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Table des matières
Reprise et cessation de mandats sénatoriaux
Commission des finances (Nomination)
Dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire (Procédure accélérée)
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales
Discussion de l'article unique
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
Modification de l'ordre du jour
Inadaptation de mesures nationales aux exploitations de polyculture élevage
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Dispositif « Rebond Industriel » et avenir des Papeteries de Condat
Gestion de la taxe d'aménagement
Gare routière de Paris Bercy-Seine
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Train de nuit Paris - Bourg-Saint-Maurice
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Lignes ferroviaires des Pyrénées-Atlantiques
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Difficultés des maires en matière d'assurance
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Évaluation de l'expérimentation de l'entreprise d'insertion par le travail indépendant (EITI)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
Transport scolaire des élèves en situation de handicap
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
Situation financière des Ehpad publics
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
Protection des enfants en Seine-Maritime
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
Occupations illégales de terrains par les gens du voyage
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur
Programme Territoires d'industrie
M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques
Mme Martine Berthet, au nom de la commission des affaires économiques
Mme Anne-Catherine Loisier, au nom de la commission des affaires économiques
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Mme Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission des affaires économiques
Ordre du jour du mercredi 15 janvier 2025
SÉANCE
du mardi 14 janvier 2025
36e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Véronique Guillotin.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté.
Conférence des présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie mercredi 8 janvier sont consultables sur le site du Sénat.
En l'absence d'observations, je considère ces conclusions comme adoptées.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Reprise et cessation de mandats sénatoriaux
M. le président. - En application de l'article L.O. 320 du code électoral, le mandat sénatorial de Mme Marie-Claire Carrère-Gée a repris ce mardi 14 janvier 2025, à 0 heure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)
En conséquence, le mandat sénatorial de M. Jean-Baptiste Olivier a cessé le lundi 13 janvier 2025, à minuit. Je le remercie, au nom du Sénat, de ses actions au cours de cette période et salue le retour de notre collègue Mme Carrère-Gée.
Déclaration du Gouvernement
M. le président. - L'ordre du jour appelle la lecture d'une déclaration du Gouvernement, par Mme Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. (Murmures à droite)
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC) « En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable. (« Ah ! » à gauche ; sourires à droite) Sur ces bancs, même parmi ceux qui sont violemment hostiles à ce que nous pensons, pas un ne trouve notre position enviable. (Rires) 84 % des Français, paraît-il, jugent que le Gouvernement ne passera pas l'année. Il m'arrive même de me demander où les 16 % restants trouvent la source de leur optimisme. (Rires)
M. Mickaël Vallet. - Nous aussi !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Eh bien, au risque de vous surprendre, je crois que cette situation est un atout. Quand tout va bien, on s'endort sur ses lauriers.
M. Mickaël Vallet. - Les lauriers de Jupiter !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Quand tout va mal, on est contraint au courage. Il y a un deuxième atout décisif : c'est le besoin, l'exigence, l'injonction que notre pays nous assigne, retrouver de la stabilité. Tout le pays, tous les Français en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais ils nous enjoignent, je le crois, de joindre nos forces pour forcer les issues.
« Un grand pays, un pays digne de ce nom, est un pays capable de regarder en face ses chances - et elles sont grandes - et ses difficultés - qui ne le sont pas moins. Les sujets d'inquiétude sont innombrables. Il en est un toutefois qui émerge avec une force criante : le surendettement de notre pays. Et nos compatriotes, surtout les plus fragiles, savent ce qu'est le surendettement, quelles incertitudes et difficultés cette situation suscite.
M. Michel Savin. - Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Depuis la guerre, la France n'a jamais été aussi endettée qu'elle l'est aujourd'hui. J'affirme qu'aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourrait être conduite si elle ne tient pas compte de notre surendettement et si elle ne se fixe pas à l'objectif de le contenir et de le réduire.
« Pourquoi cette situation de surendettement nous oblige-t-elle collectivement ? Parce que tous les courants dits de gouvernement y ont pris leur part. Quand François Mitterrand est élu, (exclamations à gauche et protestations à droite) la France est l'un des pays les moins endettés du monde - à peine plus de 20 % de notre production nationale. À la fin de son second mandat, en 1995, c'est 52 % : plus de 30 points d'endettement supplémentaires en quatorze ans.
M. Roger Karoutchi. - Et voilà !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « À la fin des années 1990, la France, pour tous les critères de santé économique, est nettement au-dessus de l'Allemagne réunifiée : notre commerce extérieur est largement excédentaire et notre endettement inférieur à celui de nos voisins. Puis, en 2000 - gouvernement de Lionel Jospin - , brutalement les courbes se cassent et commence une descente que rien ne semble pouvoir arrêter. Entre 2007 et 2012 - Nicolas Sarkozy - , accélération de l'endettement, 25 points de produit intérieur. (On ironise à gauche.) Entre 2012 et 2017 - François Hollande - , 10 points. Depuis 2017 - Emmanuel Macron - , 12 points. (Exclamations à droite)
« Je n'en fais pas un motif d'accusation. Je sais les raisons. François Mitterrand, c'était l'alternance ; il fallait que les Français y trouvent leur compte. Nicolas Sarkozy, la crise des subprimes. Emmanuel Macron, coup sur coup, une cascade de crises jamais vues et jamais imaginées (on se montre dubitatif à droite) : à partir de 2018, les « gilets jaunes », puis le Covid et un pays à l'arrêt, puis la guerre en Ukraine, l'inflation, l'explosion des prix de l'énergie...
M. Mickaël Vallet. - C'est Bruno Le Maire !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « J'affirme que tous les partis dits de gouvernement ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Et j'affirme que tous les partis d'opposition, demandant sans cesse des dépenses supplémentaires, ont dansé aussi le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice. (Mme Laurence Rossignol proteste.)
« Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. Et ceci est d'autant plus grave que nous sommes entrés dans un monde nouveau. Nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force. (Marques d'ironie à gauche)
« Le 24 février 2022, au vu et au su de la planète, une des principales puissances du monde, puissance géographique et militaire, la Russie de Vladimir Poutine, a jeté son dévolu sur un pays souverain, l'Ukraine, pour l'annexer - un pays de la taille de la France, fait sans précédent sur le sol européen depuis 75 ans.
« Cette agression a été un signal : celui du règne de la force brutale. C'était rampant, aujourd'hui c'est affiché. Évidemment et significativement, l'Iran, la Corée du Nord sont entrés dans le soutien à l'agression de Vladimir Poutine. Autres maillons de cette chaîne de puissance décidée à ne plus se laisser arrêter par des règles dont il conteste désormais la légitimité même.
« Les dirigeants chinois ne sont pas en reste. En faisant l'éloge d'un monde multipolaire, la Chine tisse le réseau de sa domination économique, technologique, diplomatique et militaire. L'excédent commercial chinois vient de franchir le cap des 1 000 milliards de dollars. C'est une stratégie, programmée depuis dix ans, qui vise purement et simplement à remplacer notre industrie.
« Nous avions, dans la défense de ces règles bafouées, un grand allié, parfois incommode : les États-Unis. Or, ceux-ci ont choisi, par d'autres voies, la même politique de puissance et de domination : l'offensive monétaire, la captation de la recherche mondiale, la poursuite de l'application extraterritoriale de leurs droits, la domination technologique par des entreprises de taille planétaire et le pouvoir que cela donne d'intervenir dans la vie démocratique d'autres États.
« De ce nouvel ordre mondial, ou plutôt de ce nouveau désordre mondial, qui menace tous les équilibres et toutes les règles de la décence, Elon Musk n'est que le visage débridé. Mais le président réélu des États-Unis articule lui-même - fait inédit - des menaces d'annexion de territoires souverains : le Groenland, le canal de Panama et même le Canada.
« Il est temps de regarder les choses en face. Ces grandes puissances que nous respectons, c'est à nous de leur signifier qui nous sommes, car sans notre détermination, elles l'oublieront.
« Dans le nouveau monde de la force brutale, la France a ses propres atouts. Sa diplomatie, la force de son armée et l'engagement de ses militaires, auxquels je rends ici hommage - ils nous protègent collectivement. C'est d'ailleurs pour moi l'occasion d'évoquer le sort de nos otages retenus par le Hamas ainsi que celui de tous nos otages dont nous demandons la libération.
« Mais pour que la France fasse vivre son trésor de civilisation et continue de le partager au monde, l'Europe, notre Europe, doit devenir une communauté stratégique, une puissance politique et de défense à la dimension de la puissance économique qu'elle devrait être. Une seule condition : que nous acceptions de nous définir et de nous affirmer ensemble. La construction d'une communauté politique pour faire vivre cette communauté de civilisation, c'est la question qui domine depuis 1945.
« À cette construction ont contribué, chacun à sa manière, le général de Gaulle, Jean Monnet et Robert Schuman, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, Jacques Delors et Emmanuel Macron. (Marques d'ironie à gauche) Tous ont partagé une conviction : l'indépendance de la France dépend de celle de l'Europe, et réciproquement. La prospérité de la France dépend de celle de l'Europe, capable, si elle le veut, de devenir le premier marché de la planète, de parler technologie, industrie et agriculture à égalité avec les États-Unis et la Chine, comme l'a récemment montré le rapport de Mario Draghi.
« Mais l'Europe est travaillée, elle aussi, par des ferments inutiles de division. Si nous ne reconstruisons pas patiemment, ce que le président de la République fait jour après jour, à la fois la place de la France en Europe et la vision française de ce que doit être l'Europe, alors nous deviendrons insignifiants et, immanquablement, nous entrerons dans la soumission.
« Je salue le fait que toutes les sensibilités rassemblées au sein de l'équipe gouvernementale soient unies par cette conviction commune. C'est dans cet esprit que j'ai constitué mon équipe gouvernementale. Elle reflète au mieux l'union des grandes sensibilités du pays, avec de l'expérience et de l'enracinement, avec de fortes personnalités.
« Cette équipe porte un message. Comme aux heures où le sort même de notre nation était en question, l'intérêt général oblige à dépasser les préférences partisanes pour que le pays se ressaisisse. Je doterai chaque ministre d'une feuille de route et chaque feuille de route sera communiquée et partagée avec les commissions compétentes du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental. (On ironise à droite.)
« Car je tiens à ce que la société civile organisée ait pleinement voix au chapitre. J'ai confiance dans les partenaires sociaux : je crois qu'ils ont entre les mains une part décisive de l'avenir national. C'est aussi cela, la nouvelle méthode démocratique : en finir avec les injonctions du haut vers le bas ; redonner place à la vie démocratique, avec les citoyens, les élus, tous les corps intermédiaires qui constituent la nation française.
« Cette équipe de ministres reflète des choix révélateurs.
« L'éducation nationale est à sa place, la première. Elle est confiée à une personnalité, ancienne Première ministre (« ah ! » sur de nombreuses travées ; l'oratrice sourit), exemple de méritocratie républicaine et de service de l'État, assistée de l'ancien président du Centre national d'études spatiales (Cnes) et spécialiste des universités.
« Les outre-mer viennent ensuite. Cet engagement n'a jamais été porté aussi haut dans notre histoire. J'ai considéré que ce sujet et nos compatriotes, à ce moment précis de notre histoire commune, avec tous les risques et tous les dangers, devaient être promus au rang de toute première préoccupation de la nation. Manuel Valls (quelques discrètes huées sur les travées du groupe SER), ancien Premier ministre, a accepté d'en prendre la lourde et passionnante responsabilité.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Un très bon Premier ministre...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Les questions de sécurité sont brûlantes pour nos concitoyens. J'ai souhaité une coopération étroite entre les ministères de la justice et de l'intérieur pour leur confier la restauration de l'autorité de l'État, qui est indissociablement celle de l'État de droit. Deux ministres d'État, chacun avec son tempérament, mais dont on sait la résolution commune, mèneront à bien cette action.
« La réponse au narcotrafic ou à la délinquance des mineurs - sur laquelle Gabriel Attal et son groupe ont proposé un texte - , la présence des forces de sécurité sur le terrain - à travers par exemple de nouvelles brigades de gendarmerie - , devront confirmer à nos concitoyens que l'État de droit n'est pas l'état de faiblesse. Et nous devrons être sans faiblesse pour lutter contre le terrorisme et tous les séparatismes.
« De même, il faudra repenser notre projet pénitentiaire à travers un plan d'urgence, se fondant sur une nouvelle approche, mieux adaptée aux différents types de détention.
« Et pour tous les pans de l'action du Gouvernement, chaque membre du Gouvernement aura à agir - pour chacun des pôles économique, social, territorial, écologique, culturel, agricole, pour les armées, l'Europe et les affaires étrangères, la transformation publique et les sports - avec le sens de la responsabilité, pour relever trois défis.
« D'abord, faire face à l'urgence. Il faut se ressaisir et adopter sans tarder les deux budgets, de l'État et de la sécurité sociale. Cette précarité budgétaire, nous la payons tous au prix fort - entreprises, investisseurs, familles, contribuables, emprunteurs.
M. Mickaël Vallet. - Rentiers...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Deuxième défi, mettre en place les conditions de la stabilité qui imposent de se réconcilier - ce dont le pays a tant besoin et que ses citoyens ne cessent de réclamer.
« Troisième grand défi de plus long terme, notre pays doit refonder son action publique, ce qui exige que nous nous attaquions sans tarder à tous les problèmes devant nous et non à certains à l'exclusion des autres. (M. Guillaume Gontard applaudit.)
« Notre situation de blocage n'est pas seulement financière, elle est aujourd'hui politique. Jugez-en : le budget de la sécurité sociale censuré ; le budget de la nation entièrement repoussé en première lecture à l'Assemblée, interrompu au Sénat ; tous les secteurs d'intervention publique entravés - éducation, sécurité, santé, solidarité, agriculture, commerce extérieur ; des milliers de recrutements, par exemple dans la justice, suspendus ; les mesures de soutien à la Nouvelle-Calédonie empêchées ; la loi de programmation militaire enrayée ; le fonds vert des collectivités bloqué. (Vives protestations à gauche)
« Nos concitoyens se sentent glisser sur la pente du déclassement. Les investisseurs s'inquiètent. L'épée de Damoclès de la motion de censure paraît avoir installé la précarité au sommet de l'État.
« Au coeur de ce blocage, il y a quelque chose de culturel : notre incapacité à vivre avec le pluralisme, à être en désaccord sans nous menacer du pire.
M. Rachid Temal. - Quatre Premiers ministres en un an !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Les réquisitoires et les invectives minent la confiance des citoyens. Il est temps de changer de logiciel démocratique et donc de méthode.
M. Hussein Bourgi. - Proportionnelle !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Se confronter, mais aussi se respecter et trouver des voies de passage, sans abdiquer ce que l'on est. Et le lieu où la diversité se résout en capacité d'action, c'est le Parlement.
« La première urgence, c'est de répondre à la question des retraites, qui occupe le débat public. (« Ah ! » sur les travées du groupe SER) On voit combien cette question continue de tarauder notre pays. Le déséquilibre de notre système de retraite et la dette massive qu'il a creusée ne peuvent être ignorés ou éludés.
« Je résume les chiffres établis par le Commissariat au plan en 2021 (on ironise sur de nombreuses travées) et probablement aggravés depuis. Notre système de retraite verse chaque année quelque 380 milliards d'euros de pensions. Le système par répartition que nous affichons voudrait que, chaque année, les actifs assument le versement de ces pensions. Or, les employeurs et les salariés privés et publics versent à peu près 325 milliards par an - cette somme s'obtient en additionnant les cotisations salariales et patronales du privé et du public, estimées au même taux, et les impôts versés par les contribuables et affectés aux retraites. 380 moins 325 : reste 55 milliards versés par le budget des collectivités publiques et de l'État au premier chef, à hauteur de 40 ou 45 milliards.
« Or, ces 40 ou 45 milliards annuels, nous n'en avons pas le premier sou. Chaque année, cette somme, le pays l'emprunte. C'est-à-dire qu'il la met à la charge des générations qui viennent ou qui viendront. Sur les plus de 1 000 milliards de dette supplémentaire accumulée par notre pays ces dix dernières années, les retraites représentent 50 % de ce total. (Mme Monique Lubin s'exclame.)
« Jamais nous n'avons fait l'effort de partager avec les Français cette évidence que la dette contractée par notre pays concerne leurs propres enfants, nos propres enfants, que la charge que nous leur laissons sera trop lourde pour être supportée.
« Entendez-moi bien, je ne dis pas que la dette soit toujours immorale. Si nous construisons des infrastructures ou finançons la recherche, il est légitime que nous partagions la charge avec ceux qui utiliseront ces équipements ou profiteront de ces connaissances. S'endetter pour construire une université ou un hôpital dont l'usage par les générations qui viennent durera 50 ou 80 ans, c'est légitime.
M. Pascal Savoldelli. - C'est le discours de 2023 ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Mais la dette est injuste si elle met à la charge de nos enfants nos dépenses courantes d'aujourd'hui.
« Loin d'être seulement un problème financier ou social, cette dette est d'abord un problème moral. Quand on est héritier dans une famille, on peut toujours refuser l'héritage qui comporte trop de dettes. Mais quand on est citoyen d'un État, on ne le peut pas. Ce problème social et moral, le Gouvernement n'entend pas le laisser sans réponse.
« La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social. Bien des gouvernements successifs s'y sont engagés, depuis Michel Rocard jusqu'aux efforts courageux du gouvernement d'Élisabeth Borne. (Rires et quelques applaudissements)
« Je note, dans ce débat passionnel, un progrès considérable : plus personne ne nie qu'il existe un lourd problème de financement de notre système de retraite. Et en même temps, nombre des participants aux discussions ont affirmé qu'il existait des voies de progrès, qu'on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste.
« Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale. La démarche s'appuiera sur un constat et des chiffres indiscutables. Je vais demander une mission flash à la Cour des comptes, de quelques semaines et ce résultat, je le communiquerai à tous les Français.
« La loi de 2023 a prévu que l'âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026 : une fenêtre de tir s'ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l'âge de la retraite - les fameux 64 ans - , à condition qu'elle réponde à l'exigence fixée. Nous ne pouvons pas dégrader l'équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s'accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays.
« Plusieurs des partenaires sociaux ont indiqué qu'ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée. (M. Laurent Somon ironise.) Elles méritent toutes d'être explorées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l'ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent. Rien n'est fermé. (M. Michel Savin proteste.)
« Une délégation permanente sera donc créée. Je la réunirai dès vendredi. Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s'installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois, à compter du rapport de la Cour des comptes.
« Si au cours de ce conclave, cette délégation trouve un accord d'équilibre et de meilleure justice, nous l'adopterons. Le Parlement sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ou si nécessaire par une loi. (M. Roger Karoutchi soupire.)
M. Mickaël Vallet. - S'il n'y a pas de censure avant...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Je souhaite que cet accord soit trouvé. Mais si les partenaires ne s'accordaient pas, c'est la réforme actuelle qui continuerait à s'appliquer.
« L'adoption d'un budget est indispensable pour les Français, pour l'action de la France, pour son image et pour son crédit. Cette orientation vers un retour à l'équilibre, qui sera nécessairement pluriannuelle et respectueuse de nos engagements européens, passera nécessairement par des efforts de l'État lui-même. L'objectif est bien 3 % de déficit public en 2029. Cette contrainte se présente dès à présent.
« Les prévisions de croissance, à la suite en particulier de la crise née du vote de la motion de censure, ont toutes été revues à la baisse. Nous ne voulons pas ignorer ces avertissements. Le Gouvernement a donc décidé de revoir sa prévision de croissance pour 2025. Elle était de 1,1 % avant la censure, nous la fixons à 0,9 %, conformément aux prévisions de la Banque de France.
« Il sera proposé de fixer l'objectif de déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB. Des économies importantes seront proposées et pour la suite : c'est bien un puissant mouvement de réforme de l'action publique qu'il faut conduire. Il faudra trouver des méthodes d'organisation de l'État qui ne requerront pas d'augmentation de nos dépenses publiques.
« Il nous faut repenser tous nos budgets, à partir non pas du prolongement de ce qui se faisait l'année précédente, augmenté d'un pourcentage d'inflation, mais de ce qu'exige le service ou l'action à conduire. Ces budgets redéfinis, repensés, je demanderai à tous les ministres de les préparer dès le printemps. C'est un effort dont personne ne pourra s'exclure, chacun à sa manière, dans l'exercice quotidien de ses missions. Cet exercice devra interroger notre organisation. Est-il nécessaire que plus de mille agences, organes ou opérateurs exercent l'action publique ? (M. Emmanuel Capus s'exclame.) Nous connaissons le rôle précieux de plusieurs d'entre eux, comme France Travail, mais ces mille agences ou organes, sans contrôle démocratique réel, constituent un labyrinthe dont un pays rigoureux peut difficilement se satisfaire.
« Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d'organisation et de rationalisation. C'est la fonction du Parlement : contrôler et évaluer.
« Cet effort devrait être prolongé et inventif. Cet effort devrait être soutenu parce que, souvent, la réforme, au début, coûte.
« J'annonce la création d'un fonds spécial entièrement dédié à la réforme de l'État, financé en réalisant une partie des actifs, en particulier immobiliers, qui appartiennent à la puissance publique, de façon à pouvoir investir, par exemple, dans le déploiement de l'intelligence artificielle dans nos services publics. Ces sommes ne pourront pas être utilisées pour des dépenses courantes, pour abonder tel ou tel budget. Elles resteront donc uniquement consacrées à ces efforts de réorganisation. Cette manière de rendre actif un patrimoine aujourd'hui inactif nous permettra peut-être un jour d'initier un scénario de réduction de notre endettement.
« Je l'ai dit le jour de ma prise de fonctions, nous avons devant nous une grande oeuvre de réconciliation : réconcilier les Français entre eux, réconcilier les Français avec l'État et leurs élus, réconcilier les Français avec les entreprises.
« L'unité du pays, nous ne la ferons pas à coups d'incantations. Elle passe par l'association effective de tous, de manière continue, aux affaires qui les concernent. Cette association porte un nom qu'on utilise souvent sans lui donner sa vraie portée, c'est la démocratie. Pas seulement la démocratie électorale, avec ses surenchères, sa communication tarifée et ses éléments de langage.
M. Mickaël Vallet. - Et le résultat des élections législatives ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Un philosophe qui siégea sur les bancs de l'Assemblée nationale, Marc Sangnier, a défini la démocratie comme l'organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen. Or, il n'y a pas de citoyens conscients et responsables si l'on ne partage pas avec eux les vérités les plus fondées, même les plus brutales.
« Comme l'écrivait Charles Péguy, ...
M. Hervé Gillé. - Ah, je l'attendais !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « ... ?il faut dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste? - j'ai seulement une nuance sur le tristement. La politique du Gouvernement, c'est la vérité partagée.
« Le Gouvernement considérera les Français comme des partenaires des décisions à prendre, non comme les sujets d'une monarchie, ...
M. Jean-François Husson. - À quoi fait-il allusion ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « ... qui n'auraient d'autres choix que d'obéir ou de se révolter. Nous ne laisserons aucun problème hors de notre champ. Pour chacun d'eux, je partagerai des diagnostics avec les Français afin d'établir la délibération sur des bases indiscutables.
« La démocratie, c'est aussi la question de cette promesse de la Ve République : concilier la capacité d'action de l'État et le pluralisme. Cette capacité d'action de l'État passe par une coopération entre les pouvoirs. Le Parlement a, de ce point de vue, des prérogatives qui doivent être pleinement respectées. Je pense en particulier à son pouvoir d'initiative, qu'il ne manquera pas d'exercer sur des sujets importants de notre société, comme la fin de vie.
« Notre société n'est plus enfermée dans l'impasse de la bipolarisation - c'est heureux. On sait à présent que sur un sujet donné, il n'y a pas que deux options prédéfinies ; il y a plusieurs sensibilités, en contraste, mais qui ne s'excluent pas. Et le but de la démocratie, à mes yeux, n'est pas qu'une idée triomphe sur l'autre, c'est que les différentes sensibilités vivent ensemble.
« Pratiquement, la question est celle de la reconnaissance du pluralisme. Il y a dans la vie politique française aujourd'hui une pluralité de courants, peut-être cinq ou six principaux. Je respecte la réflexion de ceux qui estiment qu'il faut tout conflictualiser. Je connais bien Jean-Luc Mélenchon (Mme Cécile Cukierman s'en amuse ; exclamations à droite), mais je ne me dis qu'à voir nos divisions, ceux qui veulent nous assujettir se frottent les mains.
« Il y a longtemps, et c'est une valeur française depuis Henri IV... (exclamations sur les travées du groupe SER)
Mme Émilienne Poumirol. - Enfin !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « ... au XVIe siècle et les grands républicains au XIXe, que nous avons abandonné l'idée en matière religieuse et philosophique qu'on doit faire triompher sa conception sur celle des autres - c'est ce qu'on appelle la laïcité. Je crois à la laïcité en matière religieuse comme en politique. Laïcité, dont la racine grecque veut dire "faire un seul peuple". Faire un seul peuple, c'est reconnaître que le pluralisme est légitime.
« Je souhaite proposer que les partis politiques comme les syndicats puissent être reconnus comme des mouvements d'utilité publique. Je souhaite aussi la création de la banque de la démocratie, pour que le financement des partis politiques et des campagnes ne dépende plus de choix de banques privées, mais d'organismes publics placés sous le contrôle du Parlement, pour que ce financement échappe à des financements privés ou étrangers.
« En 1993, je me suis battu pour exclure les entreprises du financement des partis politiques. Quand je porte mes yeux vers les États-Unis et l'emprise qu'y exerce l'argent sur la formation des consciences, j'en suis fier.
« Mais le pluralisme suppose aussi que chacun trouve une place au sein de la représentation nationale à proportion des votes qu'il a reçus. C'est la seule règle qui permette à chacun d'être lui-même, authentiquement, sans s'engoncer dans des alliances insincères.
« Je propose que nous avancions sur la réforme du mode de scrutin législatif. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Chacun exprimera alors sa position. Il y a une option à prendre sur ce principe et une discussion à avoir sur ses modalités. On voit bien quels sont les principaux choix. C'est mon opinion que ce mode de scrutin doit être enraciné dans les territoires. Il faut qu'il ne crée pas plusieurs catégories de citoyens. Et peut-être oblige-t-il, comme le dit le président du Sénat, à reposer en même temps la question de l'exercice simultané d'une responsabilité locale et nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
« Enfin, la démocratie suppose un accès à une information fiable. Les conclusions des États généraux de l'information lancés par le président de la République devront être traduites. De même, la réforme de l'audiovisuel public, bien commun des Français, devrait être conduite à son terme.
« Je suis le premier à mesurer la qualité de notre fonction publique : nos agents sont engagés ; ils ont un grand sens du service public ; ils méritent notre considération. Ce que j'ai vu par exemple à Mayotte force le respect. Mais notre bureaucratie est trop lourde, incroyablement lourde. Une étude récente montre que chez nos voisins, le poids des normes est en moyenne de 0,5 % du PIB annuel - de 0,8 % en Italie à 0,3 % en Espagne et 0,17 % en Allemagne. Chez nous, c'est tout près de 4 % et c'est insupportable. La lourdeur administrative, ce sont ces normes dont chacun sait combien elles peuvent le brider, parfois le rendre fou.
« Le Gouvernement s'engagera donc dans un puissant mouvement de débureaucratisation. Le projet de loi de simplification de la vie économique qui a commencé à être examiné doit être adopté rapidement.
« Mais il faut agir plus en profondeur et dans le temps. Selon quelle méthode ? Je n'en connais qu'une : rendre du pouvoir au terrain. Grâce à France Expérimentation, les acteurs de terrain devront redéfinir eux-mêmes, en partenariat avec l'État, les simplifications, suppressions ou allègements d'obligations utiles.
« Mais il faut aller plus loin et changer de paradigme. Partout où cela sera possible, nous inverserons la charge de la preuve. À l'administration de remplir les papiers, à l'usager de les vérifier. Les collectivités locales doivent être soutenues dans leur action. Ce sont elles qui portent une grande part de l'investissement de notre pays, beaucoup plus que l'État. Quand l'activité fléchit, c'est cet effort d'investissement qui soutient le bâtiment, les travaux publics, l'équipement de nos villes. Ce sont elles qui soutiennent l'implantation d'entreprises, sont aux côtés des associations et maintiennent le tissu social dans ses dernières mailles. Cet effort d'investissement est précieux pour le pays.
« Pour cela, je souhaite des rapports d'ouverture et de confiance dans la continuité. Mon gouvernement confortera les avancées sur des sujets très attendus comme l'eau, l'assainissement et le statut et la protection des élus. Les initiatives parlementaires devront aboutir.
« Sur le plan financier, l'effort demandé aux collectivités sera ramené, comme les débats parlementaires l'ont confirmé, de 5 milliards initialement à 2,2 milliards en 2025. J'ai toute confiance dans la capacité des élus à mener ces efforts.
« Je souhaite aussi que nous fassions avancer notre pays par grands projets. Certains projets, souvent engagés par des collectivités, sont bloqués aujourd'hui. Je souhaite que, sur le modèle de Notre-Dame, qui doit nous inspirer, des opérations commandos...
M. Mickaël Vallet. - On est à deux doigts du choc...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « ... soient organisées en lien avec les collectivités, pour débloquer 100 projets sur tout le territoire. Ils seront une vitrine de la France qui avance et qui construit.
« Avoir confiance dans la responsabilité des collectivités, c'est aussi, pour certaines, tenir compte de leurs spécificités. C'est le cas, qui me tient à coeur, de la Corse. Conformément aux orientations du Président de la République, un calendrier a été fixé pour aboutir à une évolution constitutionnelle fin 2025. Il sera respecté.
« Il existe chez nous un vieux réflexe : cibler les entreprises et plus spécialement les entreprises françaises, en particulier celles qui réussissent le mieux à l'exportation. Les entreprises que l'on dit multinationales sont celles qui ont réussi, par leur savoir-faire, leur recherche, leur esprit de conquête, à être sélectionnées pour la compétition mondiale. (M. Jean-François Husson renchérit.) Elles font honneur à la France et contribuent à sa richesse, comme le formidable tissu de PME françaises.
« Ma conviction est que nos entreprises, nous devons leur faciliter la tâche dans des conditions fixées par la démocratie sociale. Elles doivent être prémunies contre des augmentations exponentielles d'impôts et de charges. Sans quoi nous nous retrouverions dans la même situation que celui qui, selon la fable, fit un sort à la poule aux oeufs d'or et s'était "lui-même ôté le plus beau de son bien".
M. Mickaël Vallet. - La poule au pot !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « L'entreprise produit les richesses et l'emploi pour tout le pays grâce à ses dirigeants, ses chercheurs, ses cadres, ses salariés. Mais si elle se voit surchargée de prélèvements et de normes, alors elle cesse de produire. Le trésor est dans l'activité, la créativité, la souplesse.
« Cette oeuvre de réconciliation à laquelle mon gouvernement et nous tous devons nous atteler, ne sera possible que si nous offrons une perspective à notre pays. Nos efforts doivent être tendus vers un but qui suppose lucidité, courage et espérance, celle d'une nouvelle promesse française. C'est là une oeuvre de refondation républicaine que nous vous proposons.
« Cette promesse française, c'est elle qui offre à chacun les conditions de sa dignité en tant que citoyen et en tant que personne. La France ne s'en remet pas à la seule loi du marché pour cela. La France a toujours porté en elle l'idée de fraternité et de solidarité - la solidarité envers chacun, quel que soit son milieu de naissance, son accent, sa couleur de peau, sa condition. C'est pour tous la possibilité de s'affirmer, d'avoir parfois une deuxième, une troisième chance de le faire quand les difficultés de la vie donnent l'impression que l'échec est définitif. C'est l'intuition fondatrice que le Président de la République a défendue en 2017 et je veux la réaffirmer ici.
« La promesse française, c'est aussi l'attention portée à l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est un combat de civilisation que nous devons porter ici et ailleurs. Partout, les femmes subissent l'intolérable. Je pense en particulier au sort des femmes afghanes. Cette égalité suppose une lutte sans merci contre les violences sexuelles ou sexistes, mais aussi pour l'égalité salariale ou professionnelle.
« La promesse française, c'est également répondre aux cris qu'ont fait entendre les ?gilets jaunes? sur nos ronds-points il y a six ans. Je m'adresse à eux aujourd'hui : qu'ils ne pensent pas que nous les avons oubliés. Le rejet de cette division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas, ceux qui passent à la télévision et ceux qui la regardent, ceux des arrondissements centraux de Paris et les autres, qu'ils sachent que nous en faisons le coeur de notre politique. La promesse française suppose que notre société puisse trouver une forme d'harmonie.
« Puisqu'il faut dire les choses telles qu'elles sont, nous devons évoquer les craintes que suscite l'immigration. Cela ne date pas d'hier. La misère, les conflits, les bouleversements climatiques se conjuguant, l'immigration est devenue une question brûlante sur toute la planète. Elle l'est pour ceux qui supportent les vagues migratoires et ceux qui se sentent menacés par les prochaines. Et les réseaux sociaux attisent cette crainte tous les jours.
« J'ai la conviction profonde que l'immigration est une question de proportion. L'installation d'une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c'est un mouvement de générosité qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l'école, des parents qui reçoivent tous les signes de l'entraide. Mais que trente familles s'installent et le village se sent menacé. Le désir, après tout respectable, de se sentir chez soi est mis à mal. Tout cela est humblement humain et affaire de bon sens, que je revendique.
« Les bidonvilles et la misère qui y est recluse provoquent le même rejet partout, à Calais comme à Mayotte. Et si les Parisiens devaient connaître cette situation dans les mêmes proportions que les Mahorais, il y aurait 500 000 illégaux en bidonville à Paris et c'est toute la population parisienne qui se révolterait.
« Voilà pourquoi l'ordre, ce premier besoin de l'âme, comme disait la philosophe Simone Weil, est aussi un devoir. Cela n'empêche pas de comprendre, dans notre commune humanité, que c'est la misère qui pousse à fuir son pays. Nous le savons bien, nous, les Basques, les Béarnais, les Bretons, qui avons, au XIXe siècle, fourni tant de contingents d'émigrés. (Murmures à droite)
« La volonté de protéger et d'appliquer nos lois doit être sans faille, mais respectueuse de ceux que les vagues de la vie ont conduits jusqu'à nous. Et respecter ces personnes, c'est les intégrer dans un ordre où tous peuvent se reconnaître.
« Il est donc de notre devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de renvoi dans leur pays de ceux dont la présence met en péril la cohésion nationale. Mais comment faire alors que 93 % des OQTF (obligations de quitter le territoire français) ne sont pas exécutées ? Et que dire du comportement de certains pays qui devraient pourtant accueillir leurs propres ressortissants ? Si nous ne résolvons pas cette question, toutes nos déclarations d'intention seront vaines.
« Cette politique que mène fermement le ministre de l'intérieur suppose aussi l'action de tous les ministères. C'est pourquoi je réactiverai le comité interministériel de contrôle de l'immigration. Je sais que les parlementaires ne manqueront pas de prendre des initiatives également. Il nous appartiendra, ensemble, de les articuler avec la nécessaire transcription du pacte européen sur la migration et l'asile. Il nous appartiendra aussi de mieux user de notre aide au développement en retrouvant en 2026 une trajectoire dynamique.
M. Rachid Temal. - Moins 2 milliards d'euros !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Notre cap, c'est l'intégration. Nous ne demanderons à personne de renoncer à ce qu'il est. Notre cap, c'est l'incorporation à la nation de ceux qui sont amenés à la rejoindre, par le travail qui crée des liens et donne la reconnaissance, par la langue qui est une patrie, par l'apprentissage des façons de vivre et des valeurs qui les guident, par le respect aussi de la liberté des femmes et de ceux qui croient différemment ou qui ne croient pas.
« En revanche, contre tous ceux qui prônent l'inverse, nous serons sans faiblesse. La République n'existe que si elle se fait respecter.
« Je ne me lancerai pas dans un catalogue de mesures. Chaque ministre aura la responsabilité de conduire son action sous mon autorité, dans un dialogue constant avec le Parlement et les forces sociales. Mais je souhaite fixer quelques lignes de force pour l'action de mon gouvernement.
« Ces grandes politiques doivent être inspirées par le long terme, par l'esprit du plan que j'ai souhaité restaurer en 2020. Il ne peut y avoir ni partage des grands choix avec les citoyens ni débat sérieux au Parlement, sans vision de long terme. Il y a une maxime française qui, en quatre mots, dit tout : "Gouverner, c'est prévoir". La citation se poursuit d'ailleurs par : "et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte." C'est particulièrement évident pour des questions comme la démographie ou l'écologie, qui engagent des orientations sur plusieurs décennies.
M. Yannick Jadot. - Quarante-cinq minutes avant d'entendre le mot « écologie » !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « L'écologie n'est pas le problème, c'est la solution. ("Ah !" à gauche) L'effort à mener sur ce sujet crucial, cette adaptation, la France l'a commencé mieux qu'aucun autre pays au monde. C'est pour moi une priorité, une ardente obligation qui doit être poursuivie et amplifiée. Planifier la transition en finalisant notre stratégie bas-carbone ; préserver notre biodiversité ; produire, mais de façon décarbonée, grâce à des technologies nouvelles.
« Je pense en particulier à notre politique énergétique. Cette politique a un but : l'énergie décarbonée, accessible à tous. Pour y parvenir, le nucléaire est un axe essentiel et la géothermie, réservoir inépuisable de calories gratuites sous nos pieds, l'est aussi.
« La question de l'eau, sur laquelle je reviendrai, est essentielle. Nous devons la saisir à bras-le-corps à travers une grande conférence nationale déclinée dans les régions.
« La transition écologique, c'est aussi favoriser les mobilités les plus adaptées, de l'hydrogène au plan vélo qui doit être poursuivi avec les moyens qui lui sont nécessaires.
« Proposer aux Français une voie d'espérance qui donne sens à ces efforts, c'est aussi refonder notre éducation nationale. Une des fiertés de ma vie est d'avoir été un enseignant de l'éducation nationale, d'avoir des enfants enseignants. Une des fiertés de ce gouvernement est d'avoir placé en premier le ministère de l'éducation nationale et de l'avoir confié à une femme au parcours exemplaire. (L'oratrice sourit ; applaudissements amusés sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
« Mais comment accepter que l'école française, qui était la première du monde, se voie classée au rang qui est le sien aujourd'hui en mathématiques comme en lecture ? Les enseignants de notre université dépeignent des étudiants de première année après treize, quatorze, ou quinze années d'école qui ne parviennent pas à écrire un texte simple, compréhensible, avec une orthographe acceptable. C'est le plus grand de nos échecs.
« Nous ne pouvons pas accepter qu'on oublie ceux qui viennent des milieux qui n'ont pas les codes, qui ne connaissent personne - comme on dit - et n'ont accès ni à l'influence ni au pouvoir. Tous ceux-là, l'obligation d'orientation précoce les perturbe et les met en danger.
« Ma conviction est que les gisements de progrès sont du côté des enseignants. Tous ici, nous avons devant les yeux les visages, les voix d'enseignants qui nous ont révélés à nous-mêmes. Les destins qui basculent, parce que le regard d'un enseignant s'est posé sur un enfant, souvent sur un enfant qui ne savait pas qui il était et qui était promis à l'échec. Ces enseignants magnifiques existent, nombreux. Mais notre organisation de l'éducation nationale ne parvient pas à les repérer, ou les repère si peu - et les trésors de pédagogie qu'ils ont élaborés sont perdus.
« Je veux rappeler ici l'intuition fondatrice du Président de la République : combattre l'assignation de la naissance, du quartier, du nom, de la religion, de la campagne, de l'accent, des familles éclatées, de l'adolescence solitaire ; offrir à tous ceux-là, tout au long de la vie, de nouvelles chances. Combat à mener pour l'individu comme pour la nation. Tous les enseignants de l'université savent combien les lacunes accumulées au fil des années pèsent, combien elles handicapent les étudiants dans leur apprentissage. J'affirme ici que l'urgence pour l'université, c'est d'agir en amont pour les enseignements fondamentaux. Parmi les combats à mener, la promotion de la lecture, contre les écrans. En cela, la pause numérique doit être généralisée.
« Je sais qu'un chemin est possible en formant mieux nos professeurs afin de mieux les préparer et les faire progresser dans l'exercice de leur métier. C'est l'une des réformes les plus importantes à mener, celle de la formation initiale et surtout continue. En engageant aussi une grande consultation sur le temps scolaire. Enfin, en poursuivant la grande réforme de l'enseignement professionnel engagée par le Président de la République.
« Pour moi, la culture joue aussi un rôle de premier plan dans la promesse française. La défense et l'affirmation d'une politique culturelle sont une politique sociale. C'est ma conviction. L'émerveillement partagé devant la beauté d'un monument, d'une ville que l'on restaure, d'une pièce de théâtre, d'un concert que l'on partage, tout cela élève, rend fier, rassemble. C'est pourquoi le beau est un devoir d'État. Cela passe par une politique du patrimoine ambitieuse - ce patrimoine qui est l'une de nos principales fiertés. Cela passe aussi par un soutien à la création.
« Je pense à nos concitoyens mahorais qui viennent de subir une épreuve dramatique, s'ajoutant à celle déjà si lourde. J'ai présenté le plan Mayotte debout lors de ma venue sur l'île. C'est un plan ambitieux, non seulement pour traiter de l'urgence, mais aussi refonder Mayotte. La crise migratoire que connaît ce département ne peut d'ailleurs plus être ignorée, sauf à faire des Mahorais des Français de seconde zone. Aucun débat n'est tabou sur ce sujet, notamment celui sur les conditions d'exercice du droit du sol.
« Je pense à la Nouvelle-Calédonie, qui doit construire son avenir. Les événements de mai 2024 ont plongé ce territoire dans un profond marasme. Je souhaite que le processus politique reprenne, avec des négociations qui devront aboutir à la fin du trimestre. J'inviterai fin janvier les forces politiques à venir à Paris pour ouvrir ces négociations en demandant au ministre des outre-mer de suivre particulièrement ce dossier. Je crois, là encore, que les femmes et les hommes de bonne volonté sauront trouver des voies novatrices pour le bien de tous les Calédoniens.
« Mais c'est à chacun de nos outre-mer que je pense aujourd'hui, eux qui sont une fenêtre ouverte sur le monde et nous enrichissent par leur identité propre. Chacun a sa situation, ses chances et ses difficultés. Pour chacun, nous définirons un plan de développement et de financement dans le cadre d'un nouveau comité interministériel des outre-mer, que le ministre d'État préparera avec les élus de ces territoires. Dans les outre-mer comme dans l'Hexagone, l'espoir renaîtra par le volontarisme économique. Nous devons retrouver les conditions de la production, avec au premier chef la technologie, nouvelle mère des batailles.
« On voudrait nous condamner au déclassement, alors que la Silicon Valley déroule ses tapis rouges à nos ingénieurs du numérique et de l'intelligence artificielle. Nous sommes des géants de la recherche informatique. Ne nous laissons pas devenir des nains de la nouvelle économie, précisément fondée sur le numérique. Et il en est de même pour l'espace et les énergies décarbonées.
« Le Gouvernement reste attaché à la trajectoire ambitieuse d'investissement dans la science, définie dans la loi de programmation de la recherche. La recherche se fait dans les universités et les laboratoires, mais aussi ailleurs : il faut mieux mobiliser nos entreprises dans cet effort collectif.
« Sur l'intelligence artificielle, dont je ne sais si elle est intelligence ni si elle est artificielle, mais dont je sais qu'elle est un changement d'être pour notre humanité, la stratégie nationale doit entrer dans sa troisième phase. Elle doit être ambitieuse pour la diffusion de l'IA dans l'industrie, dans l'action publique, la formation et la recherche, appuyée sur un programme d'investissements dans les infrastructures. Le sommet de l'IA qui se tiendra à Paris en février traduira cette ambition.
« Dans ce domaine, comme dans ceux de l'industrie et de l'agriculture, il nous faut définir des politiques de filières, produit par produit, en partant des faiblesses de notre balance commerciale. Chaque filière unira grandes entreprises, sous-traitants, l'État et les régions, autour d'un enjeu de production. Des géants mondiaux comme Dassault Systèmes ou Safran, Total ou Airbus, Saint-Gobain ou Danone ont un potentiel de partage des capacités de mise au point et de soutien à des entreprises nouvelles, notamment sur des produits et secteurs où nous sommes absents.
« Je veux avoir un mot particulier pour la filière agricole, pour les filières agricoles. (" Ah !" sur les travées du groupe Les Républicains) Quand nous évoquons leur crise, nous voyons ce qui saute aux yeux : la crise des revenus, le sentiment qu'ont nos agriculteurs de n'être pas respectés. À l'origine de cette situation, il y a une crise morale. Les paysans - le monde dont je viens - avaient jusqu'à il y a peu la certitude d'être les meilleurs défenseurs de la nature. Aujourd'hui, on les accuse de nuire à la nature. C'est une atteinte profonde. Et quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d'eau avec une arme à la ceinture, dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c'est une humiliation, donc une faute. (Vives protestations sur les travées du GEST)
M. Yannick Jadot. - Ce sont des agents d'État !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Le principal enjeu est aujourd'hui l'égalité des armes. L'accord avec le Mercosur impose aux agriculteurs de chez nous des normes de production qui ne sont pas imposées à leurs concurrents. Cela est inacceptable.
« De très grandes injustices risquent également d'être commises dans la gestion des ressources en eau. Assimiler la gestion de l'eau de surface au pompage des nappes profondes, comme si c'était la même chose, est absurde.
M. Yannick Jadot. - Et les mégabassines ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Nos agriculteurs le vivent comme une injustice. Sur le sujet de l'eau, je souhaite que des conférences soient organisées aux plans national et régional pour définir une stratégie à long terme.
« Ce métier, qui était un métier de communauté, de village, de collègues, d'amis, de connaissance des gestes et des techniques, est devenu solitaire, ce qui pose le problème de nouvelles vocations.
« Toutes ces questions seront traitées dans la loi d'orientation agricole. Je m'engage à ceci : comme pour les entreprises et les familles, nous allons remettre en question nos pyramides de normes en donnant l'initiative aux usagers. Ceux que l'on contrôle doivent avoir leur mot à dire sur les contrôles ; et s'il faut des remises en cause, nous les conduirons avec eux dans un temps bref.
« Cette politique ne trouvera sa pleine dimension que si le travail trouve également toute sa place dans notre société.
« Je souhaite l'ouverture d'une concertation sur le travail et les salaires, qui reviendra sur la qualité de la vie au travail, sa rémunération et son sens. Devront être abordées la santé au travail, la prévention et la prise en charge des arrêts de travail, ainsi que la situation des travailleurs pauvres et l'égalité salariale femmes-hommes.
« Il faudra aussi poursuivre les efforts de revalorisation salariale et de mise en place de dispositifs d'épargne salariale, d'intéressement et de participation dans tous les secteurs.
« En 1947, paraissait Paris et le désert français. Aujourd'hui, il y a Paris, les grandes métropoles et le désert français, avec un gouffre à chaque étape. Le reste du tissu national, éloigné géographiquement, disparaît médiatiquement et politiquement.
« L'aménagement du territoire est l'une des grandes questions devant nous. Elle touche aux conditions de vie de nos concitoyens, à l'accès aux services publics, aux transports ou encore au logement.
« Nous avons mis en place un grand ministère autour de François Rebsamen. Ce ministère incarne l'objectif qui est le nôtre : que chaque personne ait sa chance, que chaque territoire ait sa reconnaissance et sa chance. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Tant d'esprits, de volontés et de capacités provinciales et des quartiers périphériques ont le sentiment d'être écartés, oubliés.
« Je veux m'arrêter sur le logement, une mission centrale. Si l'on ne peut pas se loger, on ne peut pas se faire reconnaître. Nous avons besoin d'une politique de logement repensée et de grande ampleur, pour que chacun ait accès à un logement abordable.
« Je salue les efforts menés par les précédents gouvernements pour lever les contraintes en matière de construction. Nous pouvons aller plus loin en réduisant encore les délais, en allégeant les demandes d'autorisation, en favorisant la densification et en facilitant les changements d'usage. Cela suppose aussi de relancer l'investissement locatif et l'accession à la propriété et de soutenir les maires bâtisseurs par un système d'encouragement à l'investissement, y compris privé.
« Quant au transport, condition même de l'égalité des droits sur le territoire, nous avons devant nous des défis en matière de financement des infrastructures et des équipements nouveaux. Une conférence sur le financement durable du transport sera organisée avec les collectivités locales et les professionnels. (Marques de scepticisme sur plusieurs travées à droite)
« La santé est l'une des toutes premières préoccupations des Français, et l'organisation de notre système est au coeur du modèle social français.
« Nous avons tous été confrontés, pour nous ou un proche, à l'impossibilité de trouver un médecin généraliste, un spécialiste, un dentiste. Quant à l'hôpital, il connaît aussi une crise, en particulier financière, plus que préoccupante.
« L'absence de vision pluriannuelle des ressources consacrées à notre système de santé le prive de facto de la capacité à se doter de projets à moyen et long terme et complique ainsi sa capacité à anticiper les besoins de santé futurs des Français. Il faut passer d'une logique budgétaire annuelle à une logique de financement pluriannuel. (Mme Céline Brulin s'exclame.)
« Il faut aussi travailler sur l'enjeu clé de la démographie médicale, en impliquant notamment les élus territoriaux et en menant de front la question de la formation des soignants.
« Je confirme que la santé mentale sera la grande cause nationale de 2025, comme l'avait décidé mon prédécesseur, Michel Barnier.
« Dans ce cadre, pour faire face à l'enjeu de la soutenabilité de l'hôpital, le Gouvernement proposera une hausse notable de l'Ondam, ce qui permettra d'améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles. À cette fin, la mesure de déremboursement de certains médicaments et des consultations ne sera pas reprise.
« Le sport est, comme la culture, un puissant facteur de cohésion, d'épanouissement et de fierté. (M. Michel Savin approuve.) Après une année olympique historique et avec devant nous le projet Alpes 2030, nous devons encourager le sport dès l'école. Dans le cadre des parcours de soins pour les malades chroniques, nous devons par exemple proposer une nouvelle offre dans les maisons sport-santé ; 100 000 bilans d'activité physique seront proposés aux personnes atteintes de telles maladies.
« La promesse française est fondée aussi sur l'attention aux plus fragiles et aux plus vulnérables.
« Il faut poursuivre la mobilisation de l'ensemble du Gouvernement autour de la politique du handicap, alors que nous allons fêter le vingtième anniversaire de la loi de 2005. C'est l'objet de l'École pour tous, qu'il faut améliorer au moment où cette politique de l'école inclusive a atteint une masse critique. Un comité interministériel du handicap sera organisé dans les meilleurs délais, et je tiens au remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025.
« Dans le cadre de la grande politique démographique que j'appelle de mes voeux, après les travaux du commissariat au Plan, il nous faut avancer sur la question du grand âge. L'objectif est de permettre aux personnes de bien vieillir et d'avoir le choix de leur domicile. Cela suppose l'ouverture d'un dialogue avec le Parlement et les départements.
« Je réaffirme la priorité qui s'attache, pour moi, à la protection de l'enfance. La création du haut-commissariat à l'enfance inscrira dans la continuité cette politique.
M. Guy Benarroche. - Paroles, paroles...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Parmi les personnes qui souffrent dans notre pays aujourd'hui, il y a trop souvent des étudiants en situation de précarité, en particulier lorsqu'il faut se loger dans les grandes villes où les loyers dépassent les moyens de leurs familles. C'est pourquoi la carte universitaire et le réseau des universités sont une grande question académique et sociale. Nous lancerons la construction de 15 000 logements par an pendant trois ans, en mobilisant le foncier disponible de l'État.
« En m'adressant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai conscience de m'adresser à la nation tout entière, aux Françaises et aux Français qui nous regardent, à tous ceux qui ont les yeux tournés vers la France, que la vision de nos désunions décourage et que nos paroles ont fini par lasser.
Mme Pascale Gruny. - Ça c'est vrai...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - « Pour eux, ce n'est pas un mandat qui est en jeu ; c'est la journée qui vient, c'est ce jour même, avec l'angoisse du chômage, celle du prix de la vie, l'inquiétude pour un conjoint, des parents âgés, des enfants dont l'avenir semble obstrué.
« Nous n'avons pas le droit, surtout au nom de nos passions politiques, d'hypothéquer la vie de nos concitoyens. Ils attendent des actes, et c'est sur nos actes qu'ils jugeront de nos paroles, de nos promesses et de nos indignations. C'est sur nos actes qu'ils nous jugeront, tout simplement.
« Le but de cette déclaration de politique générale est de permettre à ces concitoyens de passer de la plus extrême inquiétude à la conviction que, même si nous ne sommes pas certains de tous les résoudre, nous traiterons les problèmes qui se posent avec toutes nos forces et tous nos moyens.
« Nous n'allons pas d'un seul coup passer de l'ombre à la lumière. Nous n'allons pas vivre le grand soir. Mais si je parviens à me faire entendre de vous, élus de la nation, et de nos concitoyens, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu, mais raisonnable. C'est ce projet que j'ai voulu présenter devant vous.
« Je connais tous les risques. Si nous nous trompons, nous corrigerons. Mais le risque, c'est la vie. Pierre Mendès France - la référence n'est pas ici par hasard - aurait dit : "Il n'y a pas de politique sans risque, il n'y a que des politiques sans chance".
« J'ai foi dans le peuple français, foi dans ses représentants. Je sais les ressources d'intelligence, de bravoure, de droiture de notre nation lorsqu'elle choisit de surmonter l'épreuve. Notre peuple, notre pays avec son histoire ont la capacité de se ressaisir.
« Je n'en veux que deux preuves : nous sommes aujourd'hui le plus jeune des pays européens...
M. Guy Benarroche. - Grâce à l'immigration !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - ... et, sur le plan de la croissance, nous devançons l'Allemagne sur les quarante dernières années, en particulier ces sept dernières.
« Nous sommes un peuple de ressources, à la condition qu'il trouve l'unité qui si souvent lui manque. Il l'a fait bien des fois au cours de son histoire. C'est à nous aujourd'hui que cette mission, cette charge et cette chance reviennent. » (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et INDEP, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe RDSE ; M. Jean-François Husson applaudit également.)
M. le président. - Acte est donné de la déclaration de politique générale dont il vient d'être donné lecture au Sénat.
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
Commission des finances (Nomination)
Mme la présidente. - Une candidature pour siéger au sein de la commission des finances a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Demande d'examen séparé
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Notre ordre du jour prévoit la reprise de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 demain après-midi, après la déclaration du Gouvernement et le débat qui suivra.
En application de l'article 46 bis, alinéa 2, du règlement du Sénat, je sollicite l'examen séparé de certains amendements aux missions « Outre-mer », « Aide publique au développement », « Sport, jeunesse et vie associative » et « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », afin de permettre des regroupements par thématiques et d'éviter de trop longues discussions communes.
Il en est ainsi décidé.
Dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire.
Discussion générale
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je suis ravie de l'examen de cette proposition de loi prolongeant l'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire. Je forme le voeu qu'il marque l'aboutissement d'une saga qui occupe le Gouvernement et le Parlement depuis plusieurs mois, autour d'un dispositif qui concerne au quotidien 6 millions de Français.
Les débats ont été vifs sur ce texte déposé par la députée Anne-Laure Blin, et certains arguments avancés appellent précisions et clarifications.
L'objectif du titre-restaurant est de permettre aux salariés n'ayant accès à aucun espace de restauration de se nourrir lors de leur pause déjeuner. À sa création, en 1967, le choix était plus restreint : l'offre de plats était moindre et le nombre de produits pouvant être achetés en supermarché, plus limité.
Avantage social préféré des Français, le titre-restaurant est cofinancé par l'employeur et le salarié, ce dernier supportant entre 40 et 50 % de sa valeur faciale. L'État participe à travers l'exonération de la part employeur, dans la limite de 7,18 euros. Enfin, les restaurateurs, commerçants et émetteurs de titres sont évidemment des acteurs clés de ce marché de 9 milliards d'euros, en croissance compte tenu de la forte adhésion au dispositif.
Plusieurs évolutions sont intervenues à la suite du confinement, pendant lequel les salariés ont accumulé des titres-restaurant. Le plafond quotidien d'utilisation a été porté de 19 à 38 euros pour faciliter leur écoulement et soutenir le secteur de la restauration. En outre, le plafond d'exonération a été relevé à 4 % afin de renforcer le caractère incitatif du dispositif. Enfin, le panier éligible a été élargi, par la loi « pouvoir d'achat » de 2022, aux produits alimentaires non directement consommables, comme la farine, les pâtes ou le riz. Cette possibilité, introduite par le Sénat à l'initiative de Frédérique Puissat, devait prendre fin le 31 décembre 2023. Fin 2023, la dérogation a été prolongée d'un an, compte tenu de l'inflation persistante.
Olivia Grégoire prévoyait une réforme en 2024, qui aurait tranché le sort de cette dérogation, mais la dissolution a interrompu ce processus. L'Assemblée nationale a voté à l'unanimité la prolongation de la dérogation jusqu'à la fin 2026 pour donner le temps au Gouvernement de mener à bien la réforme prévue et aux professionnels de la mettre en oeuvre. Il s'agit aussi de faire droit à une demande très forte des Français, qui souhaitent pouvoir acheter avec ces titres un large panier de produits alimentaires, sans se faire des noeuds au cerveau. On peut les comprendre : ils sont libres de disposer de leur argent comme ils le souhaitent, dès lors que c'est pour se nourrir. D'après une étude de la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), 96 % des Français souhaitent la prolongation de la mesure.
J'entends agir résolument en faveur de la simplification, pour les entreprises comme pour les consommateurs. Nous tenons là une mesure de simplification bienvenue, plébiscitée et tout à fait logique sur le fond.
J'entends les craintes de certains professionnels : ma porte leur est toujours ouverte, et ils seront étroitement associés aux travaux que je mènerai dans les semaines à venir. S'agissant de la baisse du chiffre d'affaires des restaurateurs, je souligne que c'est avant tout le reflet d'évolutions dans les modes de consommation, les salariés recherchant des prix bas dans le contexte de la forte inflation alimentaire récente.
La fin de la dérogation au 1er janvier a provoqué la surprise et le mécontentement des Français. Tout converge donc en faveur d'une nouvelle prolongation. Le Gouvernement appelle le Sénat à privilégier une prolongation de deux ans, afin qu'un vote conforme permette la promulgation rapide du texte.
En vue d'une réforme plus ambitieuse, de larges concertations ont été conduites par mes prédécesseures, Olivia Grégoire et Laurence Garnier. Je souhaite les reprendre à mon compte, entendre toutes les parties prenantes et avancer vers une réforme reposant sur la dématérialisation obligatoire, le contrôle des émetteurs, l'évolution de la CNTR et une réflexion sur le niveau des commissions. Une grande partie du travail a déjà été menée, conduisant à une forme de consensus : nous devrions donc pouvoir aboutir rapidement.
Le report de deux ans qui vous est proposé fixerait une date butoir : rien n'interdirait de mettre en place le nouveau dispositif plus tôt. Mon objectif est de présenter les grandes lignes de la réforme cet été, pour une mise en oeuvre dans les mois qui suivront.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) En décembre 2023, nous avons prolongé d'un an l'assouplissement temporaire des règles d'utilisation du titre-restaurant introduit par le Sénat l'année précédente pour faire face à l'inflation.
Si l'inflation n'est plus aussi inquiétante - selon l'Insee, l'indice des prix à la consommation a augmenté de 1,8 % l'année dernière -, le problème de la vie chère n'épargne pas nos compatriotes ; il est même dramatique dans les outre-mer.
La dérogation pour laquelle une prolongation supplémentaire est proposée porte sur l'utilisation des titres-restaurant pour l'achat de denrées alimentaires non directement consommables. Créé par une ordonnance de 1967, le titre-restaurant est cofinancé par les salariés et les employeurs, lorsque les entreprises ne disposent pas de lieu de restauration collective. De plus en plus souvent dématérialisé, il n'est pas un chèque alimentaire : il doit être utilisé pour les déjeuners des jours de travail. C'est ce qui justifie les exonérations consenties, qui coûtent chaque année 1,5 milliard d'euros à l'État et à la sécurité sociale.
D'abord réservés aux restaurants, les titres-restaurant ont été élargis aux commerces de bouche et aux grandes et moyennes surfaces pour, en principe, l'achat de produits directement consommables. Il existe aussi, désormais, des commerces en ligne, agréés par la CNTR. Quelque 180 000 employeurs ont recours à ce dispositif, qui bénéficie à 5,4 millions de salariés, pour plus de 10 milliards d'euros de titres.
L'objectif n'est pas de soutenir le pouvoir d'achat des salariés ou le bilan des restaurateurs, qui certes rencontrent des difficultés patentes, sous l'effet de l'augmentation des charges d'exploitation, de l'inflation, des remboursements des prêts garantis par l'État (PGE) et des difficultés de recrutement.
Reste que le titre-restaurant a été mobilisé face à l'inflation en 2022 et 2023. Le plafond journalier a été rehaussé à 25 euros, et, à l'initiative de Frédérique Puissat, Sophie Primas et Alexandra Borchio Fontimp, l'utilisation des titres-restaurant a été autorisée à titre temporaire pour l'achat de denrées non directement consommables, provoquant l'ire des restaurateurs.
La part des titres-restaurant utilisés auprès des restaurateurs serait tombée de 46 % à 40 %. Mais ne confondons pas causalité et corrélation : seuls 25 % des achats en titres-restaurant dans les grandes surfaces concernent des produits non directement consommables. Il faut admettre que cette évolution résulte de la volonté des salariés, qui plébiscitent à plus de 96 % la flexibilité offerte, en cohérence notamment avec la pratique du télétravail et la préférence pour des prix bas.
Revenir en arrière n'est donc pas souhaitable, mais il conviendrait de différencier les plafonds d'utilisation entre la grande distribution et la restauration, qui supporte des charges plus importantes. L'instauration de ce double plafond soulève des interrogations juridiques, ce qui rend nécessaires un projet de loi et son étude d'impact.
S'agissant de la durée de la prolongation, Anne-Laurence Blin proposait un an, mais l'Assemblée nationale s'est prononcée pour deux ans. En commission, nous sommes revenus à un an, afin d'éviter une pérennisation larvée et d'insister sur la nécessité d'une réforme rapide. Il convient notamment de dématérialiser les titres et de renforcer la concurrence entre sociétés émettrices, ainsi que les contrôles.
Force est de constater que la situation a évolué. En raison de la censure du précédent gouvernement, le dispositif n'a, hélas, pas pu être prolongé avant le 1er janvier. Laurence Garnier avait pourtant été à l'origine de réelles avancées. Le flou juridique actuel lèse les salariés, sans parler des acteurs qui assument de ne pas appliquer la loi.
Des amendements ont été déposés en vue d'un vote conforme, qui permettrait une mise en oeuvre rapide. Par réalisme, la commission ne s'y opposera pas, considérant que l'urgence l'emporte sur la position de principe. Pour la même raison, nous avons renoncé à modifier l'intitulé de la proposition de loi.
Dans l'hypothèse où le Sénat, dans sa grande sagesse, entérinerait une prolongation de deux ans, la réforme nécessaire ne devrait pas être ralentie. Quant au renforcement des contrôles, demandé par les restaurateurs, il est possible à droit constant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Xavier Iacovelli et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)
Mme Corinne Bourcier . - Le titre-restaurant est bien connu de nombre de Français : 5,4 millions de salariés et 180 000 employeurs y recourent. Il permet le cofinancement de repas pour les salariés n'ayant pas accès à un restaurant d'entreprise. L'exonération de cotisations dont bénéficie la part employeur est très intéressante pour les deux parties.
En commission, la rapporteure a souligné que cette proposition de loi avait un air de déjà-vu. En effet ! En 2022, le plafond d'utilisation quotidienne des titres-restaurant a été rehaussé à 25 euros et le panier des produits éligibles élargi à titre temporaire aux produits alimentaires non directement consommables. Ce régime a été prolongé d'un an fin 2023, compte tenu de l'inflation.
Faut-il une nouvelle prolongation ? Le groupe Les Indépendants soutient évidemment ce texte, et aucun salarié ne comprendrait l'arrêt de la dérogation dans un contexte économique qui demeure difficile et alors que la part de l'alimentation continue d'augmenter dans le budget de nombre de nos concitoyens.
Mais nous le soutenons dans sa version initiale, prévoyant une prolongation d'un an. Une prolongation jusqu'en 2026 n'est pas nécessaire, voire serait contre-productive, car elle pourrait conduire à repousser l'indispensable refonte du dispositif. En près de soixante ans, la société a beaucoup évolué. Il est nécessaire de prendre en compte, notamment, l'essor du télétravail et la préférence croissante des salariés pour la préparation de leur propre déjeuner.
Cette refonte doit se faire dans la concertation et ne pas léser petits commerces et restaurateurs. Le titre-restaurant ne doit pas devenir un complément de pouvoir d'achat ni un chèque alimentaire. Le débat sur le pouvoir d'achat doit porter sur les entreprises, leurs charges, la productivité, le temps de travail et les rémunérations. Frédérique Puissat et moi-même avons formulé quinze recommandations, dans notre rapport d'information sur les négociations salariales.
Le groupe Les Indépendants se prononcera en faveur d'une prolongation d'un an, tout en appelant à une large concertation en vue de la refonte du dispositif.
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'initiative du Sénat, un dispositif dérogatoire a été prévu à l'été 2022 qui autorisait l'usage de titres-restaurant pour l'achat de produits alimentaires non directement consommables jusqu'au 31 décembre 2023. Il a été prolongé d'un an, mais, faute de nouvelle mesure législative, les plus de 5 millions de salariés concernés ne peuvent plus, depuis le 1er janvier, acheter ces denrées avec leurs titres-restaurant, ce qui est fort regrettable.
Alors que les prix alimentaires restent à des niveaux élevés, il faut rétablir la mesure de 2022. La prolongation proposée de deux ans doit permettre une réforme en profondeur du dispositif. Laurence Garnier s'y était engagée et nous y veillerons.
Je soutiens une pérennisation et pense même qu'il faut aller bien au-delà. J'ai déposé en 2022 une proposition de loi destinée à développer l'argent fléché. Ces dispositifs sociaux sont performants et rapportent à l'État plus qu'ils ne lui coûtent - pour les chèques vacances, le coût est de 1,4 milliard d'euros pour 2,3 milliards d'euros de retours induits. J'appelle de mes voeux un déplafonnement de l'usage journalier et une augmentation de la valeur faciale.
Alors que les indices des prix dans l'alimentaire et la restauration ont augmenté de 12 et 17 points de base entre 2012 et 2020, le plafond de la contribution patronale aux titres-restaurant est demeuré quasi stable. Il est de 7,90 euros, alors que le prix moyen d'un déjeuner est proche de 15 euros. Nous devons enrayer cette érosion pour que le titre-restaurant continue à jouer son rôle en matière sociale, mais aussi d'équilibre alimentaire.
Ma proposition de loi s'appuyait sur une étude de l'OCDE qui met en évidence les vertus des bons sociaux. Ces bons permettent notamment de lutter contre le travail non déclaré et de stimuler la création d'emplois et la consommation locale. Ils offrent une liberté de choix aux utilisateurs. L'équilibre entre ciblage et liberté des consommateurs est source d'efficacité.
Dans un souci d'efficacité, le groupe Les Républicains se prononcera pour un vote conforme de ce texte, en vue d'une mise en oeuvre rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Xavier Iacovelli . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Une écrasante majorité des Français bénéficiant des titres-restaurant soutiennent l'extension de leur usage aux produits alimentaires non directement consommables.
Depuis 1967, nos manières de travailler et de consommer ont profondément évolué. En 2022, alors que le pouvoir d'achat était fragilisé, nous avons élargi, à l'initiative de Frédérique Puissat, le panier des biens éligibles aux titres-restaurant. Cette mesure a fonctionné.
Ce n'est affaire d'idéologie, mais de bon sens. Alors qu'il y a consensus, pourquoi tergiverser, pourquoi attendre pour décider d'une pérennisation ?
Il faut aller plus loin, comme je l'ai proposé dans ma proposition de loi visant à étendre l'usage des titres-restaurant. C'est une mesure de progrès adaptée aux réalités contemporaines.
Le RDPI soutient la prolongation de deux ans, qui permettra d'élaborer une réforme globale adaptée aux évolutions sociales : télétravail, préférence croissante pour le fait maison. Le nouveau dispositif ne devra oublier personne, y compris en zone rurale.
Chaque année, nous votons des mesures pour que nos citoyens mangent mieux - cinq fruits et légumes par jour, moins de sucres, moins de produits industriels. Mais que faisons-nous concrètement pour les y aider ? Un tel dispositif change la vie de nos concitoyens : renforçons-le ! Le titre-restaurant est un droit pour les travailleurs : ils ne doivent pas se voir dicter la manière de l'utiliser.
Le RDPI est attentif aux conséquences de ces évolutions sur la restauration. Mais seuls 25 % des achats en titres-restaurant dans la grande distribution portent sur des produits non directement consommables.
Pérennisons le dispositif pour répondre aux attentes des Français. Notre groupe votera majoritairement cette proposition de loi. Je remercie Marie-Do Aeschlimann pour son engagement.
Mme Véronique Guillotin . - Conséquence de la censure du gouvernement Barnier, les Français ne peuvent plus utiliser leurs titres-restaurant pour acheter des denrées alimentaires non directement consommables. C'est une pression supplémentaire sur des budgets déjà contraints par l'inflation...
Cette proposition de loi vise à prolonger la dérogation introduite par Frédérique Puissat dans la loi de 2022 sur le pouvoir d'achat, grâce à laquelle 5,4 millions de salariés ont pu utiliser des titres-restaurant pour acheter des pâtes, des fruits et légumes ou de la viande... Près de 96 % des bénéficiaires de titres-restaurant soutiennent cette mesure.
Si l'inflation a ralenti, les prix alimentaires continuent de peser lourdement sur le budget de nombreux ménages. Prolongeons une mesure qui soutient le pouvoir d'achat et encourage une alimentation saine en permettant aux bénéficiaires de titres-restaurant de cuisiner plutôt que d'acheter des produits transformés, qui représentent un tiers de nos apports caloriques et sont à l'origine de nombreuses maladies chroniques. Certes, cette dérogation occasionne un manque à gagner pour les restaurateurs ; mais elle répond à une situation exceptionnelle, dont il résulte aussi que de nombreux Français n'ont plus les moyens de se payer un repas quotidien au restaurant.
Il faut une réforme structurelle des titres-restaurant, dont le nom même ne correspond plus aux pratiques et aux besoins des salariés. Les titres-restaurant doivent s'adapter à l'essor du télétravail, aux changements des habitudes alimentaires, mais aussi aux spécificités du monde rural. Le gouvernement Attal avait lancé les concertations en 2024, puis le gouvernement Barnier avait affirmé que celles-ci débuteraient en 2025. Elles doivent désormais aboutir !
Toutefois, je ne suis pas convaincue qu'une période d'un an soit suffisante pour y parvenir. C'est pourquoi notre groupe défend une prolongation jusqu'à 2026, conforme au vote des députés : ainsi, la mesure entrerait en vigueur immédiatement.
La censure du gouvernement Barnier a laissé des millions de Français sans solution et fait naître un flou sur la possibilité même d'utiliser les titres-restaurant en supermarché. Cette proposition de loi est juste et nécessaire, le RDSE lui apporte tout son soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.) Comme Mme Borne, je lis le texte de quelqu'un d'autre : en l'occurrence, celui de Mme Nadia Sollogoub, empêchée.
Certains dispositifs, bien que peu médiatisés, revêtent une grande importance : ainsi des titres-restaurant, dont le fonctionnement est simple, trop simple peut-être. Après la crise sanitaire, le Gouvernement a décidé d'en modifier les paramètres. La loi a assoupli le fonctionnement de manière expérimentale, mais le dispositif a perdu en lisibilité.
À l'origine droit social accordé aux salariés, le titre-restaurant peut, depuis 2022, être utilisé pour acheter des produits alimentaires, ce qui a parfois été perçu comme une dérive vers un chèque alimentation. Cependant, certains salariés font valoir que, faute de restaurants en milieu rural ou en raison de préférences alimentaires, faire ses courses pour préparer son déjeuner est conforme à l'objectif initial du dispositif.
Le monde du travail a beaucoup évolué depuis la création du titre-restaurant. Certains salariés préfèrent la journée continue, d'autres profitent de la pause méridienne pour faire du sport. Nous sommes tous attachés à nos restaurateurs, mais revenir à une utilisation stricte du titre-restaurant est-il le bon levier ? Ce serait une dérive des droits accordés aux travailleurs ; il faut clarifier la situation, trop confuse.
En décembre dernier, la commission des affaires sociales a adopté un amendement prolongeant l'expérimentation jusqu'au 31 décembre 2025, afin de faciliter la concertation, avec les syndicats notamment. Cependant, la censure a compromis le calendrier. Deux options s'offrent à nous : maintenir l'échéance de 2025, au prix d'une navette chronophage (Mme Véronique Louwagie le confirme), ou adopter le texte conforme pour faciliter la vie des salariés.
Ni les opérateurs ni les utilisateurs ne savent comment doit être utilisé le titre-restaurant. Chaque jour qui passe épaissit le brouillard. Le groupe UC, pragmatique, est favorable à retenir l'échéance de 2026, pour plus de simplicité et d'opérationnalité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Philippe Mouiller et Mme Marie-Do Aeschlimann applaudissent également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - En 2022, la loi Pouvoir d'achat a autorisé l'utilisation des titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire, directement consommable ou non. Depuis, le Parlement est régulièrement amené à prolonger cette dérogation.
Depuis trois ans, notre débat est le même : les titres-restaurant ne doivent pas se transformer durablement en chèques alimentaires, mais les salariés doivent pouvoir les utiliser pour l'achat de tout produit alimentaire.
Depuis trois ans, le problème de fond réside dans l'absence d'indexation des salaires sur l'inflation. Selon l'association Familles rurales, les prix de l'alimentation ont augmenté en 2023 de 11,9 %, contre seulement 4 % pour les salaires. Les titres-restaurant ne doivent pas devenir un outil de rémunération complémentaire. Ils ne sont qu'une solution pour les salariés ne disposant pas de restauration collective.
Certes, l'inflation est moindre en 2024 qu'en 2023, mais les prix de l'alimentation ont explosé : plus 20 % pour la viande, plus 10 % pour le poisson, plus 26 % pour les produits laitiers depuis 2022. Globalement, c'est une augmentation de 24 % pour l'ensemble des produits visés par la proposition de loi.
Prolonger la dérogation pour un an au lieu de deux, comme souhaitait la droite sénatoriale, ne satisfait personne : le Gouvernement doit prendre ses responsabilités et réformer les titres-restaurant, alors que l'État prend à sa charge un tiers de la part patronale de ces titres, ce qui représente un manque à gagner de 1,5 milliard d'euros pour l'État et la sécurité sociale.
Nous ne pouvons continuer d'enrichir les plateformes ubérisées de livraison de repas avec de l'argent public. Une réflexion doit s'engager au sein de la commission nationale des titres-restaurant.
Le sujet central reste l'augmentation des salaires, dont le décrochage a plongé de nombreux ménages dans la précarité alimentaire. C'est pourquoi notre groupe a déposé une proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation, que nous vous invitons à voter le 20 février prochain.
Le groupe CRCE-K votera ce texte, comme nous l'avons fait depuis trois ans, mais nous conditionnerons nos votes futurs à l'organisation d'une véritable négociation avec les partenaires sociaux sur la réforme des titres-restaurant. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Cela devient un rituel : chaque année, nous prolongeons la dérogation sur l'utilisation des titres-restaurant, alors qu'un décret a été adopté en catimini, portant le plafond à 25 euros. Combien de prorogations encore, alors qu'il faudrait une réforme globale ?
La première dérogation avait été approuvée par l'ensemble des collèges de la CNTR, afin que les travailleurs ne perdent pas leurs droits. Mais, depuis, quatre d'entre eux mettent en garde sur les conséquences délétères de cette dérogation qui fait du titre-restaurant, que nous devrions rebaptiser le « ticket pause déjeuner », un substitut de salaire, et ne justifie plus qu'il soit exempt de cotisations fiscales et sociales, comme le rappelle la Cour des comptes.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Elle n'a pas tort.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Quoiqu'en dise le Gouvernement, la crise du pouvoir d'achat des salariés reste d'actualité. Cette prolongation est un aveu d'échec. La précarité alimentaire est passée de 9 à 16 % entre 2016 et 2022, selon le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). C'est pourquoi nous appelons à la création d'une sécurité sociale alimentaire.
La France connaît une déflation salariale et le nombre de travailleurs pauvres augmente. Ne demandons pas aux titres-restaurant de compléter un salaire insuffisant. L'industrie alimentaire a gonflé ses marges de 28 à 48 % entre 2021 et 2023. La prolongation du dispositif favorise les entreprises spéculatrices. Elle livre une part du marché aux grandes surfaces, au détriment des restaurateurs et des commerces de proximité. Les titres-restaurant serviront de moins en moins à financer un repas durant la pause méridienne.
Sur les 100 000 emplois générés par les titres-restaurant, 80 % se concentrent dans le secteur de la restauration, mais ces emplois sont menacés et des défaillances ne sont pas à exclure. Les titres-restaurant représentent 15 % du chiffre d'affaires des restaurateurs, contre seulement 1 % du chiffre d'affaires des grandes et moyennes surfaces.
Certes, l'objectif premier du titre-restaurant n'est pas de soutenir un secteur d'activité mais de protéger la pause méridienne du salarié - ce qui relève plus du secteur de la restauration que des courses hebdomadaires au supermarché...
Si le GEST ne s'oppose pas à une nouvelle dérogation pour 2025 - c'était d'ailleurs la position de la commission avant son revirement -, c'est pour favoriser les négociations entre les acteurs en vue d'adapter le dispositif. Les pistes ne manquent pas pour faire respecter l'objectif social des titres-restaurant.
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'usage élargi des titres-restaurants a un impact indéniable sur leur utilisation : en 2024, 2,9 milliards de titres ont été utilisés dans les seules grandes surfaces.
Cette dérogation, issue de la loi Pouvoir d'achat, visait à limiter les conséquences de l'inflation sur les salariés. Mais il faut apporter une réponse plus structurée et pérenne. Pourquoi prolonger une mesure d'urgence, sans proposer de solution globale ? Il faut mieux évaluer l'adéquation entre le niveau de salaire et le pouvoir d'achat qu'il octroie.
Le mal-être des travailleurs, nourri par les politiques des gouvernements successifs du président Macron (M. Xavier Iacovelli proteste), ne pourra être résolu par des solutions aussi temporaires et fragmentées. En 2024, le Gouvernement aurait dû mettre en oeuvre des mesures de soutien du pouvoir d'achat. Il n'en a rien été.
Initialement, les tickets-restaurant devaient donner accès à un repas équilibré en l'absence de restaurant d'entreprise. Ce n'est pas ainsi que nous résoudrons les problèmes de pouvoir d'achat. La solution, c'est l'indexation des salaires sur l'inflation, comme le propose le groupe CRCE-K !
Il faut aussi évaluer l'impact sur les restaurateurs, qui proposent souvent une alimentation moins transformée et plus diverse : selon l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), cette dérogation signifie 800 millions d'euros de manque à gagner. En 2023, sur les 14 milliards de titres-restaurant distribués, 8,6 milliards ont été utilisés dans la restauration, 2,9 milliards dans les grandes surfaces et 2,5 milliards dans les commerces de proximité, dont les boulangeries.
Faute de mieux, nous pensions proposer un amendement prolongeant la dérogation d'un an et non de deux, en attendant de réelles mesures sur le pouvoir d'achat. Nous nous satisfaisons de l'amendement de la rapporteure, que je remercie.
Rappelons que les salariés des petites entreprises n'ont pas accès aux titres-restaurant.
Les règles d'utilisation sont ambiguës - valeur maximale, modalités d'attribution, exonération fiscale... Le dispositif est compliqué à comprendre et à appliquer ; il faut harmoniser les règles.
Les titres-restaurant pourraient promouvoir une alimentation plus équilibrée et plus saine. De même que la loi Égalim a fixé un objectif de 20 % de produits biologiques dans la restauration collective, les titres-restaurant pourraient inciter à de meilleurs comportements afin d'éviter des problèmes de santé, maladies cardiovasculaires ou diabète, qui affectent la qualité de vie et la longévité professionnelle des travailleurs.
Cela soutiendrait également l'agriculture et limiterait l'impact environnemental. En repensant les titres-restaurant, nous pourrions promouvoir les pratiques alimentaires durables et responsables.
Sortons de la logique de dérogation. Le titre-restaurant doit retrouver sa vocation originelle, mais dans un cadre rénové.
Nous étions favorables au report d'un an, en espérant que la négociation aboutisse rapidement. Nous sommes surpris de la reconduction pour deux ans. Gare à la pérennisation larvée. Étudions au plus vite les propositions des acteurs et l'élargissement à un plus grand nombre de salariés. Si le délai de deux ans permet une adaptation du dispositif, nous ne nous y opposerons pas, à condition qu'il y ait une véritable concertation avec l'ensemble des professionnels. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. - Les interventions montrent qu'une réforme globale du dispositif est souhaitée par tous. J'entends poursuivre très vite les travaux engagés par mes prédécesseurs. Si le Sénat vote ce texte dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, je procéderai à des concertations réunissant tous les acteurs.
Le 31 décembre 2026 est une date butoir. Nous pourrions aboutir avant et j'espère pouvoir proposer des pistes dès l'été, notamment pour que les parties puissent se préparer à d'éventuelles adaptations.
Discussion de l'article unique
Avant l'article unique
L'amendement n°1 rectifié n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié bis, de M. Joyandet et alii.
M. Alain Joyandet. - Remettons un peu d'équité et de bon sens dans le système. Les titres-restaurant ne sont utilisés qu'à 34 % dans les restaurants. Sans remettre en cause la dérogation pour acheter des produits de consommation courante, nous proposons de déplafonner l'utilisation des titres dans les restaurants afin que ces derniers puissent accroître leur chiffre d'affaires.
Redonnons aussi aux consommateurs la liberté d'utiliser les titres-restaurant comme ils le souhaitent. J'entends qu'il faut aller vite et voter conforme, mais prenons le temps d'une commission mixte paritaire (CMP) pour octroyer plus de justice et de liberté à nos concitoyens.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement vise à supprimer tout plafond dans les restaurants afin de soutenir la filière et à octroyer plus de souplesse aux salariés. Toutefois, son adoption empêcherait un vote conforme.
Le plafond d'utilisation de 25 euros permet à un salarié de s'alimenter correctement, même en région parisienne où les prix sont plus élevés. Il faudrait une concertation avec l'ensemble des acteurs pour le modifier.
Selon le Conseil d'État, le déplafonnement total fait peser un risque de rupture d'égalité entre les commerces et les restaurateurs.
Avis défavorable.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. - Vous proposez un double plafond. Cela pose un risque juridique : les Français ne pourraient pas utiliser de la même façon leurs titres-restaurant dans un restaurant ou un supermarché. Or, dans les deux cas, il s'agit de leur argent. Cela pose un problème de rupture d'égalité devant la loi.
Introduire deux plafonds n'est pas gage de simplification.
Enfin, il y a un risque de dévoiement : on pourrait accumuler les titres-restaurant et payer une addition élevée lors d'une sortie familiale, ce qui contrevient à l'objectif de financer les dépenses de restaurant du quotidien.
Ces questions seront examinées lors de la concertation. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cet amendement ne correspond pas à une demande des restaurateurs, qui réalisent 15 % de leur chiffre d'affaires grâce aux titres-restaurant, surtout le midi. Ceux qui proposent une offre méridienne, à La Défense ou à La Part-Dieu, ne souhaitent pas voir les titres-restaurant leur échapper pour être utilisés un soir chez Bocuse ! Les restaurateurs souhaitent que les titres-restaurant soient calculés sur le prix moyen d'un repas au restaurant, et aller au-delà du plafond actuel de 10 euros.
L'objet social des titres-restaurant n'est pas de s'offrir un restaurant, mais d'avoir une pause méridienne. Je voterai contre cet amendement.
M. Alain Joyandet. - Je comprends que le Gouvernement s'engage à ce que ma proposition soit évoquée lors de la concertation.
Aller au restaurant, c'est favoriser l'économie locale et les circuits courts, donc l'écologie. Donnons de la liberté aux gens.
J'entends le risque juridique du double plafond. La solution serait peut-être d'élever tous les plafonds. Le passage d'un an à deux ans m'inquiète.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Tout à fait !
M. Alain Joyandet. - Soit le Gouvernement veut agir vite, soit il veut prolonger le dispositif de deux ans !
Mais, discipliné, au nom de l'intérêt général, je retire mon amendement.
L'amendement n°5 rectifié bis est retiré.
Article unique
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Le Gouvernement souhaite un vote conforme. Mais, au Sénat, nous aimons apporter notre valeur ajoutée, car nous menons un travail de fond. La rapporteure a proposé une prolongation d'un an dans son rapport. Retenir deux ans, c'est pérenniser le dispositif sans le dire. Restons-en à un an.
Le titre-restaurant a toujours évolué avec la situation : le plafond a été porté à 38 euros pendant le covid, puis on a tenu compte de l'inflation, avec la proposition de Mme Puissat. Le pic est désormais derrière nous.
Romain Vidal propose un double plafond journalier. Pour deux tranches de jambon, des carottes râpées et un yaourt, on n'en a pas pour plus de 10 euros. Aussi, le plafond pourrait s'élever à 15 euros pour les grandes surfaces et à 25 euros pour la restauration.
Le Sénat s'honorerait à voter un report d'un an seulement.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales . - Madame la ministre, vous pouvez constater que le Sénat est globalement favorable à cette initiative, même si le sujet de la pérennisation du dispositif reste sur la table. Nous voulons que la question soit tranchée. Nous préférons une prolongation d'un an, mais sommes pris par l'urgence.
En effet, il y a incohérence à prolonger de deux ans quand on veut réformer rapidement. Mais nous devons répondre à l'inquiétude de nombreux Français, après que la censure a mis un terme au dispositif.
Nous attendons un engagement clair en faveur d'une réforme. Le système doit être non plus dérogatoire, mais pérenne.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - La proposition de loi initiale prévoyait une dérogation d'un an, jusqu'au 31 décembre 2025. L'Assemblée nationale en a décidé autrement.
Nous pouvons aller plus vite, sans attendre le 31 décembre 2026. Cela dit, il faut laisser du temps à la concertation, même si des travaux ont déjà été conduits par Olivia Grégoire et Laurence Garnier. Dès la semaine prochaine, je réunirai les acteurs. Toutes les propositions pourront être mises sur la table, dont celle de M. Joyandet.
Je m'engagerai sur une feuille de route dès cet été, afin de conclure en 2025 si possible, mais je ne veux pas mettre de pression sur les différents acteurs, qui peuvent avoir besoin de temps.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié de Mme Guillotin et alii.
Mme Véronique Guillotin. - Nous aurions dû débattre de cette proposition de loi le 15 décembre, mais l'ajournement des travaux parlementaires en a décidé autrement. D'où le flou autour de la possibilité d'utiliser les titres-restaurant au supermarché.
Une prolongation de deux ans garantirait une rédaction conforme à celle de l'Assemblée nationale et donc une entrée en vigueur rapide.
Autant laisser du temps aux acteurs pour mettre en place un vrai travail de fond.
Les modes de vie ont résolument changé depuis 1967. Le titre-restaurant permet d'acheter des plats préparés. On part du principe que le menu est plus équilibré au restaurant, mais ce n'est pas toujours le cas. Les jeunes générations aiment aussi cuisiner elles-mêmes.
Mme la présidente. - Amendement identique n°3 rectifié quater de Mme Sollogoub et alii.
M. Olivier Henno. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°4 de M. Iacovelli et du RDPI.
M. Xavier Iacovelli. - Donnons le temps au Gouvernement de mener les discussions avec les parties prenantes - d'autant que les travaux ont déjà été engagés. La ministre s'est engagée à réaliser un point d'étape cet été.
La dérogation proposée par Mme Puissat en 2023 demeure nécessaire.
Les modes de consommation ont changé. Affirmer que le restaurant serait gage de qualité alimentaire, contrairement aux produits non transformés, me gêne. Il est possible d'utiliser les titres-restaurant dans les fast-foods ; pas sûr que ces derniers offrent des plats plus équilibrés que des carottes achetées au supermarché...
Surtout, votons un texte conforme pour sortir du flou né de la censure du gouvernement Barnier.
M. Alain Joyandet. - C'est totalement contradictoire !
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Fin 2024, il y avait un consensus au Sénat sur le report d'un an, suffisant pour donner au ministre le temps de mener la réforme.
Je remercie les groupes qui cheminent avec nous.
La situation actuelle est floue : certaines enseignes de la grande et moyenne surface ont reparamétré leurs caisses, d'autres non ; les salariés ne savent pas ce qu'ils peuvent acheter ni jusqu'à quand.
Le Sénat, dans sa sagesse, essaie d'en sortir par le haut.
Madame la ministre, vous vous engagez à avancer rapidement, même si nous comprenons bien que vous ne souhaitez pas vous mettre dans un étau.
Cette prolongation de deux ans montre la volonté de certains groupes d'avancer.
Privilégions un vote conforme : sagesse.
Je remercie les acteurs qui se sont rendus disponibles pour participer aux auditions et salue tout particulièrement le président Mouiller.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. - Avis favorable.
L'adoption de ces amendements permettrait un vote conforme. (M. Alain Joyandet proteste.) Le flou est inconfortable pour les restaurateurs, les épiceries et la grande distribution.
Je remercie la rapporteure, dont je connais la position, ainsi que les sénateurs qui acceptent un vote conforme. D'ici quelques jours, nous clarifierons la situation pour les six millions d'utilisateurs de titres-restaurant.
Je le répète : le 31 décembre 2026 est une date butoir. Je reviendrai devant vous pour vous présenter la réforme, très attendue.
Merci pour cet avis de sagesse.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le débat sur la durée de la prolongation n'a pas lieu d'être : il faut surtout adapter l'usage des titres-restaurant aux nouvelles réalités du monde du travail.
On nous refait le chantage au vote conforme ! La commission a voulu résister. On évoquait une CMP rapide avant le 31 décembre. Pourquoi ne serait-ce plus possible aujourd'hui ?
Il faut que la Cour des comptes participe à la concertation.
À la demande du GEST, les amendements identiques nos2 rectifié, 3 rectifié quater et 4, sont mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°150 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 221 |
Contre | 117 |
Les amendements identiques nos2 rectifié, 3 rectifié quater et 4 sont adoptés.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Cela s'est joué à peu !
Mme Frédérique Puissat. - Je remercie notre rapporteure Marie-Do Aeschlimann qui a su s'adapter à un contexte particulier. Je remercie aussi Bertrand Converso, chef d'entreprise isérois à l'initiative de cette mesure.
Merci à Mme la ministre. Le texte de loi est prêt, Olivia Grégoire et Laurence Garnier l'ont préparé. La dissolution et la censure nous ont fait perdre beaucoup de temps. Il pourra être présenté rapidement, car un grand travail de concertation a déjà été mené.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La proposition de loi est définitivement adoptée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. - Je vous remercie pour ce vote conforme grâce auquel près de six millions de salariés retrouveront la sécurité juridique lorsqu'ils utiliseront un titre-restaurant.
Je remercie la rapporteure, qui a fait évoluer sa position. Je remercie également le président Mouiller, ainsi que mes prédécesseurs, Olivia Grégoire et Laurence Garnier. Je reprendrai les concertations qu'elles ont menées.
Merci également à Madame Puissat, car vous êtes à l'origine de ce débat. La future réforme trouve son origine dans la dérogation que vous avez défendue.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Je remercie notre rapporteur Marie-Do Aeschlimann ainsi que nos services. Madame la ministre, il était urgent d'intervenir, et vous avez adopté une démarche dynamique. Nous avons entendu votre engagement, nous comptons sur vous.
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Lors de sa séance du mardi 14 janvier, le Sénat a inscrit, à la demande de la commission des lois, la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants, à la suite de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, à l'ordre du jour des mardi 28, mercredi 29, jeudi 30 et, éventuellement, vendredi 31 janvier. Le scrutin public solennel se tiendra le mardi 4 février 2025, en même temps que celui sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Il en est ainsi décidé.
Présidence de M. Alain Marc, vice-président
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
Inadaptation de mesures nationales aux exploitations de polyculture élevage
M. Raphaël Daubet . - De nombreuses mesures nationales sont inadaptées aux exploitations de polyculture-élevage. La France, mosaïque agricole exceptionnelle, est façonnée par la diversité de ses sols, de ses reliefs et de ses terroirs, qui s'exprime au travers de modèles agricoles variés et complexes. Le modèle de polyculture-élevage, qui combine différentes productions au sein d'une même exploitation, est une réponse concrète aux enjeux de l'agroécologie et réduit significativement l'usage d'intrants. Dans le Lot, des exploitations associent ainsi production de noix, asperges et élevage ovin.
Pourtant, un paradoxe persiste : ces exploitations se heurtent systématiquement à des obstacles administratifs en raison de leur non-spécialisation, situation critique lors de l'activation des fonds d'urgence et des dispositifs de crise, où leur polyvalence devient un handicap plutôt qu'un atout.
Assurons un traitement plus équitable à ces exploitations agricoles dont le modèle mérite d'être protégé plutôt que pénalisé. Comment adapterez-vous nos dispositifs de soutien à leur réalité plurielle ?
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Le secteur agricole est confronté depuis plusieurs années à diverses crises climatiques, sanitaires ou économiques. Or nous avons besoin d'une agriculture forte, productive et résiliente. La diversification, très importante, est un facteur de résilience.
L'État finance des plans d'investissement pour adapter l'agriculture au changement climatique, comme France 2030 et la planification écologique. La complémentarité des exploitations de polyculture-élevage est très importante.
Au-delà des mesures structurelles et de la réforme de l'assurance récolte, l'État apporte aussi un soutien économique, avec la compensation des pertes dues à l'influenza aviaire ou à la fièvre catarrhale ovine (FCO). Face aux crises multiples et répétitives, nous avons mis en place un soutien exceptionnel à la trésorerie de court ou long terme, sans aucun critère de spécialisation.
En revanche, pour soutenir des filières spécifiques rencontrant de sévères difficultés, il est impératif, juridiquement et budgétairement, de cibler l'intervention sur les exploitations avec des niveaux de perte minimum qui justifient l'intervention de l'État et avec un seuil de spécialisation.
Au demeurant, la diversification des productions, stratégique, permet à l'entreprise de gagner en résilience. Nous apporterons des réponses rapides parce que l'équilibre de ces exploitations est précieux pour toute notre agriculture, et les aiderons dans leurs adaptations structurelles lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole.
Dispositif « Rebond Industriel » et avenir des Papeteries de Condat
Mme Marie-Claude Varaillas . - Les Papeteries de Condat, au Lardin-Saint-Lazare, en Dordogne, représentent plus d'un siècle d'histoire industrielle de savoir-faire du papier couché double face. Détenues par le groupe Lecta et ayant compté jusqu'à 1 200 salariés, elles subissent la baisse de la demande et ont reçu 33 millions d'euros d'aides de la région Nouvelle-Aquitaine et de l'État, dont une aide importante de l'Ademe pour leur chaudière biomasse.
En 2023, Lecta a annoncé la fermeture d'une de ses deux lignes de production, provoquant une perte de 174 emplois sur 420 et de 1 500 emplois induits, et souhaite transférer cette ligne sur le site de Garda en Italie : en 2023, le groupe a produit 45 000 tonnes de papier, essentiellement sur ses sites espagnol et italien, et seulement 9 700 tonnes à Condat.
La production de la seconde ligne, spécialisée dans la glassine, un papier utilisé notamment pour les étiquettes, est annoncée pour 2025 à environ 80 000 tonnes, alors qu'il faudrait 140 000 tonnes pour atteindre l'équilibre financier. Pire, cette glassine de Condat est vendue à 1 400 euros la tonne contre un prix de 1 800 euros, en moyenne, sur le marché. Cela interroge sur la viabilité économique du site.
En 2023, le ministre a rencontré sur place élus et personnels afin de mettre en place le dispositif Rebond. Malgré ce dispositif, 58 salariés sur 105 sont au chômage et les 197 encore en poste s'inquiètent de leur avenir face à une activité en dents de scie, avec des arrêts fréquents et une stratégie industrielle peu lisible.
Alors que l'État souhaite reconquérir notre souveraineté industrielle, le nouveau ministre de l'industrie doit venir sur place. Il y va de notre responsabilité collective d'agir pour redonner un avenir à ce site et au bassin d'emplois.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - L'entreprise a engagé un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) fin 2023, supprimant ainsi 171 emplois.
Les services de l'État veillent au respect des obligations d'accompagnement et de reclassement prévues dans le PSE, et ont initié une mission Rebond industriel. Ils ont validé le PSE le 30 octobre 2023. Le bilan est encourageant : près d'une soixantaine de salariés ont une solution de reclassement concrétisée, 51 d'entre eux ont bénéficié des mesures d'âge prévues dans le PSE ou d'une retraite, et les autres salariés bénéficient d'un accompagnement du cabinet LHH.
De nombreux projets territoriaux ont été soutenus par la mission Rebond : 150 emplois seront créés, renforçant le tissu économique local dans le Périgord noir et prioritairement autour du Lardin-Saint-Lazare et de Terrasson. Une quarantaine d'entreprises a été accompagnée. Le comité de pilotage du 24 janvier confirmera les perspectives en matière d'emploi.
La situation de Lecta reste fragile. L'entreprise a adapté sa stratégie et procédé à une recapitalisation via l'actionnaire. Dans ce contexte, les services de l'État ont décidé de ne pas remettre en cause la subvention de 14 millions d'euros versée par l'Ademe en 2020 pour l'installation d'une chaudière biomasse opérationnelle depuis le mois de septembre. Le ministre Ferracci et ses services restent particulièrement attentifs à l'avenir de cette entreprise, ainsi qu'à l'avenir industriel du territoire.
Gestion de la taxe d'aménagement
M. Jean-Baptiste Blanc . - La loi de finances pour 2021 devait simplifier la gestion de la taxe d'aménagement, en la transférant des directions départementales des territoires (DDT) à la DGFiP. Or cette réforme a engendré de graves dysfonctionnements.
Depuis le 1er septembre 2022, aucune commune n'a perçu la taxe d'aménagement issue des nouvelles autorisations d'urbanisme, mais seulement les reliquats du système antérieur, toujours en cours de clôture. Ce décalage crée une pression budgétaire croissante qui menace les finances des collectivités. Le blocage est en partie lié au fait que la taxe n'est désormais exigible qu'à l'achèvement des travaux, sur déclaration volontaire des contribuables, ce qui impose une vérification supplémentaire.
En outre, de sérieuses inquiétudes pèsent sur la fiabilité de l'outil de gestion GMBI de la DGFiP. Au 31 décembre 2023, seulement 1 576 dossiers d'autorisation d'urbanisme postérieurs au 1er septembre 2022 avaient été traités à l'échelle nationale, alors que le nombre de constructions annuelles de logements en France est de 300 000 à 400 000.
Quelles mesures concrètes le Gouvernement envisage-t-il pour remédier aux faiblesses de ce système ?
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Le transfert de la gestion de la taxe des DDT à la DGFiP avait pour objet d'unifier les obligations déclaratives fiscales en matière foncière et d'urbanisme. Un système d'acompte a été créé pour neutraliser les effets du décalage de l'exigibilité de la taxe.
Les délais de traitement sont optimisés par la dématérialisation.
La réforme a suscité des interrogations des usagers et abouti à des erreurs déclaratives qui ont freiné la liquidation des taxes. La vérification préalable réalisée par la DGFiP a pu ralentir les paiements. Mais le Gouvernement est conscient des difficultés et la DGFiP est pleinement mobilisée pour stabiliser, en 2025, la gestion de la liquidation de la taxe.
Je précise toutefois que les dysfonctionnements n'ont pas tari le flux des taxes perçues par les collectivités territoriales. Enfin, l'émission des acomptes a débuté en octobre 2024.
Gare routière de Paris Bercy-Seine
M. Franck Dhersin . - En septembre 2023, sans concertation, ni étude d'impact préalable, ni alternative, la mairie de Paris a annoncé la fermeture de la gare routière de Bercy-Seine. Il s'agit pourtant de la plus importante du pays. Elle accueille chaque année plusieurs millions de passagers des fameux cars Macron, ou services librement organisés (SLO).
En juillet 2024, l'Autorité de régulation des transports (ART) a publié un rapport qui établit clairement que cette gare est une infrastructure essentielle et qu'il ne faut pas la fermer tant qu'aucune autre solution n'est opérationnelle. La ville de Saint-Denis s'est récemment portée volontaire pour construire la plus grande gare routière d'Europe, mais ce projet prendra plusieurs années et devra être soutenu par l'État. En attendant, il faut maintenir la gare routière de Bercy-Seine et utiliser enfin les millions d'euros payés chaque année par les opérateurs pour la rénover, améliorer le service et limiter les nuisances.
Une mission travaille sur les conditions d'un déménagement de la gare. Comment s'assurer que la mairie de Paris ne précipitera pas sa fermeture tant qu'aucune solution n'est trouvée ?
La France doit se doter de gares routières de qualité.
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - J'aurais pu moi-même poser cette question il y a quelques jours.
Les SLO ont accueilli 15 millions de passagers en 2023. La gare routière de Bercy-Seine est un équipement majeur, qui reçoit chaque année 4,7 millions de passagers. Mes prédécesseurs ont porté une attention particulière au projet d'évolution du site, dont la mairie de Paris est propriétaire.
L'ART a proposé plusieurs scénarios en juillet 2024 et recommandé la mise en place d'une gouvernance locale à ce sujet.
Mon prédécesseur a créé un comité de pilotage afin de déterminer les schémas d'accueil des cars longue distance en Île-de-France en tenant compte des contraintes des collectivités et autres parties prenantes. Ce comité s'est réuni pour la première fois le 12 décembre, dans un esprit de consensus.
L'avancement des travaux devra être présenté en mars. Je propose de vous associer à cette démarche.
Train de nuit Paris - Bourg-Saint-Maurice
Mme Martine Berthet . - La disparition, en octobre 2016, du train de nuit entre Paris et Bourg-Saint-Maurice pèse sur l'accessibilité des régions de montagne. Les liaisons en TGV sont souvent saturées, notamment pendant les vacances ; en outre, les tarifs sont dissuasifs.
L'offre ferroviaire en Savoie doit être adaptée en vue de l'accueil des jeux Olympiques d'hiver en 2030. Or près de 89 % des Français privilégient la voiture pour se rendre en montagne : à l'heure de la transition écologique, les territoires de montagne ne peuvent pas rester dépendants du transport routier et aérien !
Relancer les trains de nuit est une alternative crédible, d'autant plus importante qu'elle favoriserait le tourisme. Elle répondrait également aux attentes des familles et des jeunes citadins, qui souhaitent s'évader des métropoles pour profiter d'un week-end en montagne.
Cela s'inscrirait dans la suite des ambitions présidentielles de 2020 d'ouvrir une dizaine de lignes de trains de nuit d'ici 2030, et des engagements des gouvernements successifs.
La desserte par le train de nuit de nos territoires de montagne sera-t-elle relancée dans des délais raisonnables avant les Jeux de 2030 ?
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - La relance des trains de nuit suppose des investissements, c'est-à-dire du temps et de l'argent. Avec cinq lignes, la France fait partie des pays qui ont le plus développé cette offre de transport en Europe.
En vue des jeux Olympiques de 2030, les lignes Paris-Briançon et Paris-Nice feront l'objet d'une attention particulière. Une procédure de renouvellement du matériel sera lancée prochainement pour 180 voitures et près de 30 locomotives ; l'extension à d'autres lignes, dont la vôtre, pourra être étudiée. À moyen terme, je souhaite débattre de la poursuite du train de nuit.
J'en profite pour vous annoncer officiellement que le chantier de la Maurienne, que vous attendez depuis longtemps, sera livré au mois de mars. (Mme Martine Berthet s'en félicite.)
Lignes ferroviaires des Pyrénées-Atlantiques
Mme Denise Saint-Pé . - Entre le 22 et le 23 novembre 2024, deux trains, un TER reliant Hendaye à Bordeaux et un TGV reliant Tarbes à Paris, ont été immobilisés dans les Landes pendant plus de neuf heures en raison d'une rupture de caténaire. Près d'un millier de passagers ont été bloqués dans la nuit et le froid. Cela illustre la vulnérabilité d'une infrastructure ferroviaire largement dépassée, notamment au sud de Dax.
Depuis plusieurs années, je dénonce cette dégradation préoccupante. La croissance continue du nombre de passagers rend une modernisation incontournable. Il est inopportun de reporter ces travaux en attendant la concrétisation de projets à plus long terme, tels que le RER basco-landais. Ces projets ne verront pas le jour avant plusieurs années ; or moderniser les lignes actuelles aurait des bénéfices tangibles et rapides. Pouvez-vous clarifier les intentions du Gouvernement en la matière, afin de donner aux Béarnais et aux Basques l'espoir qu'ils ne seront plus enclavés ?
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - Je me bats depuis des années en faveur de la modernisation des lignes ferroviaires.
En dix ans, SNCF Réseau a investi plus de 300 millions d'euros dans la régénération des voies dans votre région. Au printemps dernier, le président de SNCF Réseau a annoncé un effort de 200 millions d'euros sur la ligne Pau-Dax-Bordeaux d'ici 2030, afin de parachever le programme de régénération, notamment en complétant le renouvellement de la ligne Ychoux-Puyoô. D'autres chantiers seront engagés, tel le renouvellement, prévu entre 2025 et 2031, de la caténaire historique « Midi » par une autre, plus moderne, entre Dax et Bayonne, pour 190 millions d'euros.
Le financement des mobilités sera au coeur de la prochaine conférence des mobilités.
La qualité du service des usagers sera l'une de mes priorités.
Difficultés des maires en matière d'assurance
Mme Nadège Havet . - « C'est de plus en plus difficile » : dans le Finistère, les communes ont du mal à s'assurer.
Ce titre d'un article de jeudi dernier d'Ici, anciennement France Bleu, résume parfaitement la situation. C'est un sujet central pour toutes les communes de France, qui subissent une hausse des sinistres en raison des aléas climatiques. Les compagnies d'assurance qui répondent aux appels d'offres des collectivités se font de plus en plus rares et ont pris des mesures pénalisantes : augmentation des primes, réduction du périmètre de couverture, non-reconduction des contrats.
À Pleuven, l'assureur a rompu son contrat après la tempête Ciaran. À Plouzané, les primes ont augmenté de 462 % en deux ans. Pour la communauté d'agglomération du Pays de Landerneau-Daoulas, la franchise a explosé, passant de 1 500 euros à 100 000 euros, et 5 des 22 communes n'ont pas trouvé d'assureur.
Une mission a été confiée au maire de Vesoul, Alain Chrétien, et à l'ancien président de Groupama, Jean-Yves Dagès, qui ont proposé un dispositif de mutualisation du risque social exceptionnel. Que compte faire le Gouvernement ?
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - Je connais bien cette problématique, prégnante dans la vallée de la Roya.
Le Gouvernement est attentif à ce que chaque collectivité puisse trouver une solution. Certains assureurs se sont retirés, tandis que la sinistralité augmente. Les dispositifs de l'État ont fait leurs preuves, comme le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM).
En septembre 2023, un accord a été conclu avec les assureurs, pour qu'ils mettent en place un système de médiation. Plusieurs propositions de la mission de MM. Chrétien et Dagès rejoignent les recommandations du rapport de M. Husson. Il convient de dynamiser le marché assurantiel tout en veillant à sa bonne régulation. Nous avons lancé des travaux avec les assureurs pour faciliter la passation de marchés publics, et le Gouvernement annoncera très prochainement des actions concrètes. Chaque collectivité pourra ainsi trouver une solution d'assurance adaptée.
Évaluation de l'expérimentation de l'entreprise d'insertion par le travail indépendant (EITI)
Mme Antoinette Guhl . - En 2018, les entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI) ont acquis à titre expérimental le statut de structure d'insertion ; depuis, aucune évaluation. Or ce statut a été validé par un arrêté du 2 janvier 2025 : c'est un scandale !
Les EITI proposent à des personnes en grande précarité de travailler sous le statut d'autoentrepreneur, au même titre que les plateformes, les privant de droits essentiels : pas de protection en cas d'accident, pas d'indemnisation chômage ni de droits à la retraite décents. En revanche, il existe bel et bien un prélèvement de 25 % sur les prestations rendues par des personnes en insertion, comme pour Uber !
Depuis 2020, 100 millions d'euros ont été dépensés dans ce modèle économique qui précarise, sans aucune évaluation : ce n'est pas digne de l'État en cette période de crise budgétaire. Ces entreprises n'assurent pas une insertion professionnelle durable, mais encouragent l'ubérisation. Priorisons les dispositifs qui fonctionnent réellement.
Quand allez-vous fournir le rapport d'évaluation prévu par la loi de 2018 ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . - L'article 83 de loi du 5 septembre 2018 prévoit bien la remise d'un rapport d'évaluation, six mois avant le terme de l'expérimentation, déjà prolongée deux fois.
En 2023, l'Igas a remis un rapport proposant une prolongation de deux ans, un meilleur encadrement et des ajustements pour rendre les aides financières plus cohérentes. Il y a un an, la loi de finances pour 2024 a prolongé l'expérimentation jusqu'à fin 2026, soit un an de plus que la proposition de l'Igas, pour déployer ce nouveau cadre.
Ce n'est pas une simple prolongation ! En 2024, une concertation approfondie a été engagée pour rénover le cadre dès janvier 2025. Un cahier des charges sera publié, pour préciser, entre autres, les obligations des EITI et les indicateurs de suivi et de performance.
Le dispositif rénové fera l'objet d'une évaluation indépendante, six mois avant le terme de l'expérimentation.
Transport scolaire des élèves en situation de handicap
Mme Annie Le Houerou . - Depuis 2017, les régions sont seules compétentes pour organiser les transports scolaires. Les départements assurent le financement et peuvent organiser le transport scolaire des élèves en situation de handicap s'ils sont reconnus médicalement inaptes à utiliser les transports en commun.
Toutefois, certains élèves, sans être reconnus médicalement inaptes à utiliser les transports en commun, ne disposent pas de l'autonomie nécessaire pour les emprunter quotidiennement. Dès lors, c'est l'impasse. Les départements refusent de financer un transport adapté, et il n'existe pas de transport scolaire classique entre le domicile de l'enfant et l'établissement spécialisé qu'il fréquente.
Certains enfants doivent être scolarisés à la maison ou même se déscolariser. Au mieux, la maman abandonne son emploi pour accompagner son enfant.
Le ministère a-t-il identifié le problème ? Quelles mesures prévoyez-vous ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . - Ce sujet est majeur. Je partage pleinement votre diagnostic de dysfonctionnement.
L'organisation et le financement du transport scolaire relèvent des collectivités territoriales, depuis la loi NOTRe.
Les frais de déplacement pour les élèves en situation de handicap sont pris en charge par le conseil départemental si l'enfant est déclaré inapte à emprunter les transports en commun. Dès lors, le département doit organiser leur transport.
Or les départements eux-mêmes sont responsables de l'évaluation de la capacité d'un élève à prendre un transport en commun, en s'appuyant sur l'expertise des équipes pluridisciplinaires de la MDPH.
Nous ne pouvons accepter que des élèves se déscolarisent car ils n'ont pas accès à des transports adaptés. Pour préciser les critères d'éligibilité, j'ai demandé aux administrations concernées qu'un travail soit engagé avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et les conseils départementaux dans les prochaines semaines. Je suivrai ce travail avec attention.
Situation financière des Ehpad publics
Mme Anne Ventalon . - Les Ehpad publics, qui prennent en charge plus de 600 000 résidents, affrontent depuis des années une crise économique structurelle qui s'intensifie. Selon le rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat, la part des Ehpad déficitaires est passée de 27 % à 66 % entre 2020 et 2023.
Le fonds d'urgence de 100 millions d'euros créé en 2023 pour les établissements et services médicaux sociaux (ESMS) en difficulté a beau avoir été alloué à 80 % aux Ehpad, ce n'est pas suffisant.
Les 64 Ehpad de l'Ardèche subissent, comme d'autres, le contexte inflationniste et les revalorisations salariales promises lors du Ségur de la Santé.
Qu'envisagez-vous pour garantir le financement intégral de ces revalorisations salariales et soutenir durablement les Ehpad face aux défis démographiques et économiques à venir ? Des mesures pérennes s'imposent pour sécuriser leur avenir et garantir une prise en charge digne de nos aînés. Quand sera présentée la loi Grand Âge ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . - Je mesure les enjeux qui traversent le secteur du grand âge. Une commission dédiée au suivi de la situation financière des structures médico-sociales en difficulté a été mise en place dans chaque département, avec un soutien exceptionnel de 100 millions d'euros. Deux enveloppes complémentaires de 100 millions d'euros chacune ont été débloquées en 2024 pour les Ehpad en difficulté.
D'autres travaux sur les modalités de financement, sur l'organisation territoriale et sur la transformation de l'offre ont été ouverts. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a autorisé les départements volontaires à fusionner les sections soins et dépendance, au profit d'un forfait global. Cette simplification est attendue : le PLFSS pour 2025 devait permettre de lancer l'expérimentation dans les 23 premiers départements. Je souhaite que nous puissions enclencher cette réforme dès l'adoption du prochain PLFSS.
En outre, depuis le 1er janvier 2025, les Ehpad habilités à l'aide sociale à l'hébergement peuvent différencier les tarifs hébergements opposables aux bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement (ASH).
Le principe d'une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge a été posé dans la loi Bien vieillir. Ce travail doit se poursuivre pour préparer l'accélération du vieillissement à partir de 2030. Cet enjeu sera porté avec détermination par le Gouvernement, comme vient de l'indiquer le Premier ministre dans son discours de politique générale.
Mme Anne Ventalon. - Les aides ont soulagé ponctuellement certains Ehpad en situation d'urgence financière, mais ces établissements, au bord de la rupture, ne peuvent plus se contenter de pansements. La loi Grand Âge ne doit plus se faire attendre.
Protection des enfants en Seine-Maritime
M. Didier Marie . - La situation de la protection de l'enfance en Seine-Maritime est alarmante. Le manque de moyens engendre de nombreux dysfonctionnements qui pénalisent les 7 000 enfants et adolescents censés être placés.
Ces mineurs sont fragiles. Prostitution, fugues, disparitions, violences sont monnaie courante. Dernièrement, une adolescente accompagnée par la protection de l'enfance a été victime d'un féminicide.
Les professionnels doivent gérer des situations toujours plus compliquées, alors que le système judiciaire et administratif se dégrade : les audiences et les rendez-vous de fin de mesure ne sont plus systématiques, les ordonnances sont envoyées tardivement, le nombre de mesure judiciaire d'investigation explose et les délais de mise en oeuvre s'allongent. Tout le système dysfonctionne. La suppression de 500 postes de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en septembre 2024 a eu un impact désastreux et les professionnels ne s'en sortent plus.
Allez-vous assurer aux acteurs de la protection de l'enfance les moyens d'exercer dans de bonnes conditions, afin que les enfants soient accompagnés dignement ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . - Je vous livre la réponse de M. le garde des sceaux.
La politique de la protection de l'enfance relève de la compétence des départements. Pour autant, l'autorité judiciaire y joue un rôle central puisque 80 % des mesures de protection des enfants en danger sont judiciarisées. La mise en oeuvre et le financement des mesures judiciaires d'investigation éducative sont à la charge de la direction de la PJJ, qui relève du ministère de la justice.
La Seine-Maritime compte trois juridictions pour mineurs : Rouen, Le Havre et Dieppe. L'augmentation du nombre de mesures d'investigation éducative prononcées et des délais de mise en oeuvre s'inscrit dans un contexte global de difficultés croissantes à mettre en oeuvre des décisions judiciaires d'assistance éducative relevant de la responsabilité du département.
À ce jour, les unités de la PJJ ne sont pas sous tension. Seul le service du Havre a placé des mesures judiciaires d'investigation en attente pendant quelques semaines en 2024. La saturation du dispositif de prise en charge concerne essentiellement la juridiction de Rouen et le secteur associatif habilité. Cela impose de renforcer le dialogue entre le département, l'autorité judiciaire et la direction territoriale de la PJJ pour analyser les difficultés et identifier les solutions. Le ministre de la justice a demandé à ses services de s'y atteler.
M. Didier Marie. - Il y a 600 dossiers en attente de jugement au palais de justice de Rouen, contre 350 en moyenne en France. Du fait de ces dysfonctionnements, les associations de la protection de l'enfance peinent à recruter et sont contraintes de réduire la qualité des services qu'elles procurent. L'État doit prendre toute sa place dans la politique de protection de l'enfance.
Occupations illégales de terrains par les gens du voyage
Mme Laure Darcos . - Dans l'Essonne, les occupations illégales de terrains par les gens du voyage sont un problème récurrent qui exaspère élus locaux et propriétaires privés.
Les élus qui tentent de protéger les biens et les terrains de leur commune sont parfois menacés, voire agressés. Il nous faut opposer la plus grande fermeté à ces incivilités, qui entraînent en outre des préjudices souvent élevés. Vols, dégradations, branchements sauvages sur les installations d'eau ou d'électricité, pollutions des terrains ont un coût, supporté par le contribuable local.
Si les forces de l'ordre sont souvent aux côtés des élus, ceux-ci déplorent la lenteur de la réponse judiciaire.
Il faut inciter les préfectures à agir rapidement pour réaliser les procédures administratives d'évacuation forcée, et les parquets à instruire systématiquement les procédures pour installation en réunion sans autorisation sur le terrain d'autrui, prévues par l'article 322-4-1 du code pénal. Ces procédures sont trop souvent classées sans suite.
Le Gouvernement entend-il prendre des mesures, y compris législatives, pour réprimer plus efficacement et plus rapidement les atteintes aux biens et rendre ainsi au droit de propriété sa pleine valeur constitutionnelle ?
Les gens du voyage ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les autres citoyens. Le respect des lois est primordial. Il y va de la concorde publique.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - C'est un sujet majeur, récurrent, dont la Haute Assemblée a souvent débattu.
Le cadre juridique est celui de la loi du 5 juillet 2000, qui consacre la liberté d'aller et venir des gens du voyage et impose le respect des installations mises à leur disposition. L'article 9, sur le stationnement illégal, permet au maire ou au président d'EPCI de demander au préfet de prononcer une mise en demeure de quitter les lieux. Nous en connaissons le principe - mais aussi les limites.
J'ajoute que les actes de destruction, de dégradation ou de détérioration des biens appartenant à autrui commis par les gens du voyage peuvent faire l'objet de procédures pénales ; les actions en responsabilité civile sont également possibles.
Mais nous le savons tous, l'enjeu, en cas d'installation illégale, est d'obtenir le départ immédiat. Or la législation actuelle n'est pas suffisamment efficace. Bruno Retailleau a donc lancé une réflexion pour renforcer d'une part l'efficacité de la procédure d'évacuation, et d'autre part, le poids des sanctions judiciaires. Je présiderai dans les prochains jours un groupe de travail, confié au préfet Philip Alloncle, chargé de recenser les difficultés et de faire des propositions pour accélérer les procédures d'expulsion et simplifier la vie des élus locaux et de nos concitoyens victimes des dégradations occasionnées par ces occupations illégales.
Mme Laure Darcos. - Merci. Je serais ravie de contribuer à ces réflexions, car il y a des trous dans la raquette. Les élus de l'Essonne sont régulièrement « visités ».
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Programme Territoires d'industrie
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat relatif au programme Territoires d'industrie, à la demande de la commission des affaires économiques.
M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques . - La réindustrialisation est un objectif essentiel, pour l'emploi comme pour notre souveraineté nationale, mais le niveau de la croissance et les plans sociaux nous font craindre un recul. Je m'exprimerai au nom de Rémi Cardon, rapporteur de la mission d'information sur le programme Territoires d'industrie, qui me demande de l'excuser auprès de vous.
Avec ce rapport, le Sénat s'engage dans des contrôles de terrain de l'efficacité de nos politiques publiques. Le programme Territoires d'industrie, avec sa logique de carte blanche donnée aux territoires autour d'un binôme élus-industriels, est pertinent. Il a séduit les territoires : la moitié des EPCI sont couverts, et 85 % des territoires ayant candidaté en 2018 l'ont de nouveau fait en 2023.
Les évaluations montrent pourtant des effets mitigés. Nous ne vous en ferons pas grief, et je salue les travaux de M. Gueusquin, que j'ai pu apprécier dans le Gers.
Je regrette toutefois que le programme ait été reconduit sans évaluation sérieuse. La Cour des comptes a eu un jugement sévère : le bilan du Gouvernement, qui évoquait triomphalement plusieurs dizaines de milliers d'emplois créés, relevait, je cite, « uniquement de la communication ». Les effets macroéconomiques ne sont pas au rendez-vous.
Les territoires labellisés devaient disposer d'un accès privilégié aux outils de droit commun, comme ceux fournis par Bpifrance.
Nous, parlementaires, avons procédé à une évaluation qualitative et territorialisée du programme, avec les outils dont nous disposions ; il faut maintenant aller plus loin, et instaurer un suivi robuste de cette politique publique ô combien nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions)
Mme Martine Berthet, au nom de la commission des affaires économiques . - Ces évaluations nous aideront à mieux adapter l'offre de services. La priorisation d'accès aux programmes de droit commun est nécessaire, mais les opérateurs de l'État doivent aussi élaborer un panier de services qui réponde concrètement aux besoins locaux. En effet, les priorités du programme déterminées au niveau national ne recouvrent pas toujours les problématiques des territoires. Créer des logements pour les alternants et les jeunes actifs, par exemple, exige des solutions sur mesure.
La problématique des compétences est bien identifiée, mais la collaboration est ténue : ni le ministère de l'éducation nationale ni celui de l'enseignement supérieur ni celui du travail ne sont partie prenante au programme. Il nous semble indispensable de formaliser un dialogue structuré au niveau national, pour que les ministères mobilisent leurs troupes dans les territoires.
À Chalon-sur-Saône, nous avons constaté l'efficacité de la réhabilitation de l'ancienne friche Kodak. Mais ces très grands sites, clés en main, ne sont pas adaptés aux petites entreprises. Il convient aussi d'aider les petites collectivités qui s'engagent sur une plus petite échelle, avec une ligne budgétaire dédiée, en dehors du fonds vert, qui est devenu autant un fourre-tout qu'une peau de chagrin.
Mme Anne-Catherine Loisier, au nom de la commission des affaires économiques . - Les Territoires d'industrie ont des atouts bien réels, mais il faut du temps pour créer de la confiance et développer les synergies. Les dynamiques de coopération engagées grâce à la gouvernance bicéphale prospèrent dans la majorité des cas.
Le programme est mûr pour franchir une nouvelle étape et mieux servir l'objectif stratégique de réindustrialisation. Il doit être pérennisé. Peu coûteux, il ne remet pas en cause l'objectif d'économies.
Il faut d'abord, à enveloppe constante, y intégrer le financement de campagnes de détection de projets industriels.
Il est nécessaire de mobiliser tous les acteurs, tels que les régions ou les chambres de commerce et d'industrie (CCI), capables de booster le dispositif en aidant les industriels à rechercher des aides publiques, nationales ou européennes. Sur le modèle des districts italiens, nous invitons à structurer des filières locales, puissant levier de compétitivité qui fait gagner des parts à l'export. Avec un PIB d'un tiers plus faible que la France, l'Italie exporte désormais plus que notre pays !
Les plus-values attendues sont la création d'emplois, de richesse économique, et surtout une cohésion territoriale cruciale, gage de résilience face à la concurrence internationale.
Je salue la volonté du Sénat d'évaluer les politiques publiques au plus près des territoires.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie . - L'ambition du Gouvernement est d'accélérer la réindustrialisation de la France. Mon ministère est un ministère de combat, pour plus de prospérité, plus de souveraineté, plus de cohésion des territoires, qui doivent, dans l'Hexagone et outre-mer, devenir des territoires d'industrie.
Je remercie les rapporteurs Berthet, Loisier et Cardon pour leur travail, qui permettra d'améliorer ce programme. Ce dernier est coporté par le ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et celui de l'industrie. Je connais l'engagement du Sénat en faveur de la reconquête industrielle, par et pour les territoires, et je salue la contribution essentielle de la commission des affaires économiques : je sais ce que nous vous devons.
Le rapport est riche en recommandations. Si le bilan est globalement positif, le programme n'est ni parfait ni achevé. En échangeant sur les pistes d'amélioration, nous coconstruirons les solutions.
Votre rapport propose de recentrer le programme sur des territoires porteurs d'un vrai projet industriel. Il n'y a pas de fatalité industrielle. Sur 183 territoires d'industrie, 150 étaient en déclin entre 2007 et 2020 ; sur ces 150, 110 ont repris une croissance industrielle.
Vous soulignez l'enjeu de la formation, un thème qui m'est cher : 70 000 postes restent vacants, mais l'industrie a le potentiel d'attirer tous les talents, les jeunes mais aussi les femmes, qui ne représentent que 28 % des salariés du secteur.
Je souhaite réaliser le dernier kilomètre des réformes de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Prenons exemple sur les innovations du territoire Lacq-Pau-Tarbes, désormais fer de lance en matière d'aéronautique et de technologies vertes.
Nous devons renforcer la simplification, avec le dispositif « Site industriel clés en main » et son accompagnement sur mesure, comme l'a fait le Grand Chalon en requalifiant les friches du site Kodak.
Mais il faut aller plus loin. Le gouvernement de Michel Barnier avait pris l'initiative de sortir l'industrie du ZAN - thématique chère à Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier.
J'en viens au deuxième axe du rapport : la gouvernance et le financement.
Le programme repose sur un modèle souple et partenarial. Il associe l'ensemble des acteurs publics et privés du territoire autour d'un projet. C'est ce dernier qui compte, pas les structures : les acteurs sont libres de s'organiser.
Dans la deuxième phase, l'accompagnement opérationnel a été renforcé, avec la généralisation des chefs de projets : 153 sur 183 ont déjà été recrutés.
Dans le cadre du prochain débat budgétaire, je sais pouvoir compter sur vous pour pérenniser le programme.
L'aide financière aux 162 projets soutenus via le fonds vert a entraîné 780 millions d'euros d'investissement et 2 600 créations d'emplois. Un euro d'investissement public a suscité 12 euros d'investissement privé. Quant au ratio d'un emploi créé pour 22 500 euros d'investissement public dépensés, il est plus que satisfaisant.
Le rapport préconise de mieux s'adapter aux besoins de l'industrie. L'ingénierie joue un rôle clef. La deuxième phase du programme crée une offre de services dédiée. Nous instruirons aussi votre proposition de prioriser l'accès aux dispositifs de droit commun.
Sur le suivi et l'évaluation, plusieurs de vos recommandations sont en cours de mise en oeuvre. J'y suis très attaché.
Vous recommandez enfin de valoriser les retours du terrain. Je pense par exemple aux écoles de production, troisième voie entre les centres de formation d'apprentis (CFA) et les lycées professionnels.
Le programme Territoires d'industrie est un dispositif original, efficace et désormais éprouvé. Votre rapport doit conduire à de nouvelles améliorations. « L'oeuvre accomplie est oeuvre à faire », écrivait Paul Éluard. Je sais pouvoir compter sur votre engagement. (Applaudissements au banc des commissions)
M. Pierre Médevielle . - Ce rapport, premier contrôle sénatorial de proximité, présente diverses recommandations : priorisation de territoires, mise en place d'indicateurs, notamment. Réindustrialiser est une absolue nécessité. C'est parce qu'ils ont su maintenir une industrie vivace que l'Italie, l'Allemagne et la Suisse ont des taux d'emploi industriel plus élevés.
Le logement et le transport des salariés sont deux points essentiels. La France souffre d'un manque de mobilité professionnelle. Lorsqu'un bassin d'emploi se tarit, les salariés ont du mal à en changer, tant ils sont captifs des questions de logement et de transport. Dans notre pays, déménager a un coût exorbitant. En cause, le manque de logement, la très forte fiscalité lors des cessions. La solution, c'est de faciliter le logement, via le fameux 1 % logement notamment. Que prévoit le Gouvernement pour améliorer le logement disponible près des territoires d'industrie, en sus des dispositifs proposés par Action Logement ?
M. Marc Ferracci, ministre. - L'industrie a en effet besoin d'un écosystème complet pour se développer. Il est vrai que les problématiques du logement et du transport ont été absentes de la phase 1 du programme. Raison pour laquelle Action Logement a été intégrée fin 2023 dans le dispositif. En 2024, 25 territoires d'industrie incluent Action Logement dans leur plan d'action locale.
Nous devons penser de manière systématique l'intégration du projet industriel et du logement. Les exemples sont nombreux de projets entravés faute d'une prise en compte du logement. Il nous faut une approche plus territorialisée, en nous appuyant sur la nouvelle gouvernance de France Travail.
La mobilité est traitée ponctuellement par le programme Territoires d'industrie, ainsi que par des programmes comme Action coeur de ville et Petites Villes de demain.
Nous avons besoin de coordination et de faire masse. Je m'engage à continuer à travailler avec François Rebsamen sur ce sujet.
Mme Marie-Do Aeschlimann . - La désindustrialisation, portée par le mythe d'une économie sans usines, a accru notre dépendance. Lancé en 2018, le programme Territoires d'industrie va dans le bon sens.
S'il a donné des résultats positifs, par exemple dans l'établissement public Boucle Nord de Seine, il doit monter en puissance en portant une attention croissante à la formation. Les industriels ont du mal à recruter, or la disponibilité des compétences est un critère essentiel pour réindustrialiser. Il faut réinvestir massivement dans la culture scientifique et technique, alors que les résultats de l'enseignement en mathématiques sont décevants. Il faut aussi féminiser ces filières.
Soulignons le rôle essentiel de l'alternance, comme des écoles de production ; renforcer ces structures est primordial.
Quelle est votre feuille de route pour faire émerger le capital humain indispensable à la réussite de chaque territoire d'industrie ?
M. Marc Ferracci, ministre. - Je partage votre constat d'un manque d'attractivité de ces métiers et d'une évaporation des jeunes formés dans l'industrie vers d'autres filières. Il manque 70 000 emplois, un recrutement sur deux est difficile, et plus de 60 % des jeunes estiment que l'industrie n'est pas assez attractive.
Nous avons besoin de changer les représentations des jeunes, des jeunes femmes en particulier : 28 % de femmes dans l'industrie, c'est trop peu - elles sont 47 % au Kazakhstan !
Les conditions de travail ont changé, ces métiers ont du sens et procurent de bons salaires. En matière de féminisation, je salue l'action du collectif industriELLES de l'association « Elles bougent ».
Il faut lutter contre l'évaporation, faire évoluer la carte de la formation, réaliser le dernier kilomètre et s'appuyer sur des filières innovantes, comme le nucléaire, pour créer sinon une mode, du moins un intérêt. Une mission de l'IGF sur la présence des filles dans les filières scientifiques vient d'être lancée.
M. Bernard Buis . - Lancé en 2018, le programme Territoires d'industrie a enfin redonné un souffle à ce secteur. De 1970 à 2010, la désindustrialisation a été particulièrement sévère en France. Entre 1995 et 2017, la part de l'industrie est passée de 17 % à 11 % du PIB.
Pourtant, l'industrie est au coeur de la prospérité de nos territoires, face aux défis liés à l'environnement et à notre souveraineté.
Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République et des gouvernements successifs, 130 000 emplois ont été créés dans l'industrie, dont 28 000 l'année dernière. Le programme Territoires d'industrie y est pour beaucoup.
Depuis 2018, avec 2 000 projets accompagnés, 183 territoires d'industrie ont été labellisés pour la période 2023-2027. Implanter une usine, c'est donner de la vitalité à un territoire, renforcer son attractivité.
Pourtant, tout n'est pas simple, notamment avec le ZAN. Comment concilier les enjeux fonciers avec la réalisation de nouvelles usines ?
Le succès est dû au binôme local : un élu - un industriel. Comment cette gouvernance a-t-elle transformé les relations, localement, entre les acteurs publics et privés ?
M. Marc Ferracci, ministre. - Si nous voulons réindustrialiser, il faut trouver un équilibre entre la limitation de l'artificialisation des sols et l'émergence de nouveaux projets industriels. La loi Climat et résilience imposait des choix difficiles pour les élus en matière d'industrie et de logement. L'industrie représente 5 % du foncier total, mais les règles du ZAN fragilisent l'émergence de projets dans certains départements. On ne peut garantir aux investisseurs que la France pourra accueillir des projets sans assouplir les contraintes.
Le gouvernement Barnier a donc proposé d'exempter les projets industriels du ZAN pendant une période expérimentale de cinq ans, avec une clause de revoyure. Nous avons besoin d'une modification législative. Nous pourrions nous appuyer sur le projet de loi de simplification de la vie économique ou sur la proposition de loi des sénateurs Blanc et Cambier. Allons vite sur ce sujet.
M. Laurent Somon. - Très bien !
M. Philippe Grosvalet . - Je ne sais si on l'enseigne à HEC ou à Sciences Po, mais, comme aurait dit mon grand-père, on ne fait pas pousser les carottes en tirant sur les feuilles... (Sourires)
L'échec de l'État et des régions à prioriser et à coordonner leurs interventions est souligné par la Cour des comptes. Il manque une vision globale adaptée aux spécificités de chaque territoire.
Pour faire pousser des carottes, il faut un terreau fertile, soit un ensemble de politiques publiques coordonnées à l'échelon local. Dès lors, nous ne pouvons nous satisfaire des discours incantatoires de vos prédécesseurs. Nous avons besoin de preuves. Comment remédier aux insuffisances pointées par la Cour des comptes et donner à nos entreprises la capacité de se projeter dans le temps long ?
M. Marc Ferracci, ministre. - La recherche d'efficacité doit être au coeur de toutes les politiques publiques, d'où mon attention aux rapports du Sénat et de la Cour des comptes.
Nous devons avoir des chefs de projets plus nombreux, une coordination régionale. Nous y travaillons avec Régions de France.
Nous devons nous articuler avec France Travail localement, et collecter davantage de données pour un meilleur suivi. Il faut mesurer l'impact de nos actions. Cette collecte doit s'accélérer afin que nous puissions réaliser un bilan plus fréquent de l'efficacité du programme, actualisé tous les six mois.
Interrogeons-nous également sur la refonte des périmètres et du ciblage. Certains critères sont désormais mieux pris en compte, et les territoires sont sélectionnés sur l'aspect opérationnel des projets.
Il est nécessaire d'avoir une approche interministérielle. Je vous présenterai des éléments plus globaux prochainement.
M. Philippe Grosvalet. - Deux exemples de territoires d'industrie où le Gouvernement pourrait agir directement : revenir sur la décision du précédent gouvernement d'abandonner un magnifique projet industriel novateur à Cordemais ; ne pas reporter indéfiniment la commande d'un nouveau porte-avions. Vous mettez à mal des entreprises et leurs sous-traitants en reportant cette commande.
M. Daniel Fargeot. - Incontestablement, le programme Territoires d'industrie, peu coûteux, produit des effets dans les petites et moyennes villes françaises, participant d'une réindustrialisation des territoires. Associer les élus locaux et les industriels est une stratégie vertueuse, qui pose des fondations solides : des entreprises se réinstallent, et des collectivités territoriales retrouvent une dynamique économique.
Allons plus loin en évaluant le dispositif et en priorisant des territoires d'industrie ne bénéficiant pas tous d'une mobilisation égale. Il ne faut pas saupoudrer.
Il faut aussi simplifier : la complexité du dispositif freine son efficacité. La forêt d'aides et les nombreux guichets multiplient les délais.
Alors que l'Europe et le monde s'engagent dans une compétition industrielle féroce, comment ne pas être étouffés par nos processus administratifs ? Quelle simplification générale pour permettre aux territoires d'industrie de devenir de véritables moteurs de notre souveraineté économique ?
M. Marc Ferracci, ministre. - La simplification est un rocher de Sisyphe...
La coordination entre les opérateurs peut générer de la complexité. Nous avons six opérateurs partenaires, avec lesquels s'articulent les associations d'élus et France Industrie. Nous avons fait des progrès. Dans un premier temps, l'implication de ces opérateurs était hétérogène.
Désormais, nous mettons en oeuvre différentes actions : partage des données et des plans d'action aux opérateurs, webinaires thématiques pour diffuser les offres de services.
Nous avons besoin de mesures de simplification fortes, qui s'attaquent aux normes françaises, mais aussi européennes : certaines transpositions de directives ont été plus que zélées et pénalisent nos industriels.
M. Fabien Gay . - Bonduelle, 159 emplois supprimés ; Renault Alpine, 350 emplois menacés ; Fonderie de Bretagne, 500 emplois menacés ; Valeo, 868 emplois menacés ; Continental Automobile France, 240 emplois supprimés ; Stellantis, 500 emplois supprimés, 600 emplois menacés ; Air Liquide, 479 emplois supprimés et 500 menacés ; Sanofi, 300 emplois supprimés ; General Electric, 484 emplois supprimés ; Yves Rocher, 460 emplois supprimés ; Michelin, 1 250 emplois menacés.
Monsieur le ministre, pourquoi je cite ces chiffres ?
Parce que le Premier ministre, depuis sa nomination, n'a pas eu un mot pour ces hommes et ces femmes, malgré une heure trente de discours de politique générale.
Ensuite, votre communication, depuis sept ans, est toujours la même, celle des créations d'emplois. Mais pour un emploi créé, il y a en réalité deux emplois supprimés sur les territoires.
Avant de parler d'industrialisation - et même si c'est un grand combat - , il faut d'abord stopper la casse industrielle.
Combien de temps resterez-vous les bras ballants ? Allez-vous interdire les aides publiques aux entreprises qui suppriment des emplois ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
M. Marc Ferracci, ministre. - Vous avez égrené une longue liste de plans sociaux ou de fermetures de sites. Et celle des entreprises créatrices d'emplois ? Depuis 2017, 130 000 emplois ont été créés en France (M. Fabien Gay proteste), et ce solde demeure positif. Certes, certaines filières sont en difficulté, comme l'automobile, la chimie ou la sidérurgie.
Nous ne restons pas « bras ballants » : les commissaires au redressement, les services de l'État, la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises, le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) agissent.
Nous connaissons des réussites. Nous avons sauvé l'entreprise Niche Fused Alumina (NFA). J'étais à Arques, dans le Pas-de-Calais, afin de préserver l'outil industriel de 4 000 salariés. Vous n'avez pas cité cette réussite collective, qui a impliqué les créanciers, les actionnaires, les élus... Ne tombons pas dans le défaitisme.
Mon ministère est un ministère de combat pour préserver l'existant, développer l'attractivité et créer encore plus d'emplois. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Fabien Gay. - Pas un mot pour les 300 000 entreprises ?
M. Yannick Jadot . - Bien sûr, des entreprises se créent, mais sur certains territoires, c'est la catastrophe. Nous nous battons aussi pour que nos usines ne ferment pas.
Michelin, General Electric, la Fonderie de Bretagne : quarante ans de désindustrialisation, ce n'est pas la faute du ZAN ! Cet instrument est utile. Nous sommes déçus qu'il y ait aussi peu de moyens, mal orientés et mal ciblés.
Le Premier ministre n'a pas cité la bataille du climat dans sa déclaration de politique générale. Derrière, il y a une guerre économique. Quand nos usines de panneaux photovoltaïques, d'éolien, de silicium ferment, on renonce à mener la guerre économique en faveur de la transition énergétique.
Le programme Territoires d'industrie doit être mieux ciblé et être présent sur tous les territoires. Tous méritent des usines, notamment les plus appauvris. Nous avons besoin de services publics pour protéger et d'usines, source de fierté.
Économie circulaire, transition écologique : voilà de vraies perspectives pour nos territoires. Ayons un outil à la hauteur de ce défi. (Applaudissements à gauche)
M. Marc Ferracci, ministre. - Je vous rejoins sur de nombreux points : réindustrialiser et décarboner sont deux objectifs compatibles, même complémentaires ; le potentiel de création d'emplois liés à la transition écologique est important.
Le baromètre industriel de l'État montre que le solde était positif au premier semestre 2024, avec 36 ouvertures de sites nettes.
Les sites qui ferment sont dans les filières en difficulté ; les sites qui ouvrent, surtout dans l'industrie verte. La transition est là : des emplois se créent dans les secteurs liés à la décarbonation.
À Sochaux, sur le site d'Allenjoie, j'ai visité l'usine Faurecia qui fabriquait des pots d'échappement : l'entreprise se reconvertit dans la production de réservoirs à hydrogène. La transition crée des emplois.
Faisons de la décarbonation la source des emplois de demain. Je partage l'objectif et m'inscris dans les pas de mes prédécesseurs : il faut décarboner notre outil industriel et améliorer sa compétitivité. Lors de l'examen du projet de loi de finances, 1,6 milliard d'euros ont été votés pour accélérer la décarbonation des grands sites industriels.
M. Franck Montaugé . - Dans un contexte économique fortement dégradé, le rapport sénatorial souligne les insuffisances mais aussi la pertinence du dispositif Territoires d'industrie. L'expérience gersoise le montre : il faut donner une nouvelle ambition au projet, au profit de tous les territoires, avec une économie repensée au plus près des besoins et répondant au défi de la transition.
Monsieur le ministre, gardez le meilleur du programme Territoires d'industrie. Donnez suite aux recommandations du Sénat.
Comment stimulerez-vous les autres territoires ruraux qui ne demandent qu'à prendre leur part, s'ils sont accompagnés ? Le potentiel est immense, en répondant à la planification écologique dont notre pays a besoin - j'espère que ce défi est toujours d'actualité pour le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Marc Ferracci, ministre. - La planification écologique est une innovation pour notre pays. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) est placé sous l'autorité directe du Premier ministre.
La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ont été soumises à la concertation.
Nous avons besoin d'articuler la stratégie de planification écologique, notamment les accords de Paris, avec notre stratégie industrielle : il faut orienter le dispositif vers des projets de décarbonation, faire du ciblage et soutenir les filières qui y participent, notamment les énergies renouvelables. D'ici quelques jours, j'annoncerai la révision de la stratégie hydrogène, l'un des éléments de notre mix énergétique.
Il y a une cohérence. Ne raisonnons pas en silo. Tenons compte des besoins de développement et d'emploi industriel dans nos territoires.
M. Franck Montaugé. - Je partage l'essentiel de vos propos. Au-delà des questions énergétiques ou de décarbonation, c'est l'ensemble de l'activité économique française qui doit être adaptée à la planification écologique. (M. Marc Ferracci le confirme.) J'espère que cette orientation perdurera. Je salue le travail de M. Pellion, secrétaire général à la planification écologique.
M. Marc Ferracci, ministre. - Je salue le travail remarquable du SPGE, et en particulier d'Antoine Pellion.
Mme Marie-Jeanne Bellamy . - Depuis trente ans, le poids de l'industrie dans le produit intérieur brut n'a cessé de chuter, alors que celle-ci est un moteur de croissance, de cohésion sociale et territoriale et de souveraineté technologique.
Le programme Territoires d'industrie n'a fait l'objet d'aucune concertation avec les industriels et les élus locaux, qui, pourtant, se le sont approprié.
En décembre dernier, le rapport sénatorial a souligné une mise en oeuvre hétérogène.
Dans la Vienne, le constat est le même. Deux territoires ont été sélectionnés : le Grand Châtellerault et la communauté de communes du Pays Loudunais. Dans le premier, bassin industriel historique, de nombreuses actions sont en cours. Dans le second, les projets sont là, mais les retards sont importants. Il faut pérenniser le dispositif et le rendre plus opérationnel. Ne faudrait-il pas distinguer les territoires anciennement industriels et les autres ?
Il ne faut pas se disperser et il faut simplifier. J'insiste sur le besoin de formation. Quelles actions prévoyez-vous pour que l'absence de personnel qualifié ne bloque pas les projets ?
M. Marc Ferracci, ministre. - L'association des élus locaux et des industriels à la conception du programme a été prise en compte. Je pense notamment à Intercommunalités de France et à Régions de France. Bien sûr, on peut toujours faire mieux, mais une charte collective d'engagement a été signée entre l'État et les six opérateurs : outils numériques partagés et coordinateurs régionaux faciliteront les choses.
Vous soulignez le caractère hétérogène du déploiement du programme, surtout dans la phase 1. L'investissement des territoires fut variable, et le programme, de qualité, reste hétérogène par nature. Durant la phase 2, nous avons redéfini les périmètres des projets pour harmoniser, notamment en généralisant les postes de chefs de projet et en renforçant l'échelon régional, grâce aux coordinateurs régionaux.
M. Guislain Cambier . - L'industrie dans les Hauts-de-France, c'est un emploi sur cinq, soit 255 000 emplois. Les élus ont toujours été attentifs à l'industrie bien avant ce programme, qui a toutefois des mérites.
Le foncier est un élément clé de l'industrialisation, mais n'apparaît pas comme tel dans Territoires d'industrie. Or le ZAN tétanise les élus. Avec Jean-Baptiste Blanc, nous avons déposé la proposition de loi Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), qui sera examinée les 18 et 19 février prochains. Nous souhaitons un atterrissage pragmatique ; nous comptons sur le soutien du Gouvernement et souhaitons que l'État assume le coût foncier des programmes d'envergure nationale ou européenne.
Quelle est votre stratégie foncière pour relever les défis de la réindustrialisation ?
Soyez vigilants pour éviter la concurrence entre territoires. Les conseils régionaux sont snobés, alors qu'il faudrait plutôt rechercher les synergies. Dans les Hauts-de-France, nous avons réussi à le faire, comme en témoigne l'usine Toyota de Valenciennes, qui a produit 5 millions de voitures depuis 2001. La confiance dans les territoires, cela fonctionne ! Le projet politique du programme devrait être réexaminé.
M. Marc Ferracci, ministre. - Oui, le foncier est essentiel. Le dispositif « Sites clés en main » est un élément structurant du programme Territoires d'industrie. Je salue l'action de la région des Hauts-de-France, exemplaire dans la mise en oeuvre des programmes.
Le dispositif « Sites clés en mains », outil de simplification à la disposition de nos industries, doit être optimisé en vue de résoudre les problèmes d'autorisations environnementales ou de raccordement électrique, tout en sécurisant juridiquement les sites. Il y en a 55 aujourd'hui, avec un double objectif : favoriser la sobriété foncière, mais aussi l'attractivité. Le ciblage se fait à l'international puisque la promotion des sites se fait au-delà de nos frontières. Au moment où nous parlons, dix sites sont arrivés à maturité, accessibles à une implantation industrielle. L'avenir, c'est de sécuriser leur financement et de renforcer la valorisation des plus matures.
M. Simon Uzenat . - (M. Christian Redon-Sarrazy applaudit.) Oui, l'industrie a de l'avenir ; elle est même notre avenir, en Bretagne, en France, en Europe.
Certes, Territoires d'industrie a eu des résultats, mais il a aussi ses limites. La Bretagne a un tissu diffus de PME : il n'y est donc pas toujours adapté. Faisons confiance aux intercommunalités et aux régions. Il faut plus de moyens. Êtes-vous prêt à évoluer vers plus de sur-mesure ?
Depuis plusieurs semaines, les nuages s'amoncellent. Je ne reviens pas sur le solde des créations d'emploi, mais votre politique mène à la fermeture de filières de formation. Dans l'agroalimentaire et l'automobile, de nombreux sites sont en difficulté en Bretagne, particulièrement dans le Morbihan. Nous parlons de compétences, d'humains.
La mobilisation est générale pour la Fonderie de Bretagne, outil neuf avec 350 emplois... La responsabilité de Renault et de l'État est énorme.
M. Marc Ferracci, ministre. - La carte des formations doit être en adéquation la plus fine possible avec les besoins des territoires. C'est le sens de la réforme des lycées professionnels de 2022, qui a fait entrer les représentants des entreprises dans les conseils d'administration, notamment.
Les CFA peuvent être opérés par les branches, voire par les entreprises elles-mêmes. Les filières doivent se mobiliser ; j'ai abordé cette question avec elles, au sein du Conseil national de l'industrie.
Le dossier de la Fonderie de Bretagne m'occupe et occupe les services depuis des mois. Nous avons cherché à rapprocher les points de vue de Private Assets, potentiel repreneur, et de Renault, qui fait 95 % du chiffre d'affaires de la Fonderie.
Nous continuons à nous battre pour que cette occasion de diversification industrielle puisse être saisie, mais le dossier est difficile.
M. Simon Uzenat. - En réalité, les rectorats pilotent non pas en fonction des besoins de l'économie, mais des moyens qu'on leur donne. Il est important de passer le message à votre collègue.
Renault ne respecte que 60 % des commandes prévues en 2022, alors que l'État est actionnaire à hauteur de 15 %. Il faut taper du poing sur la table. Venez à la rencontre des salariés, monsieur le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre. - J'ai échangé avec les organisations syndicales par visioconférence, pour des raisons d'agenda.
J'ai l'habitude de venir sur les sites lorsque je peux annoncer des choses. Nous nous battons pour trouver des solutions, et j'espère venir vous annoncer de bonnes nouvelles. Je le répète : le dossier est difficile.
M. Simon Uzenat. - Certes, mais cet outil industriel est une chance pour notre région, notre pays et notre continent.
L'engagement demandé à Renault est parfaitement raisonnable. Nous voulons rester fiers d'un constructeur français. Les collectivités territoriales et l'État ont proposé d'accompagner financièrement la reprise. La procédure de redressement judiciaire a été lancée. Les salariés et leurs familles sont inquiets. Le groupe Renault doit faire le choix du pays qui l'a vu naître et qui l'a toujours soutenu.
Mme Frédérique Puissat . - En Isère, l'industrie est très développée. Les territoires d'industrie isérois subissent toutefois un choc économique violent : 238 salariés sont menacés chez Valeo, 170 chez Photowatt, 460 chez Vencorex. Avez-vous des éléments nouveaux sur ces dossiers ?
Le sort de Vencorex, toujours sans repreneur, et le devenir d'Arkema nous inquiètent : toute une vallée est menacée. C'est un enjeu de souveraineté industrielle, de souveraineté sanitaire, de défense nationale. Il ne faut plus subir, mais reprendre notre avenir en main.
Une piste serait de créer une entreprise publique à capitaux privés qui porterait la mine de sel d'Hauterives, son saumoduc et le purificateur de sel, permettant d'alimenter entre autres deux électrolyses financées par l'État pour 80 millions d'euros il y a moins de dix ans.
Cette piste est-elle crédible ? Pourrait-elle être utilisée sur d'autres territoires ?
M. Marc Ferracci, ministre. - Je connais votre engagement dans ce domaine. Il y a eu un projet de reprise de Photowatt qui a été abandonné par EDF, conformément au souhait du comité social et économique, donc des salariés. L'État veillera à ce que le reclassement des salariés se fasse dans de bonnes conditions. La filière industrielle des énergies renouvelables a besoin de soutien, car elle participe de notre souveraineté énergétique.
Mi-juillet, Valeo a annoncé une réorganisation qui incluait la recherche de repreneurs pour trois sites. Un dialogue s'est engagé avec les services de l'État pour en limiter l'impact économique et, contrairement à ce qui avait été annoncé, Valeo a renoncé à fermer le site de Saint-Quentin-Fallavier et de L'Isle-d'Abeau, qui fera l'objet d'un redimensionnement. Les paramètres sont en cours de discussion.
S'agissant de Vencorex, l'État a négocié avec l'actionnaire thaïlandais et obtenu pour les salariés une prime supralégale de 40 000 euros, un montant assez rare. Les services de l'État sont mobilisés pour trouver un repreneur à la mine de sel - nous pourrons discuter de votre proposition. Sur la gestion de la plateforme de Pont-de-Claix, la démarche est avant tout coopérative. Je suis prêt à partager toute information avec vous.
M. Jean-Jacques Michau . - Le programme Territoires d'industrie a une portée significative dans l'Ariège, un département à la fois très rural et très industriel. Cette portée était faible durant la première labellisation, entre 2018 et 2022, mais l'arrivée de chefs de projets a tout changé, sous l'impulsion de la CCI, en apportant un soutien en ingénierie. Nous avons changé de braquet. Le dispositif Rebond industriel a été un booster, avec 150 jours d'ingénierie financés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et 1,5 million d'euros pour une sélection de projets industriels locaux structurants. Signe que l'axe 2 des recommandations du rapport de notre commission pour la pérennisation du soutien en ingénierie est pertinent.
Est-il envisageable de sanctuariser des enveloppes sur les territoires, à l'instar de l'AMI Rebond industriel, pour les projets structurants de nos PME qui ne peuvent être soutenues dans le cadre de France 2030 ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Marc Ferracci, ministre. - En effet, des résultats ont été obtenus. Pas moins de 153 chefs de projets sont en fonction ou en voie de recrutement, ce qui représente 6,7 millions d'euros de financements. Les crédits d'ingénierie apportés par l'ANCT pour accélérer le déploiement des projets les plus complexes représentent 2 millions d'euros et 17 missions réalisées. Quelque 63 millions d'euros ont été consacrés aux projets exemplaires en matière de transition écologique.
La question budgétaire est en suspens, mais l'objectif est bien de continuer sur la même dynamique.
Nous devons faire un bilan particulier des missions Rebond industriel pour les territoires en restructuration. Cet instrument de sortie de crise fait l'objet de bons retours : depuis novembre 2023, 21 territoires ont été accompagnés, deux missions sont encore en cours. Ce sont 40 millions d'euros de subventions aux investissements, qui ont permis de débloquer 413 millions d'euros d'investissements.
Nous devons évaluer le dispositif et voir s'il peut être étendu à d'autres territoires.
Mme Marta de Cidrac . - Le programme Territoires d'industrie a largement achevé sa phase 1. Son montant est de 2 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable en cette période. Selon la Cour des comptes, sur la période 2018-2023, le programme n'aurait créé que 5 500 emplois, soit 11 % seulement des emplois créés dans l'industrie. Pas de vraie dynamique, donc.
Le programme n'a pas été sous-doté mais mal piloté, mal exécuté, dilué dans la masse des aides publiques à l'économie. Difficile, à l'heure du bilan, d'établir de vraies causalités.
Pour la phase 2, il faut corriger le tir, au risque sinon de dépenser à perte. Comment inscrire le programme dans une trajectoire d'efficience ?
M. Marc Ferracci, ministre. - Je ne partage pas le constat d'une inefficacité du programme en matière de création d'emplois. La première phase du programme correspondait à une période de relance : entre 40 000 et 50 000 emplois ont pu être associés - je ne présume pas une relation de causalité parfaite, mais rapporté au coût budgétaire, c'est relativement satisfaisant.
La raison de nos échanges ce soir est de trouver des pistes pour améliorer ce programme. Le rapport contient des propositions. J'espère que nous aboutirons à un meilleur pilotage et une meilleure gouvernance, toujours avec un souci d'évaluation et une approche coût-bénéfice, car les deniers publics ne doivent pas être dépensés à tort et à travers.
Mme Martine Berthet . - Les écoles de production ont connu un vif succès dans les Territoires d'industrie : 25 écoles y ont été créées depuis 2021, sur 70 existantes à ce jour. Par leur formation technique ciblée, effectuée pour les deux tiers en atelier, elles répondent aux besoins des industries locales.
Nombre d'entre elles ont bénéficié de l'appel à manifestation d'intérêt et parfois d'aides des collectivités territoriales. Mais leur soutenabilité financière n'est pas assurée : les recettes de la taxe d'apprentissage et des ventes de productions ne suffisent pas à couvrir leurs frais de fonctionnement, et la subvention de l'État est cruciale.
Est-il prévu de pérenniser la part État de leur financement ? Ne pourrait-on imaginer un accompagnement financier renforcé pendant leur période d'amorçage ?
Ces écoles accueillent des jeunes éloignés du système scolaire classique, souvent issus de milieux modestes. Pour ces derniers, le coût du logement peut être un frein à la poursuite de la formation. Comment mieux les accompagner ? Peut-on envisager un statut d'apprenti ?
M. Marc Ferracci, ministre. - Merci d'évoquer un sujet qui me tient à coeur. J'ai participé à l'élaboration de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a donné une reconnaissance aux écoles de production. Je crois profondément à cette troisième voie, entre CFA et lycée professionnel, pour des publics qui ont besoin d'apprendre leur métier autrement. Elle donne des résultats.
Ces écoles sont financées entre 25 et 30 % par l'État. Le programme Territoires d'industrie leur donne un coup de projecteur ; même si les effectifs restent modestes, leur nombre a triplé depuis 2020, pour atteindre 71. L'objectif est de 100 écoles de production sur le territoire d'ici fin 2026. Pour ce faire, nous avons besoin de sécuriser les financements. J'en discuterai avec mes collègues ministres du travail et de l'éducation nationale pour coordonner nos actions. Mon soutien personnel à ce dispositif est acquis.
Mme Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission des affaires économiques . - Je remercie nos trois rapporteurs de s'être frottés avec succès à l'exercice du contrôle territorialisé souhaité par le président du Sénat, sur la recommandation du président Darnaud, alors vice-président du Sénat. Le programme Territoires d'industrie s'y prêtait tout particulièrement. La richesse de nos échanges, marqués par notre passion pour nos territoires, en montre toute la fécondité. Je remercie nos collègues ainsi que le ministre pour la qualité de nos débats.
Il était pertinent de reprendre la session par ce sujet car malgré ses faiblesses de débutant, Territoires d'industrie pourrait inspirer notre politique industrielle : la reconnaissance du facteur territorial, d'abord, dans la constitution des dynamiques économiques. Saluons l'audace de ceux qui ont porté sur les fonts baptismaux ce programme, véritable ovni.
Alors que la France est frappée par des plans sociaux à la chaîne, y compris dans les grands groupes, la réindustrialisation que nous appelons tous de nos voeux doit marcher sur deux jambes : l'approche territoriale doit compléter le soutien aux filières et à l'innovation de rupture pour dynamiser ce tissu de PME et d'ETI qui fait la force de nos voisins italiens et allemands.
J'invite vos services à examiner les milliers de fiches-projets élaborées par Territoires d'industrie depuis six ans, pour en tirer des propositions de simplification répondant aux besoins de nos entreprises.
Ce que je dis à propos des territoires d'accélération pour le logement vaut aussi pour l'industrie : à partir du retour d'expérience de quelques pionniers, c'est tout le territoire français qui doit devenir un territoire d'industrie.
Je retiens aussi les bénéfices d'une organisation agile, travaillant en interministériel, en mode projet.
Si nous recommandons la nomination d'un délégué interministériel à la réindustrialisation, c'est non pas pour créer un nouveau comité Théodule, mais pour mobiliser dans un même élan tous les leviers de réindustrialisation, du foncier à la formation, en passant par le logement et la recherche.
Au moment où nous reprenons l'examen du projet de loi de finances, je rappelle combien les politiques publiques de soutien de l'offre sont primordiales pour la compétitivité de nos entreprises.
Notre commission soutient les efforts de consolidation budgétaire, mais sur les allègements de charges, sur la fiscalité ou sur les aides aux entreprises, gardons-nous de la tentation de faire payer un prix disproportionné à l'industrie, au risque de casser la fragile dynamique industrielle et d'assécher les sources de la croissance future. Il est plus facile de fermer des usines que d'en ouvrir...
Je vous remercie et espère que nous continuerons à faire avancer ce programme et la réindustrialisation en général. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, mercredi 15 janvier 2025, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 10.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 15 janvier 2025
Séance publique
À 15 heures, à 17 h 45, le soir et la nuit
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente, M. Didier Mandelli, vice-président
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger
1. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution
2. Désignation des dix-neuf membres de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants (droit de tirage du groupe CRCE-K) et des vingt-trois membres de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis (droit de tirage du groupe UC)
3. Suite du projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025 (n°143, 2024-2025)
=> Outre-mer