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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi
Lutte contre la criminalité organisée
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Jacqueline Eustache-Brinio
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation
Rôle des polices municipales face aux agressions
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine
Sûreté de l'enfant victime de violences
Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Intitulé de la proposition de loi
M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi
M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances
Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État chargée de la consommation
Discussion de l'article unique
Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques
M. Philippe Grosvalet, pour le groupe RDSE
M. Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien
Ordre du jour du jeudi 14 novembre 2024
SÉANCE
du mercredi 13 novembre 2024
17e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous prie d'excuser M. le Président du Sénat, actuellement en Nouvelle-Calédonie avec la présidente de l'Assemblée nationale pour une mission exploratoire de concertation et de dialogue, et M. le Premier ministre, en déplacement à Bruxelles pour rencontrer Ursula von der Leyen.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Aide à l'Ukraine
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains) « Zelensky, tu es à 38 jours de perdre tes allocations. » Ce post infâme du fils de Trump montre que l'Europe est un acteur de second plan dans un conflit qui, pourtant, se déroule sur son sol ; elle est désormais en première ligne, sans stratégie globale.
Face au fardeau sécuritaire, nous, Européens, avons cru que le parapluie américain serait éternel. Nous sommes maintenant seuls ou presque face à des ennemis menaçant nos projets, nos valeurs et notre sécurité.
L'arrivée de 12 000 soldats nord-coréens en Europe, après le soutien de la Chine et de l'Iran, marque un tournant dans la guerre. La réaction de la France ? Signifier notre « désapprobation » au délégué général de la Corée du Nord. Merci...
Monsieur le ministre, au-delà des grandes phrases, nous voulons des réponses concrètes. Si la Russie et les États-Unis négocient par-dessus nos têtes le dépeçage de l'Ukraine et l'avenir de l'Europe, que ferons-nous ?
Quels moyens prévoyez-vous pour soutenir l'Ukraine ? Soutiendrez-vous l'engagement de Friedrich Merz, futur chancelier allemand, pour que l'Ukraine puisse enfin frapper les bases d'où partent les bombes ?
Quels sont les moyens et le calendrier, après quarante ans de déni, pour refaire de l'Union européenne une puissance militaire ? Il n'y a rien de plus dangereux que de ne pas se croire en guerre contre des dictateurs en guerre contre nous. Depuis février 2022, nous avons dépensé 2 euros - l'équivalent d'un café - par mois et par habitant pour défendre l'Ukraine.
En 1939, Raymond Aron déclarait : « Je crois à la victoire des démocraties, mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent. » Face aux dictateurs du XXIe siècle, voulons-nous vraiment cette victoire ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et SER, du RDSE et du RDPI)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Mille jours après le début de son opération spéciale, Vladimir Poutine a lamentablement échoué à vaincre l'Ukraine. Il a sacrifié des centaines de milliers de vies russes, s'est rendu coupable de faits de déportation d'enfants, et est donc menacé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. Il a asphyxié son économie, au bord du gouffre, s'agenouillant aux pieds de la Corée du Nord pour continuer à pilonner l'Ukraine.
Mille jours après cette guerre injustifiable, Donald Trump est trop avisé pour abandonner les Ukrainiens en rase campagne. Ce serait consacrer la loi du plus fort et précipiter l'ordre international dans le chaos. Aucune paix juste et durable ne peut être construite dans le dos des Ukrainiens et par-dessus la tête des Européens.
Mille jours après le début de la guerre, le soutien de la France et de l'Union européenne ne faiblira pas, quelles que soient les décisions de l'administration américaine. Dans quelques jours, des soldats ukrainiens formés en France gagneront le front ukrainien. Sébastien Lecornu, des parlementaires et moi-même leur rendrons visite demain.
Les Ukrainiens recevront 50 milliards d'euros des pays du G7, financés par les revenus d'aubaine tirés des actifs russes gelés. Des Mirage français voleront bientôt en Ukraine. C'est aux Ukrainiens d'ouvrir les négociations de paix, et c'est à nous, leurs alliés, de les aider à le faire en position de force. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Laurent Somon applaudit également.)
Plans sociaux (I)
M. Raphaël Daubet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'onde de choc des restructurations chez Michelin et Auchan, avec la perte de 4 000 emplois, n'est que le signe avant-coureur d'une déferlante de défaillances d'entreprises. Nous parlons de 150 000 destructions d'emplois et 8 % de chômage l'an prochain si rien n'est fait. Les hypothèses de croissance seraient déjà caduques, et le budget pour 2025 en serait compromis.
Considérez-vous que l'économie doive être soutenue par l'investissement public, pour doper les projets des collectivités locales, la recherche et l'innovation ?
Quelle stratégie porterez-vous auprès de nos partenaires européens pour mieux protéger nos entreprises et nos emplois ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Rachid Temal applaudit également.)
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie . - Vous avez résumé les défis qui sont devant nous et les difficultés sur le front de l'emploi et de l'industrie. Ma responsabilité, avec les ministres du travail, de l'écologie et des collectivités territoriales, est de trouver des solutions.
Elles passeront par l'innovation et le développement de l'industrie verte sur notre territoire. Nous soutiendrons la décarbonation de notre industrie, avec 1,5 milliard d'euros supplémentaires. Nous allons maintenir le crédit d'impôt recherche (CIR) et le crédit d'impôt innovation (C2I) pour les jeunes entreprises innovantes.
Nous devons également sortir de la naïveté européenne. Les évolutions politiques aux États-Unis comme en Asie nous invitent à un sursaut européen, en matière d'investissement privé - je pense à l'union des marchés de capitaux - comme d'investissement public, en s'appuyant sur le rapport Draghi.
Les solutions passent par l'investissement, c'est une évidence. Mais pour être crédibles au niveau européen, nous devons réduire notre dette et la dépense publique, conditions de notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Raphaël Daubet. - Nous n'avons que quinze jours pour examiner le budget. Nous n'avons pas de temps à perdre. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
COP29 (I)
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a dix jours, la COP16 sur la biodiversité s'achevait dans l'indifférence générale. Entre-temps, la plus grande puissance du monde élisait un président pour qui le réchauffement climatique est un canular et l'environnement un non-sujet.
La COP29 se déroule sous la présidence d'une dictature pétrolière répressive, discréditant la nécessaire coopération internationale. Les catastrophes climatiques en Espagne, au Sahel ou en France nous rappellent pourtant l'urgence d'agir. Or en Europe, nombreux sont ceux qui veulent la mort du Pacte vert.
En France, la biodiversité est en constant déclin. Nous attendons un engagement fort, or le budget semble acter un renoncement. Pourtant, le 5 septembre dernier, le Premier ministre évoquait le concept de dette écologique lors de sa prise de fonction.
M. Jean-François Husson. - Il a raison.
M. Michaël Weber. - Face à l'effondrement de la biodiversité et à l'urgence climatique, nous sommes acculés. Qu'allez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques . - Vous avez planté le décor : une difficile négociation climatique entamée aujourd'hui, une COP sur la biodiversité aux résultats en demi-teinte. Nous vivons le dérèglement climatique, entre événements extrêmes et perte de rendements agricoles. Quant aux évolutions géopolitiques internationales, elles ne vont pas nécessairement dans le bon sens.
Nous agissons d'abord au niveau national. À la suite de l'accord de Montréal, lors de la COP15 sur la biodiversité, la France est l'une des premières à s'être dotée d'une stratégie nationale biodiversité (SNB), qui prévoit le classement en aires protégées de 30 % du territoire marin et du territoire terrestre. C'est déjà le cas en France. Nous travaillons à placer 10 % de notre territoire sous forte protection.
Ensuite, nous agissons financièrement. Dans le contexte budgétaire actuel, chacun fait des efforts. (Marques de mécontentement à gauche) Néanmoins, nous ne restons pas les bras ballants. (Marques d'impatience sur de nombreuses travées) Nous agissons en faveur de la biodiversité.
M. Michaël Weber. - Une stratégie c'est bien, des moyens c'est mieux. Le fonds Vert perd 1 milliard d'euros, les crédits de la SNB sont divisés par deux, le fonds chaleur est revu à la baisse, et je ne parle pas du pacte en faveur de la haie. Des postes sont menacés à l'Office français de la biodiversité, à l'Office national des forêts, à l'Ademe et dans les agences de l'eau. Mettez des moyens, soyez cohérente ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Fret ferroviaire
M. Pierre Barros . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRCE-K) Tous les ans, nous battons les records de chaleur. Réduire les émissions de gaz à effet de serre des transports devrait être une priorité. Pourtant, le Gouvernement s'entête à liquider Fret SNCF, pliant sans combattre devant la décision de la Commission européenne. Comment comptez-vous tenir l'objectif de doubler la part du fret d'ici à 2030 ?
Depuis l'ouverture à la concurrence, dix mille emplois ont été supprimés ces quinze dernières années. L'entreprise est menacée par un plan de discontinuité, la France étant condamnée par l'Union européenne en raison de 5 milliards d'euros d'aides de l'État. Fret SNCF, démantelée en deux sociétés, devra abandonner 23 lignes et ne pourra pas candidater pendant dix ans sur des sillons très rentables ; 500 postes sont supprimés... Rien d'étonnant à ce que des préavis de grève soient déposés !
Ce plan de discontinuité est un non-sens économique et écologique. Vous cassez un outil qui transporte 70 % des marchandises en France, alors que la concurrence a échoué partout en Europe. Défendez notre opérateur public de fret contre le dogme de la concurrence libre et non faussée imposée par Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports . - Je voudrais tordre le cou à certaines informations erronées. Le fret a bénéficié, au cours des dernières années, de 5 milliards d'euros d'aides, illégales au regard du droit européen. Ce n'est pas le changement de ministre à Paris ni de commissaire à Bruxelles qui modifieront cette réalité juridique. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Mickaël Vallet proteste également.)
Nous avons travaillé main dans la main avec la SNCF et les organisations syndicales à un plan robuste pour sauvegarder tous les emplois, dont 90 % dans le groupe SNCF. Les 500 emplois que vous avez cités sont affectés à d'autres tâches. J'ai demandé au président de la SNCF de veiller aux situations personnelles.
Heureusement, la demande de fret ferroviaire est croissante. Les 24 flux cédés à la concurrence sont tous repris par des entreprises ferroviaires : aucun ne va au transport routier.
Dans ce budget, le Gouvernement s'engage à hauteur de 370 millions d'euros pour le fret ferroviaire, de 100 millions d'euros pour les wagons isolés - le Premier ministre a souhaité augmenter ces crédits de 30 millions d'euros. En tout, 4 milliards euros seront affectés au fret ferroviaire dans les prochaines années, et son doublement reste notre objectif. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Pierre Barros. - Je doute de la robustesse de votre dispositif. Des solutions existent : déclarons un moratoire, comme le demandait le rapport d'Hubert Wulfranc, ouvrons des discussions avec la nouvelle commissaire européenne Teresa Ribera et travaillons avec les organisations syndicales et tous les partenaires. Ne jetez pas des millions de camions supplémentaires sur nos routes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mercosur
Mme Évelyne Perrot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'associe à ma question Anne-Sophie Romagny et Franck Menonville. L'accord avec le Mercosur est problématique pour nos agriculteurs et en contradiction avec nos engagements environnementaux.
Selon le rapport de Stefan Ambec, les coûts écologiques seront supérieurs aux gains économiques, et Greenpeace a dénoncé les risques majeurs que représente cet accord pour le climat et la biodiversité. (Vifs applaudissements sur les travées du GEST) Aucune garantie sur la déforestation... Pis, en favorisant les exportations sud-américaines de boeuf ou de biocarburants, il l'accélérera.
L'accord est dépourvu de dispositions contraignantes quant aux modes de production. Or les normes environnementales sont autrement plus lâches dans les pays du Mercosur que dans l'Union européenne. C'est un nivellement écologique par le bas !
M. Didier Marie. - Très bien !
Mme Évelyne Perrot. - La France a tenté d'y intégrer des clauses miroirs, sans succès. En l'état, le traité est donc contraire à l'accord de Paris et à la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.
Madame la ministre, vous avez réaffirmé vouloir lutter contre le dumping écologique. Poserez-vous un veto français ? Vous opposerez-vous à une adoption séparée du volet commercial ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, SER et du GEST et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - J'associe Mmes Genevard et Pannier-Runacher à ma réponse. Le Gouvernement est pleinement mobilisé. Nous ne pouvons pas accepter cet accord en l'état : c'est ce que le Premier ministre dira aujourd'hui à Mme von der Leyen à Bruxelles ; c'est la position constante de la France, que le Président de la République a rappelée à plusieurs reprises.
Cet accord n'offre pas de garanties suffisantes, pour l'environnement comme pour nos filières agricoles. En cas de violation de l'accord de Paris, l'accord avec le Mercosur doit pouvoir être suspendu. L'accord doit aussi comprendre des clauses de sauvegarde, des mécanismes de sanctions lorsque les obligations environnementales ne sont pas satisfaites et respecter les règles imposées par l'Union européenne à ses producteurs, notamment en matière de déforestation.
Nous tenons à ce que la Commission européenne respecte le mandat qui lui a été confié par le Conseil : conclure un accord d'association, à l'unanimité des États membres, soumis à la ratification des parlements nationaux. C'est une question de démocratie. Plus de 600 parlementaires ont porté ce message dans une tribune ; le Premier ministre porte ce même message à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Plans sociaux (II)
Mme Antoinette Guhl . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Où en est la promesse de plein emploi du président Macron ? Que dites-vous aux 1 254 salariés de Michelin et aux 2 389 salariés d'Auchan ? Qu'il suffit de traverser la rue pour trouver du travail ? (Marques d'agacement sur les travées du RDPI)
Notre industrie va mal : 1 700 emplois sont menacés chez Sanofi et 228 salariés de Duralex se sont sauvés eux-mêmes en s'organisant en coopérative.
Les gros salaires et les grandes entreprises ont bénéficié de 80 milliards d'euros d'allègements de charges, qui grèvent le budget de la sécurité sociale. Cela protège-t-il l'emploi et l'industrie ? Non. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont dégradé les droits sociaux et pénalisé les chômeurs. Ce sont des humains qui souffrent et s'inquiètent. Originaire de Lorraine, ...
M. Jean-François Husson. - Très bien !
Mme Antoinette Guhl. - ... je connais le regard de l'enfant qui ne verra plus ses parents travailler.
« Aidons, protégeons, secourons, avouons la faute publique et réparons-la », disait Victor Hugo, qui ajoutait aussi que « c'est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. » Comment protéger l'emploi industriel et anticiper les mutations à venir, notamment écologiques ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi . - Quelques chiffres : depuis 2017, 2,5 millions d'emplois ont été créés, dont 150 000 emplois industriels nets, après plus de trente ans de destruction du tissu industriel français. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Oui, les conditions économiques se durcissent, avec davantage d'entreprises en difficulté. C'est la conséquence de transformations structurelles dans l'automobile, la chimie, la grande distribution, et de facteurs conjoncturels, liés au coût de l'énergie ainsi qu'au durcissement des conditions commerciales avec la Chine, l'Inde et les États-Unis.
Toutes les réponses doivent être mobilisées, offensives comme défensives. (« Ah ! » sur les travées du GEST) Il faut changer de braquet sur l'emploi : les solutions - activité partielle, reconversions - doivent être simplifiées, et nous en parlons avec les partenaires sociaux. Les fonds de revitalisation doivent être davantage ciblés vers les départements en difficulté. Nous devons aussi être plus compétitifs, monter en gamme, innover et être plus fermes vis-à-vis de la concurrence chinoise et américaine. Un plan de filière automobile européen est préparé par le ministre de l'économie.
Enfin, un amendement a été déposé ce matin même par le Gouvernement, avec 1,5 milliard d'euros en faveur de la décarbonation. Le combat continue ! (Mme Antoinette Guhl approuve ; applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Olivier Cadic applaudit également.)
Lutte contre la criminalité organisée
M. Étienne Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre (exclamations sur les travées du groupe SER), le rapport de la commission d'enquête narcotrafic a consacré un chapitre important à la corruption. Pas facile, car les administrations centrales et les inspections générales ont peu de documents solides sur le sujet, laissant entendre que le Gouvernement voyait cela de loin.
Pourtant, certains services connaissent des dérives : agents de collectivités territoriales, membres des douanes écartant un container, greffiers n'ayant pas accompli des formalités pour faire tomber une procédure judiciaire... Cela concerne aussi, hélas, certains services de police et gendarmerie. Nous avons ainsi observé une hausse significative de la consultation illégale de fichiers, dont les informations sont communiquées à des narcotrafiquants, moyennant rémunération.
La corruption est l'un des qualificatifs des narco-États, le moyen d'affaiblir voire de détruire les centres névralgiques de lutte contre la criminalité.
Quelle sera la politique du Gouvernement pour mieux comprendre le phénomène et lutter contre ce qui affaiblit la puissance de l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP ; Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Hervé Maurey applaudissent également.)
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur . - Vendredi, nous étions à Marseille avec vous-même, le président de la commission d'enquête, et le garde des sceaux.
J'ai été impressionné par deux moments : la rencontre avec les familles de victimes, nous demandant d'arrêter ce massacre, et lorsque nous avons rencontré les enquêteurs de la police judiciaire et de l'Office anti-stupéfiants (Ofast), nous décrivant l'inquiétante métamorphose de ces organisations criminelles, qui se projettent de façon tentaculaire, grâce à la corruption et à des méthodes effrayantes : torture, séquestration, recours à de jeunes tueurs, désormais jetables... Nous ne luttons pas à armes égales. Tels sont les constats de la commission d'enquête.
Au regard des sommes en jeu, des menaces pesant sur des agents publics et privés, le phénomène de la corruption doit être pris au sérieux. Il y a quelques semaines, un policier a dû rendre des comptes, car il avait vendu des informations sur le Darknet.
Le moyen d'y parvenir, ce sera la proposition de loi du Sénat, dont l'article 19 prévoit des enquêtes administratives régulières. Il faudra y inclure le narcotrafic pour développer des techniques spéciales d'enquête. Comptez sur nous pour agir vite et fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
Politique pénitentiaire
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Monsieur le garde des sceaux, le 14 mai dernier à Incarville dans l'Eure, l'attaque d'un fourgon pénitentiaire faisait deux morts et trois blessés, suscitant une vive émotion chez les agents pénitentiaires et dans l'ensemble de la population. Six mois après, les agents restent inquiets.
Je me suis rendue à la maison d'arrêt d'Évreux qui affiche un taux d'occupation de 189 %, avec quatre détenus par cellule de 10 m2. Les conditions de travail des agents sont difficiles, dans des locaux étroits et vétustes. Cette maison d'arrêt a 112 ans : venez la visiter, monsieur le garde des sceaux !
Au centre de détention des Vignettes à Val-de-Reuil - le plus grand d'Europe - , j'ai échangé avec la directrice, les organisations syndicales et les détenus. Les agents craignent pour leur sécurité et se considèrent comme les grands oubliés de l'administration. La qualité de vie au travail ne pourra s'améliorer que lorsque les conditions de détention seront meilleures.
Après le drame d'Incarville, un protocole d'accord a été signé avec votre prédécesseur. Qu'en est-il de son application ?
Monsieur le garde des sceaux, comment remettrez-vous sur les rails le plan 15 000 places de prison ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice . - Comme vous, je salue l'engagement sans faille des personnels pénitentiaires, qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et qui méritent notre soutien et notre solidarité.
C'est pour respecter les engagements pris que j'ai demandé une enveloppe complémentaire (« Ah ! » à droite) par rapport à la lettre plafond - que le Premier ministre a acceptée.
Les 33 mesures du protocole sont en cours de mise en oeuvre et les crédits sanctuarisés pour 2025. Les premiers véhicules nouvelle génération commencent à être livrés ; nous disposerons de 60 sites équipés de systèmes anti-drones d'ici à la fin de l'année - 90 d'ici à la fin 2025 -, et une centaine de dispositifs mobiles de brouillage de téléphone. Quelque 97 millions d'euros ont été accordés pour renforcer la sécurité en 2025.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Je reviendrai sur le plan 15 000 places de prison, en retard, après des arbitrages du Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
COP29 (II)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a quelques heures, le président Aliyev déclarait : « Les leçons des crimes de la France dans ces prétendus territoires d'outre-mer ne seraient pas complètes sans mentionner les récentes violations des droits humains par le régime. » Le groupe d'initiative de Bakou entretient l'agitation en Nouvelle-Calédonie et en Afrique.
Il a ajouté : « Le Parlement européen et le Conseil de l'Europe, ces deux institutions qui sont devenues les symboles de la corruption politique, partagent la responsabilité avec le gouvernement du président Macron pour le meurtre de gens innocents ».
Non, le dictateur, c'est bien le président Aliyev ! (Applaudissements) Pensons à Théo Clerc, condamné à trois ans de prison pour des tags dans le métro de Bakou, à ce réfugié azéri assassiné à Mulhouse, aux 6 500 morts en Arménie, aux 100 000 déplacés. C'est Aliyev le meurtrier !
Madame la ministre, il est temps d'avoir le courage de faire la politique de la chaise vide. (« Bravo ! » à droite et applaudissements)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques . - Les propos du président Aliyev, à l'occasion de l'ouverture de la COP29, sont inacceptables. (Mme Laurence Rossignol et M. Jean-Jacques Panunzi renchérissent.) Ces attaques directes, contre la France et l'Europe, sont injustifiables et constituent une violation flagrante du code de conduite de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elles ne resteront pas sans réponse. (Exclamations à gauche)
Il est ironique que l'Azerbaïdjan, régime répressif et liberticide, donne des leçons en matière de droits de l'homme. (M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.)
La position de l'Azerbaïdjan en faveur des énergies fossiles est inacceptable, alors que la diplomatie française et européenne avait obtenu un accord universel sur la sortie des énergies fossiles à la COP28. C'est indigne d'une présidence de COP.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et alors ? (M. Rachid Temal renchérit.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - À l'inverse, je salue le Brésil et le Royaume-Uni qui se sont engagés à améliorer leur trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Après échange avec le Président de la République et le Premier ministre, j'ai décidé de ne pas me rendre à Bakou la semaine prochaine. (« Ah ! » et applaudissements)
M. Rachid Temal. - C'est insuffisant !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Les équipes de négociation française ne ménageront pas leurs efforts pour protéger la planète, avec mon appui à distance, en lien avec nos partenaires européens. Nous sommes les gardiens de l'accord de Paris. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Christine Lavarde. - Cette décision honore le Gouvernement. Mais nous devons aller plus loin au nom de l'amitié ancestrale de la France avec l'Arménie. Un contrat gazier signé entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan a permis, en 2022 et 2023, à du gaz russe d'être livré en Europe, après avoir transité par l'Azerbaïdjan, grâce à la compagnie pétrolière Socar qui finance les actions d'ingérence du régime Aliyev.
M. Rachid Temal. - Voilà !
Mme Christine Lavarde. - Au Parlement européen, François-Xavier Bellamy, Nathalie Loiseau, Raphaël Glucksmann ont parlé d'une même voix. Il est temps que l'État français dénonce ce traité gazier. (Applaudissements)
M. Yannick Jadot. - Et TotalEnergies ?
Enseignement
M. Adel Ziane . - Le week-end dernier, Nicolas Sarkozy a une nouvelle fois fustigé les enseignants : trop nombreux, ils travailleraient « 24 heures hebdomadaires, six mois par an ». Cela ferait sourire, si notre école n'allait pas aussi mal. Sa présidence a vu la suppression de 80 000 postes en cinq ans dans la seule Éducation nationale et la fermeture des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Notre école en paie encore le prix.
Selon l'Insee et la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), les enseignants travaillent en moyenne 43 heures par semaine - 50 heures pour les plus jeune - dans des classes surchargées. Ils se paupérisent : dans les années 1980, ils percevaient trois fois le Smic en début de carrière, contre à peine 1,2 aujourd'hui.
Madame la ministre, vous avez trop tardé à réagir à ces propos. Comment défendrez-vous les enseignants contre ces diatribes mensongères qui détériorent leur lien avec la société et abîment l'école de la République ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. Alexandre Portier, ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel . - Quand je pense à nos enseignants, je pense à tous ces visages qui ont jalonné nos parcours ; à ces instituteurs, dans leur classe à 7 h 15, partout en France, qui préparent les dernières photocopies et accueillent tous les enfants, inconditionnellement. (Marques d'impatience à gauche) L'école est le premier service public de ce pays, c'est là où nos enfants apprennent ce que sont le collectif, la nation, la France.
Les enseignants ont le soutien inconditionnel du Gouvernement. Je le dis, je ne partage pas ces propos. Preuve en est le soutien que nous leur apportons dans le budget. Malgré les contraintes budgétaires...
M. Rachid Temal. - Rappelez Bruno Le Maire !
M. Alexandre Portier, ministre délégué. - ... nous consacrons à l'école 63 milliards d'euros, un record.
Ce n'est jamais assez, bien sûr, mais ces moyens supplémentaires serviront à réduire le nombre d'élèves par classe, à poursuivre la modernisation du lycée professionnel - car nous y avons ouvert des classes et recruté des enseignants -, à mieux accueillir, notamment les élèves en situation de handicap : 2 500 emplois sont créés à cette fin.
Vous pourrez, lors de la discussion budgétaire, dire votre vision de l'école et ce que vous proposez pour faire mieux et plus. (Exclamations sur les travées du groupe SER)
Mme Cécile Cukierman. - Et l'article 40 ?
M. Alexandre Portier, ministre délégué. - J'ai hâte d'en débattre ensemble. (« Bravo ! » à droite)
M. Adel Ziane. - Nous avons énormément de propositions à vous faire ! Merci de votre réponse, même si j'aurais aimé entendre la ministre de l'Éducation nationale.
La priorité est d'avoir un professeur devant chaque élève, or 15 millions d'heures de cours ne sont pas dispensées chaque année. Vous annoncez l'acte II du choc des savoirs alors que l'acte I n'est pas évalué, et que 4 000 postes sont supprimés.
Les fonctionnaires, en première ligne, méritent mieux que des clichés éculés, à l'heure où le ministre de la fonction publique, dans une forme de trumpisme à la française, s'acoquine avec Elon Musk sur X dans un challenge méprisant et provocateur à leur endroit. (Vifs applaudissements à gauche ; M. Guillaume Kasbarian secoue la tête.) Nous leur devons de la considération, dans la parole comme dans l'action politique. (Applaudissements à gauche)
M. Hussein Bourgi. - Que Kasbarian arrête de dire n'importe quoi !
Ahou Daryaei
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le courage d'Ahou Daryaei nous a tous frappés : son geste, d'une transgression inouïe, exprime l'étouffement d'un peuple. Avec Roger Karoutchi, nous avons formé un comité de parrainage de 150 sénateurs pour faire pression sur l'Iran, en demandant sa libération. À Paris, « au nom de Dieu », l'ambassade d'Iran s'est fendue d'un communiqué de presse surnaturel, prétendant qu'Ahou souffre de troubles mentaux, et déclarant qu'il s'agit d'un sujet secondaire.
Monsieur le ministre, vous avez dit saluer « le courage de cette jeune femme qui, par cet acte de résistance, s'est hissée au rang d'icône ».
Avez-vous des informations sur ce qu'elle est devenue ? Avez-vous des contacts avec l'ambassade d'Iran ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et INDEP ; M. Patrick Kanner, Mme Émilienne Poumirol et M. Yannick Jadot applaudissent également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Des ténèbres obscurantistes a surgi une icône du combat des femmes iraniennes, celui de Mahsa Amini, celui des centaines de femmes tuées dans la répression sanglante des manifestations, celui des milliers de femmes emprisonnées ou vivant dans la peur, celui du mouvement « Femmes, vie, liberté », celui de toutes les femmes iraniennes qui aspirent à la liberté et à la dignité.
Une icône de la défense du droit des femmes partout où ils sont contestés, en Iran, en Afghanistan...
M. Stéphane Ravier. - Et chez nous, dans nos banlieues ! (Protestations à gauche)
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Une icône pour les défenseurs des droits de l'homme. Cette icône, c'est Ahou Daryaei. Nous avons tous été bouleversés par son courage. La France est consternée par son arrestation brutale et inquiète de son internement présumé ; notre ambassade a relayé notre inquiétude, notre préoccupation et notre consternation aux autorités iraniennes. (M. François Patriat applaudit ; M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous n'avez pas totalement répondu, monsieur le ministre.
La vague de protestation qui a suivi la mort de Mahsa Amini en septembre 2022 s'est amplifiée. Le régime des mollahs a exécuté, par pendaison, plus de 800 personnes en 2023, 172 % de plus qu'en 2021 ; le pays ouvrira prochainement une clinique psychiatrique pour traiter le problème du dévoilement chez les femmes. Rendons hommage aux femmes qui luttent pour leur liberté, Mahsa, Ahou, sous un régime qui veut les invisibiliser, leur imposer un apartheid sexuel.
La France doit faire pression sans état d'âme sur l'Iran et être clairement aux côtés de ces femmes qui aspirent à la liberté. (« Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains et applaudissements sur toutes les travées)
Faillites d'entreprises
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En 2024, nous devrions atteindre 65 000 défaillances d'entreprises, et le rythme s'accélère. Nous traversons une phase de turbulence. Certaines entreprises qui ont survécu grâce aux aides pendant le covid sont menacées de disparition. Après Auchan et Michelin, le ministre Ferracci dit redouter d'autres plans sociaux.
Il est à craindre un décrochage de notre pays en termes de création de richesse. Depuis trente ans, notre PIB par habitant stagne, quand il progresse dans les autres pays de l'OCDE. Il est à craindre une remontée du chômage, avec son cortège de misère.
Les chefs d'entreprise pointent le coût du travail, le prix de l'énergie mais aussi le remboursement des prêts garantis par l'État (PGE). Ne peut-on utiliser à nouveau ce dernier levier comme amortisseur en allongeant la durée de remboursement au-delà de 2026 ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie . - Vous l'avez rappelé : 64 000 défaillances cette année, mais en raison d'un rattrapage après plusieurs années, post-covid, où le nombre de défaillances était très bas, entre 25 000 et 30 000 par an seulement. L'an dernier, le nombre de créations nettes d'entreprises s'élevait à 830 000.
Mon ministère assure un suivi particulier via la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises et avec les services déconcentrés de l'État - notamment dans votre département.
La solution réside dans la compétitivité des entreprises. L'Assemblée nationale a finalement rejeté un budget qui prévoyait des dizaines de milliards d'euros d'impôts supplémentaires sur les entreprises. Nous avons besoin de faire confiance aux entreprises, de leur simplifier la vie, de baisser les impôts, de tenir le cap sur le coût du travail, car ce sont elles qui créent de l'activité. Je sais que le Sénat ira dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Olivier Henno. - Aux contraintes financières connues, il ne faut en aucun cas ajouter des difficultés économiques, voire pire, une crise sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Grèves à la SNCF
M. Philippe Tabarot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Parmi les appels à la grève, il en est un qui est bien connu : le traditionnel chantage à la grève de Noël à la SNCF. Après celle du 21 novembre, une grève illimitée est annoncée à partir du 11 décembre, impactant des millions d'usagers - et de contribuables, alors qu'un jour de grève coûte 10 à 20 millions d'euros.
Situation du fret, concurrence des TER sont les motifs invoqués, mais le timing coïncide surtout avec les négociations annuelles et leurs revalorisations salariales. Les usagers trinquent, alors qu'ils n'y sont pour rien. Depuis 1947, pas une année sans un jour de grève à la SNCF !
Tout en rappelant les garanties apportées aux salariés du fret et la nécessité de cette réorganisation, n'est-il pas temps d'encadrer enfin le droit de grève dans les transports, en reprenant les mesures que nous avons votées au Sénat à l'initiative de Bruno Retailleau et Hervé Marseille ? (M. Fabien Gay proteste.) Nous n'avons pas attendu certains députés populistes pour proposer de sanctuariser certains jours dans l'année et de lutter contre les grèves du quotidien.
Mme Cécile Cukierman. - Noël, c'est un jour : le 25 décembre !
M. Philippe Tabarot. - Respectons enfin la liberté d'aller et venir des Français. Le droit de grève est un droit constitutionnel, nous n'acceptons pas de le voir détourné. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Cécile Cukierman proteste.)
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports . - Je veux d'abord saluer votre travail sur le sujet des transports. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également ; on ironise à gauche.) Votre proposition de loi sur la sécurité dans les transports sera examinée le 9 décembre à l'Assemblée nationale.
La continuité du service public est un principe constitutionnel au même titre que le droit de grève. Je suis attaché aux deux.
Le préavis de grève déposé par les organisations syndicales porte sur trois sujets. Sur le fret, j'ai rappelé les mesures prises par le Gouvernement pour assurer son avenir. Sur les négociations salariales - qui relèvent de la direction générale de l'entreprise - je note que les agents comme l'entreprise ont bénéficié de conditions favorables ces dernières années, et que l'inflation est plus réduite, heureusement. Sur la concurrence dans les TER, nous apportons toutes les garanties sociales.
Le dialogue a lieu. Les Français ne comprendraient pas d'être pénalisés par une grève, dans leur vie quotidienne ou lors des fêtes de fin d'année. J'ai confiance dans la responsabilité et la capacité de dialogue de l'entreprise et des organisations syndicales. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Finances des départements
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Au printemps dernier, le rapport Woerth a conforté le département comme strate des solidarités et de la résilience des territoires. Malgré cette prise de conscience de leur rôle central, les départements subissent une asphyxie budgétaire insoutenable.
L'échelon départemental est le plus soumis aux fluctuations économiques. En 2023, la crise du marché immobilier a ainsi fait chuter de 20 % le produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), principale ressource des départements.
Avec un financement déconnecté de leurs compétences comme de leur démographie, et alors que les dépenses sociales augmentent fortement, les départements sont confrontés à un risque systémique majeur. Ils doivent également assumer des décisions prises par l'État sans compensation financière suffisante - je pense à l'augmentation du point d'indice ou des cotisations à la Caisse nationale de retraite des collectivités locales (CNRACL). Résultat : le rôle clé des départements au service de la justice sociale et de la résilience territoriale est gravement compromis.
Alors que la situation est déjà critique, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit un coup de rabot intolérable, sans dialogue ni concertation. Que répondez-vous au cri d'alarme de l'Assemblée des départements de France et allez-vous agir pour éviter la mise sous tutelle ou la cessation de paiement de certains départements ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Cathy Apourceau-Poly et Monique de Marco applaudissent également.)
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation . - Vous connaissez les conditions dans lesquelles le projet de loi de finances pour 2025 a été préparé.
M. Rachid Temal. - Non... Il faut demander à Attal !
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Chacun connaît les difficultés que rencontrent nos finances publiques, avec une charge de la dette qui atteint 55 milliards d'euros. Le Gouvernement a travaillé à réduire, d'abord, les dépenses de l'État, de 20 milliards, et les dépenses sociales, de 15 milliards d'euros. Nous sollicitons aussi, en effet, un effort des collectivités.
Toujours est-il que, comme vous le soulignez, la situation des départements est particulière, pour deux raisons : ils n'ont aucune prise sur le montant des prestations qu'ils versent et les recettes liées aux DMTO sont très inégales - un département littoral, par exemple, n'est pas du tout dans la même situation qu'un département ni côtier ni montagnard, c'est-à-dire dans une situation plus précaire.
Avec mon collègue chargé des comptes publics, je travaille à des réponses concrètes sur les DMTO et la ponction évoquée. Aux assises des départements de France, le Premier ministre réaffirmera l'engagement du Gouvernement au côté des départements. (MM. Laurent Somon et François Patriat applaudissent.)
Rôle des polices municipales face aux agressions
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Doubs n'est pas épargné par des événements d'une grande violence. Jeudi dernier, à la sortie d'une boîte de nuit, un jeune militaire du 19e régiment du génie de Besançon a été sauvagement agressé ; il est en état de mort cérébrale. (M. Stéphane Ravier s'exclame.)
L'été dernier, deux personnes avaient été froidement assassinées en pleine rue. Besançon symbolise une accumulation d'actes de violence qui angoisse la population.
La récente commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic a analysé avec lucidité une situation dangereuse. Nous connaissons votre détermination, monsieur le ministre de l'intérieur, mais chacun doit tirer dans le même sens. Il nous faut transcender les clivages et combattre les discours idéologiques qui nient les violences et s'offusquent dès qu'on parle de répression. Dans la ville natale de Victor Hugo, cette démagogie dépasse l'imaginable.
Les polices municipales ne sont pas la solution à tout, mais elles ont leur rôle à jouer. Elles doivent être employées dans toute l'étendue de leurs possibilités. Peut-être faudrait-il veiller à ce qu'un maire ne puisse vider sa police municipale de toute efficacité en la privant d'armes ? Nous devons aussi développer la vidéosurveillance, encore trop souvent refusée. Cette priorité donnée à la sécurité est parfaitement conciliable avec la libre administration des collectivités territoriales.
Pouvons-nous accepter qu'un maire prive sa commune des moyens d'une action efficace pour la sécurité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur . - Les faits que vous avez décrits sont révélateurs de l'hyperviolence que subissent nombre de nos compatriotes, dont nos forces de l'ordre. Il se produit en France un refus d'obtempérer toutes les vingt minutes ; et chaque jour plus de 1 000 agressions - pour celles qui sont déclarées.
Derrière ces chiffres, il y a autant de vies brisées, d'existences volées. C'est aussi la confiance qui est blessée quand la République ne parvient pas à protéger les siens, à commencer par les plus fragiles.
Demain, je réunirai l'ensemble des préfets, commandants de groupement de gendarmerie et directeurs départementaux de la police nationale pour leur présenter une stratégie contre le narcotrafic et pour la sécurité du quotidien.
Ma méthode, ce sera la subsidiarité : je donnerai beaucoup plus de liberté aux responsables départementaux, parce qu'on ne protège bien que ce qu'on connaît bien. Paris ne sait pas tout.
Nos objectifs : plus de visibilité pour plus d'efficacité. Il faut la bonne patrouille au bon endroit et au bon moment. Entre 5 et 10 % des multirécidivistes commettent plus de la moitié des actes de délinquance : nous allons les cibler, les cribler.
Mais vous avez raison : nous ne rétablirons pas l'ordre républicain sans la coopération des communes. Comme vous, je suis favorable à un continuum de sécurité, avec plus de policiers municipaux armés et plus de vidéoprotection. Je réunirai bientôt un Beauvau de la sécurité et nous inscrirons ces sujets à l'ordre du jour législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Jacques Grosperrin. - Nous connaissons votre engagement. Il est important de mobiliser les maires : ils ne doivent pas rester à l'écart de la chaîne de la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Exportation de spiritueux
M. Daniel Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À Shanghai, la ministre Primas a abordé avec ses homologues la surtaxe douanière sur le cognac, l'armagnac et les brandys.
L'enquête anti-dumping lancée par la Chine, qui exige de la filière une coopération coûteuse, s'inscrit dans un contexte de tensions commerciales : droits de douane européens sur les véhicules électriques et riposte chinoise via un cautionnement de 38 % sur certaines importations.
Les exportateurs français de la filière subissent annulations et reports de contrats. Je remercie le président Larcher pour son soutien. La filière a réaffirmé son souhait de préserver la liberté de commercer sans devenir une victime collatérale de ces conflits.
Une réactivation de la taxe Trump pourrait aussi menacer nos exportations. Et d'autres secteurs pourraient, demain, être touchés - je pense notamment aux filières laitière et porcine.
À l'approche du G20 au Brésil, nous espérons un engagement fort du Président de la République. La Chine permet désormais aux importateurs de présenter des garanties bancaires au lieu des cautionnements : c'est encourageant. Monsieur le ministre, comment comptez-vous protéger un secteur essentiel pour notre économie et notre patrimoine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - L'Union européenne a décidé d'appliquer des droits de douane sur les véhicules électriques chinois, au terme d'une enquête d'un an, transparente, contradictoire et respectueuse des règles de l'OMC. À l'inverse, les décisions chinoises frappant certaines filières européennes, dont le cognac et les produits laitiers, ne respectent nullement ces règles.
Dès le 23 septembre, la Commission européenne a engagé une procédure auprès de l'OMC pour ce qui est des produits laitiers ; dès le 8 octobre, une autre sur les droits provisoires appliqués aux brandys.
Sophie Primas a rappelé fermement aux autorités chinoises notre détermination à défendre nos filières. Nous avons obtenu un assouplissement des conditions d'application des droits provisoires. C'est une première ouverture, mais insuffisante. Nous irons jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la levée définitive de ces droits injustifiables.
Sophie Primas, Annie Genevard et moi-même sommes pleinement mobilisés dans cette perspective. (MM. François Patriat et Roger Karoutchi applaudissent.)
M. Daniel Laurent. - La filière cognac représente 70 000 emplois, sur 4 000 exploitations. Ces produits incarnent notre patrimoine immatériel et un savoir-faire ancestral. La filière compte sur votre appui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.)
Renouveau des bassins miniers
M. Christopher Szczurek . - Madame Létard, le bassin minier attend des actes. Élus, comme vous, de ce territoire, nous connaissons les difficultés nombreuses, mais aussi les formidables atouts, de cette terre de travail, de partage et de fierté. Pendant des décennies, ses habitants ont contribué à la prospérité et à la grandeur du pays, au prix de grands sacrifices.
En 2017, le président Hollande avait promis à Oignies, dans l'agglomération d'Hénin-Beaumont, 100 millions d'euros pour la rénovation thermique des logements. Cinq ans plus tard, le candidat Macron s'offrait un grand tour du bassin minier : à Carvin, toujours dans la circonscription de Marine Le Pen, il a promis 100 millions d'euros supplémentaires pour la rénovation des espaces publics.
Trois ans plus tard, nous attendons la concrétisation de cette promesse. Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 en faveur du bassin minier ne paraissent pas suffisants - aucun nouvel engagement n'est prévu. L'émoi et l'incertitude ont envahi les esprits.
Pouvez-vous nous confirmer que les 100 millions d'euros pour la rénovation de l'habitat sont consommés et que 100 millions d'euros supplémentaires seront bien affectés aux espaces publics ? Notre territoire, traumatisé sur le plan économique, social et écologique, a besoin d'un soutien à long terme ! (M. Joshua Hochart applaudit.)
Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine . - Je n'ai pas attendu votre question pour me préoccuper de l'avenir de l'engagement pour le bassin minier, dont je suis élue. Voilà des années que je défends cette cause, comme ma collègue Agnès Pannier-Runacher, mais aussi Cathy Apourceau-Poly, Jean-François Rapin, Amel Gacquerre et Jean-Pierre Corbisez. Tous, nous sommes mobilisés.
M. Christopher Szczurek. - On n'a pas remarqué...
Mme Valérie Létard, ministre. - Le Président de la République s'est engagé à dépenser 100 millions d'euros entre 2018 et 2027. En 2023, ces 100 millions ont été honorés. Le Président s'est engagé à aller jusqu'au bout des besoins de rénovation - d'où les 17 millions d'euros supplémentaires prévus en 2024.
Dès mon arrivée, je me suis attelée, avec le préfet, à mesurer les besoins pour 2025. Un amendement gouvernemental à la seconde partie du projet de loi de finances vous montrera que nous ne vous avons pas attendus pour nous occuper des habitants du bassin minier ! (Applaudissements sur de nombreuses travées)
La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 30.
Avis sur une nomination
M. le président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n°2010 837 et de la loi n°2010 838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis un avis favorable (27 voix pour, 8 voix contre) à la nomination de M. Didier Leschi aux fonctions de directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii).
Sûreté de l'enfant victime de violences
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère, à la demande du RDSE.
Discussion générale
Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Mélanie Vogel et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.) Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles dans notre pays. En 2021, les violences intrafamiliales (VIF) non conjugales ont augmenté de 16 %. Ces chiffres glaçants nous imposent une démarche active pour protéger notre jeunesse.
Les professionnels de la protection de l'enfance alertent sur l'urgence des situations et l'insuffisance budgétaire ou législative des réponses. La dénonciation des violences subies par les enfants est mise en lumière par des événements macabres. Mais les enfants n'ont pas la même capacité à se faire entendre. On se souvient du livre de Camille Kouchner, La Familia grande, mais ces témoignages restent rares.
L'inceste fait rarement l'objet de condamnations. C'est inadmissible : les victimes sont placées dans une situation de précarité bénéficiant aux agresseurs.
Le RDSE a alerté à plusieurs reprises sur les carences de notre législation. Ainsi, le 30 septembre 2019, Françoise Laborde déposait une proposition de résolution pour intensifier la lutte contre l'inceste et demander sa surqualification pénale. Deux ans plus tard, le Sénat votait la proposition de loi d'Annick Billon. Désormais, le code pénal prend davantage en compte la gravité des viols sur mineurs, notamment incestueux.
La loi a institué nombre de dispositifs pour mieux protéger les victimes de violences, mais des améliorations demeurent possibles, selon la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) dans son rapport du 17 novembre 2023. Ces améliorations s'articulent autour de quatre axes : le repérage des enfants victimes, la réparation et le soin, la prévention des violences sexuelles et le traitement judiciaire de celles-ci.
Ce texte s'inscrit dans ce dernier axe et reprend la préconisation n°26 du rapport, avec la création d'une ordonnance de sûreté de l'enfant qui permettrait au juge aux affaires familiales (JAF) de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable. Il faut aller au-delà et couvrir toutes les violences, et pas uniquement les violences incestueuses.
Nombre de moyens existent déjà : le JAF peut émettre des ordonnances de placement ; l'assignation à bref délai lui permet de se prononcer sous 15 jours ; l'ordonnance de protection et l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) peuvent être bénéfiques pour les enfants.
L'ajout d'un nouveau dispositif posera de nouvelles difficultés, j'en conviens, mais l'architecture actuelle souffre de dysfonctionnements. Aussi avons-nous souhaité créer un outil qui regroupe tous les autres, afin de mieux prendre en compte la spécificité de ces violences, à l'instar de l'ordonnance de protection, créée spécifiquement pour les violences conjugales.
Je remercie Marie Mercier et Dominique Vérien pour la qualité de nos échanges.
La rapporteure m'a indiqué qu'une majorité d'acteurs n'était pas favorables à ce dispositif. Ainsi, je vous proposerai non pas de créer une nouvelle ordonnance, mais d'élargir le champ de l'ordonnance de protection actuelle afin d'en faire bénéficier les enfants. Je pense que cette nouvelle approche rencontrera un consensus. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI, ainsi que des groupes INDEP et UC ; Mmes Mélanie Vogel et Marie-Pierre Monier applaudissent également.)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois . - La protection de l'enfance, voilà un objectif primordial que nous partageons tous. Il nous revient de parfaire son cadre juridique. Ce fut le cas avec le vote de la loi Santiago du 18 mars 2024 - dont j'étais le rapporteur - et de la loi Chandler du 13 juin 2024.
J'ai abordé cette proposition de loi avec un a priori positif. Toutefois, le dispositif proposé suscite une réserve d'une grande partie des acteurs de la protection de l'enfance : juges, magistrats, avocats, associations et, dans une certaine mesure, la Ciivise, y sont soit opposés, soit conditionnent leur soutien à des modifications substantielles, pour deux raisons principales.
Premièrement, le défaut juridique de l'ordonnance de sûreté : les conditions de saisine du JAF sont moins favorables que celles prévalant pour d'autres dispositifs ; le dispositif ne prévoit pas de sanctions en cas de méconnaissance de l'ordonnance, la privant d'effectivité ; le retrait de l'autorité parentale est une mesure d'une particulière gravité, inadaptée à une procédure d'urgence ; ce dispositif étend indûment l'office du JAF, à qui il n'incombe pas de se prononcer sur une infraction pénale commise par un adulte extérieur au cercle familial proche.
Deuxièmement, ce dispositif se superposerait à de nombreux dispositifs existants, au risque de fragiliser le cadre juridique actuel.
Il faut distinguer deux types de procédures.
D'une part, celles assurant la protection de l'enfance en l'absence de parent protecteur. En ce cas, la protection de l'enfant repose sur le juge des enfants, qui peut recourir à l'ordonnance de placement, notamment. Ces mesures peuvent être ordonnées en urgence par le procureur de la République, qui doit ensuite saisir le juge sous huit jours. La saisine du juge protège les enfants.
D'autre part, celles permettant à un parent protecteur de protéger ses enfants. Il peut saisir le JAF pour que celui-ci suspende l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement. La loi du 18 mars 2024 a étendu les motifs de cette suspension. L'ordonnance de protection et la nouvelle OPPI profitent, par extension, aux enfants en cas de violences conjugales.
Défaut juridique de l'ordonnance de sûreté et superposition aux dispositifs existants : ces raisons ont conduit la commission à rejeter le texte.
Toutefois, j'ai échangé avec les acteurs de la protection de l'enfance et Maryse Carrère, qui a déposé un amendement visant à étendre le bénéfice de l'ordonnance de protection aux enfants. Cela règle les difficultés qu'aurait créées l'ordonnance de sûreté : les conditions de saisine seraient harmonisées ; un dépôt de plainte pénale serait requis lorsque les violences concernent un enfant, le dispositif prévoirait une sanction ; seul l'exercice de l'autorité parentale pourrait être suspendu ; l'office du JAF serait davantage respecté.
Cela dit, deux difficultés subsistent : un risque d'instrumentalisation demeure et les acteurs plaident pour la stabilité du droit.
L'OPPI n'est toujours pas applicable en l'absence de décrets d'application, qui devraient paraître en février prochain.
Nous sommes attachés à la protection de l'enfance et à la qualité du travail parlementaire. Nous avons souligné les défauts d'un dispositif et en avons imaginé un autre. Le travail parlementaire corrigera les défauts restants.
La cause des mineurs doit être traitée comme une cause majeure. Elle restera inlassablement notre priorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance . - Ce texte crée, sur le modèle de l'ordonnance de protection prévue à l'article 515-9 du code civil, un dispositif de protection des enfants en cas de viols ou de violences incestueuses : l'ordonnance de sûreté de l'enfant. Celle-ci s'ajoute à ce qui existe déjà dans le droit en vigueur. L'ordonnance pourrait être délivrée dans un délai maximum de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a été victime d'un viol ou d'un inceste, ou lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise. La délivrance d'une ordonnance de sûreté éloignerait le parent violent de son enfant, voire lui retirerait l'autorité parentale.
Cette proposition de loi améliore la protection des enfants, qui est une priorité absolue pour le Gouvernement. Le 20 novembre 2023 a été lancé un plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027.
C'est dans ce cadre que le législateur a adopté la loi du 18 mars 2024. Celle-ci prévoit la suspension automatique de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement dès le stade des poursuites. Elle crée un nouveau droit de délégation forcée de l'autorité parentale et prévoit le retrait de la totalité de l'exercice de l'autorité parentale en cas de viol ou de violences incestueuses. Elle empêche le parent agresseur d'entretenir des liens avec l'enfant. En cas de fait délictuel ou criminel commis sur lui, les règles de procédure pénale le protègent en première intention.
Bien sûr, je partage l'objectif de mieux protéger nos enfants, mais cette proposition de loi ne me semble pas répondre à cet objectif.
Je suis réservée sur son dispositif, moins efficace que le droit existant. En cas d'agression d'un enfant, le JAF, le ministère public et le juge des enfants peuvent déjà intervenir rapidement. L'autre parent peut saisir le JAF en urgence, dans le cadre de l'assignation à bref délai, voire en extrême urgence, grâce à la procédure de référé.
De plus, l'ordonnance de protection délivrée au parent victime de violences conjugales bénéficie également à l'enfant. Le juge peut statuer sur l'enfant et le sort du logement familial. Le procureur de la République et le juge des enfants peuvent prendre une ordonnance de placement provisoire qui permet d'extraire l'enfant de son domicile. L'enfant peut être placé chez son autre parent. Il est ainsi immédiatement protégé.
Nous disposons donc d'un arsenal juridique efficace pour protéger l'enfant victime de violences intrafamiliales.
Conférer au JAF des compétences relevant en principe du juge des enfants réduirait la lisibilité des dispositifs juridiques.
Nous examinerons l'amendement de Maryse Carrère, qui corrige les difficultés du texte initial. Les critères de l'ordonnance de sûreté manquent d'objectivité, que ce soit la crainte d'une nouvelle infraction ou du caractère vraisemblable de la violence subie.
La rédaction sur le dispositif électronique mobile anti-rapprochement nécessite des éclaircissements : sa généralisation pourrait mettre les enfants en situation de conflit de loyauté.
L'ordonnance de sûreté permet au JAF de retirer, et non suspendre, l'exercice de l'autorité parentale : or c'est non un juge seul, mais trois magistrats, qui prononcent cette mesure grave.
Pour ces raisons, je suis très réservée sur ce texte, malgré son objet louable. L'amendement de Maryse Carrère corrige ces écueils, mais ces modifications ne permettent pas de surmonter les réserves initiales. Il y va de la lisibilité du droit et de l'accès au juge. Restons cohérents pour que la protection du Gouvernement... (sourires), pardon, des enfants soit la plus efficace possible. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mmes Laure Darcos et Mireille Jouve applaudissent également.)
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Nadine Bellurot applaudit également.) Malgré de nombreux progrès en matière de violences intrafamiliales, celles commises contre les enfants restent trop nombreuses : 160 000 par an selon la Ciivise. Mais la situation est sous-évaluée, sans doute, tant ces violences sont cachées.
La proposition de loi de Maryse Carrère semble donc la bienvenue. Toutefois, notre droit n'est pas dépourvu d'outils juridiques en matière de protection des mineurs, y compris en cas d'urgence - ceux-ci relèvent du juge des enfants, du JAF ou du procureur de la République.
Lors de nos auditions, un juge des enfants nous a indiqué qu'il ne pouvait intervenir que lorsque les deux parents sont défaillants et qu'il ne pouvait confier l'enfant à un parent protecteur. C'était donc bien au JAF d'intervenir en ce cas. Les représentants des JAF nous ont expliqué que l'assignation à bref délai et l'ordonnance de protection remplissent déjà ce rôle : inutile, selon eux, d'ajouter une couche supplémentaire de procédures.
Ce texte est néanmoins utile, car les outils sont perfectibles. L'assignation à bref délai, par exemple, connaît des limites. Elle impose au juge de statuer sur le fond en urgence. Certaines juridictions, surchargées, les refusent systématiquement a priori.
A contrario, l'ordonnance de protection protège et laisse le temps de juger sur le fond. Son bénéfice peut être étendu aux enfants. Cela dit, elle est principalement destinée à la protection du conjoint victime ; actuellement, les enfants ne le sont qu'à titre accessoire : ainsi, en cas d'inceste par exemple, l'ordonnance ne pourrait être prononcée.
Un changement de notre droit a donc du sens. Mais la version initiale du texte n'était pas satisfaisante. Maryse Carrère a alors réécrit son texte pour tenir compte des critiques. Cette nouvelle version étend l'ordonnance de protection aux violences vraisemblablement commises dans le cercle familial proche à l'encontre d'un enfant. L'ordonnance de protection, que les JAF se sont appropriée, deviendrait ainsi l'outil général de protection d'urgence pour l'ensemble de la famille.
Mon groupe et moi-même soutenons cette nouvelle version du texte qui protège les enfants tout en gagnant en clarté pour les magistrats.
Le sous-amendement de Mme Evelyne Corbière Naminzo est bienvenu. Il fait entrer les enfants victimes dans le champ de l'OPPI.
Même s'il n'est pas totalement abouti, le groupe UC votera ce texte remanié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Mélanie Vogel applaudit également.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - À l'heure où 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, le Parlement a adopté de nouvelles mesures en mars et juin derniers, renforçant l'ordonnance de protection créée en 2010.
Mais cette ordonnance ne protégeait pas directement les enfants victimes de violences. Nous discutons donc de la création d'une ordonnance de sûreté ou de l'extension de l'ordonnance de protection aux enfants. L'essentiel, c'est de les protéger.
Le principe de précaution a toujours guidé l'ordonnance de protection et les enfants devraient pouvoir en bénéficier autant que les adultes.
La présomption d'innocence ne doit pas empêcher de prendre des mesures d'urgence. Les enfants n'ont pas les ressources physiques, psychologiques ou financières pour fuir.
Une mise en sécurité rapide est nécessaire tant que le parent mis en cause n'est pas éloigné de l'enfant. Ce dernier subit alors des violences pendant des semaines. Il n'existe ni protection ni justice si la parole de l'enfant est remise en cause. Ne pas mettre en sûreté un enfant victime de violence, c'est le dissuader de parler, c'est le renvoyer au silence.
Les agresseurs, souvent manipulateurs, disposent d'un niveau élevé de protection et de crédibilité dans leur cercle familial. Les femmes, qui prennent tous les risques pour leurs enfants, finissent même parfois par être placées en garde à vue.
Aussi, nous voterons cette proposition de loi. Mais nous avons déposé des sous-amendements, notamment pour que le dépôt de plainte ne soit plus obligatoire. Alors que 88 % des violences incestueuses ne font pas l'objet d'une plainte, l'ordonnance de protection doit protéger l'enfant à partir d'un simple signalement dès lors que l'on redoute de nouvelles violences.
Pour que l'intérêt supérieur de l'enfant ne soit pas une formule creuse, nous devons nous doter d'outils plus ambitieux. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et UC ; Mme Marie Mercier applaudit également.)
Mme Mélanie Vogel . - Je remercie Maryse Carrère de nous fournir l'occasion de discuter d'un enjeu quasi civilisationnel quand, dans notre pays, un enfant est victime d'inceste toutes les trois minutes et qu'un enfant meurt sous les coups de ses parents chaque semaine.
Cette proposition de loi dégage une voie utile : elle permet aux JAF de prononcer une ordonnance de sûreté. C'est utile, car, en réalité, il n'existe actuellement pas de mécanisme efficace pour protéger en urgence les enfants. Les dispositifs actuels peuvent laisser les enfants concernés sous le même toit que leur agresseur durant des années.
L'ordonnance de protection protège indirectement l'enfant, uniquement en cas de violences conjugales. Tant que la violence ne concerne que l'enfant et pas l'un de ses parents, celui-ci ne peut pas être protégé. Or nombreux sont les cas d'inceste qui ne s'accompagnent pas de violences conjugales. On ne peut pas accepter de moins protéger un enfant victime d'inceste si sa mère n'est pas battue : voilà le problème que ce texte essaie de résoudre.
Près de 90 % des victimes d'incestes ne portent pas plainte. Nous sommes collectivement très mauvais pour réagir à ces violences.
Ce texte ne résoudra pas tout. Nos politiques sociales, familiales, scolaires, judiciaires, pénales, policières : tout doit être amélioré.
En cas de violence grave ou d'inceste, est-il utile de prononcer une interdiction de contact ou la suspension de l'autorité parentale ? De rendre une ordonnance de sûreté ? La réponse est oui !
Cette proposition de loi peut-elle être améliorée ? Sans doute, nous en débattrons.
Les outils peuvent-ils être aussi améliorés ? Oui, indiscutablement.
Ce texte, enrichi par la navette parlementaire, servira à mieux protéger les enfants victimes de violences. Un éventuel rejet, fût-il justifié par des raisonnements juridiques très étoffés, ne sauvera pas un seul enfant. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE et du groupe UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Le constat est accablant : chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles dans leur famille. Nous devons les protéger.
L'initiative de Mme Carrère est très intéressante. L'ordonnance de sûreté vise à protéger l'enfant victime. Les JAF considèrent qu'il leur revient de statuer en la matière. A contrario, les juges des enfants estiment que ce n'est pas leur rôle.
Le texte prévoit une saisine du JAF sans dépôt de plainte. Mais le délai de 15 jours est trop long. Le retrait de l'autorité parentale et l'obligation de porter un bracelet anti-rapprochement sont des mesures particulièrement graves, sur lesquelles nous portons une appréciation différente.
Nous avons donc déposé des amendements : nous souhaitons réduire le délai pour que l'ordonnance soit prononcée dans les six jours. Nous voulons aussi que l'enfant soit dispensé de porter un bracelet anti-rapprochement et que l'autorité parentale puisse être non pas retirée, mais simplement suspendue.
Maryse Carrère a proposé une nouvelle rédaction du texte qui s'insère dans le dispositif préexistant, en le complétant : à l'heure actuelle, comme le soulignait Mélanie Vogel, des violences doivent être commises sur l'un des parents pour que l'enfant soit indirectement protégé.
Il existe déjà nombre de procédures très complexes que les justiciables maîtrisent mal, comme l'assignation à bref délai, qui n'est pas une réalité, madame la ministre. (Mme Agnès Canayer le conteste.) Qui dit assignation, dit avocat, mais le processus est plus lourd et nécessite du temps.
Nous souhaitons également qu'il y ait dépôt de plainte pour qu'il y ait enquête. L'argument selon lequel la plainte compliquerait les choses n'est pas valide : déposer plainte est désormais simple.
Il s'agit d'une matière extraordinairement délicate, car ce sont des enfants qui verbalisent la violence. Nous plaidons pour une logique plus protectrice. Nous voterons cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du groupe UC ; Mmes Laure Darcos et Elsa Schalck applaudissent également.)
M. Christopher Szczurek . - Ce texte répond au fléau des violences sexuelles faites aux enfants. Créer une ordonnance de sûreté, sur le modèle de l'ordonnance de protection, peut constituer une réponse efficace.
Depuis trop longtemps, la société française s'est contentée de palliatifs et a ignoré la gravité des drames se déroulant derrière des portes closes. Quelque 160 000 enfants subissent ces violences, c'est un échec collectif. La récurrence de ces drames choque la population. Il faut une réponse judiciaire et pénale à la hauteur de l'émotion.
L'ordonnance de sûreté répond à une exigence d'efficacité et de sévérité de la justice. Pour nous, l'État doit être intraitable face aux monstres qui détruisent des vies : pas de place pour la compromission.
L'introduction de l'ordonnance de sûreté est une bonne chose. Nous en approuvons le principe et nous voterons les modifications proposées pour rendre ce texte plus facilement applicable. Face à des procédures judiciaires souvent complexes, ce texte facilitera une action préalable rapide.
Protéger un enfant, c'est préserver l'avenir sans laisser un bourreau briser une vie en devenir.
En votant ce texte, nous ne faisons pas seulement un choix politique, nous affirmons un devoir moral. Je voterai évidemment ce texte.
Mme Laure Darcos . - Les chiffres sont glaçants : toutes les trois minutes, un enfant est victime d'inceste. Parce qu'elles surviennent le plus souvent dans le cadre familial, leurs souffrances sont souvent invisibles. Les enfants frappés par le handicap courent un risque 2,9 fois plus élevé d'être victimes ; lorsque le handicap est lié à une déficience intellectuelle, ce risque est 4,6 fois plus important.
Notre délégation aux droits des femmes est attentive à ces faits de société : l'an dernier, nous avions auditionné Édouard Durand, alors coprésident de la Ciivise, qui nous avait convaincus d'agir, non seulement en raison du coût social et sociétal de ces actes, mais aussi parce que le viol est un anéantissement de l'être. Le juge Durand nous avait rappelé la nécessité d'écouter l'enfant : « je te crois, je te protège ». L'absence de soutien social correspond à un second anéantissement, car cela signifie, de facto, que celui-ci ment.
Le plan 2020-2022 de lutte contre les violences faites aux enfants a renforcé notamment le numéro d'urgence pour l'enfance en danger, le 119. La création de la Ciivise ou l'adoption de la loi Billon ont aussi constitué des avancées.
La proposition de loi de Maryse Carrère s'inscrit dans cet esprit. Toutefois, la commission des lois n'a pas jugé pertinent de créer un nouveau dispositif, car le droit en vigueur répond aux objectifs défendus par le texte. En outre, aucune sanction pénale n'est prévue en cas de violation des mesures prononcées dans le cadre de l'ordonnance de sûreté : la portée du texte s'en trouve amoindrie.
C'est pourquoi Maryse Carrère proposera un amendement de réécriture de l'article unique en vue d'élargir le champ de l'ordonnance de protection.
Notre groupe votera cette proposition de loi. Pour nous, seules comptent l'efficacité de la réponse judiciaire et la protection des besoins fondamentaux de l'enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE et du groupe UC ; Mmes Elsa Schalck et Evelyne Corbière Naminzo applaudissent également.)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.) Cette proposition de loi réaffirme l'importance de protéger les enfants face aux violences subies en silence. Je salue l'initiative de Maryse Carrère. Il est urgent d'agir.
Toutefois, la forme et le contenu du dispositif soulèvent des interrogations.
La commission des lois a mené un travail rigoureux.
De nombreux dispositifs existent déjà ; plusieurs d'entre eux ont fait l'objet de réformes récentes - je pense à la loi du 18 mars 2024. Des mesures existantes offrent déjà un cadre de protection : il serait pertinent de les renforcer au lieu d'alourdir le droit avec un nouveau dispositif.
Les dispositions du présent texte sont redondantes avec les mesures d'assistance éducative, à l'instar des prérogatives dont disposent les JAF.
L'ordonnance de sûreté proposée a pour objectif d'améliorer la protection, mais elle ne représente pas une avancée significative par rapport aux dispositifs déjà en vigueur.
Les points de vigilance soulevés par plusieurs acteurs devraient servir à mettre en place un dispositif réellement efficace.
La commission des lois n'est pas favorable à des modifications prématurées de législations récentes. Une évaluation de ces évolutions s'impose si nous voulons des dispositifs durables, adaptés et pleinement fonctionnels.
Notre volonté collective est de lutter contre les violences faites aux enfants. Cependant, nous n'avons pas la garantie que le dispositif proposé soit réellement efficace. Nous nous en remettrons à l'avis de la commission. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
M. Xavier Iacovelli . - Le rapport de la Ciivise nous a tous révoltés, révélant une réalité insoutenable : 160 000 vies brisées chaque année, soit 5,4 millions d'adultes traumatisés.
Malgré mes réserves sur le dispositif juridique, je remercie Maryse Carrère d'avoir déposé cette proposition de loi. La protection de l'enfance ne doit pas être un concept abstrait ni la variable d'ajustement de nos politiques sociales. Des dispositifs existent : ne les multiplions pas, mais assurons leur efficacité. Le RDSE nous propose un outil supplémentaire, qui rendrait notre dispositif moins lisible et moins efficace.
Nous disposons déjà de l'ordonnance de protection, qui permet au JAF de prononcer en 24 heures des mesures de protection en cas de danger grave et imminent : interdiction de contact, suspension du droit de visite et d'hébergement, restrictions de déplacement. Mais nous attendons toujours la publication du décret !
Cette proposition de loi risque de complexifier notre droit et de rendre l'ordonnance de protection et l'OPPI plus difficiles à mettre en oeuvre. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de réécriture pour élargir le champ de l'ordonnance de protection - préférable à la création d'une ordonnance de sûreté spécifique. La présidente Carrère, avec son amendement de réécriture, a également fait ce choix.
Nous avons écarté le bracelet anti-rapprochement, inadapté pour les enfants : pourquoi est-ce à l'enfant de porter le fardeau du viol subi ?
L'urgence est à l'application effective des lois existantes, avec des moyens pour les magistrats, les éducateurs et tous les professionnels de la protection de l'enfance.
Avançons sur le délai de prescription, dans le sens de ma proposition de loi du 19 mai 2023, car c'est une deuxième violence pour les victimes. Avançons sur l'avocat obligatoire, afin de respecter l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant, que nous avons ratifiée. Avançons sur la création d'une délégation sénatoriale aux droits de l'enfant.
Je remercie Maryse Carrère et le RDSE d'avoir porté cette proposition de loi. Nous la voterons telle que modifiée par les amendements de réécriture.
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les chiffres sont terribles : chaque année, 160 000 enfants sont victimes d'agressions sexuelles. La République ne tient pas sa promesse.
En 2023, la Ciivise a décliné 82 préconisations pour lutter contre ces crimes abjects.
D'abord, il faut une prise de conscience. Le chemin est encore long, tant le tabou sociétal est lourd. C'est un travail commun des élus, des magistrats et des associations. Le travail d'information et de prévention est primordial, car les juges ne peuvent pas tout. Toute la société doit repérer ces agissements le plus tôt possible.
Certains segments sont mal couverts par le droit. Le législateur, qui s'est déjà prononcé les 18 mars et 13 juin, s'interroge toujours sur le nombre de dispositifs, leur articulation et les délais de mise en oeuvre.
Merci à Marie Mercier. Les auditions ont permis d'identifier les difficultés. Proposée par la Ciivise en 2023, l'ordonnance de sûreté viendrait se superposer, de manière inopportune, aux autres dispositifs. Maryse Carrère a donc réfléchi à un nouveau dispositif de compromis, pour engager la navette parlementaire : une extension de l'ordonnance de protection du JAF. Il pourrait être ajusté à l'Assemblée nationale, notamment sur le dépôt de plainte préalable.
Adopter ce texte renforcera le message d'un Parlement actif pour lutter contre les violences faites aux enfants. Le Sénat doit être au rendez-vous. J'appelle tous les groupes à voter ce texte. Le RDSE le votera à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La protection des enfants victimes de violence est une priorité absolue de notre société. Elle appelle des réponses adaptées, rigoureuses et efficaces.
Cette proposition de loi s'inscrit dans cette ambition, et je salue la volonté de renforcer les dispositifs existants.
Cependant, il convient de l'évaluer à l'aune des dispositions existantes et des réformes récentes. Ainsi, le cadre juridique a été considérablement renforcé. La loi du 18 mars 2024 a élargi les motifs de suspension et de retrait de l'autorité parentale. Ces réformes s'appuient sur des outils éprouvés : l'ordonnance de protection et les mesures d'assistance éducative.
L'ordonnance de sûreté envisagée reposait sur des conditions de mise en oeuvre moins favorables, puisqu'aucune sanction n'était prévue en cas de non-respect des mesures décidées par le juge. Elle était en outre redondante avec d'autres dispositifs. Entendus en auditions, les principaux acteurs de la protection de l'enfance ont émis des réserves.
Je salue le travail de réécriture de l'auteure de la proposition de loi pour en faire un outil plus cohérent, en élargissant l'ordonnance de protection plutôt que de créer un nouveau dispositif spécifique, suivant une logique de simplification.
Actuellement, l'ordonnance de protection s'applique aux violences au sein du couple. Avec cet amendement, elle est élargie aux cas de violences contre un enfant. L'ordonnance de protection deviendra ainsi un outil central de protection judiciaire d'urgence des enfants.
Le dépôt d'une plainte pénale devient obligatoire, car un enfant ne peut agir seul en justice. Le port d'un bracelet anti-rapprochement a été écarté, car inadapté. D'autres moyens peuvent être utilisés pour les enfants en état d'urgence, comme la garde à vue du parent violent ou le placement provisoire de l'enfant.
Il est préférable de simplifier et renforcer le cadre juridique existant tout en garantissant une meilleure cohérence des dispositifs en place et entre les différentes autorités judiciaires impliquées. La sécurité de l'enfant, tel est notre but. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon applaudit également.)
Discussion des articles
Avant l'article unique
Mme la présidente. - Amendement n°9 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Cet amendement prévoit que l'enfant peut saisir lui-même le JAF pour une ordonnance de sûreté. Dans de nombreuses situations, l'enfant n'a pas de tiers de confiance capable de saisir le juge. Je sais qu'un principe du droit empêche l'enfant d'agir en justice, mais cela devrait supporter des exceptions et ferait gagner du temps dans les procédures.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Cet amendement revient sur un principe essentiel du droit français, l'incapacité du mineur à agir en justice pour lui-même. Hormis la demande d'assistance éducative - une requête et non une plainte -, l'enfant ne peut agir seul. Peuvent saisir le juge : le parent protecteur, le procureur ou un administrateur ad hoc et les associations de défense des droits des enfants, en matière pénale.
Il n'y a pas de droit général de l'enfant à interjeter appel. L'enfant n'est pas réduit à ne rien faire : sans formalisme particulier, il peut se signaler au parquet et être entendu. Il ne me semble pas pertinent de revenir sur un principe aussi essentiel dans le cadre d'une mesure ponctuelle. Enfin, l'enfant n'a pas à porter seul la responsabilité d'une immixtion de la justice dans la vie de ses parents.
Avis défavorable.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. - Pour les mêmes raisons, avis défavorable.
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Nous souhaitons que le juge puisse suspendre les visites médiatisées. Entre l'hébergement au domicile des parents et la suspension des droits de visite, les visites médiatisées sont une solution intermédiaire. L'enfant peut ainsi garder contact avec son parent dans un endroit neutre.
Mais dans certains cas, ces visites médiatisées peuvent être difficiles à vivre pour l'enfant. Se trouver face à son agresseur peut être un cauchemar.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Votre amendement est pleinement satisfait par le droit en vigueur. Le juge peut déjà prononcer des interdictions de contact, ce qui inclut les visites médiatisées. Il peut aussi se prononcer sur le droit de visite du parent présumé violent. En cas d'interdiction de contact, l'interdiction de visite médiatisée est spécialement précisée. Avis défavorable.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. - Oui, ces visites médiatisées peuvent parfois être douloureuses, d'où la nécessité, parfois, de faire cesser ces rencontres. Votre amendement, louable, est satisfait : le JAF peut suspendre ou supprimer ces visites.
M. Xavier Iacovelli. - Il est important de prendre en compte la parole de l'enfant : ne pas avoir d'avocat obligatoire pose problème, car la parole de l'enfant n'est pas entendue. Les visites médiatisées s'imposent à l'enfant sans que le juge ait le temps d'y surseoir. Avançons sur ce sujet pour mieux prendre en compte la parole de l'enfant. Je ne voterai pas l'amendement.
L'amendement n°8 est retiré.
Article unique
Mme la présidente. - Amendement n°1 de Mme Carrère et alii.
Mme Maryse Carrère. - La rédaction initiale de la proposition de loi visait à créer une nouvelle ordonnance de sûreté. Malgré le large consensus sur l'objectif, sa mise en oeuvre posait certaines difficultés.
Pour ne pas superposer un nouvel outil sur l'existant, je vous propose d'élargir le champ de l'ordonnance de protection aux cas de violences commises dans le cercle familial. Cela entérinerait une pratique des juges, qui n'hésitent pas à aller au-delà de l'ordonnance de protection actuelle pour protéger les enfants.
Des éléments pourront encore être débattus au cours de la navette, comme le dépôt de plainte obligatoire.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°13 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Les violences sexuelles sur mineurs peuvent être commises par d'autres membres de la famille : un grand-parent, une soeur, un cousin, un oncle. Ainsi 13 % des crimes sont commis par des oncles. Il faut protéger l'enfant, quel que soit le lien de parenté, car bien souvent, la famille, par son silence, protège l'agresseur.
Une ordonnance de protection est nécessaire pour lever ce verrou familial afin de protéger l'enfant de toute personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°10 de Mme Vogel et alii à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Mélanie Vogel. - Il est similaire. Le rapport de la Ciivise estime que dans 19 % des cas, l'auteur des violences est un frère, dans 13 %, un oncle. Il faut protéger l'enfant dans tous les cas.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°14 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Nous voulons supprimer l'obligation de déposer plainte pour bénéficier de l'ordonnance de protection. Pourquoi les enfants ne pourraient-ils pas bénéficier d'une protection similaire à celle des femmes victimes de violences ?
Un enfant prend le risque de trahir le secret honteux qu'il porte. Il décrit la violence, sans la qualifier comme telle, car elle lui est présentée comme un jeu. Soyons aussi courageux que ces petites victimes ! La simple dénonciation d'une violence devrait suffire, sinon on prend le risque de faire taire l'enfant. Ne pas être cru crée un sentiment d'abandon, qui affecte la santé mentale pour de longues années, et cela pousse les enfants à intégrer la violence comme un schéma normalisé, risquant de les rendre à nouveau victimes ou agresseurs.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°11 rectifié de Mme Vogel et alii à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Mélanie Vogel. - Nous voulons élargir le champ d'application du mécanisme en précisant que l'ordonnance de sûreté pourrait aussi être prononcée quand l'auteur des violences n'habite pas avec l'enfant. Le parent, grand-père ou entraîneur sportif peut ne pas habiter au domicile de l'enfant.
Mme la présidente. - Sous-amendement identique n°15 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Nous voulons que l'enfant victime bénéficie d'une ordonnance de protection même quand il n'habite pas avec l'agresseur. Conditionner cette ordonnance à la cohabitation fait peser un risque énorme sur l'enfant. Allez lire les plaintes de ces enfants devenus adultes qui décrivent les violences sexuelles qu'ils ont subies, même lorsqu'elles ont été classées sans suite.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°16 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Nous voulons que l'ordonnance de protection puisse être prolongée au-delà de douze mois. C'est une mesure de bon sens quand on connaît la saturation des services de la justice. Pourquoi l'enfant n'aurait-il pas droit à la même protection que les femmes victimes de violences conjugales ?
Mme la présidente. - Sous-amendement n°17 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Ce sous-amendement fait bénéficier les enfants de l'OPPI, que nous avons adoptée en juin dernier pour les femmes victimes de violences. Le temps de l'enfant est un temps compté : aucune perte de temps ne peut être admise, aucun risque de récidive ne peut être pris.
Mme la présidente. - Amendement n°12 rectifié bis de M. Iacovelli et alii à l'amendement n°1 rectifié.
M. Xavier Iacovelli. - Cet amendement de réécriture étend le champ de l'ordonnance de protection. Le bracelet anti-rapprochement est inadapté aux enfants. Contrairement à celui de Mme Carrère, mon amendement ne prévoit pas de dépôt de plainte préalable.
En juin 2024, le Parlement a voté l'OPPI, après le dépôt de la proposition de loi de Mme Carrère, en avril 2024. Madame la ministre, saisissez le garde des sceaux pour que le décret d'application de la loi de 2024 soit publié dans les plus brefs délais.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement n°1 rectifié de Mme Carrère répond à plusieurs des difficultés posées par la rédaction initiale de la proposition de loi. On évite la superposition des dispositifs judiciaires et que le JAF ait à se prononcer sur des violences commises hors du cadre familial, par un professeur ou un moniteur par exemple.
Cet amendement tient compte de la spécificité des violences faites aux enfants, sur le dépôt de plainte ou le bracelet anti-rapprochement.
La commission n'a cependant pas été entièrement convaincue, car le droit en vigueur semble suffisant. Sagesse, afin que le débat se poursuive à l'Assemblée nationale.
Avis défavorable à l'ensemble des sous-amendements et à l'amendement n°12 rectifié bis.
Les sous-amendements nos10 et 13 proposent une extension inopportune. La notion de « personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait » dépasse largement le cadre familial. Le droit en vigueur est suffisant lorsqu'il ne s'agit pas des plus proches parents. Et il ne revient pas au JAF, mais au juge pénal de statuer.
Concernant le sous-amendement no14 et l'amendement n°12 rectifié bis - qui n'est pas totalement identique à l'amendement n°1 rectifié - , le dépôt de plainte est indispensable, compte tenu de l'incapacité de l'enfant à agir en justice et de la gravité des faits. Nous ne sommes pas face à un vide juridique : notre droit prévoit déjà de très nombreux dispositifs de protection. Face à un enfant victime de violences, nous devons dire : je t'écoute, je te protège, j'enquête.
Dans les cas visés par les sous-amendements nos11 rectifié et 15, l'urgence est moins caractérisée. Le code de procédure civile apporte déjà une réponse, meilleure que l'ordonnance de protection qui restreint fortement les droits de la défense.
Le sous-amendement n°16 confond les cas de séparation conflictuelle et éventuellement violente entre adultes et les cas de violence envers les enfants.
La procédure d'extrême urgence sans contradictoire proposée par le sous-amendement n°17 est inadaptée, dès lors qu'un parent protecteur est présent.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. - Sagesse très réservée à l'amendement n°1 rectifié. Je partage l'objectif de protéger les mineurs victimes de violences intrafamiliales, mais cet amendement ne surmonte pas les difficultés repérées.
Il est plus que souhaitable qu'une plainte soit déposée, mais si vous liez dépôt de plainte et ordonnance de protection pour l'enfant, vous différenciez les dispositifs applicables aux parents et aux enfants, puisque le dépôt de plainte n'est pas nécessaire pour les parents. Ne complexifions pas les choses.
Le droit permet déjà au JAF de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, sans délai. Quand le mineur est en danger, le procureur de la République et le juge des enfants peuvent prendre sans délai une ordonnance de placement provisoire.
Ne brouillons pas les périmètres d'intervention du juge des enfants et du JAF. Ne demandons pas au JAF de statuer en cas de danger uniquement pour l'enfant et de se prononcer sur des qualifications pénales particulièrement complexes.
Avis défavorable au sous-amendement n°13. La délivrance d'une ordonnance de protection pour toute personne détenant une autorité de droit ou de fait est déjà une réalité. C'est aux parents de protéger l'enfant ; si ce n'est pas suffisant, le parquet ou le juge des enfants décideront.
Avis défavorable au sous-amendement n°10, qui porte sur le même sujet que le précédent. Nous sommes réservés sur l'extension de l'ordonnance de protection.
Sagesse au sous-amendement n°14, car nous sommes plutôt favorables à supprimer la condition préalable de dépôt de plainte.
S'agissant des sous-amendements nos15 et 11 rectifié, l'arsenal juridique est déjà suffisant - garde à vue, contrôle judiciaire... - , même si nous comprenons l'enjeu. Sagesse.
Les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) recueillent la parole de l'enfant dans des conditions adaptées, avec des pédiatres, des pédopsychiatres, la police et d'autres professionnels qui travaillent ensemble. Dans le PLF 2025, nous voulons en créer vingt-cinq supplémentaires, pour qu'il y en ait une dans chaque juridiction.
Sagesse sur le sous-amendement n°16, toujours pour les mêmes raisons.
Idem sur le sous-amendement n°17, car nous sommes réservés sur l'extension de l'ordonnance de protection immédiate.
Sagesse aussi sur l'amendement n°12 rectifié bis. J'en profite pour dire à M. Iacovelli que les décrets d'application des ordonnances de protection immédiate de mars 2024 paraîtront début 2025, au plus tard.
Mme Dominique Vérien. - Mon intervention porte sur le sous-amendement n°17. Si nous adoptons l'extension de l'ordonnance de protection, étendons aussi l'OPPI. Évitons d'avoir à déposer une autre petite proposition de loi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je suis embarrassée par la tournure de ce débat, très confus. Nous cherchons une mesure d'urgence pour protéger un enfant dont les parents ne sont pas en situation de violences conjugales. L'OPPI ne s'applique donc pas et le juge des enfants n'est pas compétent : le placement à domicile n'est donc pas possible, ce qui signifie un placement à l'extérieur - nous n'ouvrirons pas le débat sur l'aide sociale à l'enfance (ASE)...
Le groupe SER est favorable à l'amendement n°1 rectifié.
Nous sommes favorables à l'élargissement à l'autorité de droit ou de fait, prévue par le sous-amendement n°13. Il n'est pas vrai que la loi en vigueur est suffisante. Idem pour le sous-amendement n°10.
Nous sommes défavorables au sous-amendement n°14, car favorables au dépôt de plainte : l'enquête pénale permettra d'aller plus loin dans les investigations.
Nous sommes favorables aux sous-amendements nos11 rectifié et 15, car d'autres mesures sont possibles, telles que l'interdiction de contact, qui peut s'appliquer à quelqu'un qui n'habite pas avec l'enfant.
Quant à la durée, nous sommes favorables au sous-amendement n°16, parce que nous ne savons pas combien de temps sera nécessaire. Le JAF ne prolongera que si c'est nécessaire.
Enfin, je suis perplexe à propos du sous-amendement n°17. Le mécanisme mériterait d'être plus formel s'agissant d'enfants. Nous pourrions nous abstenir.
M. Xavier Iacovelli. - Oui, le but de cette proposition de loi est de trouver une solution d'urgence. C'est pourquoi l'amendement n°12 rectifié bis ne prévoit pas de dépôt de plainte obligatoire. Je suis donc favorable au sous-amendement, n°14 qui supprime le dépôt de plainte.
Nous sommes favorables également aux sous-amendements nos13 et 10, pour les mêmes raisons que Mme de La Gontrie, car il faut protéger les enfants au-delà du cercle familial.
Enfin, notre amendement n°12 rectifié bis reprend l'amendement de Mme Carrère, sous-amendé. Votez l'original !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Nous tentons d'apporter des solutions à des situations de violence, en l'espèce d'inceste. Relisez Le Berceau des dominations de Dorothée Dussy : l'inceste est un système de violence qui se transmet dans le silence. Avec ce texte, nous tentons de briser ce système en coupant le contact entre l'agresseur et sa jeune victime.
J'entends l'incapacité de l'enfant à agir en justice. Mais découlent des violences sexuelles, parfois, des grossesses précoces. Or dès qu'un mineur a un enfant, il est émancipé. Dans la vraie vie, une gamine de 13 ans qui devient mère du fait d'un inceste peut agir en justice, mais c'est trop tard !
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. - Dans une jurisprudence d'octobre dernier, la Cour de cassation a censuré le placement à domicile dans le cadre de l'ASE, pas celui prévu dans l'ordonnance de protection provisoire. L'OPPI, à la main du juge des enfants, permet d'éloigner le parent auteur de violence et de laisser l'enfant à domicile avec le parent protecteur.
Le sous-amendement n°13 n'est pas adopté, non plus que les sous-amendements nos10, 14, 11 rectifié, 15, 16 et 17.
L'amendement n°1 rectifié est adopté et l'article est ainsi rédigé.
(Applaudissements sur les travées du RDSE)
Les amendements nos12 rectifié bis, 6, 2, 3, 4 et 5 n'ont plus d'objet.
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié de Mme Carrère et alii.
Mme Maryse Carrère. - Adaptons l'intitulé de la proposition de loi à son nouveau dispositif : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. - Je m'en remets à la sagesse du Sénat... (Sourires)
L'amendement n°7 rectifié est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Mme Annick Billon. - La protection des enfants contre les violences, notamment sexuelles, est un combat de longue haleine, partagé sur tous nos bancs. La loi de 2021 établit des règles strictes : en dessous de 15 ans, et de 18 ans en cas d'inceste, toute relation sexuelle avec un adulte est considérée comme un viol. Mais les parcours de protection et d'accompagnement restent fragmentés. Des dispositifs existent, renforçons leur accessibilité.
Les décrets d'application de la loi du 18 mars 2024 n'ont toujours pas été publiés ; il y a urgence !
Voilà un an, la Ciivise a formulé 82 recommandations appelant à des actions judiciaires adaptées et à des mesures de prévention, de formation et d'accompagnement. Je salue son ancien président, Édouard Durand, une figure d'espoir pour les 160 000 victimes - une toutes les trois minutes, je le rappelle. Je salue l'initiative du groupe RDSE et les travaux de la rapporteure.
Reste que cette proposition de loi ne suffira pas. Le Gouvernement doit se saisir des recommandations de la Ciivise et travailler avec le Parlement pour bâtir un système de protection pleinement opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes INDEP et UC)
La séance est suspendue quelques instants.
Paiement en espèces
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces, présentée par M. Christian Bilhac et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe RDSE.
Discussion générale
M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Est-il normal que, dans notre République, les malfrats bénéficient de droits auxquels n'ont pas accès les honnêtes citoyens ?
Le code monétaire et financier fixe les plafonds de paiements en espèces à 1 000 euros, avec des exceptions pour les non-résidents ou pour les transactions non professionnelles entre particuliers.
Ma proposition de loi modifie l'article L. 112-6 du code pour interdire le paiement des loyers en espèces - je pense à la location de grosses cylindrées, notamment. Elle exclut également de la liste des dérogations les paiements par des personnes n'ayant pas de compte de dépôt ou de chéquier. Je proposerai par amendement d'en limiter le champ à ces deux points, sans l'étendre aux transactions entre particuliers.
Mes chers collègues, comme la plupart des Français, vous ne pouvez pas régler plus de 1 000 euros en espèces, car vous avez un compte bancaire. Cette limitation n'existe pas pour ceux qui n'en possèdent pas. Les honnêtes gens peuvent à peine payer un vélo d'occasion, quand les voyous achètent en liquide des berlines de luxe !
Qui sont les 400 000 non bancarisés ? Des personnes sans domicile fixe, bien sûr, pour qui 1 000 euros est un montant exorbitant, mais aussi des trafiquants qui blanchissent ainsi le produit de leur commerce en toute impunité. Et on ne parle pas de petites sommes, en témoignent les saisies d'argent liquide qui accompagnent les saisies de stupéfiants : 1,2 million d'euros, le 9 novembre dernier, à Marseille ; ou 1,5 million d'euros à Angers, en 2022...
Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. En 2023, le narcotrafic aurait généré entre 3,5 milliards d'euros et 6 milliards d'euros de profits. « Fumez, sniffez, c'est bon pour notre PIB », titrait Charlie Hebdo, car l'Insee intègre, depuis 2018, les sommes issues des trafics dans le calcul du PIB. L'argent n'a pas d'odeur, dit-on, mais tout de même !
Le rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic a démontré l'ampleur du phénomène. Jérôme Durain et Étienne Blanc appellent à contrôler les flux d'argent liquide et décrivent les différentes méthodes de blanchiment : réutilisation directe, réinjection dans le travail dissimulé, blanchiment dans les commerces de proximité, comme les épiceries de nuit... Connaissez-vous beaucoup de gens qui vont acheter des macaronis à 3 heures du matin ? (Sourires) Les malfrats utilisent les espèces pour louer de grosses berlines, acheter des produits de luxe, installer des commerces mais aussi pour corrompre ! Aucune profession n'est épargnée. Selon la gendarmerie nationale, plus de 90 % des billets de banque qui circulent - ceux que nous avons dans les poches - comportent des résidus de drogue. Ce taux a doublé en dix ans.
Le signalement à Tracfin ne suffit pas : des personnes sans ressources connues circulent encore au volant de voitures de luxe.
Lutter contre le paiement en espèces entraînerait donc une baisse du PIB, augmentant les ratios de la dette et des prélèvements obligatoires. Serait-ce la véritable raison de l'opposition que rencontre cette proposition de loi ? Quoi qu'il en soit, il est scandaleux que le droit des citoyens malhonnêtes soit plus avantageux que celui des honnêtes gens. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Fabien Gay et Jean-Marie Mizzon applaudissent également.)
M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances . - Je remercie Christian Bilhac d'avoir proposé ce texte et je partage ses objectifs de lutte contre la criminalité financière.
Notre appareil législatif doit s'adapter pour combattre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, dans un contexte d'envolée du narcotrafic en France. Les services répressifs ont procédé l'année dernière à plus de 24 000 saisies d'espèces, pour un montant de 100 millions d'euros. Moyen de paiement anonyme et instantané, la monnaie fiduciaire peut présenter un risque de blanchiment des capitaux.
Pour autant, nos compatriotes demeurent attachés aux billets. Le droit en vigueur encadre strictement les paiements en espèces. L'article L. 112-6 du code monétaire et financier fixe un seuil de droit commun de 1 000 euros pour les résidents ; pour les étrangers de passage en France, il est de 10 000 ou 15 000 euros. Le plafond applicable en France, qui a été ramené de 3 000 à 1 000 euros en 2015, est l'un des plus robustes de la zone euro : en Belgique, il est de 3 000 euros ; en Allemagne ou en Finlande, il n'y en a pas.
Le règlement européen du 31 mai 2024 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux imposera un plafond de 10 000 euros, mais ne changera rien au fait que le droit français est parmi les plus stricts.
Notre droit prévoit deux exceptions, pour les paiements entre particuliers et pour les personnes non bancarisées.
La proposition de loi fixe un plafond spécifique pour le paiement des loyers et supprime le déplafonnement pour les opérations non professionnelles entre particuliers, ainsi que pour les paiements des personnes non bancarisées.
Notons que les loyers sont déjà soumis au plafond de droit commun de 1 000 euros. Quant aux paiements entre particuliers pour les opérations non professionnelles, ils font partie des dépenses de la vie courante, qu'il n'y a pas lieu de réglementer. Enfin, les services de lutte contre la criminalité financière n'ont pas constaté de contournement de la loi par le refus d'ouvrir un compte bancaire. L'obligation pour les professionnels de faire un signalement à Tracfin en cas de soupçon couvre l'achat d'une voiture de luxe en espèces.
Les personnes non bancarisées, plusieurs centaines de milliers, sont le plus souvent dans une situation précaire. Les mesures proposées me semblent disproportionnées : elles pourraient mettre en difficulté des personnes fragiles sans simplifier le travail des services répressifs.
C'est pourquoi la commission des finances a rejeté le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)
Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État chargée de la consommation . - De quels outils disposons-nous pour lutter contre la criminalité financière et le blanchiment des capitaux résultant de trafics illégaux ? Merci à M. Bilhac de soulever le sujet.
En axant votre texte sur le paiement en espèces, vous faites entrer la vie courante dans le débat. Les moyens de contrôle et d'encadrement doivent être les plus efficaces possibles, ce qui suppose d'adapter le cadre réglementaire aux évolutions de la criminalité financière.
Le texte plafonne à 1 000 euros les paiements en espèces entre particuliers. C'est une évolution majeure. En France, le plafond est de 1000 euros pour les opérations dans un cadre professionnel - l'un des plus stricts d'Europe. Sept pays européens, dont l'Allemagne et le Luxembourg, ne fixent aucune limite ; seule la Grèce est plus stricte, avec un plafond à 500 euros.
Le texte supprime également la tolérance dont bénéficient les personnes non bancarisées. Sans cette dérogation, ces personnes souvent fragiles seraient pénalisées dans leur vie quotidienne.
Enfin, il plafonne le règlement entre particuliers d'un loyer en espèces à 1 500 euros.
Ces mesures ne permettent pas d'atteindre l'objet de la proposition de loi. Le cadre français est déjà l'un des plus restrictifs. L'absence de limite au paiement en espèces entre particuliers est compensée par de multiples limites et contrôles : on ne peut payer ses créances publiques en espèces au-delà de 300 euros ; les voyageurs doivent déclarer tout transport d'espèces supérieur à 10 000 euros ; les professionnels du secteur financier doivent informer Tracfin des retraits en espèces dépassant 10 000 euros sur un mois.
Le futur règlement européen ne prévoit pas de plafond pour les opérations entre particuliers, car la lutte contre le blanchiment est d'abord une affaire de transactions entre professionnels, mais introduira un plafond de 10 000 euros pour les professionnels.
Ni la police judiciaire, ni Tracfin, ni les services du Trésor n'identifient de risques de blanchiment justifiant une telle proposition de loi.
Le paiement des loyers entre particuliers ne représente pas un risque. Le plafond proposé serait une gêne ou un obstacle pour les Français qui souhaitent régler en espèces, en toute légalité.
L'interdiction de tout paiement en espèces entre particuliers au-delà de 1 000 euros serait impossible à contrôler, sauf à ce que l'administration soit particulièrement intrusive. Un tel plafond pénaliserait les plateformes de revente en ligne ou de fourniture de services ponctuels entre particuliers, par exemple. C'est un réel effet de bord.
Enfin, la tolérance accordée aux personnes non bancarisées doit être conservée. Les services de l'État n'ont jamais identifié de contournement visant à se priver volontairement de compte bancaire pour se soustraire au plafond légal. Cette mesure restreindrait les libertés des personnes concernées, qui n'ont d'autre moyen de paiement que les espèces.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement appelle au rejet de cette proposition de loi.
M. Fabien Gay . - Notre droit encadre déjà le paiement en espèces, dans une optique de lutte contre le blanchiment, la fraude fiscale et le travail dissimulé.
Surtout, le blanchiment et la fraude fiscale à grande échelle ne reposent plus sur des valises de billets, mais sur une ingénierie financière complexe, difficilement traçable.
L'argent liquide est un moyen de paiement crucial pour les 3 millions de personnes en situation d'exclusion financière. La limitation du paiement en espèces pour les personnes non bancarisées les touchera en premier lieu, tout comme les 20 % de la population victimes de la fracture numérique. L'interdiction du paiement en espèces des loyers de plus de 1 000 euros risque de favoriser les marchands de sommeil en restreignant l'accès au parc locatif. Bref, ce texte risque de marginaliser davantage les plus fragiles.
Il est en réalité davantage question de frais et de données, au profit du secteur bancaire et des Gafam. En somme, Big Finance et Big Tech contre le cash ! L'argent liquide représente un coût que le secteur bancaire veut raboter, en substituant au personnel dans les agences des applications permettant un contrôle accru.
Les sociétés de paiement pèsent plus de 230 milliards d'euros. Nos dépenses quotidiennes touchent à l'intime. Le tout-dématérialisé fera exploser les données collectées. La société sans numéraire est l'une des formes les plus abouties du capitalisme de surveillance : toutes nos actions économiques seront enregistrées sur des bases de données privées, pour analyse.
Face au réchauffement climatique, est-il opportun d'aller vers un système tributaire de gigacenters privés ? Le paiement en espèces n'est pas un archaïsme, mais un système inclusif, respectueux de la vie privée et permettant des microtransactions à l'échelle locale.
Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La proposition de loi entend renforcer la lutte contre le blanchiment d'argent et la fraude en réduisant le seuil des transactions en espèces à 1 000 euros, en interdisant le paiement des loyers en liquide et en supprimant les exemptions pour les personnes sans compte bancaire. Hélas, ces mesures ratent totalement leur cible.
Les narcotrafiquants qui utilisent des lessiveuses à grande échelle n'auront que faire de ce texte, qui affectera en revanche durement les plus vulnérables. Nombre de ménages en difficulté utilisent les espèces à la fois comme moyen de paiement et réserve de valeur.
Supprimer les dérogations pour les personnes sans compte bancaire compliquera le quotidien des plus précaires. Les démarches à effectuer auprès de la Banque de France et l'absence de découvert autorisé rendent le droit au compte souvent très théorique. Exiger des personnes précarisées qu'elles trouvent des alternatives à l'argent liquide, y compris pour le paiement des loyers, pourrait accélérer leur exclusion.
De même, plafonner les transactions entre particuliers pourrait restreindre des habitudes de paiement courantes et pénaliser des pratiques ordinaires qui, jusqu'ici, n'ont pas été soupçonnées d'illégalité.
Les écologistes soutiennent l'harmonisation européenne en la matière : fixer un seuil national aussi bas, alors que l'Union européenne préconise un plafond de 10 000 euros, pose question.
Le narcotrafic brasse des sommes d'une tout autre ampleur. Selon Roberto Saviano, spécialiste des mafias, ce sont les liquidités colossales issues du trafic de cocaïne qui ont sauvé les banques lors de la crise des subprimes. Cette proposition de loi est très loin du compte !
La question de la liberté des paiements en espèces touche à la philosophie politique : une société libérale peut-elle imposer un tel contrôle des échanges monétaires sans se muer en société de surveillance globale ?
La lutte contre le blanchiment est essentielle, mais ne doit pas se faire au détriment des plus fragiles. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Florence Blatrix Contat . - Cette proposition de loi vise à mieux contrôler l'usage de l'argent liquide, qui peut constituer un levier de fraude et de blanchiment. L'objectif est partagé, mais ces mesures sont-elles efficaces et adaptées ? Surtout, quel est leur impact sur les plus précaires ?
Les espèces représentent encore 50 % des transactions aux points de vente, sous la moyenne de la zone euro. Il s'agit surtout de petits paiements quotidiens. Nos concitoyens restent attachés à l'argent liquide pour gérer leur budget, surtout en période d'inflation.
Selon la Banque de France, 440 000 personnes n'ont pas de compte bancaire. L'argent liquide est souvent leur seul moyen de paiement, y compris pour louer un logement. Supprimer les dérogations pénaliserait les plus précaires, qui rencontrent des difficultés pour ouvrir un compte bancaire en raison de leur situation économique.
Aucun risque significatif de blanchiment par le paiement des loyers en espèces n'a été relevé. Idem pour les paiements en espèces entre particuliers. Aussi peut-on douter de l'efficacité de ces mesures.
Comme le souligne le rapporteur, il serait plus efficace d'imposer des obligations spécifiques à certaines professions, comme les loueurs de voitures de luxe, que de prendre des mesures générales.
Enfin, le recul des espèces est aussi un frein aux dons faits aux personnes sans-abri, qui dépendent de ces gestes de solidarité.
Les objectifs de la proposition de loi sont louables, mais je doute de son efficacité. La suppression des dérogations pour les personnes non bancarisées ou pour les transactions entre particuliers ne répond pas à l'objectif recherché et pourrait pénaliser les plus vulnérables. Le groupe SER votera contre.
M. Marc Laménie . - Je salue l'initiative de Christian Bilhac et du RDSE. La lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale est un objectif partagé. Le trafic de drogue génère 3 à 6 milliards d'euros par an, rien qu'en France. La fraude fiscale nous empêche de financer nos politiques publiques. Les règlements de comptes liés aux trafics participent de l'insécurité dans nos villes et nos campagnes.
Mais lutte-t-on contre les trafics, les braquages ou la prostitution en interdisant à nos concitoyens d'utiliser des espèces ? Je ne le crois pas. Il faut agir sur les causes et non sur les conséquences.
Limiter les paiements en espèces serait une ingérence supplémentaire de l'État dans le quotidien des Français. La libre utilisation de leur argent liquide est un symbole de leur liberté - d'autant que l'encadrement existe.
Limiter l'usage des espèces ne mettra pas fin aux trafics, au blanchiment et à la fraude : les criminels s'adaptent. Selon Chainalysis, les transactions illicites sur les cryptomonnaies représentaient 24,2 milliards de dollars en 2023, contre 2,3 milliards quelques années plus tôt. C'est dire la professionnalisation des criminels en la matière.
Enfin, les plus précaires, qui n'ont pas de compte en banque, n'ont d'autre choix que d'utiliser des espèces au quotidien. Les personnes âgées et celles qui n'ont pas accès au numérique, dont je fais partie, paient plus volontiers en liquide. D'autant que les chèques, très souvent, ne sont plus acceptés par les commerçants.
Le groupe INDEP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-Baptiste Olivier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La lutte contre la criminalité financière est une priorité partagée. Dans le contexte du narcobanditisme, faisant craindre une « mexicanisation » du pays, selon le terme du ministre de l'intérieur, il convient d'assécher les vecteurs de blanchiment. Citons, parmi les avancées récentes, la réorganisation des services d'enquête de la douane, le renforcement des moyens consacrés à la lutte contre la criminalité financière, la refonte de la réglementation européenne via le paquet anti-blanchiment de juin 2024.
Cette proposition de loi s'inscrit dans cet élan. Elle vise à éviter tout contournement en généralisant le plafond de 1 000 euros. Pourquoi des pans de la population en seraient-ils exonérés ? Il existe en effet des dérogations pour le paiement des loyers, les transactions non professionnelles entre particuliers et les personnes non bancarisées.
Cette dernière exception pour les personnes non bancarisées pourrait être susceptible de se prêter au blanchiment - mais aucun des experts auditionnés n'a confirmé cette hypothèse ni relevé de risque en la matière. Les quelque 400 000 personnes non bancarisées sont en majorité dans une grande précarité, qui les empêche de bénéficier du droit au compte mis en oeuvre par la Banque de France. Comment, dès lors, imaginer qu'ils effectuent des transactions de plus de 1 000 euros ? L'hypothèse de leur mise à contribution par les réseaux de blanchiment se heurte à la réalité.
Cette proposition de loi complexifierait inutilement le régime dérogatoire actuel et entraînerait des restrictions de liberté manifestement disproportionnées - d'autant que le régime français de réglementation est l'un des plus robuste de la zone euro.
Nous voterons contre.
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En séjour à Amsterdam, vous tombez sur le vélo-cargo de vos rêves ; de passage à Berlin, vous flashez sur une toile d'art contemporain ; vous voulez acheter un ordinateur sur un site de vente de particulier à particulier - et vous voulez régler en espèces. Attention, car les plafonds de paiement en espèces varient d'un pays à un autre, d'une opération à l'autre.
La proposition de loi de Christian Bilhac vise à restreindre les paiements en espèces entre particuliers au-delà de 1 000 euros, en revenant sur des dérogations prévues par le code monétaire et financier.
Si l'usage des espèces recule, il reste toutefois prépondérant et représente encore la moitié des paiements aux points de vente et 71 % des opérations non professionnelles entre particuliers.
La proposition de loi plafonnerait le paiement en espèces des loyers, et imposerait un plafond de 1 000 euros pour les personnes non bancarisées. Rappelons que l'Allemagne n'applique aucun plafond.
Sur l'encadrement des locations de véhicules de luxe, évoquées dans l'exposé des motifs, nous partageons la position du rapporteur : il serait plus pertinent d'assujettir certaines professions à des obligations spécifiques que d'imposer des mesures générales.
Les quelque 400 000 personnes non bancarisées sont souvent dans une situation précaire ; ce texte les pénaliserait, ce qui ne nous paraît pas souhaitable. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le trafic organisé tue, la fraude fiscale fragilise le pacte social, le travail dissimulé déstabilise l'économie, et le blanchiment d'argent alimente cette machine mortifère. L'actualité inquiétante de ces derniers jours le montre encore. Quel point commun entre les derniers faits divers liés au narcotrafic ? Leurs auteurs ont tous recouru au paiement en espèces, qui facilite le financement des activités illégales. C'est la malédiction du cash.
À cet égard, nous serons attentifs au plan de lutte contre le narcotrafic présenté la semaine dernière par le Gouvernement.
L'économie souterraine représente 11,6 % du PIB, une manne fiscale qui échappe à l'État. Ne faudrait-il pas évaluer notre boîte à outils pour lutter contre ce phénomène ?
Une note récente de la Banque de France confirme le lien étroit entre l'importance de l'économie souterraine et la demande de billets.
La limitation des transactions en espèces s'impose comme mesure complémentaire à la réponse policière et judiciaire, en particulier pour traiter le bas du spectre des activités illégales. C'est dans cet esprit que la proposition de loi de Christian Bilhac encadre plus sévèrement les paiements en cash. Elle concourt ainsi à la sauvegarde de l'ordre public, un objectif d'intérêt général suffisant pour justifier un cadre plus strict.
J'ai compris que tous les autres groupes y sont hostiles, mais notre texte a le mérite d'ouvrir un débat sur la lutte contre l'économie parallèle et illégale, qui nous fait tant de mal. Nous sommes tous d'accord pour mener ce combat, qui exige lucidité et courage. Nous ne pouvons plus nous cacher derrière le prétendu maintien d'une paix sociale. Menons dans cette perspective un travail de fond. (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Jean-Marie Mizzon . - Je remercie le rapporteur pour son travail éclairant.
Ce texte touche à une préoccupation commune. Nous souhaitons tous renforcer l'efficacité de la lutte contre la criminalité financière. Mais son article unique ne constitue pas un moyen adéquat pour lutter contre le blanchiment.
Nous partageons les griefs du rapporteur : la proposition de loi complexifierait les règles et entraverait des libertés individuelles sans garantie d'efficacité contre la criminalité financière.
La direction générale du Trésor n'a pas identifié de risque significatif de blanchiment dans le versement des loyers. Le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment (Colb) confirme que ce risque est faible.
En outre, étendre le plafond de 1 000 euros aux transactions entre particuliers serait disproportionné. Ce plafond est déjà l'un des plus stricts de la zone euro. N'entravons pas les transactions légitimes du quotidien.
Enfin, soumettre à ce plafond les personnes non bancarisées soulève un problème social important. Ces citoyens sont souvent précaires, ce qui les écarte du droit au compte de la Banque de France. Leur interdire les paiements en espèces de plus de 1 000 euros alors qu'ils n'ont pas de moyens de paiement alternatifs risquerait d'aggraver leur précarité. En outre, aucune corrélation n'est établie entre leur situation et la criminalité financière.
Nous partageons les préoccupations de M. Bilhac. Il faut combattre le blanchiment de capitaux et les contournements de la législation en vigueur. Mais cette proposition de loi n'aurait pas les effets qu'en attendent ses auteurs. Durcir un cadre déjà strict serait disproportionné, sans garantie d'efficacité. Suivant l'avis du rapporteur, l'Union Centriste votera contre un texte dont l'adoption altérerait la clarté des règles, entraverait des libertés individuelles et risquerait de précariser les personnes non bancarisées. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Discussion de l'article unique
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié de M. Bilhac et alii.
M. Christian Bilhac. - J'ai entendu les remarques sur les transactions entre particuliers. Cet amendement supprime la disposition qui les concerne pour recentrer le texte sur ses autres aspects. J'ai conscience que le vote sera serré... Peut-être que cet amendement pourra retourner la situation ! (Sourires)
M. Michel Canévet, rapporteur. - Cet amendement n'améliore pas singulièrement la proposition de loi. Avis défavorable.
Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.
L'article unique n'est pas adopté. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 19 h 40.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques », à la demande du groupe RDSE.
M. Philippe Grosvalet, pour le groupe RDSE . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) La sécurité est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Guerre aux portes de l'Europe, menace du narcotrafic dans nos campagnes et nos quartiers, difficultés pour nous soigner : les questions de sécurité saturent notre débat public. Mais la sécurité civile est moins souvent évoquée, en dehors des grandes catastrophes.
Nous avons, en France, un service public exceptionnel pour porter secours à nos concitoyens, sur simple appel téléphonique, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, mobilisant des centaines de femmes et d'hommes, avec des moyens considérables, en tout point du territoire.
Ce service public repose sur un modèle unique, marqué tout d'abord par la coexistence de statuts variés : 198 800 sapeurs-pompiers volontaires, 43 000 professionnels et 13 200 militaires.
Unique aussi dans sa gouvernance, avec le couple maire-préfet pour l'opérationnel, le département et les communes pour la gestion.
Unique dans son financement : les Sdis sont largement financés par les collectivités, le département au premier chef.
Grâce au maillage de 6 100 centres, on compte 5 millions d'interventions par an. C'est un service public essentiel du quotidien.
Les Sdis ont connu de grandes évolutions depuis le début du XXe siècle avec la montée en compétences des sapeurs-pompiers, la mutualisation et la modernisation de leurs moyens, la rénovation des centres, et une meilleure planification des risques.
Mais il y a un hic. Certaines évolutions interrogent sur la capacité des Sdis à continuer à remplir leurs missions.
Notre système repose à 78 % sur les sapeurs-pompiers volontaires, qui ne représentent que 12 % de la dépense. L'engagement citoyen constitue le socle du modèle français. Mais cette spécificité est remise en cause par la directive européenne de 2003 sur le temps de travail et la jurisprudence Matzak de 2018. Une requalification du statut des sapeurs-pompiers volontaires avec une obligation de professionnalisation diminuerait le service rendu à la population.
Il faut garder l'hybridité des statuts, mais ne pas oublier que les droits sociaux des sapeurs-pompiers volontaires restent incomplets et qu'ils sont surmenés en raison de l'alourdissement de la charge opérationnelle. Le nombre d'interventions a crû de 30 % entre 2005 et 2021, avec sursollicitation médicale - trois quarts des interventions dans mon département de la Loire-Atlantique. Cela s'explique par la fragilisation des autres services publics de santé - désertification médicale, disparition des urgences en milieu rural, carences ambulancières.
Les sapeurs-pompiers volontaires s'interrogent de plus en plus sur le sens de leur engagement. Ils ont l'impression de se substituer à d'autres acteurs absents ou défaillants. Conséquence : une moindre attractivité, alors même que les phénomènes climatiques critiques - notamment outre-mer - et les évolutions démographiques mettent à l'épreuve notre système.
Nous devons conserver des capacités d'anticipation en amont et des capacités d'adaptation en aval. Cela passe par la consolidation du financement des Sdis - 5,39 milliards d'euros. Le modèle de financement, qui repose quasi exclusivement sur les collectivités territoriales, est à bout de souffle, car la situation budgétaire des départements est extrêmement préoccupante et impacte les budgets des Sdis. Les communes ne peuvent pas reprendre le relais en raison du plafonnement de leur contribution. Les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficultés à suivre la dynamique de dépenses des Sdis.
Toutes les pistes sont à explorer, notamment l'élargissement de la fraction de taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA), l'augmentation de son taux, ou encore l'actualisation de son assiette, inchangée depuis 2003. La création d'une nouvelle part départementale additionnelle à la taxe de séjour mérite aussi d'être étudiée. Les travaux autour de la valeur du sauvé doivent être poursuivis, afin de ne pas oublier la participation des assureurs impactés positivement par les interventions des Sdis. Nouvelles recettes, mutualisation, recentrage des missions sur le coeur de métiers : autant de pistes à explorer.
J'ai présidé un Sdis pendant dix-sept ans. J'y ai vu des femmes et des hommes affronter tous les risques, parfois au péril de leur vie.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Philippe Grosvalet. - Ils remplissent des missions qui n'ont pas de prix, mais qui ont un coût financier, et parfois humain. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K, SER, INDEP et du GEST)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien. - Merci de nous sensibiliser un peu plus sur ce sujet, qui fait partie du portefeuille que le Premier ministre m'a fait l'honneur de me confier.
Nous souhaitons préserver le modèle de sécurité civile français, largement fondé sur le volontariat, même s'il doit évoluer, notamment pour améliorer le statut des volontaires, qui constituent le gros des troupes.
Le Beauvau de la sécurité civile, qui sera rouvert le 25 novembre à Rouen, sera l'occasion d'évoquer tous les chantiers, dont celui du financement, qui pèse pour partie sur les départements, les communes, mais aussi le reversement d'une part de TSCA par l'État. Nous y travaillerons dans les mois à venir. Les contributions parlementaires et l'expertise des élus locaux seront les bienvenues. Je rencontre les acteurs de la sécurité civile depuis plusieurs semaines pour ne rien omettre dans l'ordre du jour des Beauvau. Nous voulons élaborer des propositions concrètes pour le mois de mars.
M. Ronan Dantec . - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER) Je remercie le RDSE d'avoir suscité ce débat.
J'ai une pensée pour la région de Malaga, victime d'une goutte froide comme Valence il y a quinze jours. Nous basculons dans un monde nouveau et devons remettre à plat notre gestion des risques.
La prévention est essentielle, comme avec l'évacuation de 3 000 personnes à Malaga ou l'interdiction de circuler en Bretagne.
La question de l'artificialisation des sols est centrale : nous avons besoin du ZAN en urgence. À ce titre, je ne peux que me réjouir des propos très clairs de Mme Vautrin en commission. Elle a rappelé l'importante d'un palier à dix ans et pris ses distances avec la proposition de loi du groupe Les Républicains. (M. Jacques Fernique applaudit.)
Il faut aussi des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. En 2015, l'agence de l'eau avait alerté sur les liens entre les mutations du système agricole dans le Pas-de-Calais et le risque accru d'inondations.
Je rappelle les incendies en Gironde et dans les Monts d'Arrée. L'incendie de la forêt de Paimpont est peut-être devant nous. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Pour faire face, nous devons redimensionner nos moyens d'intervention. Certes, il y a le pacte capacitaire, mais notre parc de Canadair est en très mauvais état. La mutualisation des moyens à l'échelle européenne - notamment du bassin méditerranéen - doit être débattue.
Un pacte capacitaire inondation devra être mis à l'ordre du jour du Beauvau de la sécurité, car on manque de pompes. Le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) n°3 sera l'occasion de vérifier l'engagement de l'État.
Le statut des sapeurs-pompiers volontaires et l'articulation entre professionnels et volontaires doivent être remis à plat.
La baisse des dotations fragilise notre capacité de réponse aux risques. Doit-on sacraliser des budgets ?
Le risque est devant nous, le réchauffement climatique est là. Nous n'avons pas le temps de procrastiner. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE ; MM. Pierre Barros et Hervé Gillé ainsi que Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Le premier chantier des Beauvau sera la résilience, c'est-à-dire la prévention et le traitement des risques inondation et incendie.
Je m'associe à votre message de compassion envers les Espagnols. Nous nous sommes portés volontaires pour les aider : la solidarité européenne fonctionne, même si elle doit être renforcée.
Oui, notre flotte aérienne vieillit. Nous avons signé une lettre d'intention avec un consortium, dont fait partie Airbus, pour créer un appareil analogue aux Canadair. Le pacte capacitaire sera tenu. Nous prévoyons d'acheter deux pompes de grande capacité en 2025.
M. Hervé Gillé . - Malaga, Valence, l'actualité nous rappelle chaque jour l'ampleur des défis auxquels notre pays doit faire face : inondations, feux de forêt, crises sanitaires... Ces événements imprévisibles exigent une réponse rapide et adaptée. Dans ce contexte, nous devons soutenir nos Sdis, piliers de la sécurité civile.
En Gironde, les mégafeux de 2022 ont touché plus de 30 000 hectares et mobilisé des milliers de pompiers.
N'oublions pas la santé des sapeurs-pompiers. Je salue le remarquable rapport d'Émilienne Poumirol sur les cancers professionnels chez les sapeurs-pompiers. (Mme Émilienne Poumirol apprécie.)
Les Sdis doivent être mieux soutenus et équipés. La force aérienne nationale de la sécurité civile doit être renforcée, avec des moyens stationnés dans le massif des Landes de Gascogne.
Nous devons réformer le système de financement, car les départements et les communes sont exsangues. Le soutien de l'État aux pactes capacitaires doit être pérennisé et un pacte pour le risque inondation mériterait d'être créé.
Le mode de calcul de la TSCA doit prendre en compte le potentiel budgétaire et la pression démographique - près de 20 000 habitants supplémentaires par an en Gironde. Une péréquation doit aussi être envisagée au profit des départements les plus soumis aux aléas.
Les quatre points de cotisation de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) représentent 9 millions d'euros sur trois ans pour la Gironde. Qui va compenser ?
Nos pompiers ont besoin de tenues de protection adaptées aux risques chimiques notamment, or elles coûtent jusqu'à 2 000 euros pièce.
Il faut prendre en compte la valeur du sauvé, pour sortir de la logique de coûts. Une évaluation socio-économique de l'action des Sdis pourrait être envisagée.
Nous devons renforcer les capacités des Sdis par un financement pérenne - c'est un impératif absolu. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que du RDSE et du GEST)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Un travail sur la santé des sapeurs-pompiers a été entamé, par Émilienne Poumirol notamment. Un observatoire de la santé a été créé. Les nouvelles tenues de feu, disponibles l'an prochain, coûteront moins de 1 000 euros.
Les difficultés de financement seront abordées le 11 ou le 12 décembre. Nous nous réunirons avec les départements pour aborder toutes les questions de fiscalité et trouver le meilleur système.
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Comme nombre d'entre nous ici, j'ai eu la chance de présider un Sdis. J'ai rencontré des gens dévoués. Notre modèle de sécurité civile fonctionne bien.
Merci au groupe RDSE pour ce débat.
La sauvegarde du modèle tel qu'il existe, c'est celle du statut de sapeur-pompier volontaire, qui représente 80 % des effectifs. La mobilisation de ces volontaires permet d'assurer un maillage territorial efficace et des interventions rapides. Mais une épée de Damoclès menace le statut à la française. Depuis l'arrêt Matzak et la décision du comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe, plane le risque que le sapeur-pompier volontaire soit requalifié en travailleur. Ce serait l'effondrement du modèle ! Il faut saisir la Commission européenne. J'avais d'ailleurs interpellé les têtes de liste aux dernières élections européennes, en vain.
Les casernes sont l'un des derniers services publics ouverts toute la nuit, avec toujours quelqu'un au bout du fil. Conséquence : les Sdis assument des missions qui ne sont pas les leurs. Le Samu a pris la mauvaise habitude d'appeler les pompiers, qui suppléent les ambulances et les Smur. Or ces interventions sont peu, voire pas, compensées par les ARS.
Je ne puis passer sous silence la nécessaire augmentation de la part de la TSCA revenant aux départements pour financer les Sdis. Dans l'Aisne, les factures des jeux Olympiques ne sont toujours pas payées... Ne répétons pas les mêmes erreurs que pour les loyers de gendarmerie.
Monsieur le ministre, nous attendons vos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Nous sommes particulièrement attachés au modèle fondé sur le volontariat, nous le conforterons. Non, les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas des travailleurs, mais certaines situations, comme les gardes postées, les fragilisent. Nous allons donc revenir à des pratiques plus adaptées au droit européen, en lien avec d'autres pays européens dont le modèle est comparable au nôtre.
Il est délicat de faire exercer des missions qui ne sont pas les leurs par les sapeurs-pompiers volontaires : nous travaillerons lors du Beauvau avec le ministère de la santé sur la doctrine d'emploi, pour nous recentrer probablement sur l'urgence. Nous aurons peut-être aussi l'occasion de travailler avec les fédérations d'ambulanciers afin qu'ils assurent une meilleure couverture du territoire.
Nous aurons l'occasion de reparler de la TSCA à la mi-décembre : nous ne sommes pas fermés, il faut trouver un bon accord avec les fédérations d'élus communaux et départementaux.
Mme Françoise Dumont . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Olivier Bitz et Michel Masset applaudissent également.) Le financement de la sécurité civile est un serpent de mer.
Rapporteure pour avis des crédits de la sécurité civile dans le PLF 2025, j'ai proposé de réévaluer la TSCA, taxe dynamique, mais répartie sur des critères obsolètes. La sanctuarisation de l'intégration des véhicules d'incendies et de secours dans les exceptions à l'accise sur les énergies est une autre piste. Rouvrons aussi le chantier de la contribution des métropoles et des grandes agglomérations au budget des Sdis, par souci d'équité.
Nous devons aussi explorer la piste de nouvelles ressources : pourquoi ne pas attribuer une part de la taxe de séjour, ou d'une taxe sur les plateformes touristiques ? Mais cette mesure ne serait vertueuse que pour les seuls départements touristiques.
Les Sdis pourraient aussi facturer leurs prestations, en lien avec la téléalarme et la télésurveillance, mais cela va à l'encontre de la jurisprudence actuelle.
Les carences ambulancières méritent d'être revalorisées à hauteur du coût réel de la prestation, en lien avec une simplification de la procédure de remboursement, directement de l'ARS aux Sdis, sans passer par les centres hospitaliers universitaires (CHU).
Enfin, les assureurs devraient prendre une part plus importante dans le financement des Sdis.
Le groupe de travail sur la sécurité civile du groupe Les Républicains, dont nous vous avons remis le rapport, a recommandé de favoriser la mutualisation des commandes entre les Sdis, avec un appui de votre ministère, afin de réduire les coûts d'achat de véhicules et de matériels et de favoriser l'émergence d'une offre française et européenne. Il a également recommandé la création d'un guichet unique national pour faciliter l'accès aux fonds européens, auxquels nous avons peu recours, faute parfois de formation.
La situation financière des Sdis est précaire et doit être rapidement améliorée, afin de sanctuariser ce service disponible sept jours sur sept partout en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; MM. Olivier Bitz et Michel Masset applaudissent également.)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Merci pour le rapport que vous m'avez remis le 30 octobre dernier : il est très intéressant.
Votre voeu a été exaucé : un ministre est dédié à la sécurité civile, je suis là ! (Sourires)
S'agissant de la mise en place d'une politique industrielle nationale et européenne de sécurité civile, sachez que nous avons signé une lettre d'intention pour un avion bombardier d'eau, fabriqué chez nous.
Cet après-midi, j'ai échangé avec la fédération des directeurs de Sdis à propos des fonds européens : parfois ils ne répondent pas aux critères, parfois ils n'ont pas l'ingénierie humaine, même si certains ont réussi, à l'instar de l'Ardèche qui a pu acheter des tablettes numériques grâce à 2 millions d'euros des fonds européens. Nous devons diffuser les bonnes pratiques.
Nous avons obtenu 30 % d'économies sur les prix d'achat des camions grâce à une commande groupée. J'ajoute que 98 % des camions achetés étaient français.
L'exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est à la signature de Bruno Retailleau, pour 300 000 euros par Sdis en moyenne.
La piste de la taxe de séjour sera évoquée : il me semble normal qu'un touriste contribue à la sécurité du lieu qu'il visite.
S'agissant des remboursements, nous sommes passés de 125 euros en 2022 à 209 euros en 2023, et je reste attentif à la revalorisation régulière de cette somme.
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et du RDSE ; Mme Françoise Dumont applaudit également.) Les inondations récentes en Espagne ou en octobre dernier en France témoignent de la fréquence croissante des événements climatiques extrêmes. On assiste aussi à la multiplication et à l'intensification des feux de forêt. Ces conséquences du bouleversement climatique mobilisent nos Sdis. C'est pourquoi il est si important de lutter contre le réchauffement climatique et de soutenir ces services essentiels à la sécurité des Français.
Les nouvelles menaces - terroristes, chimiques, biologiques - nécessitent une préparation humaine et technique spécifique. Les sapeurs-pompiers sont appelés à être de plus en plus polyvalents.
Je rends hommage à nos 240000 sapeurs-pompiers dont 80 % sont volontaires et j'ai une pensée émue pour ceux qui ont perdu leur vie ou ont été blessés dans leur mission.
Face à ces bouleversements, les missions du Sdis évoluent, avec des conséquences sur leurs dépenses, déjà fort dynamiques. La modernisation des équipements, l'amélioration des conditions de travail et les indispensables revalorisations salariales nécessitent des investissements coûteux, à la charge principalement des départements. L'État assure un quart du financement et les intercommunalités se sont en partie substituées au bloc communal.
Face à la recrudescence des feux de forêt, le Président de la République a renforcé la flotte aérienne, essentielle pour les interventions rapides. Des équipements adaptés aux risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ont été déployés. La formation et la coopération interservices ont été développées.
L'exonération de la taxe sur les carburants pour les véhicules d'incendie et de secours, d'initiative sénatoriale, allège les charges pesant sur les Sdis.
Reste que les défis demeurent nombreux. La hausse des dépenses étant difficilement tenable à long terme, il est impératif d'explorer de nouvelles pistes de financement. Les marges de manoeuvre des départements sont faibles : comment renforcer leurs ressources pour financer les Sdis ? Puisse le Beauvau de la sécurité civile s'emparer de cette question cruciale.
Il faut aussi lutter contre les sursollicitations liées au transport sanitaire, dans la continuité de la loi Matras, et rendre le recours aux Sdis en cas d'absence de couverture ambulancière plus dissuasif, en révisant le tarif de l'indemnité de substitution.
Nous devons renforcer les incitations au volontariat, pour préserver un modèle qui montre des signes de faiblesse. L'efficacité de notre système d'intervention repose sur l'engagement des plus de 9 000 sapeurs-pompiers volontaires : ouvrons-leur la possibilité de la vétérance, pour soutenir les communes et le volontariat.
Il nous appartient de faire des choix stratégiques pour donner aux Sdis les moyens de remplir leurs missions. Plus que jamais, nous devons engager les réformes nécessaires et valoriser ces services indispensables à notre sécurité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes UC et SER)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - La récente crise en Espagne nous marque - celle qu'a traversée la France aurait pu être grave également. Nous ne déplorons que des blessés, preuve que les plans communaux de sauvegarde et notre sécurité civile fonctionnent.
Le Premier ministre et Agnès Pannier-Runacher ont présenté notre plan national d'adaptation. En plus des 11 millions d'euros prévus pour la gestion des risques complexes, 1 million d'euros supplémentaires iront notamment à l'achat de pompes de grande capacité. Contre les feux de forêt, les pélicandromes se déploient - nous en avons inauguré un à Marignane récemment. Nous prévoyons d'acquérir 36 hélicoptères EC146 en six ans.
Nous débattrons des pistes de financement le mois prochain.
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le Beauvau de la sécurité civile sera l'occasion de prendre en compte concrètement les difficultés des territoires ruraux.
La multiplication et la violence des risques climatiques placent les sapeurs-pompiers sous tension. Notre rapport sur les inondations montre que 53 % des départements ont été touchés par des inondations entre novembre 2023 et juin 2024. Les services de secours ont été confrontés à leurs limites, notamment au manque d'équipements et de moyens héliportés. Un renforcement capacitaire s'impose.
J'espère que le Gouvernement accueillera favorablement nos amendements destinés à mieux équiper nos Sdis, au moment où des compagnies d'assurances refusent d'assurer certains services, sinon avec des primes en hausse de 60 %.
Mme Émilienne Poumirol. - Exactement !
M. Jean-Yves Roux. - Dans les Alpes de Haute-Provence, les surcoûts se montent à 150 000 euros en 2023 et 250 000 euros en 2024. Or le recouvrement de la facturation des services est insuffisant.
Dans notre département, le système repose à 96 % sur les sapeurs-pompiers volontaires. Les difficultés de recrutement et l'épée de Damoclès que constitue la possible requalification de leur statut sont autant de problèmes supplémentaires.
Nos Sdis ont atteint un point de rupture. La sécurité civile ne saurait être une variable d'ajustement, le drame de Valence nous le rappelle. Avec Raphaël Daudet, nous plaidons pour un moratoire sur les ponctions financières afin d'aider les départements, exsangues. L'augmentation de quatre points de la cotisation à la CNRACL représente 180 000 euros en plus ; la perte de compensation représente 230 000 euros de recettes en moins. C'est autant de matériel renouvelé en moins.
Des mesures de bon sens s'imposent : mutualisation et péréquation, rationalisation de la commande et simplification des procédures.
Une augmentation de la part de TSCA versée aux départements me semble également indispensable.
Nous avons besoin d'un pacte capacitaire de sécurité civile et d'un contrat d'objectifs clair entre l'État, les départements et les collectivités partenaires.
Dans les Alpes de Haute-Provence, nous avons mis en place des stages pour les jeunes pompiers volontaires et un baccalauréat professionnel de sécurité civile, pour sensibiliser à ces enjeux dès le plus jeune âge. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - J'ai reçu hier l'Association des maires ruraux de France : nous avons évoqué la sécurité civile, la police municipale et les gardes champêtres. Nous avons bien cerné le problème de recrutement des sapeurs-pompiers volontaires. Nous travaillons sur la reconnaissance et l'attractivité du volontariat. Sur la bonification de pension, le décret est en cours d'arbitrage.
Mme Émilienne Poumirol. - Il est temps qu'il paraisse !
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - En matière de transport sanitaire, 209 euros sont versés aux Sdis, mais le coût réel est supérieur à 400 euros. Nous aborderons ce sujet lors du Beauvau de la sécurité civile, en liaison avec le ministère de la santé.
M. Pascal Martin . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les récentes inondations qui ont ravagé l'Espagne, mais aussi plusieurs départements français, rappellent le caractère vital des services de sécurité civile.
L'excellence des Sdis n'est plus à prouver. La France est d'ailleurs le premier contributeur au mécanisme européen de sécurité civile.
Mais les Sdis sont menacés par un effet ciseau : multiplication des événements climatiques - inondations, incendies, sécheresses, retrait-gonflement des argiles (RGA), risques industriels - et stagnation, voire régression, des moyens. Certes, des économies de gestion sont possibles via des mutualisations, mais cela ne résoudra pas tout. Ce débat est donc nécessaire, et je remercie le RDSE de l'avoir suscité.
Nous ne pouvons faire l'économie d'une réforme du financement des Sdis. Les financements ont d'ailleurs déjà été partiellement adaptés - je pense à l'exonération de malus écologique pour les véhicules. Mais une réforme plus fondamentale est nécessaire : le système de financement des Sdis par les départements et le bloc communal est à bout de souffle, comme l'a montré un récent rapport de l'IGA.
Il faut améliorer le rendement de la TSCA par une modification de l'assiette, de la péréquation ou de la fraction versée. On peut envisager aussi le versement aux Sdis d'une quote-part de la taxe de séjour ou d'une nouvelle contribution sur les locations de type Airbnb. Nous sommes plus réservés sur l'élargissement de la taxe Gemapi. Plus intéressantes sont les pistes consistant à facturer des prestations relevant d'un service privé et à valoriser le sauvé - des mesures disruptives nécessitant un changement culturel.
Nous ne nous adapterons à un réchauffement de 4 degrés qu'en réformant les Sdis dans cette perspective. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - La France est le premier contributeur de l'Union européenne en formation et en déploiement. En ce moment, cinquante sapeurs-pompiers français sont à Valencia - je le dis en espagnol, un peu effrayé d'entendre depuis tout à l'heure ce qui arrive à Valence... (Sourires)
Une vingtaine de plateformes d'appels d'urgence 15 et 18 sont à l'étude. Nous devons réfléchir à d'autres pistes de mutualisation, comme nous l'avons fait pour l'achat de camions. Inspirons-nous aussi de la carte neige. Nous devrons discuter des ressources, de la présence des assureurs dans la gouvernance - plus nous ferons de prévention, plus leurs charges baisseront.
Mme Céline Brulin . - Le satellite Copernicus a montré que 2024 sera l'année la plus chaude jamais enregistrée. Inondations, feux de forêts, tornades, sécheresses : les interventions se multiplient, se diversifient et courent sur des durées de plus en plus longues. La pression capacitaire s'accroît d'autant sur les Sdis. Il y a un an, au moment de la tempête Ciaran, le Sdis de Seine-Maritime a dû réaliser 600 interventions en deux jours...
Ces évolutions devraient augmenter les coûts d'au moins 20 % d'ici à 2040. La désertification médicale et les carences ambulancières posent aussi problème. Lorsque les urgences ferment régulièrement, comme à Lillebonne et Fécamp, les Sdis sont davantage mis à contribution. Le secours à personne fait certes partie de leurs missions, mais ils sont de plus en plus contraints d'intervenir hors de leur champ de compétences. Le transport de personnes vers des lieux de soins de plus en plus éloignés a augmenté de 85 % en vingt ans.
Les Sdis sont aussi touchés par l'inflation des matériels et des carburants.
Leurs budgets sont assurés pour moitié par les départements, pour un tiers par les communes et intercommunalités. On voit mal, dans le contexte financier actuel, comment le budget 2025 aidera les collectivités territoriales à les soutenir. Le budget de la sécurité civile pour 2025 est d'ailleurs en baisse. En outre, les cotisations des employeurs territoriaux à la CNACRL augmenteront, ce qui pèsera sur les Sdis.
Les orateurs précédents ont évoqué la TSCA et la taxe de séjour. Ces pistes méritent d'être examinées.
Enfin, nos sapeurs-pompiers volontaires attendent la publication du décret sur la bonification de retraite pour ceux qui ont accompli au moins dix ans de service.
Nous participerons dans quelques jours, les uns et les autres, aux fêtes de la Sainte-Barbe. Nous valoriserons l'engagement et honorerons les disparus. Garantissons aussi aux sapeurs-pompiers les moyens de protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE, du RDPI et du groupe INDEP)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Je partage votre diagnostic sur le changement climatique. Nous devrons inculquer un modèle de prévention auprès de nos concitoyens.
En quelques heures, nous sommes en mesure de mobiliser des centaines de volontaires, comme récemment en Ardèche : 800 sapeurs-pompiers volontaires mobilisés en une heure.
La réforme du transport sanitaire urgent a fait baisser le nombre de carences de 14 % en 2023. Cette bonne pratique doit être amplifiée.
La baisse du budget de 3 % en 2025 s'explique par le décalage de la commande des Canadair, pas disponibles avant 2030, et notre choix de préférer un consortium européen. En réalité, le budget est plutôt étale.
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Je remercie le RDSE d'avoir provoqué ce débat sur un sujet fondamental.
Le financement des Sdis se précarise d'année en année.
Je ne reviendrai pas sur le problème du statut des sapeurs-pompiers volontaires, largement évoqué, même si, comme ancienne présidente d'un Sdis, j'y suis sensible. Je me concentrerai sur le financement des Sdis et la protection de la santé des sapeurs-pompiers.
Depuis les lois de 2002 relatives à la démocratie de proximité et de 2004 relatives à la sécurité civile, les contributions des communes sont figées. Le département est ainsi le principal financeur des Sdis, souvent aux deux tiers. En Haute-Garonne, la dotation de l'État est calculée sur la population de 2002, alors que le département gagne de 17 000 à 20 000 habitants chaque année : le conseil départemental compense.
Le PLF 2025 ne fait qu'accentuer les difficultés des départements. Comment pourront-ils encore soutenir les Sdis face aux nouveaux défis ?
Il est indispensable de réformer la part de TSCA versée aux départements, et d'en actualiser l'assiette. Il faut un pacte capacitaire inondation, comme pour le risque incendie. La prise en compte de la valeur du sauvé est un autre enjeu. Autre piste : leur attribuer une quote-part de la taxe de séjour pour faire contribuer les touristes.
Nous devons aussi protéger la santé de nos sapeurs-pompiers. Avec Anne-Marie Nédélec, j'ai publié un rapport sur la santé des pompiers. Les fumées toxiques, l'amiante, les retardateurs de flamme et autres substances sont autant de sources de cancers. Nous préconisons d'élargir la présomption d'imputabilité de certains d'entre eux, comme au Canada, aux États-Unis ou en Australie, et de mettre en place une véritable politique de prévention. Un nouveau modèle de cagoules filtrantes coûte 50 euros : comment les financer ?
Sans réponses concrètes de l'État, la qualité de ce service public, le dernier présent dans certains territoires, se dégradera. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe INDEP)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Merci pour votre travail sur la santé des sapeurs-pompiers. Nous travaillons sur une matrice emploi-expositions avec l'Inserm. Une étude sur les fumées des feux de forêt est également en cours. Les équipements de protection individuels filtreront 70 % des particules fines. Nous essayons de proposer une tenue polyvalente pour éviter des surcoûts majeurs.
Venez découvrir la Bourgogne le 12 décembre ! Nous aborderons les questions de financement. Mais je précise que le pacte capacitaire intègre déjà le risque inondation. La quote-part de taxe de séjour fait partie des pistes, je m'en suis entretenu avec David Lisnard.
Mme Annick Petrus . - La sécurité civile est un fondement de notre République. Elle repose sur une organisation capable de répondre aux besoins de chaque territoire.
La crise du volontariat exige de trouver de nouvelles incitations.
À Saint-Martin, un service territorial d'incendie et de secours (Stis) autonome sera créé en janvier prochain. J'y participe activement en tant que membre du comité de pilotage.
Nombre de territoires ultramarins font face à des défis naturels combinés aux exigences des activités portuaires et touristiques. Le territoire de Saint-Martin sera doublement voire triplement impacté, or il devra être autosuffisant.
Conventionné depuis 2007 avec le Sdis de la Guadeloupe, Saint-Martin était vulnérable. La nouvelle organisation, autonome, renforcera les moyens humains et matériels de gestion des risques. Nous disposerons de notre propre schéma d'analyse des risques.
Les collectivités territoriales ultramarines font face à des contraintes importantes amplifiées par l'insularité. Le coût de notre Stis, de plus de 9 millions d'euros, pèsera uniquement sur la collectivité. Il en va de même pour toutes les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution.
Cette spécificité renforce la nécessité d'un accompagnement de l'État. Les besoins sont clairs et nombreux : renouveler les équipements obsolètes, recruter du personnel administratif, renforcer la formation des sapeurs-pompiers et fidéliser les sapeurs-pompiers volontaires.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Annick Petrus. - C'est un enjeu de souveraineté et de justice territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, du RDPI et du RDSE)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Lors du Beauvau de la sécurité civile, nous traiterons en particulier des outre-mer, en liaison avec François-Noël Buffet.
À Saint-Martin, un service territorial autonome sera créé en janvier prochain. Des problèmes d'attractivité se posent dans ce territoire, au même titre que dans les territoires ruraux.
Nous avons testé récemment FR-Alert, un dispositif efficace. Il sera applicable dans tous les territoires ultramarins.
M. Olivier Bitz . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et du RDSE) Les débats sur le financement de nos politiques publiques ont pris une acuité toute particulière ces derniers mois. Fidèle à ma ligne, je me suis refusé à envisager une hausse de prélèvements obligatoires.
Le modèle de financement de nos Sdis était déjà à bout de souffle. L'augmentation de quatre points des cotisations CNRACL représentera pour celui de l'Orne 200 000 euros de dépenses supplémentaires. S'ajoutent à cela la hausse des coûts d'assurance et l'inflation.
La demande opérationnelle dans le domaine sanitaire progresse bien plus vite que les ressources : forcément, cela coince ! Et le vieillissement de la population et les déserts médicaux renforcent encore la pression.
Les départements, premiers financeurs des Sdis, sont eux-mêmes asphyxiés. Alors que leur participation a plus que doublé entre 2021 et 2022, on constate depuis 2016 une légère baisse de leur contribution nette hors TSCA. Le ralentissement des efforts des départements envers les Sdis traduit leurs propres difficultés financières. Or le PLF prévoit - pour l'instant - de leur demander un effort supplémentaire de 2,2 milliards d'euros... Les Sdis ne relèveront pas les défis financiers si leur premier financeur est lui-même en grande difficulté.
Le premier risque est le risque RH, lié à l'érosion du volontariat, à mettre en regard de l'augmentation simultanée de la demande opérationnelle : moins de volontaires pour plus de missions. L'affaissement du volontariat obligerait à recruter des sapeurs-pompiers professionnels dont nous ne saurions pas financer les postes.
Les nouveaux risques de sécurité civile - liés aux feux de forêt, aux inondations, à la protection du patrimoine ou à la motorisation électrique - exigent de nouveaux moyens, mais ceux-ci ne doivent pas forcément être positionnés au niveau de chaque Sdis. Les moyens nationaux sont des soutiens irremplaçables.
À cet égard, je suis inquiet du ralentissement de la montée en puissance de la 4e unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC) basée à Libourne, ainsi que du report des travaux sur la base de sécurité civile de Nîmes.
M. le président. - Veuillez accélérer.
M. Olivier Bitz. - Il nous faut une vision stratégique sur les moyens aériens. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - Quelques chiffres : l'État finance les Sdis à hauteur de 26 % via la TSCA ; les conseils départementaux, hors TSCA, à 29 % ; les communes à 34 % ; les autres ressources, dont le FCTVA, représentent 11 %. Les communes doivent occuper une place aussi importante que les conseils départementaux dans le schéma de financement. Pour que l'évolution soit modérée, il nous faut trouver d'autres pistes de financement. Nous en débattrons en Bourgogne-Franche-Comté le 12 décembre.
Sur le volontariat, Bruno Retailleau cherche à négocier à Bruxelles une nouvelle directive plutôt que de modifier le droit du travail.
La montée en puissance de la 4e UIISC est progressive, mais régulière. Le nombre de militaires fin 2024 sera de 228, contre 160 au début de l'année. Il atteindra les 500 dès que possible - malgré un ralentissement dû au contexte budgétaire.
Mme Nadine Bellurot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du RDPI) Dans un département rural comme l'Indre, confronté à la désertification médicale, nos sapeurs-pompiers professionnels et volontaires comblent les défaillances du système de santé. Je les remercie de leur engagement.
Tous les Sdis voient le nombre de leurs interventions augmenter, notamment au titre du secours d'urgence aux personnes - sept interventions par minute !
Le modèle est solide, mais il est en tension, avait dit le ministre Darmanin. Les risques liés au changement climatique se multiplient - ainsi des cent hectares partis en flammes dans le parc naturel de la Brenne, dans l'Indre, en 2021, ou des inondations tragiques en France et en Espagne. Conforter notre modèle suppose de donner aux sapeurs-pompiers les moyens nécessaires à leurs missions « coeur de métier », mais aussi de les accompagner dans leurs missions nouvelles.
Les sapeurs-pompiers appellent à une meilleure préparation des territoires pour faire face aux risques étendus.
De nombreux Sdis évoquent la valorisation du sauvé : une participation financière des assureurs à hauteur des coûts matériels et humains évités par l'action préventive des sapeurs-pompiers, comme le bâchage en période d'inondation ou la préservation des massifs forestiers. En 2022, dans l'Indre, le Sdis est intervenu à deux mille reprises pour couvrir des toitures à la suite d'un violent épisode de grêle, faute de couvreurs, évitant des dégâts supplémentaires. En se substituant à l'intervention d'entreprises privées, l'intervention du Sdis réduit les coûts des compagnies d'assurances.
On demande aux collectivités territoriales de participer à l'effort de redressement des comptes publics, or les premiers financeurs des Sdis sont les départements, les communes et intercommunalités. Les assurances ne pourraient-elles pas reverser aux Sdis une part de cette portion sauvée ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie et Mme Françoise Dumont applaudissent également.)
M. Nicolas Daragon, ministre délégué. - La défaillance de couverture médicale sera évoquée avec le ministre de la santé lors du Beauvau. Sur le risque incendie, lié au réchauffement climatique, une réponse réside dans le pacte capacitaire : plus de 1 000 engins ont été financés grâce à l'État.
Je salue le travail fait à Valabre pour la formation à la lutte contre les incendies. Unique en Europe, ce centre accueille des délégations de nombreux pays, signe que nos pratiques sont reconnues.
Enfin, je vous rejoins sur la valorisation du sauvé : les assureurs devront participer aux discussions sur le financement et la gouvernance des Sdis.
M. le président. - Veuillez conclure le débat, monsieur le ministre.
M. Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien . - Merci au RDSE pour cette initiative.
L'ancrage territorial des Sdis fait leur force. La départementalisation a permis une montée en compétences rapide depuis 1996. Je salue l'intelligence des territoires qui ont inventé un modèle de gouvernance robuste, réactif et résilient. Les résultats sont au rendez-vous.
Les sapeurs-pompiers interviennent toutes les six secondes, en tout point du territoire. Trois mille sapeurs-pompiers ont été mobilisés en un temps record contre les inondations dans le Pas-de-Calais. Notre pays est une référence mondiale et le premier pourvoyeur de formations aux secours à personne en Europe.
Notre modèle est toutefois confronté aux nouveaux enjeux liés au dérèglement climatique, au vieillissement, à la désertification médicale. La pression opérationnelle va donc s'accroître. Il nous faut trouver de nouvelles sources de financement et optimiser les dépenses. Nous relancerons le Beauvau de la sécurité civile le 25 novembre prochain. Tout est envisageable : TSCA, taxe de séjour, participation des métropoles. L'exonération de 30 millions d'euros sur les gasoils des véhicules d'incendie est à la signature du ministre. Nous parlerons aussi mutualisation des moyens.
Dans une logique assurantielle, faire participer les usagers à la prise en charge de certains risques n'est pas tabou. Ainsi les nombreuses interventions du Sdis liées à des activités de loisirs pourraient être couvertes par des assurances privées ou facturées directement à la personne. En Suisse, il en coûte 1 000 francs suisses d'appeler les secours pour de petites blessures de loisirs.
Il nous faut préserver le volontariat, qui permet de mobiliser des centaines de sapeurs-pompiers dans des délais records : 800 sapeurs-pompiers volontaires mobilisés en moins d'une heure en Ardèche, lors du récent épisode cévenol. Le coût, somme toute modique - 90 euros par habitant - est aussi une exception française.
Pour pérenniser ce modèle unique, valorisons l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Ayons des gestes forts de reconnaissance à leur égard : trimestres de bonification, quotas de décorations, etc. Nous en discuterons en janvier, avec les associations agréées.
La sécurité civile doit rester une politique publique régalienne, sous le commandement opérationnel du ministre de l'intérieur. Alors que plusieurs crises touchent l'Europe, notamment l'Espagne, ce modèle a montré sa pertinence, tout comme les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde, qui ont sauvé des vies.
Quel avenir pour notre sécurité civile à l'horizon 2040 ? Des investissements structurels seront nécessaires pour assurer la pérennité de nos moyens de secours : Bruno Retailleau s'est engagé à renouveler la flotte d'hélicoptères EC145 ; la question des bombardiers d'eau se pose également. C'est une question de souveraineté.
Préserver notre modèle de sécurité civile, sécuriser le financement des Sdis, se préparer au dérèglement climatique, tels sont nos défis. Vous pouvez compter sur moi pour les relever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE, du RDPI et du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Saluons l'initiative du RDSE d'avoir organisé ce débat crucial.
Les Sdis font un travail d'autant plus remarquable qu'ils sont confrontés à de nouveaux défis. Avec la désertification médicale, les interventions de premier secours ont explosé, sans réelle compensation. Avec le réchauffement climatique, les événements catastrophiques se multiplient - crues soudaines, inondations - sollicitant toujours plus nos pompiers. Le risque d'incendie de forêt est exponentiel. Le vieillissement de la population représente, enfin, un pan important de leur activité.
Vous avez annoncé une concertation pour repenser le financement et refonder le système pour trente ans. À la bonne heure ! Plusieurs pistes ont été évoquées, comme l'augmentation de la part de la TSCA attribuée aux départements ou la modulation de la taxe de séjour. Si les départements assurent 60 % du financement, les communes en assurent 40 %. En Lot-et-Garonne, le coût est de 85 euros par habitant pour près de 25 000 interventions par an. Au regard des missions sanitaires assumées par les Sdis, il est temps que l'État renforce leur financement.
En 2016, le Sdis 47 a créé une plateforme unifiant le 15, le 18 et le service d'accès aux soins pour réguler l'entrée à l'hôpital. Devant le succès de l'initiative, l'ARS a apporté un soutien de 500 000 euros.
Les Sdis s'adaptent à la féminisation de la profession, ce qui est une très bonne chose. Certains travaux d'entretien des casernes sont éligibles au fonds vert et à la DETR, mais l'obtention des subventions demeure parfois difficile.
Il faut renforcer l'attractivité et l'engagement des sapeurs-pompiers, volontaires comme professionnels. Nous disposons de nombreux rapports pour améliorer dès ce PLF 2025 le financement des Sdis et conforter un modèle de protection civile unique au monde, plébiscité par les Français, qui illustre ce que les femmes et les hommes peuvent faire de meilleur.
« Sauver ou périr », « Courage et dévouement » : à nos pompiers, nous serons toujours à vos côtés. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, jeudi 14 novembre 2024, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 20.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 14 novembre 2024
Séance publique
À 10 h 30 et à 14 h 30
Présidence : Mme Sylvie Robert, vice-présidente, M. Dominique Théophile, vice-président
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Catherine Conconne
1. Proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues (n°782, 2023-2024)
2. Proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (n°783, 2023-2024)
3. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer Rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime et l'environnement dans cette zone, présentée par Mme Nicole Duranton, MM. François Patriat, Jean-Baptiste Lemoyne et plusieurs de leurs collègues (n°1 rectifié, 2024-2025)
4. Proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans, présentée par Mme Samantha Cazebonne et plusieurs de ses collègues (n°475, 2023-2024)