Projet de loi de finances pour 2025 (Suite)
M. le président. - Avant de reprendre nos débats budgétaires là où nous les avions laissés, je tiens à remercier notre commission des finances qui s'est remise à la tâche avec l'esprit de rigueur et de responsabilité que nous lui connaissons. Je remercie le rapporteur général pour ses qualités d'écoute et de responsabilité et le président Raynal, gardien du temps de nos débats. Je salue les rapporteurs spéciaux, les rapporteurs pour avis, ainsi que les présidents de commission et les chefs de file des groupes.
Seconde partie (Suite)
Outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale.
M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Catherine Conconne applaudit également.) J'associe à mon intervention mon corapporteur Stéphane Fouassin, malheureusement absent.
Difficile de ne pas évoquer d'abord nos compatriotes mahorais, très durement éprouvés. Les dégâts, catastrophiques, doivent encore être chiffrés. La proposition budgétaire du Gouvernement sera soutenue par la commission des finances et le projet de loi d'urgence pour Mayotte est attendu.
La crise institutionnelle en Nouvelle-Calédonie nécessite aussi une réponse affirmée de l'État, y compris budgétaire, pour faire face aux plus de 2 milliards d'euros de dégâts. Le Gouvernement propose un effort significatif de 200 millions d'euros.
L'objectif de la mission « Outre-mer » est le rattrapage des écarts entre outre-mer et métropole. C'est d'autant plus important dans le contexte de crise de la vie chère. Selon l'Insee, en 2022, les prix en Guadeloupe étaient supérieurs de 15,8 % aux prix dans l'Hexagone - 13,7 % en Guyane, 8,9 % à La Réunion. La situation dramatique à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie ne doit pas nous faire oublier les autres territoires ultramarins.
Ce budget s'élève à 2,56 milliards d'euros, en baisse de 250 millions d'euros - soit 9 % - par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Toutefois, le Gouvernement a déposé des amendements ramenant les crédits de la mission presque au niveau de 2024.
Le programme 123, qui a trait à l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer, était initialement raboté de 314 millions d'euros. Des amendements du Gouvernement reviennent sur ces baisses, c'est heureux. Ce programme soutient les collectivités ultramarines, qui souffrent de l'insularité et de l'importance des dépenses de personnel - soit presque 65 % des dépenses de fonctionnement du bloc communal, contre 52 % pour les communes de l'Hexagone, en raison notamment de la majoration des primes de personnel.
La ligne budgétaire unique (LBU) revient à son niveau de 2023, après une hausse appréciée des crédits en 2024. Des pistes de réforme pourraient être envisagées, dans le sens d'une plus grande décentralisation.
Le programme 138 rassemble les crédits en faveur de la compétitivité des entreprises, de l'amélioration de l'employabilité des jeunes et de la montée en qualification des actifs. Il enregistre une hausse de 3,4 %, soit 65 millions d'euros, en raison de la hausse des crédits alloués à l'exonération des charges sociales, alors que la masse salariale augmente régulièrement en outre-mer depuis 2022. Difficile néanmoins d'établir des prévisions fiables : c'est un point sur lequel progresser.
Les dépenses fiscales renforcent l'attractivité des outre-mer. Sur les deux programmes de la mission, elles s'établiraient en 2025 à 5,5 milliards d'euros, soit une hausse de 2,3 %, comme entre 2023 et 2024. Nous saluons cette évolution, essentielle pour compenser les déséquilibres avec l'Hexagone, notamment sur les prix des biens.
Les territoires d'outre-mer bénéficient par ailleurs de crédits en provenance d'autres programmes du budget général, pour un total de 21,1 milliards d'euros. L'effort de l'État ne baisse que de 3 % par rapport à 2024 ; cette diminution est essentiellement liée à la diminution des crédits outre-mer.
La commission des finances a rendu un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Exercice peu commun que d'évoquer un avis rendu par la commission des affaires économiques fin 2024, dans un contexte différent, sous un autre gouvernement ! À l'époque, les outre-mer étaient déjà confrontés à un contexte difficile, notamment au fléau de la vie chère, qui ne touche pas que les Antilles. Il reste beaucoup à faire, malgré l'accord trouvé en Martinique. Je pense notamment à la situation de la Nouvelle-Calédonie, au besoin d'investissement dans les services publics de base, comme en Guyane, et d'adaptation normative partout dans nos territoires.
Je me réjouis du récent règlement européen qui permet aux outre-mer de déroger au marquage CE pour les matériaux de construction. Nous touchons au but, mais, monsieur le ministre, une volonté politique forte et constante est indispensable sur ce point - comme sur d'autres.
La contrainte budgétaire n'a certes jamais été aussi pesante, mais les besoins des outre-mer n'ont jamais été aussi grands. Affirmation vraie en 2024, qui l'est encore davantage en 2025 !
Je pense à nos compatriotes mahorais et aux enjeux immenses de la reconstruction de Mayotte. Un projet de loi d'urgence sera débattu. Plusieurs leviers devront être actionnés, à commencer par celui de la simplification des normes, puis le levier budgétaire.
Nécessité de dégager des crédits pour les outre-mer, conscience que tout n'est pas qu'une affaire d'enveloppe budgétaire : tels sont les deux piliers de l'avis de la commission des affaires économiques.
La baisse de 37 % des crédits du programme n'était pas acceptable. Notre avis favorable est un avis exigeant. Il vous revient, monsieur le ministre, de prendre la pleine mesure des besoins de nos territoires.
Après avoir écouté le Premier ministre, je suis raisonnablement optimiste. Ses mots témoignent d'une poursuite bienvenue de l'action de l'État. Ces territoires sont aussi des territoires d'optimisme, d'innovation et de grand attachement à la République.
Agissons vigoureusement en réponse aux problèmes, et soutenons le dynamisme de nos territoires ultramarins ! (MM. Bernard Buis et Marc Laménie applaudissent.)
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis de la commission des lois . - (M. Bernard Buis applaudit.) Le PLF 2025 initial prévoyait une baisse drastique des crédits de la mission : inacceptable.
Nous devons refuser la fatalité de la vie chère, en Martinique comme en Polynésie française. La situation de Mayotte nécessite une réponse rapide, forte et concrète. La crise en Nouvelle-Calédonie aussi, ainsi que le chômage massif, les tensions migratoires, le défi de la souveraineté alimentaire, ou la protection des océans et de la biodiversité.
La baisse des crédits était non seulement inopportune, mais mal calibrée. Elle concernait les prêts de développement outre-mer, indispensables pour l'accès des PME aux financements, l'aide au fret, qu'il faudrait élargir, alors que les prix en Polynésie sont supérieurs de 51 % à ceux de l'Hexagone, la LBU ou les dispositifs d'aide à la continuité territoriale, essentiels au maintien de la cohésion de la nation.
Le déficit public élevé appelle certes à réduire les dépenses. Mais les outre-mer ne peuvent pas servir de bouc émissaire budgétaire !
Nos collectivités ultramarines sont confrontées à des difficultés structurelles liées à leur isolement et à leur éloignement. Il faut un volontarisme inscrit dans la durée. La diminution des crédits relève d'une courte vue budgétaire. Il faut certes des comités interministériels des outre-mer (Ciom), mais surtout des moyens et de la continuité, tout en protégeant nos concitoyens !
Il faut un réajustement des crédits. L'engagement pris par le précédent ministre des outre-mer constituait un compromis acceptable ; c'est pourquoi la commission des lois avait émis un avis favorable à l'adoption des crédits.
Nous serons attentifs aux arbitrages que vous rendrez, monsieur le ministre, pour trouver une solution acceptable par tous. (MM. Marc Laménie, Bernard Buis, Jean-Marc Ruel, et Mme Lana Tetuanui applaudissent.)
M. Akli Mellouli . - (Applaudissement sur les travées du GEST ; Mme Audrey Bélim applaudit également.) L'outre-mer incarne la richesse et la diversité de notre République. Il est aussi le miroir des défis auxquels nous devons faire face pour construire une égalité réelle et durable. Ces territoires, bien qu'éloignés géographiquement, ne peuvent être relégués à la périphérie de nos préoccupations ! Il y va de la continuité de notre contrat social.
« Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. » Ces mots d'Aimé Césaire résonnent avec une actualité forte, dans la situation que vit Mayotte. Avant même que le cyclone la frappe, l'île connaissait une situation alarmante : bidonvilles à perte de vue, problèmes migratoires ... Mayotte a choisi la France, que lui avons-nous offert en retour ? Un Smic horaire et un RSA inférieurs à celui de la métropole ! En réponse, certains se cachent derrière un problème migratoire. (M. Christopher Szczurek ironise.) Il existe, mais imaginer y répondre en réduisant l'aide au développement de 37 % est une illusion ! Quand des populations en détresse décident de quitter leur pays, elles le quittent. Il ne faut pas réduire les difficultés de Mayotte à cette seule question. Car c'est bien la République qui a failli : nous avons laissé Mayotte dans une situation indigne. Elle mérite mieux que d'être une collectivité de seconde zone ! Changeons notre regard. Mayotte fait partie intégrante de notre République, avec ses droits, sa dignité.
Partout en outre-mer, nos compatriotes subissent des inégalités criantes. En Polynésie, en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, la revendication est claire : une vie digne !
On se souvient de la grève générale de 2009 dans les Antilles. Chaque mouvement social porte les mêmes revendications : augmentation des salaires, minima sociaux et retraites, baisse des prix.
Malgré les rapports alarmants du Conseil économique, social et environnemental (Cese), et les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le coût de la vie dans les outre-mer, le malaise perdure. Les prix outre-mer sont 10 à 15 % plus élevés qu'en métropole ; l'écart atteint 30 à 40 % en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie-Kanaky. Réduire les fractures structurelles qui persistent entre la métropole et les outre-mer est une exigence fondamentale. Ce n'est pas seulement une question de justice sociale, c'est essentiel pour préserver l'unité nationale. Il est urgent d'agir pour renforcer les liens entre l'Hexagone et l'outre-mer.
Les coupes budgétaires sont inacceptables. Le GEST refuse que nos compatriotes ultramarins servent de variable d'ajustement budgétaire. Le compte n'y était pas en 2024, il l'est encore moins en 2025, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Audrey Bélim et Evelyne Corbière Naminzo applaudissent également.)
M. Victorin Lurel. - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le ministre, vous êtes ministre d'État. Ce n'est pas un titre honorifique. Vous êtes censé avoir l'écoute et la confiance du Premier ministre et du Président de la République.
Votre budget - il sera le vôtre au terme de cette séance - est meilleur que celui qui avait été présenté par votre prédécesseur. Les problèmes en Nouvelle-Calédonie étaient connus ; il a fallu une catastrophe à Mayotte pour que les gouvernements acceptent d'accorder une priorité aux outre-mer.
Votre budget est meilleur, nous le voterons. Mais il n'est pas parfait. Vous ajoutez 700 millions d'euros, légèrement plus que les crédits de 2024. Ce que proposait M. Barnier était une catastrophe budgétaire !
Nous comprenons qu'il faille accorder une priorité à la Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. Mais il y a une absente : la vie chère. La loi contre la vie chère n'est pas tout à fait appliquée, pas davantage que la loi sur l'égalité réelle outre-mer.
Mme Micheline Jacques, Mme Béatrice Bellay, députée, et moi-même, avons élaboré une feuille de route complète pour lutter contre ce fléau. Il faudrait que ces propositions figurent dans un projet de loi : vous devriez laisser votre nom sur une loi contre la vie chère, monsieur le ministre d'État, car c'est une thématique transversale à tous les outre-mer.
Avec ces 700 millions d'euros supplémentaires, vous construisez un budget d'urgence. Il faudra répéter cet effort compte tenu des besoins et des aspirations des territoires.
Vous apportez des corrections à l'abattage précédent, avec 180 millions d'euros pour les exonérations de charges patronales. Compte tenu de l'imprécision des données sur le sujet, je vous suggère de ramener cette dépense à 120 millions d'euros et d'émettre un avis favorable sur les amendements du groupe SER, voire d'autres groupes : ce serait une première traduction du protocole signé en Martinique. Nous voterions alors avec enthousiasme votre budget ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
M. Christopher Szczurek . - Alors que l'Assemblée nationale débat du projet de loi d'urgence pour Mayotte, je souhaite apporter mon soutien aux Mahorais sinistrés. Cette île, si éloignée, est pourtant dans nos coeurs. Je pense aussi à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, frappés par une violence inacceptable, et à ceux des Antilles, où la vie chère est encore plus insoutenable qu'en métropole.
La mission « Outre-mer » est l'une des plus touchées par les mesures d'économies : 500 millions d'euros en AE et 353 millions d'euros en CP. Seule exception : 104 millions d'euros pour le soutien aux entreprises. Cette baisse est profondément inquiétante, alors que les manques structurels d'investissement et de volonté politique sont mis en lumière par le drame touchant Mayotte.
Là-bas, comme en Guyane, le manque d'investissement pour protéger nos frontières est inacceptable. L'installation d'un radar militaire ou la réforme du droit de la nationalité seraient des réformes certes coûteuses, mais moins onéreuses que l'immobilisme actuel.
Les collectivités territoriales ultramarines ne peuvent supporter toutes les économies demandées. D'autres pistes existent, notamment au sein des opérateurs de l'État. Les outre-mer ne sauraient être la variable d'ajustement.
L'indifférence des gouvernements successifs a conduit à une accumulation des crises sociales et économiques. Il faut des modèles résilients et durables avec des investissements ciblés pour retrouver la sécurité et des services publics de qualité. Nous espérons que le Sénat adoptera des mesures efficaces pour répondre aux attentes de nos compatriotes. Dans l'attente, nous réservons notre position.
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) En décembre dernier, lorsque nous aurions dû examiner cette mission, le contexte était déjà particulier. Or l'outre-mer mérite respect et reconnaissance.
Depuis mai dernier en Nouvelle-Calédonie et septembre en Martinique, nous condamnons fermement toutes les violences. Je rends hommage aux treize personnes décédées en Nouvelle-Calédonie, dont deux gendarmes, et aux trois personnes décédées durant les émeutes en Martinique.
Sur le Caillou, la situation économique et sociale est catastrophique : 700 entreprises ont été pillées ou endommagées ; le chômage a explosé ; les recettes des collectivités territoriales se sont écroulées ; de nombreuses infrastructures publiques sont détruites ; le montant des dégâts s'élèverait à 2 milliards d'euros.
En Martinique, le coût des émeutes est estimé entre 78 et 100 millions d'euros.
Chido est le cyclone le plus violent ayant jamais touché Mayotte : on déplore 39 personnes décédées et 5 000 blessés. Nous adressons tout notre soutien aux Mahorais.
L'habitat précaire de 100 000 personnes a été détruit. Les infrastructures publiques ont été touchées, et les risques sanitaires sont encore très présents, dans le département le plus pauvre de France.
L'année 2024 nous a rappelé les nombreuses difficultés auxquelles font face les outre-mer : sécurité, pouvoir d'achat, urbanisme, accès aux soins, immigration illégale. L'année 2025 devra apporter des réponses concrètes, efficaces et pérennes.
Nous ne pouvons plus reporter l'examen de nombreux sujets. Nous aurons ainsi l'occasion d'examiner le projet de loi d'urgence pour Mayotte.
Cette mission n'apportera pas toutes les réponses ; elle ne représente qu'une petite part de l'effort de l'État pour les outre-mer. En 2025, le PLF prévoit 21 milliards d'euros de CP au total, la mission ne représentant que 12 % des crédits. Après une hausse sensible en 2024, ses crédits sont malheureusement réduits de 9 %, à 2,55 milliards d'euros en CP : c'est 250 millions d'euros de moins que l'an dernier.
La forte dégradation du déficit public entraîne une baisse des crédits de nombreuses missions. C'est une nécessité, alors que la note de la France a été dégradée.
Nous avons déposé des amendements pour rétablir nos finances publiques, mais avons mis un point d'honneur à ne pas réduire les crédits de certaines missions importantes, comme l'éducation ou la santé. Il doit en être de même pour les outre-mer.
En Guadeloupe, le panier moyen est 50 % plus cher que dans l'Hexagone. La baisse des crédits destinés à améliorer les conditions de vie - à hauteur de 300 millions d'euros - est inopportune.
Les logements insalubres constituent 18 % des logements outre-mer, contre 2 % dans l'Hexagone.
Nous dénonçons les réductions des prêts de développement ou de l'aide au fret.
Le groupe INDEP votera les crédits de la mission, sous réserve que les engagements du gouvernement précédent soient respectés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
M. Georges Naturel . - La mission « Outre-mer » ne saurait être un simple exercice budgétaire : elle est l'expression de la solidarité nationale envers ces territoires qui font la richesse et la diversité de la République. Or plusieurs de nos outre-mer traversent des crises exceptionnelles : Mayotte a été frappée par Chido, qui a tout détruit.
Nos compatriotes mahorais sont dans une détresse absolue face à l'ampleur des dégâts. Ils ont besoin d'aide, faute de quoi la situation sociale s'aggravera.
Mais n'oublions pas la Nouvelle-Calédonie. Conséquence des émeutes du 13 mai dernier, l'économie, déjà fragilisée, a subi un séisme : secteurs clefs à l'arrêt, entreprises ruinées ou incendiées ; les dégâts sont considérables. Le pays s'enfonce. Le temps qui passe aggrave la situation. La chute du gouvernement local nourrit l'instabilité.
Le Gouvernement a prévu des prêts, mais ces dispositifs ne seront opérationnels que dans plusieurs mois. L'urgence est là : les trésoreries sont vides, nous risquons une rupture de financement. C'est pourquoi nous plaidons pour des subventions directes et immédiates. J'ai déposé des amendements visant à débloquer 200 millions d'euros pour éviter l'effondrement de l'économie calédonienne et pour empêcher que la Nouvelle-Calédonie ne sombre dans la récession.
L'heure est à la mobilisation pour soutenir Mayotte et la Nouvelle-Calédonie. Sinon ces territoires s'enfonceront dans la crise. L'État doit agir maintenant. (Mmes Annick Petrus et Nadine Bellurot et M. Marc Laménie applaudissent.)
Mme Salama Ramia . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI) Faire des outre-mer un ministère d'État est un bon signal et une invitation au travail, car les outre-mer sont au coeur de notre République et doivent être au centre de nos actions.
Les crises successives ont mis en lumière l'urgence de répondre avec force et clarté aux défis touchant nos concitoyens ultramarins. Nous serons attentifs aux premiers signes que vous enverrez en leur faveur.
Nous sommes prêts à étudier les crédits de la mission « Outre-mer », qui enregistrent une nette diminution en 2025. L'effort global s'élève à 19 milliards euros en AE et 21 milliards d'euros en CP.
Nous partageons la nécessité de réduire le déficit public, mais cet effort ne devrait pas peser autant sur ces territoires, où le coût de la vie dépasse de 40 % celui de l'Hexagone. C'est pourquoi le RDPI déposera un amendement pour rétablir le niveau des crédits à celui de 2024.
Un tel budget d'austérité ne peut être opposé à un territoire dévasté ; je parle ici de Mayotte, mon territoire, avec émotion.
Les crédits ne tiennent pas compte du désastre causé par Chido. Nous attendons du Gouvernement qu'il rétablisse la justice sociale et la solidarité. Le RDPI votera l'adoption des crédits, malgré nos réserves sur certaines coupes budgétaires.
Nous notons une légère hausse des crédits pour soutenir nos entreprises ; ces mesures sont essentielles.
Des baisses préoccupantes affectent les prêts de développement outre-mer. Nous voulons abonder cette action de 24 millions d'euros afin de soutenir les économies locales et d'offrir des solutions de trésorerie souples à nos entreprises.
Il est urgent d'agir pour compenser les coûts du fret pour les produits de première nécessité. Nous déplorons les coupes touchant le service militaire adapté (SMA) et les aides à la mobilité via l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom). C'est un mauvais signal envoyé à notre jeunesse.
Le régiment du service militaire adapté (RSMA) pourrait être mobilisé pour contribuer à la reconstruction de Mayotte et former les artisans de demain.
Le programme « Conditions de vie outre-mer » subit une baisse notable.
Nous préconisons de renforcer le fonds régional d'aménagement foncier et urbain.
La baisse de 76 % des crédits de paiement en faveur des contrats de convergence et de transformation est alarmante ; elle compromet la signature des nouveaux contrats de redressement en outre-mer (Corom) en 2025.
Enfin, les fonds de secours outre-mer doivent être révisés à la hausse pour faire face aux dégâts causés par le cyclone. Les Mahorais attendent cette aide avec impatience.
En responsabilité, nous voterons sous réserve les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
M. Jean-Marc Ruel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'année 2024 a été particulièrement difficile pour nos concitoyens et pour nos institutions. Nous voici un 15 janvier en train de débattre du PLF 2025, alors que l'année est déjà entamée.
L'outre-mer ne déroge pas à la règle. Triste constat : 4 ministres des outre-mer en 2024. Chacun a eu à gérer une crise...
Cela avait commencé par une crise de l'eau à Mayotte ; en mai, la Nouvelle-Calédonie s'est embrasée à la suite du projet de loi constitutionnelle ; en septembre, les Martiniquais ont manifesté contre la vie chère ; enfin le cyclone Chido, puis le cyclone Dikeledi, a touché Mayotte. Je témoigne à nos concitoyens mahorais la solidarité des habitants de mon archipel.
Je me félicite de la décision du Premier ministre de nommer un ministre d'État à Oudinot. Vous êtes le dernier Premier ministre à être venu à Saint-Pierre-et-Miquelon. (M. Manuel Valls s'en étonne.)
Nos rapporteurs ont rappelé les chiffres du PLF initial : 2,78 milliards d'euros en AE, soit une baisse de 12,52 % par rapport à 2024 et 2,55 milliards d'euros en CP, soit une diminution de 8,89 % en CP.
Le programme « Conditions de vie outre-mer » présente une baisse encore plus inquiétante, à hauteur de 37 % en AE et de 34 % en CP.
Vous héritez d'une réduction significative des crédits pour les outre-mer, après plusieurs années de hausse.
Nos territoires cumulent un trop grand nombre de défis à relever. Ce budget initial est inacceptable. Cependant, le RDSE salue l'effort réalisé pour rétablir les crédits de 2025 au niveau de 2024. Notre groupe votera les récents amendements du Gouvernement ainsi que les crédits de la mission.
Le Premier ministre a évoqué un nouveau plan de financement et de développement dans le cadre d'un Ciom. La méthode n'est pas nouvelle : le dialogue entre élus est toujours une bonne chose, mais elle a apporté peu de résultats depuis trois ans. Il est nécessaire de faire émerger des solutions du terrain, voulues par les populations et les acteurs locaux.
C'était la stratégie adoptée en 2018, avec le Livre bleu outre-mer, qui faisait suite aux Assises des outre-mer. Nous en avons perdu le cap.
L'absence de continuité stratégique pose problème. Quelle sera votre méthode pour mettre en oeuvre le plan annoncé par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Lana Tetuanui . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Teva Rohfritsch, Mme Maryse Carrère et M. Marc Laménie applaudissent également.) Iaorana ite matahiti api : meilleurs voeux - vous aurez compris ! (Sourires)
Après le vote de la motion de censure, le train PLF s'est brusquement arrêté au Sénat. Espérons qu'il arrivera à destination.
Je salue le ministre d'État, ministre des outre-mer ; bienvenue au Sénat.
J'ai aussi une pensée pour nos compatriotes mahorais. Le cyclone Chido a dévasté Mayotte. Le groupe UC soutiendra les démarches pour la reconstruction de l'île.
Je me dois d'évoquer la situation de nos voisins du Caillou. En 2024, la Nouvelle-Calédonie a connu des émeutes d'une rare violence - près de 2 milliards d'euros de dégâts, dont 400 millions pour les infrastructures publiques. Près de 800 entreprises ont été dégradées, pillées ou incendiées, alors que beaucoup ne sont pas assurées contre les émeutes.
Le PIB calédonien a subi une contraction brutale - de 20 à 30 %. Les pertes fiscales, douanières et sociales sont estimées à plus de 500 millions d'euros.
Les collectivités territoriales peinent à faire face à leurs dépenses de fonctionnement. Un réamorçage des finances est nécessaire pour relancer l'économie de l'archipel. Le groupe UC le soutiendra.
Il faut débattre sereinement de l'avenir institutionnel de l'île.
Le PLF prévoyait une baisse de 12,5 % des AE, et une baisse de 9 % des CP par rapport à 2024. Ce recul était regrettable, notamment pour les collectivités territoriales d'outre-mer qui subissent des crises à répétition.
Ces situations d'urgence ont récemment entraîné une hausse des crédits de la mission. Toutefois, nous devons rester raisonnables : nous devons participer à l'effort national et améliorer la gestion de nos politiques publiques. Le prochain Ciom doit en être l'occasion.
Le logement, la cherté de la vie, le taux de chômage, l'accès à l'eau potable, l'insécurité grandissante liée au trafic de drogue font partie des fragilités des outre-mer. Le Gouvernement en a pris conscience : après la déclaration de politique générale du Premier ministre, nous sommes assurés d'un accompagnement spécifique et renforcé.
S'agissant de la plus belle des collectivités d'outre-mer, la Polynésie (sourires), je rappelle mon hostilité à l'augmentation de la taxe sur les billets d'avion. La mesure de limitation adoptée par le Sénat pour la classe économique est un moindre mal. Mais nous opposer les directives européennes alors que nous avons le statut de PTOM relevant de la législation des pays ACP m'interpelle. Une dérogation serait nécessaire, au vu notamment de la concurrence des compagnies américaines.
Je remercie nos collègues qui ont livré bataille en séance sur ce sujet, en particulier Vincent Capo-Canellas. Reste que nous sommes inquiets des conséquences de cette augmentation sur l'activité touristique.
Je prends acte du maintien du soutien de l'État à la politique de santé en Polynésie française à hauteur de 4 millions d'euros, mais c'est largement insuffisant. Je regrette l'absence de crédits pour le renouvellement de la convention « santé-solidarité ». Cette convention si importante pour ma collectivité est-elle en voie de disparition ?
De même, l'absence de crédits de paiement dans le cadre de la gestion de nos contrats de convergence et de transformation m'interpelle. La faute en revient-elle au pays, du fait du manque de dossiers ficelés, ou aux méandres des couloirs parisiens ?
S'agissant des autres dotations propres à ma collectivité, leurs montants sont maintenus.
Je soutiens l'amendement de M. Delahaye qui supprime l'indemnité d'éloignement des fonctionnaires de l'État affectés en Polynésie française, mesure que j'ai défendue dans ma proposition de loi d'août 2022. Il ne s'agit pas de supprimer l'indexation sur la cherté de la vie, mais cette prime est égale à cinq mois de traitement indiciaire à chaque séjour de deux ans. Une prime d'installation égale pour tous permettrait une réduction des dépenses publiques qui me semble d'actualité.
Le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Teva Rohfritsch et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Alors que le précédent gouvernement a été censuré, le pays réclame un changement de cap. Quant aux outre-mer, ils méritaient un autre budget, au moins 10 000 fois plus ambitieux ! (M. Jean-Baptiste Lemoyne s'exclame.)
Alors que le la décision de dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie a provoqué le chaos, que des protestations contre la vie chère ont éclaté en Martinique et en Guadeloupe, que le cyclone Chido a dévasté Mayotte et que l'épidémie de chikungunya s'aggrave à La Réunion, nos territoires auraient besoin d'un soutien massif.
Leurs difficultés structurelles justifient des interventions spécifiques : vie chère, taux de chômage et de pauvreté supérieurs à ceux de l'Hexagone - la pauvreté touche 36 % des Réunionnais - , services essentiels parfois mal assurés. De plus, les collectivités territoriales ultramarines sont particulièrement touchées par la baisse des crédits.
Comment ne pas évoquer la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, où les plaies sont encore vives mais où les accords de Nouméa n'ont jamais autant résonné dans les consciences et les coeurs ? La revendication par un peuple de son droit à l'autodétermination demeure légitime. Huit mois après les événements du 13 mai, des émeutes de la faim sont à craindre. Cette catastrophe sociale et économique est la conséquence d'une attitude jusqu'au-boutiste et paternaliste, mêlée à des réflexes colonialistes.
L'heure est à la responsabilité collective : nous devons reconstruire la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. C'est le sens de plusieurs amendements déposés avec l'assentiment massif des élus, indépendantistes ou non.
À Mayotte, votre projet de loi d'urgence intervient deux mois après le passage du cyclone (M. Manuel Valls le conteste), alors que l'urgence humanitaire est patente. Nous déplorons la mort de 39 personnes et sommes solidaires de toutes les victimes sans papiers, qui ont perdu la vie ou ne peuvent être soignées. Notre groupe remercie toutes les personnes qui viennent en aide aux victimes, quelles qu'elles soient.
Derrière les lignes budgétaires, il y a des vies humaines et l'avenir de près de 3 millions de Français. Les outre-mer ne peuvent pas être les premiers territoires à pâtir de la baisse des dépenses publiques. Or cette mission révèle en creux un manque de vision du Gouvernement pour les outre-mer, ainsi que sa méconnaissance de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Audrey Bélim applaudit également.)
Mme Catherine Conconne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous pourrons dire que nous avons vécu une sacrée époque : instabilité institutionnelle, défiance généralisée, dérèglement et imprévisibilité...
Cette ambiance culmine dans les pays dits d'outre-mer. Des décennies de luttes inachevées pour l'égalité ont laissé des séquelles que l'on pourrait qualifier d'irréparables. La course au rattrapage pour des conditions de vie plus acceptables a laissé une impression amère et durable de « loin des yeux, loin du coeur ».
Malgré les efforts consentis et les progrès objectifs, les indicateurs sont alarmants : nombre de nos compatriotes sont plongés dans l'extrême précarité. Pas moins de 30 % de nos compatriotes ultramarins vivent sous le seuil de pauvreté. Ce n'est pas juste ! J'attends toujours la mission du COR sur les pensions en outre-mer promise par l'un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre !
Je n'ajouterai pas de l'huile sur le feu. L'heure est au « maré rein », comme on dirait chez moi : une détermination et une solidarité collectives, fondées sur un dialogue mûr et respectueux. Apprenons à nous reparler, à nous enrichir mutuellement, élus locaux, nationaux et État, avec pour seul objectif le progrès pour nos pays. La tâche est immense, monsieur le ministre, et je vous dis déjà : bienvenue !
Nourrie depuis des décennies à la parole césairienne, je dirai : ensemble faisons un pas, puis un autre et encore un autre ; et tenons tous ces pas gagnés.
Au vu des pas accomplis dans ce budget rectifié, dans un esprit constructif et de progrès, je voterai les crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Annick Petrus . - Les outre-mer font face à des défis structurels qui appellent des réponses spécifiques et ambitieuses.
La vie chère reste un lourd fardeau. À Saint-Martin, les produits alimentaires sont en moyenne 47 % plus chers que dans l'Hexagone, alors que les ménages y ont un revenu médian bien inférieur à la moyenne nationale et que 40 % de la population saint-martinoise vit sous le seuil de pauvreté. Ces chiffres traduisent une précarité économique alarmante, qui affecte aussi les perspectives de la jeunesse locale.
La ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, a décidé de maintenir la hausse de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, parlant d'une mesure de « justice fiscale et écologique ». Mais cette hausse pénalisera lourdement les populations ultramarines, qui dépendent quasi exclusivement du transport aérien pour leurs déplacements, et aggravera les fractures territoriales. Saint-Martin, du fait de sa triple insularité, sera particulièrement touchée. Cette décision incompréhensible risque de provoquer un effet de contagion des troubles sociaux.
Dans ce contexte tendu, il est impératif d'apporter des réponses concrètes aux territoires ultramarins, notamment à leur jeunesse. L'éloignement, les coûts liés à la mobilité et le manque de proximité culturelle rendent le dispositif actuel du RSMA peu accessible aux jeunes saint-martinois. La création d'une antenne spécifique à Saint-Martin, en mesure d'accueillir 85 jeunes par an, permettrait de proposer des formations adaptées aux réalités économiques locales, par exemple dans les secteurs du bâtiment, du nautisme et de l'économie bleue. Au-delà des apprentissages techniques, le RSMA inculque des valeurs fondamentales : discipline, respect, solidarité. Il renforce la cohésion sociale dans un territoire marqué par de fortes inégalités.
Offrir un cadre structurant et valorisant à nos jeunes, c'est investir dans la stabilité sociale et économique de Saint-Martin. Les jeunes saint-martinois ne demandent pas un traitement de faveur, mais l'égalité des chances. Créons une antenne locale du RSMA pour proposer à une génération désillusionnée un avenir valorisant au sein de sa communauté. Un budget renforcé pour ce dispositif est une priorité stratégique pour les outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Audrey Bélim . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quel aurait été le destin de la Guyane si l'État avait décidé d'en faire le territoire de l'excellence aérospatiale européenne ? Celui de La Réunion, hotspot de la biodiversité, s'il avait décidé d'en faire le territoire de l'excellence en sciences naturelles et volcanologie ? Ceux des territoires ultramarins et de la France hexagonale si l'on avait décidé de faire des ressources de chacun des forces pour faire rayonner la France ?
La réalité de nos territoires est bien éloignée de cet espoir. Après le passage du pire cyclone depuis 90 ans, Mayotte est dévastée. J'adresse à nos compatriotes mahorais, au nom du groupe socialiste, un puissant message de solidarité.
Avant cet événement dramatique, nous parlions des mouvements sociaux contre la vie chère en Martinique. Un peu plus tôt, nous parlions même de guerre civile en Nouvelle-Calédonie-Kanaky. Au-delà de la vie chère, les problèmes sont multiples : sécurité, logement, santé.
Nous proposons de renforcer les effectifs de l'Autorité de la concurrence et des DGCCRF pour des contrôles spécifiques aux outre-mer, afin de venir à bout des insupportables monopoles qui empoisonnent la vie des Ultramarins.
Nous donnons l'alerte sur la baisse de près de 12 % de la LBU, alors que les besoins en logements sont énormes. Je proposerai dans quelques semaines, à la faveur d'un espace réservé au groupe socialiste, d'expérimenter l'encadrement des loyers en outre-mer, car les loyers à Saint-Denis ou Saint-Paul sont équivalents à ceux de Montpellier ! Dans le même temps, il faut amplifier notre effort de construction et de réhabilitation.
Monsieur le ministre, n'entendez pas dans mon discours du pessimisme ou de la mendicité. Prenez-le comme un appel à travailler ensemble. Il y a quelques années, vous avez dit à Ericka Bareigts, alors députée, qui dénonçait l'affirmation inadmissible selon laquelle la France serait un pays de race blanche, que, ce jour-là, c'était elle, femme noire, femme réunionnaise, qui incarnait Marianne. Nous avons la mémoire de ces mots qui ont ramené les outre-mer au coeur de la nation.
L'absence de considération dont nous avons souffert, particulièrement depuis 2017, affaiblit notre sentiment d'appartenance à la France. Nous avons trop souvent la désagréable impression de ne pas compter autant que nos compatriotes de France hexagonale.
Monsieur le ministre, avançons ensemble pour retrouver le chemin de l'égalité réelle ! Nous sommes fiers d'être français, même dispersés aux quatre coins du monde. Avec nous, la France pourra redevenir grande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Evelyne Corbière Naminzo et MM. Teva Rohfritsch et Saïd Omar Oili applaudissent également.)
Mme Viviane Malet . - Le jour où ces crédits devaient être initialement examinés, j'aurais commencé par souligner la résilience dont fait preuve la Nouvelle-Calédonie après les violentes émeutes qu'elle a connues. Mais, depuis, le cyclone Chido a dévasté Mayotte. Je réaffirme mon soutien aux Mahoraises et aux Mahorais, dont le département est tout entier à reconstruire.
Chacun des territoires d'outre-mer est singulier. Il nous appartient d'oeuvrer à la reconnaissance de leurs spécificités, atouts comme handicaps.
En particulier, nous nous attachons à dénoncer les différences de traitement et les réglementations injustifiées ou inadaptées. C'est dans cet esprit que je me bats depuis six ans contre l'application uniforme de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
En matière de continuité territoriale, des engagements forts ont été pris lors du Ciom du 18 juillet 2023. J'ai déposé un amendement visant à rétablir les crédits nécessaires à leur mise en oeuvre, importante pour nos habitants, notamment ceux qui doivent se former.
Je sonne l'alerte sur les difficultés de l'agriculture à La Réunion. Les planteurs de canne ont connu l'année dernière la pire récolte depuis des décennies. En 2020 déjà, plus de 42 % des agriculteurs réunionnais vivaient sous le seuil de pauvreté. Il faut se pencher aussi sur le niveau des retraites agricoles. Je défendrai pour nos éleveurs un amendement relevant le plafond du régime spécifique d'approvisionnement, inchangé depuis une décennie, en dépit d'un engagement du Président de la République.
L'accès à l'eau est également un enjeu fondamental.
Mme la présidente. - Il faut conclure.
Mme Viviane Malet. - En huit ans, monsieur le ministre, vous êtes le huitième à occuper ce poste ; cette succession n'est pas propice à une vision de long terme. Je compte sur vous pour obtenir en faveur de nos territoires les crédits qu'ils méritent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - Je suis honoré de défendre devant le Sénat les crédits de la mission « Outre-mer », quelques années après d'autres exploits...
Je connais votre grande attention pour les territoires d'outre-mer : celle de Gérard Larcher, de Micheline Jacques, des élus ultramarins et de tous ceux qui comme moi, ont ces territoires au coeur.
Le Premier ministre a fait un choix fort : créer un ministère d'État pour les outre-mer pour la première fois depuis un demi-siècle. En le confiant à un ancien Premier ministre, il confirme la priorité donnée à ces territoires. Ce choix m'honore et surtout m'oblige.
Alors que Mayotte est meurtrie, je salue l'engagement de Salama Ramia, Saïd Omar Oili et de mon collègue Thani Mohamed Soilihi.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Très bien !
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Déjà dévasté, ce territoire a été frappé une nouvelle fois, il y a trois jours, par une tempête tropicale. J'ai une pensée pour les victimes et rends hommage aux services de l'État.
Je présenterai dans quelques jours un projet de loi d'urgence. Nous devrons nous attaquer aux deux fléaux que sont l'immigration illégale et l'habitat illégal. Dans deux mois, un texte plus structurel vous sera soumis, concrétisant le programme Mayotte debout, élaboré en liaison avec les élus locaux, les parlementaires de Mayotte et votre délégation aux outre-mer.
En Nouvelle-Calédonie, près de 15 % du PIB a été détruit à la suite des émeutes de mai dernier. Il nous faut trouver un chemin de réconciliation. J'entamerai une négociation en vue d'un accord de refondation du modèle calédonien. Je m'inspirerai de la méthode de Michel Rocard et de Lionel Jospin, avec qui j'ai travaillé, mais aussi des travaux du Sénat et de l'engagement personnel du président Larcher.
Sur la vie chère, des chiffres éloquents ont été donnés. Nous devons apporter des solutions concrètes à nos concitoyens, établir la vérité des prix et instaurer des outils de régulation plus puissants. Des propositions de loi seront prochainement débattues, dont celle de Victorin Lurel. Je compte sur sa lucidité sur ce qui a pu et n'a pas pu être fait. Gouverner est difficile, mais nous devons avancer.
Au-delà des crises, nous devons toujours regarder les outre-mer comme des territoires de formidables opportunités. Quand éclatent les émeutes, quand s'abattent les tempêtes, ces territoires se rappellent à nos mémoires. Mais quand le tumulte s'apaise, on les oublie ! Cela doit changer.
Ces territoires sont des joyaux de la République. Ils abritent 10 % de la biodiversité mondiale et font de la France la deuxième puissance maritime mondiale.
M. Philippe Folliot. - Et même la première !
M. Manuel Valls, ministre d'État. - La deuxième, je crois bien.
Ils font de la France un pays monde, présent sur cinq continents et trois océans. Ils sont riches d'identités, de cultures, de traditions singulières.
Mais c'est aussi dans ces territoires que se concentrent les plus grandes difficultés : pauvreté, violences, narcotrafic. Ils ont souvent un profond sentiment d'injustice et d'abandon.
Nous devons répondre à leurs besoins singuliers et favoriser leur insertion dans leurs bassins régionaux. On le dit depuis longtemps, il faut passer aux actes !
Une députée posait hier au Premier ministre la meilleure des questions : qu'est-ce que la France des outre-mer ? C'est à cette question que je veux répondre, en construisant dans le dialogue avec les forces vives des territoires de nouvelles trajectoires de développement et de financement. Je me consacrerai avec détermination à cette belle mission, et le Ciom sera réuni pour entériner cette ambition et cette méthode renouvelées.
Le budget doit nous donner les moyens de faire face aux crises et d'accompagner le développement de tous les territoires.
La première mouture du PLF 2025 demandait aux outre-mer des efforts excessifs. J'ai demandé de nouveaux arbitrages. Je remercie le Premier ministre d'avoir accordé au budget des outre-mer un traitement tout à fait exceptionnel dans le contexte financier actuel, témoignant de la réelle priorité donnée à ces territoires.
Si les amendements présentés par le Gouvernement sont adoptés, le budget de la mission s'élèvera à 3,5 milliards d'euros en AE et 3 milliards d'euros en CP, en hausse de 11 et 6 % respectivement par rapport à un budget 2024 déjà historiquement élevé. Je le dis avec humilité, car je mesure tout ce qui est à accomplir.
Ce budget permettra de poursuivre l'effort pour la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie. Près de 600 millions d'euros ont déjà été mobilisés. La garantie de l'État sera portée à 1 milliard d'euros pour un prêt de l'Agence française de développement (AFD). Une enveloppe supplémentaire de 200 millions d'euros permettra la reconstruction des écoles et bâtiments publics. Une nouvelle dotation à la société de gestion des fonds de garantie d'outre-mer (Sogefom), à hauteur de 29 millions d'euros, permettra d'amplifier le soutien aux entreprises via des prêts garantis. Enfin, l'État complétera l'avance accordée en décembre dernier, si les conditions demandées sont remplies. Des réformes sont en effet nécessaires. Certains veulent aller plus loin, mais j'en appelle à leur esprit de responsabilité pour ne pas fragiliser l'équilibre général du budget.
Le travail immense et difficile pour reconstruire Mayotte sera également rendu possible par ce budget. L'évaluation des dégâts est en cours, et tous les moyens seront mis en oeuvre pour répondre aux besoins. Le budget prévoit d'ores et déjà une enveloppe nouvelle de 100 millions d'euros en AE et 35 millions d'euros en CP pour amorcer la reconstruction des bâtiments publics. Ces moyens ont vocation à être massivement complétés. Après les promesses, il faut passer aux engagements et aux actes ! Je compte sur votre vigilance.
Les dispositifs de soutien prévus avant le passage de Chido seront confirmés, notamment les 60 millions d'euros du plan Eau Mayotte, dont 21,7 millions d'euros sur le budget de la mission.
Ce budget permet de renforcer nos dispositifs de soutien à l'ensemble des territoires. La réforme des exonérations de charges prévues par la Lodéom n'aura pas lieu cette année. Près de 180 millions d'euros seront ainsi réinjectés dans les territoires.
Les dispositifs de soutien à l'investissement public et privé sont également renforcés : je pense à l'Agence française de développement, à Bpifrance ou aux contrats de convergence, outils essentiels pour nos collectivités.
Plus largement, le soutien de l'État va bien au-delà de la mission « Outre-mer ». Il passe notamment par des dépenses fiscales portées par 105 programmes, dans tous les ministères. Je souhaite en la matière une plus grande coordination. Nous améliorerons également la consommation des fonds européens.
Ce budget, que je présente avec modestie et non en criant victoire, est un budget de solidarité et d'ambition. Solidarité avec les territoires en crise, ambition pour accompagner chacun d'eux dans un développement durable. Logement, agriculture, autonomie alimentaire, lutte contre la pauvreté, économie bleue : les sujets à traiter sont multiples.
Les territoires ultramarins représentent ce qu'il y a de plus beau dans notre pays. Soutenons-les. Ils le méritent, pour une France en grand ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées du RDSE ; Mme Catherine Conconne et M. Victorin Lurel applaudissent également.)
Examen des crédits de la mission
Article 42 (État B)
Mme la présidente. - Amendement n°II-1976 du Gouvernement.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Cet amendement rehausse les crédits du programme 138 compte tenu des prévisions des organismes de sécurité sociale. La réforme des dispositifs Lodéom nécessite des échanges avec les professionnels concernés.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Les exonérations Lodéom sont importantes pour favoriser l'emploi. Il conviendrait toutefois de renforcer la fiabilité des prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Avis favorable.
M. Victorin Lurel. - Compte tenu de l'imprécision des prévisions et des autres amendements qui ont été déposés, je m'étonne de l'absence de mesure relative à l'aide au fret. Le président de l'Autorité de la concurrence et la DGCCRF ont pourtant insisté sur son importance. J'espère un avis favorable aux amendements sur le sujet.
Mme Catherine Conconne. - Cet amendement est bienvenu. La mobilisation du Sénat, tous groupes confondus, lors de l'examen de la première partie du PLF a donc porté ses fruits. Les collectivités et les entreprises ultramarines saluent cet effort.
L'amendement n°II-1976 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°II-1220 du Gouvernement.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Cet amendement rehausse les crédits du programme 123 en vue de la participation de l'État au financement des réparations et reconstructions des établissements scolaires de Nouvelle-Calédonie. L'abondement porte sur 120 millions d'euros en AE et 35 millions d'euros en CP.
Mme la présidente. - Amendement identique n°II-1298 rectifié ter de M. Naturel et alii.
M. Georges Naturel. - Défendu.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Avis favorable. La Nouvelle-Calédonie a subi des dégâts très importants, évalués à près de 2 milliards d'euros.
Les amendements identiques nosII-1220 et II-1298 rectifié ter sont adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°II-1272 rectifié quater de M. Naturel et alii.
M. Georges Naturel. - Il n'est pas réaliste de compter uniquement sur des prêts de l'AFD pour répondre aux besoins de la Nouvelle-Calédonie. La solidarité nationale doit jouer, comme pour Mayotte. La somme de 200 millions d'euros me semble raisonnable pour pourvoir aux besoins les plus urgents. Dans la mesure où 120 millions d'euros sont prévus grâce aux amendements qui viennent d'être adoptés, cet amendement ouvre 80 millions d'euros supplémentaires pour la reconstruction des infrastructures.
Mme la présidente. - Amendement identique n°II-1975 du Gouvernement.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Il s'agit d'augmenter les crédits destinés à la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie. Nous souhaitons un suivi très attentif de la consommation de ces crédits. Il est normal que beaucoup d'argent public soit engagé pour la Nouvelle-Calédonie, mais j'entends aussi les demandes des autres territoires. L'exemplarité est nécessaire et chacun doit être conscient de l'effort consenti pour relever ce territoire.
Mme la présidente. - Amendement n°II-113 rectifié bis de M. Marseille et alii.
Mme Jocelyne Guidez. - Nous souhaitons créer un nouveau programme « Aide à la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie ».
Mme la présidente. - Amendement identique n°II-1252 rectifié de Mme Carrère et alii.
Mme Maryse Carrère. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°II-1254 de M. Kanner et du groupe SER.
M. Patrick Kanner. - Monsieur le ministre, votre nomination au rang de ministre d'État témoigne de l'importance que le Gouvernement entend accorder aux outre-mer, qui traversent de graves difficultés. Cet amendement, sur lequel nous avons demandé un scrutin public, a l'avantage de leur redonner des perspectives. Il est ambitieux, détaillé et, certes, coûteux. Mais si la Nouvelle-Calédonie en est là, c'est parce que l'État a voulu forcer le destin, provoquant les émeutes du printemps dernier. Nous avons une responsabilité collective. Je vous remercie de bien vouloir donner un avis favorable à ces amendements présentés par trois présidents de groupe.
Mme la présidente. - Amendement n°II-1233 rectifié bis de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Cet amendement prévoit une aide à la reconstruction des infrastructures publiques du pays, à hauteur de 400 millions d'euros. Les émeutes du 13 mai ont entraîné de nombreuses dégradations d'infrastructures. Votre prédécesseur avait annoncé 80 millions d'euros en AE. Les CP annoncés sont insuffisants. Où les élus de Nouvelle-Calédonie sont-ils censés trouver les sommes manquantes ? Nous demandons au Gouvernement de lever le gage.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Avis favorable aux amendements identiques nosII-1272 rectifié quater et II-1975, dont l'adoption rendrait les autres sans objet.
Mme Micheline Jacques. - Je suis favorable à l'aide accordée à la Nouvelle-Calédonie, mais tous les territoires ultramarins sont en difficulté. Or il s'agit ici de ponctionner 400 millions d'euros sur le programme « Conditions de vie en outre-mer ». Je ne suis pas favorable à la ponction de cette ligne.
M. Akli Mellouli. - Attention à ne pas déshabiller Paul pour habiller Jacques. Déplacer des lignes ne réglera pas les problèmes ! Il faut une réponse forte pour les outre-mer, conformément aux annonces du Gouvernement.
Les amendements identiques nosII-1272 rectifié quater et II-1975 sont adoptés.
En conséquence, les amendements nosII-113 rectifié bis, II-1252 rectifié, II-1254 et II-1233 rectifié bis n'ont plus d'objet.
Mme la présidente. - Amendement n°II-1222 du Gouvernement.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Il ne s'agit pas de déshabiller Paul pour habiller Jacques ou Pierre, ni de créer une compétition. Nous devons offrir des perspectives de long terme à chacun des territoires. Nous pourrions travailler à un renforcement du fléchage, mais il faut faire face à l'urgence, notamment à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Il faudra aller plus loin pour Mayotte et opérer une refonte plus générale.
Par cet amendement, le Gouvernement renouvelle son soutien au conseil départemental de Mayotte à hauteur de 60 millions d'euros en CP et 100 millions d'euros en AE, dans le cadre d'une convention.
Mme la présidente. - Amendement identique n°II-1291 de Mme Ramia et du RDPI.
Mme Salama Ramia. - Cet amendement s'inscrit dans la continuité des engagements pris en 2023 pour un accompagnement renforcé de l'État, destiné à répondre aux besoins spécifiques de Mayotte. Les besoins en matière d'aide sociale à l'enfance ont doublé ; quant aux coûts des transports scolaires, ils ont augmenté de 42 % en deux ans. La situation financière du territoire s'est fortement dégradée depuis la fin 2022. Reconnaissons les difficultés spécifiques de Mayotte et donnons à ses habitants une chance de construire un avenir digne.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Compte tenu de la situation catastrophique de Mayotte, il s'agit d'une mesure nécessaire. Avis favorable.
Les amendements identiques nosII-1222 et II-1291 sont adoptés.