SÉANCE
du mercredi 13 novembre 2024
17e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous prie d'excuser M. le Président du Sénat, actuellement en Nouvelle-Calédonie avec la présidente de l'Assemblée nationale pour une mission exploratoire de concertation et de dialogue, et M. le Premier ministre, en déplacement à Bruxelles pour rencontrer Ursula von der Leyen.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Aide à l'Ukraine
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains) « Zelensky, tu es à 38 jours de perdre tes allocations. » Ce post infâme du fils de Trump montre que l'Europe est un acteur de second plan dans un conflit qui, pourtant, se déroule sur son sol ; elle est désormais en première ligne, sans stratégie globale.
Face au fardeau sécuritaire, nous, Européens, avons cru que le parapluie américain serait éternel. Nous sommes maintenant seuls ou presque face à des ennemis menaçant nos projets, nos valeurs et notre sécurité.
L'arrivée de 12 000 soldats nord-coréens en Europe, après le soutien de la Chine et de l'Iran, marque un tournant dans la guerre. La réaction de la France ? Signifier notre « désapprobation » au délégué général de la Corée du Nord. Merci...
Monsieur le ministre, au-delà des grandes phrases, nous voulons des réponses concrètes. Si la Russie et les États-Unis négocient par-dessus nos têtes le dépeçage de l'Ukraine et l'avenir de l'Europe, que ferons-nous ?
Quels moyens prévoyez-vous pour soutenir l'Ukraine ? Soutiendrez-vous l'engagement de Friedrich Merz, futur chancelier allemand, pour que l'Ukraine puisse enfin frapper les bases d'où partent les bombes ?
Quels sont les moyens et le calendrier, après quarante ans de déni, pour refaire de l'Union européenne une puissance militaire ? Il n'y a rien de plus dangereux que de ne pas se croire en guerre contre des dictateurs en guerre contre nous. Depuis février 2022, nous avons dépensé 2 euros - l'équivalent d'un café - par mois et par habitant pour défendre l'Ukraine.
En 1939, Raymond Aron déclarait : « Je crois à la victoire des démocraties, mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent. » Face aux dictateurs du XXIe siècle, voulons-nous vraiment cette victoire ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et SER, du RDSE et du RDPI)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Mille jours après le début de son opération spéciale, Vladimir Poutine a lamentablement échoué à vaincre l'Ukraine. Il a sacrifié des centaines de milliers de vies russes, s'est rendu coupable de faits de déportation d'enfants, et est donc menacé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. Il a asphyxié son économie, au bord du gouffre, s'agenouillant aux pieds de la Corée du Nord pour continuer à pilonner l'Ukraine.
Mille jours après cette guerre injustifiable, Donald Trump est trop avisé pour abandonner les Ukrainiens en rase campagne. Ce serait consacrer la loi du plus fort et précipiter l'ordre international dans le chaos. Aucune paix juste et durable ne peut être construite dans le dos des Ukrainiens et par-dessus la tête des Européens.
Mille jours après le début de la guerre, le soutien de la France et de l'Union européenne ne faiblira pas, quelles que soient les décisions de l'administration américaine. Dans quelques jours, des soldats ukrainiens formés en France gagneront le front ukrainien. Sébastien Lecornu, des parlementaires et moi-même leur rendrons visite demain.
Les Ukrainiens recevront 50 milliards d'euros des pays du G7, financés par les revenus d'aubaine tirés des actifs russes gelés. Des Mirage français voleront bientôt en Ukraine. C'est aux Ukrainiens d'ouvrir les négociations de paix, et c'est à nous, leurs alliés, de les aider à le faire en position de force. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Laurent Somon applaudit également.)
Plans sociaux (I)
M. Raphaël Daubet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'onde de choc des restructurations chez Michelin et Auchan, avec la perte de 4 000 emplois, n'est que le signe avant-coureur d'une déferlante de défaillances d'entreprises. Nous parlons de 150 000 destructions d'emplois et 8 % de chômage l'an prochain si rien n'est fait. Les hypothèses de croissance seraient déjà caduques, et le budget pour 2025 en serait compromis.
Considérez-vous que l'économie doive être soutenue par l'investissement public, pour doper les projets des collectivités locales, la recherche et l'innovation ?
Quelle stratégie porterez-vous auprès de nos partenaires européens pour mieux protéger nos entreprises et nos emplois ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Rachid Temal applaudit également.)
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie . - Vous avez résumé les défis qui sont devant nous et les difficultés sur le front de l'emploi et de l'industrie. Ma responsabilité, avec les ministres du travail, de l'écologie et des collectivités territoriales, est de trouver des solutions.
Elles passeront par l'innovation et le développement de l'industrie verte sur notre territoire. Nous soutiendrons la décarbonation de notre industrie, avec 1,5 milliard d'euros supplémentaires. Nous allons maintenir le crédit d'impôt recherche (CIR) et le crédit d'impôt innovation (C2I) pour les jeunes entreprises innovantes.
Nous devons également sortir de la naïveté européenne. Les évolutions politiques aux États-Unis comme en Asie nous invitent à un sursaut européen, en matière d'investissement privé - je pense à l'union des marchés de capitaux - comme d'investissement public, en s'appuyant sur le rapport Draghi.
Les solutions passent par l'investissement, c'est une évidence. Mais pour être crédibles au niveau européen, nous devons réduire notre dette et la dépense publique, conditions de notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Raphaël Daubet. - Nous n'avons que quinze jours pour examiner le budget. Nous n'avons pas de temps à perdre. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
COP29 (I)
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a dix jours, la COP16 sur la biodiversité s'achevait dans l'indifférence générale. Entre-temps, la plus grande puissance du monde élisait un président pour qui le réchauffement climatique est un canular et l'environnement un non-sujet.
La COP29 se déroule sous la présidence d'une dictature pétrolière répressive, discréditant la nécessaire coopération internationale. Les catastrophes climatiques en Espagne, au Sahel ou en France nous rappellent pourtant l'urgence d'agir. Or en Europe, nombreux sont ceux qui veulent la mort du Pacte vert.
En France, la biodiversité est en constant déclin. Nous attendons un engagement fort, or le budget semble acter un renoncement. Pourtant, le 5 septembre dernier, le Premier ministre évoquait le concept de dette écologique lors de sa prise de fonction.
M. Jean-François Husson. - Il a raison.
M. Michaël Weber. - Face à l'effondrement de la biodiversité et à l'urgence climatique, nous sommes acculés. Qu'allez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques . - Vous avez planté le décor : une difficile négociation climatique entamée aujourd'hui, une COP sur la biodiversité aux résultats en demi-teinte. Nous vivons le dérèglement climatique, entre événements extrêmes et perte de rendements agricoles. Quant aux évolutions géopolitiques internationales, elles ne vont pas nécessairement dans le bon sens.
Nous agissons d'abord au niveau national. À la suite de l'accord de Montréal, lors de la COP15 sur la biodiversité, la France est l'une des premières à s'être dotée d'une stratégie nationale biodiversité (SNB), qui prévoit le classement en aires protégées de 30 % du territoire marin et du territoire terrestre. C'est déjà le cas en France. Nous travaillons à placer 10 % de notre territoire sous forte protection.
Ensuite, nous agissons financièrement. Dans le contexte budgétaire actuel, chacun fait des efforts. (Marques de mécontentement à gauche) Néanmoins, nous ne restons pas les bras ballants. (Marques d'impatience sur de nombreuses travées) Nous agissons en faveur de la biodiversité.
M. Michaël Weber. - Une stratégie c'est bien, des moyens c'est mieux. Le fonds Vert perd 1 milliard d'euros, les crédits de la SNB sont divisés par deux, le fonds chaleur est revu à la baisse, et je ne parle pas du pacte en faveur de la haie. Des postes sont menacés à l'Office français de la biodiversité, à l'Office national des forêts, à l'Ademe et dans les agences de l'eau. Mettez des moyens, soyez cohérente ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Fret ferroviaire
M. Pierre Barros . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRCE-K) Tous les ans, nous battons les records de chaleur. Réduire les émissions de gaz à effet de serre des transports devrait être une priorité. Pourtant, le Gouvernement s'entête à liquider Fret SNCF, pliant sans combattre devant la décision de la Commission européenne. Comment comptez-vous tenir l'objectif de doubler la part du fret d'ici à 2030 ?
Depuis l'ouverture à la concurrence, dix mille emplois ont été supprimés ces quinze dernières années. L'entreprise est menacée par un plan de discontinuité, la France étant condamnée par l'Union européenne en raison de 5 milliards d'euros d'aides de l'État. Fret SNCF, démantelée en deux sociétés, devra abandonner 23 lignes et ne pourra pas candidater pendant dix ans sur des sillons très rentables ; 500 postes sont supprimés... Rien d'étonnant à ce que des préavis de grève soient déposés !
Ce plan de discontinuité est un non-sens économique et écologique. Vous cassez un outil qui transporte 70 % des marchandises en France, alors que la concurrence a échoué partout en Europe. Défendez notre opérateur public de fret contre le dogme de la concurrence libre et non faussée imposée par Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports . - Je voudrais tordre le cou à certaines informations erronées. Le fret a bénéficié, au cours des dernières années, de 5 milliards d'euros d'aides, illégales au regard du droit européen. Ce n'est pas le changement de ministre à Paris ni de commissaire à Bruxelles qui modifieront cette réalité juridique. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Mickaël Vallet proteste également.)
Nous avons travaillé main dans la main avec la SNCF et les organisations syndicales à un plan robuste pour sauvegarder tous les emplois, dont 90 % dans le groupe SNCF. Les 500 emplois que vous avez cités sont affectés à d'autres tâches. J'ai demandé au président de la SNCF de veiller aux situations personnelles.
Heureusement, la demande de fret ferroviaire est croissante. Les 24 flux cédés à la concurrence sont tous repris par des entreprises ferroviaires : aucun ne va au transport routier.
Dans ce budget, le Gouvernement s'engage à hauteur de 370 millions d'euros pour le fret ferroviaire, de 100 millions d'euros pour les wagons isolés - le Premier ministre a souhaité augmenter ces crédits de 30 millions d'euros. En tout, 4 milliards euros seront affectés au fret ferroviaire dans les prochaines années, et son doublement reste notre objectif. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Pierre Barros. - Je doute de la robustesse de votre dispositif. Des solutions existent : déclarons un moratoire, comme le demandait le rapport d'Hubert Wulfranc, ouvrons des discussions avec la nouvelle commissaire européenne Teresa Ribera et travaillons avec les organisations syndicales et tous les partenaires. Ne jetez pas des millions de camions supplémentaires sur nos routes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mercosur
Mme Évelyne Perrot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'associe à ma question Anne-Sophie Romagny et Franck Menonville. L'accord avec le Mercosur est problématique pour nos agriculteurs et en contradiction avec nos engagements environnementaux.
Selon le rapport de Stefan Ambec, les coûts écologiques seront supérieurs aux gains économiques, et Greenpeace a dénoncé les risques majeurs que représente cet accord pour le climat et la biodiversité. (Vifs applaudissements sur les travées du GEST) Aucune garantie sur la déforestation... Pis, en favorisant les exportations sud-américaines de boeuf ou de biocarburants, il l'accélérera.
L'accord est dépourvu de dispositions contraignantes quant aux modes de production. Or les normes environnementales sont autrement plus lâches dans les pays du Mercosur que dans l'Union européenne. C'est un nivellement écologique par le bas !
M. Didier Marie. - Très bien !
Mme Évelyne Perrot. - La France a tenté d'y intégrer des clauses miroirs, sans succès. En l'état, le traité est donc contraire à l'accord de Paris et à la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.
Madame la ministre, vous avez réaffirmé vouloir lutter contre le dumping écologique. Poserez-vous un veto français ? Vous opposerez-vous à une adoption séparée du volet commercial ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, SER et du GEST et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - J'associe Mmes Genevard et Pannier-Runacher à ma réponse. Le Gouvernement est pleinement mobilisé. Nous ne pouvons pas accepter cet accord en l'état : c'est ce que le Premier ministre dira aujourd'hui à Mme von der Leyen à Bruxelles ; c'est la position constante de la France, que le Président de la République a rappelée à plusieurs reprises.
Cet accord n'offre pas de garanties suffisantes, pour l'environnement comme pour nos filières agricoles. En cas de violation de l'accord de Paris, l'accord avec le Mercosur doit pouvoir être suspendu. L'accord doit aussi comprendre des clauses de sauvegarde, des mécanismes de sanctions lorsque les obligations environnementales ne sont pas satisfaites et respecter les règles imposées par l'Union européenne à ses producteurs, notamment en matière de déforestation.
Nous tenons à ce que la Commission européenne respecte le mandat qui lui a été confié par le Conseil : conclure un accord d'association, à l'unanimité des États membres, soumis à la ratification des parlements nationaux. C'est une question de démocratie. Plus de 600 parlementaires ont porté ce message dans une tribune ; le Premier ministre porte ce même message à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Plans sociaux (II)
Mme Antoinette Guhl . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Où en est la promesse de plein emploi du président Macron ? Que dites-vous aux 1 254 salariés de Michelin et aux 2 389 salariés d'Auchan ? Qu'il suffit de traverser la rue pour trouver du travail ? (Marques d'agacement sur les travées du RDPI)
Notre industrie va mal : 1 700 emplois sont menacés chez Sanofi et 228 salariés de Duralex se sont sauvés eux-mêmes en s'organisant en coopérative.
Les gros salaires et les grandes entreprises ont bénéficié de 80 milliards d'euros d'allègements de charges, qui grèvent le budget de la sécurité sociale. Cela protège-t-il l'emploi et l'industrie ? Non. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont dégradé les droits sociaux et pénalisé les chômeurs. Ce sont des humains qui souffrent et s'inquiètent. Originaire de Lorraine, ...
M. Jean-François Husson. - Très bien !
Mme Antoinette Guhl. - ... je connais le regard de l'enfant qui ne verra plus ses parents travailler.
« Aidons, protégeons, secourons, avouons la faute publique et réparons-la », disait Victor Hugo, qui ajoutait aussi que « c'est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. » Comment protéger l'emploi industriel et anticiper les mutations à venir, notamment écologiques ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi . - Quelques chiffres : depuis 2017, 2,5 millions d'emplois ont été créés, dont 150 000 emplois industriels nets, après plus de trente ans de destruction du tissu industriel français. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Oui, les conditions économiques se durcissent, avec davantage d'entreprises en difficulté. C'est la conséquence de transformations structurelles dans l'automobile, la chimie, la grande distribution, et de facteurs conjoncturels, liés au coût de l'énergie ainsi qu'au durcissement des conditions commerciales avec la Chine, l'Inde et les États-Unis.
Toutes les réponses doivent être mobilisées, offensives comme défensives. (« Ah ! » sur les travées du GEST) Il faut changer de braquet sur l'emploi : les solutions - activité partielle, reconversions - doivent être simplifiées, et nous en parlons avec les partenaires sociaux. Les fonds de revitalisation doivent être davantage ciblés vers les départements en difficulté. Nous devons aussi être plus compétitifs, monter en gamme, innover et être plus fermes vis-à-vis de la concurrence chinoise et américaine. Un plan de filière automobile européen est préparé par le ministre de l'économie.
Enfin, un amendement a été déposé ce matin même par le Gouvernement, avec 1,5 milliard d'euros en faveur de la décarbonation. Le combat continue ! (Mme Antoinette Guhl approuve ; applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Olivier Cadic applaudit également.)
Lutte contre la criminalité organisée
M. Étienne Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre (exclamations sur les travées du groupe SER), le rapport de la commission d'enquête narcotrafic a consacré un chapitre important à la corruption. Pas facile, car les administrations centrales et les inspections générales ont peu de documents solides sur le sujet, laissant entendre que le Gouvernement voyait cela de loin.
Pourtant, certains services connaissent des dérives : agents de collectivités territoriales, membres des douanes écartant un container, greffiers n'ayant pas accompli des formalités pour faire tomber une procédure judiciaire... Cela concerne aussi, hélas, certains services de police et gendarmerie. Nous avons ainsi observé une hausse significative de la consultation illégale de fichiers, dont les informations sont communiquées à des narcotrafiquants, moyennant rémunération.
La corruption est l'un des qualificatifs des narco-États, le moyen d'affaiblir voire de détruire les centres névralgiques de lutte contre la criminalité.
Quelle sera la politique du Gouvernement pour mieux comprendre le phénomène et lutter contre ce qui affaiblit la puissance de l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP ; Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Hervé Maurey applaudissent également.)
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur . - Vendredi, nous étions à Marseille avec vous-même, le président de la commission d'enquête, et le garde des sceaux.
J'ai été impressionné par deux moments : la rencontre avec les familles de victimes, nous demandant d'arrêter ce massacre, et lorsque nous avons rencontré les enquêteurs de la police judiciaire et de l'Office anti-stupéfiants (Ofast), nous décrivant l'inquiétante métamorphose de ces organisations criminelles, qui se projettent de façon tentaculaire, grâce à la corruption et à des méthodes effrayantes : torture, séquestration, recours à de jeunes tueurs, désormais jetables... Nous ne luttons pas à armes égales. Tels sont les constats de la commission d'enquête.
Au regard des sommes en jeu, des menaces pesant sur des agents publics et privés, le phénomène de la corruption doit être pris au sérieux. Il y a quelques semaines, un policier a dû rendre des comptes, car il avait vendu des informations sur le Darknet.
Le moyen d'y parvenir, ce sera la proposition de loi du Sénat, dont l'article 19 prévoit des enquêtes administratives régulières. Il faudra y inclure le narcotrafic pour développer des techniques spéciales d'enquête. Comptez sur nous pour agir vite et fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
Politique pénitentiaire
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Monsieur le garde des sceaux, le 14 mai dernier à Incarville dans l'Eure, l'attaque d'un fourgon pénitentiaire faisait deux morts et trois blessés, suscitant une vive émotion chez les agents pénitentiaires et dans l'ensemble de la population. Six mois après, les agents restent inquiets.
Je me suis rendue à la maison d'arrêt d'Évreux qui affiche un taux d'occupation de 189 %, avec quatre détenus par cellule de 10 m2. Les conditions de travail des agents sont difficiles, dans des locaux étroits et vétustes. Cette maison d'arrêt a 112 ans : venez la visiter, monsieur le garde des sceaux !
Au centre de détention des Vignettes à Val-de-Reuil - le plus grand d'Europe - , j'ai échangé avec la directrice, les organisations syndicales et les détenus. Les agents craignent pour leur sécurité et se considèrent comme les grands oubliés de l'administration. La qualité de vie au travail ne pourra s'améliorer que lorsque les conditions de détention seront meilleures.
Après le drame d'Incarville, un protocole d'accord a été signé avec votre prédécesseur. Qu'en est-il de son application ?
Monsieur le garde des sceaux, comment remettrez-vous sur les rails le plan 15 000 places de prison ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice . - Comme vous, je salue l'engagement sans faille des personnels pénitentiaires, qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et qui méritent notre soutien et notre solidarité.
C'est pour respecter les engagements pris que j'ai demandé une enveloppe complémentaire (« Ah ! » à droite) par rapport à la lettre plafond - que le Premier ministre a acceptée.
Les 33 mesures du protocole sont en cours de mise en oeuvre et les crédits sanctuarisés pour 2025. Les premiers véhicules nouvelle génération commencent à être livrés ; nous disposerons de 60 sites équipés de systèmes anti-drones d'ici à la fin de l'année - 90 d'ici à la fin 2025 -, et une centaine de dispositifs mobiles de brouillage de téléphone. Quelque 97 millions d'euros ont été accordés pour renforcer la sécurité en 2025.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Je reviendrai sur le plan 15 000 places de prison, en retard, après des arbitrages du Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
COP29 (II)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a quelques heures, le président Aliyev déclarait : « Les leçons des crimes de la France dans ces prétendus territoires d'outre-mer ne seraient pas complètes sans mentionner les récentes violations des droits humains par le régime. » Le groupe d'initiative de Bakou entretient l'agitation en Nouvelle-Calédonie et en Afrique.
Il a ajouté : « Le Parlement européen et le Conseil de l'Europe, ces deux institutions qui sont devenues les symboles de la corruption politique, partagent la responsabilité avec le gouvernement du président Macron pour le meurtre de gens innocents ».
Non, le dictateur, c'est bien le président Aliyev ! (Applaudissements) Pensons à Théo Clerc, condamné à trois ans de prison pour des tags dans le métro de Bakou, à ce réfugié azéri assassiné à Mulhouse, aux 6 500 morts en Arménie, aux 100 000 déplacés. C'est Aliyev le meurtrier !
Madame la ministre, il est temps d'avoir le courage de faire la politique de la chaise vide. (« Bravo ! » à droite et applaudissements)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques . - Les propos du président Aliyev, à l'occasion de l'ouverture de la COP29, sont inacceptables. (Mme Laurence Rossignol et M. Jean-Jacques Panunzi renchérissent.) Ces attaques directes, contre la France et l'Europe, sont injustifiables et constituent une violation flagrante du code de conduite de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elles ne resteront pas sans réponse. (Exclamations à gauche)
Il est ironique que l'Azerbaïdjan, régime répressif et liberticide, donne des leçons en matière de droits de l'homme. (M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.)
La position de l'Azerbaïdjan en faveur des énergies fossiles est inacceptable, alors que la diplomatie française et européenne avait obtenu un accord universel sur la sortie des énergies fossiles à la COP28. C'est indigne d'une présidence de COP.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et alors ? (M. Rachid Temal renchérit.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - À l'inverse, je salue le Brésil et le Royaume-Uni qui se sont engagés à améliorer leur trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Après échange avec le Président de la République et le Premier ministre, j'ai décidé de ne pas me rendre à Bakou la semaine prochaine. (« Ah ! » et applaudissements)
M. Rachid Temal. - C'est insuffisant !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Les équipes de négociation française ne ménageront pas leurs efforts pour protéger la planète, avec mon appui à distance, en lien avec nos partenaires européens. Nous sommes les gardiens de l'accord de Paris. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Christine Lavarde. - Cette décision honore le Gouvernement. Mais nous devons aller plus loin au nom de l'amitié ancestrale de la France avec l'Arménie. Un contrat gazier signé entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan a permis, en 2022 et 2023, à du gaz russe d'être livré en Europe, après avoir transité par l'Azerbaïdjan, grâce à la compagnie pétrolière Socar qui finance les actions d'ingérence du régime Aliyev.
M. Rachid Temal. - Voilà !
Mme Christine Lavarde. - Au Parlement européen, François-Xavier Bellamy, Nathalie Loiseau, Raphaël Glucksmann ont parlé d'une même voix. Il est temps que l'État français dénonce ce traité gazier. (Applaudissements)
M. Yannick Jadot. - Et TotalEnergies ?
Enseignement
M. Adel Ziane . - Le week-end dernier, Nicolas Sarkozy a une nouvelle fois fustigé les enseignants : trop nombreux, ils travailleraient « 24 heures hebdomadaires, six mois par an ». Cela ferait sourire, si notre école n'allait pas aussi mal. Sa présidence a vu la suppression de 80 000 postes en cinq ans dans la seule Éducation nationale et la fermeture des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Notre école en paie encore le prix.
Selon l'Insee et la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), les enseignants travaillent en moyenne 43 heures par semaine - 50 heures pour les plus jeune - dans des classes surchargées. Ils se paupérisent : dans les années 1980, ils percevaient trois fois le Smic en début de carrière, contre à peine 1,2 aujourd'hui.
Madame la ministre, vous avez trop tardé à réagir à ces propos. Comment défendrez-vous les enseignants contre ces diatribes mensongères qui détériorent leur lien avec la société et abîment l'école de la République ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. Alexandre Portier, ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel . - Quand je pense à nos enseignants, je pense à tous ces visages qui ont jalonné nos parcours ; à ces instituteurs, dans leur classe à 7 h 15, partout en France, qui préparent les dernières photocopies et accueillent tous les enfants, inconditionnellement. (Marques d'impatience à gauche) L'école est le premier service public de ce pays, c'est là où nos enfants apprennent ce que sont le collectif, la nation, la France.
Les enseignants ont le soutien inconditionnel du Gouvernement. Je le dis, je ne partage pas ces propos. Preuve en est le soutien que nous leur apportons dans le budget. Malgré les contraintes budgétaires...
M. Rachid Temal. - Rappelez Bruno Le Maire !
M. Alexandre Portier, ministre délégué. - ... nous consacrons à l'école 63 milliards d'euros, un record.
Ce n'est jamais assez, bien sûr, mais ces moyens supplémentaires serviront à réduire le nombre d'élèves par classe, à poursuivre la modernisation du lycée professionnel - car nous y avons ouvert des classes et recruté des enseignants -, à mieux accueillir, notamment les élèves en situation de handicap : 2 500 emplois sont créés à cette fin.
Vous pourrez, lors de la discussion budgétaire, dire votre vision de l'école et ce que vous proposez pour faire mieux et plus. (Exclamations sur les travées du groupe SER)
Mme Cécile Cukierman. - Et l'article 40 ?
M. Alexandre Portier, ministre délégué. - J'ai hâte d'en débattre ensemble. (« Bravo ! » à droite)
M. Adel Ziane. - Nous avons énormément de propositions à vous faire ! Merci de votre réponse, même si j'aurais aimé entendre la ministre de l'Éducation nationale.
La priorité est d'avoir un professeur devant chaque élève, or 15 millions d'heures de cours ne sont pas dispensées chaque année. Vous annoncez l'acte II du choc des savoirs alors que l'acte I n'est pas évalué, et que 4 000 postes sont supprimés.
Les fonctionnaires, en première ligne, méritent mieux que des clichés éculés, à l'heure où le ministre de la fonction publique, dans une forme de trumpisme à la française, s'acoquine avec Elon Musk sur X dans un challenge méprisant et provocateur à leur endroit. (Vifs applaudissements à gauche ; M. Guillaume Kasbarian secoue la tête.) Nous leur devons de la considération, dans la parole comme dans l'action politique. (Applaudissements à gauche)
M. Hussein Bourgi. - Que Kasbarian arrête de dire n'importe quoi !
Ahou Daryaei
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le courage d'Ahou Daryaei nous a tous frappés : son geste, d'une transgression inouïe, exprime l'étouffement d'un peuple. Avec Roger Karoutchi, nous avons formé un comité de parrainage de 150 sénateurs pour faire pression sur l'Iran, en demandant sa libération. À Paris, « au nom de Dieu », l'ambassade d'Iran s'est fendue d'un communiqué de presse surnaturel, prétendant qu'Ahou souffre de troubles mentaux, et déclarant qu'il s'agit d'un sujet secondaire.
Monsieur le ministre, vous avez dit saluer « le courage de cette jeune femme qui, par cet acte de résistance, s'est hissée au rang d'icône ».
Avez-vous des informations sur ce qu'elle est devenue ? Avez-vous des contacts avec l'ambassade d'Iran ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et INDEP ; M. Patrick Kanner, Mme Émilienne Poumirol et M. Yannick Jadot applaudissent également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Des ténèbres obscurantistes a surgi une icône du combat des femmes iraniennes, celui de Mahsa Amini, celui des centaines de femmes tuées dans la répression sanglante des manifestations, celui des milliers de femmes emprisonnées ou vivant dans la peur, celui du mouvement « Femmes, vie, liberté », celui de toutes les femmes iraniennes qui aspirent à la liberté et à la dignité.
Une icône de la défense du droit des femmes partout où ils sont contestés, en Iran, en Afghanistan...
M. Stéphane Ravier. - Et chez nous, dans nos banlieues ! (Protestations à gauche)
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Une icône pour les défenseurs des droits de l'homme. Cette icône, c'est Ahou Daryaei. Nous avons tous été bouleversés par son courage. La France est consternée par son arrestation brutale et inquiète de son internement présumé ; notre ambassade a relayé notre inquiétude, notre préoccupation et notre consternation aux autorités iraniennes. (M. François Patriat applaudit ; M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous n'avez pas totalement répondu, monsieur le ministre.
La vague de protestation qui a suivi la mort de Mahsa Amini en septembre 2022 s'est amplifiée. Le régime des mollahs a exécuté, par pendaison, plus de 800 personnes en 2023, 172 % de plus qu'en 2021 ; le pays ouvrira prochainement une clinique psychiatrique pour traiter le problème du dévoilement chez les femmes. Rendons hommage aux femmes qui luttent pour leur liberté, Mahsa, Ahou, sous un régime qui veut les invisibiliser, leur imposer un apartheid sexuel.
La France doit faire pression sans état d'âme sur l'Iran et être clairement aux côtés de ces femmes qui aspirent à la liberté. (« Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains et applaudissements sur toutes les travées)
Faillites d'entreprises
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En 2024, nous devrions atteindre 65 000 défaillances d'entreprises, et le rythme s'accélère. Nous traversons une phase de turbulence. Certaines entreprises qui ont survécu grâce aux aides pendant le covid sont menacées de disparition. Après Auchan et Michelin, le ministre Ferracci dit redouter d'autres plans sociaux.
Il est à craindre un décrochage de notre pays en termes de création de richesse. Depuis trente ans, notre PIB par habitant stagne, quand il progresse dans les autres pays de l'OCDE. Il est à craindre une remontée du chômage, avec son cortège de misère.
Les chefs d'entreprise pointent le coût du travail, le prix de l'énergie mais aussi le remboursement des prêts garantis par l'État (PGE). Ne peut-on utiliser à nouveau ce dernier levier comme amortisseur en allongeant la durée de remboursement au-delà de 2026 ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie . - Vous l'avez rappelé : 64 000 défaillances cette année, mais en raison d'un rattrapage après plusieurs années, post-covid, où le nombre de défaillances était très bas, entre 25 000 et 30 000 par an seulement. L'an dernier, le nombre de créations nettes d'entreprises s'élevait à 830 000.
Mon ministère assure un suivi particulier via la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises et avec les services déconcentrés de l'État - notamment dans votre département.
La solution réside dans la compétitivité des entreprises. L'Assemblée nationale a finalement rejeté un budget qui prévoyait des dizaines de milliards d'euros d'impôts supplémentaires sur les entreprises. Nous avons besoin de faire confiance aux entreprises, de leur simplifier la vie, de baisser les impôts, de tenir le cap sur le coût du travail, car ce sont elles qui créent de l'activité. Je sais que le Sénat ira dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Olivier Henno. - Aux contraintes financières connues, il ne faut en aucun cas ajouter des difficultés économiques, voire pire, une crise sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Grèves à la SNCF
M. Philippe Tabarot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Parmi les appels à la grève, il en est un qui est bien connu : le traditionnel chantage à la grève de Noël à la SNCF. Après celle du 21 novembre, une grève illimitée est annoncée à partir du 11 décembre, impactant des millions d'usagers - et de contribuables, alors qu'un jour de grève coûte 10 à 20 millions d'euros.
Situation du fret, concurrence des TER sont les motifs invoqués, mais le timing coïncide surtout avec les négociations annuelles et leurs revalorisations salariales. Les usagers trinquent, alors qu'ils n'y sont pour rien. Depuis 1947, pas une année sans un jour de grève à la SNCF !
Tout en rappelant les garanties apportées aux salariés du fret et la nécessité de cette réorganisation, n'est-il pas temps d'encadrer enfin le droit de grève dans les transports, en reprenant les mesures que nous avons votées au Sénat à l'initiative de Bruno Retailleau et Hervé Marseille ? (M. Fabien Gay proteste.) Nous n'avons pas attendu certains députés populistes pour proposer de sanctuariser certains jours dans l'année et de lutter contre les grèves du quotidien.
Mme Cécile Cukierman. - Noël, c'est un jour : le 25 décembre !
M. Philippe Tabarot. - Respectons enfin la liberté d'aller et venir des Français. Le droit de grève est un droit constitutionnel, nous n'acceptons pas de le voir détourné. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Cécile Cukierman proteste.)
M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports . - Je veux d'abord saluer votre travail sur le sujet des transports. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également ; on ironise à gauche.) Votre proposition de loi sur la sécurité dans les transports sera examinée le 9 décembre à l'Assemblée nationale.
La continuité du service public est un principe constitutionnel au même titre que le droit de grève. Je suis attaché aux deux.
Le préavis de grève déposé par les organisations syndicales porte sur trois sujets. Sur le fret, j'ai rappelé les mesures prises par le Gouvernement pour assurer son avenir. Sur les négociations salariales - qui relèvent de la direction générale de l'entreprise - je note que les agents comme l'entreprise ont bénéficié de conditions favorables ces dernières années, et que l'inflation est plus réduite, heureusement. Sur la concurrence dans les TER, nous apportons toutes les garanties sociales.
Le dialogue a lieu. Les Français ne comprendraient pas d'être pénalisés par une grève, dans leur vie quotidienne ou lors des fêtes de fin d'année. J'ai confiance dans la responsabilité et la capacité de dialogue de l'entreprise et des organisations syndicales. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Finances des départements
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Au printemps dernier, le rapport Woerth a conforté le département comme strate des solidarités et de la résilience des territoires. Malgré cette prise de conscience de leur rôle central, les départements subissent une asphyxie budgétaire insoutenable.
L'échelon départemental est le plus soumis aux fluctuations économiques. En 2023, la crise du marché immobilier a ainsi fait chuter de 20 % le produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), principale ressource des départements.
Avec un financement déconnecté de leurs compétences comme de leur démographie, et alors que les dépenses sociales augmentent fortement, les départements sont confrontés à un risque systémique majeur. Ils doivent également assumer des décisions prises par l'État sans compensation financière suffisante - je pense à l'augmentation du point d'indice ou des cotisations à la Caisse nationale de retraite des collectivités locales (CNRACL). Résultat : le rôle clé des départements au service de la justice sociale et de la résilience territoriale est gravement compromis.
Alors que la situation est déjà critique, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit un coup de rabot intolérable, sans dialogue ni concertation. Que répondez-vous au cri d'alarme de l'Assemblée des départements de France et allez-vous agir pour éviter la mise sous tutelle ou la cessation de paiement de certains départements ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Cathy Apourceau-Poly et Monique de Marco applaudissent également.)
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation . - Vous connaissez les conditions dans lesquelles le projet de loi de finances pour 2025 a été préparé.
M. Rachid Temal. - Non... Il faut demander à Attal !
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Chacun connaît les difficultés que rencontrent nos finances publiques, avec une charge de la dette qui atteint 55 milliards d'euros. Le Gouvernement a travaillé à réduire, d'abord, les dépenses de l'État, de 20 milliards, et les dépenses sociales, de 15 milliards d'euros. Nous sollicitons aussi, en effet, un effort des collectivités.
Toujours est-il que, comme vous le soulignez, la situation des départements est particulière, pour deux raisons : ils n'ont aucune prise sur le montant des prestations qu'ils versent et les recettes liées aux DMTO sont très inégales - un département littoral, par exemple, n'est pas du tout dans la même situation qu'un département ni côtier ni montagnard, c'est-à-dire dans une situation plus précaire.
Avec mon collègue chargé des comptes publics, je travaille à des réponses concrètes sur les DMTO et la ponction évoquée. Aux assises des départements de France, le Premier ministre réaffirmera l'engagement du Gouvernement au côté des départements. (MM. Laurent Somon et François Patriat applaudissent.)
Rôle des polices municipales face aux agressions
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Doubs n'est pas épargné par des événements d'une grande violence. Jeudi dernier, à la sortie d'une boîte de nuit, un jeune militaire du 19e régiment du génie de Besançon a été sauvagement agressé ; il est en état de mort cérébrale. (M. Stéphane Ravier s'exclame.)
L'été dernier, deux personnes avaient été froidement assassinées en pleine rue. Besançon symbolise une accumulation d'actes de violence qui angoisse la population.
La récente commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic a analysé avec lucidité une situation dangereuse. Nous connaissons votre détermination, monsieur le ministre de l'intérieur, mais chacun doit tirer dans le même sens. Il nous faut transcender les clivages et combattre les discours idéologiques qui nient les violences et s'offusquent dès qu'on parle de répression. Dans la ville natale de Victor Hugo, cette démagogie dépasse l'imaginable.
Les polices municipales ne sont pas la solution à tout, mais elles ont leur rôle à jouer. Elles doivent être employées dans toute l'étendue de leurs possibilités. Peut-être faudrait-il veiller à ce qu'un maire ne puisse vider sa police municipale de toute efficacité en la privant d'armes ? Nous devons aussi développer la vidéosurveillance, encore trop souvent refusée. Cette priorité donnée à la sécurité est parfaitement conciliable avec la libre administration des collectivités territoriales.
Pouvons-nous accepter qu'un maire prive sa commune des moyens d'une action efficace pour la sécurité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur . - Les faits que vous avez décrits sont révélateurs de l'hyperviolence que subissent nombre de nos compatriotes, dont nos forces de l'ordre. Il se produit en France un refus d'obtempérer toutes les vingt minutes ; et chaque jour plus de 1 000 agressions - pour celles qui sont déclarées.
Derrière ces chiffres, il y a autant de vies brisées, d'existences volées. C'est aussi la confiance qui est blessée quand la République ne parvient pas à protéger les siens, à commencer par les plus fragiles.
Demain, je réunirai l'ensemble des préfets, commandants de groupement de gendarmerie et directeurs départementaux de la police nationale pour leur présenter une stratégie contre le narcotrafic et pour la sécurité du quotidien.
Ma méthode, ce sera la subsidiarité : je donnerai beaucoup plus de liberté aux responsables départementaux, parce qu'on ne protège bien que ce qu'on connaît bien. Paris ne sait pas tout.
Nos objectifs : plus de visibilité pour plus d'efficacité. Il faut la bonne patrouille au bon endroit et au bon moment. Entre 5 et 10 % des multirécidivistes commettent plus de la moitié des actes de délinquance : nous allons les cibler, les cribler.
Mais vous avez raison : nous ne rétablirons pas l'ordre républicain sans la coopération des communes. Comme vous, je suis favorable à un continuum de sécurité, avec plus de policiers municipaux armés et plus de vidéoprotection. Je réunirai bientôt un Beauvau de la sécurité et nous inscrirons ces sujets à l'ordre du jour législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Jacques Grosperrin. - Nous connaissons votre engagement. Il est important de mobiliser les maires : ils ne doivent pas rester à l'écart de la chaîne de la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Exportation de spiritueux
M. Daniel Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À Shanghai, la ministre Primas a abordé avec ses homologues la surtaxe douanière sur le cognac, l'armagnac et les brandys.
L'enquête anti-dumping lancée par la Chine, qui exige de la filière une coopération coûteuse, s'inscrit dans un contexte de tensions commerciales : droits de douane européens sur les véhicules électriques et riposte chinoise via un cautionnement de 38 % sur certaines importations.
Les exportateurs français de la filière subissent annulations et reports de contrats. Je remercie le président Larcher pour son soutien. La filière a réaffirmé son souhait de préserver la liberté de commercer sans devenir une victime collatérale de ces conflits.
Une réactivation de la taxe Trump pourrait aussi menacer nos exportations. Et d'autres secteurs pourraient, demain, être touchés - je pense notamment aux filières laitière et porcine.
À l'approche du G20 au Brésil, nous espérons un engagement fort du Président de la République. La Chine permet désormais aux importateurs de présenter des garanties bancaires au lieu des cautionnements : c'est encourageant. Monsieur le ministre, comment comptez-vous protéger un secteur essentiel pour notre économie et notre patrimoine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - L'Union européenne a décidé d'appliquer des droits de douane sur les véhicules électriques chinois, au terme d'une enquête d'un an, transparente, contradictoire et respectueuse des règles de l'OMC. À l'inverse, les décisions chinoises frappant certaines filières européennes, dont le cognac et les produits laitiers, ne respectent nullement ces règles.
Dès le 23 septembre, la Commission européenne a engagé une procédure auprès de l'OMC pour ce qui est des produits laitiers ; dès le 8 octobre, une autre sur les droits provisoires appliqués aux brandys.
Sophie Primas a rappelé fermement aux autorités chinoises notre détermination à défendre nos filières. Nous avons obtenu un assouplissement des conditions d'application des droits provisoires. C'est une première ouverture, mais insuffisante. Nous irons jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la levée définitive de ces droits injustifiables.
Sophie Primas, Annie Genevard et moi-même sommes pleinement mobilisés dans cette perspective. (MM. François Patriat et Roger Karoutchi applaudissent.)
M. Daniel Laurent. - La filière cognac représente 70 000 emplois, sur 4 000 exploitations. Ces produits incarnent notre patrimoine immatériel et un savoir-faire ancestral. La filière compte sur votre appui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.)
Renouveau des bassins miniers
M. Christopher Szczurek . - Madame Létard, le bassin minier attend des actes. Élus, comme vous, de ce territoire, nous connaissons les difficultés nombreuses, mais aussi les formidables atouts, de cette terre de travail, de partage et de fierté. Pendant des décennies, ses habitants ont contribué à la prospérité et à la grandeur du pays, au prix de grands sacrifices.
En 2017, le président Hollande avait promis à Oignies, dans l'agglomération d'Hénin-Beaumont, 100 millions d'euros pour la rénovation thermique des logements. Cinq ans plus tard, le candidat Macron s'offrait un grand tour du bassin minier : à Carvin, toujours dans la circonscription de Marine Le Pen, il a promis 100 millions d'euros supplémentaires pour la rénovation des espaces publics.
Trois ans plus tard, nous attendons la concrétisation de cette promesse. Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 en faveur du bassin minier ne paraissent pas suffisants - aucun nouvel engagement n'est prévu. L'émoi et l'incertitude ont envahi les esprits.
Pouvez-vous nous confirmer que les 100 millions d'euros pour la rénovation de l'habitat sont consommés et que 100 millions d'euros supplémentaires seront bien affectés aux espaces publics ? Notre territoire, traumatisé sur le plan économique, social et écologique, a besoin d'un soutien à long terme ! (M. Joshua Hochart applaudit.)
Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine . - Je n'ai pas attendu votre question pour me préoccuper de l'avenir de l'engagement pour le bassin minier, dont je suis élue. Voilà des années que je défends cette cause, comme ma collègue Agnès Pannier-Runacher, mais aussi Cathy Apourceau-Poly, Jean-François Rapin, Amel Gacquerre et Jean-Pierre Corbisez. Tous, nous sommes mobilisés.
M. Christopher Szczurek. - On n'a pas remarqué...
Mme Valérie Létard, ministre. - Le Président de la République s'est engagé à dépenser 100 millions d'euros entre 2018 et 2027. En 2023, ces 100 millions ont été honorés. Le Président s'est engagé à aller jusqu'au bout des besoins de rénovation - d'où les 17 millions d'euros supplémentaires prévus en 2024.
Dès mon arrivée, je me suis attelée, avec le préfet, à mesurer les besoins pour 2025. Un amendement gouvernemental à la seconde partie du projet de loi de finances vous montrera que nous ne vous avons pas attendus pour nous occuper des habitants du bassin minier ! (Applaudissements sur de nombreuses travées)
La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 30.