Sûreté de l'enfant victime de violences

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère, à la demande du RDSE.

Discussion générale

Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Mélanie Vogel et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.) Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles dans notre pays. En 2021, les violences intrafamiliales (VIF) non conjugales ont augmenté de 16 %. Ces chiffres glaçants nous imposent une démarche active pour protéger notre jeunesse.

Les professionnels de la protection de l'enfance alertent sur l'urgence des situations et l'insuffisance budgétaire ou législative des réponses. La dénonciation des violences subies par les enfants est mise en lumière par des événements macabres. Mais les enfants n'ont pas la même capacité à se faire entendre. On se souvient du livre de Camille Kouchner, La Familia grande, mais ces témoignages restent rares.

L'inceste fait rarement l'objet de condamnations. C'est inadmissible : les victimes sont placées dans une situation de précarité bénéficiant aux agresseurs.

Le RDSE a alerté à plusieurs reprises sur les carences de notre législation. Ainsi, le 30 septembre 2019, Françoise Laborde déposait une proposition de résolution pour intensifier la lutte contre l'inceste et demander sa surqualification pénale. Deux ans plus tard, le Sénat votait la proposition de loi d'Annick Billon. Désormais, le code pénal prend davantage en compte la gravité des viols sur mineurs, notamment incestueux.

La loi a institué nombre de dispositifs pour mieux protéger les victimes de violences, mais des améliorations demeurent possibles, selon la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) dans son rapport du 17 novembre 2023. Ces améliorations s'articulent autour de quatre axes : le repérage des enfants victimes, la réparation et le soin, la prévention des violences sexuelles et le traitement judiciaire de celles-ci.

Ce texte s'inscrit dans ce dernier axe et reprend la préconisation n°26 du rapport, avec la création d'une ordonnance de sûreté de l'enfant qui permettrait au juge aux affaires familiales (JAF) de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable. Il faut aller au-delà et couvrir toutes les violences, et pas uniquement les violences incestueuses.

Nombre de moyens existent déjà : le JAF peut émettre des ordonnances de placement ; l'assignation à bref délai lui permet de se prononcer sous 15 jours ; l'ordonnance de protection et l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) peuvent être bénéfiques pour les enfants.

L'ajout d'un nouveau dispositif posera de nouvelles difficultés, j'en conviens, mais l'architecture actuelle souffre de dysfonctionnements. Aussi avons-nous souhaité créer un outil qui regroupe tous les autres, afin de mieux prendre en compte la spécificité de ces violences, à l'instar de l'ordonnance de protection, créée spécifiquement pour les violences conjugales.

Je remercie Marie Mercier et Dominique Vérien pour la qualité de nos échanges.

La rapporteure m'a indiqué qu'une majorité d'acteurs n'était pas favorables à ce dispositif. Ainsi, je vous proposerai non pas de créer une nouvelle ordonnance, mais d'élargir le champ de l'ordonnance de protection actuelle afin d'en faire bénéficier les enfants. Je pense que cette nouvelle approche rencontrera un consensus. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI, ainsi que des groupes INDEP et UC ; Mmes Mélanie Vogel et Marie-Pierre Monier applaudissent également.)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - La protection de l'enfance, voilà un objectif primordial que nous partageons tous. Il nous revient de parfaire son cadre juridique. Ce fut le cas avec le vote de la loi Santiago du 18 mars 2024 -  dont j'étais le rapporteur  - et de la loi Chandler du 13 juin 2024.

J'ai abordé cette proposition de loi avec un a priori positif. Toutefois, le dispositif proposé suscite une réserve d'une grande partie des acteurs de la protection de l'enfance : juges, magistrats, avocats, associations et, dans une certaine mesure, la Ciivise, y sont soit opposés, soit conditionnent leur soutien à des modifications substantielles, pour deux raisons principales.

Premièrement, le défaut juridique de l'ordonnance de sûreté : les conditions de saisine du JAF sont moins favorables que celles prévalant pour d'autres dispositifs ; le dispositif ne prévoit pas de sanctions en cas de méconnaissance de l'ordonnance, la privant d'effectivité ; le retrait de l'autorité parentale est une mesure d'une particulière gravité, inadaptée à une procédure d'urgence ; ce dispositif étend indûment l'office du JAF, à qui il n'incombe pas de se prononcer sur une infraction pénale commise par un adulte extérieur au cercle familial proche.

Deuxièmement, ce dispositif se superposerait à de nombreux dispositifs existants, au risque de fragiliser le cadre juridique actuel.

Il faut distinguer deux types de procédures.

D'une part, celles assurant la protection de l'enfance en l'absence de parent protecteur. En ce cas, la protection de l'enfant repose sur le juge des enfants, qui peut recourir à l'ordonnance de placement, notamment. Ces mesures peuvent être ordonnées en urgence par le procureur de la République, qui doit ensuite saisir le juge sous huit jours. La saisine du juge protège les enfants.

D'autre part, celles permettant à un parent protecteur de protéger ses enfants. Il peut saisir le JAF pour que celui-ci suspende l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement. La loi du 18 mars 2024 a étendu les motifs de cette suspension. L'ordonnance de protection et la nouvelle OPPI profitent, par extension, aux enfants en cas de violences conjugales.

Défaut juridique de l'ordonnance de sûreté et superposition aux dispositifs existants : ces raisons ont conduit la commission à rejeter le texte.

Toutefois, j'ai échangé avec les acteurs de la protection de l'enfance et Maryse Carrère, qui a déposé un amendement visant à étendre le bénéfice de l'ordonnance de protection aux enfants. Cela règle les difficultés qu'aurait créées l'ordonnance de sûreté : les conditions de saisine seraient harmonisées ; un dépôt de plainte pénale serait requis lorsque les violences concernent un enfant, le dispositif prévoirait une sanction ; seul l'exercice de l'autorité parentale pourrait être suspendu ; l'office du JAF serait davantage respecté.

Cela dit, deux difficultés subsistent : un risque d'instrumentalisation demeure et les acteurs plaident pour la stabilité du droit.

L'OPPI n'est toujours pas applicable en l'absence de décrets d'application, qui devraient paraître en février prochain.

Nous sommes attachés à la protection de l'enfance et à la qualité du travail parlementaire. Nous avons souligné les défauts d'un dispositif et en avons imaginé un autre. Le travail parlementaire corrigera les défauts restants.

La cause des mineurs doit être traitée comme une cause majeure. Elle restera inlassablement notre priorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance .  - Ce texte crée, sur le modèle de l'ordonnance de protection prévue à l'article 515-9 du code civil, un dispositif de protection des enfants en cas de viols ou de violences incestueuses : l'ordonnance de sûreté de l'enfant. Celle-ci s'ajoute à ce qui existe déjà dans le droit en vigueur. L'ordonnance pourrait être délivrée dans un délai maximum de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a été victime d'un viol ou d'un inceste, ou lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise. La délivrance d'une ordonnance de sûreté éloignerait le parent violent de son enfant, voire lui retirerait l'autorité parentale.

Cette proposition de loi améliore la protection des enfants, qui est une priorité absolue pour le Gouvernement. Le 20 novembre 2023 a été lancé un plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027.

C'est dans ce cadre que le législateur a adopté la loi du 18 mars 2024. Celle-ci prévoit la suspension automatique de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement dès le stade des poursuites. Elle crée un nouveau droit de délégation forcée de l'autorité parentale et prévoit le retrait de la totalité de l'exercice de l'autorité parentale en cas de viol ou de violences incestueuses. Elle empêche le parent agresseur d'entretenir des liens avec l'enfant. En cas de fait délictuel ou criminel commis sur lui, les règles de procédure pénale le protègent en première intention.

Bien sûr, je partage l'objectif de mieux protéger nos enfants, mais cette proposition de loi ne me semble pas répondre à cet objectif.

Je suis réservée sur son dispositif, moins efficace que le droit existant. En cas d'agression d'un enfant, le JAF, le ministère public et le juge des enfants peuvent déjà intervenir rapidement. L'autre parent peut saisir le JAF en urgence, dans le cadre de l'assignation à bref délai, voire en extrême urgence, grâce à la procédure de référé.

De plus, l'ordonnance de protection délivrée au parent victime de violences conjugales bénéficie également à l'enfant. Le juge peut statuer sur l'enfant et le sort du logement familial. Le procureur de la République et le juge des enfants peuvent prendre une ordonnance de placement provisoire qui permet d'extraire l'enfant de son domicile. L'enfant peut être placé chez son autre parent. Il est ainsi immédiatement protégé.

Nous disposons donc d'un arsenal juridique efficace pour protéger l'enfant victime de violences intrafamiliales.

Conférer au JAF des compétences relevant en principe du juge des enfants réduirait la lisibilité des dispositifs juridiques.

Nous examinerons l'amendement de Maryse Carrère, qui corrige les difficultés du texte initial. Les critères de l'ordonnance de sûreté manquent d'objectivité, que ce soit la crainte d'une nouvelle infraction ou du caractère vraisemblable de la violence subie.

La rédaction sur le dispositif électronique mobile anti-rapprochement nécessite des éclaircissements : sa généralisation pourrait mettre les enfants en situation de conflit de loyauté.

L'ordonnance de sûreté permet au JAF de retirer, et non suspendre, l'exercice de l'autorité parentale : or c'est non un juge seul, mais trois magistrats, qui prononcent cette mesure grave.

Pour ces raisons, je suis très réservée sur ce texte, malgré son objet louable. L'amendement de Maryse Carrère corrige ces écueils, mais ces modifications ne permettent pas de surmonter les réserves initiales. Il y va de la lisibilité du droit et de l'accès au juge. Restons cohérents pour que la protection du Gouvernement... (sourires), pardon, des enfants soit la plus efficace possible. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mmes Laure Darcos et Mireille Jouve applaudissent également.)

Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Nadine Bellurot applaudit également.) Malgré de nombreux progrès en matière de violences intrafamiliales, celles commises contre les enfants restent trop nombreuses : 160 000 par an selon la Ciivise. Mais la situation est sous-évaluée, sans doute, tant ces violences sont cachées.

La proposition de loi de Maryse Carrère semble donc la bienvenue. Toutefois, notre droit n'est pas dépourvu d'outils juridiques en matière de protection des mineurs, y compris en cas d'urgence - ceux-ci relèvent du juge des enfants, du JAF ou du procureur de la République.

Lors de nos auditions, un juge des enfants nous a indiqué qu'il ne pouvait intervenir que lorsque les deux parents sont défaillants et qu'il ne pouvait confier l'enfant à un parent protecteur. C'était donc bien au JAF d'intervenir en ce cas. Les représentants des JAF nous ont expliqué que l'assignation à bref délai et l'ordonnance de protection remplissent déjà ce rôle : inutile, selon eux, d'ajouter une couche supplémentaire de procédures.

Ce texte est néanmoins utile, car les outils sont perfectibles. L'assignation à bref délai, par exemple, connaît des limites. Elle impose au juge de statuer sur le fond en urgence. Certaines juridictions, surchargées, les refusent systématiquement a priori.

A contrario, l'ordonnance de protection protège et laisse le temps de juger sur le fond. Son bénéfice peut être étendu aux enfants. Cela dit, elle est principalement destinée à la protection du conjoint victime ; actuellement, les enfants ne le sont qu'à titre accessoire : ainsi, en cas d'inceste par exemple, l'ordonnance ne pourrait être prononcée.

Un changement de notre droit a donc du sens. Mais la version initiale du texte n'était pas satisfaisante. Maryse Carrère a alors réécrit son texte pour tenir compte des critiques. Cette nouvelle version étend l'ordonnance de protection aux violences vraisemblablement commises dans le cercle familial proche à l'encontre d'un enfant. L'ordonnance de protection, que les JAF se sont appropriée, deviendrait ainsi l'outil général de protection d'urgence pour l'ensemble de la famille.

Mon groupe et moi-même soutenons cette nouvelle version du texte qui protège les enfants tout en gagnant en clarté pour les magistrats.

Le sous-amendement de Mme Evelyne Corbière Naminzo est bienvenu. Il fait entrer les enfants victimes dans le champ de l'OPPI.

Même s'il n'est pas totalement abouti, le groupe UC votera ce texte remanié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Mélanie Vogel applaudit également.)

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - À l'heure où 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, le Parlement a adopté de nouvelles mesures en mars et juin derniers, renforçant l'ordonnance de protection créée en 2010.

Mais cette ordonnance ne protégeait pas directement les enfants victimes de violences. Nous discutons donc de la création d'une ordonnance de sûreté ou de l'extension de l'ordonnance de protection aux enfants. L'essentiel, c'est de les protéger.

Le principe de précaution a toujours guidé l'ordonnance de protection et les enfants devraient pouvoir en bénéficier autant que les adultes.

La présomption d'innocence ne doit pas empêcher de prendre des mesures d'urgence. Les enfants n'ont pas les ressources physiques, psychologiques ou financières pour fuir.

Une mise en sécurité rapide est nécessaire tant que le parent mis en cause n'est pas éloigné de l'enfant. Ce dernier subit alors des violences pendant des semaines. Il n'existe ni protection ni justice si la parole de l'enfant est remise en cause. Ne pas mettre en sûreté un enfant victime de violence, c'est le dissuader de parler, c'est le renvoyer au silence.

Les agresseurs, souvent manipulateurs, disposent d'un niveau élevé de protection et de crédibilité dans leur cercle familial. Les femmes, qui prennent tous les risques pour leurs enfants, finissent même parfois par être placées en garde à vue.

Aussi, nous voterons cette proposition de loi. Mais nous avons déposé des sous-amendements, notamment pour que le dépôt de plainte ne soit plus obligatoire. Alors que 88 % des violences incestueuses ne font pas l'objet d'une plainte, l'ordonnance de protection doit protéger l'enfant à partir d'un simple signalement dès lors que l'on redoute de nouvelles violences.

Pour que l'intérêt supérieur de l'enfant ne soit pas une formule creuse, nous devons nous doter d'outils plus ambitieux. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et UC ; Mme Marie Mercier applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel .  - Je remercie Maryse Carrère de nous fournir l'occasion de discuter d'un enjeu quasi civilisationnel quand, dans notre pays, un enfant est victime d'inceste toutes les trois minutes et qu'un enfant meurt sous les coups de ses parents chaque semaine.

Cette proposition de loi dégage une voie utile : elle permet aux JAF de prononcer une ordonnance de sûreté. C'est utile, car, en réalité, il n'existe actuellement pas de mécanisme efficace pour protéger en urgence les enfants. Les dispositifs actuels peuvent laisser les enfants concernés sous le même toit que leur agresseur durant des années.

L'ordonnance de protection protège indirectement l'enfant, uniquement en cas de violences conjugales. Tant que la violence ne concerne que l'enfant et pas l'un de ses parents, celui-ci ne peut pas être protégé. Or nombreux sont les cas d'inceste qui ne s'accompagnent pas de violences conjugales. On ne peut pas accepter de moins protéger un enfant victime d'inceste si sa mère n'est pas battue : voilà le problème que ce texte essaie de résoudre.

Près de 90 % des victimes d'incestes ne portent pas plainte. Nous sommes collectivement très mauvais pour réagir à ces violences.

Ce texte ne résoudra pas tout. Nos politiques sociales, familiales, scolaires, judiciaires, pénales, policières : tout doit être amélioré.

En cas de violence grave ou d'inceste, est-il utile de prononcer une interdiction de contact ou la suspension de l'autorité parentale ? De rendre une ordonnance de sûreté ? La réponse est oui !

Cette proposition de loi peut-elle être améliorée ? Sans doute, nous en débattrons.

Les outils peuvent-ils être aussi améliorés ? Oui, indiscutablement.

Ce texte, enrichi par la navette parlementaire, servira à mieux protéger les enfants victimes de violences. Un éventuel rejet, fût-il justifié par des raisonnements juridiques très étoffés, ne sauvera pas un seul enfant. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE et du groupe UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Le constat est accablant : chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles dans leur famille. Nous devons les protéger.

L'initiative de Mme Carrère est très intéressante. L'ordonnance de sûreté vise à protéger l'enfant victime. Les JAF considèrent qu'il leur revient de statuer en la matière. A contrario, les juges des enfants estiment que ce n'est pas leur rôle.

Le texte prévoit une saisine du JAF sans dépôt de plainte. Mais le délai de 15 jours est trop long. Le retrait de l'autorité parentale et l'obligation de porter un bracelet anti-rapprochement sont des mesures particulièrement graves, sur lesquelles nous portons une appréciation différente.

Nous avons donc déposé des amendements : nous souhaitons réduire le délai pour que l'ordonnance soit prononcée dans les six jours. Nous voulons aussi que l'enfant soit dispensé de porter un bracelet anti-rapprochement et que l'autorité parentale puisse être non pas retirée, mais simplement suspendue.

Maryse Carrère a proposé une nouvelle rédaction du texte qui s'insère dans le dispositif préexistant, en le complétant : à l'heure actuelle, comme le soulignait Mélanie Vogel, des violences doivent être commises sur l'un des parents pour que l'enfant soit indirectement protégé.

Il existe déjà nombre de procédures très complexes que les justiciables maîtrisent mal, comme l'assignation à bref délai, qui n'est pas une réalité, madame la ministre. (Mme Agnès Canayer le conteste.) Qui dit assignation, dit avocat, mais le processus est plus lourd et nécessite du temps.

Nous souhaitons également qu'il y ait dépôt de plainte pour qu'il y ait enquête. L'argument selon lequel la plainte compliquerait les choses n'est pas valide : déposer plainte est désormais simple.

Il s'agit d'une matière extraordinairement délicate, car ce sont des enfants qui verbalisent la violence. Nous plaidons pour une logique plus protectrice. Nous voterons cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du groupe UC ; Mmes Laure Darcos et Elsa Schalck applaudissent également.)

M. Christopher Szczurek .  - Ce texte répond au fléau des violences sexuelles faites aux enfants. Créer une ordonnance de sûreté, sur le modèle de l'ordonnance de protection, peut constituer une réponse efficace.

Depuis trop longtemps, la société française s'est contentée de palliatifs et a ignoré la gravité des drames se déroulant derrière des portes closes. Quelque 160 000 enfants subissent ces violences, c'est un échec collectif. La récurrence de ces drames choque la population. Il faut une réponse judiciaire et pénale à la hauteur de l'émotion.

L'ordonnance de sûreté répond à une exigence d'efficacité et de sévérité de la justice. Pour nous, l'État doit être intraitable face aux monstres qui détruisent des vies : pas de place pour la compromission.

L'introduction de l'ordonnance de sûreté est une bonne chose. Nous en approuvons le principe et nous voterons les modifications proposées pour rendre ce texte plus facilement applicable. Face à des procédures judiciaires souvent complexes, ce texte facilitera une action préalable rapide.

Protéger un enfant, c'est préserver l'avenir sans laisser un bourreau briser une vie en devenir.

En votant ce texte, nous ne faisons pas seulement un choix politique, nous affirmons un devoir moral. Je voterai évidemment ce texte.

Mme Laure Darcos .  - Les chiffres sont glaçants : toutes les trois minutes, un enfant est victime d'inceste. Parce qu'elles surviennent le plus souvent dans le cadre familial, leurs souffrances sont souvent invisibles. Les enfants frappés par le handicap courent un risque 2,9 fois plus élevé d'être victimes ; lorsque le handicap est lié à une déficience intellectuelle, ce risque est 4,6 fois plus important.

Notre délégation aux droits des femmes est attentive à ces faits de société : l'an dernier, nous avions auditionné Édouard Durand, alors coprésident de la Ciivise, qui nous avait convaincus d'agir, non seulement en raison du coût social et sociétal de ces actes, mais aussi parce que le viol est un anéantissement de l'être. Le juge Durand nous avait rappelé la nécessité d'écouter l'enfant : « je te crois, je te protège ». L'absence de soutien social correspond à un second anéantissement, car cela signifie, de facto, que celui-ci ment.

Le plan 2020-2022 de lutte contre les violences faites aux enfants a renforcé notamment le numéro d'urgence pour l'enfance en danger, le 119. La création de la Ciivise ou l'adoption de la loi Billon ont aussi constitué des avancées.

La proposition de loi de Maryse Carrère s'inscrit dans cet esprit. Toutefois, la commission des lois n'a pas jugé pertinent de créer un nouveau dispositif, car le droit en vigueur répond aux objectifs défendus par le texte. En outre, aucune sanction pénale n'est prévue en cas de violation des mesures prononcées dans le cadre de l'ordonnance de sûreté : la portée du texte s'en trouve amoindrie.

C'est pourquoi Maryse Carrère proposera un amendement de réécriture de l'article unique en vue d'élargir le champ de l'ordonnance de protection.

Notre groupe votera cette proposition de loi. Pour nous, seules comptent l'efficacité de la réponse judiciaire et la protection des besoins fondamentaux de l'enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE et du groupe UC ; Mmes Elsa Schalck et Evelyne Corbière Naminzo applaudissent également.)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.) Cette proposition de loi réaffirme l'importance de protéger les enfants face aux violences subies en silence. Je salue l'initiative de Maryse Carrère. Il est urgent d'agir.

Toutefois, la forme et le contenu du dispositif soulèvent des interrogations.

La commission des lois a mené un travail rigoureux.

De nombreux dispositifs existent déjà ; plusieurs d'entre eux ont fait l'objet de réformes récentes -  je pense à la loi du 18 mars 2024. Des mesures existantes offrent déjà un cadre de protection : il serait pertinent de les renforcer au lieu d'alourdir le droit avec un nouveau dispositif.

Les dispositions du présent texte sont redondantes avec les mesures d'assistance éducative, à l'instar des prérogatives dont disposent les JAF.

L'ordonnance de sûreté proposée a pour objectif d'améliorer la protection, mais elle ne représente pas une avancée significative par rapport aux dispositifs déjà en vigueur.

Les points de vigilance soulevés par plusieurs acteurs devraient servir à mettre en place un dispositif réellement efficace.

La commission des lois n'est pas favorable à des modifications prématurées de législations récentes. Une évaluation de ces évolutions s'impose si nous voulons des dispositifs durables, adaptés et pleinement fonctionnels.

Notre volonté collective est de lutter contre les violences faites aux enfants. Cependant, nous n'avons pas la garantie que le dispositif proposé soit réellement efficace. Nous nous en remettrons à l'avis de la commission. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)

M. Xavier Iacovelli .  - Le rapport de la Ciivise nous a tous révoltés, révélant une réalité insoutenable : 160 000 vies brisées chaque année, soit 5,4 millions d'adultes traumatisés.

Malgré mes réserves sur le dispositif juridique, je remercie Maryse Carrère d'avoir déposé cette proposition de loi. La protection de l'enfance ne doit pas être un concept abstrait ni la variable d'ajustement de nos politiques sociales. Des dispositifs existent : ne les multiplions pas, mais assurons leur efficacité. Le RDSE nous propose un outil supplémentaire, qui rendrait notre dispositif moins lisible et moins efficace.

Nous disposons déjà de l'ordonnance de protection, qui permet au JAF de prononcer en 24 heures des mesures de protection en cas de danger grave et imminent : interdiction de contact, suspension du droit de visite et d'hébergement, restrictions de déplacement. Mais nous attendons toujours la publication du décret !

Cette proposition de loi risque de complexifier notre droit et de rendre l'ordonnance de protection et l'OPPI plus difficiles à mettre en oeuvre. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de réécriture pour élargir le champ de l'ordonnance de protection -  préférable à la création d'une ordonnance de sûreté spécifique. La présidente Carrère, avec son amendement de réécriture, a également fait ce choix.

Nous avons écarté le bracelet anti-rapprochement, inadapté pour les enfants : pourquoi est-ce à l'enfant de porter le fardeau du viol subi ?

L'urgence est à l'application effective des lois existantes, avec des moyens pour les magistrats, les éducateurs et tous les professionnels de la protection de l'enfance.

Avançons sur le délai de prescription, dans le sens de ma proposition de loi du 19 mai 2023, car c'est une deuxième violence pour les victimes. Avançons sur l'avocat obligatoire, afin de respecter l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant, que nous avons ratifiée. Avançons sur la création d'une délégation sénatoriale aux droits de l'enfant.

Je remercie Maryse Carrère et le RDSE d'avoir porté cette proposition de loi. Nous la voterons telle que modifiée par les amendements de réécriture.

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les chiffres sont terribles : chaque année, 160 000 enfants sont victimes d'agressions sexuelles. La République ne tient pas sa promesse.

En 2023, la Ciivise a décliné 82 préconisations pour lutter contre ces crimes abjects.

D'abord, il faut une prise de conscience. Le chemin est encore long, tant le tabou sociétal est lourd. C'est un travail commun des élus, des magistrats et des associations. Le travail d'information et de prévention est primordial, car les juges ne peuvent pas tout. Toute la société doit repérer ces agissements le plus tôt possible.

Certains segments sont mal couverts par le droit. Le législateur, qui s'est déjà prononcé les 18 mars et 13 juin, s'interroge toujours sur le nombre de dispositifs, leur articulation et les délais de mise en oeuvre.

Merci à Marie Mercier. Les auditions ont permis d'identifier les difficultés. Proposée par la Ciivise en 2023, l'ordonnance de sûreté viendrait se superposer, de manière inopportune, aux autres dispositifs. Maryse Carrère a donc réfléchi à un nouveau dispositif de compromis, pour engager la navette parlementaire : une extension de l'ordonnance de protection du JAF. Il pourrait être ajusté à l'Assemblée nationale, notamment sur le dépôt de plainte préalable.

Adopter ce texte renforcera le message d'un Parlement actif pour lutter contre les violences faites aux enfants. Le Sénat doit être au rendez-vous. J'appelle tous les groupes à voter ce texte. Le RDSE le votera à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)

Mme Béatrice Gosselin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La protection des enfants victimes de violence est une priorité absolue de notre société. Elle appelle des réponses adaptées, rigoureuses et efficaces.

Cette proposition de loi s'inscrit dans cette ambition, et je salue la volonté de renforcer les dispositifs existants.

Cependant, il convient de l'évaluer à l'aune des dispositions existantes et des réformes récentes. Ainsi, le cadre juridique a été considérablement renforcé. La loi du 18 mars 2024 a élargi les motifs de suspension et de retrait de l'autorité parentale. Ces réformes s'appuient sur des outils éprouvés : l'ordonnance de protection et les mesures d'assistance éducative.

L'ordonnance de sûreté envisagée reposait sur des conditions de mise en oeuvre moins favorables, puisqu'aucune sanction n'était prévue en cas de non-respect des mesures décidées par le juge. Elle était en outre redondante avec d'autres dispositifs. Entendus en auditions, les principaux acteurs de la protection de l'enfance ont émis des réserves.

Je salue le travail de réécriture de l'auteure de la proposition de loi pour en faire un outil plus cohérent, en élargissant l'ordonnance de protection plutôt que de créer un nouveau dispositif spécifique, suivant une logique de simplification.

Actuellement, l'ordonnance de protection s'applique aux violences au sein du couple. Avec cet amendement, elle est élargie aux cas de violences contre un enfant. L'ordonnance de protection deviendra ainsi un outil central de protection judiciaire d'urgence des enfants.

Le dépôt d'une plainte pénale devient obligatoire, car un enfant ne peut agir seul en justice. Le port d'un bracelet anti-rapprochement a été écarté, car inadapté. D'autres moyens peuvent être utilisés pour les enfants en état d'urgence, comme la garde à vue du parent violent ou le placement provisoire de l'enfant.

Il est préférable de simplifier et renforcer le cadre juridique existant tout en garantissant une meilleure cohérence des dispositifs en place et entre les différentes autorités judiciaires impliquées. La sécurité de l'enfant, tel est notre but. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon applaudit également.)

Discussion des articles

Avant l'article unique

Mme la présidente.  - Amendement n°9 de Mme Vogel et alii.

Mme Mélanie Vogel.  - Cet amendement prévoit que l'enfant peut saisir lui-même le JAF pour une ordonnance de sûreté. Dans de nombreuses situations, l'enfant n'a pas de tiers de confiance capable de saisir le juge. Je sais qu'un principe du droit empêche l'enfant d'agir en justice, mais cela devrait supporter des exceptions et ferait gagner du temps dans les procédures.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Cet amendement revient sur un principe essentiel du droit français, l'incapacité du mineur à agir en justice pour lui-même. Hormis la demande d'assistance éducative - une requête et non une plainte -, l'enfant ne peut agir seul. Peuvent saisir le juge : le parent protecteur, le procureur ou un administrateur ad hoc et les associations de défense des droits des enfants, en matière pénale.

Il n'y a pas de droit général de l'enfant à interjeter appel. L'enfant n'est pas réduit à ne rien faire : sans formalisme particulier, il peut se signaler au parquet et être entendu. Il ne me semble pas pertinent de revenir sur un principe aussi essentiel dans le cadre d'une mesure ponctuelle. Enfin, l'enfant n'a pas à porter seul la responsabilité d'une immixtion de la justice dans la vie de ses parents.

Avis défavorable.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée.  - Pour les mêmes raisons, avis défavorable.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°8 de Mme Vogel et alii.

Mme Mélanie Vogel.  - Nous souhaitons que le juge puisse suspendre les visites médiatisées. Entre l'hébergement au domicile des parents et la suspension des droits de visite, les visites médiatisées sont une solution intermédiaire. L'enfant peut ainsi garder contact avec son parent dans un endroit neutre.

Mais dans certains cas, ces visites médiatisées peuvent être difficiles à vivre pour l'enfant. Se trouver face à son agresseur peut être un cauchemar.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Votre amendement est pleinement satisfait par le droit en vigueur. Le juge peut déjà prononcer des interdictions de contact, ce qui inclut les visites médiatisées. Il peut aussi se prononcer sur le droit de visite du parent présumé violent. En cas d'interdiction de contact, l'interdiction de visite médiatisée est spécialement précisée. Avis défavorable.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée.  - Oui, ces visites médiatisées peuvent parfois être douloureuses, d'où la nécessité, parfois, de faire cesser ces rencontres. Votre amendement, louable, est satisfait : le JAF peut suspendre ou supprimer ces visites.

M. Xavier Iacovelli.  - Il est important de prendre en compte la parole de l'enfant : ne pas avoir d'avocat obligatoire pose problème, car la parole de l'enfant n'est pas entendue. Les visites médiatisées s'imposent à l'enfant sans que le juge ait le temps d'y surseoir. Avançons sur ce sujet pour mieux prendre en compte la parole de l'enfant. Je ne voterai pas l'amendement.

L'amendement n°8 est retiré.

Article unique

Mme la présidente.  - Amendement n°1 de Mme Carrère et alii.

Mme Maryse Carrère.  - La rédaction initiale de la proposition de loi visait à créer une nouvelle ordonnance de sûreté. Malgré le large consensus sur l'objectif, sa mise en oeuvre posait certaines difficultés.

Pour ne pas superposer un nouvel outil sur l'existant, je vous propose d'élargir le champ de l'ordonnance de protection aux cas de violences commises dans le cercle familial. Cela entérinerait une pratique des juges, qui n'hésitent pas à aller au-delà de l'ordonnance de protection actuelle pour protéger les enfants.

Des éléments pourront encore être débattus au cours de la navette, comme le dépôt de plainte obligatoire.

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°13 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Les violences sexuelles sur mineurs peuvent être commises par d'autres membres de la famille : un grand-parent, une soeur, un cousin, un oncle. Ainsi 13 % des crimes sont commis par des oncles. Il faut protéger l'enfant, quel que soit le lien de parenté, car bien souvent, la famille, par son silence, protège l'agresseur.

Une ordonnance de protection est nécessaire pour lever ce verrou familial afin de protéger l'enfant de toute personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait.

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°10 de Mme Vogel et alii à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Mélanie Vogel.  - Il est similaire. Le rapport de la Ciivise estime que dans 19 % des cas, l'auteur des violences est un frère, dans 13 %, un oncle. Il faut protéger l'enfant dans tous les cas.

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°14 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Nous voulons supprimer l'obligation de déposer plainte pour bénéficier de l'ordonnance de protection. Pourquoi les enfants ne pourraient-ils pas bénéficier d'une protection similaire à celle des femmes victimes de violences ?

Un enfant prend le risque de trahir le secret honteux qu'il porte. Il décrit la violence, sans la qualifier comme telle, car elle lui est présentée comme un jeu. Soyons aussi courageux que ces petites victimes ! La simple dénonciation d'une violence devrait suffire, sinon on prend le risque de faire taire l'enfant. Ne pas être cru crée un sentiment d'abandon, qui affecte la santé mentale pour de longues années, et cela pousse les enfants à intégrer la violence comme un schéma normalisé, risquant de les rendre à nouveau victimes ou agresseurs.

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°11 rectifié de Mme Vogel et alii à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Mélanie Vogel.  - Nous voulons élargir le champ d'application du mécanisme en précisant que l'ordonnance de sûreté pourrait aussi être prononcée quand l'auteur des violences n'habite pas avec l'enfant. Le parent, grand-père ou entraîneur sportif peut ne pas habiter au domicile de l'enfant.

Mme la présidente.  - Sous-amendement identique n°15 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Nous voulons que l'enfant victime bénéficie d'une ordonnance de protection même quand il n'habite pas avec l'agresseur. Conditionner cette ordonnance à la cohabitation fait peser un risque énorme sur l'enfant. Allez lire les plaintes de ces enfants devenus adultes qui décrivent les violences sexuelles qu'ils ont subies, même lorsqu'elles ont été classées sans suite.

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°16 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Nous voulons que l'ordonnance de protection puisse être prolongée au-delà de douze mois. C'est une mesure de bon sens quand on connaît la saturation des services de la justice. Pourquoi l'enfant n'aurait-il pas droit à la même protection que les femmes victimes de violences conjugales ?

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°17 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K à l'amendement n°1 rectifié.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Ce sous-amendement fait bénéficier les enfants de l'OPPI, que nous avons adoptée en juin dernier pour les femmes victimes de violences. Le temps de l'enfant est un temps compté : aucune perte de temps ne peut être admise, aucun risque de récidive ne peut être pris.

Mme la présidente.  - Amendement n°12 rectifié bis de M. Iacovelli et alii à l'amendement n°1 rectifié.

M. Xavier Iacovelli.  - Cet amendement de réécriture étend le champ de l'ordonnance de protection. Le bracelet anti-rapprochement est inadapté aux enfants. Contrairement à celui de Mme Carrère, mon amendement ne prévoit pas de dépôt de plainte préalable.

En juin 2024, le Parlement a voté l'OPPI, après le dépôt de la proposition de loi de Mme Carrère, en avril 2024. Madame la ministre, saisissez le garde des sceaux pour que le décret d'application de la loi de 2024 soit publié dans les plus brefs délais.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - L'amendement n°1 rectifié de Mme Carrère répond à plusieurs des difficultés posées par la rédaction initiale de la proposition de loi. On évite la superposition des dispositifs judiciaires et que le JAF ait à se prononcer sur des violences commises hors du cadre familial, par un professeur ou un moniteur par exemple.

Cet amendement tient compte de la spécificité des violences faites aux enfants, sur le dépôt de plainte ou le bracelet anti-rapprochement.

La commission n'a cependant pas été entièrement convaincue, car le droit en vigueur semble suffisant. Sagesse, afin que le débat se poursuive à l'Assemblée nationale.

Avis défavorable à l'ensemble des sous-amendements et à l'amendement n°12 rectifié bis.

Les sous-amendements nos10 et 13 proposent une extension inopportune. La notion de « personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait » dépasse largement le cadre familial. Le droit en vigueur est suffisant lorsqu'il ne s'agit pas des plus proches parents. Et il ne revient pas au JAF, mais au juge pénal de statuer.

Concernant le sous-amendement no14 et l'amendement n°12 rectifié bis -  qui n'est pas totalement identique à l'amendement n°1 rectifié  - , le dépôt de plainte est indispensable, compte tenu de l'incapacité de l'enfant à agir en justice et de la gravité des faits. Nous ne sommes pas face à un vide juridique : notre droit prévoit déjà de très nombreux dispositifs de protection. Face à un enfant victime de violences, nous devons dire : je t'écoute, je te protège, j'enquête.

Dans les cas visés par les sous-amendements nos11 rectifié et 15, l'urgence est moins caractérisée. Le code de procédure civile apporte déjà une réponse, meilleure que l'ordonnance de protection qui restreint fortement les droits de la défense.

Le sous-amendement n°16 confond les cas de séparation conflictuelle et éventuellement violente entre adultes et les cas de violence envers les enfants.

La procédure d'extrême urgence sans contradictoire proposée par le sous-amendement n°17 est inadaptée, dès lors qu'un parent protecteur est présent.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée.  - Sagesse très réservée à l'amendement n°1 rectifié. Je partage l'objectif de protéger les mineurs victimes de violences intrafamiliales, mais cet amendement ne surmonte pas les difficultés repérées.

Il est plus que souhaitable qu'une plainte soit déposée, mais si vous liez dépôt de plainte et ordonnance de protection pour l'enfant, vous différenciez les dispositifs applicables aux parents et aux enfants, puisque le dépôt de plainte n'est pas nécessaire pour les parents. Ne complexifions pas les choses.

Le droit permet déjà au JAF de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, sans délai. Quand le mineur est en danger, le procureur de la République et le juge des enfants peuvent prendre sans délai une ordonnance de placement provisoire.

Ne brouillons pas les périmètres d'intervention du juge des enfants et du JAF. Ne demandons pas au JAF de statuer en cas de danger uniquement pour l'enfant et de se prononcer sur des qualifications pénales particulièrement complexes.

Avis défavorable au sous-amendement n°13. La délivrance d'une ordonnance de protection pour toute personne détenant une autorité de droit ou de fait est déjà une réalité. C'est aux parents de protéger l'enfant ; si ce n'est pas suffisant, le parquet ou le juge des enfants décideront.

Avis défavorable au sous-amendement n°10, qui porte sur le même sujet que le précédent. Nous sommes réservés sur l'extension de l'ordonnance de protection.

Sagesse au sous-amendement n°14, car nous sommes plutôt favorables à supprimer la condition préalable de dépôt de plainte.

S'agissant des sous-amendements nos15 et 11 rectifié, l'arsenal juridique est déjà suffisant -  garde à vue, contrôle judiciaire...  - , même si nous comprenons l'enjeu. Sagesse.

Les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) recueillent la parole de l'enfant dans des conditions adaptées, avec des pédiatres, des pédopsychiatres, la police et d'autres professionnels qui travaillent ensemble. Dans le PLF 2025, nous voulons en créer vingt-cinq supplémentaires, pour qu'il y en ait une dans chaque juridiction.

Sagesse sur le sous-amendement n°16, toujours pour les mêmes raisons.

Idem sur le sous-amendement n°17, car nous sommes réservés sur l'extension de l'ordonnance de protection immédiate.

Sagesse aussi sur l'amendement n°12 rectifié bis. J'en profite pour dire à M. Iacovelli que les décrets d'application des ordonnances de protection immédiate de mars 2024 paraîtront début 2025, au plus tard.

Mme Dominique Vérien.  - Mon intervention porte sur le sous-amendement n°17. Si nous adoptons l'extension de l'ordonnance de protection, étendons aussi l'OPPI. Évitons d'avoir à déposer une autre petite proposition de loi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je suis embarrassée par la tournure de ce débat, très confus. Nous cherchons une mesure d'urgence pour protéger un enfant dont les parents ne sont pas en situation de violences conjugales. L'OPPI ne s'applique donc pas et le juge des enfants n'est pas compétent : le placement à domicile n'est donc pas possible, ce qui signifie un placement à l'extérieur - nous n'ouvrirons pas le débat sur l'aide sociale à l'enfance (ASE)...

Le groupe SER est favorable à l'amendement n°1 rectifié.

Nous sommes favorables à l'élargissement à l'autorité de droit ou de fait, prévue par le sous-amendement n°13. Il n'est pas vrai que la loi en vigueur est suffisante. Idem pour le sous-amendement n°10.

Nous sommes défavorables au sous-amendement n°14, car favorables au dépôt de plainte : l'enquête pénale permettra d'aller plus loin dans les investigations.

Nous sommes favorables aux sous-amendements nos11 rectifié et 15, car d'autres mesures sont possibles, telles que l'interdiction de contact, qui peut s'appliquer à quelqu'un qui n'habite pas avec l'enfant.

Quant à la durée, nous sommes favorables au sous-amendement n°16, parce que nous ne savons pas combien de temps sera nécessaire. Le JAF ne prolongera que si c'est nécessaire.

Enfin, je suis perplexe à propos du sous-amendement n°17. Le mécanisme mériterait d'être plus formel s'agissant d'enfants. Nous pourrions nous abstenir.

M. Xavier Iacovelli.  - Oui, le but de cette proposition de loi est de trouver une solution d'urgence. C'est pourquoi l'amendement n°12 rectifié bis ne prévoit pas de dépôt de plainte obligatoire. Je suis donc favorable au sous-amendement, n°14 qui supprime le dépôt de plainte.

Nous sommes favorables également aux sous-amendements nos13 et 10, pour les mêmes raisons que Mme de La Gontrie, car il faut protéger les enfants au-delà du cercle familial.

Enfin, notre amendement n°12 rectifié bis reprend l'amendement de Mme Carrère, sous-amendé. Votez l'original !

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Nous tentons d'apporter des solutions à des situations de violence, en l'espèce d'inceste. Relisez Le Berceau des dominations de Dorothée Dussy : l'inceste est un système de violence qui se transmet dans le silence. Avec ce texte, nous tentons de briser ce système en coupant le contact entre l'agresseur et sa jeune victime.

J'entends l'incapacité de l'enfant à agir en justice. Mais découlent des violences sexuelles, parfois, des grossesses précoces. Or dès qu'un mineur a un enfant, il est émancipé. Dans la vraie vie, une gamine de 13 ans qui devient mère du fait d'un inceste peut agir en justice, mais c'est trop tard !

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée.  - Dans une jurisprudence d'octobre dernier, la Cour de cassation a censuré le placement à domicile dans le cadre de l'ASE, pas celui prévu dans l'ordonnance de protection provisoire. L'OPPI, à la main du juge des enfants, permet d'éloigner le parent auteur de violence et de laisser l'enfant à domicile avec le parent protecteur.

Le sous-amendement n°13 n'est pas adopté, non plus que les sous-amendements nos10, 14, 11 rectifié, 15, 16 et 17.

L'amendement n°1 rectifié est adopté et l'article est ainsi rédigé.

(Applaudissements sur les travées du RDSE)

Les amendements nos12 rectifié bis, 6, 2, 3, 4 et 5 n'ont plus d'objet.

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente.  - Amendement n°7 rectifié de Mme Carrère et alii.

Mme Maryse Carrère.  - Adaptons l'intitulé de la proposition de loi à son nouveau dispositif : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée.  - Je m'en remets à la sagesse du Sénat... (Sourires)

L'amendement n°7 rectifié est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Mme Annick Billon.  - La protection des enfants contre les violences, notamment sexuelles, est un combat de longue haleine, partagé sur tous nos bancs. La loi de 2021 établit des règles strictes : en dessous de 15 ans, et de 18 ans en cas d'inceste, toute relation sexuelle avec un adulte est considérée comme un viol. Mais les parcours de protection et d'accompagnement restent fragmentés. Des dispositifs existent, renforçons leur accessibilité.

Les décrets d'application de la loi du 18 mars 2024 n'ont toujours pas été publiés ; il y a urgence !

Voilà un an, la Ciivise a formulé 82 recommandations appelant à des actions judiciaires adaptées et à des mesures de prévention, de formation et d'accompagnement. Je salue son ancien président, Édouard Durand, une figure d'espoir pour les 160 000 victimes - une toutes les trois minutes, je le rappelle. Je salue l'initiative du groupe RDSE et les travaux de la rapporteure.

Reste que cette proposition de loi ne suffira pas. Le Gouvernement doit se saisir des recommandations de la Ciivise et travailler avec le Parlement pour bâtir un système de protection pleinement opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes INDEP et UC)

La séance est suspendue quelques instants.