Conseil européen des 20 et 21 mars 2025
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - (Applaudissements au banc des commissions ; Mmes Solanges Nadille et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.) Lors du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains, l'Ukraine sera une fois de plus au centre des discussions. C'était le sens de la séquence impulsée par le Président de la République en février, poursuivie à Londres, qui nous a permis d'affirmer une approche commune pour parvenir à une paix juste et durable en Ukraine, lors du sommet européen extraordinaire. Nous devons rester unis, à un moment décisif, alors que les États-Unis veulent accélérer les négociations de paix et que Moscou accentue la pression sur Kiev.
Sur le fond, nous sommes d'accord sur cinq points fondamentaux : pas de négociation sur l'Ukraine sans l'Ukraine ; pas de négociation sur la sécurité européenne sans les Européens ; tout cessez-le-feu doit être un préalable à un accord de paix global ; tout accord de paix doit s'accompagner de garanties de sécurité robustes et crédibles pour l'Ukraine ; la paix ne peut amener à compromettre l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
Deux principes guident notre action : l'unité et la proactivité.
Le Président de la République a invité tous les chefs d'État-major des armées à Paris pour étudier les garanties de sécurité à apporter à l'Ukraine. Notre soutien suppose également d'accélérer le déboursement de notre prêt - en veillant à ce qu'il profite en priorité à nos industriels.
La perspective d'un désengagement durable des États-Unis de la sécurité du continent doit nous conduire à augmenter nos capacités de défense. Nous devrons aller plus vite et plus fort, changer d'échelle. Le Président de la République le dit depuis huit ans déjà. Après l'agression russe, après l'agenda de Versailles adopté sous présidence française, après le rapport Draghi, après les nouvelles prises de position américaines, on assiste à une révolution des esprits chez nos amis européens - particulièrement frappante en Allemagne.
Nous l'avons acté le 6 mars dernier, en nous accordant sur les domaines prioritaires où investir et sur les options de financement, dans le cadre du plan ReArm Europe. Nous attendons des propositions de la Commission européenne dès mercredi. Les discussions sur le texte Edip (programme européen pour l'industrie de la défense) s'accélèrent aussi. Les options de financement innovantes devront être étudiées sans tabou. Il faudra veiller à ce que cet effort supplémentaire soit véritablement européen, et au bénéfice de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). La semaine dernière au Parlement européen, j'ai constaté que la notion de préférence européenne que nous portons depuis des années s'impose désormais largement.
Une Europe forte et indépendante est aussi une Europe prospère, capable d'innover, d'assurer sa production dans les domaines stratégiques. Nous aurons, au Conseil européen, une discussion sur la compétitivité. Discours de la Sorbonne, agenda franco-allemand de Meseberg, rapports Letta et Draghi, agenda stratégique européen, déclarations de Versailles, Grenade et Budapest : nous n'avons de cesse d'appeler à un sursaut européen. La boussole compétitivité et le pacte pour une industrie verte témoignent d'une ambition partagée en ce sens. Il faut désormais que les propositions se concrétisent.
La mise en oeuvre de l'agenda de simplification est cruciale pour libérer le potentiel de nos économies et trouver le bon équilibre entre la décarbonation et la compétitivité. Les premiers textes de la Commission européenne sont un bon premier pas, qui allègent la charge administrative des PME, mais nous devons aller plus loin, notamment pour les agriculteurs.
Nos économies sont exposées à des menaces ou des actions unilatérales potentiellement préjudiciables. Nous devons nous défendre collectivement contre la concurrence déloyale, les surcapacités et les décisions tarifaires hostiles. Nous devons anticiper, agir de façon unie, ferme, proportionnée et ciblée, dans le respect du droit international.
Notre budget doit refléter nos priorités. Les réflexions sur le prochain cadre financier pluriannuel ont débuté. Il nous faut augmenter notre capacité financière, publique et privée, en mobilisant l'épargne européenne et en réalisant l'union des marchés de capitaux, et réduire nos dépendances en matière d'énergie, de santé, de numérique, de matières premières critiques. Alors que le rapport Draghi évoque un retard d'investissement de 800 milliards d'euros par an, l'harmonisation réglementaire doit permettre de mieux relier l'épargne européenne à nos besoins d'investissement.
Il faudra aussi doter la politique agricole commune des moyens à la hauteur des enjeux, alors que l'alimentation pourrait devenir une arme. Renforcer la souveraineté alimentaire européenne suppose de garantir les capacités de production, de préserver le revenu des agriculteurs et d'assurer une concurrence équitable. Cette vision stratégique reprend nombre des priorités françaises : accompagnement plutôt que contrainte, réciprocité commerciale, renouvellement des générations. Elle devra se traduire en actes.
Nous veillerons à la politique de cohésion pour préserver notamment les régions ultrapériphériques (RUP).
Le Président de la République le dira à Bruxelles : l'investissement massif que nous souhaitons ne sera possible que si nous trouvons de nouvelles ressources propres. C'est une condition sine qua non d'un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel.
Une Europe forte est aussi une Europe capable d'agir efficacement face au défi des migrations ; le Conseil européen fera le point sur le pacte sur la migration et l'asile, et discutera de la nouvelle législation proposée par la Commission européenne pour faciliter les retours.
Une Europe forte est aussi une Europe capable de porter une action extérieure stable et lisible. Le Conseil évoquera notre action au Proche-Orient. Au Liban, où la France joue un rôle clé pour une paix durable dans le sud du pays ; en Israël et dans les territoires palestiniens, où nous devons soutenir le cessez-le-feu et la solution à deux États, face à l'imprévisibilité américaine, ainsi que le plan arabe pour Gaza ; en Syrie, où la situation demeure très fragile. Nous avons insisté sur l'inclusivité, les droits humains, l'intégrité territoriale, la lutte antiterroriste. La levée des sanctions demeure réversible.
L'Europe doit être au rendez-vous de la protection de l'océan. C'est l'objet du pacte sur l'océan, qui sera bientôt présenté par la Commission, et de la troisième conférence des Nations unies sur l'Océan, prévue à Nice début juin. Là encore, la France donne l'impulsion.
Ce Conseil européen arrive à un moment de bascule historique. Je me réjouis d'échanger avec vous sur les priorités que portera la France. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - La violence de l'agression russe puis la brutalité de Donald Trump ont provoqué un réveil européen. Secoués de notre torpeur, nous n'avons d'autre choix que d'assumer notre propre sécurité. À nous maintenant de diffuser en Europe notre volonté d'indépendance et de souveraineté.
Les conclusions du dernier Conseil européen extraordinaire vont dans le bon sens. Le Conseil a validé le paquet de mesures exceptionnelles proposées par la présidente de la Commission, visant à financer un surcroît de dépenses de défense de 800 milliards d'euros - soit les 5 % du PIB des États membres exigés par le président Trump. On s'autonomise en obéissant, mais au fond, seul l'objectif compte - à condition de se donner les moyens de l'atteindre.
La France se saisira de tous les instruments que la Commission mettra sur la table, a dit le ministre Barrot : dérogation aux règles budgétaires, facilités de prêt, emploi des fonds de cohésion inutilisés. Mais nous aimerions des précisions.
Comment garantir que cet effort profitera prioritairement à l'industrie européenne ? Le projet de règlement Edip ne prend pas le plus court chemin pour réduire notre dépendance à l'industrie américaine.
La méthode pose aussi problème. La présidente de la Commission invoque l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour contourner les discussions parlementaires, comme lors de la crise covid, or un tel sujet implique de bâtir des solutions de long terme.
S'agit-il d'un plan pour renforcer la défense européenne ou d'un moyen de contrôle par Bruxelles de la défense des États européens ? Le financement européen ad hoc de dépenses de défense aura-t-il pour corollaires leur budgétisation, puis un transfert de compétence ? C'est une question de souveraineté nationale.
Le Sénat a insisté sur l'importance de renforcer l'influence française dans les institutions européennes - encore récemment avec la proposition de loi Rapin. Or en réponse aux tarifs américains sur l'acier et l'aluminium, la Commission a relevé les droits de douane sur le whisky américain - d'où une riposte sur les vins et spiritueux européens, qui expose tout particulièrement les producteurs français. Comment le Gouvernement compte-t-il faire prévaloir nos intérêts, alors que l'influence de la France est en recul à tous les niveaux, à commencer par le collège des commissaires ? (MM. Jean-François Husson, Thierry Meignen et Marc Laménie applaudissent.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Dire que l'influence de la France recule, alors que l'Europe n'a jamais autant parlé de défense européenne et de préférence européenne, me paraît un peu décalé !
Mais il reste beaucoup à faire. Il faut identifier les domaines capacitaires dans lesquels l'Europe est en retard : les munitions, le cyber, les drones, les capacités de frappe en profondeur, le satellite et le spatial - on sait le rôle de Starlink dans la défense de l'Ukraine.
Nous utiliserons tous les leviers pour flécher les financements vers l'industrie de défense française. L'exclusion de certaines dépenses de défense du calcul du déficit dans le cadre du pacte de stabilité, le refléchage de certains fonds de la politique de cohésion, le prêt loan to loan sont autant de pistes, tout comme le recours au Mécanisme européen de stabilité ou à un nouvel emprunt européen.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - La Commission européenne doit présenter un pacte européen sur les océans avant la conférence des Nations unies prévue à Nice en juin. Il devra favoriser leur résilience face au changement climatique, promouvoir une économie bleue compétitive, développer la recherche sur les écosystèmes marins - voire accompagner les communautés côtières dans la gestion durable des ressources.
Avec le deuxième plus vaste domaine maritime au monde, la France doit être aux avant-postes des négociations. Quel sera son rôle dans l'élaboration de ce pacte, et avec quelles priorités ?
Nous avons un espace maritime de 11 millions de km2 répartis entre quatre océans, dont 97 % outre-mer. Les territoires ultramarins sont incontournables, mais ils sont aussi en première ligne face aux phénomènes climatiques extrêmes et exposés à la criminalité en mer - pêche illicite, piraterie, narcotrafic. Comment la France met-elle en avant leurs besoins spécifiques ? Quels instruments promouvoir ?
Alors que la haute mer représente 60 % de la surface des océans, il a fallu attendre le 19 juin 2023 pour que soit signé le premier traité international sur la préservation de la biodiversité marine, qui subit une pression anthropique croissante. Pour entrer en vigueur, il doit être ratifié par soixante États signataires. C'est chose faite pour la France. Mais alors que nous espérions une entrée en vigueur avant la conférence de Nice, nous sommes loin du compte ; seuls vingt États l'ont ratifié. Comment expliquer ce retard et comment accélérer cette ratification ? (Mme Catherine Morin-Desailly et M. Marc Laménie applaudissent.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La France mobilise tous ses moyens diplomatiques pour faire ratifier le traité.
Le pacte européen sur l'océan sera une feuille de route pour la prochaine décennie ; nous attendons de la Commission européenne une ambition forte. Nous avons plusieurs atouts, dont la première zone économique exclusive au monde, grâce à nos régions ultrapériphériques.
Ce pacte doit promouvoir une approche globale, comprenant les enjeux liés à la biodiversité, à l'économie bleue, à la lutte contre le changement climatique, à la dépollution, à la résilience, à la décarbonation. Il est complémentaire du pacte vert adopté sous la précédente mandature.
Il s'agit de concilier préservation des écosystèmes et sauvegarde des intérêts stratégiques et sécuritaires européens, en s'appuyant sur un programme de recherche ambitieux et un soutien financier renforcé. Nous attendons les propositions de la Commission européenne.
Oui, ce pacte devra valoriser les régions ultrapériphériques. C'est une de nos priorités, qu'il s'agisse de politique de cohésion ou de valorisation des fonds européens sur le territoire français.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissement au banc des commissions ; Mme Catherine Morin-Desailly et M. Marc Laménie applaudissent également.) Alors que la menace ne faiblit pas sur le front ukrainien, que l'allié américain vacille, l'Union européenne doit être ferme, s'opposer à l'agression russe et permettre à ses États d'assurer la sécurité sur le continent.
En tant que rapporteur général de la commission des finances, je dois veiller à ce que cet effort soit soutenable. La réunion du Conseil sera l'occasion de préciser les récentes annonces sur le financement d'une Europe de la défense.
La Commission a proposé un plan ReArm Europe, dont le principe a été validé le 6 mars dernier.
L'activation de la clause de sauvegarde prévue dans le pacte de stabilité et de croissance permet aux États d'exclure du calcul du déficit public les dépenses de défense, jusqu'à 1,5 % du PIB. Si je salue la latitude accordée aux États membres, je rappelle qu'une telle mesure ne desserre en rien la contrainte financière qui pèse sur notre pays. Les économies, les efforts budgétaires ne sont pas consentis pour apaiser Bruxelles, mais pour préserver nos finances publiques, par souci de crédibilité auprès de nos créanciers et par devoir envers les générations futures. C'est la charge de la dette, et non la règle des 3 %, qui pèse sur la France !
Comment concilier une hausse de l'effort militaire et la nécessaire maîtrise du déficit et de la dette ?
Ensuite, quelque 150 milliards d'euros de prêts seraient accordés aux États membres. Les emprunts se feraient sur une base volontaire. Les États devraient au moins s'associer à deux dans les secteurs les plus urgents, comme les drones et l'artillerie. Quelle sera votre position ? Si les emprunts sont bien accordés sur une base volontaire, la France souhaiterait-elle y recourir et à quelle hauteur ?
Cependant, il s'agit moins d'un nouvel emprunt commun, sur le modèle du plan de relance, que d'une façon de lever une dette supplémentaire via la Commission européenne. Est-ce un simple tour de passe-passe comptable ? Les conditions financières ne risquent-elles pas d'être moins avantageuses ? Rassurez-nous !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - C'est une étape importante proposée par la Commission européenne que de prévoir ces nouvelles facilités. Mais nous avons demandé à la Commission européenne d'aller plus loin.
En France aussi des choix budgétaires s'imposent, pour donner la priorité au réarmement. Nous n'avons pas attendu cette année : une loi de programmation militaire ambitieuse en témoigne. Sous les deux mandats d'Emmanuel Macron, le budget de la France aura été multiplié par deux.
La préférence européenne est la clé. En fléchant les investissements vers nos industriels, nous leur garantissons de la visibilité, ils préservent notre savoir-faire technologique et nous gardons le contrôle des usages. Des débats ont cours sur la possibilité que les Américains contrôlent certains armements à distance, comme le F35. Concernant cette préférence européenne, Edip constitue un précédent.
Oui, nous aurons recours à ces instruments, et nous devrons aller plus loin sur les possibilités de financement européen.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - (MM. Jean-François Husson, Jean-François Longeot et Marc Laménie applaudissent.) La compétitivité sera au coeur de cette réunion. Elle est importante, puisque les chefs d'État et de gouvernement pourront évoquer les initiatives qui commencent à se déployer, comme le paquet de simplification Omnibus ou la boussole de la compétitivité.
Mieux prendre en compte les besoins des territoires est une nécessité. Ainsi de la prise en compte des réalités des PME, des entreprises de taille intermédiaire, mais aussi de nos outre-mer. Nous saluons la nouvelle philosophie de la Commission européenne, pragmatique, par exemple sur les normes de durabilité, le mécanisme d'ajustement aux frontières ou les outre-mer.
Nous défendrons nos positions à Bruxelles pour que la Commission européenne fasse preuve de plus d'audace. Les rapports Letta et Draghi ont souligné les défis à relever et nous avons mesuré, lors des conférences interparlementaires à Bruxelles, que faire bouger les lignes ne va pas de soi, car la parole européenne reste très diversifiée.
Ce Conseil européen apparaît comme une réunion de transition en matière de financement de l'industrie de défense, après la réunion extraordinaire du 6 mars. La réponse ne viendra pas seulement des fonds publics. La Banque européenne d'investissement doit jouer un vrai rôle de soutien de l'industrie de la défense. Je crains que notre pays, à cause de sa situation budgétaire, ne bénéficie pas des assouplissements du pacte de croissance. Je m'interroge sur la pertinence de solliciter l'enveloppe de 150 milliards d'euros.
Ce Conseil est aussi une réunion de transition dans la perspective de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel. Nous refusons de remettre en cause les politiques traditionnelles comme la cohésion et la PAC. Mais rien n'a été trouvé en matière de ressources propres. L'équation est impossible.
Pour le dire clairement, la Commission européenne doit agir avec plus de fermeté là où elle est compétente : tarifs douaniers, lutte contre la concurrence déloyale, mise en oeuvre des règlements européens en matière numérique. La France adoptera-t-elle une ligne de fermeté ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Très bien !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Oui il est nécessaire de dégager un consensus sur les ressources propres de l'Union européenne. Bien sûr la Banque européenne d'investissement doit être impliquée. Nous en avons fait modifier le mandat pour qu'elle puisse agir dans le secteur de la défense. À elle de s'en emparer.
Nous devons mobiliser des ressources publiques, mais aussi libérer les capitaux privés.
Faisons en sorte que le marché unique soit une véritable opportunité pour nos PME.
Première priorité, l'unification des marchés de capitaux et l'approfondissement du marché unique. Nos PME ont l'impression de devoir recommencer à zéro quand elles s'implantent ailleurs en Europe.
Seconde priorité, la simplification. L'Omnibus de la Commission européenne va dans le bon sens, en excluant les PME de certaines charges administratives. Nous devrons aller plus loin et éviter toute contrainte excessive pesant sur les entreprises.
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Sur les fonds de cohésion, une réflexion sur l'utilisation des crédits non utilisés doit être menée. Il faut booster l'économie régionale. Beaucoup de régions sont en train de bouger sur les fonds de cohésion.
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Le Conseil européen des 20 et 21 mars revêt une importance toute particulière. Le président des États-Unis a plongé le monde dans une instabilité dangereuse.
La séquence ahurissante du 28 février imposée par Trump à Zelensky puis le lâchage en pleine guerre des Ukrainiens, sans oublier les déclarations tonitruantes sur le Groenland et le Canada, en sont quelques exemples.
Le président laisse son double maléfique Musk brutaliser tout le monde. Il a fait voler en éclat l'ordre issu de la Seconde Guerre mondiale et va jusqu'à déstabiliser l'économie américaine. Les illuminés de la tech font désormais la loi et font prospérer un capitalisme de prédation et de surveillance.
L'Europe est renvoyée à elle-même, prise en tenaille entre la Chine, les États-Unis et la Russie. Maintenant, c'est le sursis ou le sursaut. Chaque État membre doit trouver les moyens de son réarmement, militaire, économique et politique.
On saluera donc l'annonce de Mme von der Leyen et du plan de réarmement de 800 milliards d'euros.
L'urgence est de collectivement soutenir l'Ukraine. Nous lui avons fourni 135,4 milliards d'euros, dont 30,6 milliards en 2025. Alors que Trump et Poutine continuent de parler de trêve, la France doit réaffirmer que ce ne sera possible que dans le cadre d'un accord de paix globale. Il ne peut y avoir de négociation sur l'Ukraine sans Ukraine. L'Europe devra s'assurer que les accords de paix seront respectés.
Ne nous leurrons pas : le plan de Poutine est de revenir au partage du monde de Yalta. En outre, la Russie pourrait attaquer un pays de l'Union européenne à une échéance de trois à dix ans.
L'Union européenne doit se réarmer politiquement. Elle doit être plus stratège que tatillonne, plus politique que bureaucratique. Je vous invite à relire mon rapport rédigé avec Jean-François Rapin et Didier Marie sur la dérive normative de l'Union.
À défaut d'avoir voulu mener des politiques industrielles dédiées, nous voilà devenus dangereusement dépendants. Personnellement, j'alerte depuis plus de dix ans sur l'urgence à construire autre chose qu'une simple Europe des consommateurs : une Europe des acteurs.
Internet est un terrain d'affrontement mondial. C'est un terreau fertile de guerre informationnelle. La Russie nous livre une guerre cyber souterraine. Alors oui, l'Union européenne a oeuvré pour un meilleur internet, pour protéger nos données, pour réguler les services, mais elle a failli industriellement et n'a pas assuré sa souveraineté numérique. Il est plus que temps de reprendre en main notre destin numérique.
La directive NIS 2 établit une architecture de sécurité, nous avons adopté le projet de loi la transposant, c'est très bien. Il faut appliquer les standards, mais en ayant recours à des entreprises françaises et européennes.
Les dépenses de réarmement devraient échapper aux règles du pacte de stabilité et de croissance. La commande publique doit pouvoir appuyer le réarmement.
Avec Florence Blatrix Contat, nous avons proposé au vote de la commission des affaires européennes notamment la création d'outils souverains et un investissement massif dans les nouvelles technologies - l'intelligence artificielle, le quantique - au sein du programme Horizon Europe.
Le combat d'Elon Musk et Mark Zuckerberg au nom de la prétendue liberté d'expression favorise les pires dérives des réseaux sociaux qui mettent en danger nos enfants, ont conduit à l'assassinat d'un professeur et menacent notre démocratie.
Le bouclier démocratique annoncé par la Commission européenne doit être adopté rapidement. Il doit prévoir des normes éthiques minimales, dès la conception des algorithmes, et garantir l'indépendance de nos médias et de nos journalistes professionnels.
Compte tenu du contexte géopolitique, pouvez-vous vous assurer de la reprise de la réflexion sur la certification européenne pour les services de cloud, dite EUCS ? Nos données ne sauraient être confiées qu'à des entreprises obéissant au niveau d'exigence High+. Le groupe UC est convaincu que l'Union européenne pourra relever les défis si elle est soudée, stratège et volontaire. (M. Jacques Fernique applaudit.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous avons demandé à la Commission européenne de faire appliquer le DSA sur X et TikTok, et de prendre les sanctions qui s'imposent, le cas échéant.
En Roumanie, le nom du candidat complotiste d'extrême droite pro russe a été le huitième nom le plus partagé au monde sur TikTok.
Mettons le paquet pour développer nos solutions européennes. Je suis frappé de voir l'évolution du débat chez certains de nos partenaires, qui nous rejoignent. Nous devons offrir des solutions décarbonées et souveraines.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - À l'heure où l'Europe s'apprête à un sommet déterminant, une certitude s'impose : l'avenir du continent se joue sous nos yeux et, martelé comme une injonction, au travers de son réarmement. Mais au service de qui ?
Le peuple ukrainien est victime d'une guerre atroce et injustifiable. Néanmoins la paix ne se noue pas dans l'escalade. Or c'est bien la voie choisie, avec le triplement des dépenses militaires européennes. L'obsession martiale fait écho aux mots glaçants d'Ursula von der Leyen : « Le temps est venu d'assurer la paix par la force. »
L'Union européenne appelle au surarmement, dans un décalage impressionnant. Le chiffre de 5 % du PIB européen dévolu à l'armement correspond aux exigences de Trump de faire financer l'Otan par l'Europe, tout en préservant la suprématie américaine. Mme von der Leyen lui offre sur un plateau ce qu'il réclamait depuis des années.
L'Europe est addict aux armes américaines : nous importons toujours plus d'armes, et 64 % d'entre elles sont américaines. Dans l'attente d'une union d'épargne et d'investissement, devrons-nous compter sur BlackRock et consorts pour accompagner notre base industrielle et technologique de défense (BITD) ?
Nous ne croyons pas en cette fuite en avant quand les dividendes des marchands d'armes augmentent. En un an, le cours de Dassault a bondi de 66 %, et celui de Rheinmetall de 125 %. Nous dénonçons cette stratégie de militarisation à marche forcée.
Engageons-nous sur une autre voie, celle d'une conférence Helsinki II. La question ukrainienne ne peut occulter les grandes tensions au Proche et au Moyen-Orient. Le massacre d'Alaouites et de chrétiens en Syrie nous interroge sur la crédibilité de la conversion à la démocratie de ses dirigeants. Gaza continue à nous préoccuper : les trêves sans lendemain se succèdent, et le sort des derniers otages ou de leurs cadavres n'est toujours pas réglé. Comment la diplomatie européenne peut-elle agir de façon efficace si ce n'est comme l'Espagne, en reconnaissant deux États : Israël et Palestine.
Chez nous, certains subissent les logiques à courte vue de l'Union européenne : les salariés du Pas-de-Calais, des Hauts-de-France ou d'ailleurs savent ce que cela veut dire, particulièrement ce qu'il y a derrière le mot « compétitivité ». C'est l'excuse parfaite pour justifier la fermeture d'usines, les suppressions de postes, la disparition des savoir-faire ou l'allègement du devoir de vigilance, comme le prévoit la nouvelle directive Omnibus. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K ; Mme Solanges Nadille, MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - À vous entendre, il n'y aurait pas de menace, et l'investissement militaire se ferait de façon décorrélée de notre environnement géopolitique. En 1975, lors de la première conférence d'Helsinki, la France dépensait plus de 3 % de son budget pour l'outil de défense. Diplomatie et défense ne sont pas incompatibles.
Nous faisons face à l'agression de la Russie à nos portes, à l'ingérence de la Russie dans nos démocraties, à des attaques cyber, à des offensives contre nos intérêts en Afrique. L'Union européenne nous a permis de créer un continent de paix, de remplacer le conflit par le dialogue, le droit et la régulation, mais nous avons toujours des voisins qui nous menacent et un environnement instable. Nous devons nous donner les moyens de défendre nos valeurs de liberté et de paix.
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Depuis la fin du mois de février, que d'électrochocs violents : alignement de Trump sur Poutine, traquenard du Bureau ovale, tarifs douaniers hostiles. Les illusions géopolitiques s'envolent. En ce moment de bascule historique, nous interrogeons bien plus la démarche engagée par l'Union européenne depuis quelques semaines que l'ordre du jour du Conseil des 20 et 21 mars.
C'est notre modèle européen fondé sur la coopération, la liberté et le droit qui est attaqué par les États-Unis et leur président erratique et autoritaire. L'Europe est au pied du mur. Elle doit faire un saut fédéral pour défendre sa sécurité collective.
L'Europe porte des valeurs pacifiques, mais il nous faut admettre le rapport de force pour défendre l'État de droit. Il ne peut être question de limiter notre niveau de préparation à ce qui est raisonnable. Si la Hongrie et la Slovaquie persistent à ne pas vouloir soutenir l'Ukraine, il faudra que les autres États membres, pour faire face aux scénarios les plus graves, fassent progresser le vote à la majorité qualifiée dans le champ de la politique étrangère et de la sécurité.
Il faut aussi garantir la sécurité des financements à long terme en matière de défense, pour développer les infrastructures à double usage et soutenir les investissements dans une transition juste. Lancer un emprunt commun s'impose : l'Allemagne évolue et la France dispose d'outils décisifs. Il faut aussi solliciter les super riches, et soumettre à l'impôt les bénéfices exceptionnels des acteurs de la défense.
Pour financer les 800 milliards d'euros annoncés, il faut de nouvelles ressources propres. On ne peut ponctionner les programmes de la cohésion ou de l'agriculture. Seul le renforcement du tissu social et économique de l'Europe renforcera la capacité de l'Union à se défendre contre les ingérences étrangères. Ne donnons pas de grain à moudre à X, à Bolloré ou aux forces politiques fascinées par Poutine ou Trump. Sortons des logiques contreproductives.
Notre autonomie stratégique ne se limite pas à la défense. Le pacte vert n'est pas en concurrence avec la défense : s'émanciper du gaz russe, des engrais azotés et du gaz naturel liquéfié (GNL) américain est aussi important que de limiter nos dépendances à l'égard des entreprises d'armement américaines.
Ainsi, le revirement de la Commission européenne, avec sa directive Omnibus qui revient sur une décennie d'avancées environnementales, arrive au pire moment. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Audrey Linkenheld . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le contexte international se dégrade. La guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, la défense européenne et la politique migratoire seront au coeur des prochaines discussions.
L'Ukraine se bat pour sa souveraineté. Le groupe SER réaffirme son plein soutien à la résistance ukrainienne et à la recherche d'une paix durable. Nous sommes favorables à la saisie sans délai des 210 milliards d'avoirs russes gelés et de leurs intérêts. C'est aussi la position majoritaire de l'Assemblée nationale. Sans cela, nous trahirions un peuple agressé, et exposerions l'Europe à de nouvelles menaces. Le Gouvernement compte-t-il porter cette exigence de justice et plaider la réallocation des avoirs russes ?
Au-delà de l'implication personnelle d'Emmanuel Macron, pouvez-vous nous assurer que la France cherche bien une position partagée, aussi bien sur le plan national qu'international ?
Tout dépend de l'implication de l'ensemble des États membres. Alors que le Brexit a modifié la place des Britanniques en Europe, quelles sont les étapes de rétablissement d'une relation franco-allemande plus conforme à l'histoire de l'Union européenne ? Elle représente un moteur essentiel. La France doit peser pour que l'Europe prenne une place pour elle-même, pour sa sécurité et notre avenir à tous.
C'est vrai pour les négociations entre l'Ukraine et la Russie. C'est vrai pour les Balkans. Concernant les négociations au Proche-Orient, quelles initiatives la France entend-elle soutenir, en lien avec l'Union européenne, pour oeuvrer à la résolution de ce conflit meurtrier ?
La réforme de la politique migratoire est également à l'ordre du jour du Conseil européen. La révision de la directive Retour fragilise les valeurs de l'Union européenne en prévoyant notamment l'allongement de la durée de rétention. Au regard de l'obsession migratoire de votre collègue ministre de l'intérieur Bruno Retailleau, nous ne sommes guère surpris du silence du Gouvernement. Allez-vous laisser faire ou pouvons-nous compter sur votre discernement afin de ne pas violer les droits des migrants par des mesures inspirées directement de l'extrême droite ? L'Europe ne peut pas d'un côté prôner le respect des droits humains partout dans le monde et de l'autre accréditer la thèse que les migrants sont avant tout des criminels, qu'il faut traiter comme tels.
Nous vous demandons de porter plus que jamais le projet européen, et d'affirmer une position de la France conforme à notre histoire et à nos valeurs. (M. Jacques Fernique et Mme Florence Blatrix Contat applaudissent.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Les avoirs russes gelés ont été immobilisés au lendemain de la guerre d'agression de la Russie. Les intérêts de ces actifs financent un prêt de 50 milliards d'euros à l'Ukraine, dont l'Union européenne couvre 20 milliards d'euros.
Concernant la saisie du principal des actifs, les avertissements de la Banque centrale européenne (BCE) portent sur le risque que cela représenterait pour les investisseurs étrangers en Europe, en sus des questions juridiques. Cette décision doit rester collective. Cet argent n'est pas en France mais en Belgique ; cela exposerait nos partenaires belges. Les actifs seront dégelés lorsque la Russie paiera des dédommagements. Ce n'est pas le cas, c'est donc un levier pour les négociations avec Moscou.
Sur la relance d'un dialogue politique menant à deux États au Proche-Orient et à la libération des otages, la diplomatie française est mobilisée. Elle a notamment joué un rôle pilote dans la négociation d'un cessez-le-feu au Liban.
M. Marc Laménie . - Nous sommes à un tournant historique. Une guerre se déroule sur notre continent, notre principal allié ne semble plus en être un, notre économie est fragilisée.
Moyen-Orient, compétitivité, prochain cadre financier pluriannuel, immigration... L'ordre du jour du Conseil européen porte sur des enjeux majeurs.
Plus d'un million de morts et de blessés sont à déplorer en Ukraine selon le Wall Street Journal, alors que Trump se rapproche de celui qui a déclenché la guerre. L'Europe doit se mobiliser.
Le 6 mars, les Vingt-Sept se sont accordés sur des mesures historiques pour la défense européenne. Mais des questions sont en suspens. Le groupe Les Indépendants fait part de ses vives inquiétudes sur la Hongrie, soutien de Donald Trump, qui a refusé d'adopter le renforcement du soutien à l'Ukraine. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire un point d'étape ?
En Syrie, l'histoire semble se répéter. Des violences inouïes ont eu lieu : en quatre jours, des milliers de civils, notamment chrétiens et alaouites, ont été massacrés. Cela rappelle les massacres de sunnites après la chute de Saddam Hussein en Irak, puis de chiites lors de l'arrivée de Daech. Quelle est la réponse de l'Union européenne ? Il y a moins d'un mois, l'Europe a levé les sanctions contre la Syrie. Celle-ci s'est libérée du joug de Bachar al-Assad mais le combat n'est pas terminé. Des Syriens risquent leur vie en raison de leur appartenance religieuse ; je pense notamment aux chrétiens d'Orient. L'Europe doit faire preuve d'une vigilance absolue.
Notre économie est aujourd'hui menacée, selon le rapport Draghi et Letta. Mario Draghi parle même de « lente agonie ». Qui dit affaiblissement économique dit perte de compétitivité et perte de souveraineté et d'indépendance. La Commission européenne a publié en janvier la boussole de compétitivité pour relancer notre économie, combler notre retard en matière d'innovation, combiner décarbonation et compétitivité, réduire nos dépendances et renforcer notre sécurité. Le groupe Les Indépendants salue cette démarche, mais souhaite prioriser aussi la simplification des normes, cruciale dans un monde instable et face à une concurrence déloyale. Il y va de notre souveraineté. Comment envisagez-vous leur mise en oeuvre à l'échelle nationale ?
Les 20 et 21 mars, le Conseil abordera le prochain cadre financier pluriannuel, stratégique. La Commission a présenté de premières orientations. Quelles sont les positions du Gouvernement sur la mise en place de nouvelles ressources propres ?
Le 11 mars, la commission a dévoilé le nouveau règlement facilitant le départ de migrants en situation irrégulière. Chaque année, un million de migrants illégaux reçoivent l'ordre de quitter l'Union européenne, mais seulement un sur cinq le fait. Nous appuyons cette volonté de réforme. Quelles sont les perspectives du Gouvernement en la matière ?
Nous sommes à un moment de bascule historique. Notre seule boussole doit être de renforcer l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et du RDPI)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous maintenons un dialogue exigeant avec la Hongrie pour parvenir à une solution de compromis. Nous avons renouvelé les sanctions contre des représentants du monde économique russe, comme le gel des avoirs ou l'interdiction de visas.
Nous n'en sommes pas encore à la transposition de la directive Omnibus de simplification en droit national. Nous devons aller plus loin en réduisant le nombre de données de reporting imposées aux entreprises.
L'un des enjeux est aussi la dé-surtransposition. J'ai demandé aux services de Matignon de faire un audit des surtranspositions. En 2018, un premier texte visait à supprimer ces surtranspositions.
La levée des sanctions vis-à-vis de la Syrie est réversible ; la France portera un discours très exigeant sur la protection des droits humains, la lutte contre le terrorisme, le dialogue inclusif et bien sûr la protection des chrétiens d'Orient.
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En l'espace de trois ans, l'environnement stratégique de l'Europe s'est transformé. Un tabou a volé en éclats : la Russie a violé les frontières d'un État souverain.
Désormais, c'est le totem de l'alliance atlantique que le président américain fait vaciller, suscitant une émotion vive dans de nombreux pays européens. Il faut rester lucide sur l'état de la menace et les alliances. Alors que l'armée russe jette toutes ses forces dans la bataille, ses avancées restent modestes. Si elle n'a pas encore franchi le Dniepr après trois ans de combats, qui pourrait croire qu'elle aille jusqu'au Rhin ?
Mais l'exposition des États plus proches doit être prise en compte. La menace russe est réelle mais la qualifier de menace existentielle, comme le fait le Président de la République, est excessif.
Les États-Unis sont un allié imprévisible, mais ils restent un allié. La dénonciation de l'article 5 du traité de l'Atlantique nord ou le stationnement des soldats américains en Europe ne semble pas remis en cause. Mais c'est un fait : le pivot des États-Unis vers l'Asie s'accélère. L'engagement des États-Unis sera différent demain.
Il ne s'agit pas de penser notre sécurité collective en dehors de toute alliance, et encore moins de se préparer à affronter la Russie sur le terrain ukrainien, mais nous devons prendre acte des bouleversements de notre environnement proche et agir en conséquence. À court terme, nous ne pouvons pas abandonner l'Ukraine à son sort. À moyen et long terme, nous devons mettre en place une défense européenne. Ne nous payons pas de mots : les défis sont immenses, prendront du temps et impliqueront d'agir selon certains principes, en premier lieu desquels le pilotage de nos initiatives.
La sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre, selon l'article 4 du Traité sur l'Union européenne. La coopération européenne en matière de défense est intergouvernementale et doit le rester. Il est inacceptable que la Commission européenne cherche à s'arroger des compétences qui ne sont pas les siennes, comme avec Edip. Mme von der Leyen dépasse très largement ses prérogatives.
La révolution culturelle qui implique l'autonomie stratégique européenne n'est pas arrivée à son terme. La préférence européenne en matière d'achats de matériel militaire est difficile à concrétiser. Comment les Européens peuvent-ils déclarer vouloir assumer leur sécurité et rester sous tutelle en étant armés par un tiers ? Affirmer l'autonomie stratégique, c'est affirmer que les achats doivent être en priorité européens.
Les efforts doivent être amplifiés et financés. Mais ReArm Europe ne sera sans doute pas d'une grande utilité ; on est loin des 800 milliards d'euros d'argent frais promis par Mme von der Leyen. Cette initiative repose principalement sur la sortie des dépenses de défense du pacte de stabilité et de croissance, qui arrive hélas bien tard. En outre, si nous ne passons pas sous les fourches caudines de la Commission, nous passerons sous celles des marchés.
Le plan prévoit l'octroi de prêts garantis par l'Europe, qui devront être remboursés. Pas plus pour la défense que pour d'autres secteurs, il n'y aura d'argent magique. Il faudra des économies substantielles. La Commission européenne a fait de la réduction de la charge administrative une priorité pour les années à venir. Elle a enfin entendu que la coupe était pleine pour nos entreprises. Il est positif qu'un train de mesures de simplification accompagne le Livre blanc dans ce domaine.
Je veux souligner la nécessité absolue de revenir sur la conception de certains textes comme la taxonomie, qui ressemble à une mise à l'index pure et simple des industries de défense.
Le renforcement européen de nos outils militaires est une utilité, mais il exige que nous nous y attaquions avec calme, lucidité, détermination, constance et réalisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Merci pour cet appel au calme et au réalisme. La taxonomie excluait la défense, avez-vous souligné. Nous avons poussé pour le changement de mandat de la Banque européenne d'investissement pour inclure la défense.
Les Américains restent nos partenaires ; nous voulons continuer à travailler avec eux.
Nous lançons des investissements massifs en faveur de notre outil de défense européen tout en maintenant notre dialogue avec les États-Unis. Il ne serait pas dans leur intérêt de pousser à une capitulation de l'Ukraine, notamment par rapport à la Chine.
L'outil de défense européen reste - bien sûr - l'apanage des États membres. Il n'est pas contradictoire de voir où se situent nos dépendances et nos lacunes capacitaires, de dégager des financements européens tout comme des facilités, et de rappeler qu'il ne s'agit aucunement d'une fédéralisation de la défense.
M. Alain Cadec. - Merci, monsieur le ministre.
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Mercredi dernier, les ministres des cinq plus grandes nations militaires européennes - la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Pologne - étaient réunis à Paris, afin de faire front commun pour instaurer un cadre de sécurité pour l'Ukraine, la défense européenne, face au rapprochement entre les États-Unis et la Russie.
En 2017, rappelons-nous celui qui demandait, alors qu'il entrait à l'Assemblée nationale et regardait avec mépris le drapeau européen dans l'hémicycle : « on est obligé de supporter cela ». Rappelons celle qui se disait défenseuse des productions européennes tout en soutenant avec force celui qui propose des droits de douane de 200 % sur le champagne et les vins français. Ils ont systématiquement été contre l'Europe.
Constatons dans le même temps que le Président de la République a toujours poussé nos alliés à réfléchir et investir dans une défense européenne.
Emmanuel Macron a toujours défendu une Europe puissante. Il a pu être critiqué mais l'ère géopolitique nouvelle lui donne plus que raison.
Nous ne sommes pas en train de choisir le péril russe plutôt que la lutte contre le terrorisme islamique. De tels discours sont faux et irresponsables. Nous ne pouvons ni ne devons choisir. C'est une Europe unie est la seule solution.
Dans un contexte international bouleversé, grave, anxiogène, nous avons débattu de la guerre en Ukraine à la veille de l'allocution présidentielle. Le Parlement français jouera tout son rôle dans ce domaine réservé du président.
Des majorités très différentes ont donné leur feu vert au projet de la Commission européenne de 800 milliards d'euros dont 150 milliards de prêts pour renforcer nos capacités de défense.
Hubert Védrine l'a souligné dans Le Télégramme : c'est l'épreuve de vérité.
Mon groupe salue l'action constante de Sébastien Lecornu qui défend la nécessité d'accroître le niveau d'information des groupes parlementaires ; il en a reçu tous les présidents au lendemain de l'adoption par l'Assemblée nationale d'une résolution renforçant le soutien à l'Ukraine. Jeudi dernier, il a démontré sa volonté de débattre avec les Français.
Alors que nous avons chaque année à nous prononcer sur les crédits de la défense, pourriez-vous nous détailler les positions de la France sur le financement mutualisé et les outils de chaque État membre ?
Je suis impliquée sur les sujets de commande publique : quelle est la position de la France quant à la préférence européenne pour les achats militaires ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je veux souligner l'importance d'une Europe forte dans ces temps mouvementés. Comme le disait le président Macron dans son discours de la Sorbonne, l'Europe doit être moins dépendante de ses voisins et reprendre son destin en main. Nos idées sont au coeur des débats européens. Les Européens s'unissent à vingt-sept pour réaffirmer leur soutien à l'Ukraine et réinvestir dans l'outil militaire.
La position de la France n'a jamais varié : soutenir une industrie de défense européenne autonome. Nous voulons pouvoir monter en capacité et conserver nos savoir-faire. C'est l'objet du règlement Edip. Nous discutons de mécanismes de financements qui permettent d'investir dans nos moyens capacitaires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le Conseil des 20 et 21 mars fait suite au conseil extraordinaire du 6 mars. Nous attendons avec impatience le Livre blanc sur la défense qui sera publié mercredi.
La proposition de cessez-le-feu de Djeddah a légèrement fait bouger les lignes mais la situation reste préoccupante, car la position russe reste ambiguë. Le rapprochement avec la Russie crée une instabilité manifeste qui force l'Europe au réveil. Nous espérons que la position de Trump soit erratique et peu compréhensible plutôt que réfléchie.
Nous n'avons d'autre choix que de prendre la situation comme une opportunité pour l'Union européenne. Elle doit investir dans sa défense et sa souveraineté sans compter ad vitam aeternam sur les États-Unis.
L'Ukraine, depuis trois ans, s'épuise à défendre sa vie et son territoire face à une Russie toujours plus autoritaire.
Depuis trois ans, l'Union européenne, à l'exception de la Hongrie, prône une paix qui respecte la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. À rebours du Président et du vice-président des États-Unis, membres de l'internationale des réactionnaires, nous ne voulons pas d'une paix au rabais. Les États-Unis semblent hésiter, faisant cesser les livraisons d'armes pour les reprendre le lendemain. Ils ne sont plus un allié fiable. Nous devons en tirer des conséquences.
Pouvons-nous maîtriser nos déficits publics et accélérer notre soutien à l'Ukraine ? La réponse est non. Notre groupe demande la transparence totale, préalable pour que l'ensemble de nos compatriotes adhèrent aux mesures prises.
Au Moyen-Orient, Donald Trump tente de rebattre les cartes, mais la bonne diplomatie s'improvise rarement, surtout quand les propositions sont aberrantes, comme celle d'une Riviera à Gaza.
Le cessez-le-feu entre le Hamas et Israël et les échanges d'otages et de prisonniers doivent se poursuivre.
L'enjeu n'est pas seulement de mettre un terme aux conflits, mais de reconstruire les conditions d'une paix juste et durable entre tous les belligérants. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La France et ses partenaires s'engagent pour trouver les conditions d'une paix juste et durable en Ukraine, ce qui ne signifie pas un cessez-le-feu ou une trêve qui donnerait le temps à la Russie de se réarmer pour réattaquer.
À la Russie de montrer si elle veut choisir le chemin de la paix et de la diplomatie, à laquelle elle tourne le dos depuis trois ans. Pour mettre fin à cette guerre, il faut mettre la pression sur la Russie, qui est l'agresseur.
Après avoir renouvelé les sanctions, notamment sur le secteur énergétique, nous continuons à mettre la pression sur la Russie, en demandant que des garanties de sécurité soient assurées à l'Ukraine. On connaît le précédent des accords de Minsk, que la Russie n'a pas hésité à violer à de nombreuses reprises. Les Européens devront prendre toutes leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'histoire européenne est faite de ces moments ou l'impensable devient réalité. On croyait l'Union incapable d'endettement commun - jusqu'au covid. On la croyait figée dans ses dépendances - jusqu'à ce que l'invasion de l'Ukraine par la Russie impose un tournant majeur.
Il est impératif que l'Europe renforce son autonomie stratégique. Cela passe par le rehaussement de nos dépenses militaires mais aussi par le soutien à la réindustrialisation et à la transition écologique.
Nous devons instaurer une préférence européenne dans les achats militaires. Mais la question centrale demeure le financement de cet effort.
La présidente de la Commission européenne a annoncé un plan de 800 milliards d'euros d'investissements, dont 150 milliards mutualisés via un prêt européen. Cet effort ne saurait se traduire par des coupes budgétaires qui fragiliseraient notre modèle social (Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit) ou serviraient de prétexte à enterrer la négociation sur les retraites.
L'Union européenne devra être en capacité de mobiliser des financements exceptionnels, notamment le Mécanisme européen de stabilité. Cette piste est-elle envisagée ?
Les cours boursiers des entreprises de défense se sont envolés ; le risque de superprofits existe. Comment éviter les rentes de situation ?
La souveraineté ne se limite pas aux chars et aux canons : l'effort doit porter aussi sur les infrastructures numériques. L'Europe ne peut plus se contenter d'être un marché captif en proie aux ingérences étrangères. Nous devons développer des plateformes souveraines, financées par des fonds publics. Nous l'avons défendu dans notre proposition de résolution européenne, adoptée la semaine dernière en commission des affaires européennes. Comment la France soutiendra-t-elle un modèle numérique européen affranchi des géants américains et chinois ?
Les négociations du cadre financier pluriannuel 2028 - 2034 et la question des ressources propres sont cruciales, sans quoi le financement de NextGenerationEU retombera sur les États membres.
Notre quête de souveraineté ne doit pas se faire au détriment de nos engagements sociaux et environnementaux. Simplifier les normes, oui. Baisser les exigences, non. Qu'en est-il des directives CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) notamment sur la condition suspensive ? Une Europe forte ne peut être qu'une Europe qui recherche et qui innove. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST ; M. Marc Laménie et Mme Solanges Nadille applaudissent également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - N'opposons pas souveraineté et simplification. Si on impose à nos entreprises des normes - qui partent certes d'un objectif louable de décarbonation - mais qui favorisent la concurrence chinoise et américaine, on échouera tant dans notre objectif de souveraineté que de transition environnementale.
Avec Marc Ferracci et Agnès Pannier-Runacher, nous avons obtenu la suspension et le lissage des amendes que devaient payer les constructeurs automobiles en 2025, qui ont fait des efforts d'électrification mais se sont heurtés à la chute de la demande de véhicules électriques en 2024. Le bon sens, le pragmatisme et la simplification pour accompagner les acteurs économiques ne sont pas contradictoires avec la souveraineté.
Souveraineté signifie aussi de ne pas dépendre des technologies américaines ou chinoises. Il faut faire respecter le DMA et le DSA et soutenir nos start-up, nos pépites, pour qu'elles ne partent pas aux États-Unis. C'était tout l'enjeu du sommet sur l'intelligence artificielle : défendre la démocratie par nos règles, et soutenir l'investissement et l'innovation qui doivent nous rendre autonomes. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission de la commission des affaires européennes . - Vous avez entendu le message à porter au Président de la République, monsieur le ministre.
Ce Conseil est particulièrement important. Il marquera probablement un tournant : nous verrons la capacité de l'Union européenne à être réellement une union.
Nous ne vivons pas au pays des Bisounours. L'Europe ne doit pas être naïve. Elle ne doit pas avoir peur pour autant. Doit-elle être forte ? Oui, très forte même. Notre adversaire russe investit 135 milliards d'euros, le double de ce qu'il a engagé il y a quatre ans, soit 6,5 % de son PIB et 35 % de ses dépenses fédérales ! C'est dire combien les États fédérés russes souffrent.
L'Union européenne doit faire preuve de force et de fermeté. La France peut être leader. Ne soyons pas des fers de lance sans objectif final. Je compte sur vous et sur le Président de la République pour défendre un message européen d'union, car l'Union fait la force. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, mardi 18 mars 2025 à 9 h 30.
La séance est levée à 19 heures.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 18 mars 2025
Séance publique
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
Présidence : M. Didier Mandelli, vice-président M. Gérard Larcher, président Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente M. Loïc Hervé, vice-président Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
Secrétaires : M. Fabien Genet, M. Guy Benarroche
1. Questions orales
2. Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, présentée par MM. Guislain Cambier, Jean-Baptiste Blanc et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°373, 2024-2025)
3. Proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio (texte de la commission, n°430, 2024-2025) (demande du groupe Les Républicains)
4. Proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, présentée par Mme Valérie Boyer (texte de la commission, n°427, 2024-2025) (demande du groupe Les Républicains)