Introduction de la proportionnelle pour les élections législatives

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.

Discussion générale

Mme Mélanie Vogel, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre groupe a souhaité ouvrir le débat sur un sujet démocratique très important, que 74 % des Français souhaitent voir avancer concrètement : la manière dont nous élisons nos députés.

La crise politique ne date pas de la censure du 4 décembre dernier, ni même de la dissolution du 9 juin, ni même tout à fait des élections législatives de 2022, qui ont donné une Assemblée nationale sans majorité absolue. Elle trouve son origine profonde dans le fonctionnement de la Ve République.

Ce n'est pas un hasard si les gilets jaunes et les manifestations contre la réforme des retraites ont formulé des demandes démocratiques, dont le référendum d'initiative citoyenne (RIC) et l'abrogation du 49.3. Une conviction progresse dans le pays : nos institutions sont une pièce maîtresse de la crise et, sans renouveau démocratique, la France ne pourra relever les défis qui s'imposent à elle.

Nous devons nous hisser au rang des démocraties modernes et matures, capables de faire face à une situation, somme toute, d'une grande banalité et d'une saine normalité : l'absence de majorité absolue pour une seule formation politique.

C'est pourquoi l'introduction de la proportionnelle aux élections législatives est nécessaire et plus urgente que jamais.

Le scrutin majoritaire alimente la crise politique, frustrant les électeurs et déresponsabilisant les élus. Toutes les voix ne comptent pas : les millions qui se portent sur des candidatures non présentes au second tour ne sont jamais entendues.

Lorsque je présidais le parti Vert européen, j'ai entendu un collègue autrichien expliquer que, aux dernières élections dans son pays, 7 % des voix n'étaient pas représentées. C'est beaucoup, mais c'est acceptable. Et en France, me suis-je demandé ? Sur la base du premier tour des législatives de 2022, on atteint 60 % de voix non représentées ; sur la base du second, avec la multiplication des triangulaires, c'est encore 45 %. Quelle démocratie peut accepter cela ?

Nombre d'électeurs ne votent jamais par conviction, estimant que leur vote sera inutile : ils se résignent à voter pour ceux qu'ils détestent le moins. Certains, usés, ne votent plus du tout.

Avec le scrutin majoritaire, un quart des voix peut permettre d'obtenir la majorité absolue aussi bien que ne donner aucun siège. Cela sape la légitimité de l'Assemblée nationale.

Un Parlement peu représentatif, c'est la fabrique mécanique de la trahison et du mépris. Les artefacts majoritaires atrophient le travail parlementaire et coupent les élus de l'opinion, nourrissant ressentiment et colère. En faisant apparaître des majorités plutôt que de les construire patiemment, on encourage une culture de la paresse et de l'irresponsabilité ; et, quand la majorité n'est pas là, c'est l'impasse totale. Tout cela nous rend collectivement décevants pour les Français.

Le système majoritaire, c'est la culture de l'affrontement plutôt que celle du compromis - sénatrices et sénateurs, élus aux trois quarts à la proportionnelle, nous le savons bien. C'est aussi l'impossibilité de garantir une Assemblée nationale paritaire.

Toléré pendant des décennies au motif qu'il donnait des majorités stables et tenait l'extrême droite à l'écart, le scrutin majoritaire voit ses promesses voler en éclats. Aujourd'hui, c'est lui qui fabrique de l'instabilité et constitue le plus court chemin vers la conquête du pouvoir par l'extrême droite.

Il est temps que le Parlement français représente la société française dans sa complexité et sa pluralité. Chacun doit savoir que sa voix compte. Les forces politiques doivent passer plus de temps à construire des projets que des stratégies d'alliance électorale.

M. François Bonhomme.  - Berceuse !

Mme Mélanie Vogel.  - C'est ainsi que nous conjurerons l'instabilité politique, qui nourrit le raidissement autoritaire.

Un parlementarisme mature, ce n'est pas l'instabilité ou le compromis mou. Tous les pays européens ont la proportionnelle, et ils connaissent souvent une stabilité politique remarquable grâce à des coalitions solides. Voyez l'Allemagne, l'Autriche, ou le Luxembourg.

M. François Bonhomme.  - Et pas la Ve République ?

Mme Mélanie Vogel.  - Ces pays ont un cap clair, quand nous vacillons dans la confusion.

La proportionnelle n'est pas un facteur de fragmentation. Nous avons déjà l'un des parlements les plus fragmentés d'Europe !

Elle n'éloigne pas non plus les élus des territoires.

M. François Bonhomme.  - Bien sûr ! C'est ce qu'on voit aux élections européennes.

Mme Mélanie Vogel.  - C'est même l'inverse !

M. François Bonhomme.  - Plus c'est gros, plus ça passe...

Mme Mélanie Vogel.  - En Seine-Saint-Denis, 100 % des députés sont issus du Nouveau Front populaire (NFP), alors que les sénatoriales donnent des résultats plus équilibrés. Les Français de l'étranger sont représentés à 90 % par des députés Renaissance, alors que le NFP est arrivé en tête du premier tour des législatives. Peut-on expliquer à un électeur écologiste du Var qu'il est représenté par un député vert de Paris ?

Engageons un travail parlementaire sur le sujet, conformément aux engagements de Michel Barnier et de François Bayrou et aux attentes des Français. Cette proposition de résolution ne tranche pas, mais énonce des principes fondamentaux pour un futur modèle : représentativité réelle, équilibre entre les territoires, lisibilité, applicabilité sans réforme constitutionnelle.

Répondons à la demande citoyenne en renforçant la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Olivia Richard et MM. Éric Kerrouche, Ahmed Laouedj et Bernard Pillefer applaudissent également.)

Mme Isabelle Florennes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de résolution porte sur un thème bien connu du groupe UC. C'est un axe historique au centre et à gauche et un thème de prédilection de François Bayrou. (Marques d'ironie sur certaines travées du groupe Les Républicains)

Députée, j'ai déposé une proposition de résolution pour une représentation plus juste des Français à l'Assemblée nationale - M. le ministre s'en souvient sans doute... (MPatrick Mignola sourit.)

Il peut paraître étrange que nous débattions du mode de scrutin de nos collègues députés. Mais cette proposition de résolution s'inscrit dans un contexte où les débats sont riches et contradictoires sur ce sujet. Elle s'inscrit aussi dans un cycle long : en 1848 déjà, les tenants du système majoritaire expliquaient que les citoyens ne devaient voter que pour un homme qu'ils connaissent ; la proportionnelle était synonyme de complot.

Jean Jaurès puis Aristide Briand ont défendu la proportionnelle. Ce dernier a même vu son Gouvernement renversé sur cette question en 1913, au Sénat.

Le débat sur la proportionnelle a traversé toutes les périodes politiques, et nous avons connu plusieurs applications de ce scrutin : 1919, 1946 et 1986. Dans plus de 70 % des départements, nous, sénateurs, sommes élus à la proportionnelle. Les européennes et les municipales obéissent aussi à ce mode de scrutin.

Pourquoi abandonner le scrutin majoritaire ?

M. François Bonhomme.  - Bonne question !

Mme Isabelle Florennes.  - La voix de l'électeur minoritaire y est sans valeur : ce couperet frustre nos concitoyens et les pousse à l'abstention ou à un vote purement stratégique. Avec le scrutin proportionnel, chacun voterait selon ses convictions et l'Assemblée nationale représenterait plus fidèlement les divers courants d'opinion.

La proportionnelle peut prendre des formes diverses : intégrale ou partielle, seuils variables, circonscriptions plus ou moins étendues. En fonction des modalités choisies, le lien avec les électeurs est plus ou moins distendu.

M. François Bonhomme.  - Cela reste du poison.

Mme Isabelle Florennes.  - Les auteurs de la proposition de résolution avancent que nos électeurs se sentent de plus en plus mal représentés et que la défiance citoyenne explose. Un changement de mode de scrutin répondra-t-il à cette crise ? (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains)

Soyons réalistes : modifier la façon de voter n'est pas un remède miracle au malaise démocratique. Nous devons mener une triple démarche : réappropriation du politique pour agir sur le réel et éviter les dérives césaristes ; régulation des nouveaux modes de communication, qui dysfonctionnent de plus en plus ; responsabilisation des élus, dont certains adoptent des comportements qui nourrissent le rejet du politique. Sachons accepter des compromis et faire des concessions quand l'intérêt du pays est en jeu.

Le groupe UC est composé d'une diversité de sensibilités. Dans sa majorité, il votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe UC et sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDSE)

Mme Cécile Cukierman .  - La Constitution de la Ve République est à bout de souffle. Seuls 21 % des Français considèrent nos institutions comme démocratiques, 12 % comme représentatives et 7 % comme justes. Un fossé immense s'est creusé entre eux et leurs représentants.

Il ne doit pas être séparé des problèmes économiques et sociaux : à la désindustrialisation lourde a succédé une précarisation qui frappe tous les secteurs. Face à ce nouveau monde imposé par le capitalisme mondialisé, le pouvoir politique a accumulé les promesses pour ensuite les oublier. Emmanuel Macron, qui appelait à une révolution, a poussé ce décalage à son paroxysme.

La crise démocratique est profonde. C'est vrai aussi dans le monde du travail, où l'individualisation croissante brise le collectif. Au niveau local, nos collectivités subissent une réduction de moyens continue. Au niveau national, l'hyper-présidentialisation, accentuée par la mise sous tutelle du scrutin législatif par la présidentielle, a aggravé le problème. Nous ne parvenons pas à sortir de la crise dans laquelle la dissolution du 9 juin nous a plongés.

Nous avons toujours défendu l'exigence d'une remise à plat démocratique globale. La proportionnelle est une arme de premier plan pour une meilleure représentation de la société, mais elle ne réglerait pas tout. Par ailleurs, ses modalités d'application peuvent être très diverses : proportion de sièges concernés, prime majoritaire ou non, seuil d'accès à la représentation, périmètre des circonscriptions.

En 2018, Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont proposé d'élire 15 % des députés à la proportionnelle, ce qui aurait pu répondre au voeu de cette proposition de résolution. Mais ils voulaient aussi réduire de 30 % le nombre de parlementaires et affaiblir les prérogatives du Parlement en remettant en cause la navette et le droit d'amendement. Preuve qu'on peut vouloir introduire la proportionnelle et, en même temps, affaiblir le Parlement.

Ne nous faisons pas d'illusions : le scrutin proportionnel ne résoudrait pas d'un coup de baguette magique une crise dont la profondeur dépasse largement le cadre électoral.

M. Roger Karoutchi.  - Ça c'est sûr...

Mme Cécile Cukierman.  - Nous n'avons pas d'a priori pour ou contre la proportionnelle, l'enjeu étant dans ses modalités d'application. Nous nous abstiendrons donc. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)

M. Olivier Paccaud.  - Sage décision !

M. Yannick Jadot .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il est intéressant de voir nos collègues Les Républicains applaudir notre collègue communiste lorsqu'elle dit, en substance : soit on change tout, soit il est inutile de commencer par le début...

À l'évidence, il y a une crise de défiance. Des réformes institutionnelles profondes doivent être engagées. Nous vous proposons de commencer par le début.

Le front républicain du 7 juillet a été une magnifique nouvelle politique, mais c'est une anomalie démocratique.

M. François Bonhomme.  - De l'avis général...

M. Yannick Jadot.  - Nombre de Français n'en peuvent plus de voter contre plutôt que pour et d'être gouvernés par des minorités.

Dans les pays où le Parlement est élu à la proportionnelle, les citoyens peuvent être mécontents des coalitions formées, mais elles sont majoritaires dans l'électorat. Nous voulons que chaque électrice, chaque électeur, soit pris en compte.

L'esprit de compromis est essentiel ; il consiste à assumer le pays dans sa complexité. Au Sénat, nous le connaissons bien, mais, ailleurs, l'invective remplace les arguments et les affrontements l'emportent sur le sens du compromis. Au Parlement européen, où j'ai siégé, l'esprit de compromis est encore plus fort, en l'absence de majorité installée.

Le scrutin majoritaire est présenté comme gage de stabilité de nos institutions, mais les politiques publiques, parce qu'elles sont décidées par des minorités, sont plus facilement remises en cause de scrutin en scrutin.

Pendant longtemps, on a cru que le scrutin majoritaire permettait au moins d'éviter l'extrême droite. Ce n'est plus le cas : nous pourrions assister à un raz-de-marée de l'extrême droite à la faveur du scrutin majoritaire.

M. François Bonhomme.  - Plus facile de changer les règles que le peuple...

M. Yannick Jadot.  - Envoyons un signal pour redonner confiance dans la politique, faire reculer l'abstention et installer l'exigence de compromis. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE)

M. Éric Kerrouche .  - Ce débat ravive la querelle centenaire entre erpéistes et arrondissementiers, entre partisans et détracteurs des « mares stagnantes » et de la « funeste erreur ».

Ce débat peut sembler éloigné des préoccupations des Français, mais il est essentiel. Fixer les règles électorales, c'est déterminer qui peut voter les lois de la République et donc décider des politiques publiques. La règle doit être la plus démocratique possible, pour que chaque bulletin ait son utilité.

L'absence depuis 2022 d'une majorité absolue, pour la première fois depuis 1962, a relancé le débat, non sans un paradoxe : l'Assemblée nationale n'a jamais été aussi proportionnelle, sinon en 1986. Alors que nous vivons un moment de bascule avec un retour en force du Parlement, certaines idées volent en éclats, à commencer par la prétendue vertu du scrutin majoritaire pour la stabilité.

Comme sous la IVe République, c'est l'émiettement du système des partis qui provoque l'instabilité. En Europe, nombre de pays ont la proportionnelle sans instabilité : les gouvernements durent en moyenne cinq ans, contre dix-huit mois en France.

Reste l'argument du barrage à l'extrême droite. Le glissement de conviction du RN est à cet égard révélateur : pour la première fois, le scrutin majoritaire pourrait lui profiter, alors que la proportionnelle le priverait de majorité absolue.

L'effet amplificateur du scrutin majoritaire est écrasant : en 2017, La République en Marche a obtenu 28,2 % des voix, mais 308 sièges à l'Assemblée nationale !

Les Français finissent par voter contre plus souvent que pour, pour que leur voix ne soit pas perdue. La France, un des seuls pays où la représentation est disproportionnelle, est aussi le plus touché par ce phénomène. Un déplacement de 1 % des résultats peut entraîner un déplacement de 4 % en sièges. Cette disproportionnalité est structurellement un problème démocratique.

Les effets de la proportionnelle sont variables, car sa gamme est infinie. Les seuils de qualification et la magnitude de la circonscription sont des facteurs décisifs. En fonction des modalités retenues, on pourrait observer les effets exposés par Mme Vogel : accroissement de la participation, car chaque voix compte, parité et inclusivité, diminution de la violence politique par la nécessité du compromis. (M. Roger Karoutchi est dubitatif.)

L'instauration de la proportionnelle permettait aussi de déprésidentialiser la vie politique. Aujourd'hui, le risque de perdre son siège en cas de dissolution est très élevé ; il ne le serait pas avec la proportionnelle, ce qui encouragerait moins la soumission. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. François Bonhomme.  - Tout est dit !

M. Éric Kerrouche.  - La dissolution deviendrait alors un « sabre de carton », selon l'expression de Marie-Anne Cohendet.

Mais la formule électorale ne suffit pas : il faut réfléchir aussi au calendrier électoral, à la géographie électorale et au système partisan lui-même. Simplicité et lisibilité comme représentativité territoriale sont des conditions essentielles d'un changement réussi.

Pour que chaque voix compte et pour déprésidentialiser notre régime, nous sommes favorables à la poursuite de la réflexion parlementaire et voterons cette excellente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur de nombreuses travées du groupe UC ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Je ne voudrais pas gâcher la fête, ...

M. Olivier Paccaud.  - Vous pouvez !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - ... mais je défendrai un point de vue différent.

La Ve République a résisté à tout. Depuis soixante ans, elle permet stabilité et alternances, malgré les cohabitations, le quinquennat et les majorités relatives, voire très relatives. Elle porte en elle les ressources qui lui permettent de tenir.

Depuis juillet dernier, nous sommes dans une situation complexe et incertaine. Il faut se méfier de ce qui paraît évident, des fausses bonnes idées qui plaisent à l'opinion mais dont les effets interrogent ensuite. Voyez le cumul des mandats, que tout le monde voulait supprimer mais auquel on cherche aujourd'hui à revenir. (On le conteste sur les travées du GEST.) Et voyez le quinquennat ou l'introduction de la proportionnelle en 1986 - qui n'a visiblement pas emporté l'adhésion, puisque le scrutin majoritaire a été rétabli quelques mois après...

La proposition de résolution que nous examinons est un peu vague... S'agit-il d'une proportionnelle départementale, régionale, nationale ? À un tour ou à deux ? Il y a autant de combinaisons qu'au loto ! (On renchérit sur les travées du groupe Les Républicains.)

La tripartition électorale entre banlieues, centres-villes et campagnes est telle qu'on pourrait dire : dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes. Résultat : nous avons une Assemblée nationale qui n'a jamais été aussi représentative - les conséquences ne sont guère encourageantes...

Ce qui compte, c'est le profil des candidats investis.

M. Olivier Paccaud.  - Absolument !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Avec la proportionnelle, ce seront les mieux vus du chef !

M. Éric Kerrouche.  - Ce n'était pas le cas en 2017 ?

M. Pierre-Jean Verzelen.  - La proportionnelle ferait reculer l'abstention ? J'en doute. Chez nos voisins, les taux de participation ne sont pas forcément plus élevés - c'est parfois même le contraire.

Ce débat suppose du temps et de l'apaisement. Je ne suis pas certain que les conditions politiques soient réunies. Essayons plutôt de faire en sorte que les prochains mois soient utiles au pays. Une grande partie du groupe Les Indépendants votera contre la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains ; M. Jean Hingray et Mme Christine Herzog applaudissent également.)

M. Roger Karoutchi .  - Si la démocratie pouvait être sauvée par un mode de scrutin, on le saurait...

La crise de la démocratie est générale. Depuis plusieurs décennies, un hiatus s'est formé entre les forces politiques et la volonté populaire. Comment cela se règle-t-il ? Par une meilleure adaptation des forces politiques, une transformation profonde de la démocratie, un projet commun. Un changement de mode de scrutin n'y fera rien. Il y a des démocraties malades avec un scrutin proportionnel et d'autres qui le sont avec un scrutin majoritaire...

Le général de Gaulle a veillé à ce que le mode de scrutin ne soit pas dans la Constitution. Il s'agit d'un simple outil, qui peut être modifié au gré des nécessités ; il ne relève pas du fonctionnement des institutions.

La crise actuelle est due à l'affaiblissement du pouvoir politique, des familles politiques, de l'État.

Le mode de scrutin majoritaire a assuré pendant cinquante ans la stabilité de la démocratie française. (Mme Nadine Bellurot renchérit.) Il a donné à un gouvernement solide et sûr de lui la capacité d'agir. Or qu'attend-on d'un Parlement ? Qu'il donne au gouvernement les moyens d'agir dans l'intérêt du pays. Pas qu'il garantisse aux députés qu'en cas de dissolution, ils seront réélus. (On approuve avec vigueur à droite.) Je suis vice-président de la commission d'investiture de mon parti : avec la proportionnelle, je serais élu à vie !

Examinons-nous d'abord nous-mêmes : sommes-nous toujours à la hauteur de ce qu'attendent les Français ? Ils veulent un Gouvernement qui agisse pour leur bien, pas qu'on change le mode de scrutin. Les Britanniques, qui ne sont pas des antidémocrates, ont un scrutin majoritaire à un tour et ne veulent pas en changer. D'autres pays, qui ont la proportionnelle, envisagent d'adopter une part de scrutin majoritaire.

Ce qui change la donne, c'est la force des partis, leur capacité à convaincre. Dans nos formations politiques, avons-nous fait les transformations nécessaires pour être proches des gens ? La démocratie, c'est un gouvernement, soutenu par une majorité stable, qui agit au service de pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En juillet dernier, les législatives ont conduit à une Assemblée nationale éclatée, sans majorité claire. Nous avons pu douter de l'efficacité du scrutin majoritaire pour assurer la stabilité. C'est la quadrature du demi-cercle, celui de nos hémicycles... Le tout dans un contexte de crise démocratique, une lame de fond qu'on ne peut ignorer.

Nous soutenons l'idée d'un débat sur la proportionnelle et avons accordé notre confiance au Gouvernement notamment pour mener ces discussions.

La récente censure, qui n'a pas été pas sans conséquences, notamment économiques, a confirmé la nécessité d'une évolution. Mais, comme le demande Julien Jeanneney, « le moment de prise en conscience des affres d'une assemblée sans majorité claire est-il le mieux choisi pour proposer un système tendant à pérenniser une telle situation » ?

Un peu de nuance s'impose. Ne serait-ce que parce que la proportionnelle recouvre un grand nombre de réalités. D'autre part, gardons-nous de faire un usage instrumental ou court-termiste de la révision de nos institutions. Il y va de la Constitution comme des lois électorales : il faut y toucher avec prudence et une réflexion globale. Enfin, si le système existant peut susciter des critiques, il n'est pas certain qu'un autre serait par principe le remède, ni que celui-ci ne serait pas pire que le mal...

Le mode de scrutin proportionnel n'a jamais trouvé d'enracinement dans notre pays. Ses thuriféraires sont parfois devenus des détracteurs. À une échelle globale, la proportionnelle peut éloigner les représentants des électeurs. Elle peut aussi pousser à la radicalité, rendant moins crédibles de futures coalitions - l'exemple espagnol doit nous faire réfléchir. Quant à la stabilité recherchée, l'exemple belge doit également interpeller. (M. Roger Karoutchi renchérit.)

Et si l'objectif est d'affaiblir le Rassemblement national, attention, si je puis dire, au retour de flamme. Ils défendent eux-mêmes le scrutin proportionnel avec un correctif majoritaire très fort - une version différente de celle défendue par Mme Vogel dans sa proposition de loi.

Sénatrices et sénateurs, nous avons la possibilité de rencontrer la totalité de notre électorat, qui identifie en retour la totalité des membres de nos listes. Au reste, la proportionnelle sénatoriale s'applique au niveau départemental, un échelon de proximité.

Le RDPI votera majoritairement la proposition de résolution, car le débat doit se tenir ; mais la réflexion doit être prudente et associer nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Olivier Paccaud.  - Le « en même temps » !

M. Ahmed Laouedj .  - Je remercie nos collègues du GEST de susciter ce débat.

La mécanique démocratique s'est enrayée et la défiance de nos concitoyens atteint des niveaux préoccupants. L'abstention explose, ce qui est profondément décevant au regard du combat historique en faveur du droit de vote.

Une assemblée parlementaire doit-elle être le parfait miroir de la société ? Condorcet s'y attelait au XVIIIe siècle avec ses modèles mathématiques, mais la somme des préférences individuelles peut être irrationnelle. Difficile, en la matière, de dégager une vérité absolue.

On pouvait croire que le système majoritaire assurait la stabilité. Mais l'actuelle Assemblée nationale est proche de ce que donnerait une proportionnelle.

Mon groupe, partagé, considère qu'un éventuel changement de mode de scrutin devrait prendre place dans une réforme plus globale, limitant la présidentialisation du régime, qui ne favorise pas la culture du compromis. Nous devons apprendre à former des coalitions et réfléchir aussi à la taille des circonscriptions pour garantir la proximité avec les électeurs et éviter la mainmise des appareils partisans.

Nous avons la responsabilité de créer les conditions d'un plus grand engagement citoyen, comme l'a tenté le RDSE avec la proposition de loi d'Henri Cabanel. Pour éloigner nos concitoyens des votes extrêmes, il faut fixer un cap d'espérance.

Au sein du RDSE, les avis sont partagés. Pour ma part, je voterai la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)

M. Olivier Paccaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Marianne est malade : elle souffre d'un spleen inquiétant depuis longtemps, bien avant le capharnaüm de la dissolution et l'échafaud de la censure. Poison de l'abstention, chêne lierre de l'antiparlementarisme, bordélisation de l'Assemblée par des olibrius furieux : autant de stigmates de la crise de notre République. Qui peut nier les douves quasi infranchissables qui séparent désormais le peuple souverain et les élites gouvernantes ?

Sociologues, philosophes et éditorialistes déploreront que le citoyen soit devenu un consommateur accro aux réseaux sociaux, que l'exigence des droits ait balayé le sens des devoirs, que l'intérêt général et le bien commun soient devenus des notions désuètes. Comment renouer la confiance et revivifier la démocratie ?

Voilà qu'un carillon joyeux s'élève : on aurait trouvé la pierre philosophale électorale, le Graal de la citoyenneté... La proportionnelle !

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Qui dit cela ?

M. Olivier Paccaud.  - Permettez-moi d'être un peu moins enthousiaste... Car la proportionnelle est tout sauf une innovation miraculeuse. Souvenez-vous de la IVe République, le temps des combinaisons et des gouvernements éphémères ; de 1986 et du florentin François Mitterrand, machiavélique ingénieur de la proportionnelle pour limiter la victoire de la droite en offrant trente-cinq députés au Front national.

La proportionnelle, c'est le vice au bras de la vertu électorale. (On apprécie la formule à droite ; M. Éric Kerrouche la récuse.) La vertu, indéniable, c'est la représentativité partisane. Mais l'Assemblée nationale actuelle n'offre-t-elle pas une représentation quasi parfaite ? Le vice, c'est le régime des partis, des copains et des coquins, des copines et des coquines, une pluie de parachutés médiocres et un lien distendu avec les territoires. (Murmures désapprobateurs sur les travées du GEST)

M. Akli Mellouli.  - Arrêtez de fumer !

M. Olivier Paccaud.  - La baguette magique de la fée proportionnelle a ainsi permis à une conseillère régionale d'Île-de-France de se transplanter dans le Nord-Pas-de-Calais ou à une sénatrice de l'Oise de devenir en quelques heures sénatrice du Val-de-Marne. Nul doute que notre démocratie y a beaucoup gagné...

La proportionnelle repose sur une liste, validée par le parti, à Paris. Certes, les modalités possibles sont diverses. On peut même imaginer un subtil alliage de proportionnelle et de scrutin majoritaire. Tout est possible, mais tout n'est pas souhaitable.

En tout état de cause, le second tour est un précieux temps de réflexion et une opportunité de correction. « La France gouvernée par une assemblée unique, c'est l'océan gouverné par l'ouragan », disait Victor Hugo. Le tour unique, c'est le saut dans le vide sans parachute.

La République vacille, et le remède miracle n'existe pas. Mais la proportionnelle ne serait qu'un placebo aux effets secondaires ravageurs. Marianne a besoin d'un sursaut républicain et d'une refondation civique, sans quoi c'est la nation elle-même qui sera en péril. Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Je remercie le GEST d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution. J'aborde ce débat avec humilité, en saluant la qualité des interventions des orateurs, entre force rhétorique et nuances.

On entend souvent qu'il faudrait s'occuper d'autres priorités avant le mode de scrutin. Mais je crois, moi aussi, qu'il doit être au coeur de notre attention : c'est la source de la légitimité démocratique qui est en jeu.

Il faut une réconciliation entre l'action du Parlement et nos concitoyens. Plus les élus au Parlement seront légitimes, plus leur capacité à agir sera grande.

Comme l'a dit Yannick Jadot, c'est aussi l'acceptabilité qui est en jeu : si les électeurs se sentent mal représentés au Parlement, une décision difficile sera plus rudement contestée.

S'interroger sur une meilleure représentativité des modes de scrutin peut conduire à améliorer l'efficience de l'action publique.

L'instabilité ? En toute humilité, notons qu'en 1986, le scrutin proportionnel, paradoxalement, a conduit à une majorité à l'Assemblée nationale, fût-elle plus courte qu'annoncée. De même, les sénateurs sont majoritairement élus au scrutin proportionnel, et il existe bien une majorité ici !

Conservons le sens de la nuance. Nous sommes les seuls en Europe à ne pas avoir inscrit le scrutin proportionnel dans nos institutions. On peut être attaché à l'originalité de la République française, mais reconnaissons que quand on a raison seul, on a rarement raison... (Sourires sur les travées du GEST)

Mme Cécile Cukierman.  - Amusant : c'est le même argument que pour les retraites !

M. Patrick Mignola, ministre délégué.  - J'ai apprécié l'approche nuancée de ceux qui soutiennent un débat en faveur du scrutin proportionnel.

Le scrutin proportionnel améliore la représentativité des opinions - les électeurs de droite de Seine-Saint-Denis, les électeurs de gauche de Neuilly seraient mieux représentés.

Le scrutin de liste améliore la représentativité sociétale, en confortant la place des femmes, ainsi que la diversité sociale.

M. François Bonhomme.  - Ce sont des choix politiques.

M. Patrick Mignola, ministre délégué.  - Le scrutin proportionnel peut mener à une évolution des cultures politiques. Mon intervention est respectueuse et prudente (Mme Nadine Bellurot le confirme avec amusement), car j'appartiens à un gouvernement qui est le fruit d'un compromis, où les avis sur le sujet divergent.

Dans une Assemblée nationale émiettée, les députés, pourtant nombreux à être de bonne volonté, ont du mal à trouver le chemin du compromis car ils doivent leur élection à une logique d'écrasement des uns par les autres - censée dégager une majorité absolue...

La culture du compromis est indispensable face aux difficultés du pays. Prétendre avoir raison seul conduit à la contestation et au blocage.

Le débat, dans les prochaines années, sera celui du comment : comment éviter l'émiettement, comment conserver un lien avec les électeurs ? Plusieurs intervenants ont appelé à toiletter le cumul des mandats, sujet sensible... À quel échelon appliquer la proportionnelle ?

Il ne faudrait pas que le choix du scrutin proportionnel aboutisse à donner tout pouvoir aux appareils.

M. François Bonhomme.  - C'est bien le problème !

M. Patrick Mignola, ministre délégué.  - Mais dans un système majoritaire aussi, le poids des commissions d'investiture peut être décisif... (Rires sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains)

La réflexion sur le meilleur lien entre élus et électeurs doit être élargie. Il faut poser la question de l'inscription sur les listes électorales ; de la sécurisation des procurations ; du vote par correspondance, qui existe déjà dans les comités d'entreprise ; du vote électronique, pratiqué avec succès en Estonie ; de l'accessibilité du vote pour les personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie. La banque de la démocratie voulue par le Premier ministre évitera que nos campagnes électorales ne dépendent d'intérêts privés ou d'ingérences étrangères.

Merci pour votre réflexion sur ce sujet d'actualité.

La démocratie est l'organisation sociale qui porte au plus haut la conscience et la responsabilité des citoyens, disait Marc Sangnier. Nous sommes tous animés par la volonté d'y parvenir. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE, du RDPI et sur plusieurs travées du groupe UC)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°183 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 314
Pour l'adoption 162
Contre 152

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER, du RDSE et sur plusieurs travées du RDPI et du groupe UC ; M. Gérard Lahellec applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.