SÉANCE
du mardi 4 février 2025
50e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaire : M. Guy Benarroche
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Sortir la France du piège du narcotrafic - Statut du procureur national anti-stupéfiants (Procédures accélérées - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants.
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) La lutte contre le trafic de stupéfiants a réuni un large consensus au sein de notre assemblée. Nos concitoyens sont confrontés à une violence accrue à mesure que le trafic progresse. Nos policiers, gendarmes, douaniers et magistrats combattent ce fléau depuis longtemps. Mais notre pays a atteint un point de bascule. Sans fermeté et sévérité, nous pourrions vite être dépassés.
Il faut changer notre regard sur les stupéfiants. Trop longtemps, les expressions « drogue douce » ou « usage récréatif » ont occulté la réalité tragique.
Avec plus d'un million de consommateurs de cocaïne dans notre pays, les stupéfiants sont devenus un marché juteux de 6 milliards d'euros. À un tel montant, les délinquants ne reculent devant aucune violence. Dans certains quartiers, les fouilles sont menées non par les forces de l'ordre mais par les trafiquants eux-mêmes. Ils s'entretuent, et en 2023, on a déploré 85 morts et plusieurs centaines de blessés.
La rentabilité leur permet d'investir dans des matériels et des technologies avancées qui entravent le travail des forces de l'ordre. L'argent doit être blanchi dans de nombreux secteurs de notre économie. Les stupéfiants ne sont qu'un pan de l'activité des réseaux et de la criminalité organisée : cela justifie la création d'un parquet spécialisé.
Après les grandes villes, les trafics gangrènent la ruralité, minant leur développement et détruisant la vie de nos concitoyens. Il faut continuer les efforts, dans la droite ligne des opérations Place nette.
Nous avons enrichi le texte lors de nos débats : ainsi, nous avons sécurisé la fermeture administrative des lieux de trafic et interdit le paiement en espèces des locations de voiture, afin de lutter contre le blanchiment.
Grâce à l'adoption de l'amendement de Pierre Jean Rochette, les confiscations de véhicules sont désormais automatiques, y compris lorsqu'ils sont loués à l'étranger. Les interprètes seront également mieux protégés grâce à un amendement de Louis Vogel. Ils pourront garder l'anonymat si nécessaire.
Sortir la France du piège du narcotrafic est un objectif nécessaire et ambitieux. Nous regrettons toutefois de passer par une proposition de loi et non un projet de loi. Le travail de la commission des lois est de qualité, cependant, une étude d'impact et l'avis du Conseil d'État auraient conforté la sécurité juridique de ce texte, qui devra être amélioré au cours de la navette.
Renforcer l'arsenal ne suffit pas. Nous avons besoin de l'engagement de la justice et des services d'enquête. Le groupe INDEP rend hommage aux femmes et aux hommes qui luttent au quotidien contre ce fléau.
Regrouper les 100 plus gros trafiquants dans une prison de haute sécurité est nécessaire. Cela met en lumière le manque de moyens de l'administration pénitentiaire. Il faut construire des places de prison et moderniser nos établissements.
Pour stopper le trafic et protéger nos concitoyens, nous devrons réfléchir à la consommation de drogue, absente du périmètre de la proposition de loi. Il est fallacieux de prétendre, comme certains collègues, qu'elle n'est qu'une conséquence du marché. Ce sont les mêmes qui prônent la dépénalisation. Or l'angélisme bénéficie aux cartels. Bien sûr, les addictions nécessitent une prise en charge médicale. Mais n'occultons pas la responsabilité des consommateurs : les centaines de victimes assassinées le sont pour que la drogue leur parvienne.
Face à ce fléau, nous devons agir avec constance et détermination ! Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE et du groupe UC ; Mme Muriel Jourda applaudit également.)
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jérôme Durain et Mme Laurence Harribey applaudissent également.) Je ne ferai pas durer le suspense : le groupe Les Républicains votera ce texte, dont je suis co-rapporteur. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; « Ah ! » sur quelques travées du groupe SER)
M. Yannick Jadot. - On a eu peur !
Mme Muriel Jourda. - Ce texte est satisfaisant. D'abord, parce qu'il émane du Sénat, alors que le Gouvernement est naturellement en première ligne sur les sujets régaliens. Il fait suite aux travaux remarquables d'une commission d'enquête dont le rapporteur était Étienne Blanc et le président Jérôme Durain, co-auteurs de cette proposition de loi.
Ensuite, parce que c'est un travail collectif. La commission d'enquête a adopté son rapport à l'unanimité ; en séance, avec les groupes et le Gouvernement, nous n'avons eu de cesse de négocier, à la recherche d'un accord.
Enfin, parce que nous avons, par choix, évité les sujets de désaccord - non parce que nous ne saurions les trancher, mais parce qu'il fallait donner du poids à ce texte. Certains sujets tels que la consommation et la légalisation auraient pu nous éloigner. Nous avons circonscrit nos travaux pour travailler utilement contre le narcotrafic.
Là encore, le résultat est satisfaisant, puisque nous avons abordé l'intégralité des sujets qui n'étaient pas encore traités par le droit français - les délinquants avancent parfois bien plus vite que les États.
Ainsi, nous avons mis en ordre la chaîne pénale, en dotant la France d'un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), à l'instar de ce que nous avions décidé contre le terrorisme. Ce parquet coordonnera l'action de la justice sur l'ensemble du territoire. Il sera doté d'un état-major interministériel. Nous avons doté les enquêteurs d'outils tels que l'anonymisation, les techniques spéciales d'enquête et le procès-verbal distinct. Nous avons aussi mis des freins au blanchiment, afin de limiter les gains des narcotrafiquants. Élus locaux, nous connaissons ces magasins sans produits ni clients. L'administration pourra désormais fermer ces blanchisseuses.
Nous avons également renforcé les moyens du renseignement et de la lutte contre la corruption.
Nous ne prétendons pas avoir atteint la perfection ni épuisé le débat - l'Assemblée nationale le reprendra.
Un représentant d'un pays proche, envahi par le narcotrafic, a dit qu'il y était minuit vingt, alors qu'en France il est minuit moins cinq. Avec ce texte, nous pourrons empêcher que minuit ne sonne jamais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDSE)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Olivia Richard et M. Jérôme Durain applaudissent également.) Ce texte ambitieux s'est nourri des travaux de la commission d'enquête dont j'étais vice-présidente. D'année en année, le narcotrafic gagne en ampleur, jusqu'à nos petites villes et nos campagnes. Personne n'est épargné. Face à l'urgence, Jérôme Durain et Étienne Blanc ont déposé cette proposition de loi, qui renforce les moyens procéduraux contre le narcotrafic.
Nous sommes en retard sur les narcotrafiquants, qui ne manquent ni de moyens ni d'imagination pour contourner les règles en vigueur. Nous partageons tous l'ambition de donner un coup d'arrêt à ce trafic qui gangrène nos territoires.
Nous sommes parvenus à une vision équilibrée sur les points de blocage des articles 1er et 16. Nous saluons la création du Pnaco et la montée en puissance de l'Office anti-stupéfiants (Ofast), largement soutenues par les sénateurs comme par le Gouvernement. Ce sont des avancées décisives, tout comme les dispositions contre le blanchiment d'argent, qui frappent les narcotrafiquants au portefeuille. Ainsi les articles 5 et 5 bis permettront de geler leurs avoirs. Nous connaissons la dangerosité de ces individus sans limites - j'ai une pensée émue pour les familles des deux agents pénitentiaires tués à Incarville en mai 2024. Notre droit doit s'adapter. Nous devons autoriser les nouvelles techniques d'enquête. Aussi, je me félicite de l'adoption de la mesure que j'ai défendue après l'article 15 bis pour activer les appareils fixes, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD).
Néanmoins, des failles persistent. Je regrette que mon amendement relatif à la prévention n'ait pas été approuvé par la commission des lois. On m'a rétorqué que ce n'était ni le lieu ni le moment... Alors, quand ?
Ce texte se concentre sur le haut du spectre : c'est une avancée significative. Mais quid des petites mains ? L'an passé, plus de 1 000 mules ont vu leur voyage s'arrêter aux portes de l'aéroport guyanais. Il est primordial d'endiguer ce phénomène qui frappe les territoires ultramarins. Je plaide pour les scanners corporels, qui détectent les objets ingérés. Monsieur le ministre de l'intérieur, il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous... M. Darmanin y était favorable lorsqu'il était à votre place. J'espère que vous en ferez une priorité : à Schiphol, aux Pays-Bas, ils ont fait leurs preuves. Nous pourrons ainsi redéployer les forces de police qui réalisent 100 % des contrôles dans les aéroports.
Je salue l'excellent travail des rapporteurs de la commission des lois et d'Étienne Blanc. Le RDPI avait approuvé les conclusions de la commission d'enquête ; il votera naturellement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jérôme Durain et Mme Muriel Jourda applaudissent également.)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Sortir la France du piège du narcotrafic : cette ambition correspond à l'importance du problème qui nous intéresse depuis plus d'un an. Ce travail de longue haleine, transpartisan, restera une référence. Il a mis en lumière l'ubérisation du trafic, l'extension du narcotrafic aux zones rurales et la banalisation des drogues dures.
Ce texte est le résultat du travail de la commission d'enquête et de la commission des lois, enrichi par le Gouvernement. Nous souscrivons à la méthode, même si nous regrettons de ne pas avoir eu connaissance plus tôt de certains amendements clés.
Cette proposition de loi est absolument majeure. Notre procédure pénale, relativement uniforme il y a quelques années, a été modifiée pour lutter contre le terrorisme. Nous nous apprêtons à élargir ces exceptions. C'est un choix souverain de notre assemblée ; un choix nécessaire, quand 80 % à 90 % des règlements de compte sont dus à des différends liés au trafic de stupéfiants. Les conséquences sur la santé publique sont aussi dramatiques. L'Europe est inondée de cocaïne.
Ce texte est attendu par les services de police et les magistrats, qui ont besoin de coordination et d'outils plus efficaces.
Cette proposition de loi comporte 50 articles, contre 24 initialement. Voici les principales mesures : mise en place d'un service chef de file ; création du Pnaco ; fermeture administrative des lieux soupçonnés de blanchiment d'argent ; systématisation des enquêtes patrimoniales ; interdiction administrative de paraître ; facilitation des expulsions des logements sociaux ; plus grande coopération avec le renseignement ; expérimentation du renseignement algorithmique ; accès facilité aux messageries cryptées ; renforcement des outils à disposition des agents infiltrés ; extension du régime de repenti ; mesures contre la poursuite des affaires depuis la détention.
La procédure pénale sera modifiée : prolongation de la garde à vue pour les mules ; fin du plafonnement des peines pour des infractions concomitantes ; création d'un dossier coffre ; refonte du régime des nullités - qui sont soulevées et non provoquées par les avocats.
Clemenceau, un grand radical, a dit : « Le gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas. » (M. Bruno Retailleau apprécie la référence.) Il avait ajouté que les hésitants, ceux qui ne savent pas, trouvent un point d'appui dans la loi.
Notre assemblée est sur le point de confier des prérogatives très importantes à la police et à la justice, ce qui témoigne d'une grande confiance. Mais plus de pouvoirs, c'est plus de responsabilités. Nous veillerons à ce que ces techniques et dérogations soient bien utilisées contre le narcotrafic. Nous comptons sur la navette pour parvenir à un dossier-coffre opérationnel, qui préserve les droits de la défense.
Nous avons besoin de davantage de coopération internationale. Ce sera tout l'intérêt de la commission d'enquête sur la criminalité organisée.
Ce texte ne s'intéresse pas aux « hésitants » de Clemenceau : rien sur la prévention. Or le narcotrafic structure l'espace social. Nous avons parlé du risque de mexicanisation. Le narcotrafic s'épanouit partout où l'État central déserte. En Argentine, où la dépense publique a été coupée à la tronçonneuse, qui finance les cantines scolaires des villes misères ? Les narcotrafiquants ! Ils se glissent dans chaque faille sociale et soumettent la population à une dépendance économique. Ils deviennent le seul modèle de succès des adolescents.
C'est pourquoi il faut renforcer l'ensemble des services publics. C'est parce que nous avons besoin de plus d'État que le RDSE votera ce texte. Mais nous ne pourrons nous contenter d'un volet répressif. Il faudra aussi plus de République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime a dressé un état des lieux terrifiant dans son rapport de 2024 : 300 millions de consommateurs dont une majorité prennent du cannabis, 60 millions des opioïdes et 30 millions des amphétamines, pour un chiffre d'affaires consolidé de 250 milliards d'euros. La situation en Syrie, terre du captagon, doit attirer notre vigilance.
Il est impératif de prendre des mesures fortes contre le narcotrafic. Ce texte marque des avancées significatives. Nous nous réjouissons de l'adoption de plusieurs amendements issus du groupe UC, dont celui de Pascal Martin bannissant des ports français les navires et compagnies impliquées dans ce trafic. Moins de drogue au Havre, c'est moins de drogue dans l'Orne. (Sourires)
L'article 3 impose aux sociétés de location de véhicules de luxe de se conformer aux obligations de la lutte contre le blanchiment et autorise les maires à signaler au préfet les commerces suspectés de blanchiment. Il renforce aussi l'obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs.
L'article 3 bis, ajouté en séance, permet aux douanes d'accéder aux données des opérateurs de transport.
L'article 4 crée une procédure d'injonction pour création de richesse inexpliquée.
La commission a également interdit le recours aux mixeurs de cryptoactifs, ce qui reste toutefois assez théorique, car les distributeurs demeurent autorisés.
Plusieurs amendements ont été adoptés sur l'initiative de Mme Sylvie Vermeillet pour renforcer le rôle des douanes.
L'article 5 crée une procédure de gel judiciaire des avoirs des narcotrafiquants.
Le blanchiment d'argent est la mère de tous les vices. Monsieur le garde des sceaux, je salue votre engagement dans la lutte contre le blanchiment (M. Gérald Darmanin apprécie), et monsieur le ministre de l'intérieur - quelle dream team - votre détermination. Mais le compte n'y est pas. C'est le moment de rendre hommage à mon ami et complice Éric Bocquet, nouveau puissant maire de Marquillies, et de vous parler de la fraude fiscale. Comment expliquer que 1,5 million d'euros en espèces ont été retrouvés au Parlement européen - dossier totalement enterré ? Comment ne pas évoquer le rôle des banques dans l'affaire des Panama Papers ? En 2023, la Danske Bank a été impliquée dans un scandale de blanchiment de plus de 200 milliards d'euros, via sa filiale estonienne. La même année, le Crédit Suisse a été impliqué dans une affaire de blanchiment de fonds du trafic de drogue. Quel en a été le montant, pour qu'il accepte une amende de 2 milliards d'euros ? Toujours en 2023, BiFinance a été condamnée à 4,3 milliards de dollars pour ses manquements. À qui se fier ? Même le Vatican... (Vives exclamations sur toutes les travées)
M. Marc-Philippe Daubresse. - Il aurait dû rester dans sa bulle !
Mme Nathalie Goulet. - ... a été impliqué dans une affaire de blanchiment de 200 millions de dollars provenant de dons destinés à la charité, notamment au denier de Saint-Pierre. Le pape François a dû créer un Tracfin du Vatican. (Sourires et exclamations à droite)
Reste le sport, notamment le football. Je vous ferai grâce des faux prix de transfert, notamment... (MM. Gérald Darmanin et Stéphane Ravier s'exclament.)
La solution passe par une meilleure coopération internationale. L'Union européenne a franchi une étape avec la création de l'Autorité européenne de la lutte contre le blanchiment des capitaux. Son siège est à Francfort et sa présidente est italienne. Comment défendre l'influence française dans ce nouvel organisme européen ?
Le temps des voleurs n'est pas celui du législateur, encore moins s'il est européen.
À la longue liste des failles, nous devrions ajouter les ports francs, les paradis fiscaux, nos amies les monarchies du Golfe...
Le groupe UC votera avec enthousiasme ce texte, modèle de travail parlementaire : commission d'enquête unanime, excellente équipe de rapporteurs, excellents ministres. Tout cela se poursuit avec la commission d'enquête contre la criminalité organisée voulue par le groupe UC. Je sais que vous y serez attentifs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDPI ; M. Jérôme Durain applaudit également.)
M. Jérémy Bacchi . - Je rends hommage aux travailleurs confrontés au quotidien aux mafias et aux trafics de stupéfiants : dockers, douaniers, agents pénitentiaires, avocats, magistrats, policiers, gendarmes. C'est notre devoir de les protéger. Nous devons garantir leur sécurité tout en proportionnant les contrôles dont ils font l'objet : nous ne devons pas les présumer coupables mais, au contraire, les protéger de la corruption. Je regrette que nos amendements en ce sens n'aient pas été retenus.
Je rends hommage aux travailleurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui oeuvrent auprès de 350 000 mineurs ou jeunes majeurs, soit 20 % de plus qu'en 2011. Mais les moyens financiers manquent, ce qui pousse ces enfants dans les bras des narcotrafiquants et même des proxénètes. Nous devons mieux soutenir les départements pour mieux protéger les enfants. Sinon, nos efforts seront vains.
Je rends hommage aux habitants des quartiers et des villages touchés par le fléau du narcotrafic. Toutefois, ne les enfermons pas dans une dimension uniquement sécuritaire. J'ai grandi dans les quartiers nord de Marseille : ils sont beaux et peuvent nous rendre fiers. La présence policière, quoique nécessaire, ne peut pas tout. L'État doit y renforcer les services publics. En tant que communiste, je sais que la lutte contre les mafias est une question de classe, puisque les premières victimes sont toujours les plus précaires. Partout où l'État recule, les mafias progressent.
Voilà pourquoi nous devons accompagner l'élan de ce texte en renforçant les moyens financiers et humains des services publics. Notre justice ne saurait se contenter des crédits alloués par le budget 2025. Selon le rapport de la commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej) du Conseil de l'Europe de 2024, quand la France dépense pour la justice 77 euros par an et par habitant, l'Espagne en dépense 96, l'Italie, 100 et l'Allemagne, 136. La France ne compte que 11,3 magistrats professionnels pour 100 000 habitants contre 24,17 en Allemagne.
Les agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) nous alertent aussi sur leur manque de moyens.
Les douanes réalisent 75 % des saisies de stupéfiants. Si cette administration s'est modernisée, elle s'est privée de moyens tant matériels qu'humains : on compte 16 500 douaniers en France contre 48 000 en Allemagne. Nous ne pouvons pas laisser les douaniers ainsi désarmés.
La prévention est absente de cette proposition de loi : il nous faudra pourtant une campagne de santé publique pour soigner les personnes atteintes par ces addictions, de plus en plus nombreuses et de moins en moins accompagnées.
Une anecdote : il y a quelques semaines, j'étais l'invité d'une matinale à la radio. J'expliquais que trois familles avaient déménagé loin, étant victimes de menaces directes de réseaux de narcotrafiquants parce que leur fils ou frère avait refusé de les rejoindre. Le journaliste, un brin gêné, me demandait si moi, sénateur, je n'avais pas peur. Modestement, je lui ai répondu que si nous, parlementaires, avions peur de ces réseaux, cela ne devait pas nous empêcher d'agir, car nous ne pouvons pas demander aux salariés, aux habitants, à nos jeunes de faire preuve de courage, si nous n'en faisons pas preuve nous-mêmes. (M. Michel Savin applaudit.) Envoyons un double signal aux réseaux et à leurs victimes, et disons à ces dernières : on vous entend, vous n'êtes pas seules ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du RDSE et du groupe UC ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je salue la qualité des discussions sur cette proposition de loi, largement fondée sur les excellents travaux de la commission d'enquête demandée par les trois sénateurs de gauche des Bouches-du-Rhône : Marie-Arlette Carlotti, Jérémy Bacchi et moi-même.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Merci !
M. Guy Benarroche. - Les réseaux génèrent de gigantesques profits avec les stupéfiants mais opèrent aussi dans le trafic d'armes, le racket, la traite d'êtres humains et le proxénétisme. Le narcotrafic est le nec plus ultra du capitalisme libéral mondialisé.
Cette globalisation a été prise en compte dans la création du Pnaco, que nous saluons, mais qui devra éviter toute centralisation excessive.
Notre groupe salue la volonté de s'attaquer au haut du spectre. Le premier constat de la commission d'enquête est celui de l'échec des politiques de l'esbroufe, place nette et opération XXL : davantage de saisies et de personnes en prison, mais un trafic qui augmente !
Jean-Luc Warsmann, dans l'exposé des motifs de la proposition de loi créant l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), rappelait que pour être dissuasive, toute sanction pénale doit s'accompagner de la privation des profits tirés de l'infraction. Taper au portefeuille pour que le crime ne paie pas, voilà l'objectif !
Je salue l'adoption de nos amendements qui rendent obligatoire la confiscation des biens dont le propriétaire ne peut expliquer l'origine, évitent d'encombrer la justice et maintiennent les droits de la défense.
Nous saluons la refonte du statut des repentis et l'adoption d'un amendement du GEST qui les protège en sanctionnant ceux qui révèlent des informations à leur sujet.
La corruption est minorée. Nous aurions pu aller plus loin, notamment sur les obligations de prévention dans certaines collectivités.
Quels seront les moyens affectés par le Gouvernement à la mise en oeuvre de ces décisions ? La juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), crée il y a quelques années, n'a que peu fonctionné, faute de moyens.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je l'ai dit !
M. Guy Benarroche. - En passant par une proposition de loi, on se prive d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État.
Ces dispositions coûtent de l'argent. Or nous n'en avons plus, vu l'état dans lequel vous avez mis nos finances publiques.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Vous votez le texte ou pas ?
M. Guy Benarroche. - Nous nous méfions des politiques ambitieuses non soutenues par des moyens suffisants.
Rien, dans ce texte, sur la prévention, sur la consommation, sur le lumpenprolétariat de cette industrie, sur la prise en charge des addictions, sur la dépénalisation de certains usages, sur la politique de la ville, sur l'insertion par l'école et le travail, sur l'accompagnement des victimes du narcotrafic. C'est pourtant une demande forte des familles.
Quelques points nous posent problème, comme l'activation à distance des appareils électroniques, mesure censurée par le Conseil constitutionnel le 16 novembre 2023, qui porte atteinte à la vie privée. Les dérogations aux durées de garde à vue ou de détention provisoire sont disproportionnées. Nous déplorons enfin l'article 24, inopérant, qui ne figurait pas dans les préconisations de la commission d'enquête.
La plupart des mesures de ce texte vont dans le bon sens. Même s'il est incomplet, notre groupe le votera. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Muriel Jourda applaudit également.)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Loïc Hervé applaudit également.) Ce texte est né de Marseille. J'irai donc droit au but : notre groupe le votera ! (Sourires et bravos sur plusieurs travées ; applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Les sénateurs du groupe SER connaissent la menace que représente le narcotrafic. Partout en France, dans les centres-villes ou dans les campagnes, les élus locaux font face à la violence et à la mort. Le terrorisme fracasse la société, le narcotrafic la ronge : victimes humaines, territoires sous emprise, menace démocratique.
Merci à Marie-Arlette Carlotti (applaudissements sur les travées du groupe SER), Jérémy Bacchi et Guy Benarroche d'avoir demandé cette commission d'enquête. Merci à Valérie Boyer et à Stéphane Le Rudulier d'avoir obtenu sa création.
C'est une grande fierté d'assumer la copaternité, avec Étienne Blanc, de cette proposition de loi. Ce travail transpartisan incarne le meilleur du Parlement. Nous voulions avancer vite et fort, ce qui nous a conduits à empiéter sur le domaine de l'exécutif.
Ce texte a deux volets : une nouvelle organisation de la lutte contre le narcotrafic et une boîte à outils pour les services d'enquête et la justice : procès-verbal distinct, réforme du statut des repentis, injonction pour richesse inexpliquée, infiltration civile, nouvelle infraction d'appartenance à une organisation criminelle. Les nouveaux outils, réclamés par la justice et les forces de l'ordre, ne manquent pas. Charge à l'Assemblée nationale d'assurer leur inscription dans la loi.
Le groupe SER a défendu un meilleur maillage contre le blanchiment, grâce à Hussein Bourgi, une meilleure protection des professionnels de la justice et des informateurs, grâce à Marie-Pierre de La Gontrie, une meilleure lutte contre la corruption, grâce à Marie-Arlette Carlotti, une meilleure prise en compte des spécificités ultramarines, grâce à Catherine Conconne et Victorin Lurel, une meilleure lutte contre le trafic en prison, grâce à Laurence Harribey, ou encore la lutte contre l'utilisation des cartes SIM prépayées, grâce à Corinne Narassiguin.
Nous avons recherché l'équilibre entre sécurité et liberté, au prix d'arbitrages difficiles. L'alpiniste que je suis sait qu'arpenter la ligne de crête est toujours périlleux.
J'ai quelques frustrations. Nos réserves portent sur l'article 16, le procès-verbal distinct et le régime des nullités à l'article 20. Le travail de la commission des lois était équilibré. Trop d'amendements gouvernementaux sont arrivés trop tard. Ils auraient mérité un débat approfondi. Nous faisons confiance à la navette. Je serai plus ferme sur l'amendement relatif aux messageries cryptées : un dispositif à ce point intrusif méritait un débat approfondi. Il aurait fallu un texte distinct, après une étude d'impact. (« Très bien » sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Loïc Hervé. - (applaudissant) Très bien, bravo !
M. Jérôme Durain. - Il ne peut y avoir d'État protecteur avec une justice embolisée et des prisons cocotte-minute. Le nouvel état-major annoncé par le Gouvernement et le Pnaco sont indispensables, mais ne fonctionneront que s'ils sont dotés des moyens suffisants. L'investissement sans faille des enquêteurs et magistrats nous engage : nous leur devons un soutien sans faille, y compris budgétaire.
Dernier point : cette loi ne traite pas de la consommation. Certains appellent à la légalisation, d'autres à une plus forte pénalisation. Nous avons donc eu raison de ne pas l'aborder dans ce texte.
Notre groupe considère qu'il faut avancer sur deux jambes : la répression - nous l'assumons sans fard - et la prévention. La drogue, c'est de nombreux criminels, mais encore plus de victimes. Nous formulerons bientôt des propositions à cet égard.
Les socialistes voteront ce texte, en soutien à tous ceux qui combattent en notre nom, au quotidien, la criminalité organisée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC et Les Républicains et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. Aymeric Durox . - Je salue le travail d'Étienne Blanc, de Jérôme Durain et des membres de la commission d'enquête. Ils ont révélé ce que nombre de nos compatriotes, élus et forces de l'ordre vivent au quotidien : la constitution de fiefs criminels où la loi du sang prévaut sur la loi de la République, parfois même en zone rurale. Ainsi à Nangis, en Seine-et-Marne, dans une commune de 8 700 âmes, on compte deux morts par balle en 2023 et 2024 en raison du narcotrafic. Le RN dénonce depuis longtemps cet état de fait.
Nous avons grand espoir dans le renforcement de l'Ofast, composé de quatre ministères régaliens : Beauvau, Bercy, Vendôme et Armées.
Nous allons enfin frapper les narcotrafiquants au portefeuille, avec la systématisation des enquêtes patrimoniales et la nouvelle procédure d'injonction pour richesses inexpliquées. L'interdiction du paiement en liquide des véhicules de location est aussi une bonne chose.
J'espère que deux autres mesures fortes seront appliquées avec rigueur : la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal et la possibilité donnée aux préfets d'expulser de son logement une personne impliquée dans un trafic de stupéfiants si son logement est situé dans cette zone d'interdiction.
Alors que France urbaine avait appelé à un plan d'action nationale contre le narcotrafic dans une tribune parue dans Le Monde, le 20 septembre 2023, cette loi vient à point. Ce n'est rien de moins qu'un fléau : près de 80 % des règlements de compte dans notre pays sont le fait du narcotrafic. Aucun territoire n'est épargné.
Le Premier ministre a évoqué à juste titre la submersion migratoire. Ce texte combat la submersion du narcotrafic ; les deux sont évidemment liés. Lutter contre l'un, c'est lutter contre l'autre ! Les sénateurs du RN voteront pour ce texte. (Mme Muriel Jourda et MM. Christopher Szczurek, Joshua Hochart et Stéphane Ravier applaudissent.)
La proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public solennel.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°185 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 338 |
Contre | 1 |
(Exclamations et applaudissements sur plusieurs travées)
Plusieurs voix. - Qui ?
M. Stéphane Ravier. - Le nom !
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public solennel.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°186 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l'adoption | 335 |
Contre | 0 |
La proposition de loi organique est adoptée.
(Applaudissements)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - En cette période si troublée, où les querelles peuvent l'emporter, où il est difficile pour le Gouvernement d'agir, le Sénat montre - et j'en remercie Muriel Jourda, Jérôme Durain, Étienne Blanc et tous les groupes politiques - une unanimité qui lui fait honneur et donne au ministre d'État Bruno Retailleau et à moi-même la force d'aller à l'Assemblée nationale avec un vote de confiance pour améliorer la lutte contre le fléau du narcotrafic.
Première mesure phare : la spécialisation du parquet national, que vous avez souhaitée. Monsieur Durain, les moyens sont là. Il faudra 100 magistrats supplémentaires, j'en ai débloqué la moitié cette année. Pour le 1er janvier 2026, il faudra 130 millions d'euros supplémentaires. Nous devrons y travailler collectivement.
M. Jean-François Husson. - Hélas, il n'y a plus d'argent...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Deuxième mesure : la détention, qui relève surtout du domaine réglementaire. J'ai fait plusieurs annonces sur le régime de la détention spécifique pour les narcotrafiquants. Il sera modifié dès le mois de juillet. Je présenterai ces modifications, à l'italienne, devant votre commission des lois.
Troisième mesure : nous simplifions les procédures - je pense aux nullités ou aux remises en liberté - en respectant les droits de la défense, car l'État doit être sans naïveté. Votre texte améliore déjà beaucoup les choses.
Enfin, nous ne sommes pas insensibles aux interventions du groupe CRCE-K et du GEST sur la prévention. Ce texte ne porte pas sur l'ensemble des conduites addictives ni sur la politique sociale que nous devons mener pour lutter contre les addictions. Il faut tout un village pour élever un enfant... Mais le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports doit travailler avec les autres ministères régaliens sur le sujet, pour améliorer la prévention.
Le Sénat, chose formidable, s'est attaqué au produit du produit, l'argent. Merci pour ce que vous avez fait au service des magistrats et de l'État régalien.
M. Jean-Michel Arnaud. - Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet du scrutin solennel n°185 : j'ai commis une erreur... Mme Devésa souhaitait voter pour ! (« Ah ! » et rires sur plusieurs travées)
Acte en est donné.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; quelques applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie l'ensemble du Sénat pour ce vote unanime, qui donnera une impulsion décisive pour le passage du texte à l'Assemblée nationale. Je remercie tout particulièrement la présidente de la commission des lois, rapporteur du texte, chère Muriel Jourda (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP, du RDPI et du groupe SER), ainsi que le corapporteur Jérôme Durain (applaudissements sur toutes les travées) et le rapporteur de la commission d'enquête Étienne Blanc (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP, du RDPI et du groupe SER).
Ce vote-là marquera notre vie politique. Ce texte vient de loin, il a eu un parcours exemplaire. C'est un texte fondateur : il y aura un avant, et un après.
Dans un combat vital, mais trop souvent inégal, il donne des armes à la justice, aux forces de sécurité intérieure.
Je pense à la spécialisation de la chaîne judiciaire, notamment à l'état-major qui organisera dans un même lieu les services d'enquête et de renseignement. Grâce à une meilleure coordination, nous pourrons attaquer frontalement la criminalité organisée.
Vous nous dotez aussi d'un arsenal contre le blanchiment et la corruption.
Derrière ce texte refondateur, il y a aussi une volonté unanime. L'histoire de France nous donne cette leçon : quand la nation est rassemblée, rien ne peut nous arrêter.
Le Sénat a donné à la République une première grande victoire. Pour cela, je vous dis : merci. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; applaudissements sur quelques travées du groupe INDEP, du RDPI, du RDSE et du groupe SER.)
La séance est suspendue à 15 h 50.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
La séance reprend à 16 heures.