Déclaration du Gouvernement sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe.

M. François Bayrou, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE) Avant tout, monsieur le Président, j'associe le Gouvernement à vos mots sensibles et justes en mémoire de Jean-Louis Debré. Pour avoir été membre du même gouvernement que lui pendant deux ans, je connaissais bien sa personnalité attachante.

Le premier mot qui vient à l'esprit pour le qualifier est « républicain ». Fils de Michel Debré, père de la Constitution de la Ve République, il disait avec humour être « le frère de la Constitution ». Le deuxième mot est « fidélité ». Au-delà des enjeux politiques partagés, sa fidélité envers le président Chirac était joviale, amicale, chaleureuse. Le troisième mot est « humour » : il portait sur le monde politique un regard amusé, ironique et informé. Il n'était guère de secret qu'il ne connût, mais il avait de l'indulgence pour la nature humaine. Cette chaleur humaine se retrouvait dans ses oeuvres littéraires : son expérience de juge d'instruction avait nourri ses romans policiers.

Jean-Louis Debré s'est illustré à la présidence de l'Assemblée nationale puis du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement adresse à sa famille ses sentiments fidèles et chaleureux. Nous regrettons déjà cet homme qui méritait respect et affection.

Cette séance est consacrée à la situation en Ukraine et, plus largement, à la défense de notre Union européenne.

D'heure en heure, la situation évolue, nous plaçant devant des responsabilités que nous ne pouvons éluder. Hier, nous étions encore sous le choc de la rencontre, dans le Bureau ovale, entre le président Trump et le président Zelensky. Nous avons perçu la brutalité et le mépris avec lesquels le président américain a traité le président ukrainien comme une offense à l'idée que nous nous faisons des relations entre États, à nos principes et valeurs - auxquels nous pensions notre allié américain également attaché.

C'est une prise de conscience douloureuse que de voir ainsi abandonnée la solidarité avec l'Ukraine, pays qui se bat pour sa survie mais aussi pour nos principes de droit, au prix déjà de cent mille morts, de centaines de milliers de blessés, de vingt mille enfants déplacés pour effacer leur identité ukrainienne - cette déportation est pour nous un crime contre l'humanité. Les centaines de milliers d'Ukrainiens déracinés sont le visage de tout un peuple qui souffre.

L'Ukraine souffre pour une raison précise, datée : le 24 février 2022, les forces armées de la fédération de Russie ont été jetées sur l'Ukraine, pour annexer son territoire et écarter ses responsables élus - qui font preuve d'un héroïsme remarquable. Nous sommes admiratifs et solidaires de Volodymyr Zelensky, qui a refusé de plier devant l'intimidation. Il porte l'honneur de la démocratie et l'honneur de l'Europe. Il a honoré sa mission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER, INDEP, du RDPI, du RDSE et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Il y avait eu des signes avant-coureurs : les rodomontades du président américain, promettant de régler le conflit en un jour, ou affirmant sa volonté, au mépris du droit des nations, d'annexer le canal de Panama et le Groenland, d'intégrer le Canada aux États-Unis, de prendre le contrôle de Gaza...

Or voilà que les outrances se traduisent en actes. Nous avons très vite vu l'inquiétant changement de la diplomatie américaine. La semaine dernière, aux Nations unies, les États-Unis ont voté avec la Russie et la Corée du Nord pour repousser une résolution qui mentionnait la responsabilité de la Russie dans la tentative d'annexion de l'Ukraine. Ce refus de nommer l'agression contre l'Ukraine a marqué les consciences.

Puis l'agression dans le Bureau ovale, les mots du président Trump : « trouvez un accord avec Poutine, ou nous vous laisserons tomber ». Voir une nation souveraine menacée dans son existence même, être ainsi abandonnée par le pays qui fut le leader de l'alliance de la liberté, c'est extrêmement violent.

Rappelons cette réalité : si la Russie arrête le combat, c'est la fin de la guerre ; si l'Ukraine arrête le combat, c'est la fin de l'Ukraine.

Cette nuit, les États-Unis ont annoncé la cessation des livraisons d'aide à l'Ukraine - le mot « suspension » ne trompe personne. On abandonne un pays agressé, on souhaite que l'agresseur l'emporte. Pour la France, pour l'Europe, pour tous ceux qui sont attachés à la liberté et au droit, c'est insupportable, venant d'un pays membre du Conseil de sécurité, garant de l'ordre international construit depuis la Seconde Guerre mondiale.

La Charte des Nations unies reposait sur la primauté du droit sur la violence, sur le refus de la violence pour régler les conflits, sur le droit du plus juste contre le droit du plus fort. Nous entrons dans un autre monde où ces principes ne sont plus, où l'existence même des relations internationales telles que nous les connaissions - relations commerciales, économiques, multilatéralisme - est menacée.

Devant cet abandon de nos principes, ce changement de l'ordre du monde, nombre de nos concitoyens sont désespérés. Mais nous ne pouvons pas désespérer. Nous sommes la France, nous sommes l'Europe.

Nous sommes non pas faibles, mais forts ! L'Union européenne compte 450 millions d'habitants, 520 millions avec la Grande-Bretagne, contre 145 millions pour la Russie. Le PIB de l'Union européenne représente 17 000 milliards d'euros, contre 2 000 milliards pour la Russie. Les armées européennes comptent 2,6 millions de soldats, plus du double de l'armée russe. Nous avons 15 000 aéronefs, la Russie en a 5 000. Nous avons 15 000 pièces d'artillerie, la Russie moins de 10 000. Nous ne mobilisons pas cette force, mais c'est à tort que nos concitoyens nous pensent désarmés.

Lorsque certains partisans du général de Gaulle lui ont demandé de renoncer au traité de Rome, le Général a écrit, de sa main, dans la marge : « Non. Ils sont forts, mais ne le savent pas. » Nous devons porter cette même vision pour l'Union européenne.

Nous ignorons notre force, et renonçons à son influence ! Certes, il faut un gros travail pour que l'Union européenne fasse entendre sa volonté et ses principes. Mais nous sommes à un moment de vérité : nous devons dire ce que nous allons faire, et ce que nous sommes. « To be or not to be », telle est la question qui se pose à l'Europe.

M. Rachid Temal.  - Ah...

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Nous avons choisi que l'Union européenne soit, et qu'elle soit forte.

Les questions sont multiples, et hiérarchisées dans le temps. D'abord, l'urgence. L'arrêt des livraisons américaines va mettre en difficulté l'Ukraine en matière de munitions, de renseignement, de connectivité, de logistique, de formation. La responsabilité de l'Union européenne, des pays amis de l'Ukraine, est de se substituer le plus rapidement et le plus efficacement possible aux livraisons américaines, pour éviter que l'Ukraine ne craque. C'est un devoir de civilisation. Cela suppose la mobilisation de nos moyens, de nos stocks, - c'est de l'argent - de tous ceux qui pourront apporter de l'aide.

À moyen terme, nous avons un choix fondamental à faire : sommes-nous prêts à assumer nous-mêmes, Européens, la sécurité et la défense de l'Europe ? La vision du président américain est claire, et nous devons préparer cette échéance. Un continent aussi riche que le nôtre a la responsabilité d'assurer lui-même sa sécurité, sans s'en remettre perpétuellement à d'autres. C'est le message de la France, depuis le général de Gaulle, et, depuis huit ans, du Président de la République française : l'avenir de la défense européenne se joue en Europe.

La première conséquence est d'ordre industriel et technologique. Il faut construire une base industrielle et de défense qui permettra d'équiper les forces des pays de l'Union - car il n'est pas question d'armée européenne. Il faut organiser, coordonner, rapprocher les armées européennes. Or les deux tiers de leurs équipements sont acquis auprès des États-Unis, et leur utilisation est donc soumise à l'approbation des États-Unis.

Au bout de ce chemin, il y aura une mutualisation des armements, une interopérabilité, des stocks et des entraînements communs. Cette coalition des armées européennes est la clé de l'avenir. Avions, drones, blindés, capacités de transport, projection dans l'espace, renseignement : nos responsabilités vont transformer notre manière d'être. Dans l'espace, Galileo et IRIS² sont essentiels à notre indépendance. Cela suppose de gros investissements. La présidente von der Leyen a déclaré que le seuil de 3 % de déficit pourrait être dépassé dans cette optique ; des instruments de prêts sont préparés ; un appel à l'épargne sera lancé via la Banque européenne d'investissement (BEI).

Nous devrons résister à la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis, qui augmentent de 25 % les droits de douane sur les produits européens. Personne n'y gagnera : cela pénalisera tant les consommateurs américains que les producteurs européens, alors que notre balance commerciale avec les États-Unis est équilibrée.

Voilà les rendez-vous, les questions et le programme qui sont devant nous. Le rendez-vous de l'Europe avec elle-même est aussi le rendez-vous de la France avec elle-même. En effet, la France porte depuis des décennies une certaine idée de l'Europe, libre, solidaire, indépendante, qu'elle a sans cesse défendue auprès de ses partenaires. Mais notre influence est étroitement liée à la santé et au rayonnement de notre pays. Aussi nous faut-il redresser nos finances, retrouver des capacités industrielles, agricoles, et créatrices, retrouver confiance en nous-mêmes, pour porter le projet européen, qui est aussi un projet national.

La condition de ce redressement et de ce projet original, qui est économique mais aussi social, c'est l'unité du pays. Si nous sommes unis, rien ne nous résistera, mais si nous cultivons les divisions, les obstacles risquent d'être insurmontables.

L'idée que nous nous faisons de la liberté, du droit, d'un monde équilibré, repose aussi sur la capacité de la France à ressaisir son destin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Débat indispensable, tant la situation est grave. L'histoire s'est accélérée et les Européens doivent réagir dans l'urgence. Le monde qui nous apparaît n'est pas nouveau : c'est celui où la force prime le droit, où les États ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

La situation en Ukraine est bien connue. Ce malheureux pays, agressé par un voisin quatre fois plus peuplé, mène un combat héroïque mais forcément inégal. Je veux redire mon admiration pour son peuple, pour les immenses sacrifices consentis, sur le front et sous les bombardements russes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Yannick Jadot applaudit également.) Me reviennent les visages des soldats ukrainiens rencontrés sur la ligne de front voilà quelques semaines.

D'abord, un constat : l'Europe doit assumer seule la défense de ses intérêts. Depuis quatre-vingts ans, sa sécurité reposait avant tout sur la puissance militaire américaine. Cette anomalie s'est poursuivie après la fin de la guerre froide, dans l'illusion de ce qu'on a appelé « les dividendes de la paix ». Pendant trente ans, tous les pays européens se sont désarmés, nos capacités ont fondu : l'armée de terre est passée de 1 500 chars à moins de 200, de 400 pièces d'artillerie à 72. Même saignée en Allemagne, passée de 4 000 chars en 1992 à 300 aujourd'hui, de 3 000 pièces d'artillerie à une centaine. Plus grave encore, l'affaiblissement de notre industrie de défense, faute de commandes de l'État. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) n'a survécu que grâce à la diversification vers l'export - n'en déplaise à ceux qui jugent immorale toute exportation d'armement...

La présidente von der Leyen a appelé dimanche à un réarmement rapide de l'Europe. Une conversion digne du chemin de Damas ! Se souvient-elle des débats à Bruxelles sur la taxonomie, quand certains voulaient interdire la vente de matériel de guerre, ou décourageaient les banques de financer l'industrie de défense ?

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Cédric Perrin.  - Il ne faut pas sous-estimer notre affaiblissement industriel. Les compétences et les moyens de production qui ont été abandonnés ne pourront être restaurés d'un coup de baguette magique.

L'horizon de la guerre - menace éternelle qui pousse les nations à se préparer et à se rassembler sur un socle de valeurs communes - s'était effacé des consciences. La guerre était loin de notre quotidien, et les questions de défense absentes du débat public.

Désormais, la Russie accroît sa pression et les États-Unis conditionnent leur soutien à une vassalisation de l'Europe. L'alignement de Trump sur le narratif russe est une nouveauté, mais la dénonciation de l'inéquitable répartition de l'effort de défense au sein de l'Otan et le pivot stratégique vers le Pacifique sont des constantes depuis Obama.

Si la France s'est dotée d'une capacité souveraine de dissuasion nucléaire après la Seconde Guerre mondiale, c'est bien pour ne plus jamais dépendre des autres pour la défense de ses intérêts vitaux.

Poursuivre ce chemin d'autonomie suppose pragmatisme et ambition. Pragmatisme, car, avant de jeter le bébé américain avec l'eau saumâtre du bain trumpiste, il faut déterminer ce que l'on peut encore espérer des États-Unis. On ne pourra déployer de force de maintien de la paix européenne en Ukraine sans l'appui américain en matière de logistique, de communications et de soutien aérien, or rien n'est acquis.

Ambition, car nos atouts sont nombreux. La brutalité et les provocations du président Trump entraînent un réveil des Européens. L'Europe dispose des éléments de la puissance : sa population, sa richesse économique, ses capacités scientifiques et technologiques. La France est écoutée sur ces sujets. Seul État doté au sein de l'Union, elle ne dépend en rien des États-Unis pour sa dissuasion. Foin de la prétendue perte de souveraineté qu'entraînerait l'extension du parapluie nucléaire français : la dissuasion ne peut se partager, et les intérêts vitaux de la France sont liés à la sécurité de l'Europe.

La France a toujours promu l'autonomie stratégique européenne, elle possède des forces armées expérimentées, une BITD reconnue. Faisons prospérer ces atouts dans des partenariats concrets avec nos alliés.

Pour cela, il faut un redressement historique de notre effort de défense. Élu de terrain, j'entends les préoccupations de nos compatriotes - pouvoir d'achat, insécurité, dégradation des services publics - mais il faudra bien prendre l'argent quelque part. L'État est exsangue, et ne pourra financer l'effort de défense par la dette.

À ceux qui pensent que l'Ukraine est loin, je leur réponds qu'elle est à moins de 1 500 kilomètres de chez moi.

Pourquoi la guerre en Ukraine concernerait-elle chaque Français ? Pourquoi réarmer la France et l'Europe ? Parce que l'Ukraine fait obstacle au projet de Poutine de reconstituer le glacis soviétique. Si l'Ukraine tombe, ses prochaines cibles seront la Moldavie, la Roumanie, les États baltes, la Pologne, les Balkans occidentaux - sans compter l'explosion de la guerre hybride qu'il nous mène déjà. Laisser faire, c'est nous assurer de nous retrouver face à face avec la Russie.

Si la Russie gagne la guerre, l'Europe enverra au monde un signal de faiblesse. Une Europe divisée, affaiblie et humiliée calmerait-elle l'appétit économique de Trump et des grandes puissances ? Si nous ne renversons pas le cours des choses, nous serons soumis et vassalisés ; auquel cas, plus de débats sur les retraites, le point d'indice ou la transition écologique, car la richesse nationale sera captée par d'autres !

Si vis pacem, para bellum ! Poutine ne respecte que la force ; la seule chose qui puisse le freiner, c'est que les pays européens soient dissuasifs. Nos capacités militaires sont notre garantie de sécurité.

La classe politique est face à ses responsabilités. Le Sénat peut montrer la voie : il a voté la loi de programmation militaire de 2018 à 96 %, celle de 2023 à 95 %. Nous avons besoin de consensus républicain, dans ces heures graves. Je forme le voeu que les sénateurs se fassent l'écho de nos débats dans leurs territoires.

Le Président de la République et le Gouvernement ne sont pas restés inactifs, dont acte. Dotons la France des moyens de défendre ses intérêts et la sécurité des Français, et de porter sa volonté d'indépendance. Oublions les vieux schémas de pensées, regardons la dure réalité en face. Le temps nous est compté.

Du drame de 1940, le général Beaufre écrit : « les nations ne sont que les jouets du destin, si elles n'ont pas su prévoir la montée des périls ni intervenir à temps pour les conjurer ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe SER)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « La guerre, c'est la guerre des hommes ; la paix, c'est la guerre des idées » : ces mots de Victor Hugo sont d'actualité. La guerre en Ukraine est aussi une bataille des idées, où la démocratie, la liberté, la souveraineté, affrontent les forces autoritaires et impérialistes. C'est aussi un bras de fer idéologique et géopolitique, où est en jeu la survie de l'Ukraine, mais aussi l'équilibre d'un monde en perte de repères.

« La gloire et la liberté de l'Ukraine ne sont pas mortes », dit l'hymne ukrainien. Tout ce qui a été patiemment édifié pour garantir la paix peut être balayé. Le retour de la guerre sur le sol ukrainien est le prélude à une escalade qui semble désormais inéluctable. Depuis trois ans, le peuple ukrainien supporte, avec une résilience inouïe, des attaques incessantes, une impitoyable pression. Il ne se bat pas seulement pour sa survie, mais pour des valeurs qui nous sont communes. Sa lutte est notre lutte. L'Ukraine se bat pour nous, battons-nous avec elle.

L'Europe ne peut cautionner une sortie de crise qui soumettrait l'Ukraine à une domination à caractère néocolonialiste. Tout compromis qui prive l'Ukraine de son intégrité territoriale ou de son avenir européen serait une trahison pour l'ensemble de l'Europe. Nommons les choses : ce qui est proposé à l'Ukraine, ce n'est pas la paix, mais la reddition - avec la perte de 20 % de son territoire et de 100 % de sa souveraineté. Il faut trouver une autre solution.

Sortons de la naïveté. Le vent de l'autoritarisme souffle fort. Antagonistes en apparence, les puissances partagent des objectifs inquiétants : étendre leur domination, affaiblir nos démocraties, réécrire l'histoire. Les échanges publics entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump le 28 février dernier l'illustrent. Ce que ce dernier veut est simple : un monde où son pouvoir s'étend, où l'Europe se fragmente et où l'ordre multilatéral s'effondre. Trump, Vance, Rubio, Musk font penser aux quatre cavaliers de l'Apocalypse... (Sensation)

Nous devons tirer toutes les conséquences de ce basculement des alliances et défendre le multilatéralisme et les instances internationales.

L'Europe, prise dans la tourmente, est plus vulnérable que jamais. Pour Trump, l'Europe n'a jamais été une alliée, ni même une protégée : il voit le monde comme un immense Monopoly. Le traquenard médiatique du Bureau ovale peut être résumé par « I want my money back ». Cette nuit, il est allé plus loin, en suspendant son soutien à l'Ukraine pour la pousser à la capitulation.

Dans ce contexte mondial tumultueux, nous ne pouvons plus être des spectateurs passifs. Il ne suffit pas d'avoir horreur de la guerre, il faut savoir organiser contre elle des éléments de défense indispensables, disait Aristide Briand. Si vis pacem, para bellum.

François Mitterrand disait : lorsque l'Europe ouvre la bouche, c'est pour bâiller - nous n'avons plus cette liberté. Il est temps d'agir. L'Europe ne peut plus être une spectatrice sidérée. La dernière conférence de Munich, la réunion convoquée à la hâte le 17 février par le président Macron ne doivent plus se reproduire. Nous ne pouvons plus laisser les puissances russes et américaines semer la discorde parmi nous. L'autonomie stratégique européenne militaire, mais aussi numérique, économique et commerciale, loin d'être une chimère, doit devenir un objectif prioritaire. Il est inconcevable que l'Europe demeure sous la tutelle des États-Unis ou que la Russie et la Chine exercent une emprise sur nos infrastructures stratégiques.

L'inaction et l'absence de coordination servent les intérêts de Poutine et de Trump, comme le rappelle Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l'Otan.

Entre Emmanuel Macron et Trump, le 24 février dernier, la tension était palpable. Il est urgent de redéfinir notre rôle dans l'Otan. L'Union européenne lui fournit un soutien financier plus élevé que les États-Unis ! Dans un contexte où l'Europe est menacée - cyberattaques, guerre hybride, déstabilisation de régions stratégiques  - elle doit résoudre ce dilemme budgétaire : doit-elle financer l'Otan ou investir dans sa propre défense, pour peser plus au sein de l'Otan ?

L'Europe doit renforcer son autonomie, mais cela suppose une stratégie. Près de 80 % de nos équipements militaires ne proviennent pas de l'Union européenne. La reconstruction militaire doit aller de pair avec nos capacités d'intervention. La France a une responsabilité particulière, un rôle central à occuper, celui d'un meneur audacieux.

Fort de ces diagnostics, j'ai quatre séries de questions à vous poser, monsieur le Premier ministre.

Premièrement, comment pouvons-nous renforcer notre effort militaire face au déficit budgétaire que nous connaissons ? Que pense la France du plan d'Ursula von der Leyen ? Il faut dire la vérité aux Français, annoncer les conséquences de la guerre commerciale lancée par les États-Unis, mais notre contrat social ne peut être sacrifié sur l'autel de l'agression russe en Ukraine : affirmez un patriotisme fiscal, monsieur le Premier ministre, y compris à ceux qui étaient présents à l'investiture de M. Trump le 20 janvier dernier...

Notre groupe a proposé la création d'un livret d'épargne dédié à la défense. Étudierez-vous cette proposition ? Utiliserez-vous les 250 milliards d'euros d'avoirs russes confisqués ?

Reviendrez-vous sur la baisse des moyens de la diplomatie, contradictoire avec votre discours volontariste ?

Envisagez-vous le déploiement d'une force de maintien de la paix dès la fin des combats ?

Où en est la création d'un tribunal spécial pour juger les crimes commis en Ukraine ?

La guerre en Ukraine illustre le principe de souveraineté. Elle peut illustrer l'importance de la justice du droit contre la force. L'humanité sera confrontée à la tentation de la violence. Si, dans cette épreuve, le droit l'emporte, alors, nous aurons collectivement défendu ce qui nous unit tous, le respect de l'individu, le respect de la justice, de la souveraineté comme fondement inaliénable d'un monde libre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe Les Républicains)

M. Olivier Cadic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Merci pour vos propos, auxquels nous souscrivons, monsieur le Premier ministre. Il y a cinq ans, la sidération a été grande de voir nos rues vides et d'entendre annoncer chaque jour un nombre de morts toujours plus nombreux. Beaucoup ont éprouvé ce même sentiment en voyant Trump reprenant les éléments de langage de Poutine pour humilier Zelensky dans le Bureau ovale, lui reprochant d'avoir aidé ses opposants politiques démocrates à organiser une chasse aux sorcières contre lui. Ces propos insultants pour les présidents Biden et Obama atteignent par ricochet tous les alliés de l'Amérique qui défendent ensemble un système de valeurs universelles.

De l'Europe au Canada, comme un seul homme, ces pays ont apporté leur soutien au président Zelensky, tandis que M. Orban et d'autres partisans de Poutine ont célébré les propos de Trump, qui fait passer l'agressé pour l'agresseur. Le président Zelensky, envoyé comme un serviteur, est sorti de l'épreuve avec dignité. Que lui est-il reproché ? D'avoir fait face sans ciller, d'avoir défendu le peuple ukrainien, d'avoir été le porte-voix de ceux qui ont donné leur vie pour défendre leur pays.

Depuis trois ans, l'Ukraine défend les valeurs de l'Europe et des États-Unis. Immense honte que le changement de camp de Trump, qui s'aligne non avec ses alliés, mais avec leur principale menace historique, Moscou. Il est impensable qu'un président américain agisse ainsi, comme l'a dit John Bolton, ancien secrétaire national à la sécurité... de Trump.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est vrai !

M. Olivier Cadic.  - Make America Great Again se fait au détriment des alliances historiques.

America First, c'est la politique du « moi d'abord ». Or l'Europe s'est constituée contre cette politique, qui a conduit à deux guerres mondiales.

Trump pensait résoudre le conflit en 24 heures, comme Poutine pensait conquérir le pays en trois jours. Trois ans plus tard, la Russie s'épuise et doit faire appel à la Corée du Nord, tandis que la Suède et la Finlande ont rejoint l'Otan.

Trois priorités : aider l'Ukraine, faire de l'Europe une puissance militaire, mobiliser la population.

Comme le président Larcher l'a dit, nous saluons l'action de Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, SER et Les Républicains)

L'Ukraine n'est pas seule ; elle ne doit pas l'être : si les États-Unis se retirent, l'Europe doit s'y substituer.

La seconde priorité est de réarmer l'Europe. Il faut dissuader la Russie de toute velléité d'attaque. Le plaidoyer pour l'autonomie stratégique d'Emmanuel Macron en 2017 à la Sorbonne apparaît à tout citoyen comme visionnaire. Ursula von der Leyen a lancé le programme Rearm Europe, doté de 800 millions d'euros, ce matin. La sécurité de l'Europe est menacée : j'ai pu le constater à Tapa, en Estonie, face à des forces russes présentes à quelques kilomètres. Il faut donc augmenter notre budget de défense.

Si tu veux la paix, prépare la guerre ou, comme l'a dit le chef d'état-major des armées : il faut gagner la guerre avant la guerre.

La sécurité d'un pays repose sur toutes les personnes qui y habitent. La Suède a envoyé un livret à tous ses habitants pour qu'ils soient prêts en cas de catastrophe naturelle, de cyberattaque, de conflit militaire. Il y est écrit : « Si la Suède est attaquée par un autre pays, nous ne nous rendrons jamais. » Ce message n'est pas inutile, car dans tout pays européen, des politiques seraient prêts à jeter le fusil avant de le porter.

J'ai offert ce livret au ministre Laurent Saint-Martin et je souhaite vous le remettre, Monsieur le Premier ministre ; ne serait-il pas pertinent de s'inspirer de cette bonne pratique ?

Nous avons en Europe, en comptant la Grande-Bretagne, 2,5 millions de soldats professionnels. C'est 25 % de plus que la Russie.

Vous l'avez dit : c'est à nous, Européens, de nous défendre. Avec ces effectifs, l'Europe est une puissance militaire qui s'ignore ; elle doit s'affirmer.

Elle a autant besoin des Américains que les États-Unis ont besoin de l'Europe pour s'assurer de leur sécurité. J'ai pu le mesurer dans le domaine de la cybersécurité. L'an dernier, la Maison-Blanche m'invitait à Washington avec une délégation de parlementaires et d'experts français pour prôner la cyber-solidarité. La brutalité des propos de Donald Trump a eu le mérite de renforcer la solidarité des pays européens.

Notre point faible est notre fragmentation. L'État russe utilise la désinformation pour nous diviser ; c'est la façon dont Poutine souhaite gagner la guerre face aux démocraties sans utiliser la force. C'est un défi pour l'Union européenne. Jean Monnet a écrit : « L'Europe se fera dans les crises, et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » : les faits lui ont donné raison par le passé ; sa pensée doit nous guider. Si l'Europe se dote d'une puissance militaire à la hauteur de sa puissance économique, alors cette crise, comme les autres par le passé, sera surmontée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et Les Républicains ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Monsieur le Premier ministre, nous avons apprécié vos propos lucides et engagés. « Les États-Unis sont-ils toujours nos alliés ? », vous demandais-je il y a deux semaines. Depuis la scène de vendredi soir et les annonces de cette nuit, je ressens honte et colère.

Honte de l'humiliation subie vendredi dernier par le président d'une nation qui se bat sans relâche depuis trois ans contre l'agresseur russe et à qui on disait inlassablement : « vous n'avez pas les cartes en main. »

Colère face aux déclarations de Trump reprenant à son compte le discours russe au mot près. Geler l'aide militaire à l'Ukraine est une trahison envers un pays allié et ami. Nous devons prendre le relais.

Trump veut forcer le président Zelensky à capituler, mais, en réalité, il s'est soumis à Poutine. Certains pensent que le président Zelensky avait le choix entre le déshonneur et la guerre, mais il a choisi la dignité et le courage face à ses contradicteurs. Il n'a jamais insulté personne, il a dit la vérité.

Dans le passé, il y a eu Yalta ; aujourd'hui, la scène de la Maison-Blanche. Le monde libre est désormais incarné par les Européens. Cessons de monnayer notre souveraineté. La vassalisation de l'Europe, l'imposition d'une paix non concertée doivent être des électrochocs. L'Europe doit assumer sa propre sécurité, se réarmer urgemment, faire face collectivement aux défis.

La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont entraîné leurs partenaires derrière eux ce week-end : ils ont une ambition commune. Ils veulent une paix globale, juste et durable, et non une capitulation.

La paix que nous appelons de nos voeux devra respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Les garanties de sécurité doivent être fortes, sans quoi la Russie attaquera l'Ukraine ou l'Otan.

En accord avec le Royaume-Uni, des troupes pourraient être déployées sur le sol ukrainien. Si les Américains ne veulent pas y participer, il nous faut bâtir un plan B.

Nous avons basculé dans une autre dimension. Les volontés impérialistes de Poutine n'auront de limites que celles que nous lui imposerons. Aussi, il faut un sursaut européen : fixons l'objectif de 3 % du PIB de dépenses de défense. Les déclarations du chancelier allemand et du Premier ministre britannique vont en ce sens, traduisant une prise de conscience.

Emmanuel Macron, dès 2017, appelait à l'autonomie stratégique face aux États-Unis : il avait été bien peu suivi à l'époque.

En tant que seule puissance nucléaire de l'Union, nous sommes de facto une force d'entraînement. Il faut évoquer le partage de la dissuasion nucléaire, mais surtout le clarifier pour éviter toute interprétation malheureuse : la décision ultime restera au seul chef de l'État français.

Nous devons être capables d'emprunter conjointement en matière militaire. Nous avons besoin de 200 milliards d'euros pour sortir l'Europe de sa dépendance, mais il faut à tout prix acheter européen. Je salue la proposition d'Ursula von der Leyen de mobiliser 800 milliards d'euros, de mettre à disposition une enveloppe de 150 milliards de prêts européens pour le financement de la défense. Mais cet effort ne peut reposer entièrement sur le contribuable ; je suis donc favorable à l'utilisation des avoirs russes gelés.

Nous devons construire un nouveau modèle, un nouveau dessein européen. L'Europe a acquis, au fil de ses stratégies, la certitude que le bonheur ne peut exister qu'avec la science en conscience, la justice et la liberté. Face à l'internationale réactionnaire favorable à Poutine et soutenue par Elon Musk, nous devons défendre nos valeurs. L'Europe bâtie voilà soixante-quinze ans est à la croisée des chemins, face à une menace existentielle.

Les 500 millions d'Européens ne doivent plus demander à 300 millions d'Américains de les protéger contre 140 millions de Russes.

Ce n'est pas la supériorité économique, mais la conviction d'être une puissance mondiale qui doit guider l'Europe.

C'est ce qu'a montré l'Europe ce week-end à Londres, au nez et à la barbe des autocrates et de leurs admirateurs. Opérons cette révolution copernicienne que le chef de l'État appelle de ses voeux depuis 2017. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes INDEP et UC)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) L'Europe est à un tournant critique de son histoire : le bouclier américain se dérobe, l'Ukraine risque d'être abandonnée, la Russie renforcée.

Washington est devenu la cour de Néron : un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l'épuration de la fonction publique. C'est un drame pour le monde libre et pour les États-Unis.

Rien ne sert d'être l'allié de Trump, puisqu'il ne vous défendra pas, vous imposera plus de droits de douane qu'à ses ennemis et vous menacera de s'emparer de vos territoires tout en soutenant les dictatures qui vous envahissent. Le roi du deal est celui du deal à plat ventre. Il pense intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Jinping doit être en train d'accélérer les préparatifs de l'invasion de Taïwan.

Jamais un président américain n'a capitulé devant l'ennemi, n'a soutenu un agresseur contre un allié, n'a piétiné autant la Constitution : décrets illégaux, révocation des juges, limogeage de l'état-major militaire, prise de contrôle des réseaux sociaux.

Ce n'est pas une dérive illibérale, c'est un début de confiscation de la démocratie. Il n'a fallu qu'un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar ; en un mois, Trump a fait plus de mal à l'Amérique que pendant les quatre ans de son premier mandat. Nous nous battons contre un dictateur soutenu par un traître.

Il y a huit jours, au moment même où Trump passait la main dans le dos de Macron à la Maison-Blanche, les États-Unis votaient à l'ONU avec la Russie et la Corée du Nord contre les Européens, réclamant le départ des troupes russes. Deux jours plus tard, dans le Bureau ovale, ce planqué du service militaire donnait des leçons de morale et de stratégie au héros de guerre Zelensky avant de le congédier comme un palefrenier... (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, et sur quelques travées du groupe SER et du RDSE)

Cette nuit, il a franchi un pas de plus en stoppant la livraison d'armes. Que faire devant cette trahison ? Faire face et ne pas se tromper : la défaite de l'Ukraine serait celle de l'Europe. Les pays baltes, la Géorgie, la Moldavie sont déjà sur la liste. Le but de Poutine est le retour à Yalta. Les pays du Sud attendent pour décider s'ils doivent continuer à respecter l'Europe ou s'ils peuvent la piétiner. Ce que veut Poutine, c'est la fin de l'ordre mis en place il y a quatre-vingts ans interdisant l'acquisition des territoires par la force.

Trump et Poutine veulent le retour des grandes puissances dictant le sort des petits pays : à moi le Groenland, le Panama, le Canada ; à toi l'Ukraine, les pays baltes et l'Europe de l'Est ; à lui, Taïwan et la mer de Chine. Dans les soirées d'oligarques à Mar-a-Lago, on appelle cela le réalisme diplomatique...

Mais la réalité, c'est que la Russie va mal : elle n'a grappillé que des miettes de territoires en Ukraine, elle fait face à des taux d'intérêt à 25 % et à l'effondrement démographique, elle est au bord du gouffre. Le coup de pouce américain à Poutine est la plus grande erreur stratégique commise en temps de guerre. (Applaudissements sur les travées des groupeINDEP et UC)

Mais il a une vertu, celle de faire comprendre aux Européens en un jour à Munich que la survie de l'Ukraine et l'avenir de l'Europe sont entre leurs mains (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.) et qu'ils ont trois impératifs : accélérer l'aide à l'Ukraine. Cela coûtera cher, et il faudra contourner les complices de Moscou à l'intérieur même de l'Europe. Ensuite, tout accord doit être accompagné du retour des enfants kidnappés, avec des garanties de sécurité : il faut une force militaire suffisante pour empêcher toute invasion nouvelle. Enfin, il faut rebâtir la défense européenne négligée au profit du parapluie américain. La tâche est herculéenne, mais c'est sur cette réalisation que seront jugés les dirigeants européens.

Friedrich Merz vient de déclarer que l'Europe a besoin de sa propre alliance militaire - c'est reconnaître que la France avait raison depuis des décennies en plaidant pour une autonomie stratégique. Il reste à la construire. Il faudra investir massivement, renforcer le Fonds européen de défense, harmoniser les systèmes d'armes et de munitions, accélérer l'entrée dans l'Union de l'Ukraine - aujourd'hui la première armée européenne - repenser la dissuasion nucléaire à partir des capacités françaises et britanniques, relancer les programmes de boucliers antimissiles et de satellites. Le plan annoncé hier par Ursula von der Leyen est un très bon point de départ.

Il faudra plus : l'Europe doit redevenir une puissance industrielle, en appliquant le rapport Draghi pour de bon.

Enfin, il faut un réarmement moral, face aux comparses de Poutine, à l'extrême droite et à l'extrême gauche. Ils disent vouloir la paix, mais ils veulent la capitulation, le remplacement de de Gaulle-Zelensky par un Pétain ukrainien à la botte de Poutine, la paix des collabos qui ont refusé depuis trois ans toute aide aux Ukrainiens. Est-ce la fin de l'Alliance Atlantique ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - La mésalliance !

M. Claude Malhuret.  - Le risque est grand, mais toutes les décisions folles depuis un mois ont fini par faire réagir les Américains. Les sondages sont en chute. Même Fox News devient hostile. Dans l'histoire américaine, les partisans de la liberté l'ont toujours emporté, ils relèvent aujourd'hui la tête.

Les Européens doivent retrouver leur puissance commune. Nos parents ont vaincu le fascisme et le communisme. Notre tâche est de vaincre tous les totalitarismes du XXIe siècle.

Vive l'Ukraine libre, vive l'Europe démocratique ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains, UC, du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du GEST)

Mme Cécile Cukierman .  - Nous en sommes à la troisième année de cette guerre. Cette agression est un crime contre le droit international et contre la paix. J'exprime toute notre solidarité au peuple ukrainien.

Depuis l'arrivée de Trump, nous pressentions la fin de l'aide des Américains. Mais la violence de la confrontation entre Volodymyr Zelensky et Trump a pétrifié nombre d'États européens. Nous fustigeons de telles méthodes qui violent les règles élémentaires de la diplomatie.

L'enjeu est clair : comment mettre en place une paix durable garantissant la sécurité de chacun ?

Notre groupe ne cesse de le dire : le choix de la guerre par Poutine est insensé. Nous avons exigé le cessez-le-feu, mais à chaque débat, se sont imposés l'escalade militaire et des accents guerriers qui apparaissent aujourd'hui bien irresponsables au regard des centaines de milliers de morts et de blessés, ukrainiens, russes. Pour arriver à quoi ? Un pays dévasté.

Ceux qui appellent depuis trois jours au surarmement utilisent l'émotion pour des ambitions politiques et économiques diamétralement opposées aux seules questions qui devraient nous intéresser : assurer la paix sur le continent européen, bloquer l'expansionnisme russe, échapper à la domination américaine. Nous nous opposons à ces 800 milliards d'euros annoncés par Mme von der Leyen. Que cherchent ces gens ? La confrontation généralisée ? Quelle légitimité a cette dame pour agir ainsi ?

Les États-Unis, depuis trente-cinq ans, imposent une vision impérialiste au continent européen. Ce sont les États-Unis qui portent une part de la responsabilité de l'impasse d'aujourd'hui. La brutalité de Trump est une caricature de la puissance américaine : Vietnam, Iran, Lybie, volte-face récente en Afghanistan, soutien à Netanyahou... À ce nouvel ordre international du chacun pour soi, nous nous opposons, mais certainement pas en ouvrant des marchés infinis aux marchands de guerre dont les actions en bourse s'envolent.

On prête l'intention à Trump et à ses acolytes technofascistes ou suprémacistes de sortir de l'ONU. Cela montre bien qu'il faut au contraire rechercher le redressement des institutions internationales. Nous sommes à un tournant, un moment de rupture. Les PIB des États ne doivent pas nourrir la guerre, mais garantir l'avenir de l'humanité ; il faut un nouvel ordre économique contre Trump et ses amis qui tirent profit du conflit ukrainien, comme l'ont fait les Bush père et fils en Irak. Le marchandage sur les minerais est insupportable.

Un regret en Europe : nous avons trop tardé à oeuvrer pour la paix. Au printemps 2022 à Istanbul, Kiev avait accepté de renoncer à adhérer à l'Otan en contrepartie de quoi Moscou concédait le retrait volontaire de ses troupes des territoires occupés ; mais Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, avait balayé cet espoir en affirmant en nom de l'Occident que les Ukrainiens devaient combattre jusqu'à ce que la victoire soit acquise et que la Russie subisse une défaite stratégique, reprenant la logique d'élargissement maximal de l'Otan imposé par les États-Unis depuis les années 1990. Il faut s'en souvenir si l'on veut avancer vers une paix durable.

Avant d'appeler à la poursuite de la guerre, quoi qu'il en coûte, il faut se souvenir des centaines de milliers de soldats civils blessés ou tués. Si l'avis des peuples était librement demandé, la réponse serait sans ambiguïté : donnez une chance à la paix.

L'Ukraine est exsangue. Face à ce bilan, vouloir la surarmer est une hérésie. Cette économie de guerre se fera aux dépens de la population. Porter ici le budget de la défense à 3,5 % ou 5 % du PIB est une bombe sociale. Nous refusons clairement l'envoi de troupes au sol ; dans quel but ? Des soldats de la paix, oui ; de la chair à canon, non.

La paix doit se fonder sur la charte des Nations unies et des principes définis à Helsinki. Il faut un cessez-le-feu immédiat, pas une trêve alambiquée. Il faut dès maintenant poser le principe d'un éventuel compromis territorial (marques d'indignation sur les travées des groupeUC et INDEP) imposé par les rapports de force militaire, qui devra être internationalement reconnu et ratifié démocratiquement par les citoyens des zones concernées (marques d'ironie sur les mêmes travées). Nous devons nous libérer de l'Otan pour agir. Cette organisation, inféodée aux États-Unis, doit être dissoute. Notre but est la paix, pas de nouveaux plans de guerre. Poussons vers l'ouverture rapide de négociations avec toutes les parties concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Serge Mérillou applaudit également.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les objectifs de Moscou sont clairs et impitoyables : annexion de territoires, interdiction d'une adhésion à l'Otan, régime de soumission pour l'Ukraine - laquelle résiste, avec une bravoure qui force le respect. Vendredi dernier, Volodymyr Zelensky résiste avec courage face à ses deux inquisiteurs qui parlent « deal » et « business » alors que le sang de milliers de jeunes coule encore aux portes de l'Europe : une mise en scène choquante et une insulte à l'histoire démocratique américaine.

L'administration Trump nous sidère, mais ne surprend pas : America First s'invite dans la diplomatie. Avant lui, le président Obama avait entamé le pivot vers l'Asie, tandis que Joe Biden nous mettait en garde sur notre propension à croire en d'éternels dividendes de la paix.

N'oublions pas que derrière l'oncle Sam se cache le fantôme du Kremlin : Trump nous a mis le pistolet sur la tempe, mais la menace est venue de l'est. Avant l'Ukraine, il y a eu la Géorgie, la Crimée. Demain, doit-on craindre pour les pays baltes ?

Selon Raymond Aron, l'immédiateté de la diplomatie ne produit pas de certitudes à long terme. Il nous faut donc un cap intangible : notre autonomie stratégique. Reconnaissons au président Macron d'avoir toujours plaidé en ce sens, comme le RDSE. La présidente von der Leyen a fait des annonces dont nous examinerons l'exécution ; exclusion des dépenses militaires du pacte de stabilité, financement massif de l'industrie. Bien sûr, les avoirs des oligarques russes gelés devraient pouvoir aussi contribuer aux efforts pour la défense. Le Gouvernement doit clarifier certains points : mobilisation de l'épargne pour financer nos programmes de défense, ajustement des prévisions de lois de programmation militaire, grand emprunt. Le ministre du budget semble faire preuve d'ouverture. Il nous faut reprendre un livre blanc et mobiliser tous les leviers économiques.

Pour engager ce mouvement, l'Europe doit arrêter de douter : c'est une grande puissance, et la France et la Grande-Bretagne disposent de l'arme nucléaire.

Mon groupe aurait voulu proposer autre chose aux jeunes générations. Mais nos valeurs nous l'imposent. La France est notre patrie, l'Europe notre avenir, comme le disait François Mitterrand. Notre communauté de destins n'est pas aisée : n'y ajoutons pas nos propres divisions. Les forces républicaines doivent rester soudées face à la rhétorique de l'extrême droite qui pense à sacrifier l'Ukraine sur l'autel d'une paix illusoire.

N'excluons pas toutefois de conserver un lien transatlantique. Comment pourrait être anéanti le sacrifice des milliers de soldats américains ayant débarqué sur nos plages normandes et provençales pour un pays qu'ils ne connaissaient pas ?

Le RDSE réaffirme le soutien de la France à l'Ukraine. Mais rien ne se fera sans les Américains et le président Zelensky restera maître de sa décision.

Notre responsabilité est d'aider les Ukrainiens à négocier au mieux avec l'axe immoral Washington-Moscou.

L'offre de déploiement des forces européennes est une option à ne pas écarter. Nous le devons à nos voisins roumains, moldaves ou polonais qui se sentent en danger. Nos partenaires veulent un signal clair. Vous ne devez jamais avoir peur de ce que vous faites, car ce que vous faites est juste, disait Rosa Parks. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe INDEP)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Certains moments de l'histoire sidèrent le monde. Le vendredi 28 février 2025 en fait partie : chacun a pu constater l'effondrement de l'ordre issu de la guerre froide fondé sur le droit international. La plus vieille démocratie du monde a glissé vers l'autoritarisme et le fascisme. Ceux qui refusaient de le voir sont tombés de leur chaise. Même ceux qui l'annonçaient, comme nous, ont vécu la scène comme un coup de poing à l'estomac.

Les fascistes au pouvoir appliquent des politiques fascistes. La leçon vaut pour notre pays : en brocardant le droit ou la fraternité, on prépare l'effondrement d'une autre démocratie historique.

Les États-Unis seront-ils encore une démocratie en 2028 ?

Si l'humiliation du héros Volodymyr Zelensky, orchestrée par les médiocres ventriloques de Poutine, peut servir d'électrochoc à l'Union européenne, alors nous n'aurons pas tout perdu. Sa dignité et le courage de son peuple doivent être notre boussole pour bâtir une Europe puissance, une Europe de la défense - défense de ses valeurs et de ses intérêts. Ce qui est attaqué par la Russie et désormais par les États-Unis, c'est le principe même de l'Union européenne : une coopération d'État reposant sur le droit, la démocratie et la liberté. Mais c'est aussi notre potentiel politique et économique. Pour y résister, nous n'avons pas d'autres choix qu'un saut fédéral. Il nous faut préserver ce qui peut l'être du droit international, sinon ce sera la dislocation.

Nous entendons l'inquiétude de nos compatriotes ; nous, écologistes, qui avons le pacifisme au coeur, affirmons qu'aucune paix ne sera atteignable dans un monde régi par le rapport de force entre les empires, mais que nous devons consentir au rapport de force pour préserver nos idéaux. Nous avons construit l'Europe pour éviter la guerre, nous devons désormais la préparer face à la guerre.

Nous appelons l'exécutif à se garder de tout triomphalisme et à remiser notre penchant national pour la vanité - celle qui lui a fait croire que l'on pourrait raisonner Trump ou Poutine...

Nous devons renforcer nos arsenaux, mais il faut aussi mieux intégrer nos achats militaires. La première mouture de la Commission ne nous convient pas. Il faut évaluer nos besoins, avant de parler simplement de ratios de PIB. Nous voulons que l'économie de guerre se matérialise par un patriotisme fiscal des plus fortunés.

Sacrifier nos services publics sur l'autel de nos dépenses conduirait la France au même destin électoral que les États-Unis.

Ce qui vaut pour la France vaut pour toute l'Union européenne, qui doit préserver toutes ses politiques sociales. Nous entendons l'appel à élargir le parapluie nucléaire français au reste du continent et jugeons que ce débat est une composante importante de notre future architecture de défense commune.

Nous partageons les propos du Président de la République -  et de ses prédécesseurs : les intérêts vitaux de la France sont nécessairement européens. Mais il faut conserver le cadre du traité de non-prolifération.

Les futures négociations de paix avec la Russie devront enclencher un processus de désescalade des arsenaux nucléaires.

L'autonomie stratégique européenne n'est pas qu'une question militaire : il faut aussi réduire notre dépendance aux engrais azotés et aux énergies fossiles russes, et notamment au gaz naturel liquéfié (GNL). Monsieur le Premier ministre, est-ce bien le moment de risquer un incident diplomatique avec l'Algérie, alors que le gaz russe fait couler le sang ukrainien ou que le gaz azéri fait couler le sang arménien ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

L'économie de guerre est indissociable d'une écologie de paix. Il faut préserver le Pacte vert et sortir les investissements écologiques des critères de Maastricht. Il faut lutter contre la propagande russe et les vecteurs de sa diffusion, et notamment le réseau X.

Au peuple ukrainien, nous réitérons notre plein soutien et notre admiration. Nous devons renforcer notre soutien militaire et financier pour compenser le désengagement américain, aussi longtemps qu'il le faudra. Mobilisons les avoirs des oligarques russes gelés en Europe. Le triomphalisme de Poutine ne doit pas nous leurrer. Nous devons continuer à affaiblir la Russie.

Nous exigeons qu'aucun accord de cessez-le-feu et de paix ne soit conclu sans les représentants du peuple ukrainien et sans la participation de l'Union européenne. Nous exigeons la libération de tous les prisonniers ukrainiens, ainsi que le retour des enfants déportés.

Nous devons faire prévaloir le droit, la paix et être un point de repère pour le monde libre. Nous n'avons d'autre choix que d'être à la hauteur. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.)

M. Christopher Szczurek .  - Trois ans que l'Ukraine lutte avec courage, dans les tranchées et sous les bombes. Nous déplorons 1 million de victimes civiles et militaires.

Pendant soixante-dix ans, la France et l'Europe ont cru que le droit international et la protection américaine garantiraient la paix pour toujours. Mais l'Europe de l'Est redevient le lieu des appétits de la puissance impérialiste russe. La Pologne chère à mon coeur craint légitimement l'avenir.

Les Européens regardent un conflit sur leur sol se décider ailleurs. Trump négocie une paix au prix du racket d'une Ukraine dévastée -  à laquelle nous réaffirmons notre soutien. Une telle résolution du conflit est inquiétante pour l'Europe, car elle entérine la loi du plus fort et le retour d'une diplomatie fondée sur la force brute.

Quel est le bilan de l'action du Président de la République ? Il a cru éviter la guerre en allant voir Poutine. Résultat : les troupes russes ont attaqué l'Ukraine quelques jours plus tard. (M. Sébastien Lecornu proteste.) Il est ensuite allé voir Zelensky. Résultat : le verbe « macroner » entre dans le dictionnaire ukrainien, pour signifier que l'on parle beaucoup sans jamais agir. Quand il rencontre Trump, le soir même, ce dernier déclenche une guerre commerciale contre l'Union européenne. C'est un fiasco, dont la France sort humiliée.

Il aurait plutôt fallu renforcer notre souveraineté nationale militaire et industrielle, développer nos infrastructures énergétiques et fonder notre diplomatie sur des relations interétatiques puissantes. Au lieu de cela, le Président de la République fait miroiter une européanisation de notre force nucléaire, qui conduirait à une perte de souveraineté définitive.

M. Rachid Temal.  - Mensonge !

Mme Marie-Arlette Carlotti.  - C'est Poutine qu'il faut attaquer !

M. Christopher Szczurek.  - La seule réponse de la France, c'est la dette et l'extension infinie des compétences de Bruxelles.

Pourtant, dès le début du conflit, Marine Le Pen avait demandé que la France prenne l'initiative d'une conférence sur la paix.

M. Rachid Temal.  - Poutine est votre banquier...

M. Christopher Szczurek.  - La diplomatie française gesticule pour masquer son impuissance.

Face aux défis du monde, l'unique réponse reste celle de la souveraineté française et de tous les pays européens. La paix est à ce prix. (M. Joshua Hochart applaudit.)

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Il n'y a rien à retirer de l'intervention du président Cédric Perrin. Son invitation à plus d'autonomie est d'ailleurs l'objet de la rencontre de jeudi prochain, à Bruxelles, entre les chefs d'État et de gouvernement, qui discuteront d'autonomie en matière de défense. Saisissez-vous de ces questions pour les porter dans les territoires, car ce qui se joue en Ukraine a de lourdes conséquences pour notre pays.

Monsieur Kanner, nous voulons un traité de paix qui tire les leçons des erreurs du passé, et notamment des accords de Minsk, dont les parties prenantes ont eu la faiblesse de croire que Poutine s'arrêterait là ; faute de garanties de sécurité sérieuses, ce cessez-le-feu a été violé plus de vingt fois.

La France se saisira des instruments prévus par le plan européen massif de 800 milliards d'euros : flexibilité dans l'application des critères de Maastricht, facilités de prêts, réemploi des fonds non utilisés, etc.

Sur la guerre commerciale, une récession s'annonce déjà aux États-Unis à la suite des annonces de Donald Trump. Nous devons faire comprendre aux États-Unis que cette guerre est contraire à leurs intérêts et que nous nous y opposerons fermement. Nous établirons aussi des relations commerciales privilégiées avec d'autres partenaires, fiables.

Vous avez déploré la réduction des moyens de la diplomatie française ; mais c'est sur l'aide publique au développement (APD) que les efforts ont été consentis -  non sans difficultés bien sûr.

Le tribunal spécial pour le crime d'agression de la Russie contre l'Ukraine devrait voir le jour en mars.

Monsieur Cadic, le livret suédois que vous avez mentionné a bien été traduit en français et je le remets au Premier ministre. (M. Jean-Noël Barrot remet le document à M. François Bayrou.)

La propagande russe s'invite parfois sur les chaînes d'information continue, et même sur ces bancs. Nous nous en prémunissons et nous ripostons de façon de plus en plus offensive.

Monsieur Patriat, je citerai Robert Schuman : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la hauteur des dangers qui la menacent. » Or la Russie est devenue une menace. Le Président de la République appelle de ses voeux une révolution copernicienne de la défense européenne, que les Européens sont en train de faire leur.

Monsieur Malhuret, les Européens sont de plus en plus nombreux à sortir du déni en matière de livraisons d'armes. L'un des objectifs de notre génération sera de vaincre les totalitarismes : vaste programme !

Mme Cukierman, qui a dénoncé la brutalité de Donald Trump, n'a eu aucun mot pour dénoncer celle de Vladimir Poutine, qui s'est pourtant rendu coupable de crimes de guerre avec la déportation d'enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI, du RDSE, du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Christian Cambon.  - Eh oui, bien sûr !

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - N'hésitez jamais à rappeler le mandat de la Cour pénale internationale à l'encontre de Vladimir Poutine, comme vous le faites pour Benyamin Netanyahou. Outre ses crimes contre des enfants, Vladimir Poutine a violé le droit international de multiples fois et tente la plus grande annexion territoriale depuis soixante-quinze ans...

À Istanbul, en avril 2022, a eu lieu la première discussion de paix entre Russes et Ukrainiens - sans aucune garantie de sécurité pour l'Ukraine. Vladimir Poutine avait alors remis en cause la légitimité des responsables politiques ukrainiens - et, vous verrez, il le refera ! La légitimité de Volodymyr Zelensky, héros de guerre, a pourtant été confirmée à l'unanimité par le Parlement ukrainien.

J'invite chacun à ne pas reprendre la rhétorique du Kremlin selon laquelle ce conflit serait la faute de l'extension de l'Otan -  alliance défensive  - vers l'est. Il est né en réalité de l'aspiration européenne du peuple ukrainien que Vladimir Poutine a voulu étouffer.

Je m'inscris en faux contre la proposition de Mme Cukierman. Des concessions territoriales, sans garanties de sécurité, c'est une capitulation, dont le coût serait incalculable, y compris pour la France.

Oui, madame Carrère, Vladimir Poutine demandera un changement de régime -  il le fait à chaque fois  - . Merci d'avoir reconnu les efforts du Président de la République pour éveiller les consciences européennes. L'initiative franco-britannique n'est pas si fragile : je rejoins dans quelques instants mon homologue pour y travailler ensemble.

Monsieur Gontard, votre phrase qui débutait par « Le vertige saisit... » était un alexandrin, m'a dit le Premier ministre. (M. François Bayrou s'en amuse ; sourires et quelques applaudissements)

M. Rachid Temal.  - C'est la note artistique.

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Il y en avait un autre, je vous laisse le trouver. (Nouveaux sourires)

M. Yannick Jadot.  - Et même plus ! (Mêmes mouvements)

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Vous avez dit que vouloir la paix ce n'est pas la capitulation, c'est aussi une force, car nous ne pourrons opposer que de la force à Vladimir Poutine.

Oui, nous devons réduire notre dépendance aux engrais et aux énergies fossiles, avec le nucléaire et les énergies renouvelables.

Monsieur Szczurek, vous reprochez beaucoup de choses au Président de République : d'avoir rencontré Poutine -  mais c'était avant la guerre  - , d'être impopulaire en Ukraine... Je vous invite à vous rendre en Ukraine, vous constaterez qu'il y est plus populaire que dans d'autres pays européens.

M. Yannick Jadot.  - Plus qu'en France ! (Rires)

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - Vous vous faites le relais de la propagande russe et c'est regrettable.

La souveraineté de la France et de l'Europe se joue sur la ligne de front ukrainienne. Nous mettrons les bouchées doubles pour apparaître ce que nous sommes : une puissance qui s'ignore, mais qui va se révéler. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, du RDPI et sur quelques travées des groupes Les Républicains et SER)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Les crédits de la loi de programmation militaire de 2025 et les avoirs russes gelés vont nous permettre d'élaborer un premier paquet d'aides à l'Ukraine.

Les garanties de sécurité peuvent prendre plusieurs formes. Madame Cukierman, on ne peut pas dire que c'est une « hérésie » de continuer à aider l'armée ukrainienne lorsque les armes se tairont ! Un État souverain n'aurait-il pas le droit d'avoir une armée pour se protéger ? La première des garanties de sécurité, c'est d'aider l'armée ukrainienne dans la durée, d'où la création de la brigade Anne de Kiev. La question de la formation et celle des équipements sont clés. Nos industriels doivent prendre davantage de risques, en investissant sur place. Nous devons aussi reconstituer des stocks stratégiques, qui seraient préfléchés vers l'Ukraine en cas d'urgence.

J'insiste sur le terme de « troupes de paix », car il n'est nullement question de troupes de combat en Ukraine -  certains entretiennent la confusion... Notre armée a l'habitude d'être une force de réassurance, d'observation et de déconfliction. Mais de grâce, ne réduisons pas les garanties de sécurité au seul envoi de troupes.

Je remercie les forces politiques d'être, à chaque budget, au rendez-vous du réarmement. Les orientations de la loi de programmation militaire sont bonnes et ne sont pas caduques. Cela dit, le contexte a changé depuis son adoption. D'où la demande de mise à jour de la revue nationale stratégique de M. Temal.

En effet, la Russie réinvente la guerre. J'ai communiqué cet après-midi sur l'agression, en Méditerranée orientale, d'un de nos drones Reaper par un Soukhoï. Mais la Russie s'ingénie aussi à contourner par le bas notre dissuasion nucléaire : guerre informationnelle, manipulation des flux énergétiques, cybermenace, etc.

La réponse n'est pas que militaire, car toutes nos infrastructures civiles, dans les associations, les collectivités locales, les entreprises, sont concernées. Sur ces sujets, je me tiens à votre disposition, car il n'y aurait rien de pire que de répondre à la guerre d'hier.

Quelques pistes sont devant nous. Face au désengagement américain, il faut un réengagement capacitaire français, sur les frégates, les avions, les drones... Nous devrons aussi faire un retour d'expérience sur la guerre électronique en Ukraine. Des technologies accélèrent les ruptures : intelligence artificielle, mais aussi quantique. Nous devrons définir ce que nous voulons faire en franco-français et ce que nous choisissons de faire à plusieurs, pour mutualiser les factures.

J'en viens au spatial : la tuyauterie européenne existe. Rien ne serait pire que de reculer. Il s'agit de Starlink, de l'observation, des télécommunications, voire de fonctions militaires plus dures. En matière spatiale, nous risquons le décrochage.

Monsieur Szczurek, vous avez parlé de « partage de la dissuasion ». Si l'on est patriote, on ne fait pas dire au Président de la République ce qu'il n'a pas dit, surtout sur un tel sujet ! Dire que nos intérêts vitaux ont une dimension européenne ne signifie pas partager la dissuasion nucléaire. (M. Christopher Szczurek le conteste.) Cela fait plusieurs fois que je clarifie les propos de votre parti ces derniers jours : ces mauvais débats affaiblissent notre défense. (Applaudissements ; M. Christopher Szczurek s'exclame.)

M. Rachid Temal.  - Mais ils le font exprès !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Si le Président de la République est élu au suffrage universel direct, c'est pour avoir la légitimité d'utiliser l'arme nucléaire. Chaque candidat à l'élection présidentielle en 2027 donnera sa conception des intérêts vitaux -  même si c'est l'ambiguïté stratégique qui nous protège.

Toutes les capitales européennes nous interrogent sur notre dissuasion.

Notre dissuasion nucléaire n'est pas pensée dans une logique égoïste -  c'est un acquis de de Gaulle à Macron. Le parapluie américain, ça n'a jamais été un partage de la dissuasion nucléaire ! Il faut dire les choses avec clarté, pour contrer les mauvais procès.

Au niveau européen, les acquisitions communes fonctionnent. Elles sont particulièrement intéressantes pour les pays qui, comme nous, ont une industrie de défense. On l'a vu sur le Caesar et le Mistral, on est capable d'attirer des pays, parfois inattendus, à l'instar de la Hongrie. (M. Rachid Temal s'exclame.)

À Bruxelles, on est passé de la taxonomie à « produire plus vite ». (M. Cédric Perrin apprécie.) À chaque fois que nous adoptons ou transposons une directive, nous devons évaluer son impact sur notre industrie de défense, qui n'est pas une industrie comme les autres, que l'on pense aux questions de souveraineté et d'emploi.

Avant d'aller vers la fiscalité, monsieur Kanner, demandons aux opérateurs de prendre des risques - levées de fonds, prêts bancaires -, dans une logique de patriotisme financier.

Nous réfléchissons aussi à mobiliser l'épargne des Français.

M. Christian Cambon.  - Le Sénat l'a proposé.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - C'est vrai. Nous devons trouver le produit ad hoc.

Ce débat doit vivre devant l'opinion publique française. Nos concitoyens sont inquiets. Dans d'autres capitales européennes, plus proches de la Russie, on a peur.

Nous avons hérité d'un système de sécurité et de défense performant. Pour le léguer à ceux qui viendront après nous, nous devons faire les bons choix politiques. (Applaudissements)

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Je remercie l'ensemble des sénateurs restés jusqu'à la fin du débat - ce n'est pas le cas dans toutes les assemblées...

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est dit !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Je suis frappé par l'investissement de tous les groupes dans cette réflexion historique.

Personne ne nie que nous changeons d'ère. Nous vivions depuis quatre-vingts ans dans un cadre qui s'est profondément dégradé. En tant que responsables, nous devons remettre en question notre façon de voir les choses et nos priorités. Votre engagement dans ce débat est un indice que les citoyens que vous représentez ont pris conscience de ces changements.

Comme toujours, c'est devant l'opinion publique que cela se jouera. Notre responsabilité fait la grandeur de notre démocratie. (Applaudissements au centre et à droite)

La séance est suspendue quelques instants.