d'hôpital de jour de plus, pour 35 000 hospitalisations de jour supplémentaires par an. Le regroupement des deux établissements, la densification du plateau technique et le renforcement massif des lits de soins critiques fluidifieront la prise en charge.

Les travaux de démolition et de dépollution ont été finalisés en avril 2024. Les dossiers de demande de permis de construire ont été déposés mi-février 2025 et les travaux débuteront en janvier 2026 pour s'achever en 2032. Le montant du projet est de 1,35 milliard d'euros pour une subvention de 285 millions d'euros.

Mme Catherine Dumas.  - Consulter les maires d'arrondissement est important ; il s'agit d'un enjeu de santé publique et d'égalité sociale. Je compte sur vous pour en référer à Mme Vautrin.

Ehpad

Mme Audrey Linkenheld .  - Il y a près d'un an, alors qu'un vaste plan de contrôle des Ehpad était lancé, j'interrogeais l'un de vos prédécesseurs. Depuis, les professionnels restent inquiets.

Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), 75 % des Ehpad publics sont en déficit et les crédits débloqués par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 n'ont pas suffi. Les 300 millions d'euros du fonds d'urgence prévus dans la LFSS pour 2025 risquent de ne pas faire mieux et une dizaine d'Ehpad publics pourraient fermer en 2025.

S'y ajoute le manque de personnel : les aides-soignants des Ehpad sont financés à 30 % par le département, or les départements peu riches comme le Nord peinent à embaucher. Les personnes âgées sont moins bien accompagnées et les conditions de travail sont dégradées.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre afin d'améliorer la situation des Ehpad ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Je suis consciente des difficultés financières des Ehpad. Depuis plusieurs années, le Gouvernement travaille à améliorer la situation au vu du vieillissement de la population. Les 300 millions d'euros d'aide prévue cette année sont une bouffée d'oxygène, mais ne répondront pas aux problèmes structurels des Ehpad.

Plusieurs mesures visent à rééquilibrer leur fonctionnement. Des fonds d'investissement les aident à se transformer pour amortir leurs charges structurelles qui ont crû. L'État soutient les départements engagés dans la fusion des sections soins et dépendance ; nous souhaitons généraliser cette démarche pour que les frais de soins et de dépendance soient assurés par l'État. Les Ehpad peuvent distinguer le tarif hébergement de celui de l'aide sociale, ce qui permet à certains Ehpad publics d'ajuster leur tarif d'hébergement aux réalités. La LFSS prévoit 6 500 équivalents temps plein supplémentaires.

Mme Audrey Linkenheld.  - Il faut soutenir les Ehpad publics, sans quoi nous renforçons les inégalités en fin de vie.

Soutien de l'État aux Ehpad publics

Mme Anne Chain-Larché .  - J'ai été alertée sur le cas de l'Ehpad Saint-Aile à Rebais en Seine-et-Marne, département durement touché par les inondations. Des élus et des habitants du territoire dont les parents y résident constatent une situation matérielle fortement dégradée, aggravée par les épisodes orageux et pluvieux de ces derniers mois. Un investissement important est incontournable pour assurer sa pérennité et réparer les dégâts.

Les départements font le maximum pour soutenir les Ehpad, mais leurs moyens financiers sont contraints. Le département de Seine-et-Marne a voté une subvention exceptionnelle pour cet établissement de 300 000 euros en novembre dernier, mais ne peut aller au-delà. Un soutien de l'État aux collectivités locales est indispensable.

Quelles formes de soutien envisagez-vous ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - L'investissement en faveur des Ehpad est une priorité au regard des enjeux démographiques.

La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) soutient des opérations de restructuration, de création ou d'extension et de mise aux normes ; les financements atteignent 3,7 milliards d'euros entre 2006 et 2022 pour un total de 23,4 milliards d'euros d'investissements.

Dans le cadre du Ségur de la santé, les plans d'aide à l'investissement s'élèvent à 2,1 milliards d'euros sur la période 2021-2024. Pour le volet immobilier, près de 4 000 Ehpad ont reçu une aide et plus de 45 000 places seront rénovées ou créées en 2026, dont plus de 32 000 dans les Ehpad publics.

Parallèlement, le Gouvernement travaille à la réforme du modèle économique des Ehpad : la fusion des sections autonomie, dépendance et soins dégagera des marges de manoeuvre et permettra de rééquilibrer leurs financements.

Mme Anne Chain-Larché.  - Le département a dû aider les communes sinistrées et faire des choix d'investissement. La fermeture de cet Ehpad serait une déflagration. Je transmettrai votre réponse au président du conseil départemental, en espérant votre soutien.

?Accessibilité du vote

Mme Anne Ventalon .  - Vingt ans après la loi du 11 février 2005, le handicap figure toujours sur le podium des discriminations. En démocratie, voter est un acte citoyen fondamental. Garantie par la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies, la participation des personnes en situation de handicap à la vie politique et publique rencontre encore des obstacles, a confirmé l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques, devant le groupe d'études sénatorial présidée par Marie-Pierre Richer.

Le Gouvernement a émis des recommandations pour améliorer l'accessibilité des campagnes, comme la mise à disposition de documents de campagne faciles à lire, mais il faut rendre ces bonnes pratiques obligatoires, avec une phase d'incitation dès les municipales de 2026.

Un déplafonnement des comptes de campagne pourrait être envisagé, pour éviter que les candidats ne limitent leur effort d'inclusion.

Enfin, les candidats en situation de handicap ne doivent plus être exclus de l'exercice démocratique.

Quelles mesures envisagez-vous dès les prochaines élections ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Depuis la loi du 11 février 2005, plusieurs mesures ont été prises. En amont, le président du bureau de vote doit faciliter le vote autonome des personnes en situation de handicap. En aval, le ministère de l'intérieur recueille tout signalement relatif à un manquement. Les obligations d'accessibilité de la propagande et de la campagne électorale ont été renforcées. Les démarches électorales en ligne sont accessibles à 100 % et la loi de programmation pour la justice du 25 mars 2019 a consacré le vote pour tous les majeurs protégés.

Mais vous avez raison, nous devons améliorer la situation. Le ministère de l'intérieur travaille à un guide des bonnes pratiques. Le 6 mars, lors du comité interministériel du handicap, le Premier ministre a lancé un groupe de travail sur l'accessibilité du processus électoral et sur l'exercice du mandat d'élu par les personnes en situation de handicap, qui associera leurs représentants, les partis politiques et l'administration.

Nous partageons l'objectif, d'être au rendez-vous de l'accessibilité lors des prochaines municipales.

Indemnités kilométriques des infirmiers

Mme Patricia Demas .  - Les indemnités kilométriques des infirmiers sont déclenchées lorsque la distance entre le cabinet et le domicile du patient dépasse 2 km en plaine et 1 km en montagne, ou lorsqu'ils ne se situent pas dans la même agglomération. L

'assurance maladie se fonde sur la définition de l'agglomération par l'Insee, qui rend impossible la facturation si infirmier et patient se trouvent dans la même commune ; mais un arrêt du 8 avril 2022 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence se fonde sur l'article R110-2 du code de la route, qui définit l'agglomération en fonction des panneaux routiers : un infirmier peut facturer les indemnités kilométriques si le domicile du patient se trouve au-delà des panneaux d'entrée et de sortie de ville, même si les adresses se situent dans la même commune.

De nouveaux litiges étant encore intervenus depuis cet arrêt, une clarification du Gouvernement s'impose. Cela simplifierait le quotidien des infirmiers, qui sont en première ligne, et prendrait en compte de manière juste la réalité des trajets à l'intérieur de communes rurales parfois très étendues.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Vous avez raison : les infirmiers jouent un rôle essentiel, surtout auprès des plus fragiles. Piliers de « l'aller vers » et de l'accès aux soins dans nos territoires les plus reculés, ils sont confrontés à des frais de déplacement en hausse.

Des négociations flash avaient ainsi été lancées à l'été 2023, à la demande du ministère. L'avenant 10 à la convention avec les infirmiers a augmenté de 10 % l'indemnité forfaitaire de déplacement à compter du 28 janvier 2024, de 2,50 à 2,75 euros.

Les règles de facturation des indemnités kilométriques peuvent effectivement faire l'objet de litiges. C'est pourquoi l'assurance maladie négocie des accords locaux en amont, pour éviter les contentieux. Yannick Neuder s'y est engagé à l'occasion de l'adoption de la proposition de loi sur la profession d'infirmier à l'Assemblée nationale, et en audition au Sénat : si ce texte était définitivement adopté, il donnerait lieu à l'ouverture de négociations conventionnelles.

Service de psychiatrie de l'hôpital Cochin

M. Francis Szpiner .  - Alors que la santé mentale est grande cause nationale, comment justifiez-vous le démantèlement du service de psychiatrie de l'hôpital Cochin-Tarnier tandis que les besoins en soins psychiatriques ne cessent de croire ? Cette unité hospitalo-universitaire réputée accueille en consultation et en hôpital de jour plus de 2 000 patients et délivre 8 000 consultations par an. Il avait été proposé de la déménager dans l'ancien bâtiment de la crèche de Cochin, mais, sous couvert de rationalisation, elle a dû s'installer dans un hôpital gériatrique désaffecté, à distance de Cochin, en attendant une hypothétique intégration à l'Hôtel-Dieu. Cela entraînera nécessairement une diminution de l'offre de soins, contrairement aux engagements du Gouvernement. Il n'est pas trop tard pour la ramener au coeur de cet hôpital : un service hospitalo-universitaire doit y rester.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - L'université Paris Cité et la Ville de Paris portent un projet d'institut pour la santé des femmes implanté à Tarnier. Il a été demandé à l'AP-HP de libérer les espaces avant l'été, notamment une unité de psychiatrie ayant vocation à rejoindre définitivement le nouvel Hôtel-Dieu. Entre-temps, une implantation provisoire pour environ trois ans doit être trouvée. Entre plusieurs solutions étudiées, c'est l'hôpital La Collégiale, à environ 1 km de Cochin, qui a été retenu. La crèche de Cochin a été écartée en raison d'un coût de réhabilitation disproportionné et d'une durée de travaux incompatible avec le calendrier. Une mission a été confiée à Édouard Couty, président du conseil hospitalier de territoire du groupe hospitalo-universitaire de Paris centre, qui a confirmé que l'implantation dans le futur Hôtel-Dieu était conforme aux intérêts des professionnels et des patients, et que les locaux de La Collégiale étaient adaptés. Par ailleurs, un plan d'action est en cours pour renforcer à court terme la psychiatrie à Cochin. Affaiblir l'offre en psychiatrie alors que les besoins n'ont jamais été aussi importants est inconcevable.

M. Francis Szpiner.  - C'est inconcevable, mais vous l'avez pourtant fait : moins 75 % de consultations en neuropsychiatrie. Le personnel n'en veut pas et des départs sont annoncés.

Dépistage néonatal de l'amyotrophie spinale

Mme Chantal Deseyne .  - L'amyotrophie spinale est une maladie génétique rare et grave qui entraîne une dégénérescence neuromusculaire irréversible, dans sa forme la plus sévère une paralysie et un décès prématuré avant l'âge de deux ans. En France, environ 100 à 200 nourrissons sont diagnostiqués chaque année : c'est la première maladie génétique cause de mortalité infantile. Un traitement existe, mais il doit être administré précocement. En juillet 2024, La Haute Autorité de santé (HAS) a donné un avis favorable à son intégration dans le programme national de dépistage néonatal, mais, huit mois plus tard, ce n'est toujours pas le cas. Un dépistage précoce offrirait une chance réelle pour ces jeunes enfants. Quand le Gouvernement prévoit-il de le mettre en oeuvre ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Vous avez raison, le dépistage néonatal constitue un levier essentiel de prévention et de prise en charge précoce des maladies rares. C'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé dans une dynamique d'élargissement progressif du programme national : en 2025, trois nouvelles pathologies y seront intégrées, dont l'amyotrophie spinale. Les travaux de mise en oeuvre sont bien avancés ; les appels d'offres pour les équipements nécessaires ont été lancés, les procédures d'agrément en génétique ont été clarifiées, une formation pour les quelques professionnels de santé concernés est en cours de finalisation par l'Agence de la biomédecine. Cela nécessite un temps incompressible.

Une note d'information demande aux acteurs de commencer dès à présent les préparatifs nécessaires à l'acquisition des équipements et au recrutement du personnel requis. Un arrêté faisant actuellement l'objet des consultations obligatoires fixera d'ici à la fin mars ou tout début avril l'extension du dépistage néonatal à ces trois maladies dans un calendrier qui permet de tenir compte de l'aménagement des nouveaux équipements et de la formation des professionnels.

Mme Chantal Deseyne.  - Je comprends les freins, déjà présentés par le ministre de la santé la semaine dernière en audition, mais j'insiste sur l'urgence.

Maladie de Lyme

Mme Élisabeth Doineau .  - Les recommandations 2025 de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la maladie de Lyme marquent une avancée notable, mais insuffisante : la reconnaissance du Lyme long, mais sans aucune recommandation thérapeutique. Or trop de malades font encore de l'automédication ou vont à l'étranger, ce qui cause une inégalité de traitement. Il faut aller plus loin.

La recherche est extrêmement importante dans ce domaine. La dernière LFSS prévoit 10 millions d'euros pour la financer. Mais que s'est-il passé à l'Inserm ? Il semblerait que 8 millions d'euros aient été mis de côté pour faire baisser le déficit, et que seuls 2 millions d'euros soient restés fléchés pour la maladie de Lyme. Le ministère pourrait-il mettre son nez dans la répartition des financements à l'Inserm ? Un tel détournement est anormal.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Saisie pour harmoniser les pratiques sur tout le territoire, la HAS a publié en février des recommandations qui aideront les médecins généralistes à traiter les formes simples de cette maladie, les cas complexes étant orientés vers les centres spécialisés. Concernant le syndrome post-traitement, elle décrit les démarches diagnostiques et thérapeutiques adaptées et rappelle qu'aucune preuve d'infection active ne justifie une antibiothérapie prolongée. La prise en charge doit être personnalisée, globale et pluridisciplinaire, incluant un soutien psychologique et une réadaptation physique.

Elle préconise également davantage de recherche. En 2024, 10 millions d'euros ont effectivement été alloués à l'Inserm pour structurer la recherche sur les maladies vectorielles à tiques, dont la maladie de Lyme. Un groupe de travail réunissant chercheurs et représentants des patients a élaboré un programme et la création de deux cohortes de patients permettra d'enrichir nos connaissances. Le programme étant pluriannuel, l'Inserm a étalé les dépenses en inscrivant 2 millions d'euros en 2025, ce qui est suffisant, le reste devant être inscrit par la suite.

Mme Élisabeth Doineau.  - Je compte sur Mme la ministre pour surveiller cette exécution.

Musicothérapie

M. Jean-Raymond Hugonet .  - La musique adoucit les moeurs, dit l'adage. Elle apaise également les corps et les âmes. Dans un cadre approprié, la musicothérapie s'appuie en effet sur les effets psychoaffectifs et psychophysiologiques de la musique pour atténuer certaines pathologies telles qu'Alzheimer ou Parkinson. Elle est reconnue et réglementée dans onze pays européens, dont l'Angleterre et l'Allemagne. La France n'a malheureusement pas encore passé le cap, alors que cette pratique est déjà intégrée à de nombreuses structures médicales ou médico-sociales de notre territoire. En reconnaissant cette pratique médicale, l'État permettrait une meilleure formation des professionnels et un accès plus équitable des patients à ces soins. Alors que les maladies psychiques sont croissantes en France, pensez-vous reconnaître la musicothérapie comme discipline médicale ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Les effets bénéfiques de la musique sur le bien-être du patient et du résident sont certains, notamment dans le cadre des maladies neurodégénératives. Il y est fait recours dans de nombreux hôpitaux et Ehpad, sans que la réglementation actuelle ou des obstacles financiers ne l'empêchent en rien.

Il n'est pas envisagé à ce jour de reconnaître cette pratique comme discipline médicale : il n'est pas démontré que cela nécessiterait des compétences uniquement médicales et les professions paramédicales y ont déjà recours et se forment en conséquence. En outre, la France souffre d'une faible démographie médicale. Si les mesures prises par le Gouvernement devraient nous permettre d'y remédier dans les prochaines années, il vaut mieux, en attendant, consacrer le temps médical disponible aux expertises où la plus-value médicale est absolument incontournable.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Votre réponse me désole un peu : dès qu'on parle de thérapies un peu spéciales, comme le sport ou la musique, les arguments sont les mêmes, et pas convaincants. Ouvrons les yeux et les oreilles sur ce qui se fait en Europe, notamment en Angleterre et en Allemagne. J'irais même jusqu'à préconiser la musicothérapie pour les membres du Gouvernement et les sénateurs : cela leur ferait beaucoup de bien ! (Sourires)

Suppression du délégué militaire départemental adjoint des Alpes de Haute-Provence

M. Jean-Yves Roux .  - Nous vivons un tournant historique. Face aux incertitudes géopolitiques, nous devrons accroître notre engagement de défense, ce qui est déjà prévu dans la loi de programmation militaire 2024-2030 qui doublait les effectifs de réservistes militaires.

Dans les déserts militaires, ce projet repose sur les délégués militaires départementaux (DMD). Dans les Alpes de Haute-Provence, un DMD et son adjoint s'engagent pour rendre le lien État-nation visible et concret. En plus d'un travail apprécié auprès des élus et des anciens combattants et l'entraînement d'une réserve opérationnelle, notre département compte sept classes défense-citoyenneté. Cette activité au service du recrutement, de l'encadrement et de la coordination de futurs réservistes se développera certainement.

Pourtant, il est prévu de supprimer le poste de DMD adjoint, ce qui est contre-productif dans la situation actuelle. Allez-vous revenir sur cette suppression ? Comment concilier l'objectif d'accroissement des réservistes et la présence militaire dans les déserts militaires ?

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - Le poste de DMD adjoint de votre département sera effectivement transféré en 2025. Comme d'autres postes, il est redéployé, après concertation avec les directions des ressources humaines des armées et les employeurs interarmées, notamment la zone de défense et de sécurité sud.

Avec des effectifs contraints, notre objectif est de renforcer les capacités de résilience de l'état-major de la zone de défense face aux crises potentielles, mais aussi avant les jeux Olympiques d'hiver 2030 qui impliquent directement les armées. Ce redéploiement soulagera d'autres départements où le DMD cumule déjà trop de responsabilités.

L'activité militaire dans les Alpes de Haute-Provence est moins importante que dans d'autres départements, et les catastrophes y sont moins fréquentes. L'effort exigé est raisonnable, d'autant que le DMD peut déléguer certaines missions à une dizaine de réservistes. Dans d'autres départements où l'armée est plus implantée, comme le Var, la fonction de DMD adjoint est assurée par un réserviste. Les DMD adjoints du Lot et de la Lozère seront redéployés en 2026 et 2027. Votre délégation militaire continuera de s'appuyer sur le DMD en titre, un sous-officier d'active et sur une dizaine de réservistes.

Visas pour les militantes afghanes pour les droits humains

M. Thomas Dossus .  - Il y a urgence. Le 27 novembre 2024, le ministre de l'intérieur déclarait au Sénat : « On devrait faciliter l'accès à l'asile des femmes afghanes ». Depuis 2021 et un véritable apartheid de genre mis en place par les Talibans, des milliers de femmes ont fui l'Afghanistan. Des dizaines de militantes des droits humains se sont exilées face à la terrible répression. Leurs récits sont glaçants.

Nombre de ces militantes se sont réfugiées temporairement au Pakistan, tout en demandant un visa pour la France. Elles ont choisi la patrie des droits de l'homme, notamment parce que notre pays, universaliste, considère toutes les femmes afghanes comme éligibles à l'asile. Leur attente au Pakistan est intenable. Depuis début 2025, les autorités pakistanaises mènent une opération « zéro Afghan » : arrestations arbitraires, rétentions et renvoi de ces personnes en Afghanistan. Le gouvernement pakistanais a adressé un ultimatum aux réfugiés, leur donnant jusqu'au 31 mars 2025 pour quitter le territoire. Le renvoi de ces femmes dans leur pays serait synonyme de mise à mort. Pourtant, leurs demandes de visas sont bloquées.

Le Gouvernement a le pouvoir de sauver ces femmes. Accélérez le processus ! Il n'y a aucun problème pour leur accueil : des associations, dont je salue l'engagement, sont prêtes à les prendre en charge. L'urgence est absolue. La France préfère-t-elle laisser mourir ces femmes là-bas après leur avoir promis l'asile ?

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - Ni le droit international ni la législation française ne consacrent le droit à demander l'asile depuis un pays tiers, mais depuis 2021, la France autorise des Afghanes à rejoindre la France pour y demander l'asile. Dès mai 2021, avant la chute de Kaboul, nous avons évacué 623 Afghans, agents de droit local, et leurs familles.

Dès le 17 août et l'opération Apagan, la France a lancé des évacuations de grande ampleur, en plus des demandes de réunification familiale avec instruction accélérée permettant d'accueillir 14 000 personnes après la fermeture de notre ambassade. Les Afghans ont pu s'adresser aux consulats français dans tous les pays tiers, dont le Pakistan, pour demander un visa pour la France afin d'y demander l'asile. Plus de 2,8 millions d'Afghans se trouvent actuellement au Pakistan, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Les autorités pakistanaises ont lancé un premier plan de rapatriement en novembre 2023 visant les Afghans en situation irrégulière. Depuis, nous avons délivré plus de 750 visas au titre de l'asile à des ressortissants afghans, dont 260 femmes. Depuis la chute de Kaboul, plus d'un millier de visas asile ont été délivrés à des Afghanes. Les services français continuent d'instruire au maximum de leurs capacités les demandes de visa, très nombreuses.

La France a créé en décembre 2023 l'initiative « Avec elles ». En partenariat avec le HCR, 300 réfugiées afghanes et leurs enfants ont été réinstallées en France en 2023 ; il y en aura 500 en 2025. En revanche, la sécurité au Pakistan ne permet pas d'y déployer des agents pour des missions de réinstallation. Nous mettons tout en oeuvre pour protéger ces femmes.

Bonification retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires

M. Alain Marc .  - Le 14 avril 2023, le Sénat a adopté l'article 24 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale permettant aux sapeurs-pompiers volontaires justifiant de dix années de service minimum, continues ou non, de valider des trimestres de retraite pour compléter leur carrière professionnelle au titre de la reconnaissance de leur engagement au service des populations, dans des conditions et des limites prévues par un décret en Conseil d'État. Ce décret n'a toujours pas été publié. Quand le sera-t-il ? Nous avons tous participé à des Sainte-Barbe. Ces sapeurs-pompiers risquent leur vie chaque jour.

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - Le Gouvernement est attaché au modèle français de sécurité civile fondé sur la complémentarité entre sapeurs-pompiers volontaires et professionnels ; 200 000 sapeurs-pompiers volontaires s'engagent au quotidien pour secourir nos concitoyens. Ce modèle est remis en question par leur possible requalification comme travailleurs, alors qu'ils n'en font pas leur métier, mais sont des citoyens engagés. Je leur rends hommage.

Le Parlement a adopté une mesure de reconnaissance en 2023. Les premières versions du décret étant insatisfaisantes, la concertation et les travaux interministériels ont donc repris pour trouver une solution sérieuse, dans l'esprit de la loi : la fidélisation des sapeurs-pompiers volontaires et la reconnaissance de leur engagement. Le ministère de l'intérieur souhaite que cette rédaction aboutisse le plus rapidement possible.

M. Alain Marc.  - Dans l'Aveyron, il y a 1 400 sapeurs-pompiers volontaires pour 120 professionnels. Dans l'état actuel des finances publiques, nous ne pourrions pas tenir uniquement avec des pompiers professionnels. J'espère qu'à la prochaine Sainte-Barbe nous pourrons apporter une bonne nouvelle à nos pompiers volontaires, qui font d'énormes sacrifices.

Dommages causés par l'amiante

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Si l'amiante a été reconnu cancérigène par l'Organisation mondiale de la santé en 1977, la France ne l'a interdite qu'en 1997. Pourtant, 120 000 victimes sont connues, souvent atteintes de cancer, et des dizaines de milliers sont à venir, anxieuses de futures séquelles.

Dans le Pas-de-Calais, l'Association Choeurs de Fondeurs se bat depuis plus de vingt ans pour que les salariés de Metaleurop obtiennent réparation et reconnaissance du préjudice d'anxiété, alors qu'ils ont déjà eu à subir un licenciement indigne pour lequel certains sont encore en procès : 326 anciens salariés exposés à l'amiante et au plomb sont encore concernés. On s'achemine vers une transaction là où les victimes attendaient une reconnaissance de responsabilité.

Pouvait-il en être autrement alors que la justice a prononcé un non-lieu dans l'affaire Eternit, considérant que les responsabilités individuelles ne pouvaient être établies ? Alors que le rapport sénatorial de 2005 a conclu que le Comité permanent amiante (CPA) avait agi comme un « lobby pro amiante » retardant l'interdiction de cette matière, les membres du CPA n'ont pas été condamnés.

Allez-vous constituer un pôle d'instruction aux moyens étendus pour faire toute la lumière sur le drame de l'amiante, afin de refermer enfin cette plaie béante dans notre histoire sanitaire et sociale ?

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - Le ministère de la justice prend toute la mesure de la souffrance des victimes. Les procédures judiciaires seront engagées avec toute l'attention requise.

Depuis 1996, nous avons mis en oeuvre d'importants moyens pour traiter les plaintes. Désormais, ces dossiers sont traités par les pôles spécialisés en matière de santé publique de Paris et Marseille, qui en ont fait une priorité tant du côté du siège que du parquet. Leurs moyens ont constamment augmenté depuis leur installation en 2003.

Fin septembre 2024, ces deux pôles ont eu à connaître 76 procédures relatives à l'exposition à l'amiante depuis leur création, dont 33 étaient en cours. Parallèlement, les moyens d'enquête ont été durablement renforcés. L'Office central de lutte contre les atteintes environnementales et la santé publique dispose désormais de dix détachements sur l'ensemble du territoire. La gendarmerie nationale a formé de multiples enquêteurs à ce type d'infraction. Plusieurs services peuvent être saisis par les magistrats afin d'apporter leur expertise aux enquêtes pénales. La mobilisation de l'autorité judiciaire est entière.

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Je transmettrai à l'association Choeurs de fondeurs, qui tient son assemblée générale dans quelques jours, votre réponse.

Justice administrative dans le Vaucluse

M. Jean-Baptiste Blanc .  - Depuis un décret de 2006, les recours contentieux relevant du département du Vaucluse sont jugés, en premier ressort, par le tribunal administratif de Nîmes. Cependant, depuis 2022, les appels soulevés contre les décisions de ce même tribunal sont du ressort de la cour administrative d'appel de Toulouse, nouvellement créée, et non plus de celui de la cour administrative d'appel de Marseille.

Il en résulte un éloignement regrettable des tribunaux administratifs, d'autant plus en appel. L'obligation pour les justiciables vauclusiens de se rendre à une telle distance de leur département d'origine est gênant : le droit pour chacun de nos concitoyens d'accéder de manière égale à la justice est fondamental. Une plus grande proximité est souhaitable.

Un redécoupage plus juste de la carte de la justice administrative est-il envisageable, notamment en vue de faire dépendre le Vaucluse de la cour administrative d'appel de Marseille ?

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - Le 1er janvier 2022, la cour administrative de Toulouse est devenue la neuvième cour administrative d'appel du pays, remédiant à l'absence de juridiction d'appel spécifique en Occitanie. Le contentieux était auparavant éclaté entre les cours administratives d'appel de Bordeaux et Marseille, dont le niveau d'activité était parmi les plus élevés.

La future cour était appelée à devenir le juge d'appel des trois tribunaux administratifs de la région Occitanie, à savoir Toulouse, Nîmes et Montpellier, tant pour des raisons de cohérence et d'organisation territoriale que de fiabilité de la nouvelle juridiction, dont le volume d'activité devait atteindre une masse critique suffisante. Toulouse a été préférée à Montpellier pour des considérations pratiques et budgétaires. Les découpages territoriaux sont toujours redoutables et les réponses inégales, en témoignent les débats sur la loi du 16 janvier 2015 sur les régions.

Toutefois, le rapport de nos concitoyens avec la justice administrative ne doit pas se limiter à une vision de proximité géographique. Bénéficier d'une juridiction de taille pertinente à même de traiter les contentieux dans un délai raisonnable et avec une connaissance fine du territoire est de première importance. C'est une Montpelliéraine qui vous le dit.

M. Jean-Baptiste Blanc.  - Votre réponse ne me convient pas du tout. Vous êtes originaire d'Occitanie : quand on est dans le Vaucluse, aller à Toulouse est un non-sens absolu. Cet éloignement dissuade les justiciables de faire valoir leur droit au recours. On devrait pouvoir rationaliser la gestion de la justice administrative et s'interroger sur la géographie.

Qualité des services publics

M. Jean-Marie Mizzon .  - La qualité des services publics se dégrade chaque année, et c'est un préjudice pour nos concitoyens. Tous les territoires, urbains comme ruraux, sont touchés. La situation est telle que la Défenseure des droits a dénoncé « la déshumanisation et l'éloignement des services publics ». Elle ajoute : « Ce n'est pas possible d'imposer à tout le monde d'avoir un smartphone et une connexion internet. » Selon elle, on demande aux usagers de s'adapter aux services publics alors que c'est l'inverse qui doit se produire. Elle précise que, confrontées à la dématérialisation, « les personnes âgées, en situation de handicap, précaires, étrangères, détenues et même les jeunes » plaident pour des accueils physiques. « On a besoin de voir des personnes quand on est en difficulté », estiment-elles également.

Monsieur le ministre, comptez-vous mettre un terme à cette dématérialisation à outrance qui méprise l'égalité républicaine ?

M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification .  - L'accès aux services publics est une priorité de l'action du Gouvernement, qui s'articule autour des démarches numériques de qualité et d'un accueil humain de proximité. Le Gouvernement investit dans les alternatives au numérique : le programme France Services garantit un accueil de proximité polyvalent -  plus de 19 millions de Français y ont été accompagnés depuis 2021 et près de 99 % de nos compatriotes vivent à moins de 20 minutes d'une maison France Services ; le plan téléphone, lancé en 2023, a fixé un taux de réponse supérieur à 85 %. À Bourges, hier, j'ai accepté que les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) soient présentes dans les vingt maisons France Services du Cher ; si elle fonctionne, l'expérimentation sera généralisée. J'ai également relancé les travaux sur la posture des agents.

Je suis d'accord avec vous, nos services publics doivent s'adapter aux besoins différenciés des usagers -  un nouveau baromètre mesurera la satisfaction des usagers du service public, afin de nous améliorer là où c'est nécessaire.

M. Jean-Marie Mizzon.  - Vos chiffres sont éloquents, mais ils ne traduisent pas la réalité du terrain. La loi a pour mission de protéger les plus faibles. Les préconisations de la mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique que j'ai présidée n'ont pas été suffisamment suivies ; mettez-vous à la place de ceux qui ne maîtrisent pas ces outils ou de ceux pour qui les maisons France Services sont inaccessibles.

Remplacement des agriculteurs

Mme Marie-Lise Housseau .  - Les services de remplacement départementaux mettent à disposition des agriculteurs, en cas de besoin, un salarié de remplacement. Lorsqu'ils exercent un mandat syndical agricole, ils bénéficient de cette prestation à coût réduit, grâce au concours financier de l'État, ce qui est légitime compte tenu de leur engagement.

En revanche, les agriculteurs qui s'investissent comme élus locaux, notamment comme maires, n'ont droit à aucune aide lorsqu'ils sont contraints par leur mandat de se faire remplacer. Pourtant, leur engagement est indispensable, surtout dans les petites communes rurales où la crise des vocations est une réalité.

Madame la ministre, pourquoi ne pas étendre l'aide accordée aux mandats syndicaux aux agriculteurs élus locaux ?

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Je mesure l'engagement essentiel des agriculteurs qui, notamment comme maires, contribuent à la vitalité de nos territoires ruraux. D'ailleurs, mon suppléant à l'Assemblée nationale, agriculteur et maire, est aujourd'hui député.

Mon ministère finance le remplacement des agriculteurs investis dans un mandat syndical, vous le savez. Pour les exploitations, la présence sur place est souvent indispensable, notamment dans l'élevage laitier. C'est pourquoi je soutiens les groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec) qui permettent de libérer du temps.

Les indemnités de mandat, bien que variables et souvent insuffisantes, sont censées couvrir en partie les frais de remplacement. Toutefois, je suis attentive à votre proposition - sa faisabilité budgétaire pourrait faire l'objet d'une étude -, car je souhaite valoriser le rôle des agriculteurs dans la vie démocratique locale. D'ailleurs, jeudi dernier, dans un lycée agricole de la Loire, j'ai encouragé les jeunes à s'engager dans les élections municipales pour porter la voix de l'agriculture de demain.

Mme Marie-Lise Housseau.  - Dans les petites communes, les agriculteurs sont les seuls actifs. Si nous ne les encourageons pas à s'investir, nous n'aurons que des conseils municipaux de retraités : est-ce là préparer l'avenir ?

Prédation du loup

Mme Frédérique Espagnac .  - Il y a urgence : la progression du loup s'accompagne d'une augmentation des attaques sur les troupeaux, notamment en Béarn et en Soule, où il est déjà la cause de lourdes difficultés pour les éleveurs ; sa présence a été signalée au Pays basque. C'est pourquoi la commission syndicale du Pays de Soule a demandé la reconnaissance de son territoire en zone de protection renforcée. La FNSEA et l'Herriko Laborantza Ganbara ont exprimé leurs inquiétudes à l'unisson : la cohabitation avec ce prédateur est impossible.

Or sans agropastoralisme l'accessibilité des espaces d'altitude, la biodiversité et la sécurisation des montagnes face aux risques naturels seraient compromises. L'Association nationale des élus de la montagne (Anem) n'a cessé d'alerter les pouvoirs publics : le loup est l'agresseur, la brebis la victime. La prédation est pour les éleveurs une violence que toutes les indemnisations du monde ne suffiront jamais à combler.

Madame la ministre, la convention de Berne a approuvé le 3 décembre dernier un déclassement du loup, passant d'espèce strictement protégée à simplement protégée. Avez-vous pris des mesures pour faire modifier la directive Habitat au niveau européen ? La question du loup sera-t-elle à l'ordre du jour du prochain sommet européen ? Quel est le calendrier précis des prochaines étapes pour la France sur ce dossier ?

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Élue d'un territoire d'élevage, je mesure l'impact de la prédation du loup sur l'activité pastorale.

Mon ministère accompagne financièrement les éleveurs, au travers d'un dispositif de protection des troupeaux arrêté avec les préfets, lequel permet d'aider 4 000 éleveurs par an pour un montant de 38,7 millions d'euros en 2024.

Le projet de loi d'orientation agricole allège la charge réglementaire pesant sur les détenteurs de chiens de protection ; elle leur assure, ainsi qu'aux maires des communes pastorales, une plus grande sécurité juridique et permet de protéger les troupeaux de bovins par des tirs de destruction.

À l'échelle internationale, nous avons déjà modifié le statut du loup, puisque la nouvelle version de la convention de Berne est entrée en vigueur le 7 mars dernier. À l'échelle européenne, nous défendons la modification de la directive Habitat, qui a été adoptée par le Conseil, mais doit encore l'être par le Parlement. À l'échelle nationale, nous préparons la mise en oeuvre de mesures de régulation du loup, tout en veillant à maintenir un état de conservation favorable de l'espèce, condition nécessaire à toute adaptation de son statut.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Annie Genevard, ministre.  - La régulation devra tenir compte de l'impact du prédateur sur les activités d'élevage, car il faut impérativement préserver le pastoralisme.

Suppressions de postes dans l'enseignement public

Mme Colombe Brossel .  - Le prochain conseil départemental de l'éducation national (CDEN) de repli de l'académie de Paris se tiendra le jeudi 20 mars prochain, après que l'ensemble des organisations syndicales, des fédérations de parents d'élèves et des élus l'ont boycotté, pour contester votre méthode, votre renoncement politique.

En effet, quelque 180 fermetures de classes seront proposées, justifiées par la simple baisse démographique ; or celle-ci pourrait être utilisée pour diminuer le nombre d'enfants par classe.

Vous m'objecterez le chiffre magique de la moyenne d'élèves par classe, mais je vous le dis, nos enfants ne sont pas des moyennes !

Vous avez choisi de faire peser exclusivement sur l'enseignement public la baisse démographique.

La fin des régimes dérogatoires - depuis quarante ans - pour les directeurs d'écoles parisiennes a provoqué une colère immense.

Mme la ministre souhaite mettre en place un groupe de travail et de concertation sur le sujet : c'est une bonne nouvelle. Dans ces conditions, le recteur de Paris renoncera-t-il à inscrire, jeudi prochain, les cinquante-deux premiers postes de directeur d'école qui pourraient être concernés ?

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Cette année encore la baisse démographique dans nos écoles est significative : à la rentrée 2024, elle s'élève à près de 75 000 élèves du premier degré, dont 3 200 à Paris. Malgré cela, nous ne supprimons pas les 4 000 postes qui devaient l'être.

La taille des classes influe sur la réussite des élèves, notamment les plus fragiles. Nous avons agi en ce sens : en 2017, le taux d'encadrement moyen - pardon d'y revenir - était de 5 professeurs pour 100 élèves, contre 6 professeurs pour 100 élèves à la rentrée 2024.

À la rentrée prochaine, le nombre moyen d'élèves par classe sera de 21, niveau historiquement bas, et de 20 élèves par classe, à Paris, ce qui en fait le deuxième meilleur taux d'encadrement en métropole après la Corse.

Au vu de la baisse prévue, 160 classes peuvent être fermées sans impact sur le taux d'encadrement. Cette évolution nous permet de répondre aux priorités d'une école qui agit pour la réduction des inégalités.

Nous ouvrirons à la rentrée prochaine de nouvelles unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) ; nous renforcerons le réseau des pôles d'appui à la scolarité (PAS) et les moyens alloués aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Mme Colombe Brossel.  - Vos propos sont démentis par les faits : les fermetures de classes seront nombreuses dans les QPV. Ne restez pas sourds à la colère unanime de la communauté éducative parisienne.

Baisse de la démographie scolaire

M. Jacques Grosperrin .  - La mise en place des observatoires des dynamiques rurales a été bien accueillie par les élus. Son objectif est triple : favoriser la cohérence des politiques éducatives, faciliter les échanges entre l'éducation nationale et les collectivités, partager les perspectives démographiques et les dispositifs d'accompagnement des élèves.

Je mesure les conséquences de la baisse démographique : le Doubs a perdu entre 2004 et 2007 près de 3 000 élèves du premier degré.

Pourtant, de nombreux maires ruraux se disent désabusés face aux fermetures brutales de classes, décidées par le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) -  la préservation des 4 000 postes ne se constate pas sur le terrain. Le manque de dialogue fragilise la confiance et nuit à l'attractivité des communes rurales, même si dans le Doubs, le Dasen a de très grandes qualités.

L'intérêt supérieur des élèves doit primer. Le Gouvernement compte-t-il généraliser ces observatoires et garantir aux maires qu'ils soient de véritables lieux de dialogue ? Peut-on enfin sortir d'une gestion purement arithmétique de la carte scolaire ?

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Nous mettons la baisse démographique au profit d'un meilleur taux d'encadrement des élèves. Dans votre département, le taux moyen d'élève par classe est de 20,5 - significativement moins que la moyenne nationale. Les observatoires anticipent les évolutions du réseau éducatif en milieu rural. Le dialogue entre les Dasen et les maires est étroit. Grâce à ces échanges aucune décision de fermeture ne peut intervenir sans que le maire en soit informé avant le conseil départemental de l'éducation nationale.

Les services académiques sont à l'écoute des acteurs de terrain. La carte scolaire n'est pas figée ; il faut y travailler de façon pluriannuelle. D'ailleurs, nous allons signer une convention avec l'Association des maires de France en ce sens, afin de garantir un maillage territorial cohérent et adapté aux besoins. Le Gouvernement renforce le dialogue entre toutes les parties prenantes pour le bien-être des élèves -  notre seule et unique boussole.

M. Jacques Grosperrin.  - Mme Billon, Mme Brossel et moi-même entamons aujourd'hui un travail pour réfléchir à un nouveau maillage territorial.

Défis de l'école en Guadeloupe

Mme Solanges Nadille .  - L'école en Guadeloupe rencontre de nombreux défis : perte de jours de classe, problèmes de transport, sensibilité des infrastructures aux catastrophes naturelles, manque d'accès à l'eau, manque de professeurs ou d'assistants d'éducation. Ainsi, l'on constate des retards dès la maternelle, qui s'amplifient dans le premier et le second degré. Chaque année, 1 200 élèves sortent du système scolaire sans diplôme, au détriment de leur insertion sociale.

S'ajoute le défi de l'autorité. Les actes de violence envers les professeurs augmentent. Or, à la rentrée 2025, sont prévues 22 suppressions de poste dans le premier degré, et 67 dans le second. La baisse démographique ne peut servir de variable d'ajustement pour un territoire qui souffre tant.

Je salue le dialogue en cours avec la rectrice de l'académie, mais il faudra avant tout agir, en portant une attention toute particulière aux îles du sud de la Guadeloupe : les enseignants y pâtissent de problèmes de mobilité.

Quelles sont vos réponses à ces défis ? Reviendrez-vous sur ces suppressions de postes ?

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - L'école doit donner sa chance à tous les élèves, en Hexagone comme en outre-mer. L'éducation nationale est pleinement engagée pour proposer des politiques éducatives adaptées à la Guadeloupe.

Le premier degré comptera 430 élèves en moins à la rentrée 2025. La baisse du nombre de postes ne se fait pas au détriment du taux d'encadrement, qui est passé de 22 à 19 élèves par classe entre 2017 et 2024.

Il existe des dispositifs spécifiques à la Guadeloupe. Je pense au soutien scolaire : 4 000 élèves volontaires sont ainsi accompagnés par 420 intervenants. Depuis 2021, l'académie a aussi instauré 46 contrats locaux d'accompagnement.

En matière de sécurité des professeurs, depuis deux ans, le pôle citoyenneté académique assure le suivi des situations problématiques, tandis que la protection fonctionnelle est systématiquement proposée.

Concernant la question de la mobilité dans les îles du Sud, nous trouvons des solutions d'hébergement avec les mairies et proposons des actions de sensibilisation aux autorités organisatrices de transport.

Accès aux données des collectivités territoriales

M. Michel Canévet .  - Ma question concerne les conditions d'accès aux fichiers de population des collectivités territoriales. La pandémie l'a montré : ces données sont utiles pour proposer des actions au plus près des populations les plus fragiles, notamment des actions de prévention.

Certaines politiques publiques sont mises en oeuvre via des opérateurs extérieurs. Dès lors, quelles sont les conditions de transmission des fichiers des communes - je pense notamment au fichier électoral - à ces opérateurs ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - Il nous faut garantir l'usage des données des collectivités. C'est l'enjeu du règlement européen sur la gouvernance des données, entré en vigueur en septembre 2023, qui propose un cadre juridique facilitateur de partage des données. Il pose un principe, l'altruisme des données, fondement d'outils de protection robustes et d'un futur espace de données suffisamment important pour mener des activités de recherche, par exemple en santé ou pour lutter contre le changement climatique.

Les données des collectivités peuvent être transmises pour des actions de prévention, dans un souci d'intérêt général. L'article L. 37 du code électoral dispose que la transmission n'est possible que si le demandeur n'en fait pas un usage commercial. La jurisprudence est très claire. Les collectivités peuvent donc s'opposer en droit à toute demande illégitime, et peuvent, en cas de doute, s'appuyer sur les préfectures.

Le règlement est d'application directe, et la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique fait de la Cnil l'autorité de contrôle compétente. Nous présenterons dans les prochains mois un projet de loi d'adaptation de ce règlement à notre droit national.

M. Michel Canévet.  - Nous devons avancer sur la question. Je suis heureux qu'un projet de loi soit en préparation.

C'est important pour que l'on puisse mener des politiques de prévention dans les territoires. Nous pourrions envisager un encadrement des demandes de transmission de données via les délibérations du conseil municipal. Il y va de la cohérence de notre action locale.

Meublés de tourisme en montagne

M. Cyril Pellevat .  - La loi du 19 novembre 2024 qui vise à réguler les meublés de tourisme rend obligatoire le diagnostic de performance énergétique (DPE). Dès 2025, un DPE classé E sera exigé pour tout nouveau meublé de tourisme ; ils devront tous atteindre une classe D d'ici à 2034.

Or en montagne un logement sur deux n'atteint pas une classe D, principalement à cause de failles de calcul. Le DPE pénalise les petites surfaces, défavorise les logements chauffés à l'électricité et ne tient pas compte de l'altitude.

Les conséquences seront dramatiques sur le parc locatif en montagne, avec une sortie massive de logements dès 2025, alors que les Jeux de 2030 arrivent.

Au regard de l'article premier de la loi Montagne, envisagez-vous une révision du mode de calcul du DPE pour les petites surfaces, une prise en compte du climat montagnard dans l'évaluation ou un aménagement du coefficient de conversion de l'électricité ? Sylviane Noël et moi-même avons déposé une proposition de loi en ce sens.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - Le DPE prend déjà en compte des spécificités qui bénéficient aux petits logements en montagne, grâce à des fichiers météorologiques différenciés. Au-dessus de 800 mètres d'altitude, les seuils des étiquettes E, F et G sont adaptés. Enfin, une réforme du DPE pour les petites surfaces est entrée en vigueur au 1er juillet 2024. Quant au coefficient de conversion de l'énergie primaire en énergie finale, il a été revu en 2021, passant de 2,58 à 2,3, en se fondant sur le mix énergétique français actuel et à long terme.

Ensuite, des travaux d'isolation ou l'installation d'une pompe à chaleur aident à améliorer la performance.

Enfin, la loi du 10 novembre 2024 étend progressivement aux meublés de tourisme les obligations de décence énergétique. Les propriétaires ont neuf ans pour adapter leur logement. C'est indispensable, car la France doit respecter ses engagements environnementaux.

M. Cyril Pellevat.  - À Avoriaz, 70 % du parc risque de ne plus être louable. Avec les Jeux, il nous faut plus de flexibilité.

Financement des CAUE

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - Les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), qui exercent une mission très utile de conseil, d'expertise et de sensibilisation auprès des particuliers, des collectivités et des professionnels, connaissent de graves difficultés financières. En tant qu'ancien maire, j'ai bénéficié de cette expertise : les maires des petites communes en sont très friands.

Le financement des CAUE repose sur la part départementale de la taxe d'aménagement. Or la réforme introduite dans le PLF 2021 modifie le fait générateur de la taxe et a entraîné des retards de perception et un risque accru de non-recouvrement, notamment en cas de travaux inachevés ou de non-déclaration d'achèvement. Les CAUE sont pénalisés.

De surcroît, la dynamique de construction est faible, les collectivités éprouvées budgétairement.

Comment allez-vous soutenir les CAUE ? Allez-vous rétablir la délivrance de l'autorisation d'urbanisme comme fait générateur de la taxe d'aménagement et ainsi leur assurer des financements plus stables ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - La réforme de 2021 n'a pas modifié le fait générateur de la taxe, mais les modalités de transfert ont consisté à rapprocher le processus de liquidation de la taxe d'aménagement de celui des impôts fonciers gérés par la DGFiP.

De plus, la date d'exigibilité de la taxe a été décalée à la date d'achèvement des travaux pour faciliter sa liquidation et développer des synergies avec la gestion des impôts fonciers, entre autres pour éviter l'émission de titres sur les projets finalement abandonnés.

Pour les projets classiques, il n'y a aucun report de trésorerie. Pour les projets d'ampleur, sur plusieurs années, une modification du cycle de trésorerie est possible. Un dispositif d'acompte assure aux collectivités des ressources à hauteur de 85 % de la taxe. Les recettes locales sont donc préservées.

Mme Christine Bonfanti-Dossat.  - L'inquiétude des CAUE est bien réelle. N'envoyons pas un mauvais signal aux petites communes. Nos territoires ont du talent, ne les décourageons pas.

Paiement de MaPrimeRénov' en cas de décès du demandeur

M. Jean-Claude Anglars .  - Ma PrimeRénov' rencontre des difficultés : des délais de traitement trop longs, mais aussi, par exemple, certains refus de versement de la prime aux héritiers en cas de décès du demandeur. On constate que le paiement du solde est parfois refusé, des dossiers sont bloqués jusqu'à plus de dix mois, sans que les héritiers, qui ont transmis tous les documents demandés au notaire, disposent de la moindre information de la part de l'Anah. Il est parfois impossible de finaliser les successions.

Madame la ministre, il nous faut des clarifications. Quelles mesures prévoyez-vous pour accélérer le traitement de ces cas, afin que le solde de la prime soit versé dans des délais raisonnables ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - La rénovation énergétique est une priorité du Gouvernement. Depuis 2020, plus de 2,4 millions de logements ont bénéficié de MaPrimeRénov' pour réaliser des travaux dans leur logement, ce qui représente 11,7 milliards d'euros d'aides publiques, qui ont généré 34 milliards d'euros de travaux.

Certaines demandes ont rencontré des difficultés, mais les cas restent très limités, sur les 540 000 dossiers instruits chaque année par l'Anah.

Le cas des demandeurs décédés exige un traitement spécifique par les services d'instruction. La subvention étant étendue à l'héritier, le solde peut lui être versé par le biais du notaire, sur présentation de justificatifs de sa qualité d'héritier et de filiation. Certains paiements n'aboutissent pas à la suite de la clôture du compte bancaire associé. L'Anah met alors tout en oeuvre pour prendre attache avec les héritiers, afin de verser l'aide dans les meilleurs délais, tout en effectuant les contrôles associés.

En 2024, 73 dossiers ont été traités, pour 262 580 euros ; restent 76 dossiers en cours de traitement. L'Anah est pleinement mobilisée pour les traiter au mieux et dans les meilleurs délais.

M. Jean-Claude Anglars.  - Merci pour cette réponse très précise. Ainsi 76 dossiers restent à traiter. Je note que l'Anah s'engage à les instruire dans l'année.

Difficultés des communes à s'assurer

Mme Alexandra Borchio Fontimp .  - Interdiction des sinistres sur les bâtiments communaux : c'est l'objet d'un arrêté pris par le maire de Breil-sur-Roya, commune des Alpes-Maritimes qui a failli être rayée de la carte par la tempête Alex, et qui est dans l'impossibilité de trouver une assurance au 1er janvier. Même si le bureau central de tarification (BCT) a finalement obligé cinq assureurs à se partager les risques de la commune, le compte n'y est pas : montant de la cotisation multiplié par huit, franchises démesurées, exclusion des dégradations, vols, dégâts des eaux et dommages électriques. C'est indécent. Combien de temps encore tolérerons-nous cela ? L'État doit se saisir des recommandations du Sénat et de l'Association des maires de France (AMF) et des présidents d'intercommunalité.

Il est urgent de faire évoluer la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des évènements climatiques ou géologiques (DSECG) en élargissant la liste des biens éligibles, d'écarter le principe de reconstruction à l'identique et d'élargir les prérogatives du médiateur de l'assurance.

Bien sûr, assurer des collectivités est moins rentable que des entreprises, mais ce ne sont pas des clientes comme les autres.

Lors de l'examen de la proposition de loi de Jean-François Rapin sur la gestion des inondations, j'ai fait adopter une mesure pour aider les communes à mieux évaluer leurs dégâts.

Il faut aider les maires. Que propose le Gouvernement ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - Le Gouvernement est très attentif à la situation assurantielle des communes. L'État est à leurs côtés avec le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier.

En septembre 2023, un accord a été conclu avec les assureurs pour mettre en place une médiation avec les collectivités territoriales. Le bureau central de tarification est intervenu dans le dossier de Breil-sur-Roya.

La situation n'est cependant pas satisfaisante. Plusieurs propositions émises par Alain Chrétien et Jean-Yves Dagès rejoignent les conclusions du rapport de Jean-François Husson. Il convient de dynamiser le marché de l'assurance, de diffuser les bonnes pratiques en matière de commande publique et de mieux maîtriser la sinistralité.

Le Gouvernement travaille actuellement avec les assureurs. Nous proposerons prochainement des solutions concrètes pour que chaque collectivité trouve une solution d'assurance adaptée.

Présence postale dans les territoires ruraux

Mme Jocelyne Guidez .  - Nos territoires, en particulier ruraux, continuent de subir une dégradation de la qualité des services postaux. En Essonne, dans le Calvados et partout dans le pays, nos bureaux de poste ne cessent de connaître un désengagement progressif, quand ils ne ferment pas. Ce désengagement se traduit très concrètement par des diminutions du nombre d'heures d'ouverture, par la suppression de certains services, par la baisse des effectifs, ou par le passage en agence postale communale.

Pourtant, conformément à la loi du 2 juillet 1990, La Poste a une obligation légale de maintenir 17 000 points de contact afin que 90 % de la population se trouve à moins de cinq kilomètres ou vingt minutes d'un bureau de poste.

Quand des services humains de proximité disparaissent, c'est l'âme du service public qui est en jeu. Les postiers incarnent bien souvent un lien social essentiel. Dans nombre de communes rurales, La Poste reste un des derniers symboles tangibles de la République.

Le précédent gouvernement a heureusement abandonné son projet de coupe budgétaire de 50 millions d'euros sur la présence postale pour 2025.

La Cour des comptes a publié un rapport sur la trajectoire financière de La Poste qui pointe du doigt la distribution du courrier six jours sur sept, mais aussi le maintien des 17 000 points de contact. La Cour suggère des synergies plus fortes avec France Services. Or elles ne seraient probablement pas compensées financièrement aux collectivités.

Alors que la désignation du prestataire du service universel postal est attendue d'ici la fin de l'année, quelle suite le Gouvernement entend-il donner aux préconisations de la Cour des comptes tout en préservant une présence postale réelle, humaine et pérenne ? Pouvez-vous nous garantir que le désengagement de La Poste ne se fera pas une nouvelle fois à la charge de nos collectivités ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - La présence postale en milieu rural est fondamentale. La transformation du réseau de La Poste suscite des inquiétudes légitimes, mais elle reste pleinement engagée dans sa mission.

La Poste fait face à des évolutions structurelles majeures, avec la chute de 60 % du volume de courrier en quinze ans. L'État reste vigilant à ce que cette adaptation ne se fasse pas au détriment des territoires ruraux. Le contrat de présence postale territorial 2023-2026 prévoit un budget annuel de 177 millions d'euros pour garantir cette présence et accompagner les transformations nécessaires tout en maintenant une qualité de service.

Le développement des agences postales communales et des relais postes en partenariat avec les collectivités permet de maintenir une offre de services de base tout en adaptant les coûts de fonctionnement.

Quelque 97 % de la population est à moins de vingt minutes d'une des 2 800 maisons France Services dont La Poste est un acteur central. France Services Itinérant amène plus de services publics aux citoyens les plus isolés.

La Poste renforce le rôle des facteurs, qui assurent des services de proximité aux personnes âgées isolées.

L'État a maintenu l'intégralité du financement du contrat de présence postale en 2025. Nous restons vigilants.

Obligation d'installation d'itinéraires cyclables

M. Pierre Jean Rochette .  - La loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoit la réalisation de pistes cyclables lors des rénovations de voiries urbaines. L'idée semblait facile sauf que l'on est en Absurdie : en mai 2023, le tribunal administratif de Lyon a imposé les mêmes conditions de circulation aux vélos qu'aux voitures, en demandant une voie cyclable à double sens lorsque la voie automobile est à double sens. Dans ma commune de Boën-sur-Lignon, nous avons rénové des chaussées dont certaines de moins de cinq mètres de large. Déjà, il n'est pas facile pour deux voitures de se croiser. Si on ajoute des cyclistes, comment fait-on ? La situation est complètement bloquée. Nous avons mis en place la voie centrale banalisée préconisée par le Cerema, mais elle n'est pas réglementaire et nous subissons les attaques d'associations de cyclistes. Le tribunal administratif a détourné le droit de l'idée d'origine. Il faudrait intégrer les voies centrales banalisées dans le droit ou prévoir des dérogations pour impossibilité technique.

Ce sujet peut paraître léger mais pose un réel problème sur le terrain.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - L'article L. 228-2 du code de l'environnement prévoit la réalisation d'aménagements pour rendre la voirie cyclable lors de travaux de réfection. Le dispositif a été complété à l'occasion de la loi LOM. L'objectif est de profiter des travaux programmés pour réaliser à moindre coût la transformation nécessaire de nos villes à la circulation sécurisée des cyclistes.

Sans méconnaître les difficultés locales, il est nécessaire de conserver cette disposition. Pour autant, je ne suis pas opposée à ce que d'autres types d'aménagements, comme les chaussées à voies centrales bidirectionnelles, soient introduits dans le texte dès lors que les conditions de sécurité sont remplies.

Ligne de TER Lyon - Paray-le-Monial - Nevers

M. Fabien Genet .  - J'appelle votre attention sur la survie de la ligne de TER qui relie Lyon au sud-ouest de la Saône-et-Loire.

Il y a quelques mois, Le Parisien a publié un classement des pires lignes régionales, plaçant en deuxième position la ligne Lyon - Paray-le-Monial - Moulins-sur-Allier dont la pérennité suscite l'inquiétude. Les usagers sont habitués à des retards à répétition, voire à des annulations, et la fréquence ne fait que diminuer.

Le retrait d'un poste d'aiguillage en gare de Lamure-sur-Azergues condamne à un cadencement ralenti et à des trajets non croisés, qui ne peuvent correspondre aux horaires de travail des usagers se rendant dans la métropole lyonnaise. Pourtant, cette ligne participe au développement de la grande couronne lyonnaise et est empruntée par de nombreux travailleurs.

Cette ligne a besoin de la mobilisation de tous les acteurs concernés, dont le Conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, celui de Bourgogne-Franche-Comté, la SNCF, l'État et les collectivités territoriales.

Dans un contexte de décarbonation des transports, quelles sont les ambitions du Gouvernement pour cette ligne si utile ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville .  - L'État s'est engagé aux côtés des régions dans la remise à niveau des petites lignes dans le cadre des volets mobilité 2023-2027 des contrats de plan État-régions (CPER) : 2,6 milliards d'euros d'investissements sont prévus, dont 780 millions d'euros apportés par l'État, via l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France).

L'offre sur la ligne Lyon - Paray-le-Monial nécessite une coordination étroite entre les régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, autorités organisatrices. Les travaux à réaliser pour assurer le bon état de la ligne sont, eux, cofinancés par l'État, les régions et SNCF Réseau dans le cadre des CPER. Elle a déjà fait l'objet d'un investissement significatif de 44 millions d'euros dans le cadre des CPER 2015-2022.

Le volet ferroviaire du CPER Auvergne-Rhône-Alpes, en cours de finalisation, prévoit un financement de 10 millions d'euros assuré à 90 % par l'État et SNCF Réseau. Parallèlement, les études de régénération des ouvrages d'art de la section Paray-Chauffailles démarrent cette année dans le cadre du CPER Bourgogne-Franche-Comté, pour des travaux de 5 à 6 millions d'euros prévus en 2027, de façon à éviter un allongement du temps de parcours.

M. Fabien Genet.  - Je suis satisfait des bonnes nouvelles annoncées par la ministre. Nous restons vigilants.

Maintien des effectifs de terrain de l'ONF

Mme Sabine Drexler .  - En Alsace, les communes forestières travaillent en étroite collaboration avec l'Office national des forêts (ONF). Alors que nos forêts vont mal et que les maires ont plus que jamais besoin de conseils, on détricote son maillage territorial, comme dans le Haut-Rhin, qui subit depuis 2018 des dépérissements sans précédent de sapins, d'épicéas, de hêtres.

Après la suppression de quatorze postes en 2021, l'ONF s'est lancée en 2023 dans une nouvelle réorganisation, avec de nouvelles suppressions de postes de terrain, au risque de mettre à mal toute la filière.

Dans un contexte de crise sanitaire et de changement climatique, et afin de répondre à la demande des maires, la ministre de l'agriculture et de la forêt s'est engagée en novembre 2024 à ce qu'il n'y ait pas de suppression de poste en 2025.

Comptez-vous garantir le maintien des effectifs de terrain, notamment dans la vallée de la Doller ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - Merci de me permettre de rappeler l'importance de l'ONF dans la gestion de nos forêts publiques, et l'attachement des élus locaux à ses missions et moyens.

Le contrat d'objectifs État-ONF pour 2021-2025 prévoyait initialement des suppressions de postes. Le Gouvernement a choisi de maintenir les effectifs de l'ONF en 2025, malgré un contexte budgétaire tendu. Néanmoins, l'établissement peut avoir besoin de se réorganiser.

Dans ce contexte, l'agence ONF du Haut-Rhin mène, depuis dix-huit mois, une réflexion associant les personnels afin d'optimiser les moyens humains, dans un département où 80 % des forêts sont communales. Les ajustements se feront à effectif constant et garantiront une présence opérationnelle de qualité et le renforcement de la capacité d'intervention adaptée aux enjeux spécifiques de ce territoire.

L'ONF joue un rôle primordial que nous sommes déterminés à soutenir.

Mme Sabine Drexler.  - Dans le Haut-Rhin, les forêts ont de gros problèmes de dépérissement et les maires doivent être accompagnés. Je vous remercie de l'attention que vous portez à cette problématique.

Fonds territorial climat

M. Sebastien Pla .  - Les élus sont souvent démunis devant la complexité des démarches pour accéder aux financements pour l'adaptation au changement climatique. Il faut faciliter l'accès au fonds territorial climat, doté de 200 millions d'euros, dont le Sénat a voté la création dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Foin des usines à gaz, simplifions la vie des élus !

Inondations, sécheresses : l'Aude est en première ligne face au changement climatique.  Nous n'avons pas de temps à perdre avec des procédures longues et complexes, car ces fonds sont vitaux.

Vous avez annoncé le 19 février dernier, lors des questions au Gouvernement, que ce nouveau programme du PLF était devenu une action. Pourquoi contourner l'esprit de la mesure votée au Parlement ? Quelles sont les modalités de mise en oeuvre prévues pour 2025 ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - Pas moins de 5 300 communes ont bénéficié du fonds vert en 2024, dont 160 dans l'Aude.

Les règles d'emploi du fonds vert et des autres dotations à l'investissement - DSIL, DETR, notamment - ont été décrites dans une circulaire commune du 28 février 2025, qui définit des priorités correspondant au plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC).

En 2025, je me suis engagée à déployer 100 millions d'euros pour accompagner les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) des communes. Pourquoi cette enveloppe ne figure-t-elle pas dans la loi de finances initiale pour 2025 ? Il faut le demander aux membres de la commission mixte paritaire. Elle sera déployée hors appels à projets, sans contrôle a priori des PCAET. Les modalités d'accès sont spécifiées par la circulaire du 28 février. Les crédits seront bientôt délégués aux préfets de région.

M. Sebastien Pla.  - Cette somme ne compense pas la réduction de 400 millions d'euros du fonds vert. Il faut ouvrir les enveloppes, pour une gestion directe par les collectivités territoriales.

Chasses traditionnelles du Sud-Ouest

Mme Denise Saint-Pé .  - La Commission européenne a annoncé le 12 février dernier, dans le cadre d'une procédure entamée depuis 2019, sa décision de poursuivre la France devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour non-respect présumé de la directive Oiseaux du fait de la pratique, dans cinq départements du Sud-Ouest, de la chasse traditionnelle à la palombe au filet. Selon la Commission, les pantières contribueraient au déclin de la tourterelle des bois. En réalité, cette chasse est sélective en raison de la maille des filets, le déclenchement manuel intervenant après une phase d'observation. La palombe est en outre classée comme nuisible dans plusieurs pays européens et départements français.

Les chasseurs du Sud-Ouest sont en colère et s'estiment insuffisamment défendus. Leurs actions pour la régulation des grands gibiers et le suivi sanitaire des zoonoses sont pourtant essentielles.

Madame la ministre, êtes-vous prête à transmettre aux parlementaires les éléments du dossier de défense présentés à la Commission européenne depuis 2019, à rencontrer les fédérations de chasseurs du Sud-Ouest et à les intégrer dans la démarche ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - J'apporterai les arguments nécessaires pour défendre la chasse traditionnelle à la palombe, qui n'a d'ailleurs jamais été remise en cause au niveau national.

Le pigeon ramier est une espèce abondante et parfois nuisible. Les associations environnementales préfèrent concentrer leurs travaux sur les espèces menacées de disparition. La chasse au filet est effectivement sélective, et les animaux accidentellement capturés peuvent être relâchés vivants. En outre, cette technique ne perturbe pas les autres espèces.

J'ai pris contact avec la Fédération nationale des chasseurs. Je souhaite travailler avec les chasseurs, les agences de l'État et les associations. Ma porte est ouverte à tous les parlementaires qui travaillent sur ce sujet. Comptez sur moi pour défendre cette tradition.

Rénovation énergétique

M. Hervé Gillé .  - Les dispositifs de rénovation énergétique se sont multipliés - Mon Accompagnateur Rénov', MaPrimeRénov', MaPrimeAdapt' - créant un sentiment de désordre au détriment de la qualité et de l'efficacité de l'accompagnement des usagers. Les collectivités territoriales, notamment les syndicats intercommunaux, rencontrent des difficultés dans leur mise en oeuvre. En outre, des opérateurs publics tels que le syndicat interterritorial pour la maîtrise de l'énergie et de l'habitat (Siphem), en Gironde, sont mis sur un pied d'égalité avec des opérateurs privés parfois peu scrupuleux.

L'accompagnement est devenu un parcours du combattant, conduisant parfois à des renoncements. Il faut renforcer le rôle des opérateurs publics locaux et rétablir une concurrence équitable.

Face aux demandes croissantes, qu'envisagez-vous pour préserver les enveloppes financières consacrées aux syndicats intercommunaux et garantir l'accompagnement des ménages tout au long de l'année ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - L'État poursuit la consolidation de France Rénov' à travers les pactes territoriaux. Mon Accompagnateur Rénov' fonctionne bien et s'ancre de plus en plus dans les territoires. Des partenariats efficaces se nouent avec les collectivités. L'Agence nationale de l'habitat (Anah), ses partenaires historiques et les professionnels de la rénovation ont su s'adapter à ces nouveautés.

Grâce aux signalements remontés par le réseau France Rénov', nous avons évité 500 millions d'euros de fraude l'année dernière. L'Anah a mis en oeuvre de nouvelles mesures pour sécuriser les ménages et exclure plus rapidement les acteurs malveillants, qui seront prochainement traduites par voie réglementaire.

La proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques de Thomas Cazenave contient par ailleurs de nouveaux leviers d'action, notamment l'augmentation des sanctions contre les fraudeurs.

M. Hervé Gillé.  - La différence de qualité de service entre le public et le privé est patente. Et n'oublions pas le poids des renoncements, qui ont parfois conduit à des sous-consommations d'enveloppes.

Contribution de la France au budget de l'UNRWA

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Mes pensées et ma compassion vont à Gaza où plus de 400 personnes ont été tuées cette nuit par des bombardements israéliens, rompant le cessez-le-feu.

L'annonce que la France va attribuer 20 millions d'euros au programme de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) est bienvenue, alors que la suspension de l'aide américaine nuit au financement de ses actions. Devant le Conseil de sécurité de l'ONU, le 28 janvier dernier, son commissaire général a alerté les États membres sur cette situation.

Au regard de la diminution du budget de l'UNRWA, alors que les besoins explosent, la France compte-t-elle maintenir la priorité de financement qui lui est accordée et sanctuariser cette attribution ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - Depuis plus de soixante-dix ans, l'UNRWA joue un rôle incontournable auprès des réfugiés palestiniens, en Cisjordanie, à Jérusalem Est et à Gaza ainsi qu'au Liban, en Jordanie et en Syrie, et pour porter secours à la population civile de Gaza, y compris depuis le cessez-le-feu. Nous rendons hommage aux travailleurs de l'Office décédés dans l'exercice de leurs fonctions.

La France a soutenu l'UNRWA à hauteur de 96 millions d'euros ces deux dernières années. Jean-Noël Barrot a annoncé au Caire, le 2 décembre dernier, une nouvelle contribution de 20 millions d'euros, qui sera décaissée dans les meilleurs délais.

L'UNRWA doit poursuivre ses efforts de réforme en suivant les recommandations du rapport indépendant coordonné par Catherine Colonna, visant à garantir notamment la neutralité du personnel, des manuels scolaires et des installations de l'Office. Nous serons vigilants sur ce point.

La législation israélienne visant l'UNRWA est entrée en vigueur le 30 janvier dernier. En lien avec nos partenaires, nous avons demandé à Israël de préserver l'action indispensable de l'Office et de coopérer avec les Nations unies pour assurer la continuité des actions humanitaires.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il faut appliquer le droit international à Gaza. L'acheminement des denrées alimentaires a été stoppé il y a quelques jours, l'électricité et l'eau ont été coupées. Il est temps que la France réagisse fermement.

Inégalités salariales

M. Alexandre Basquin .  - En tête des revendications lors des importantes mobilisations du 8 mars dernier : les inégalités salariales. Selon l'Insee, en 2023, le salaire moyen des femmes était inférieur de 22,2 % à celui des hommes dans le secteur privé. À temps de travail égal, l'écart est de 14,2 %. Sur toute une vie, une femme gagnerait 300 000 euros de moins qu'un homme, voire 450 000 euros pour les profils les plus diplômés. Selon une experte citée dans La Voix du Nord le 3 mars dernier, à ce rythme, l'égalité salariale ne sera pas atteinte avant l'an 2100 !

La Cour des comptes a estimé dans un rapport de janvier 2025 que le ministère du travail devait s'impliquer davantage pour revaloriser les métiers majoritairement féminins. Le principe d'égalité entre hommes et femmes doit être plus que jamais défendu face aux courants masculinistes et à la progression du sexisme. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - La persistance de différences de salaires au détriment des femmes en 2025 n'est pas acceptable : 14 % de différence de rémunération à temps de travail identique, c'est 14 % de trop ; 4 % d'écart à poste comparable, c'est 4 % de trop. L'égalité salariale n'est pas un objectif, elle figure dans la loi depuis 1972.

En 2019, la France a été le premier pays européen à créer un index d'égalité salariale. Depuis, 857 entreprises ont été mises en demeure et plusieurs dizaines ont été sanctionnées, jusqu'à 1 % de leur chiffre d'affaires.

Un travail est en cours pour transposer d'ici le 7 juin 2026 la directive européenne sur la transparence salariale du 10 mai 2023, qui prévoit un droit à la transparence des rémunérations avant l'embauche, une obligation de transparence sur les critères déterminant le niveau et la progression des rémunérations et l'obligation pour les employeurs de fournir l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes.

Il faut également une action renforcée, dès le plus jeune âge, en faveur de la mixité, notamment dans les filières stratégiques pour notre souveraineté. N'enfermons pas les enfants dans des stéréotypes.

La séance est suspendue à 12 h 45.

Présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 14 h 30.

Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), examinée à la demande du groupe Les Républicains.

Explications de vote

Mme Cécile Cukierman .  - (M. Pierre Barros applaudit.) Après le rapport du groupe de suivi sur le ZAN, la proposition de loi de Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier nous permet d'ajuster et faciliter la mise en oeuvre de cet objectif. Le texte donne plus de lisibilité aux élus locaux.

Une chose est sûre et le nombre d'amendements déposés ainsi que nos échanges l'illustrent : l'artificialisation des sols est un enjeu important dont nous aurons à rediscuter, d'autant plus que des éléments centraux n'ont pas été évoqués, comme les financements et l'appui technique dont les collectivités territoriales auront besoin. Des mesures sont nécessaires aussi sur le réemploi des friches. Monsieur le ministre, nous avons besoin du rapport voté ici même pour que les bâtiments délaissés d'hier soient les opportunités économiques de demain.

Les plateformes de recyclage doivent être accueillies sans pénaliser les communes qui en prennent la responsabilité. Ces installations font partie des équipements, notamment publics, qu'il faut mutualiser pour qu'ils restent accessibles à tous.

Cette proposition de loi rassurera les élus locaux sans les exonérer de leurs responsabilités. Nous pouvons compter sur eux.

Il faut préserver et même étendre les espaces agricoles pour faire face à la concurrence étrangère et nourrir tous nos concitoyens. Nous devons aussi soutenir la filière bois, mais aussi conserver les espaces naturels, réserves de biodiversité et outils indispensables à la lutte contre le réchauffement climatique.

Il faut équilibrer le territoire : par la construction de logements et le dynamisme économique, accueillir plus d'habitants à la campagne, mais aussi désimperméabiliser les villes et rafraîchir leur atmosphère pour améliorer la qualité de vie de leurs habitants. Ce défi collectif doit être relevé sans saucissonner les enjeux.

En confiant aux collectivités territoriales la responsabilité de fixer des objectifs intermédiaires, nous donnons confiance aux élus. Certes, il est facile de dénoncer l'urbanisation des années 1980 et 1990, mais les maires d'alors n'ont agi qu'en conformité avec la loi. Ceux d'aujourd'hui la respecteront demain. À nous de la rendre lisible et efficace.

Loin des caricatures et des populismes, nous devons partager des ressources en tension. C'est un beau défi à relever, et c'est l'enjeu des renouvellements de 2026. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; MM. Marc Laménie, Cédric Chevalier, Alain Chatillon et Fabien Genet applaudissent également.)

M. Ronan Dantec .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il y a des moments dans nos vies de législateur où nous avons le sentiment de faire oeuvre utile. (Exclamations à droite)

Ce fut le cas lorsque nous avons adopté à l'unanimité la proposition de loi contre le narcotrafic, défi pour notre société. Même chose pour la loi ZAN 2, qui apportait des correctifs nécessaires à la loi Climat et résilience instaurant le ZAN. Le décompte spécial pour les projets d'envergure nationale ou européenne (Pene) était une évidence ; la création d'une enveloppe communale permettait de rassurer les élus et de ne pas pénaliser les communes ayant peu artificialisé jusqu'à présent.

Arrive la proposition de loi ZAN 3. J'aurais préféré vous dire que nous étions dans le même esprit. Mais nous avons eu affaire à une loi-posture, une loi-surenchère de la droite sénatoriale qui remet même en cause la loi ZAN 2. (Huées à droite)

Que s'est-il passé ? Est-ce le fait de la dissolution et des changements de Gouvernement ? Un effet secondaire de la course-poursuite engagée entre candidats Les Républicains pour la prochaine présidentielle ? (Les huées redoublent à droite.)

Résultat : une loi à contretemps. La plupart des régions ont intégré dans les Sraddet ou s'apprêtent à le faire l'objectif de moins 50 %, y compris des régions de droite comme la Normandie et les Hauts-de-France. Seules deux régions refusent de l'appliquer : les Pays de la Loire, dont la présidente est connue pour la brutalité de ses coupes dans la politique culturelle, et la région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura), dont l'ancien président était tout fier d'affirmer qu'il ne respecterait pas la loi. (M. Fabien Genet s'exclame.) C'est une loi pour les mauvais élèves, pour ne pas dire les sauvageons ! (Sourires à gauche)

La fédération des Scot, présidée par un ancien séguiniste, a été très ferme dans son opposition à ce retour en arrière. Nous avons de nombreux témoignages en ce sens, y compris d'élus de droite. (M. Olivier Paccaud s'exclame.)

Et que dire du monde paysan ? Le patron de la FNSEA a pris sa plus belle plume pour nous l'écrire, d'accord avec les Jeunes Agriculteurs et la fédération des Safer. Mais au risque de décevoir les élus locaux et de rester sourds au monde agricole, vous n'avez pas bougé de position. Même le Gouvernement s'y est cassé les dents : vous avez refusé le compromis proposé par François Rebsamen - que nous avons voté. Il fallait en finir avec le ZAN, point à la ligne !

M. Olivier Paccaud.  - Oui !

M. Ronan Dantec.  - Pourquoi s'embêter à garder une loi ZAN 3 ? L'abrogation aurait été plus simple, car plus personne n'y croit, dans sa mouture actuelle.

Vous oubliez que la France consomme beaucoup plus d'espace que ses voisins. Vous avez opportunément proposé que l'État s'engage lui aussi à réduire sa superficie, mais vous avez ajouté une telle liste à la Prévert aux Pene - jusqu'aux lycées ! - que l'on ne sait pas comment il va y arriver.

La garantie rurale bénéficie d'une deuxième décennie, jusqu'en 2044 ! On voit des droits à artificialiser reconduits pour vingt ans et les auteurs nous soutiennent mordicus que l'objectif de ZAN reste en vigueur ? Soyons sérieux ! (Protestations à droite) Cela signifie que 20 000 hectares par an seront consommés jusqu'au milieu des années 2040, puis, zéro, miraculeusement, du jour au lendemain. Personne n'y croit !

Un groupe de travail a été constitué. Nous avons l'espoir que ce texte soit revu, voire rejeté par l'Assemblée nationale, et que l'objectif à dix ans soit préservé. Nous étions prêts au compromis. (On réclame le silence à gauche.) J'avais proposé dans le cadre de la loi ZAN 2 que le décompte se fasse par les espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) ; c'est désormais le cas, mais les enveloppes sont embrouillées et l'on n'y comprend plus grand-chose. Mais vous vouliez en finir avec le ZAN...

Vous avez fait de la souveraineté alimentaire un cheval de bataille, mais cette fois-ci, vous l'avez laissé à l'écurie ! (Sourires à gauche) Pour nous, cela reste un objectif prioritaire. Nous voterons évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Didier Marie, Christophe Chaillou et Bernard Jomier applaudissent également.)

M. Christian Redon-Sarrazy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il serait difficile de se dire satisfait du texte soumis au vote aujourd'hui, texte de détricotage et d'insécurité juridique.

Les sénateurs du groupe SER sont conscients des difficultés de mise en oeuvre du ZAN. Dès son adoption, nous avions émis des réserves sur la méthode et avons travaillé sur chaque étape de sa mise en oeuvre. Mais assouplissement ne veut pas dire révision, voire suppression de l'objectif intermédiaire chiffré. L'immense majorité des élus locaux se sont engagés dans une démarche de sobriété foncière et les trois quarts des régions ont modifié leurs Sraddet. C'est deux ans de travail et des moyens considérables. Nous voulions simplifier sans dénaturer en proposant de reculer l'objectif de moins 50 % de consommation d'Enaf au 31 décembre 2034.

Le texte conserve la période de référence 2011-2021 pour ne pas pénaliser les collectivités déjà engagées dans le processus. Mais en donnant aux communes la possibilité de s'écarter des enveloppes foncières, la proposition de loi risque de placer de nombreuses communes dans l'insécurité juridique et remet l'objectif de ZAN en cause.

Elle laissera plus de marge aux services de l'État, ouvrira la voie à des ruptures d'équité territoriale et placera de nombreuses communes dans l'insécurité juridique. Ce qu'attendent les élus, c'est un accompagnement et une adaptation de la fiscalité - un chantier laissé en friche par le Gouvernement, alors que nous n'avons eu de cesse de faire des propositions, toutes systématiquement rejetées. Ces manques ne sont pas comblés par les quelques éléments positifs arrachés en séance. Certes, les Enaf, mieux maîtrisés par les élus locaux, sont retenus mais ils ne permettent pas de prendre en compte la fonctionnalité des sols. Le groupe SER a fait adopter un diagnostic de santé des sols qui permettra aux élus de mieux évaluer la portée de leurs choix.

Grâce à nos amendements, les projets vertueux favorisant la transition énergétique seront valorisés dans les enveloppes foncières. L'article 4 sur le compté à part ne nous satisfait pas. Notre demande de réduire le délai à dix ans a été rejetée.

L'article 5 remet en cause le mode de gouvernance du ZAN et de la prescriptibilité du Sraddet. Il apporte de la confusion.

L'article 6 sur la mutualisation de la garantie de développement communal gagnera à être amélioré pour éviter un surgel foncier.

Nos débats ont ouvert quelques pistes, telles que l'impérieuse nécessité d'une amélioration du dialogue entre les collectivités et les services de l'État, ou le besoin d'une politique en faveur de la réutilisation ou de la renaturation des friches, notamment les friches agricoles amiantées.

Le ZAN doit être le fondement d'une nouvelle façon de penser l'aménagement - et donc le ménagement - des territoires locaux. Nier la réalité du changement climatique est irresponsable. La disparition de l'objectif intermédiaire chiffré nous interdit de voter ce texte, qui n'apporte pas de réponse aux élus locaux pour une mise en oeuvre cohérente et efficiente du ZAN. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Aymeric Durox .  - La loi Climat et résilience de 2021 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire en matière législative : par soumission à une idéologie, imposer une logique d'uniformisation sans dialoguer avec les parties prenantes.

Même si notre pays est peu densément peuplé et qu'il fait partie des plus vertueux en matière d'émission de gaz à effet de serre, notamment grâce au nucléaire, il y a consensus pour atteindre un objectif de sobriété foncière - ce qui ne veut pas dire une interdiction. Il faut en finir avec ces ensembles datés des années 1960 et les tours de quinze étages. Remplacer une maison briarde par un bâtiment de dix logements sur deux étages, ce n'est pas l'avenir et ce n'est pas respectueux du patrimoine.

Au Rassemblement national, nous croyons que la politique du logement doit répondre aux aspirations des Français : devenir simplement propriétaire d'un pavillon avec un bout de jardin, des infrastructures de transport performantes, relocaliser les bassins d'emploi pour lutter contre le métropolisation à outrance.

La loi ZAN est issue d'une démarche descendante qui fait l'impasse sur les problématiques locales et les compensations financières. Pourquoi ne pas faire confiance à nos maires ? J'invite chacun à venir, dans mon département de Seine-et-Marne, visiter la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, où aménagement urbain rime avec qualité de vie et préservation des espaces naturels. Ils y verraient l'absurdité de détruire les tours de Beauval à Meaux, alors qu'on construit toujours plus haut à quelques kilomètres de là. Dans la vraie vie, les documents d'urbanisme prévoient déjà des compensations écologiques, des îlots verts ou le déploiement de la géothermie.

Nous préférons les encouragements de ce texte aux contraintes dignes de l'âge de pierre de la loi de 2021.

Les sénateurs du RN voteront cette proposition de loi pragmatique qui répond aux attentes des élus. (M. Stéphane Ravier applaudit.)

M. Pierre Jean Rochette .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) À l'heure où l'on s'interroge sur le nombre de maires qui ne se représenteront pas l'année prochaine, ce texte est une bouffée d'air frais. Nous nous réjouissons que le Sénat ait fait entendre sa voix et celle des élus. Je regrette cependant que nous n'ayons pas suffisamment pris en compte la situation des communes de moins de 1 000 habitants en déprise démographique. Comment peut-on dire à un maire rural qu'il ne peut plus consommer de foncier alors qu'il peine à répondre aux demandes de ses habitants ?

Ce texte est globalement bon, mais il devra être expliqué dans les territoires, en disant notamment que l'objectif de ZAN est maintenu et que ce n'est pas la porte ouverte à une consommation effrénée du foncier. Nous ne pouvons pas rester dans une logique descendante. Il faut partir des territoires, bloc communal en tête.

Les élus locaux, toujours en première ligne, sont confrontés à des injonctions contradictoires : faire preuve de sobriété foncière, mais réindustrialiser, renforcer la souveraineté alimentaire et augmenter l'offre de logements sociaux. Nous refusons de créer des règles créant des territoires à deux vitesses. Tous les territoires doivent mener des politiques de développement adaptées : pôles urbanisés ou territoires ruraux, tous doivent pouvoir mener une politique de développement adaptée. Il faut renforcer le bloc communal dans la gouvernance de la sobriété foncière. Nous avons la responsabilité d'assurer un avenir durable à nos territoires sans sacrifier leur dynamisme et leur attractivité. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Jean-Marc Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Amel Gacquerre applaudit également.) Quelques chiffres : deux tiers des élus locaux sont engagés en faveur de la sobriété foncière, mais trois quarts pensent que leur point de vue n'est pas pris en compte dans les objectifs régionaux.

Cela a guidé notre travail avec Amel Gacquerre. Je remercie Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) Grâce au travail mené par la mission qu'ils ont coprésidée, nous passons du ZAN, cet acronyme devenu un repoussoir, à cette Trace, c'est-à-dire d'objectifs imposés d'en haut impossibles à atteindre à une mise en oeuvre concertée. Ce sont des moyens d'action que nous rendons aux territoires - dont le Sénat est la voix.

Les deux objectifs - moins 30 % en 2031 et zéro en 2050 n'ont fait l'objet d'aucune étude d'impact réelle. Aussi les élus locaux y ont-ils vu une marche forcée.

Avec votre discours politicien, il n'y a que vous, monsieur Dantec, pour être sourd à leurs demandes. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

Des blocages ont été levés. Des mesures essentielles ont été adoptées, telles que le maintien de la comptabilisation en Enaf, l'exemption des dents creuses ou la possibilité de déduire de sa consommation les opérations de renaturation.

Je salue le remplacement de l'objectif de moins de 50 % de consommation des Enaf en 2031 par des objectifs à 2034 librement définis par chaque région après concertation au sein des conférences de sobriété foncière. Celles qui ont élaboré leur Sraddet n'ont aucune obligation de le modifier.

Le délai de modification des documents d'urbanisme est prolongé de deux ans, plus deux ans de plus sur décision du préfet.

Le texte prévoit l'exemption des implantations industrielles et leur raccordement électrique, les logements sociaux des communes carencées, les installations de production des énergies renouvelables, les postes électriques de tension supérieure à 63 kW, les constructions du service public d'eau et assainissement, le droit à construire de 0,5 hectare supplémentaire pour tout hectare de friche requalifié, la sortie des Pene, l'obligation de sobriété pour l'État, la sécurisation des projets autorisés avant 2021, la facilitation de la mise en oeuvre de la garantie de développement communal au sein des EPCI.

Il est essentiel d'associer les collectivités territoriales dans la fixation des objectifs régionaux. C'est pourquoi nous avons modifié la composition des conférences régionales de gouvernance. Redonner du pouvoir à nos élus est un impératif.

Ce texte est un texte d'urgence - urgence à modifier une législation qui crée des contraintes inadmissibles pour les communes. Je salue le travail de Jean-Baptiste Blanc, Guislain Cambier, Amel Gacquerre, Daniel Gueret et Dominique Estrosi Sassone. Je salue aussi votre esprit de conciliation, monsieur le ministre, au service de cette Trace de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Une fois encore, nous avons l'occasion de démontrer l'utilité du Sénat, institution de proximité en prise avec les réalités locales. Depuis quatre ans, qui dans cet hémicycle n'a jamais été interpellé par un élu local sur le ZAN ? Sur le papier, l'intention était louable, mais la mise en place a été chaotique. Il fallait y retravailler. Je remercie les auteurs de la proposition de loi.

Le RDPI votera ce texte : sa version issue des débats fait du ZAN un outil intelligent adapté aux réalités locales. Les régions pourront désormais définir leur propre trajectoire et adapter leurs paliers en 2034. À mes yeux, cela permet une situation d'équilibre. C'est un signal important en faveur du ZAN en 2050. Il a été suffisamment question de différenciation dans cet hémicycle pour que nous le saluions.

Ce texte repense opportunément le ZAN à l'aune de la transition énergétique. Le décompte d'Enaf est ainsi plus adapté. Je pense à l'amendement que j'ai fait adopter en commission pour exempter du décompte les installations de production d'énergie renouvelable ou à celui de Nadège Havet qui exempte celles de production d'hydrogène vert.

Le texte permet d'exclure des décomptes Enaf les surfaces nécessaires au Pene, comme les logements nécessaires à la construction d'un réacteur nucléaire. L'article 4 quater permettra aux plateformes de recyclage des déchets d'être considérées comme des Pene. Le choix des Enaf permettra aux élus locaux de mieux piloter leur consommation.

Notre groupe votera ce texte, car il décale les dates butoirs des documents d'urbanisme. J'ai lu et entendu beaucoup d'approximations sur nos débats, résumés à tort comme un retour en arrière... (Marques d'ironie sur les travées du GEST)

M. Yannick Jadot.  - Qui a dit cela ?

M. Bernard Buis.  - Il ne s'agit pas de remettre en cause le ZAN, mais de l'adapter aux réalités locales. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Positif ou négatif, un vote est toujours délicat quand il s'accompagne de quelques regrets. Cette proposition de loi méritait d'être abordée avec sérénité, loin des échanges houleux au sujet de l'article 2.

Le ZAN tristement célèbre, imposé par la loi Climat et résilience, tourmente les élus locaux chargés de sa mise en oeuvre. Que n'a-t-on pas entendu ? Aberration, casse-tête, injonction contradictoire... Il faut bétonner moins, mais il faut réindustrialiser et construire des logements. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, il en faudrait 30 000 par an, mais 20 000 à peine sortent de terre.

La version initiale du ZAN était trop radicale et inadaptée aux réalités des territoires, technocratique alors qu'il faudrait du pragmatisme. Changer les habitudes en matière d'urbanisme relève d'une révolution culturelle, mais il faut prendre en compte les contraintes de chaque territoire. La loi ZAN 2 de 2023 a prévu des adaptations. Le RDSE a rappelé la nécessité de trouver un point d'équilibre, d'assouplir la trajectoire tout en gardant des repères crédibles. Sur ces deux points, le résultat n'est pas totalement satisfaisant et nous comptons sur la navette pour l'améliorer. Avec l'esprit constructif qui le caractérise, le RDSE votera le texte.

Les innombrables critiques traduisent des incompréhensions, quand élus, décideurs et habitants passent de l'ivresse du mètre carré artificialisé à l'indispensable sobriété. Le RDSE a pris garde à ne pas se laisser séduire par l'appel de la déréglementation et lui a préféré une approche territorialisée. L'article 2 est un compromis raisonnable adopté après des débats crispés. La trajectoire vers le ZAN est fragile. Il faut laisser du temps au temps pour faire les adaptations nécessaires, mais il ne faut pas renoncer à la sobriété foncière.

Il est raisonnable de permettre aux régions de fixer les objectifs pour 2024-2034 dans les Sraddet. Le rôle de la conférence régionale de gouvernance sur la sobriété foncière sera renforcé. La méthode choisie en la matière permettra aux élus de conserver de la souplesse.

Seuls deux amendements du RDSE - exemption pendant quinze ans des raccordements électriques et mutualisation des installations pour l'accueil des gens du voyage - ont été adoptés. Je m'en félicite, mais ceux qui ont été rejetés relevaient d'un pragmatisme évident : ne pas pénaliser les collectivités sans remettre en cause les ambitions de la loi. Les querelles politiques brouillent la réécriture du texte.

Si nous n'avons pas été suffisamment écoutés, je me félicite que le texte réintroduise des dispositions prenant en compte les réalités locales sans toucher à l'objectif de 2050.

En dépit de ces réserves, le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Guislain Cambier .  - (Vifs applaudissements et plusieurs « Bravo ! » sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) Merci, au nom de tous les maires, ruraux et urbains, de leur avoir redonné la main, la liberté et d'avoir ébréché l'étouffoir de la norme qui asphyxie le pays. Là où les idéologues capitalisent sur la peur, vous avez choisi la confiance. (Quelques « Très bien ! » à droite) Là où les planificateurs veulent corseter le pays en lui infligeant le contrôle, vous avez opté pour le contrat. Les débats ont montré la césure entre les réactionnaires voulant préserver leur matrice intellectuelle, leur chasse gardée technocratique, leur méthode coercitive, et le camp du progrès. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)

Nous sommes de ceux qui croient en la capacité de l'homme de construire son avenir. Non, ce n'était pas mieux avant. Avec cette Trace, vous ne vous bornez pas à corriger quelques errements, vous ouvrez la voie à la réconciliation du pays en posant un discours de la méthode organisé autour du dialogue.

Du village de montagne à la métropole côtière, les élus portent des projets et savent ce qui est utile chez eux. Le travail collectif a permis de poser un diagnostic honnête. Je remercie les membres du groupe de suivi. Avec Jean-Baptiste Blanc, mon cher binôme (applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC), nous continuons cette itinérance sur le territoire.

De l'Aveyron à la Meuse, du Morbihan au Gers, du Nord au Jura en passant par la Corse (divers sénateurs crient le nom de leur département), de partout monte une aspiration. Les élus locaux ont intégré les contraintes et les aspirations de leurs concitoyens.

Venant des différentes travées, trente-cinq amendements ont nourri le texte - preuve que, au Sénat, nous savons construire ensemble. Nous avons perfectionné l'outil de calcul. La loi ne pouvant être rétroactive, nous démarrons le compteur en 2024 avec une clause de revoyure en 2034 ; prétendre que nous détricotons l'objectif final serait donc malhonnête et mensonger. L'État doit assurer l'équilibre du territoire ; il doit donc s'appliquer les mêmes règles pour les Pene et la consommation d'espaces. Les priorités que sont la transition énergétique, le logement social et la réindustrialisation sont exemptées jusqu'en 2036.

Nous offrons un système incitatif de compensation pour les friches agricoles, comme en Bretagne. La proposition de loi Trace est un texte de solutions.

Les conférences régionales sont revisitées. Chacun y retrouvera sa place. Trace est un texte de dialogue.

Il offre des sources de progrès. Pompidou déjà dénonçait les lourdeurs administratives. (On ironise sur les travées du GEST.) Le Premier ministre Bayrou, le 14 janvier, a annoncé une remise en cause de la pyramide de normes.

Passons des paroles aux actes. Avons-nous tout réglé dans le domaine de l'urbanisme ? Nous n'en avions pas la prétention. Comment simplifier le droit de l'urbanisme pour éviter les contentieux oiseux ? Comment éviter la concurrence fiscale et financière entre territoires ? Par quels moyens l'État assure-t-il l'accès de tous à l'ingénierie nécessaire ?

La loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ; mais c'est la compréhension de la loi qui permet l'acceptation par chacun et donc fortifie la République. Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°231 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 277
Pour l'adoption 260
Contre   17

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Je vous remercie pour la qualité de nos débats, qui fait honneur au Sénat. Ils ont permis d'assouplir le dispositif et de l'enrichir de perspectives variées. La recherche du compromis est essentielle pour l'acceptation des lois. Comme le disait Churchill, si deux hommes ont toujours la même opinion, l'un est de trop.

J'ai eu plaisir à porter la voix du Gouvernement dans cette discussion. Je remercie les sénateurs Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc pour le travail accompli. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du RDPI)

Le Gouvernement est attaché à tenir l'objectif de zéro artificialisation nette en 2050. (On ironise sur les travées du GEST.) C'est essentiel pour préserver notre foncier agricole comme notre biodiversité, et pour renforcer nos capacités collectives d'adaptation aux effets du changement climatique.

Nous n'avons pas partagé toutes vos orientations, mais les avons soutenues dès lors qu'elles tendaient à simplifier. Je suis très attaché à la nécessité de simplifier nos dispositifs, dans l'intérêt de nos territoires. Le ZAN doit être perçu non comme une entrave à un développement harmonieux, mais comme un levier pour bâtir des politiques d'aménagement plus durables.

Je ne doute pas que ce texte sera encore enrichi par l'Assemblée nationale, puis en CMP, au service de la préservation des espaces naturels et agricoles et d'un aménagement urbain en phase avec les grands défis actuels. (Applaudissements sur des travées du RDPI et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

La séance est suspendue à 15 h 35.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

M. Roger Karoutchi, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Auteur, c'est beaucoup dire : je ne suis que cosignataire du texte de Mme Eustache-Brinio, absente pour raison de santé. Je me ferai son porte-voix en lisant le discours qu'elle a préparé.

La mort tragique d'une jeune étudiante en septembre dernier a mis en lumière les conséquences que peuvent entraîner les failles de notre cadre politique, administratif et juridique en matière de lutte contre l'immigration et le séjour illégal. Le suspect, connu des services de police pour des faits de viol et sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait été libéré peu avant la délivrance du laissez-passer consulaire par son pays d'origine et quelques jours avant la mort de Philippine.

L'assassinat de cette jeune fille a provoqué une onde de choc et convaincu le groupe Les Républicains de déposer rapidement cette proposition de loi pour faire cesser la mise en danger d'autrui par des étrangers dangereux sous le coup d'une mesure d'éloignement.

L'attaque mortelle de Mulhouse, le mois dernier, a de nouveau bouleversé la France : le suspect, un Algérien fiché par les services de prévention du terrorisme et sous OQTF, a tué un passant à l'arme blanche et en a blessé plusieurs autres. L'Algérie avait refusé une bonne dizaine de fois de reprendre cet individu.

Il est nécessaire d'allonger le délai de rétention des étrangers les plus menaçants. Leur placement en rétention avant exécution des mesures d'éloignement est le moyen le plus efficace de protéger nos concitoyens. Même si je ne suis pas fanatique des sondages, il est intéressant de faire état d'une enquête d'octobre dernier : 84 % des Français sont favorables à l'emprisonnement systématique des étrangers sous le coup d'une OQTF auteurs de crime ou délit, avant leur expulsion. La dangerosité notoire de ces étrangers n'a pas à peser sur la vie de nos concitoyens ni sur leur sécurité du quotidien, déjà si dégradée.

Par ailleurs, il faudra trouver une solution pour rendre enfin effectives les OQTF, même lorsque les pays d'origine ne veulent pas récupérer leurs ressortissants. Je pense notamment à l'Algérie - nous aurons l'occasion d'en reparler.

La rétention fait l'objet d'un encadrement strict, indispensable s'agissant d'une mesure de privation de liberté. Sa durée normale peut aller jusqu'à un mois, mais le législateur a déjà judicieusement mis en place plusieurs mécanismes de prolongation de la rétention.

Ainsi, lorsqu'un étranger a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes terroristes ou si la décision d'expulsion est liée à des activités terroristes pénalement constatées, la durée maximale de rétention peut atteindre 180 jours - et même 210 à titre exceptionnel.

Seulement, comme Mme Josende le fait observer dans son rapport, ce régime dérogatoire ne concerne qu'un nombre très réduit d'individus : dix-neuf en 2022, pour une durée moyenne de 93 jours ; quarante-et-un en 2023, pour une durée moyenne de 91 jours ; et trente-sept en 2024, pour une durée moyenne de 117 jours.

Non seulement ce dispositif est conforme au cadre européen, mais il reste en deçà des possibilités offertes : le droit européen autorise une rétention allant jusqu'à 18 mois, comme en Allemagne.

Il est donc à la fois raisonnable et conforme au droit européen d'autoriser une prolongation de rétention supplémentaire pour un étranger condamné à une interdiction du territoire français ayant commis une infraction sexuelle ou violente grave ou en lien avec le crime organisé. L'alignement du régime prévu en pareil cas sur celui applicable aux individus liés au terrorisme donnera des marges supplémentaires aux administrations pour prévenir les récidives.

La commission des lois du Sénat a adopté un dispositif similaire le 30 octobre dernier, à la faveur de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes. Cette mesure fut toutefois supprimée en séance à la suite d'un échange avec le Gouvernement, qui avait soutenu cette initiative mais préférait voir figurer la mesure sous une forme amplifiée dans un texte spécifique.

Nous proposons cet après-midi de réadopter cette mesure, étendue aux infractions violentes graves commises par des majeurs, ainsi qu'au crime organisé. La procédure ne serait plus applicable seulement en cas d'interdiction du territoire français, mais aussi à la suite d'autres mesures d'éloignement. Nous élargissons aussi les circonstances dans lesquelles l'appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention relâchant une personne retenue revêt un caractère suspensif.

Je remercie la rapporteure, Lauriane Josende, qui a utilement fait adopter des amendements visant à étendre et à préciser le champ d'application du régime dérogatoire de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). Ainsi, les étrangers qui constituent une menace particulièrement grave pour l'ordre public, même lorsqu'ils n'ont pas été condamnés, seront concernés. Les faits de provocation au terrorisme ou d'apologie de celui-ci provoqueront également l'application du régime dérogatoire.

La commission a introduit un article 3 qui simplifie le séquençage et les motifs de prolongation de la rétention. C'est bienvenu, compte tenu des difficultés de mise en oeuvre constatées et des erreurs d'interprétation ayant parfois conduit à des libérations prématurées aux conséquences dramatiques.

Cet article n'entraîne pas un allongement de la durée maximale de la rétention administrative, qui reste de 90 jours, et de 210 dans le régime dérogatoire ; il est sans conséquence sur l'exercice des droits des personnes retenues, qui peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment.

L'adoption de cette proposition de loi de bon sens et attendue par la grande majorité des Français permettra d'améliorer la sécurité de tous nos compatriotes en plaçant en rétention des étrangers susceptibles de porter atteinte à leur vie et à leur sécurité du quotidien. Il faudra probablement aller plus loin, mais il s'agit d'un premier pas.

Ni naïveté ni excès : c'est la ligne de ce texte, que nous voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) La proposition de loi de Mme Jacqueline Eustache-Brinio est une réponse aux difficultés rencontrées dans l'éloignement des ressortissants étrangers dont le comportement constitue une menace pour la sécurité de nos concitoyens. L'actualité offre, hélas, de nombreux exemples de ces difficultés et de leurs conséquences parfois tragiques.

L'éloignement des étrangers auteurs de troubles à l'ordre public, notamment ceux sortant de prison, a été affirmé comme une priorité par les gouvernements successifs. Plusieurs instructions et circulaires invitent les services de l'État à placer prioritairement en rétention les étrangers les plus dangereux en vue de leur éloignement.

Malheureusement, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des efforts : en témoigne le taux d'éloignement des étrangers retenus en centre de rétention administrative (CRA), qui ne dépasse pas 40 %. Cette proposition de loi devrait favoriser l'éloignement effectif de ces étrangers, qui se heurte aux manoeuvres des intéressés, mais aussi aux réticences des États concernés et à la complexité du cadre juridique.

La proposition de loi ne permettra pas de lever l'obstacle majeur à l'éloignement que constitue le manque de coopération des États étrangers. Mais, alors que les autorités consulaires peuvent être tentées de jouer la montre, l'allongement de la rétention administrative affermira la position de l'État dans les négociations. Au reste, une part non négligeable des éloignements a lieu entre 60 et 90 jours, soit dans les dernières prolongations du régime de droit commun -  sans parler des éloignements qui n'ont pu avoir lieu du fait d'un refus de prolongation, comme celui du meurtrier de Philippine.

L'intérêt d'un maintien en rétention pour les profils les plus dangereux se vérifie s'agissant du régime dérogatoire pour les auteurs d'infractions terroristes. L'année dernière, plus de la moitié des laissez-passer consulaires délivrés pour ces étrangers l'ont été au-delà du 90e jour de rétention, terme du régime de droit commun.

L'article 1er étend aux étrangers présentant une menace grave pour l'ordre public le régime dérogatoire prévu par l'article L. 742-6 du Ceseda, qui permet le maintien en rétention jusqu'à 180 jours d'un étranger condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou faisant l'objet d'une décision d'expulsion liée à des activités à caractère terroriste pénalement constatées.

L'article L. 742-7 du même code permet, à titre exceptionnel, de prolonger cette rétention de deux périodes supplémentaires de quinze jours, pour une durée totale de 210 jours.

Le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en juin 2011 ; il a toutefois censuré celles permettant une prolongation de rétention de douze mois supplémentaires, pour une durée totale de dix-huit mois pourtant conforme à la directive Retour.

La commission des lois a approuvé l'extension de ce régime aux étrangers constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, au regard de l'impérieuse nécessité d'éloigner ces personnes et des difficultés auxquelles cet éloignement se heurte aujourd'hui. Elle a relevé qu'aucune exigence constitutionnelle ni aucune disposition du droit de l'Union européenne ne s'y opposait.

Néanmoins, nous avons précisé les critères justifiant l'application de ce régime dérogatoire, en prévoyant trois conditions non cumulatives.

D'abord, la personne devra faire l'objet d'une décision d'éloignement au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

Ensuite, elle devra être sous le coup d'une peine d'interdiction du territoire prononcée par une juridiction répressive, quelle que soit l'infraction à l'origine de la condamnation. Rappelons que, pour prononcer cette peine, la juridiction tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire et de l'intensité de ses liens avec la France.

Enfin, le comportement de l'étranger devra constituer une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Ce critère permet de prendre en compte, par exemple, les cas de radicalisation violente ou de liens avec un groupe terroriste.

Nous avons aussi prévu que la provocation au terrorisme ou l'apologie de celui-ci font partie des activités terroristes permettant l'application du régime dérogatoire.

À l'article 2, nous avons étendu aux mêmes catégories d'étrangers le dernier alinéa de l'article L. 743-22 du Ceseda, qui prévoit le caractère suspensif de l'appel contre un jugement mettant fin à la rétention.

Enfin, nous avons introduit un article 3 simplifiant le séquençage et les motifs de prolongation de rétention.

Le meurtre de Philippine a mis en lumière la complexité du régime des prolongations de rétention. Dans cette affaire, la libération du suspect a procédé d'une erreur dans l'interprétation de la condition tenant à la menace à l'ordre public. Contre la lettre du texte, le juge a exigé que cette menace à l'ordre public résulte d'un comportement survenu dans les quinze derniers jours, soit pendant la rétention administrative de l'intéressé : une absurdité !

En outre, l'obligation pour l'autorité administrative d'établir que la délivrance des documents de voyage interviendra à bref délai fait peser sur les services de l'État une charge de la preuve excessive. La directive Retour exige seulement une perspective raisonnable d'éloignement et des efforts raisonnables des autorités.

Afin de mettre fin à cette insécurité juridique et d'alléger la charge des services de l'État, notamment en matière d'escorte, l'article 3 fusionne les deux prolongations prévues par l'article L. 742-5 du Ceseda en une seule, de 30 jours. Les motifs de cette prolongation sont ceux de l'article L. 742-4, qui régit la deuxième prolongation de droit commun. Ces modifications valent aussi pour la dernière prolongation du régime dérogatoire, jusqu'à 210 jours.

Sans effet sur la durée maximale de la rétention administrative, cette mesure ne porte pas davantage atteinte aux droits des personnes retenues, qui peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment.

La commission est favorable aux amendements visant notamment la computation des délais du placement en rétention et les mentions devant figurer sur le procès-verbal dressé à l'issue de la retenue pour vérification du droit au séjour.

La commission des lois recommande l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Il y a six mois, Philippine était enlevée à sa famille, à ses amis, à son pays. Son assassin n'aurait pas dû être en liberté, mais les arcanes d'un droit des étrangers complexe l'ont hélas permis.

À Mulhouse, le mois dernier, un nouveau périple criminel a fait un mort et six blessés. Le profil schizophrénique de l'assassin avait pourtant été détecté en 2023 et il s'était vu notifier une OQTF, malheureusement jamais mise en oeuvre.

Lorsque notre droit ne protège plus nos compatriotes, il faut essayer de le changer. Les Français attendent de nous que nous prenions toutes les mesures utiles pour les protéger de la criminalité et de l'insécurité. Peut-être cette jeune fille de 19 ans a-t-elle payé de sa vie pour que, enfin, nous ouvrions les yeux.

La proposition de loi de Mme Eustache-Brinio participe de cette réaction réclamée par nos compatriotes. Nous devons même réfléchir à la possibilité d'aller plus loin dans les limites permises par le droit européen, pour les profils les plus dangereux.

Je confesse à cette tribune ne pas toujours avoir été sur cette ligne, mais il faut bien se rendre à l'évidence.

Le risque de récidive de crime sexuel est important. Lorsque je siégeais sur vos bancs, j'avais déposé une proposition de loi comprenant des dispositions similaires : elle a été largement approuvée en janvier 2024.

Le Gouvernement est tout à fait favorable à ce texte, et je me félicite que la commission en ait précisé la teneur et la portée, pour qu'elle réponde le plus précisément possible à l'exigence de sécurité qui doit nous guider.

Nous soutenons pleinement l'élargissement du texte au-delà d'un quantum de peine pour sanctionner tous les étrangers dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Nous soutenons aussi la distinction opérée entre ce quantum et les diverses mesures d'éloignement, également sanctionnées par l'élargissement de la rétention.

Cette rédaction présente l'avantage de prendre en considération tous les comportements particulièrement graves, y compris non pénalement constatés. Je pense aux étrangers que nous savons radicalisés, même s'ils n'ont pas commis d'infraction.

Vous donnez aux préfets une plus grande latitude dans l'appréciation et la documentation de la menace. Nous exigeons des préfets qu'ils obtiennent des résultats et faisons le choix de la subsidiarité. Le même principe doit guider notre action en matière d'immigration et de reconduite à la frontière.

Enfin, la commission a accru les chances de faire passer le texte sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Je sais que certains d'entre vous souhaitent une plus grande fermeté. Le Gouvernement est disposé à étudier l'opportunité de leurs amendements.

Notre mission est simple : rétablir l'ordre et garantir la sécurité. Nous assumons de faire évoluer le droit lorsqu'il ne protège plus nos concitoyens.

Depuis octobre dernier, 9 063 étrangers en situation irrégulière ont quitté le territoire, soit 6 % de plus que l'an dernier à la même période. Dans le même temps, nous avons réduit de 9 % la délivrance de premiers titres de séjour et de 10 % l'admission exceptionnelle au séjour.

Malheureusement, le risque zéro n'existe pas ; mais il est de notre devoir de réduire le risque autant que possible. En augmentant la durée de rétention, nous nous plaçons dans une situation plus favorable dans les discussions avec les pays d'origine.

Le Gouvernement est favorable à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°1 rectifiée de M. Chaillou et du groupe SER.

M. Patrick Kanner .  - « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » L'article 66 de notre Constitution est le fondement de cette exception d'irrecevabilité.

Il est des moments où notre devoir est de faire front contre les attaques visant, sous couvert de sécurité, à affaiblir les fondements de notre État de droit - à l'instar de ce texte, qui ouvre la porte à des dérives autoritaires et fragilise l'essence de notre République.

Il s'agit d'appliquer à des infractions de droit commun une durée de rétention jusqu'ici limitée à la matière terroriste, pouvant atteindre 210 jours. Or cette exception, fondée sur la sécurité nationale, est strictement encadrée, conformément à la Constitution et au droit européen.

L'extension du maintien en rétention pendant sept mois à des étrangers sous OQTF, qu'ils aient ou non commis des crimes ou des délits, porterait atteinte à l'un des principes les plus sacrés de notre État de droit : la proportionnalité. C'est peut-être la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous étiez hésitant en d'autres temps...

Vous prétendez transformer la rétention en une prison administrative, sans recours effectif ni garantie sérieuse, de surcroît dans des locaux et avec un personnel inadaptés. Un CRA n'est pas un Club Med ! Appliquer une durée de rétention aussi longue aux auteurs de faits non liés au terrorisme ou à des menaces graves pour l'ordre public, n'est-ce pas un retour aux heures les plus sombres de l'histoire française, lorsqu'on pensait que l'ordre pouvait primer la justice ? (M. Laurent Duplomb proteste.)

Pour nous, socialistes, certaines lignes rouges ne doivent pas être franchies. Notre attachement à la proportionnalité est constant : nous en avions déjà fait montre lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Mercier.

L'État de droit n'est pas un concept abstrait : il est le rempart contre l'arbitraire et les dérives autoritaires. Depuis la Révolution française, il assure à chaque citoyen une place égale devant la loi, indépendamment de son origine, de sa condition ou de ses opinions, qu'il soit Français ou étranger. Il est l'essence même de notre démocratie. Mais cette construction précieuse est aussi fragile.

L'adoption de ce texte nous ferait franchir un Rubicon : l'ordre et la sécurité étoufferaient les libertés, coeur battant de notre République.

De plus, elle entraînerait une surcharge de nos CRA, donc un ralentissement des procédures d'éloignement, déjà complexes et souvent lentes. Loin de renforcer la sécurité, ce texte pourrait ainsi finir par l'entraver, en rendant l'application de notre politique migratoire encore plus difficile.

Notre responsabilité de législateurs est de protéger les libertés publiques contre les éventuels abus du pouvoir exécutif. Nous n'avons pas à être les relais dociles d'ordres ministériels. Hélas, nos errances politiques et institutionnelles nous ont conduits dans une situation ubuesque : nous n'examinons plus des projets de loi, mais des propositions de loi fondées sur deux obsessions, la sécurité et l'immigration. Le recours systématique aux propositions de loi témoigne d'un parlementarisme dévoyé, dans lequel chaque ministre commande des textes à ses relais parlementaires, incapable de défendre de réelles initiatives au sein du Gouvernement.

Depuis plusieurs années, vous testez les limites de l'État de droit. M. Retailleau incarne la volonté de faire céder ce principe essentiel de notre démocratie. En plus de chercher à diviser la société, il invite trop régulièrement à une remise en cause de l'égalité devant la loi et veut introduire dans notre quotidien une logique d'exclusion. Pour lui, la protection des libertés et les règles de droit entravent les politiques publiques. Mais la liberté n'est pas un luxe à céder au profit d'une politique de sécurité sans balise !

L'équilibre fragile entre ordre et liberté, sur lequel repose notre République, ne saurait être sacrifié sur l'autel de la course à l'échalote entre MM. Wauquiez et Retailleau. (Protestations à droite)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Eh oui !

M. Roger Karoutchi.  - Il n'y a pas d'élections chez vous ?

M. Patrick Kanner.  - Ce texte contribue à un tournant idéologique : la pensée de la droite est structurée non plus par un cadre juridique solide, mais par des faits divers, souvent alimentés par une rhétorique populiste. (M. André Reichardt s'indigne.) Amorcé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce tournant s'aggrave de manière inquiétante.

Pour nous, l'État de droit est bien une notion intangible et sacrée. Montesquieu disait que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce que les lois permettent ». Cette liberté est aujourd'hui fragilisée par des coups de boutoirs législatifs répétés, qui menacent la base même de notre pacte républicain. C'est une menace directe contre la démocratie.

Résistons au vent de l'autoritarisme ! Si cette motion n'était pas adoptée et que la proposition de loi était adoptée, nous n'aurions d'autre choix que de saisir le Conseil constitutionnel sur les fondements que je viens de vous exposer. (Applaudissements à gauche)

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis défavorable. Je comprends que vous soyez en désaccord avec le texte de loi, mais il est regrettable que vous vous abritiez derrière le Conseil constitutionnel, à qui vous faites dire bien des choses. Nous débattrons de son extension, mais le régime dérogatoire a été jugé conforme à la Constitution.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis défavorable : nous souhaitons que le débat ait lieu sur ce texte. Les affaires récentes soulèvent plusieurs questions : est-il normal de ne pas pouvoir renvoyer un étranger en situation irrégulière parce que son pays ne l'accepte pas ? De devoir le remettre en liberté alors qu'il risque de commettre un crime ?

M. André Reichardt.  - C'est scandaleux !

M. François-Noël Buffet, ministre.  - La semaine dernière, dans le cadre du projet de règlement Retour, la Commission européenne a proposé d'étendre la durée de rétention de dix-huit à vingt-quatre mois : preuve que la prise de conscience est européenne.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Le groupe SER votera évidemment cette motion. Le ministre s'abrite derrière le règlement Retour, mais nous avons une Constitution. Or, examinant la loi Besson, le Conseil constitutionnel a rejeté la prolongation excessive de rétention. Vous faites preuve d'une grande désinvolture vis-à-vis de la Constitution, dans le seul but de satisfaire les ambitions de votre ancien président de groupe. Mais nous ne lâcherons rien ! Nous ne vous laisserons pas dériver vers l'extrême droite. (Protestations à droite) En réalité, vous allez au-delà même de ce que l'extrême droite demande ! Nous continuerons de dénoncer cette dérive.

M. Roger Karoutchi.  - Et LFI ?

Mme Catherine Di Folco.  - Notre objectif est de sécuriser l'éloignement des profils les plus menaçants.

Dans sa décision du 6 septembre 2018, le Conseil constitutionnel indique que les atteintes à la liberté individuelle doivent être adaptées, proportionnées et nécessaires.

C'est bien le cas dans ce texte, puisque nous visons les individus faisant peser une menace particulière sur l'ordre public, garantissons l'intervention régulière du juge et que la durée maximale de rétention demeure inchangée. Il n'y a donc aucune méconnaissance des exigences constitutionnelles. Le Parlement n'a pas à s'autocensurer en voyant des inconstitutionnalités là où elles n'existent pas !

M. Guy Benarroche.  - Nous voterons la motion. Cette proposition de loi favorise l'arbitraire. Nous ne comprenons pas comment une décision administrative peut placer en rétention, dans un local inadapté, des personnes qui n'ont pas été condamnées ou qui ne le sont plus.

On comprendrait mieux des propositions sur les sorties sèches et les moyens d'éviter la récidive, sachant que 70 % des récidives concernent des personnes ayant fait l'objet de sorties sèches.

D'autres propositions de loi viendront, sur le droit de vote des détenus ou sur les délinquants mineurs - une débauche de textes, qui résulte de l'accord Bayrou-Retailleau, à savoir « open bar » pour les propositions de loi, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État.

Mme Dominique Vérien.  - Notre groupe ne votera pas cette motion. Nous ne parlons pas de faits divers mais de crimes. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Nous ne souhaitons pas laisser en liberté ces personnes coupables de crimes ou de graves délits - et le pays qui refuse de les reprendre non plus... Débattons de ce texte, et votons-le. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.)

Mme Silvana Silvani.  - Nous voterons cette motion. L'inflation de la durée de rétention est inconstitutionnelle. Vous abîmez l'État de droit pour répondre à l'extrême droite par des mesures inefficaces et inefficientes.

La clé, c'est le laissez-passer consulaire. Pour cela, il ne suffit pas de s'agiter pour remporter la présidence d'un parti politique (protestations sur les travées du groupe Les Républicains), il faut faire de la diplomatie. Il faut que les laissez-passer soient reçus le plus rapidement possible, pour que la rétention soit la plus courte possible. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) alerte sur les conditions indignes de détention. Nos policiers et gardiens de prison ne sont pas formés ni accompagnés pour ces nouvelles tâches. Nous ne voterons pas ce texte inconstitutionnel et inefficace.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Quelques précisions sur la proportionnalité de la décision et le risque d'inconstitutionnalité. La rétention est administrative : le retenu peut être remis en liberté à n'importe quel moment s'il décide de rentrer dans son pays ; il peut également saisir le juge.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Comme en détention.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - La grande différence, c'est la liberté pour le détenu de rentrer dans son pays à tout moment.

M. André Reichardt.  - Mais il n'en a pas envie...

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Cela induit la proportionnalité et donc le fait que ce n'est pas inconstitutionnel.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cela n'a rien à voir !

La motion n°1 rectifiée n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre groupe est profondément opposé à ce texte. Les mesures dérogatoires et attentatoires aux libertés se pérennisent et s'étendent, avec un effet cliquet. Cette proposition de loi a été rédigée en réaction à la mort de Philippine, en septembre 2024. Contextualiser une loi est une chose, mais la frontière en l'espèce est ténue entre opportunité et opportunisme.

Ce texte nous interroge sur la sortie sèche des délinquants. Nous souhaitons lutter contre la récidive, sachant que près de 63 % des détenus sortis sans accompagnement récidivent dans les cinq ans. La réinsertion est nécessaire pour neutraliser les individus dangereux.

Cet allongement des délais avait été intégré dans la proposition de loi sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), puis supprimée en séance publique, le Gouvernement ayant prévu d'y revenir dans un autre texte.

Nous l'avons compris, ce texte résulte de l'accord Bayrou-Retailleau, qui lui permet de survivre dans ce Gouvernement. Il traduit une confusion entre rétention administrative et détention. La rétention est détournée, instrumentalisée de façon politicienne. Ni le lieu ni le personnel ne sont adaptés pour fonctionner comme une prison.

Vous vous acharnez contre les étrangers, souvent précaires, vus comme des délinquants. Il faut sortir du cercle infernal du continuum de l'enfermement dont ils sont victimes.

Nous condamnons cette dérive sécuritaire et autoritariste.

Pas de confusion : notre groupe est réservé sur la rétention, pas sur l'éloignement. La rétention est utilisée comme peine complémentaire.

Il manque un avis du Conseil d'État sur l'effectivité de la mesure. De l'aveu même de la rapporteure, cet allongement n'a pas d'effet sur l'éloignement : 81 % des éloignements ont lieu dans les 45 premiers jours, sans attendre le 90e...

Notre groupe n'a de cesse de le répéter : c'est un sujet diplomatique - l'actualité le démontre. Pourquoi attendre le placement en CRA pour s'atteler à obtenir le laissez-passer consulaire ?

Cette proposition de loi ne permettra pas d'atteindre les objectifs fixés par ses auteurs. L'atteinte aux libertés fondamentales est disproportionnée et inefficace. Notre groupe votera contre ce texte inutile et dangereux. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Christophe Chaillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi permettra de retenir un étranger jusqu'à 210 jours. C'est une réaction au meurtre abject d'une jeune fille, qui nous a tous bouleversés.

Nous devons nous interroger sur les dysfonctionnements qui ont entouré cette affaire. L'OQTF avait été prise seulement deux jours avant la sortie de prison du criminel. Il ne faut pas céder à l'émotion, si légitime soit-elle, mais faire preuve de discernement. Ce drame n'exigeait pas de voter une loi spécifique.

Le cadre juridique du placement des étrangers en rétention administrative a évolué au regard de la menace terroriste. La loi Besson de 2011 a étendu la rétention jusqu'à 180 jours pour les auteurs d'actes terroristes ou visés par une décision d'expulsion ; la loi Collomb l'a portée à 210 jours. Les moyens alloués à la détention ont été renforcés, notamment par le plan CRA, qui prévoit l'ouverture de 3 000 nouvelles places d'ici à 2027.

La majorité sénatoriale avait déjà tenté d'étendre ce dispositif - la proposition a été supprimée en séance.

Patrick Kanner l'a dit, cette proposition de loi s'inscrit dans une surenchère obsessionnelle sur l'immigration et la sécurité menée par la majorité sénatoriale, encouragée par certains ministres, notamment ceux engagés dans la course pour 2027.

Le ministre de l'intérieur souhaite porter la durée maximale de rétention à dix-huit mois. Pas d'étude d'impact, pas de chiffres : ce texte n'est pas sérieux, il est juridiquement fragile, il sera donc inefficace.

Il s'éloigne des principes de la rétention administrative, à savoir l'éloignement rapide des personnes concernées et non leur maintien dans des CRA, qui ne sont pas des prisons. Le temps disponible doit être mis à profit pour préparer l'éloignement. Dans l'affaire qui a suscité ce texte, l'administration disposait d'assez de temps mais n'a pas engagé les démarches en temps voulu, et des erreurs de transmission ont encore ralenti la demande.

Ce texte, au lieu d'améliorer les procédures d'éloignement, opte pour la privation de liberté prolongée. Pour certains, la solution serait la rétention à perpétuité ! Si les pays refusent d'accueillir leurs ressortissants sur leur sol, il nous faudrait les garder ad vitam aeternam en rétention ?

La privation de liberté doit rester l'exception et être justifiée par une nécessité impérieuse. Or en allongeant la durée à 210 jours, ce texte crée un régime de privation de liberté qui contrevient à l'article 66 de la Constitution sur l'autorité judiciaire. Plutôt que de renforcer les effectifs chargés du traitement de dossier, on choisit d'enfermer plus longtemps, au mépris des droits fondamentaux.

Ce texte est fragile juridiquement, car il remet en cause le principe de proportionnalité entre préservation de l'ordre public et sauvegarde des libertés fondamentales.

Nous serons vigilants sur les propositions qui ne manqueront pas d'attirer l'attention du juge constitutionnel.

La rapporteure a amendé le texte pour autoriser le placement à 210 jours d'un étranger dont le comportement représenterait une menace d'une particulière gravité. Cette décision n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi.

Or nous ne disposons pas de données objectives - nombre d'éloignements effectifs, délais dans lesquels ils ont été réalisés... Ce n'est pas sérieux. Vous ne proposez aucune solution concrète, alors que des défaillances ont été pointées.

L'allongement de la durée de rétention aura un impact direct sur les contentieux du droit des étrangers. Depuis l'installation d'un CRA à Olivet, le tribunal d'Orléans constate une explosion des recours.

Ce n'est pas en allongeant la durée de rétention administrative que nous éloignerons plus facilement.

L'émotion ne doit pas nous faire renoncer à certains principes. Ressaisissez-vous, sortez de cette course mortifère avec l'extrême droite ! (On s'en agace à droite ; applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Stéphane Ravier .  - Ce texte aura tout mon soutien, et pour cause : j'ai déposé un amendement en ce sens sur le projet de loi Immigration, auquel vous aviez émis un avis défavorable.

M. Guy Benarroche.  - La perpétuité !

M. Stéphane Ravier.  - Ce texte me pose trois problèmes. D'abord, celui de la sincérité politique : à quel Bruno Retailleau ai-je l'honneur de m'adresser aujourd'hui ? Au sénateur qui a rendu inexpulsable l'influenceur Doualemn par son amendement à la loi Immigration ? Au ministre, qui se plaint de ne pas pouvoir l'expulser ?

Et je n'évoque pas l'incohérence de votre famille politique : vos députés européens ont voté la directive Retour en 2008, donnant une base légale à la CJUE pour interdire des sanctions pénales à l'encontre des clandestins en 2011, conduisant Manuel Valls à supprimer le délit de séjour irrégulier en 2012. Cette directive a aussi servi de fondement pour interdire en 2023 le refoulement systématique d'un étranger entré irrégulièrement en France, rendant obsolètes les contrôles aux frontières. Elle a également rendu la rétention obsolète au bénéfice de l'éloignement, principe invoqué par le juge des libertés et de la détention pour autoriser la sortie de rétention du meurtrier de Philippine. À gauche, on évoque le coeur battant de la République ; le coeur de Philippine, lui, ne bat plus.

Deuxième problème, le sous-dimensionnement des moyens. Il y a eu 140 000 OQTF prononcées en 2024, or il y a entre 600 000 et 900 000 clandestins en France actuellement. Entre 2019 et 2022, 5 % des OQTF sont passés en CRA. Il faudrait multiplier par sept le nombre de places, c'est intenable.

Troisième problème : le texte sera anecdotique si vous ne remettez pas en cause le sans-frontiérisme. La première des rétentions, c'est la frontière. Or vous ne remettez pas en cause le pacte sur la migration et l'asile, l'espace Schengen ou la faiblesse de Frontex. Un détenu en CRA coûte 700 euros par jour, soit le salaire mensuel de nombre d'agriculteurs. Si la rétention est un mal nécessaire, elle doit être rendue inutile à long terme par une politique de maîtrise des flux migratoires.

M. Louis Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Ce texte est un jalon important du débat sur l'éloignement des étrangers. Il nous invite à interroger certaines lectures du Ceseda.

Il s'agit d'allonger la durée de rétention d'un étranger en situation irrégulière à 210 jours, notamment ceux qui sont dangereux.

Nous ne devons pas nous habituer aux tragédies relayées dans l'actualité. Certains étrangers sont connus de la police et de la justice pour avoir fait l'objet de condamnations ou de décisions d'OQTF.

Ce texte constitue une avancée. Je salue l'auteure Jacqueline Eustache-Brinio et la rapporteure Lauriane Josende.

Un étranger ne peut être retenu au-delà de 90 jours, même si aucune solution n'a été trouvée. Or la réception des laissez-passer a lieu en moyenne après 90 jours. Cette réforme est donc tout à fait utile. Elle ne remet pas en cause le droit des personnes retenues : les étrangers concernés pourront toujours, à tout moment, saisir la justice, et ils ont accès à un avocat.

Dans un État de droit, il est préférable de ne pas recourir à la rétention administrative, mais c'est parfois le seul moyen de faire respecter la loi. C'est l'application pure et simple du principe de proportionnalité.

Cette proposition de loi ne résoudra pas tout. Une OQTF et un retrait de carte de résident constituent deux procédures distinctes ; il faut unifier les procédures. Le garde des sceaux souhaite supprimer l'avis de la commission départementale : cela devrait relever de la loi et non du règlement. Demeure pendante également la question du nombre de places supplémentaires dans les CRA.

Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'examen de ce texte est capital : son impératif est la sécurité des Français.

Il s'inscrit dans la volonté d'assurer la protection de nos concitoyens face à des ressortissants étrangers dont les actes ont démontré qu'ils ne méritent plus de vivre parmi nous en toute liberté.

M. Jacques Grosperrin.  - Très bien !

M. Stéphane Le Rudulier.  - Sans sécurité, pas de liberté, pas de prospérité.

Chaque jour, des crimes violents affectent des familles entières. Il est temps d'admettre que certaines personnes qui sont une menace réelle et imminente pour notre société ne peuvent plus bénéficier de la confiance que notre système judiciaire accorde par principe à toute personne condamnée.

La justice n'est pas une simple question de réinsertion ou de réhabilitation, mais de préservation de l'ordre public. Ce ne sont pas des droits automatiques ; ils doivent être des privilèges, mesurés à l'aune du repentir de l'individu. (On proteste à gauche.) La liberté doit se mériter et non se concéder aveuglément.

Le législateur doit mettre en oeuvre tout dispositif prolongeant la rétention administrative de ceux qui n'ont pas montré de signes de changement. Le contraire procède d'une vision idéologique, déconnectée de la vie des citoyens.

Il s'agit de trouver le bon équilibre entre la protection des droits des étrangers et la sécurité des citoyens.

La justice doit être pragmatique et réaliste : la liberté d'un individu ne saurait l'emporter sur la sécurité collective, dès lors que sa libération met la vie d'autrui en péril.

Cette proposition de loi n'est pas contre les étrangers mais pour la société, pour protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Teva Rohfritsch .  - À mon tour, je souhaite un bon rétablissement à Jacqueline Eustache-Brinio. Dans certaines circonstances, il nous faut dépasser nos clivages partisans. La sécurité des Français est une exigence fondamentale de la République. Quand elle est malmenée, il ne faut jamais tergiverser.

Malgré les efforts déjà engagés, nous devons combler ces failles et ne pas accepter d'être surpris par nos propres lacunes.

Il faut agir avec pragmatisme, proportionnalité, humanité et dignité, mais aussi avec fermeté. Il y va de la confiance en nos institutions et de la cohésion de nos territoires.

Cette proposition de loi étend la durée maximale de rétention de certains profils à la dangerosité avérée. Il aligne les dispositions sur ce qui est valable pour les personnes ayant commis des actes terroristes. Ensuite, il suspend l'effet suspensif au recours contre la fin de rétention afin d'éviter des libérations prématurées en cas d'appel. Enfin, il modifie le séquençage des prolongations de la rétention administrative de droit commun, en une période de trente jours après la deuxième prolongation. Cela vise à limiter les potentielles erreurs d'appréciation, comme ce fut le cas dans l'affaire Philippine. C'est un gage envoyé à ceux qui enfreindraient la loi.

Ce n'est pas un débat idéologique, mais une mesure pragmatique. Il s'agit d'une mesure de sûreté. Le contrôle du juge apporte des garanties strictes. Le maintien en rétention administrative ne saurait être la seule solution face au blocage administratif.

Face aux drames de sang, l'incompréhension est forte et l'émoi terrible. Bien sûr, il nous faut rester vigilants, la justice ne doit se nourrir d'aucun excès.

L'exigence appelle à mieux articuler les moyens mis à disposition des préfectures. Sans opposer fermeté et humanisme, il faut garantir l'effectivité des décisions de justice et préserver la première des libertés, celle de vivre en sécurité.

La proposition de loi vise à nous doter d'un outil proportionné et rigoureux. La France est une terre d'accueil, une nation régie par des droits, des règles et des devoirs, un État de droit qui garantit la sécurité des Français, de ceux qui visitent la France où s'y réfugient. Pour toujours mieux protéger nos citoyens et préserver la cohésion républicaine, nous voterons cette proposition de loi.

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi prolonge la durée de rétention administrative pour les auteurs de certaines infractions. Notre groupe est attaché à l'objectif d'assurer à tous une sécurité indispensable. Il faut écarter de nos rues les individus dangereux.

Dans cette quête, il y a de nombreux écueils. L'honneur d'une démocratie réside dans sa manière de faire respecter les droits et libertés.

La rétention administrative a pour objet d'aboutir à l'éloignement de l'intéressé et non de le punir, selon le Conseil constitutionnel.

La loi Immigration de 2011 a soumis les étrangers condamnés à une rétention administrative particulière, qui peut être étendue à 210 jours, en raison de leur dangerosité.

La prolongation ne peut avoir lieu que si l'éloignement constitue une perspective raisonnable.

La procédure pourrait relever plutôt du droit pénal que du droit des étrangers.

Il faudrait se garder de transformer la rétention administrative en une deuxième peine.

La proposition de loi, modifiée par la commission des lois, étend ce régime dérogatoire à toute personne condamnée à une interdiction du territoire français, une OQTF prononcée pour une infraction punie de cinq ans ou plus, pour apologie du terrorisme ou toute personne constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Quels seront les effets d'une telle mesure sur l'éloignement ? Selon les chiffres, le nombre d'éloignements est important au début du placement en rétention.

De plus, il s'agit d'un sujet diplomatique, comme le montre l'actualité récente.

Le droit commun s'aligne davantage encore sur un régime d'exception.

Le groupe RDSE, encore partagé, prendra sa décision après les débats. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comment ne pas penser au meurtre de Philippine ? Ce drame a indigné nombre de nos concitoyens et a montré les limites de nos procédures. L'excuse de minorité lors de son premier procès pour vol était-elle pertinente ? Pourquoi n'a-t-il pas exécuté l'intégralité de sa peine ? Comment le juge a-t-il pu autoriser sa remise en liberté avant la fin du délai de 90 jours ? C'est une faillite à bien des niveaux avec des conséquences dramatiques. C'est pourquoi la délégation aux droits des femmes et la commission des lois ont lancé une mission conjointe de contrôle sur la récidive du viol.

Le texte présente quelques solutions - j'en remercie Jacqueline Eustache-Brinio. Dès octobre 2024, le Sénat avait proposé des solutions en ce sens à l'initiative de Muriel Jourda, présidente de la commission des lois.

En allongeant la durée de rétention, ce texte donne plus de temps pour exécuter les OQTF et empêcher une libération par défaut. La rapporteure a visé les cas les plus graves. L'article 2, qui permet de maintenir en rétention avant une nouvelle procédure, en cas d'appel du préfet, est pertinent, pour éviter une libération prématurée. Le calendrier des prolongations est clarifié, la charge administrative est allégée et la sollicitation des forces de l'ordre est réduite.

Il serait pertinent que le service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) transmette systématiquement son analyse au juge. Dans le cas du meurtrier de Philippine, il n'avait pas été interrogé. C'est un aspect réglementaire.

Si ce texte va dans le bon sens, il serait dangereux de nous en satisfaire. L'allongement de ces délais ne doit pas être une fuite en avant et ne remplace pas une vraie politique ambitieuse sur le sujet. Ces rétentions de longue durée ne doivent pas devenir la norme, mais l'exception. La priorité doit être l'exécution effective de ces expulsions.

La capacité d'accueil de nos CRA est un aspect à prendre en compte. Près de 47 000 personnes ont fait l'objet d'une décision de rétention administrative en 2023, dont 28 000 à Mayotte, avec une durée de rétention moyenne de 28,5 jours. L'allongement de la durée n'est rien sans de nouvelles places, cela risque même d'être contreproductif.

Le Gouvernement doit convaincre certains pays qui refusent d'accueillir leurs ressortissants.

Ce prolongement n'est qu'une partie de la réponse, mais le groupe UC le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Ian Brossat .  - Si l'on pouvait résumer l'esprit de la proposition de loi en un mot, ce serait : surenchère. On constate l'inflation normative des textes relatifs à l'immigration à notre ordre du jour : à chaque jour son texte sur l'immigration - aujourd'hui c'est même deux, après l'Algérie, les mariages blancs, etc.

Surenchère, encore, car il s'agit ici d'allonger la durée de rétention en CRA. Les personnes qui y sont retenues, rappelons-le, ont déjà purgé leurs peines. Comme si l'immigration était le seul sujet digne d'intérêt dans notre assemblée...

En 1981, la durée de rétention maximale était de 7 jours, puis 45 en 2011, 90 en 2018, et maintenant il s'agirait de passer à 210 jours. Et voilà que Bruno Retailleau propose 18 mois, alors que la proposition n'a pas encore été adoptée, petits bras !

Surenchère, enfin, car cette politique a un coût : 1,8 milliard d'euros chaque année et 602 euros par jour par personne retenue.

Il est paradoxal de voir les tenants de la baisse de la dépense publique considérer qu'en matière d'immigration, toutes les dépenses sont permises.

La reconduite à la frontière nécessite la délivrance d'un laissez-passer consulaire. Selon la Cour des comptes, 58 % des libérations en CRA, avant éloignement, résultent d'une impasse dans la délivrance des laissez-passer consulaires.

L'assassin de Philippine n'est pas allé au bout des 90 jours en CRA, il a été libéré au bout de 75 jours : l'allongement n'aurait rien changé à ce drame.

Ce texte ne vise qu'à répondre à l'opinion. C'est un texte CNews, il ne vise qu'à donner l'illusion qu'on agit, d'accréditer que la France est laxiste en matière d'immigration.

Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Combien de drames ? Combien de victimes ? Combien de Philippine et de Lola avant que nous décidions de mesures fortes et nécessaires ? Tel est le contexte de l'examen de cette proposition de loi, claire, nécessaire et équilibrée. Ce n'est pas une réforme idéologique, c'est une réponse pragmatique.

Nous avons le devoir d'agir : actuellement un cadre strict est prévu pour les personnes condamnées à des actes de terrorisme. Mais il faut l'élargir et l'étendre aux individus les plus dangereux.

Cette extension est nécessaire car les auteurs de violences sexuelles, les tueurs en série et les chefs de réseaux criminels ont des profils à haut risque de récidive.

Une étude de l'Insee relative à l'ensemble des personnes condamnées pour des crimes et délits nous donne l'ampleur du phénomène : 178 criminels et 70 000 délinquants étaient en récidive légale en 2019, c'est-à-dire 43,1 % des personnes condamnées à de la prison ferme. Les chiffres ne mentent pas : la France est face à un problème inquiétant et lancinant qui met à mal notre société et la justice.

À l'heure où nous parlons, un meurtrier ou un pédocriminel condamné ne peut être maintenu en rétention après sa peine. En 2023, plus de 45 000 personnes faisant l'objet d'une OQTF ont été placées en CRA. Le taux de retour forcé a péniblement atteint 42,3 %. Ainsi, plus de 25 000 personnes faisant l'objet d'une OQTF et parfois de condamnations pénales se retrouvent libres sur notre territoire. Il n'est plus possible de tolérer une telle réalité. Chaque récidive est un échec collectif, un signal d'alarme qui nous rappelle qu'il faut agir.

Ce texte ne remet pas en cause nos principes fondamentaux. Il s'agit d'une mesure de précaution, proportionnée à la menace.

En votant cette proposition de loi, nous affirmons notre volonté de défendre nos concitoyens par une réponse proportionnée (murmures à gauche) et responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Do Aeschlimann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les drames impliquant des personnes en situation irrégulière ou sous OQTF se multiplient et suscitent l'indignation de nos concitoyens. Le meurtre de Philippine en septembre 2024 a été commis par un individu dont la rétention n'avait pas été prolongée. Lino Sousa Loureiro, un homme de 69 ans, a été assassiné après s'être interposé face à un assaillant fiché pour terrorisme et sous OQTF.

Je salue le courage de Bruno Retailleau et lui fais part de notre soutien dans le bras de fer engagé avec l'Algérie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

C'est un combat que la majorité sénatoriale mène avec constance, par exemple en votant votre proposition de loi, monsieur le ministre, instituant la rétention de sûreté pour les condamnés terroristes.

J'avais défendu alors un amendement permettant de lever les protections pour les étrangers en situation irrégulière auteurs de faits de violence, notamment à l'encontre des élus, des policiers, des pompiers, des soignants, des magistrats, des avocats ou des enseignants.

Je salue l'auteure de la proposition de loi, Mme Eustache-Brinio, qui nous écoute.

Ce texte allonge le délai de rétention des étrangers condamnés pour infractions sexuelles, violences graves ou crimes organisés. Le délai de rétention passera à 180 jours. Les administrations auront le temps nécessaire pour mettre hors d'état de nuire les individus les plus menaçants. C'est une mesure raisonnable et conforme à la directive Retour.

Je salue le travail de Lauriane Josende qui a renforcé ce texte. La commission des lois a simplifié les conditions de prolongation de la rétention. Comme souvent, le droit français avait surtransposé.

Avec cette proposition de loi de bon sens, nous faisons un premier pas pour lutter contre le laxisme. Voter ce texte, c'est agir pour la sécurité de tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois.  - Quelques mots sur l'État de droit, dont on a beaucoup parlé. Il nous protège contre l'arbitraire de l'État ; mais, à mes yeux, son premier rôle est de stopper la loi du plus fort. Aujourd'hui, la loi du plus fort, c'est celle des délinquants !

M. Pierre Jean Rochette.  - Exactement !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission.  - Monsieur Benarroche, les étrangers représentent 8 % de la population générale et 25 % de la population carcérale. C'est un fait. Vous aurez du mal à expliquer à vos concitoyens que retenir des gens dangereux contreviendrait à l'État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche.  - La justice ne sert à rien ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est une détention arbitraire ! C'est contraire à la Constitution.

Discussion des articles

Avant l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°6 de M. Chaillou et du groupe SER.

M. Christophe Chaillou.  - Pourquoi placer en rétention pendant sept mois les étrangers qui ont été en détention, donc déjà privés de liberté, et qui doivent être expulsés du territoire une fois leur peine purgée ?

La question qui devrait être au coeur de notre débat, c'est comment tirer profit de cette période d'incarcération pour préparer l'éloignement, avec un objectif simple : éloigner dès la sortie de prison, sans passage par la rétention.

Cette proposition de loi nous prive d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État. Pourtant, il serait utile de disposer de données. Combien de temps avant la sortie de prison les laissez-passer consulaires sont-ils sollicités ? Ce qui n'a pas été fait pendant les derniers temps de la détention sera fait pendant la rétention ; et donc de rallonger sans cesse sa durée. Nous demandons que toutes les données utiles soient communiquées au Parlement.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis défavorable à cette demande de rapport, à laquelle la commission est défavorable par principe.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Votre demande est satisfaite par le droit positif. Retrait, sinon avis défavorable.

Le Ceseda dispose déjà qu'un rapport annuel soit remis au Parlement. De plus, le ministère de l'intérieur publie deux fois par an les chiffres clés de l'immigration : demandes d'asile enregistrées, accès à la nationalité française notamment. Enfin, autre arme absolue, la capacité de contrôle du Parlement par le biais de missions d'information.

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°5 de M. Chaillou et du groupe SER.

M. Christophe Chaillou.  - Le sujet de l'éloignement des étrangers devrait être traité en amont. Ce texte fait un autre choix, et se focalise sur la rétention administrative, la toute dernière phase. Pourquoi ne pas envisager une détention indéfinie ? En 1981, la durée maximale de rétention était de 7 jours. Puis 10 jours en 1993, 32 en 2003, 45 en 2011 et 90 jours en 2018 - et même 210 jours en matière terroriste.

Pour quel bilan ? Au regard du taux d'éloignement, cet allongement n'a pas atteint son objectif. C'est une véritable obsession qui vous fait perdre de vue la raison d'être de cette rétention administrative. Les personnels des CRA travaillent déjà dans des conditions difficiles. C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. le président.  - Amendement identique n°10 de M. Benarroche et alii.

M. Guy Benarroche.  - La rétention administrative est de plus en plus assimilée à la détention carcérale. C'est à la seconde de protéger la société des personnes dangereuses puis d'assurer leur réinsertion. Notre groupe partage l'objectif de limiter la récidive, mais cette lutte ne peut être un prétexte pour multiplier les mesures répressives à l'égard des étrangers.

Nous avons déjà rappelé l'inefficacité de cette mesure. La rétention administrative nourrit toujours plus l'amalgame entre les personnes étrangères et les délinquants. Le taux élevé de libérations par les juges judiciaires témoigne de l'illégalité de certaines pratiques préfectorales. Sans aucune analyse sur cette mesure, notre groupe s'oppose à cet allongement.

M. le président.  - Amendement identique n°13 rectifié bis de Mme Briante Guillemont et alii.

M. Michel Masset.  - Quelque 81 % des éloignements ont lieu dans les 45 premiers jours de la rétention, et 8 % au cours de prolongations exceptionnelles, soit au-delà des 60 jours. Allonger la rétention n'éloignera pas davantage de personnes.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis défavorable. Il ne s'agit pas de sanctionner les intéressés, mais de favoriser leur éloignement. Or pour les profils les plus lourds, cela prend du temps.

Une part non négligeable des éloignements a lieu entre 60 et 90 jours, et pour les profils relevant du régime dérogatoire, plus de la moitié des éloignements ont lieu après 90 jours.

L'objet de l'amendement de Sophie Briante Guillemont évoque le cas du meurtrier de Philippine. Il nous semble qu'au contraire il justifie la mesure d'allongement du délai. Le meilleur moyen de lutter contre la récidive est l'éloignement, ce qui est le but de cet article.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Il faut éloigner dès la détention sans passer par un CRA, expose M. Chaillou : l'idée est juste. Mais des obstacles administratifs demeurent. La coopération des pays sources est perfectible. Plusieurs délais existent pour obtenir les laissez-passer consulaires ; parfois le greffe a fait la démarche, mais l'on n'obtient pas le laissez-passer à la fin de la détention.

Avis défavorable à ces amendements.

Les amendements identiques nos5, 10 et 13 rectifié bis ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié bis de M. Reichardt et alii.

M. André Reichardt.  - Cet amendement étend l'application du régime dérogatoire de rétention aux étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement édictée pour un comportement lié à des activités terroristes, et non plus seulement à ceux qui font l'objet d'une décision d'expulsion.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Voilà une modification utile. Le Ceseda ne mentionne que les mesures d'expulsion. Il faut prendre en compte les autres motifs d'éloignement. Pour ces raisons, avis très favorable de la commission.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis favorable. Néanmoins, des ajustements seront nécessaires au cours de la navette.

Tout d'abord, pour les terroristes, il ne faut pas distinguer les types d'éloignement - expulsion ou OQTF. Mais les décisions d'éloignement ne sont qu'exceptionnellement prévues en raison d'un comportement particulier d'un individu. Dans la grande majorité des cas, les OQTF résultent du constat de l'irrégularité du séjour sur le territoire national ou européen.

L'inclusion des OQTF prises à la suite d'un refus ou d'un retrait du titre de séjour prend toute sa mesure dans les actes d'apologie du terrorisme ; les mesures d'éloignement peuvent être plus faciles à appliquer que de réunir les éléments justifiant une mesure d'expulsion.

Le Gouvernement souhaite que, dans la suite de la navette, nous revenions sur cette disposition, afin de bien cibler toutes les personnes concernées.

L'amendement n°7 rectifié bis est adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 de M. Szczurek et alii.

M. Christopher Szczurek.  - Le lien entre insécurité et immigration n'est plus à prouver ; 25 % des détenus sont étrangers. Nous souhaitons étendre le dispositif aux étrangers condamnés à des crimes ou délits punis de trois ans ou plus d'emprisonnement.

Ces étrangers doivent être immédiatement renvoyés chez eux.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Nous avons beaucoup parlé de proportionnalité et d'équilibre. Les délits punis de trois ans ne sont pas suffisamment graves pour justifier l'application d'un régime dérogatoire aujourd'hui réservé aux personnes condamnées pour terrorisme. Avis défavorable.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Même avis. Ce serait disproportionné.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°11 de M. Benarroche et alii.

M. Guy Benarroche.  - Cet amendement s'oppose au caractère suspensif de l'appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) de lever la décision de placement en CRA.

Ces longues périodes en CRA contribuent à la dégradation de la santé des personnes enfermées, à une hausse des tensions en CRA et à une saturation des juridictions.

De plus, la rétention administrative est utilisée abusivement par les préfets comme outil de gestion de la politique sécuritaire. Cet empiétement du pouvoir administratif sur le pouvoir judiciaire va à l'encontre du principe d'indépendance de ce dernier. Au vu de la multiplication des rétentions administratives, sans efficacité sur l'éloignement, nous nous opposons à cette mesure.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis défavorable. Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous ne portons nullement atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis défavorable. La mesure ne concerne que les individus jugés dangereux, ne court que pour 72 heures et maintient la procédure d'appel. Le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé en 1997 sur ce point et avait admis le principe suivant : le but visé est de tenir la personne à disposition de la justice, pour qu'elle soit présente à l'audience. Rien de nouveau.

Par ailleurs, il faut mettre en parallèle ce texte avec les dispositions du Ceseda issues de la loi Immigration sur l'appel suspensif.

L'article 2 est parfaitement fondé.

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 de M. Szczurek et alii.

L'amendement n°3 est retiré.

L'article 2 est adopté.

Article 3

M. le président.  - Amendement n°12 de M. Benarroche et alii.

M. Guy Benarroche.  - Par cet amendement, nous déplorons l'affaiblissement des services publics, d'autant plus quand il sert à restreindre les libertés fondamentales et l'accès au juge.

Le nombre d'escortes et de rotations exigées des forces de l'ordre devient compliqué à gérer, mais le manque d'investissements dans la fonction publique ne peut justifier de limiter l'accès au juge. Les citoyens seront de plus en plus éloignés de la justice.

Nous nous opposons à la fusion des prolongations.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Les prolongations prévues sont extrêmement brèves - 15 jours - et suscitent des présentations au juge fréquentes, comme le montre l'affaire du meurtre de Philippine.

Une unique prolongation de 30 jours n'est pas excessive, elle correspond à la deuxième prolongation de droit commun. C'est une mesure de simplification. Avis défavorable.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis évidemment défavorable. Cet article rationalise les prolongations de la rétention, en harmonisant les durées. Cette fusion supprime une saisine systématique du juge au 75e jour, évitant les escortes inutiles.

En outre, le retenu peut à tout moment saisir le juge.

L'amendement n°12 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4 de M. Szczurek et alii.

M. Christopher Szczurek.  - Le droit européen permet d'étendre les délais de rétention administrative, surtout pour les individus dangereux. Pour une fois que le droit européen va dans le bon sens ! Nous proposons d'étendre la rétention de droit commun à 182 jours, soit la durée maximale prévue par le droit européen, et, pour les cas exceptionnels, à 380 jours.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis défavorable. La commission n'a pas souhaité modifier la durée de rétention administrative de droit commun.

Nous en avons suffisamment discuté. Nous ne souhaitons pas aller au-delà de 210 jours. Peut-être reprendrons-nous ces discussions lors de la transposition de nouvelles règles européennes, puisque la Commission européenne réfléchit à étendre ce régime à 24 mois.

La capacité d'accueil des CRA est aussi en question. (M. Guy Benarroche ironise.)

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Après l'article 3

M. le président.  - Amendement n°9 de Mme Di Folco.

Mme Catherine Di Folco.  - C'est un amendement de clarification qui facilite la computation des délais pour le placement en rétention et en zone d'attente. La Cour de cassation établit que le jour de placement en rétention doit être compté comme le premier jour. Nous proposons un décompte en heures, pour que l'État puisse disposer d'un délai effectif de quatre jours.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis favorable à cet amendement qui revient à une expression en heures. En effet, le décompte en jours entraîne une computation différente. Les services de l'État pourront utiliser pleinement les quatre jours prévus.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis favorable. C'est beaucoup plus clair et beaucoup plus simple. Cette nouvelle computation des délais est profitable à l'administration, mais aussi au retenu.

L'amendement n°9 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°8 de Mme Vérien.

Mme Dominique Vérien.  - Dans une décision du 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution un élément du Ceseda relatif au procès-verbal dressé à la fin de la retenue d'un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation et de séjour.

Le Conseil constitutionnel a considéré que le défaut d'une mention à ce procès-verbal des conditions selon lesquelles un détenu a pu s'alimenter ne permettait pas d'évaluer les conditions de respect de la dignité de la personne humaine.

Je propose d'insérer l'obligation d'inscrire sur le procès-verbal les heures où le retenu a pu s'alimenter.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis favorable. Cet amendement tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel sur le procès-verbal de fin de séjour. Le temps presse, puisque le délai laissé au législateur par le Conseil constitutionnel expire le 1er juin prochain.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis favorable. Il n'est jamais simple d'écrire clairement sur des sujets compliqués.

L'amendement n°8 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°15 du Gouvernement.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Cet amendement vise à assurer l'application de ces dispositions dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers : Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Avis favorable.

L'amendement n°15 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°16 de Mme Josende, au nom de la commission des lois.

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Nous proposons de reporter l'entrée en vigueur de ces dispositions à une date fixée par décret en Conseil d'État, et au plus tard trois mois après la publication de la présente loi.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°16 est adopté et devient un article additionnel.

Vote sur l'ensemble

M. Christophe Chaillou .  - La proposition de loi s'éloigne de façon importante des principes fondamentaux qui régissent la rétention administrative. Celle-ci ne peut se fonder sur des motifs pénaux. Ce texte est fragile sur le plan constitutionnel.

De surcroît, il sera sans doute inefficace. L'allongement de la rétention administrative n'est pas pragmatique. L'émotion face à des crimes abjects ne doit pas nous conduire à adopter dans l'urgence des dispositions législatives inefficaces.

M. Daniel Salmon .  - Les défenseurs de cette proposition de loi pensent que l'éloignement est l'alpha et l'oméga pour éviter des drames. Force est de constater que certains éloignements ne peuvent avoir lieu et que certains détenus sont libérés de façon « sèche ».

Après 90 jours passés dans ces CRA, ces individus seront-ils moins dangereux ? Les CRA sont pires que les prisons : ce sont des lieux où l'on déshumanise. Vous allez créer davantage d'insécurité, au lieu d'accompagner pour éviter la récidive.

M. Ian Brossat .  - Le groupe CRCE-K votera contre cette proposition de loi. D'abord parce qu'elle est inefficace. Cette proposition de loi ne répond pas à la question des laissez-passer consulaires ; et la stratégie du Gouvernement en la matière vis-à-vis du gouvernement algérien n'a pas permis d'avancer d'un pouce. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Ce texte aura des conséquences concrètes sur les conditions de rétention et les conditions de travail des personnels. Ces lieux sont censés être des sas, ce qu'ils ne sont plus puisque les personnes y restent indéfiniment. Enfin, les personnes retenues, au lieu d'être expulsées, finissent par être relâchées. Tout cela continuera de dégrader les conditions de travail en CRA.

Mme Frédérique Puissat .  - À l'inverse de nos collègues, nous voterons ce texte des deux mains. Nous remercions Mme Jacqueline Eustache-Brinio de l'avoir déposé. Notre approche est différente sur le fond : ce texte est nécessaire. Ayons une pensée pour la famille de la petite Philippine.

Je salue le travail de la rapporteure qui a sécurisé le texte et je remercie le Gouvernement et le ministre pour leur soutien.

M. Guy Benarroche .  - J'ai visité plus d'une dizaine de fois des CRA. Les personnels des CRA ne comprennent plus le sens de leur travail. La durée de rétention moyenne est de 28,4 jours alors que la possibilité offerte par la loi est de 90 jours. Allonger le délai de rétention relève d'une certaine incohérence.

Une fois libérées, les personnes restent dans la rue, commettent des délits et se retrouvent de nouveau en prison. Elles sortiront encore une fois sans aucune réinsertion préparée. Elles seront à nouveau sous OQTF et reviendront dans les CRA. Ce texte ne résout pas le problème, car, sans solution diplomatique, ces personnes ne peuvent être éloignées.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°232 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 230
Contre 109

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.

Condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, présentée par Mme Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de loi .  - Notre pays fait face à une immigration massive et incontrôlée. Les flux s'accélèrent et s'intensifient. Les Français demandent depuis longtemps une maîtrise de l'immigration.

En 2024, les visas ont augmenté de 16,8 %, à 2,858 millions ; les premiers titres de séjour de 1,8 %, à 336 700, après une hausse de 4 % en 2023. Les étrangers représentent entre 7 et 10 % de la population. Les Algériens sont les plus représentés, avec 649 000 titres, devant les Marocains, les Tunisiens et les Turcs. À cela, il faut ajouter l'immigration illégale, entre 700 000 et un million de personnes.

Rappelons que la dette française a atteint 3 200 milliards d'euros et le déficit de la sécurité sociale, 15 milliards d'euros en 2024.

La France est dans une situation extrêmement difficile. Nous devons faire des choix, car tout ne peut pas être financé. Veut-on préserver notre système social ou continuer d'accueillir, au risque de le voir s'effondrer ?

Le coût brut de l'immigration est chiffré à 75,1 milliards d'euros - 41 milliards net - pour les finances publiques. Nous dépensons 3,2 milliards d'euros pour le logement, dont la moitié pour l'hébergement d'urgence des personnes en situation irrégulière et 540 millions pour le logement social. Ce chiffrage est prudent, faute de données sur les dépenses discrétionnaires des collectivités, sur les subventions aux associations (soupirs consternés sur les travées du groupe SER), sur les dépenses de santé, insuffisamment documentées.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Donc vous n'avez rien.

Mme Valérie Boyer.  - L'OCDE le dit, l'immigration coûte plus qu'elle ne rapporte.

M. Thomas Dossus.  - C'est faux ! (On renchérit à gauche.)

M. Patrick Kanner.  - C'est une richesse pour le pays !

Mme Valérie Boyer.  - C'est pourquoi nous proposons depuis plusieurs années, avec Bruno Retailleau et Muriel Jourda, des conditions plus exigeantes pour les étrangers en matière de prestations sociales non contributives. Ainsi d'une durée minimale de résidence en situation régulière de deux années avant l'accès à certaines prestations, notamment l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et l'aide personnalisée au logement (APL).

À Mayotte, la condition de cinq ans de séjour régulier pour obtenir le RSA est portée à quinze ans - ce qui n'a donné lieu à aucune censure du Conseil constitutionnel.

Sur le texte Immigration, le Conseil avait censuré l'instauration d'une condition de durée de résidence de cinq ans, pour des raisons de forme. Dans sa décision du 11 avril 2024, il n'exclut pas par principe cette durée minimale, mais la juge disproportionnée. Il avait déjà admis une durée de cinq ans pour le RSA, et de dix ans pour l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)

Tirant les conséquences de cette jurisprudence, j'ai proposé une durée de deux ans, en excluant les étrangers exerçant une activité professionnelle. Ma proposition a été modifiée en commission. Je remercie les rapporteurs Olivier Bitz et Florence Lassarade, même si je regrette que notre marge de manoeuvre soit si limitée, alors que les Français nous demandent d'agir. (Mme Laurence Rossignol proteste.)

Les contraintes sont nombreuses. D'abord, les conventions internationales, qui forment un véritable droit parallèle à l'entrée et au séjour des étrangers en France. (Mme Corinne Narassiguin proteste.) Nos 140 accords bilatéraux ont parfois des conséquences migratoires - en témoigne la situation avec l'Algérie.

Ensuite, l'interprétation très stricte que fait le Conseil constitutionnel de l'article 45, qui l'a conduit à censurer nombre de mesures de la loi Immigration. Il faudrait une clarification des sages sur la durée minimale. Cinq ans serait inconstitutionnel, mais pas deux ans ? Pourquoi pas trois ou quatre ? (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)

Il faudra réformer la Constitution pour répondre aux attentes des Français que la représentation nationale, entravée, ne peut satisfaire. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.)

Le Conseil constitutionnel a fermé la porte à des mesures de justice et d'équité. Je regrette qu'il ait refusé au peuple français de se prononcer par référendum sur l'immigration.

Lorsque nous votons le budget de la sécurité sociale, nous savons approximativement ce qui est versé au nom des conventions internationales, mais pas la ventilation par nationalité ou type de prestation. Les premiers chiffres du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) indiquent si la personne est née en France ou non, mais pas le pays de naissance ou la nationalité. Il serait utile que cette information figure sur la carte Vitale, pour nous permettre de mener notre mission constitutionnelle de contrôle.

Il faut mettre un terme au « quoi qu'il en coûte » permanent, où nous demandons toujours plus aux Français sans contrôler ce que nous versons aux étrangers. (Mme Raymonde Poncet Monge éclate de rire.) Pour faire des économies, nous réformons les retraites, nous augmentons le prix des médicaments et la fiscalité... Pourquoi ne pas faire la transparence sur les prestations versées aux étrangers ? Soit l'État s'y refuse, ce qui nous interdit d'exercer notre mission de contrôle ; soit il n'en a pas la capacité - ce qui nourrit les fake news et délires complotistes. (Rires et railleries sur les travées du groupe SER) Discutons-en sereinement, et non sous les quolibets !

Nous devons le respect aux Français qui paient des impôts et cotisent.

M. Patrick Kanner.  - Les étrangers aussi paient des impôts !

Mme Valérie Boyer.  - Ne pas faire cet état des lieux risque d'entraîner une rupture du contrat social. Ce texte sera une première étape vers plus d'équité et de transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Cette proposition de loi, qui conditionne le versement de certaines prestations sociales à une durée de résidence, traduit la volonté de la majorité sénatoriale, exprimée déjà dans la loi Immigration, avant que la mesure ne soit censurée comme cavalier législatif.

Les Républicains ont alors déposé une proposition de loi référendaire. Tout en reconnaissant que les exigences constitutionnelles ne s'opposent pas à une condition de durée de résidence ou d'activité, le Conseil a estimé que la durée de cinq ans de résidence, ou de trente mois d'activité pour les travailleurs, n'était pas proportionnée.

Cette proposition de loi tire les conséquences de cette décision.

Le bénéfice des prestations sociales de droit commun est réservé aux étrangers en situation régulière, à partir de neuf mois de présence - seuls l'aide médicale de l'État (AME) et l'hébergement d'urgence sont ouverts sans condition de régularité du séjour. Les ressortissants de l'Union européenne ne sont pas concernés par la proposition de loi, puisqu'ils font l'objet d'une égalité de traitement avec les nationaux.

Des exceptions existent : il faut avoir un titre de séjour autorisant à travailler depuis cinq ans pour le RSA - quinze ans à Mayotte - et depuis dix ans pour l'Aspa. Le Conseil constitutionnel l'a validé.

La proposition de loi prévoit une durée de deux ans avant l'accès aux prestations familiales, à l'APA, à l'APL et au droit au logement opposable (Dalo), dans un contexte de densité particulière des flux migratoires.

La commission des affaires sociales a considéré qu'une condition de résidence préalable était légitime et même souhaitable. La protection sociale est l'expression de la solidarité nationale, elle traduit la participation à la vie de la nation. Passer de neuf mois à deux ans ne paraît pas disproportionné. L'Italie, l'Irlande, le Danemark ou Chypre ont fait un choix analogue ; en Grèce, le délai est même de cinq ans.

Un motif d'insatisfaction : les données de la Cnaf ne renseignent pas la nationalité des allocataires, ce qui empêche d'estimer le coût des prestations versées. Environ 10 % des allocataires auraient un titre de séjour - mais tous ne seraient pas concernés par la proposition de loi.

La commission a modifié le texte pour en garantir l'effectivité et la sécurité juridique.

Les universitaires auditionnés ont insisté sur la complexité et l'incertitude du raisonnement du juge constitutionnel. Celui-ci a estimé que la durée de cinq ans était « disproportionnée ». Une durée de deux ans nous paraît proportionnée aux enjeux.

En revanche, la commission a exclu le Dalo du champ du texte, car il fait l'objet d'une protection juridique plus forte en tant que droit fondamental. On recentre le texte sur les prestations sociales.

Autre sujet, la conventionnalité de la proposition de loi. Afin d'assurer la conformité avec la directive européenne Permis unique et éviter une sanction de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), nous avons retenu la notion de « possession d'un titre de séjour autorisant à travailler » plutôt que celle d'exercice d'une activité professionnelle.

Nous avons exclu du texte l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), qui bénéficie aux parents d'enfants gravement malades, et maintenu l'exception permettant le versement du RSA aux mères isolées étrangères avant la durée de cinq ans de résidence, s'agissant d'un public particulièrement vulnérable.

De nombreuses conventions internationales ou accords bilatéraux prévoient des clauses de réciprocité en matière d'accès à la sécurité sociale. La direction de la sécurité sociale a signalé de tels accords avec les pays du Maghreb, la Turquie et de nombreux pays d'Afrique subsaharienne qui empêcheraient la proposition de loi de s'appliquer à leurs ressortissants. Cela ne doit pas nous freiner car ces conventions peuvent toujours être dénoncées ou réexaminées - je pense aux dissensions récentes avec l'Algérie. Ces conventions assurent au minimum que la solidarité soit réciproque.

Je vous invite à adopter ce texte qui traduit un objectif d'équité attendu par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la commission des lois .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de précédentes initiatives de notre assemblée. Elle tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2024, qui a jugé qu'une condition de durée de résidence de cinq ans - trente mois pour les étrangers exerçant une activité professionnelle - portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles tirées des dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946. Mais il n'a pas exclu, par principe, l'institution d'une condition de durée minimale de résidence pour le bénéfice de certaines prestations.

Aussi, le texte réduit à deux ans la durée demandée ; il exempte les étrangers qui exercent une activité professionnelle, ainsi que les étudiants pour le bénéfice des APL.

La commission des lois l'a jugé légitime, tout en adoptant des amendements pour assurer sa conformité à la Constitution et au droit de l'Union européenne : retirer le Dalo du champ de la proposition de loi ; substituer au critère de l'activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler ; exempter les bénéficiaires de la protection temporaire ; laisser aux organismes gestionnaires le temps d'adapter leurs systèmes d'information.

Du fait d'accords internationaux en matière de sécurité sociale, de nombreuses nationalités seraient exemptées. Le ministère de la santé a relevé 39 conventions bilatérales de sécurité sociale, dont la plupart prévoient une égalité de traitement en matière de prestations familiales.

D'autres accords bilatéraux comportent de telles stipulations. Par exemple, l'article 7 de la déclaration de principes de 1962, qui fait partie des accords d'Évian, consacre l'égalité de traitement en matière de prestations sociales des Algériens qui résident en France.

Il existe aussi des accords d'association conclus entre l'Union européenne et des États tiers comportant de telles clauses, ainsi que des accords multilatéraux, comme la convention sur l'égalité de traitement des nationaux et des non-nationaux en matière de sécurité sociale de l'Organisation internationale du travail. Cet enchevêtrement d'engagements mal connus entrave notre capacité à agir. Un travail de recensement et de révision s'impose.

Ces accords internationaux restreignent fortement la portée du texte dont la dimension symbolique demeure. Faut-il se résigner à l'impuissance ? Je ne le crois pas. Ces accords peuvent être révisés. La reprise en main de notre politique migratoire passe par une meilleure régulation des entrées et une amélioration des procédures d'éloignement.

La commission des lois a émis un avis favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap .  - Je partage, avec l'ensemble du Gouvernement, l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière.

M. Ian Brossat.  - Ce n'est pas le sujet !

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Le Premier ministre l'a dit, les attentes de nos concitoyens en faveur d'une plus grande maîtrise des flux migratoires sont fortes et légitimes. Le Gouvernement entend donc renforcer ce contrôle, via la généralisation d'une force frontière à nos frontières, une meilleure exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), ou la transcription en droit français du pacte européen pour la migration et l'asile.

La lutte contre l'immigration irrégulière passe aussi par la voie diplomatique, et le Gouvernement a réaffirmé sa détermination à agir.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Avec quel succès !

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Les étrangers en situation irrégulière ne bénéficient d'aucune prestation sociale à l'exception de l'AME et de l'hébergement d'urgence. Les autres prestations ne peuvent être perçues que par des étrangers disposant d'un titre de séjour. En aucun cas ce texte ne permettra de lutter contre l'immigration illégale.

Il soulève des enjeux de constitutionnalité, qui ont fait débat en commission. Le Conseil constitutionnel a considéré une condition de résidence de cinq ans ou d'activité professionnelle de trente mois comme « portant une atteinte disproportionnée » et « contraire à la Constitution ». Rien ne permet de savoir si la condition de deux ans sera jugée proportionnée.

Au-delà, ce texte n'aura pas ou peu d'effet pour une quarantaine de pays avec lesquels la France a signé des conventions bilatérales de sécurité sociale. Le détricotage de nos conventions bilatérales serait un travail titanesque, sans parler des huit pays faisant l'objet d'un accord au niveau de l'Union européenne, qui ne peut être remis en cause.

Le travail demandé aux caisses de sécurité sociale se ferait au détriment d'autres priorités.

Enfin, les modifications apportées en commission réduisent le périmètre de la proposition de loi en termes de public cible, car rares sont les titres de séjour qui n'autorisent pas à travailler. Bref, on arrive rapidement à mille exceptions.

Reste que ce texte répond politiquement à une interrogation partagée par nombre de nos concitoyens sur un éventuel appel d'air pour une immigration non choisie. Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse. (« Oh ! » sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Ian Brossat.  - Quelle lâcheté !

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°1 rectifié de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pourquoi cet entêtement de la majorité sénatoriale à réduire les droits sociaux des personnes étrangères vivant en toute légalité en France, que la France a décidé d'accueillir ?

Cette proposition de loi procède d'une volonté d'affichage idéologique, sans souci du réel. Son champ d'application est restreint par les conventions bilatérales qui nous lient à de nombreux pays. L'autrice s'en agace - oubliant que ces conventions de réciprocité procurent aux Français vivant à l'étranger l'accès aux droits sociaux sur place.

Mme Valérie Boyer.  - C'est pour cela qu'il serait bon d'avoir un bilan, chère collègue...

Mme Laurence Rossignol.  - Les ressortissants du Maghreb, de Turquie, de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, du Brésil, de l'Union européenne seront exemptés. À qui le texte s'appliquera-t-il ?

Votre postulat est que le Conseil constitutionnel n'a jamais interdit de soumettre les prestations à une durée de résidence - mais il n'a jamais validé de disposition limitant la solidarité nationale aux seuls nationaux : les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 disposent que chacun a droit à la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs. Quand le Préambule veut limiter la solidarité nationale, il le fait explicitement.

Puisque le Conseil constitutionnel a rejeté une durée de cinq ans, les auteurs proposent deux, au doigt mouillé, comme si ce n'était qu'affaire de curseur, ignorant que le contrôle de proportionnalité est lié à l'objet de la prestation sociale. Relisez la note de Samy Benzina !

Ce texte porte également atteinte à l'alinéa 3 du Préambule qui garantit l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. En faisant une distinction entre les étrangers qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, vous pénaliserez d'abord les femmes, car leur taux d'activité dans les familles immigrées est inférieur de 20 % à celui des hommes.

En privant les étrangers de l'allocation de soutien familial (ASF), versées aux familles monoparentales, vous leur infligez deux ans de misère. Avez-vous pensé aux femmes qui ne travaillent pas, qui subissent les violences de leur conjoint, qui ne pourront partir faute d'allocations pour nourrir leurs enfants ? Cette proposition de loi est une machine à créer de la pauvreté, et à maintenir les femmes sous emprise. En discriminant les enfants selon l'activité professionnelle de leurs parents, elle porte atteinte à la Convention des droits de l'enfant.

Enfin, il faut évaluer la proportionnalité à l'objectif de la prestation. Les allocations familiales, l'allocation de rentrée scolaire et I'ASF ont pour objectif d'assurer les meilleures conditions sanitaires, matérielles et morales aux enfants, et de lutter contre la pauvreté. C'est pourquoi l'école accueille tous les enfants, y compris ceux dont les parents sont clandestins. Près de 2 000 enfants sont sans abri, votre proposition de loi en jettera bien d'autres à la rue.

L'objectif des prestations que vous visez est d'assurer un droit universel aux enfants qui vivent en France. Par conséquent, cette proposition de loi n'est pas constitutionnelle, madame la ministre.

Quel est l'intérêt de présenter un texte dont le champ d'application n'est pas identifié et le risque de censure élevé ? Au lieu d'appeler à l'unité, vous choisissez la fracture, vous faites le choix idéologique de la préférence nationale.

M. Stéphane Ravier.  - Bravo !

Mme Laurence Rossignol.  - Mais les électeurs préfèrent toujours l'original à la copie...

M. Stéphane Ravier.  - Absolument !

Mme Laurence Rossignol.  - Vous fracturez le consensus politique sur les valeurs de la République - entre la droite et la gauche, mais aussi au sein du bloc central.

Cette proposition de loi est inconstitutionnelle, dangereuse, inefficace. Votons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - Nous avons été très attentifs à la constitutionnalité de cette proposition de loi, et avons auditionné des professeurs de droit constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel précise bien que « les exigences constitutionnelles précitées ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité ». Cela justifie à soi seul le rejet de cette exception d'irrecevabilité.

Le droit en vigueur prévoit déjà un délai de neuf mois ; le porter à deux ans nous a paru proportionné et adéquat. Au passage, le RSA ne peut être demandé qu'après cinq ans de résidence, voire quinze ans à Mayotte, sans que cela pose problème au juge constitutionnel.

Le Dalo fait l'objet d'une protection spécifique, en tant que besoin fondamental et voie de recours, c'est pourquoi nous l'avons exclu.

Avis défavorable à la motion.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Même avis. Le débat doit avoir lieu. On voit à quel point il est important. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Laurence Rossignol.  - Un avis de sagesse serait bienvenu.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Les parlementaires peuvent soumettre une proposition de loi au Conseil d'État pour avoir un avis sur sa constitutionnalité.

Mme Laurence Rossignol.  - Ce sera le Conseil constitutionnel...

Mme Frédérique Puissat.  - Nous ne partageons pas les arguments des auteurs de la motion, et considérons que le Conseil constitutionnel non plus. (Mme Laurence Rossignol éclate de rire.)

Il rappelle en effet que les exigences constitutionnelles ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité. Il existe d'ailleurs une condition de résidence pour le RSA.

Le Conseil constitutionnel a mis en balance les exigences nées des droits et libertés fondamentaux reconnus par les textes constitutionnels avec l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, opérant un contrôle de proportionnalité. La proposition de loi en tire les conclusions, en abaissant la durée requise à deux ans, ce qui répond aux exigences constitutionnelles.

On peut ne pas souhaiter de conditionnalités - c'est une position politique, que nous respectons - mais il ne s'agit pas d'une atteinte à la Constitution.

En outre, il est curieux d'estimer que l'existence de nombreuses conventions internationales rendrait l'action du législateur inutile. L'abondance des exceptions à une règle ne suffit pas à disqualifier celle-ci. Nous voterons contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Le Conseil national des barreaux, qui représente 70 000 avocats, s'est réuni en assemblée générale. Il « déplore la fragilité du texte au regard des exigences constitutionnelles ». Déplorer est synonyme de s'affliger - et il y a de quoi, en effet.

Il y a trois critères à la proportionnalité, nous ont dit les juristes. À quelle nécessité cette proposition de loi répond-elle ? Est-elle adaptée ?

Les auteurs de la proposition de loi ont pris les prestations sociales en vrac, sans mesurer la nécessité, prestation par prestation.

Mme Silvana Silvani.  - Cette motion dénonce les atteintes aux libertés publiques et aux droits et libertés constitutionnels. Nous avons entendu les remarques des juristes sur le caractère potentiellement anticonstitutionnel de cette proposition de loi.

Politiquement, il s'agit d'un texte d'affichage. Depuis la loi Immigration, nous savons qu'il est néanmoins susceptible de trouver à l'Assemblée nationale une majorité, allant de Renaissance au Rassemblement national en passant par LR et les centristes.

La majorité sénatoriale continue de faire la campagne de Bruno Retailleau pour la présidence des Républicains. (« Arrêtez ! » et marques d'exaspération à droite) Vous espérez marquer des points à la droite extrême pour 2027. Vous empruntez le chemin du trumpisme en balayant les conventions internationales et les principes constitutionnels, et attisez un discours xénophobe à l'encontre de nos concitoyens issus de l'immigration. Le groupe CRCE-K votera cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Éric Kerrouche.  - Avec Valérie Boyer, on est rarement dans le parlementarisme, plutôt dans le militantisme.

Mme Valérie Boyer.  - C'est votre appréciation. Quand on s'allie avec M. Mélenchon, on n'a pas de leçon à donner.

M. Éric Kerrouche.  - On fait semblant de parler de droit, mais on est dans le pur bavardage. Ce texte reprend toutes les idées reçues, à commencer par le mythe de l'appel d'air. L'immigration coûterait 20,7 milliards d'euros ? Ce chiffre comprend l'ensemble des étrangers en France, y compris les résidents communautaires et les Français nés à l'étranger ! Et vous oubliez de dire que l'OCDE souligne une contribution nette des immigrés à la valeur ajoutée ! (On le conteste sur les travées du groupe Les Républicains.)

Les Français sont beaucoup plus tolérants que ce que vous croyez. L'indice longitudinal de tolérance baisse avec le temps - il est plus difficile de stigmatiser ! Vous vous contentez d'une politique identitaire. On assiste, avec tous ces textes, à une droitisation de la droite, pas des citoyens. Je vous invite à consulter les données de l'Insee.

Ce texte n'est qu'un prétexte pour mettre en avant des sujets qui ne sont pas ceux qui intéressent les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme Élisabeth Doineau.  - Je ne voterai pas cette proposition de loi, même si je la respecte, tout comme je respecte la motion.

Le groupe UC ne votera pas cette motion, non plus que la suivante, car il faut que le débat ait lieu et que les Français soient témoins de nos différences sur ce sujet. Analyse contre analyse, vérité contre vérité : poursuivons le débat.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.  - L'utilisation du mot « xénophobe » est problématique. J'invite nos collègues à faire preuve de retenue et à employer un autre mot. (Applaudissements à droite ; M. Thomas Dossus lève les bras au ciel.)

M. Thomas Dossus.  - Il faut appeler un chat un chat.

Mme Silvana Silvani.  - C'est proportionné.

À la demande du groupe Les Républicains, la motion 1 rectifiée est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°233 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l'adoption   99
Contre 246

La motion n°1 rectifiée n'est pas adoptée.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°2 de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'unique motif de cette proposition de loi est de « limiter l'appel d'air migratoire » généré par un régime social généreux. Or cette notion d'appel d'air, loin d'être étayée par les faits, a été largement invalidée par de nombreuses recherches académiques. C'est un mythe !

Selon le philosophe Jérôme Lèbre, l'appel d'air correspond à ce que Gaston Bachelard appelait un obstacle épistémologique, une intuition vague d'autant plus efficace qu'elle simplifie la réalité, alors que la science avance en se libérant des intuitions.

La tentation est de se libérer de la démarche scientifique et rationnelle, de plus en plus malmenée. Le 7 mars, des mobilisations Stand Up For Science ont eu lieu de par le monde. Nous sommes dans ce moment-là. Revenons à une étude rationnelle de l'exposé des motifs de cette proposition de loi.

Dans une tribune, 700 chercheurs du CNRS concluent que « la répartition des migrants et des réfugiés à travers l'Europe n'a aucun lien avec la générosité de la protection sociale : l'appel d'air est un mythe jamais démontré ». Ils dénoncent la victoire de l'idéologie sur les faits et le triomphe des fantasmes sur les réalités. La France n'est pas submergée par une immigration hors contrôle. En revanche, les immigrés accomplissent des tâches indispensables, et sont surreprésentés dans les métiers difficiles.

Selon l'économiste britannique Corrado Giulietti, l'État providence n'est pas un facteur clé de la décision d'immigration. Selon Pascal Brice, ancien directeur général de l'Ofpra, les migrations sont le fait de l'activité naturelle ou de la contrainte, de la misère, des persécutions, des dégâts environnementaux.

Selon l'Institut Convergences Migrations, ce sont les facteurs push tels que les troubles politiques, économiques, sociaux ou religieux qui incitent les migrants à quitter leur pays, plutôt que les facteurs pull, à savoir l'attractivité, réelle ou fantasmée, des pays de destination.

Les migrants ne sont pas aspirés par les prestations sociales ; ils partent pour échapper à la souffrance, voire à la mort. Comme le fait observer Jérôme Lèbre, les soupçonner d'un calcul comparatif des systèmes sociaux est particulièrement sordide de la part d'États qui ont construit leur richesse par leur implication, directe ou indirecte, dans des guerres ayant rendu inhabitables des régions entières du monde.

Quand les migrants choisissent leur pays d'arrivée, ce qui est loin d'être toujours le cas, c'est en fonction des possibilités d'emploi et de la diaspora présente, indique Hélène Thiollet. Les diasporas sont souvent un héritage de la colonisation. Ainsi, après la Première Guerre mondiale, les autorités françaises ont recruté dans les colonies des centaines de milliers de soldats et de travailleurs. Cette histoire travaille encore notre société.

Par ailleurs, la France n'est pas si attractive pour les migrants que vous voulez le faire croire. (M. Laurent Duplomb s'exclame.) L'immigration dans notre pays s'explique en partie par sa situation géographique, qui en fait un pays de refuge provisoire et de transit.

Enfin, les régularisations non plus ne créent pas d'appel d'air. Les travaux de recherche montrent que, depuis le début des années 1980, aucune régularisation, même massive, n'a eu d'effet incitatif sur les départs.

Aucune aide sociale ne peut compenser les coûts et les risques de la migration : les migrants ne sont pas attirés par des aides sociales qu'ils ne toucheront probablement jamais, ou après un long délai. Au reste, il est surprenant, comme le fait remarquer le sociologue Smaïn Laacher, que les adeptes de l'appel d'air ne s'indignent jamais de la circulation des élites mondialisées, attirées par les meilleurs placements financiers et qu'aucune frontière n'arrête. Pas d'appel d'air pour l'optimisation fiscale...

Vous faites primer l'idéologie sur les faits (Mme Valérie Boyer ironise), l'intuition fausse sur la science. Même en situation régulière, l'étranger est votre cible ! Vous le présentez comme un profiteur et cherchez à le discriminer.

Vous savez pertinemment que cette proposition de loi sera sans effet. Si appel d'air il y a, il est idéologique : c'est celui de l'extrême droite, et cette proposition de loi en est une traduction. Monsieur le président Mouiller, quel autre nom pour qualifier cette dénonciation de l'étranger que la xénophobie ?

Mais si le fantasme de l'appel d'air n'a pas d'ancrage empirique, il a des conséquences. Il est prétexte à un durcissement des politiques migratoires comme des conditions d'accueil et de vie des étrangers, y compris en situation régulière.

Parce que la recherche de vérité est une condition de notre démocratie et qu'on ne légifère pas sur des mythes, le groupe écologiste vous appelle à voter cette motion. (Applaudissements à gauche)

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - En commission, nous avons insisté sur le fait que cette proposition de loi se justifie indépendamment des options de politique migratoire. Il s'agit de définir le système de protection sociale que nous voulons. Conditionner l'accès de plein droit aux prestations sociales à deux années de résidence, c'est considérer que la solidarité nationale s'exprime d'abord envers les personnes qui participent à la vie de la nation et qui y sont un tant soit peu intégrées. Plusieurs pays de l'Union européenne ont suivi cette voie, sans toujours être confrontés à des flux migratoires - voyez l'Irlande. Avis défavorable à la motion.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Même avis.

M. Ian Brossat.  - Avant même que la discussion générale n'ait commencé, nous avons assisté à deux aveux.

Dans la discussion du texte précédent, vous disiez ne vouloir vous attaquer qu'aux étrangers dangereux et en situation irrégulière. Or voici que vous vous en prenez même aux étrangers en situation régulière !

D'autre part, Mme Boyer a assumé de déposer des textes qui sont rendus inopérants. C'est ce que j'appelle les propositions de loi CNews !

Dire que vous prétendez, en faisant cela, préserver le modèle social français... Vous qui avez voté le report de l'âge légal de la retraite à 64 ans et voulez remplacer notre régime par répartition par un système par capitalisation !

Enfin, madame la ministre, l'avis de sagesses du Gouvernement relève de la lâcheté. Il est pitoyable que vous ne défendiez pas une position républicaine. (Applaudissements à gauche)

Mme Frédérique Puissat.  - Cette proposition de loi est défendue par l'ensemble du groupe Les Républicains : nul besoin de prendre à partie personnellement Mme Boyer.

Conditionner l'accès aux prestations sociales à une durée de séjour revient à considérer que la participation à la vie de la nation fonde la solidarité nationale : ce n'est peut-être pas votre position, mais c'est la nôtre et nous l'assumons. Au reste, de nombreux pays ont fait un choix analogue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thomas Dossus.  - Raymonde Poncet Monge a fait la démonstration implacable de vos fantasmes idéologiques et de votre dérive xénophobe. Lors de la loi Immigration, Mme Le Pen avait pris acte de sa victoire idéologique totale en vous voyant reprendre à votre compte la préférence nationale.

Il fut un temps où une bonne partie de la droite combattait, avec tous les républicains, les idées de l'extrême droite. Désormais, la préférence nationale est votre boussole et la xénophobie, votre doctrine. Les digues ont sauté et vous êtes engloutis dans la fange de l'extrême droite.

Votre texte ne changera rien pour les Français qui perçoivent ces allocations - ceux-là mêmes que vous présentez comme des assistés. Cessons les appels d'air aux idées xénophobes !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je suis effarée d'avoir entendu Mme Boyer dire et répéter que ces sujets ne seraient pas documentés, pas chiffrés. Vous assumez donc de légiférer dans un brouillard total ?

Quant à l'argument de l'appel d'air, combien de temps encore allez-vous l'avancer ? Renseignez-vous ! Non, les personnes qui viennent dans notre pays ne regardent pas les prestations sociales : elles regardent si elles peuvent y travailler, si elles y ont de la famille.

Les nombreuses conventions internationales qui nous lient à d'autres États font que cette loi n'aura pas de portée. Mais peu vous importe ! Vous voulez pouvoir en parler dans votre communication et prétendre que le droit international vous empêche d'agir.

Tout cela n'est pas à la hauteur du travail du Sénat, ni de ce que la droite a été ! (Applaudissements à gauche ; protestations à droite)

M. Daniel Chasseing.  - Il est absolument faux de prétendre que le Sénat voudrait la fin de la retraite par répartition. Depuis des années, nous disons qu'il faut compléter ce système par un peu de capitalisation.

Mme Poncet Monge a donné un discours très étayé, expliquant notamment que le premier critère de choix du pays est professionnel. Il est vrai que c'est par le travail qu'on s'intègre. Mais les étrangers qui travaillent ne sont pas attaqués : dès qu'ils travaillent, ils perçoivent toutes les aides sociales.

Mme Laurence Rossignol.  - Et les femmes ?

M. Daniel Chasseing.  - Ce texte n'a donc rien à voir avec la loi Immigration. Pour les APL, les prestations sociales, l'allocation au logement, la durée minimale de résidence est portée à deux ans, mais il n'y a pas de modification pour le RSA et l'Aspa. Les étudiants sont exemptés. En outre, les ressortissants européens ne seront pas concernés, non plus que ceux des pays liés à la France par une convention.

Pour ces raisons, je voterai cette proposition de loi. (Applaudissement sur les travées du groupe INDEP)

À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°234 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption   99
Contre 243

La motion n°2 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

Mme Corinne Narassiguin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous voici saisis, une fois de plus, d'un texte sur l'immigration : chez certains, cela vire à l'obsession.

Après la loi Immigration de Gérald Darmanin et le référendum d'initiative partagée de Bruno Retailleau, vous tentez, pour la troisième fois, de restreindre les prestations sociales dont bénéficient les ressortissants étrangers hors Union européenne résidant légalement en France.

Votre argument ? La préférence nationale, principe que vous empruntez à l'extrême droite. « J'aime mieux mes filles que mes nièces, mes nièces que mes cousines, mes cousines que mes voisines », proclamait Jean-Marie Le Pen. « Il faut faire passer les nôtres avant les autres », résume Marine Le Pen.

Ce texte est une synthèse de ce qui se fait de mieux à droite : obsession des étrangers et politique antisociale.

L'universalité des allocations, décidée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a été consacrée par la loi du 4 juillet 1975, sous Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac. Vous tentez une nouvelle fois de revenir sur cet héritage de l'esprit du Conseil national de la Résistance, au détriment de centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui résident dans notre pays légalement et cotisent pour notre système social commun.

L'appel d'air contre lequel vous prétendez lutter est imaginaire : tous les travaux menés montrent qu'il n'y a aucune corrélation entre les politiques d'accueil et les flux migratoires et que les déterminants de la migration sont l'attractivité économique et la présence d'une diaspora.

Comme le dit avec aplomb le ministre de l'intérieur, la réalité dément les études : mais c'est une réalité virtuelle, que vous cherchez à imposer dans le débat public.

Ce texte est contraire à la Constitution, mais il n'y a plus rien là qui vous arrête. Heureusement, les rapporteurs ont eu quelques éclairs de lucidité.

D'abord, pour constater que ce texte est largement dépourvu d'objet, en raison des nombreux accords internationaux qui régissent les droits sociaux des étrangers hors Union européenne. Quel est l'intérêt de voter un texte qui ne s'appliquera à presque personne ? Ce ne sera qu'un nouvel effet de manche.

Ensuite, pour retirer le Dalo du texte. Car le droit au logement opposable est un principe constitutionnel.

Lorsque vous avez tenté de conditionner le bénéfice des prestations sociales à une durée minimale de cinq ans à travers la proposition de loi référendaire de M. Retailleau, le Conseil constitutionnel a censuré une atteinte disproportionnée à la politique de solidarité nationale. Vous tentez donc deux ans. Mais en quoi serait-il plus acceptable de maintenir dans la précarité des hommes, des femmes et des enfants pendant deux ans plutôt que cinq ?

Ce texte n'est pas seulement anti-étrangers, il est antisocial. Vous voulez priver des étrangers en situation régulière des aides nécessaires à leur insertion au moment où ils en ont le plus besoin. Souvent déjà en situation précaire, ces personnes et leurs familles verraient leur revenu disponible diminuer de plusieurs centaines d'euros par mois. Les enfants seront particulièrement touchés, alors qu'ils sont aussi l'avenir de notre pays, ne vous en déplaise.

Vous excluez de ce texte les étrangers qui travaillent, et c'est heureux. Mais n'y a-t-il pas contradiction à réserver le bénéfice des prestations aux étrangers qui travaillent et à en priver ceux qui ne travaillent pas et sont justement ceux qui en ont le plus besoin ?

Le RSA est subordonné à une condition de résidence stable de cinq ans. Mais les deux logiques sont complètement différentes ! Le Conseil constitutionnel a jugé ce délai conforme à la Constitution car cette prestation vise à inciter à l'exercice ou à la reprise d'une activité professionnelle. Notre pays soutient les étrangers arrivant sur son sol, mais les encourage à s'insérer par le travail, sans dépendre dès leur arrivée de revenus financés par la solidarité nationale. Les prestations visées par ce texte répondent, elles, à une logique de solidarité.

En réalité, vous avez un problème avec l'intégration. Vous n'aimez pas les étrangers et ne souhaitez pas les intégrer ! Vous faites même tout pour rendre leur intégration impossible, par exemple en augmentant le niveau de français exigé pour une carte de séjour tout en réduisant les moyens alloués aux cours, dans la loi Immigration.

Que proposez-vous pour faciliter l'accès aux cours de français, à l'emploi ? Pour sortir les personnes migrantes de la précarité afin qu'elles s'intègrent plus vite ? Rien !

Mme Laurence Rossignol.  - Ils ne veulent pas qu'elles s'intègrent !

Mme Corinne Narassiguin.  - Vous prônez la préférence nationale, la haine de l'étranger et l'attaque contre les plus pauvres : un bien triste projet de société. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Avant de suspendre la séance, je donne la parole à M. Ravier.

Mme Laurence Rossignol.  - Tiens, voilà du soutien !

M. Stéphane Ravier .  - (À mesure que l'orateur s'exprime, les sénatrices et sénateurs des groupes SER, CRCE-K et du GEST quittent l'hémicycle.) Les auteurs de ce texte veulent instaurer la priorité nationale en imposant une obligation de résidence d'au moins deux ans pour qu'un étranger qui ne travaille pas bénéficie des prestations familiales, de l'APA, de l'APL ou du Dalo.

Il y a un an, le Conseil constitutionnel avait interdit un référendum d'initiative partagé sur ce thème pour non-respect du principe de solidarité nationale. Pour le socialiste Laurent Fabius, la préférence nationale serait contraire à la Constitution. C'était consacrer l'ouverture de notre système social au monde entier, à l'heure des mouvements de population les plus importants de l'histoire de l'humanité. Inutile de chercher plus loin pourquoi nous sommes le plus taxé des pays développés...

Cette décision a marqué un tournant dans l'affirmation d'un gouvernement des juges ligotant un peu plus la souveraineté nationale. Même Michel Rocard est hors des clous, lui qui avait conditionné l'obtention du RMI à cinq ans de présence sur le territoire français !

Elle va à contre-courant de l'urgence française, alors que nous sommes menacés dans notre existence par le double record de la dette sociale et de l'immigration. À contre-courant, aussi, de la marche du monde : aux États-Unis, si vous êtes au chômage depuis trois mois, vous êtes expulsé - et c'était déjà vrai sous l'administration Biden. Même le Brésil de Lula pratique la préférence nationale !

La préférence nationale que la gauche criminalise n'est pas d'extrême-droite, mais d'extrême droit. Faire la différence entre un national et un non-national, c'est la définition même, la raison d'être de la nation. La vraie discrimination positive est là !

Ce texte est une avancée bien timide, mais je le voterai comme un moindre mal. Au reste, je m'oppose catégoriquement au financement de la famille étrangère : en France, c'est la famille et la natalité françaises exclusivement qu'il faudrait soutenir.

Si nous voulons reprendre le contrôle, souvenons-nous de ces paroles de bon sens de Saint Augustin : « Comme tu ne peux être utile à tous, tu dois surtout t'occuper de ceux qui, selon les temps et les lieux ou toute autre opportunité, te sont plus étroitement unis, comme par un certain sort ».

Une sagesse spirituelle que l'on retrouve dans le combat temporel de Jean-Marie Le Pen, dont le seul tort aura été d'avoir eu raison trop tôt. Nous nous apprêtons à lui apporter une reconnaissance politique en inscrivant dans la loi ce principe qu'il porta comme un étendard : les Français d'abord !

La séance est suspendue à 20 heures.

Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.) La France est un pays ouvert et solidaire doté d'un modèle social parmi le plus généreux au monde. Elle consacre un tiers de son PIB aux prestations sociales, garantissant un filet de sécurité à ceux qui en ont besoin. Mais pour assurer la pérennité de ce modèle, il faut veiller à son équilibre et à son équité.

La proposition de loi est raisonnable et proportionnée, bien loin des neuf ans exigés au Danemark ou des cinq ans proposés par le Sénat en 2023. L'objectif est d'assurer la viabilité du modèle social tout en garantissant la solidarité.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas du tout l'objectif énoncé !

Mme Marie-Claude Lermytte.  - Il s'agit de poser un cadre juste et responsable.

Ce texte conditionne le versement de certaines prestations sociales et familiales à une durée de résidence de deux ans, contre neuf mois actuellement.

D'autres prestations comme le RSA ou l'Aspa ne sont pas concernées, car elles répondent à des conditions plus strictes, respectivement cinq ans et dix ans de séjour régulier en France.

Cette proposition de loi harmonise notre système tout en tenant compte de nos finances publiques.

Combien de personnes seront-elles concernées ? Les données manquent et nous le déplorons.

Cette proposition de loi s'inscrit dans une réflexion plus large sur la pérennité de notre modèle social. Elle met en lumière nos engagements internationaux en matière sociale. La France a signé de nombreuses conventions bilatérales, notamment avec des pays du Maghreb ou le Liban, qui permettent aux ressortissants français de bénéficier des mêmes prestations que les locaux, mais est-ce équilibré ? La France est la plus généreuse... L'équité entre les citoyens français et les étrangers doit être respectée. Ce n'est pas seulement une question de finances mais de justice.

Ce texte est une première pierre pour la maîtrise de nos dépenses sociales.

Nos conventions internationales doivent être réexaminées, sinon ce texte ne portera que sur des exceptions.

La question de l'immigration illégale n'est pas traitée, alors que ce problème est important, notamment à Mayotte. Il nous faut une réponse globale sur la politique migratoire, la gestion des frontières et des finances publiques.

Cette proposition de loi est un premier pas qui affirme une volonté de responsabilité et de justice sociale. Le groupe INDEP la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Valérie Boyer de nous permettre de reprendre des débats antérieurs.

Il semble légitime de demander aux bénéficiaires des prestations sociales d'avoir été suffisamment longtemps sur notre sol.

Le Conseil constitutionnel avait censuré un article de la loi Immigration de 2024 au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, et non sur le fond.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Il l'a fait à d'autres occasions !

Mme Laurence Muller-Bronn.  - Il a par ailleurs jugé la durée de cinq ans disproportionnée.

Sont exclues la prestation de compensation du handicap (PCH), l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), l'AJPP et le Dalo.

Avec une condition de neuf mois de résidence, la France est l'un des pays les moins exigeants : l'Italie, Chypre, l'Irlande ou la Grèce conditionnent l'octroi des prestations à une durée allant jusqu'à cinq ans.

Les prestations sociales concernées sont : la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), les allocations familiales, le complément familial, l'allocation logement, l'allocation enfant handicapé, l'ASF, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation en cas de décès d'un enfant, l'AJPP et le minimum vieillesse  - ce dernier s'élève à 1 034 euros par mois pour une personne seule, 1 605 euros pour un couple. Alors que le conclave sur les retraites ne mènera nulle part et que les Français devront travailler au-delà de 64 ans, les femmes ou les seniors au chômage depuis leurs 55 ans n'auront guère plus, alors qu'ils ont travaillé toute leur vie ! (Mme Marie-Do Aeschlimann renchérit.)

Exiger deux ans de résidence préalable ne relève pas d'une idéologie réactionnaire...

Mme Laurence Rossignol.  - Assumez !

Mme Laurence Muller-Bronn.  - ... mais d'une exigence d'équité. (Mme Valérie Boyer applaudit.)

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la bombe sociale du logement qui pèse sur des familles modestes où les deux parents travaillent.

M. Daniel Salmon.  - Vous les mettez dehors !

Mme Laurence Muller-Bronn.  - Je ne parle même pas d'économies à réaliser ici ou là mais des difficultés à vivre de nos concitoyens qui sont appelés sans cesse à faire des efforts, dans un pays avec un niveau record d'impôts. (On ironise sur les travées du groupe SER)

J'assume le mauvais rôle assigné à ceux qui défendent cette proposition de loi. La générosité des idéaux portés par certains est malheureusement incompatible avec les réalités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Guylène Pantel .  - La question est celle de la définition de notre modèle social. Selon Pierre Laroque, la sécurité sociale n'est pas une charge mais un investissement dans la dignité humaine. C'est une promesse, celle d'une République solidaire qui protège chacun face aux aléas de la vie.

Cette proposition de loi risque de remettre en cause le principe fondamental de solidarité nationale en créant une hiérarchie injustifiée entre les résidents, au nom du principe de préférence nationale - Marine Le Pen y voyait la consécration idéologique du RN.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Absolument !

Mme Guylène Pantel.  - Est-ce cette direction que nous voulons suivre ? On nous explique qu'il faut limiter l'appel d'air, mais aucune étude ne démontre qu'une telle mesure aurait un effet sur les flux migratoires. L'eldorado social français est une fausse idée. Les migrations sont motivées par l'espoir de trouver un emploi, non par les prestations sociales. La proposition de loi n'aura aucun impact significatif.

Sa logique économique est contestable. Les prestations sociales réduisent les inégalités et favorisent la participation à la vie économique. Un système de prestations sociales qui fonctionne renforce la protection sociale.

Ce texte accroîtra la précarité des étrangers sur notre territoire. C'est les précipiter vers la pauvreté. Cela pèserait in fine sur les aides d'urgence, sur d'autres dispositifs publics et sur les collectivités.

La portée est bien limitée, l'efficacité illusoire. Les accords internationaux exempteraient nombre de nationalités. Je ne comprends pas l'acharnement de nos collègues à faire voter cette proposition de loi inapplicable.

L'intégration ne se décrète pas ; elle se construit. Comment peut-on se satisfaire d'un pays où l'on dit : « Attendez deux ans avant d'être considéré comme les autres ? »

La responsabilité, ce n'est pas stigmatiser une partie de la population et affaiblir le principe d'égalité.

Notre système de protection sociale est un pilier de notre pacte républicain. Il ne doit pas nourrir les divisions.

Le RDSE votera dans sa très grande majorité contre ce texte, car il est contraire à nos principes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi soulève des enjeux en matière migratoire. Défendue par Valérie Boyer, elle vise à établir un délai de deux ans avant de bénéficier d'aides sociales, sauf en cas d'activité professionnelle. Cette exigence, ou l'établissement d'un lien avec le travail, est une forme de remise en cause. C'est le choix de l'immigration choisie et non subie.

Cette remise en cause largement souhaitée par l'opinion publique ne va pas de soi pour tous. Nous devons être pragmatiques, car nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, comme l'a dit Michel Rocard... (Exclamations à gauche)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Vous tronquez la citation.

M. Olivier Henno.  - Afin d'éviter des flux massifs, il faut envoyer le message selon lequel la France n'est pas un eldorado.

Sans démagogie, envoyons le message déterminé qu'une personne peut venir en France pour travailler, étudier, ou bénéficier de l'asile. Il n'y a pas de place pour l'immigration illégale.

Ce texte est surtout symbolique, mais en politique, ça compte ! Le symbole n'est pas un gros mot.

On peut vouloir réguler l'immigration sans être d'extrême droite ni xénophobe. (Mme Charlotte Parmentier-Lecocq acquiesce.) Laisser le monopole de la régulation de l'immigration à l'extrême droite, c'est lui faire un sacré cadeau.

Mme Valérie Boyer.  - Bravo !

M. Olivier Henno.  - Sur ce point, nous ne sommes pas d'accord, mais c'est un clivage républicain !

Mme Laurence Rossignol.  - Non !

M. Olivier Henno.  - Nous voulons assurer un accès équitable aux aides sociales.

Actuellement, une résidence de quelques mois et un titre de séjour valide suffisent pour toucher des prestations sociales. C'est sans lien avec l'effort contributif. L'accès aux prestations sociales doit dépendre d'un séjour stable. C'est le cas dans de nombreux pays. Le Danemark demande six ans de résidence pour toucher les allocations familiales, l'Allemagne six mois d'activité ; le Canada, pays d'immigration, encadre les prestations sociales versées.

Au moment où nous demandons des efforts pour réguler nos dépenses sociales et réduire notre déficit, il n'est pas illogique de demander des efforts aux étrangers.

M. Guillaume Gontard.  - Quel symbole de solidarité...

M. Olivier Henno.  - Au reste, n'est-il pas incroyable que l'on manque autant d'instruments de pilotage dans notre pays ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cela ne vous empêche pourtant pas de légiférer...

M. Olivier Henno.  - Certains affirment que la proposition de loi est discriminatoire. Le Conseil constitutionnel a reconnu que le principe de durée de résidence n'est pas contraire à la Constitution. Il avait jugé cinq années disproportionnées. Nous tenons compte de ses exigences.

Je salue le travail de Valérie Boyer, Florence Lassarade et Olivier Bitz.

Nous avons remplacé la condition de résidence stable par l'exigence d'être titulaire d'un titre de séjour. Cela permet une vérification plus fiable des critères d'éligibilité.

Nous avons exclu le Dalo, principe à valeur constitutionnelle. En réalité, ce texte n'est qu'un alignement sur nombre de pratiques européennes. Il n'a rien de scandaleux.

Cette proposition de loi s'inscrit dans une tendance visant à équilibrer accueil et obligations. (Mme Valérie Boyer renchérit.)

Nous voulons lutter contre l'effet d'attractivité de notre système social. Cette proposition de loi ne conclut pas la discussion.

Notre groupe, dans sa majorité, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)

Mme Silvana Silvani .  - Par deux fois déjà, la majorité sénatoriale a tenté de créer une condition de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.

Elle avait proposé cinq ans de résidence dans la loi Immigration, avec le soutien de Gérald Darmanin, avant que le Conseil constitutionnel ne censure ce dispositif. En 2024, les sénateurs et députés Les Républicains ont déposé une proposition de loi référendaire, censurée par le Conseil constitutionnel.

Jamais deux sans trois ! Les Républicains retentent donc leur chance, espérant que cette fois sera la bonne.

Nous vous avons interrogés sur le nombre de potentiels bénéficiaires. Mais vous n'avez pas pu nous répondre, vous n'avez pas de chiffres. Mais l'essentiel n'est pas là, selon vous, n'est-ce pas ? Ce texte est avant tout un marqueur idéologique.

Ce texte est anticonstitutionnel. Il contrevient au principe même de notre modèle social.

Ce qui importe à la majorité sénatoriale, c'est d'occuper le terrain sur l'immigration, quitte à perdre des électeurs rationalistes, humanistes et gaullistes sociaux. Nous sommes surpris de l'unanimité du groupe Les Républicains derrière le ministre Retailleau. Nous sommes encore plus surpris de voir des centristes et des macronistes soutenir ce texte xénophobe et antisocial. (On s'en agace sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous aggravez la précarité, le nombre de travailleurs pauvres et de mal-logés. Vous jetez des gens chez les marchands de sommeil et créez des bidonvilles.

Vous allez restreindre les droits et engendrer plus de précarité, selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Cette proposition de loi est une victoire pour le RN. Vous reprenez le mythe de l'appel d'air et le principe de préférence nationale du RN. Jordan Bardella ne s'exprimait pas autrement en disant que notre pays devait cesser d'être un « guichet social pour l'immigration du monde entier ».

Après l'austérité budgétaire, vous justifiez une sécurité sociale à deux vitesses, phase suprême du capitalisme.

Entre ceux qui ont voulu réduire les prestations sociales des étrangers et ceux qui ont voulu réduire le nombre d'étrangers pour améliorer les prestations sociales, il y a un point commun : la remise en cause de notre modèle social universel, auquel nous sommes attachés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K eSER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Voilà la troisième tentative d'inscrire dans la loi une mesure jugée inconstitutionnelle.

Vous voulez faire entrer dans la loi le concept d'appel d'air dont nous avons démontré l'ineptie lors de la présentation de notre question préalable. Instaurer une condition de résidence de deux ans et non de cinq afin de contourner la censure démontre une vision erronée du principe de proportionnalité. Ce n'est pas un simple quantum, il faut aussi respecter le principe de nécessité et d'adaptation.

L'introduction d'une exception d'opposabilité aux titulaires d'un titre de séjour autorisant à travailler reste sans rapport avec l'objet des prestations concernées.

Respectons le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout être humain a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Lorsqu'il était président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter avait déposé sur son bureau l'affichette suivante : « Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement inconstitutionnelle » ; vous faites fort : votre loi est inconstitutionnelle et mauvaise ! Il s'agit de satisfaire un parti ouvertement xénophobe.

C'est un outil de communication politique.

Faute de pouvoir imposer la condition de nationalité dans le champ de la protection sociale, alors que l'immigration est devenue un problème dans le débat public, des restrictions ont été posées au nom d'une préférence nationale déguisée.

Il s'agit d'exclure le plus de personnes étrangères possible du droit aux prestations sociales. La rupture entre nationaux et étrangers s'élargit, une nouvelle distinction est créée entre ceux qui sont là depuis deux ans et les autres.

Qu'est-ce que la vulnérabilité digne d'exceptions ? C'est totalement arbitraire.

Les étrangers en situation régulière sont attaqués. C'est bien la figure de l'étranger qui est visée, en réalité. Comment appelle-t-on cette attaque obsessionnelle contre la figure de l'étranger ? Regardez dans le dictionnaire, car refuser de nommer, c'est aussi grave que mal nommer...

Vous n'avez aucune étude d'impact : cette proposition de loi est purement idéologique.

Dans son avis du 24 janvier 2024, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale a pointé « l'inéluctabilité de l'augmentation et de l'aggravation de la pauvreté des étrangers du fait de leur inaccessibilité aux prestations sociales ».

La régression des droits des uns prépare toujours celle des autres.

Notre groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. Pascal Savoldelli applaudit également.)

Mme Solanges Nadille .  - Cette proposition de loi est issue d'un amendement présenté durant les débats sur la loi Immigration et intégration, censuré par le Conseil constitutionnel, puis redéposé dans la proposition de loi référendaire et à nouveau censuré.

Pas de suspense, notre groupe est en désaccord avec l'auteur de ce texte.

Le texte prévoyait initialement de restreindre le Dalo, ce qui a été justement supprimé en commission, s'agissant d'un objectif à valeur constitutionnelle.

Le conditionnement du versement des prestations à une durée minimale de séjour existe déjà, par exemple pour bénéficier du RSA ou du minimum vieillesse. Il existe déjà une condition de neuf mois de résidence pour les prestations familiales.

Instaurer une carence de deux ans pour les étrangers extracommunautaires, est-ce réaliste ? Il est permis d'en douter. Le motif serait d'éviter l'appel d'air, notion réfutée par tous les chercheurs.

Ce texte cultive une France méfiante, refermée sur elle-même, incapable de tendre la main. Nous allons à l'encontre de l'esprit du Conseil national de la Résistance, fondateur de la sécurité sociale, alors même que ces étrangers cotisent pour notre système. Nous nous dirigeons en revanche vers une aggravation de la pauvreté et une détérioration des conditions de vie des ménages déjà précaires.

Ce texte, à la constitutionnalité douteuse, risque d'être contraire aux conventions internationales que la France a signées. Il y aurait 39 accords, selon le ministère de la santé, qui couvrent l'essentiel des pays du Maghreb, la Turquie et de nombreux pays d'Afrique subsaharienne.

La cohérence politique qui sous-tend cette proposition de loi ne nous apparaît pas clairement.

Nous n'avons aucun chiffre sur son impact faute de relevé de la nationalité des allocataires.

Le véritable sujet, c'est la lutte contre l'immigration irrégulière. Lors du récent comité interministériel, elle a été érigée au rang des priorités diplomatiques.

Ce texte discriminatoire et inapplicable est un pur produit de communication. Il n'est pas à la hauteur du Parlement. Notre groupe votera contre. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K)

Discussion des articles

Avant l'article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°9 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Karine Daniel.  - On parle de dépenses, mais il faut avoir l'honnêteté de parler de recettes. Or selon l'OCDE, la contribution des étrangers à la richesse nationale est positive. En France, c'est plus de 1 point de PIB qui est généré par l'activité des étrangers pour notre économie, quand on considère le delta entre les recettes et les dépenses. Répéter des poncifs xénophobes ne suffit pas à en faire une vérité.

M. Stéphane Ravier.  - Répéter les vôtres non plus.

Mme Karine Daniel.  - Il faut s'appuyer sur des statistiques fondées. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - S'agissant d'une demande de rapport, notre commission a émis un avis défavorable.

Mme Émilienne Poumirol.  - Ce n'est pas un argument.

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - Nous ne remettons pas en cause l'apport des étrangers à notre système économique. (« Ben si ! » à gauche)

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - De nombreux rapports démontrent déjà que l'immigration a un impact positif pour notre économie. Nul besoin d'un nouveau rapport. Avis défavorable.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

Article 1er

M. Jean-Claude Tissot .  - Collègues de la majorité sénatoriale, vous nous avez habitués à divaguer sur les étrangers en situation irrégulière, mais c'est désormais aux étrangers en situation régulière que vous vous attaquez.

Ce texte me choque. La France est historiquement le pays des droits de l'homme, le phare de l'accueil. Vous voulez créer un pays hostile à l'autre.

M. Stéphane Ravier.  - Et ça, ce ne sont pas des poncifs ?

M. Jean-Claude Tissot.  - Quelle sera la prochaine étape ? Vous repoussez toujours plus les limites de l'acceptable. J'admets la prévention pour de nombreux sujets, mais pas ici !

Vous êtes sur une ligne de crête constitutionnelle. Ce texte est aux frontières de la xénophobie. (M. Stéphane Ravier proteste.) Vous allez laisser des personnes dans le besoin. Qu'en est-il de la solidarité nationale ? Vous accentuez votre inhumanité. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme la présidente.  - Amendement n°3 de Mme Silvani et du groupe CRCE-K.

Mme Silvana Silvani.  - Non, l'immigration n'est pas attirée par notre modèle social et sa prétendue générosité. De plus, les personnes étrangères participent au financement de la protection sociale grâce aux cotisations du travail et à la TVA.

Allez lire les rapports du Secours catholique. Les personnes étrangères y représentent 52 % des ménages rencontrés dans leurs accueils ; la moitié sont sans ressources - c'est 10 points de plus qu'il y a dix ans. Près de 40 % des ménages étrangers ne recourent pas aux aides sociales - pas besoin de les leur retirer... Ajoutons que 71 % des étrangers perçoivent des prestations contre 94 % des ménages français, et que 84,6 % des personnes de nationalité étrangère vivent dans un logement précaire.

Votre article 1er privera des familles entières des allocations de soutien familial, des allocations de rentrée scolaire, des AJPP et des allocations journalières pour décès d'enfant. Nous refusons cette mesure injuste et antisociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)

Mme la présidente.  - Amendement identique n°4 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Malgré une écoute attentive des arguments de mes collègues en faveur de cette proposition de loi, j'ai trouvé que leurs arguments, du point de vue du législateur, n'étaient pas clairs -, mais très clairs du point de vue propagandiste... Il s'agirait de reprendre le contrôle de nos frontières ? Mais ce texte ne concerne que les étrangers en situation régulière, donc ceux à qui la France a permis de s'y installer.

Vous prétendez également qu'il faut que ces personnes soient là de façon stable ; or si vous percevez des allocations familiales et que vos enfants sont scolarisés, c'est bien que vous êtes installés de manière stable. Oui, ces personnes ont vocation à rester, et c'est dans doute cela qui vous gêne.

Un mot n'apparaît jamais : « intégration ». Pour parler des étrangers, vous n'avez que les mots de « charges », « menaces » et « coûts » à la bouche.

Vous m'objectez qu'il s'agit d'un débat républicain ; que nenni, vous avez franchi le Rubicon ! Vous n'êtes même plus sur l'autre rive, on ne sait plus où vous êtes. Quand on s'affranchit ainsi du Préambule de la Constitution de 1946, c'en est fait du débat républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme la présidente.  - Amendement identique n°11 de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Je ne peux que constater l'hétérogénéité des prestations visées. L'APA est visée par la proposition de loi, mais pas la PCH : pourquoi ? Certaines prestations sont concernées, d'autres non. Ces ruptures d'égalité entre étrangers eux-mêmes soulèvent un problème de droit.

Il est impossible de justifier la moindre restriction contenue dans cette proposition de loi. À quelle nécessité répond-elle ? À aucune justification autre que celle de l'appel d'air, que nous avons déjà déconstruite. Supprimons donc l'article. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - Supprimer cet article vide de son sens la proposition de loi...

Plusieurs voix à gauche.  - C'est le but !

Mme Laurence Rossignol.  - On ne peut rien vous cacher.

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - ... qui a reçu un avis favorable des commissions des lois et des affaires sociales. Nous sommes cohérents et reprenons l'article 19 de la loi Immigration. (Protestations à gauche)

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Avis de sagesse. (Murmures sur les travées du groupe SER)

Les amendements identiques nos3, 4 et 11 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°5 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Corinne Narassiguin.  - Il s'agit d'un amendement de repli, puisque nous n'avons plus beaucoup d'espoir de vous convaincre.

Il s'agit de supprimer la disposition selon laquelle un ressortissant étranger ne pourrait bénéficier des APL qu'au bout de deux ans. Il en résultera un système kafkaïen, où un étudiant recevant les APL ne les recevra plus s'il ne reçoit pas immédiatement son titre de séjour lui permettant de travailler ; or vous le savez peut-être, les parcours ne sont pas linéaires.

Vous allez rendre encore plus complexe le droit des étrangers. Vous ne ferez qu'aggraver la pauvreté et freiner l'accès à un logement décent.

Mme Émilienne Poumirol.  - Très bien !

Mme la présidente.  - Amendement n°12 de Mme Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales.

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - C'est un amendement de coordination juridique pour Mayotte.

Mme la présidente.  - Amendement n°6 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Précision de méthode : nous défendrons chacun de ces trois amendements pour bien expliquer les conséquences de ce texte à ceux qui suivent nos débats, notamment aux associations ; in fine nous les retirerons, car votre texte, selon nous, ne mérite pas d'être amendé.

Chers collègues, je vous ai entendus dire pendant des années combien vous étiez attachés au principe d'universalité des prestations familiales. À vos yeux, il était impensable de réduire de quelques euros les allocations familiales pour les plus hauts revenus.

Ce soir, vous avez définitivement perdu toute légitimité pour défendre l'universalité des allocations familiales, car en réalité, sous ce couvert, ce que vous défendez, c'est la préférence nationale.

Qui seront les victimes ? Les femmes ! La délégation aux droits de femmes a produit un rapport sur les femmes dans la rue. Nous avons tous constaté que l'absence de titre de séjour est un obstacle majeur pour accéder à un logement et l'une des raisons pour lesquelles il y a tant de femmes et enfants dans la rue d'origine étrangère. Avec ce texte vous les sanctionnez, vous les maintenez chez elles, avec des maris violents, ou dans la rue.

Mes chers collègues, vous avez perdu aujourd'hui tout mon respect sur le sujet des politiques familiales.

Mme la présidente.  - Amendement n°10 de M. Szczurek et alii.

L'amendement n°10 n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°7 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Annie Le Houerou.  - Vous voulez exclure de l'APA les étrangers en situation régulière depuis moins de deux ans. Or c'est une aide fondamentale qui répond à des urgences sociales. Vous empêchez des femmes âgées de recourir à un accompagnement social, augmentant les risques d'hospitalisation et les dépenses afférentes. L'APA relève d'une logique de solidarité nationale. Il s'agit de soutenir les personnes vulnérables, quel que soit leur statut migratoire.

Je regrette que les situations concernées n'aient pas fait l'objet d'une analyse. Nous avons le devoir, par fraternité, de fournir à ces personnes des moyens de subsistance.

Votre texte relève du dogmatisme. Vous êtes contre l'intégration de toute personne étrangère.

Les amendements nos5, 6 et 7 sont retirés.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Avis de sagesse sur l'amendement n°12.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Comment justifiez-vous que trois des huit prestations ne soient pas passées sous vos fourches caudines ? Selon quels critères triez-vous les vulnérabilités ? Qui peut argumenter qu'une personne âgée ne puisse pas bénéficier d'aides sociales ? Il semblerait toutefois que le handicap ait votre écoute. Votre position est une aberration du point de vue de l'autonomie.

J'espère une censure du texte.

L'amendement n°12 est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Article 2

Mme la présidente.  - Amendement n°13 de Mme Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales.

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - Amendement rédactionnel.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Sagesse.

L'amendement n°13 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Après l'article 2

Mme la présidente.  - Amendement n°8 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Combien de fois ai-je entendu que nous n'avions pas de chiffres ? Mais la méthode qui consiste à légiférer par proposition de loi empêche de disposer d'études d'impact.

Il faut un rapport sur les effets des mesures que vous prônez ce soir sur la pauvreté des enfants.

Ce fut une grande cause du premier quinquennat du Président de la République. Personne ne peut être indifférent à une telle question. Êtes-vous d'accord avec cette proposition de rapport sur l'impact du texte sur la pauvreté des enfants ? Si vous vous opposiez, nous en déduirions que vous ne voulez surtout pas le savoir !

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - Conformément à sa position constante...

Mme Émilienne Poumirol.  - Pas toujours constante !

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - ... la commission est défavorable.

Mme Émilienne Poumirol.  - Vous ne répondez jamais sur le fond !

Mme Florence Lassarade, rapporteure.  - Les familles monoparentales ne sont pas visées par la plupart des prestations visées par ce texte. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.)

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Avis défavorable.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

M. Mickaël Vallet.  - C'est la ministre des sports qu'il fallait faire venir ce soir !

Vote sur l'ensemble

Mme Élisabeth Doineau .  - Je voterai contre cette proposition de loi.

D'une part, je ne me sens pas liée par un vote précédent ; et j'avais déjà voté contre la loi Immigration sur ce sujet.

D'autre part, on ne sait pas qui pourrait être en difficulté après le vote de cette loi. Je ne peux pas, en tant qu'élue, voter un texte dont je ne connais ni la cible ni les conséquences sur les familles. J'ai l'impression que je serais Guillaume Tell, les yeux bandés. Qui verra la misère en face ?

Enfin, quand je vois l'ensemble des populations n'étant pas concernée par cette proposition de loi, je m'interroge : à qui cette proposition de loi s'adresse-t-elle ? Ni aux Européens, ni aux réfugiés, ni aux apatrides, ni aux étrangers titulaires de la carte de résident, ni aux étudiants, ni aux ressortissants de pays ayant signé des conventions, tels que l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Turquie, Israël, la Jordanie, ou nombre de pays d'Afrique subsaharienne ou d'Amérique du Sud. Vous le voyez, on ne sait pas qui sera concerné...

Mme Silvana Silvani .  - Cette proposition de loi repose sur l'idée que la générosité d'un système social exposerait le pays à l'afflux d'étrangers et que la limitation des prestations sociales empêcherait quiconque de venir. Mais franchement, est-ce la perspective de recevoir l'allocation de rentrée qui motive un projet migratoire ?

Pourtant, vous persistez à vouloir créer deux niveaux de droits entre les Français et les étrangers ! Cette préférence nationale oppose nos concitoyens sur des bases xénophobes et rompt avec les principes qui ont présidé à la création de la sécurité sociale, selon lesquels toute exclusion fondée sur la nationalité devait disparaître. Pierre Laroque disait qu'il fallait considérer l'individu et la famille en eux-mêmes, indépendamment de leur pays d'origine.

L'universalité des prestations sociales est un fondement de notre République. Vous remettez en cause l'ensemble de notre pacte social. Nous voterons contre cette proposition de loi.

Mme Laurence Rossignol .  - Nous voterons contre ce texte, car il est toxique, malsain. Il ne se préoccupe ni de ses effets ni de son champ d'application. Il veut juste faire passer aux Français un message : les Français en situation régulière, auxquels la France a accordé un titre de séjour, ne sont pas les bienvenus et ne doivent pas espérer s'intégrer.

Vous ne lancez pas un message à destination de l'immigration irrégulière, puisque -  je veux bien le mettre à votre crédit  - vous ne croyez pas vous-même à la théorie de l'appel d'air.

On a l'impression d'être pris pour des figurants d'un débat qui n'est pas le nôtre, mais celui du congrès des Républicains, expliquant cette surenchère. Ainsi, vous ciblez les immigrés.

Ne soyez pas étonnés que l'on utilise le terme de « xénophobie ». Cela fait quarante ans que nous subissons ceux qui font leur business politique et qui prospèrent sur la détestation et la stigmatisation des étrangers en situation régulière.

Malgré toutes vos rodomontades, c'est parce que vous êtes incapables de faire appliquer les OQTF que vous vous en prenez aux étrangers en situation régulière. Franchement, ce n'est pas glorieux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Dans votre croisade contre les étrangers, vous attaquez les droits fondamentaux de notre bloc de constitutionnalité. Vous attaquez le droit à une vie familiale, ou encore l'objectif à valeur constitutionnelle qu'est le logement.

Les personnes privées d'APL verront leur taux d'effort augmenter, ce qui les privera d'un accès au logement. Elles basculeront dans l'hébergement. Ah ! Quel programme !

Vous n'hésitez pas à bafouer les droits fondamentaux. Sans surprise, nous voterons contre cette très mauvaise proposition de loi qui, de plus, est anticonstitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Frédérique Puissat .  - Je remercie Mme Boyer, notre rapporteure, Mme Lassarade, et le président de la commission des affaires sociales, qui a donné une mesure plus juste à ce débat. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER) Chacun s'est exprimé sur ce texte. Des amendements ont été débattus. Nos positions divergent, dont acte.

Nous respectons vos positions.

Mme Laurence Rossignol.  - Pas nous.

Mme Frédérique Puissat.  - Respectez les nôtres.

M. Thomas Dossus.  - Il faut appeler un chat un chat !

Mme Frédérique Puissat.  - Oui, la protection sociale est l'expression de la solidarité nationale. La mise en place d'une durée de résidence préalable est donc souhaitable. Forts de ces convictions, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Marc Laménie .  - Initialement, j'ai souhaité voter comme la majorité de mon groupe Les Indépendants. Je respecte les avis de tous les collègues. Après réflexion, et même si je n'aime pas trop l'abstention, je m'abstiendrai sur ce texte. Je salue le travail de la commission des affaires sociales et l'auteure de la proposition de loi.

Ces sujets sont très sensibles. Les Indépendants ont leur liberté de penser.

Mme Valérie Boyer.  - Nous aussi !

M. Marc Laménie.  - Je garde la mienne, en m'abstenant. (M. Thomas Dossus applaudit.)

M. Pascal Savoldelli .  - Il ne faut faire aucune concession à l'antisémitisme, au racisme et aux discriminations.

Mme Valérie Boyer.  - On est bien d'accord.

M. Pascal Savoldelli.  - Depuis plusieurs semaines, nous discutons de textes de loi qui remettent en cause notre universalité et notre humanisme.

Je m'adresse avec beaucoup de respect à mes collègues de droite. Les arguments qui ont été évoqués confortent l'idée que l'extrême droite est une version radicalisée de la droite dite classique. Cela doit nous alerter.

Vous êtes passés par-dessus les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme et par-dessus toutes les entorses à la Convention internationale des droits de l'enfant. Vous savez très bien que l'appel d'air est un mythe. Vous écrivez noir sur blanc vouloir contourner l'avis constitutionnel sur la loi Immigration.

Vous calquez l'agenda de la vie politique française sur l'extrême droite. C'est un danger pour la démocratie.

Vous montrez du doigt, vous jugez des étrangers, et vous allez juger des Français, trier les familles et trier même au sein des familles.

Madame la ministre, votre appel à la sagesse est un égarement, une inconscience ! Je le dirai avec douceur... « À force de sagesse on peut être blâmable », lit-on dans Le Misanthrope : vous allez l'être politiquement, madame la ministre.

Nous ferons oeuvre de désobéissance et non de sagesse, et nous voterons contre, car nous sommes fiers de l'universalité et de l'humanisme de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER et du GEST)

Mme Valérie Boyer .  - Moi aussi, je suis fière de l'humanisme de notre protection sociale, et je tiens à le préserver.

L'Irlande, Chypre, le Danemark ou la Grèce ne sont ni racistes ni xénophobes. Certains sont mêmes socialistes ! À Chypre, il faut cinq ans de résidence, au Danemark il en faut six pour bénéficier de 100 % du montant maximal des allocations familiales.

Beaucoup de pays européens lient la carte d'identité et les prestations sociales, et ce ne sont pas de sombres dictatures... (Mme Silvana Silvani proteste.)

En France, les partenaires sociaux doivent absolument nous dire comment sont ventilées les prestations sociales par nationalité. Nous ne pouvons pas demander à la représentation nationale de voter aveuglément.

Notre protection sociale est un bien commun, on ne peut l'affaiblir par manque de transparence.

Je me désole de ce débat moralisateur et accusatoire, dans lequel vous ressassez le discours rayé du monopole du coeur. On ne peut pas accuser les Français de manquer de générosité.

Mme Laurence Rossignol.  - Les Français, non ; vous, oui !

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

Mme Valérie Boyer.  - Quand on frôle les 50 % d'impôts et de prestations sociales, on ne peut pas dire que la France manque de solidarité... (La voix de l'oratrice se perd dans le brouhaha à gauche.)

À la demande des groupes SER et Les Républicains, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°235 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 204
Contre 136

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Mme Valérie Boyer s'en réjouit.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.  - Je salue l'auteure de cette proposition de loi et remercie tout particulièrement notre rapporteure. Il est extrêmement difficile de travailler sur ces thématiques taboues, où l'on se fait réfuter, voire insulter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mise au point au sujet de votes

Mme Frédérique Puissat.  - Lors des scrutins publics nos220, 225 et 226, M. David Margueritte souhaitait voter contre.

Acte en est donné.

Prochaine séance demain, mercredi 19 mars 2025, à 15 heures.

La séance est levée à 22 h 55.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 19 mars 2025

Séance publique

À 15 heures, 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Alain Marc, vice-président, Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy

1Questions d'actualité

2Proposition de loi visant à garantir le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, présentée par Mmes Émilienne Poumirol et Anne?Marie Nédélec (texte de la commission, n°437, 2023-2024)

3. Proposition de loi relative à l'exercice des missions des architectes des bâtiments de France, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°439, 2024-2025)

4. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (n°157 rectifié, 2024-2025)