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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Modifications de l'ordre du jour
Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ?
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains
Gestion de l'eau : bilan de l'été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource
M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains
Ordre du jour du mercredi 13 novembre 2024
SÉANCE
du mardi 12 novembre 2024
16e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
Secrétaires : MM. Guy Benarroche et Philippe Tabarot.
La séance est ouverte à 18 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté.
Modifications de l'ordre du jour
M. le président. - Par lettre en date du 6 novembre, M. Guillaume Gontard, président du GEST, demande l'inscription à l'ordre du jour de l'espace réservé à son groupe du jeudi 19 décembre de la proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie.
Acte est donné de cette demande.
Par ailleurs, les jeudis 14 novembre et 19 décembre, nous pourrions débuter l'examen des textes dans le deuxième espace réservé dès la fin du premier, si celui-ci se terminait avant 16 heures.
Il en est ainsi décidé.
Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? », à la demande du groupe Les Républicains.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Médevielle applaudit également.) Alors qu'un nouveau cycle s'ouvre pour l'Union européenne, il est temps de s'interroger sur l'influence que peut exercer la France. La reconduction d'Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne ne saurait signifier un statu quo. En 2019, elle promettait une Commission « géopolitique » : reconnaissons que le précédent cycle a largement mis l'Union et ses États membres à contribution.
La donne politique a changé : il faut compter avec le poids nouveau des droites souverainistes et populistes au Parlement européen.
Les défis se posent en des termes nouveaux. Les rapports Letta et Draghi invitent l'Union européenne à faire des efforts considérables pour être au rendez-vous de la transition climatique et de l'autonomie stratégique. Le soutien américain à l'Ukraine n'est plus assuré depuis la nouvelle élection de Donald Trump. L'immigration illégale n'est plus tolérée par nos concitoyens. Les politiques industrielles agressives de Pékin et Washington nous mettent dos au mur. Le populisme, qui se nourrit de la défiance envers la construction européenne, ne cesse de monter.
Nous sommes à la croisée des chemins, mais il n'y a pas de fatalité. Le chemin est connu : il faut agir vite et fort. Or le moteur franco-allemand est à la peine : la coalition outre-Rhin implose, et notre pays, fragilisé, a perdu de son influence.
Au Parlement européen, c'est le Rassemblement national qui compte la délégation la plus fournie, avec trente eurodéputés.
À la Commission européenne, déboires également : la veille de l'annonce des candidats aux postes de commissaire, Thierry Breton annonçait qu'il ne serait finalement pas du nouveau collège, et l'Élysée proposait in extremis la candidature de Stéphane Séjourné. Cette situation inédite pour un grand pays traduit la faiblesse de la France.
La place de la France semble préservée, voire renforcée, puisque Stéphane Séjourné serait nommé vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle - mais il n'aura la tutelle que de la direction générale du marché intérieur, quand Thierry Breton chapeautait trois directions générales. Son rôle de coordination n'est pas très clair, certains commissaires étant sous la tutelle de plusieurs vice-présidents, d'autres relevant en même temps d'un vice-président et de la présidente.
La nouvelle composition du collège reflète un basculement vers l'Est : le budget revient au commissaire polonais ; la politique extérieure et de sécurité commune (Pesc) à l'Estonie ; la défense et l'espace, à la Lituanie. Le Sud n'est pas oublié : l'Espagne hérite d'un large portefeuille consacré à la transition verte et l'Italie, de la cohésion et des réformes.
Le passage de trois à six vice-présidents diluera leur poids respectif ; le pouvoir de la présidente s'en trouve augmenté. Alors qu'elle n'est en théorie que le primus inter pares, celle-ci se positionne en chef d'un « gouvernement de l'Europe ». Quelle sera la cohérence de son action ?
Quel commissaire sera en charge du renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne ? La question se pose, au vu des divergences entre États membres sur l'industrie de défense et le lien transatlantique. Idem sur l'énergie nucléaire.
On s'étonne aussi de voir le commissaire chargé de l'énergie être chargé également du logement - qui n'est pas une compétence de l'Union.
Nous serons vigilants sur le respect du principe de subsidiarité et la prise en compte des réalités de terrain. Notre commission des affaires européennes examinera deux recommandations visant, en matière européenne, à faire mieux et moins. Je déposerai également une proposition de loi pour instaurer un contrôle parlementaire sur la nomination des membres français des institutions européennes, dont la Commission. Les parlementaires nationaux ont une responsabilité en matière européenne, si nous voulons que l'Union soit synonyme d'espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Pierre Médevielle applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe. - Oui, les parlementaires jouent un rôle important dans le débat européen. La reconduction de la présidence de la Commission européenne ne vaut pas statu quo. L'élection américaine aura des conséquences sur la relation transatlantique, la sécurité de l'Europe, la guerre en Ukraine. Il faut agir vite et fort pour renforcer la prospérité, la compétitivité et la BITD européenne.
L'influence de la France ne se décrète pas ; elle se construit, progressivement et avec humilité. Les thèmes du discours de la Sorbonne du Président de la République, en 2017, ont été repris dans les priorités de la Commission. Souveraineté technologique, défense, nucléaire, politique commerciale : une Europe moins naïve est en train d'éclore, mais nous devons aller plus vite et plus loin.
Stéphane Séjourné travaillera avec tous les commissaires. La future commissaire Kaja Kallas avait fait siennes les propositions françaises sur les dettes communes européennes quand elle était Premier ministre - preuve qu'il y a des convergences, des coalitions à aller chercher avec nos partenaires. C'est ainsi que nous bâtirons notre influence.
Mme Nadège Havet . - « L'Europe peut prendre son destin en main quand elle est unie », a rappelé Ursula von der Leyen à Budapest, jeudi dernier. Voulons-nous lire l'Histoire écrite par d'autres - les guerres de Poutine, les élections américaines, les choix chinois - ou voulons-nous l'écrire ? La position du Président de la République n'a pas varié. En avril, il avertissait que « l'Europe est mortelle » et appelait à bâtir une défense crédible, une Union plus souveraine et plus puissante.
La France a joué un rôle clé dans le plan de relance post-covid, soutenu par les socio-démocrates espagnols et les Verts français ; elle a obtenu que la taxonomie verte inclue le nucléaire ; elle a oeuvré pour le pacte asile et migration, soutenu par Pedro Sanchez et la gauche allemande - mais rejeté par la gauche française.
Valérie Hayer l'avait constaté, LFI également : les socialistes français sont si proches du centre, si loin de la gauche radicale ! Vous avez d'ailleurs voté pour Ursula von der Leyen. Il n'est plus possible d'avoir un visage à Bruxelles et un autre à Paris. Jouons collectif.
Ursula von der Leyen a dévoilé sa nouvelle équipe en septembre ; je salue le travail de Thierry Breton pendant cinq ans. J'assure Stéphane Séjourné, chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, des PME et du marché unique, de l'entière confiance de notre groupe.
Nous devons également peser sur d'autres dossiers. Notre position sur l'Ukraine doit être celle de l'Union : nous avons un intérêt commun à ce que la Russie ne gagne pas. La victoire de Trump impose à l'Europe de prendre son destin en main.
La France s'oppose au Mercosur, qui ferait exploser la déforestation et serait dévastateur pour nos éleveurs. Menée par la France, la résistance s'organise en Europe - contre l'Allemagne qui plaide pour une signature rapide, sans compensation.
Sur le volet migratoire, le Conseil européen a adopté la position française. Les ministres de la justice et de l'intérieur sont d'accord pour réviser la directive Retour. La France, l'Allemagne et l'Espagne ont obtenu l'entrée en vigueur du pacte sur la migration et l'asile dès 2025.
Sur la compétitivité, le rapport Draghi prône des réformes d'ampleur et chiffre à 800 milliards d'euros par an le besoin d'investissement supplémentaire, pour résister à la guerre commerciale qui s'annonce. Il plaide également pour des emprunts communs pour investir dans la transformation écologique - idée soutenue par la France, mais combattue par l'Allemagne. Mon groupe y est évidemment favorable. Il faudra convaincre les États dits frugaux, comme lors du plan de relance.
Le rapport Draghi plaide, enfin, pour des commandes communes en matière de défense et des règles de préférence européenne, avec la nomination d'un commissaire européen à la défense. L'Europe investit trois fois moins que les États-Unis, mais ses équipements sont équivalents ou supérieurs. L'Europe est face à son destin.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je partage vos constats. C'est à nous d'investir dans notre autonomie stratégique, dans notre souveraineté, dans notre défense, dans la protection de nos frontières, dans notre politique commerciale. Telle est la leçon des élections américaines.
Sur le Mercosur, la position du Gouvernement est très claire. Le traité n'est pas acceptable en l'état : il ne respecte ni l'équité commerciale, ni les clauses miroirs, ni nos standards environnementaux. Nous travaillons à constituer une minorité de blocage.
M. Ahmed Laouedj . - Hasard du calendrier, les changements institutionnels européens coïncident avec le retour au pouvoir de Donald Trump. Il nous faut adapter nos stratégies politiques à cette nouvelle réalité. La réélection de Trump aura des conséquences en Ukraine et au Proche-Orient, mais aussi sur le commerce international, les négociations climatiques et les relations diplomatiques. Face au retour de l'America First, l'agenda européen doit être juste, inclusif et démocratique.
Les États membres de l'Union doivent parler d'une seule voix, dans un contexte où l'individualisme de certains met à mal nos fondements. La France et l'Allemagne doivent s'unir dans une coopération renforcée pour éviter d'affaiblir l'Union à l'échelle internationale.
Travaillons à une Europe forte, sûre, prospère, libre et démocratique. En particulier, parlons d'une seule voix dans le domaine de l'environnement. Ainsi de la défense du Pacte vert lors de la COP29 à Bakou.
Sur le plan sécuritaire, alors que l'Europe est menacée par des tentatives de déstabilisation croissantes, elle doit affirmer son rôle d'acteur stratégique. La coopération au sein de l'Otan doit se renforcer.
L'Union européenne doit gagner en compétitivité et en attractivité, comme le préconise le rapport Draghi. Faisons confiance à nos entreprises, valorisons-les, permettons-leur d'innover.
Comment ne pas évoquer la perte d'influence de notre pays au sein de la nouvelle Commission européenne, comme le montrent les priorités de l'agenda 2024-2029 ? Le portefeuille de Stéphane Séjourné est moins épais que celui de son prédécesseur, même s'il a été nommé vice-président. La politique de la concurrence lui échappe, et de nombreux domaines font l'objet de co-supervisions. La France n'aura plus la main ni sur la défense, ni sur l'espace, ni sur l'énergie et devra sans cesse négocier avec ses partenaires.
Malgré cela, notre pays restera fort et saura faire valoir ses positions, j'en suis convaincu ; nous y veillerons. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Soyez-en assuré, la France restera forte et influente au sein de l'Union. Elle pousse notamment les ambitions climatiques et environnementales - ainsi des investissements du Green Deal ou du plan NextGenerationEU, qui prévoit un investissement massif dans les énergies renouvelables, ou de la reconnaissance du nucléaire comme énergie décarbonée.
M. François Bonneau . - Lors du dernier débat préalable au Conseil européen, j'avais interrogé le Gouvernement sur le départ de Thierry Breton de la Commission européenne. Faute d'avoir obtenu une réponse, je réitère ma question ce soir.
Le Président de la République souhaitait que le portefeuille de notre nouveau commissaire soit plus large que celui de Thierry Breton, en incluant la recherche, le commerce, voire l'énergie. Mais Ursula von der Leyen a posé un ultimatum : soit Thierry Berton était maintenu à son poste, soit la France proposait un nouveau commissaire, sans doute plus docile, pour obtenir un périmètre plus large. Nous connaissons la suite... Un tel désaveu nous conduit à nous interroger sur le poids de la France au sein de l'Union européenne.
Stéphane Séjourné a été auditionné cet après-midi par les quatre commissions compétentes du Parlement européen. Son portefeuille comprend la prospérité et la stratégie industrielle, mais non les industries de défense.
Or notre BITD est un enjeu essentiel. L'industrie française de défense a le vent en poupe, l'Insee l'a constaté. Face à la montée des tensions géopolitiques, c'est presque une économie de guerre qui se développe en Europe.
En France, la BITD regroupe près de 2 000 entreprises. Selon le Kiel Institute, Paris a contribué à hauteur de 2,69 milliards d'euros à l'effort de guerre en Ukraine.
Notre BITD dépend de notre souveraineté - et réciproquement. Elle est très efficace, mais le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), qui doit améliorer la compétitivité de la BITD européenne, interroge : l'Union souhaiterait faire appel à des industries non européennes ; le départ de Thierry Breton n'est pas étranger à ce problème.
Il est de votre devoir d'assurer à la France une place digne de notre nom dans la future Edip. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Pierre Médevielle et Jean-Luc Ruelle applaudissent également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Le contexte géopolitique rend encore plus urgent le développement d'une BITD européenne.
Nos positions sont claires : les financements européens doivent soutenir, en priorité, une industrie de défense européenne autonome, pour assurer le développement de notre autonomie stratégique ; nous en avons parlé avec l'équipe du commissaire désigné Andrius Kubilius.
Ce soutien doit se traduire par plus d'innovation, de réindustrialisation et d'emplois européens. C'est pour nous une priorité.
Mme Silvana Silvani . - Alors que 100 millions d'Européens ont faim et ont du mal à se loger et se chauffer, Ursula von der Leyen a décidé que l'Union européenne, pour la première fois de son histoire, n'aurait plus de commissaire à l'emploi et aux affaires sociales ; celui-ci est remplacé par un commissaire chargé de l'état de préparation et de la gestion de crise. On passe d'une logique de prise en charge collective à une logique individuelle de responsabilité personnelle dans le rapport au travail.
La création d'un commissaire à la défense est inédite.
Les défenseurs de la construction européenne évoquent toujours l'Europe sociale et l'Europe de paix. Mais le volet social se dégrade, et la défense s'est substituée à la paix. La nomination d'Andrius Kubilius en tant que commissaire à la défense lève les masques : l'Union européenne se prépare à faire la guerre, tout en restant subordonnée à l'Otan.
Elle a intensifié son soutien à l'Ukraine, mais pour quel résultat ? Alors qu'aucune perspective de paix ne se profile, toutes les lignes rouges de précaution se diluent ; ainsi de l'autorisation d'utiliser notre équipement militaire contre des cibles en Russie. La perte de maîtrise de ce conflit risque d'aboutir à une Troisième Guerre mondiale.
Cette dérive belliciste ne se limite pas aux frontières de l'Union européenne.
Au Proche-Orient, sous prétexte de l'attachement de l'Union à la sécurité d'Israël, le Conseil européen souhaite poursuivre l'accord commercial avec ce pays, ce qui équivaut à cautionner les crimes de masse et en série du gouvernement Netanyahu.
Sous la pression des États-Unis, l'Union européenne détériore ses relations commerciales avec la Chine en usant de la rhétorique de l'indépendance de Taïwan. Au Parlement européen, le récent débat sur la mauvaise interprétation de la résolution 2758 des Nations unies met en cause le principe d'une seule Chine.
Plutôt que d'agir dans le sillage de la communauté internationale en choisissant la coopération et la diplomatie, le bloc des Vingt-sept continue sa dérive belliciste en multipliant ses visites et ses exercices en mer de Chine méridionale. Les peuples européens, voilà les grands perdants !
Ursula von der Leyen a estimé que les États membres devront investir plus de 500 milliards d'euros dans la défense dans les années à venir. Si la force des armes est inévitable dans le monde actuel, le surarmement n'a jamais conduit à autre chose qu'à l'abîme.
Les remèdes au déclassement proposés par la nouvelle Commission européenne sont loin de nous convaincre !
Les règles budgétaires du programme de stabilité (PStab) nous conduisent à des contraintes austéritaires contre nos services publics, alors que les crédits en faveur de la défense augmentent.
Le commissaire à la défense propose d'aligner notre plan de production industrielle sur les exigences de l'Otan.
Pour que l'Union échappe au déclassement, nous devons remettre en cause le concept de sécurité fondé uniquement sur les dépenses d'armement ou de défense. Cessons d'ignorer que les insécurités alimentaires, énergétiques, climatiques et que l'absence de partage de gouvernance politique sont au coeur de tous les conflits. Notre pays devrait contribuer à ce réveil. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Vous parlez de dérive belliciste de l'Union européenne, mais c'est plutôt le comportement de la Russie qui l'est, madame la sénatrice ! Lorsque nous participons à des opérations de sécurité en mer de Chine, c'est justement pour éviter la guerre.
Je vois une contradiction à critiquer notre appartenance à l'Otan d'un côté et à refuser d'augmenter notre budget de défense de l'autre. À un moment, il faut choisir ! Si nous voulons être autonomes pour demeurer un espace de paix et de sécurité, il faut nous en donner les moyens. Cela passe par la prise en compte des considérations militaires dans les priorités de l'Union européenne.
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La nouvelle Commission européenne portera une immense responsabilité : répondre ou non aux défis existentiels, au premier rang desquels l'urgence climatique.
Or la domination des forces libérales et conservatrices, dont témoigne la présence d'un commissaire d'extrême droite, est un signal préoccupant. Nous sommes inquiets de la subordination du Pacte vert aux impératifs de compétitivité industrielle : on parle non plus de transition écologique, mais de transition propre. Ce glissement sémantique pose problème.
Or la responsabilité de la France et de l'Europe est immense. Si nous n'agissons pas, nous risquons un monde à plus 3 ou 4 degrés.
La France ne peut se contenter de célébrer l'obtention d'une vice-présidence exécutive au portefeuille flou. Cette approche fondée sur le seul fait du prince est dépassée. La France doit être motrice d'une réorientation écologique de la Commission, avec trois exigences.
Tout d'abord, elle doit garantir l'ambition environnementale de l'Union européenne, et ne pas vider le Pacte vert de sa substance : elle doit défendre des objectifs contraignants de sortie des énergies fossiles.
Ensuite, la transition écologique doit être socialement juste : envisageons la création d'un fonds social climat doté de moyens réels.
Enfin, la France doit défendre une vision de l'Europe comme projet politique, démocratique et fédéral, et pas seulement comme marché ou puissance industrielle.
Monsieur le ministre, vous avez sans doute lu la tribune signée par 600 parlementaires français, qui estiment que les conditions de l'accord avec le Mercosur ne sont pas réunies. Or la Commission envisage de passer en force, en scindant l'accord : cela constituerait un dangereux précédent et favoriserait la déforestation et l'agriculture intensive. La Commission européenne saborderait alors sa propre crédibilité en matière de changement climatique et irait à l'encontre des opinions publiques du continent.
Le soutien à l'Ukraine est une nécessité absolue face à l'agression russe, alors que le rôle joué par les États-Unis devient incertain.
Mais une vision plus large de la sécurité européenne s'impose : nous devons intégrer les enjeux climatiques, sanitaires et alimentaires.
En renforçant les énergies renouvelables, nous augmenterons notre indépendance énergétique.
Face à un président américain climatosceptique, l'Union européenne doit affirmer son autonomie, sa solidarité et ses valeurs.
Elle doit protéger ses citoyens et son environnement, investir et renforcer sa cohésion sociale. Nous devons accélérer la transition vers une économie décarbonée et circulaire. L'Union européenne ne peut plus se permettre d'être suiviste.
La France a la responsabilité de montrer qu'une autre Europe est possible, une Europe de la transition écologique, du respect de la démocratie, des droits fondamentaux, de la justice sociale. Portez cette voix, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Didier Marie applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - J'abonde dans votre sens sur le Mercosur : nous voulons plus d'équité commerciale et de respect de l'environnement. De même sur le soutien à l'Ukraine.
La mandature précédente s'est fixé des objectifs ambitieux en matière de transition environnementale ; à nous de les mettre en oeuvre.
Il faut investir dans la décarbonation du continent, enjeu d'innovation, d'autonomie stratégique et d'indépendance. Nous devons investir dans les énergies renouvelables, bien sûr, mais aussi dans le nucléaire. (Mme Mathilde Ollivier le conteste.)
C'est à nous de faire respecter ces normes environnementales dans nos accords commerciaux. C'est l'objet de la taxe carbone aux frontières, en cours de mise en oeuvre.
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous sommes prêts à travailler dans un esprit de compromis avec la nouvelle Commission européenne, malgré nos inquiétudes : alors qu'elle a été réélue par une alliance proeuropéenne, la présidente de la Commission européenne a nommé un proche de Giorgia Meloni comme vice-président.
Ursula von der Leyen a divisé les portefeuilles de ses commissaires afin d'écarter tout profil risquant de contester son autorité.
Nous risquons un détricotage des législations européennes les plus ambitieuses, comme le Pacte vert.
Après la crise sanitaire, l'Europe de la santé émergeait à peine. Elle est désormais abandonnée à un proche de Viktor Orbán qui n'a aucune expérience sur le sujet. Pis, la présidente souhaite intégrer le programme EU4Health au sein d'un fonds de compétitivité ; cette impulsion vers un capitalisme financiarisé nous inquiète.
La dynamique va aussi au durcissement des politiques européennes en matière de migration. La Commission veut passer de nouveaux accords avec des pays tiers pour la création de centres de demandeurs d'asile, malgré les violations des droits humains constatées en Tunisie, en Lybie ou en Turquie.
En externalisant la gestion des migrations, l'Union européenne se défausse de ses responsabilités. Pourtant, en 2018, la Commission pointait un risque élevé de non-respect des droits fondamentaux et des valeurs de l'Union européenne en ayant recours à ces centres. Celles-ci sont actuellement remises en cause.
Nous voulons défendre un modèle européen qui ne se cantonne pas au repli sur soi et au rejet de l'autre. Mais la voix de la France ne porte plus au sein de l'Union européenne.
Notre perte d'influence, illustrée par le départ de Thierry Breton, a déjà des conséquences : ainsi de la conclusion imminente des accords avec le Mercosur, malgré l'opposition de 600 parlementaires français.
Cela ne date pas d'hier : la France n'est plus un moteur de l'Union européenne, elle est plus isolée que jamais. Le couple franco-allemand est doublé par une Europe dont le pivot glisse inexorablement vers l'est.
Ces derniers temps, la France a trop souvent soutenu des positions souverainistes, contre la logique de compromis, défendant ses intérêts propres ; partant, elle a perdu de la capacité à créer du consensus.
Les discours proeuropéens du Président de la République et ses engagements environnementaux n'ont pas été traduits concrètement : la France s'est abstenue lors de l'autorisation du renouvellement pour dix ans du glyphosate, malgré les promesses présidentielles. La voix de la France est écornée et notre pays a perdu en crédibilité.
Nous avons besoin d'une Europe forte et indépendante. Le président Trump n'est et ne sera pas un ami de l'Europe : le retour de la guerre, l'effondrement climatique appellent une réponse commune. Aucun de ces sujets ne se résoudra par l'égoïsme des nations. D'où la nécessité de développer des politiques fortes et de réaffirmer notre attachement à l'Europe sociale et à la démocratie. L'Union est capable de devenir un modèle de référence ; pour notre part, nous le voulons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je ne me reconnais pas du tout dans votre constat catastrophiste de l'influence française. Au contraire, depuis l'élection américaine, le Premier ministre polonais a dit que l'ère de la sous-traitance géopolitique de l'Europe était terminée et que nous devions prendre notre destin en main. À nous d'investir dans notre défense et notre compétitivité.
Le logiciel des Européens est en train de changer ; c'est aussi le résultat du travail d'influence que nous menons depuis plusieurs années. Cessons l'autoflagellation sur ces sujets.
La France a une position claire sur la question migratoire : nous soutenons la mise en place rapide du pacte sur la migration et l'asile ou la révision de la directive Retour, notamment.
Les prétendues solutions innovantes de certains de nos voisins ne portent pas leurs fruits : il faut des réponses coordonnées pour avancer.
M. Pierre Médevielle . - (Mme Nadège Havet applaudit.) « L'Europe, quel numéro de téléphone ? », raillait Henry Kissinger. Cette plaisanterie risque de revenir au goût du jour...
Donald Trump aura pour seule boussole la défense des intérêts américains. Il ne nous fera pas de cadeaux. Ne lui en faisons pas. (M. Benjamin Haddad renchérit.)
Adaptons notre positionnement stratégique à une nouvelle donne géopolitique. L'Union européenne doit redevenir une puissance, rester fidèle à ses valeurs et s'engager pour la paix et, surtout, défendre ses intérêts.
Notre déclin géopolitique s'explique par notre décrochage économique. Nous devons redevenir une terre de production.
Je distingue trois chantiers.
Premièrement, l'innovation, une question de vie ou de mort. Si nous cessons d'innover, nous ne maintiendrons pas notre modèle économique. Le rapport Draghi le dit clairement et estime l'effort à 800 milliards d'euros par an.
Deuxièmement, il faut servir en premier les intérêts européens via la commande publique. Il faut réformer la directive de 2014.
Troisièmement, il faut faire du chantier climatique un levier de compétitivité - et non l'inverse. Le réchauffement climatique menace nos intérêts économiques. Mais la transition écologique ne doit être ni un exercice de repentance ni un appel à la décroissance. Le Pacte vert, par sa dérive bureaucratique, risque de plomber notre modèle économique.
Si l'agriculture ne peut être la seule priorité de la Commission européenne, elle sera la jauge de son succès : si l'Union européenne continue d'ouvrir ses marchés à tout va, tout en étouffant ses agriculteurs de normes, elle aura échoué. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. Bruno Sido. - C'est vrai !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je suis d'accord avec vous, c'est une question de vie ou de mort pour l'Europe. Nous constations déjà ces tendances protectionnistes avec l'administration Biden.
Je partage vos priorités. La révision de la directive relative à la commande publique se trouve dans la lettre de mission de Stéphane Séjourné.
Le rapport Draghi identifie de nombreuses priorités comme l'union des marchés de capitaux, l'union bancaire ou encore la réforme de la politique de concurrence, afin que l'Europe devienne de nouveau un continent de producteurs et pas uniquement de consommateurs.
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Médevielle applaudit également.) Ayons en tête l'agitation internationale au moment d'aborder la future politique étrangère de l'Union européenne : elle doit nous inspirer vigilance et anticipation. La France a des intérêts à défendre, et la nouvelle Commission européenne doit les entendre, pour ne pas naviguer à vue.
Les pays d'Europe centrale et orientale (Peco) gagnent en influence. La Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, nouveaux candidats, déplaceront un peu plus encore le centre de gravité de l'Union européenne vers l'est. Les élections moldaves et géorgiennes se sont déroulées dans des conditions démocratiques inquiétantes. Hormis la Commission qui avance à marche forcée, rien n'indique qu'il s'agit là de sérieux candidats à l'intégration.
Faut-il élargir à l'Ukraine au risque d'accroître la concurrence avec l'agriculture française, par exemple ? Notre pays doit faire entendre sa voix et tempérer ce tropisme contraire à ses intérêts.
Le retour de Donald Trump et de l'America First fragilise la défense du climat et les droits des femmes. Mais n'oublions pas la fragilité de notre autonomie stratégique : il faut maintenir une alliance transatlantique équilibrée, car nos rivaux sont la Chine, la Russie ou l'Iran.
Un nouveau défi se profile : le numérique. Le RGPD, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) ont permis de protéger les données, de préserver la sécurité des Européens et de réguler les grandes plateformes.
Or les Gafam développent des intelligences artificielles de plus en plus puissantes, allant d'assistants personnels à des outils professionnels dans la cybersécurité. L'Union européenne doit établir un cadre régulant leur utilisation, notamment pour les activités à haut risque telles que la reconnaissance faciale.
Pourtant, de lourdes incertitudes demeurent. Des solutions cybereuropéennes doivent émerger. Il y a urgence à agir : les géants du numérique battent tous les records d'investissement en la matière, alors que la compétitivité entre l'Union européenne et les États-Unis est déjà exacerbée.
Entre grande diplomatie et soft power, la nouvelle Commission européenne ne peut naviguer à vue et sans vision de long terme ; plus que jamais l'anticipation doit être de mise, il y va aussi de l'intérêt de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - L'élargissement est un facteur de stabilité de notre continent : les zones grises à nos portes ont été trop longtemps négligées. Le processus doit se fonder sur le mérite et les réformes, notamment sur l'État de droit ou la lutte anticorruption : la France accompagnera les pays candidats, sans toutefois forcer les procédures.
Si nous voulons être souverains en matière d'intelligence artificielle, il nous faudra investir, faute de quoi nous serons dépendants des innovations des autres pays. Le précédent mandat était axé sur la régulation, le prochain devra l'être sur l'investissement et l'innovation, notamment en matière quantique, pour plus de souveraineté.
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Alors que Donald Trump, chantre de l'America First et du repli, a été réélu, l'Europe doit faire face à un risque de repli de la puissance américaine. Regardons vers le Pacifique plutôt que vers l'Atlantique, comme l'a dit Jean-François Rapin.
Le rapport Draghi n'a pas été assez mis en lumière : la création de richesses reste l'angle mort du débat public. Il prône trois axes : innover dans la technologie et combler notre retard, décarboner l'industrie pour plus de compétitivité, renforcer la sécurité et notre indépendance. Il pointe un ralentissement de la croissance de la production et des revenus, associés à un affaiblissement de la demande en Europe.
La France dévisse en matière de création de richesses. Le rapport préconise une nouvelle stratégie industrielle. Sa mise en oeuvre nécessiterait 800 milliards d'euros par an, soit 4,5 % du PIB européen. Le programme-cadre de recherche et d'innovation devrait être doublé pour atteindre 200 milliards d'euros sur sept ans et nous devrions créer une Agence européenne pour l'innovation. Encourager nos ingénieurs à rester en Europe, voilà un bel objectif.
Le poids de la France dans le jeu diplomatique s'est amoindri. Ainsi de la proposition du Président de la République d'envoyer des soldats au sol en Ukraine, qui n'a pas été suivie par nos partenaires.
L'Union européenne doit accélérer sa production industrielle, si elle ne veut pas abandonner l'Ukraine à son triste sort. (M. Benjamin Haddad le confirme de la tête.)
Alors que le contexte géopolitique est incertain, la France doit porter la voix des réformes et de la compétitivité. N'oublions pas le mot d'André Frossard : l'histoire de l'Europe occidentale est un destin voulu, et non un destin fortuit. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Alain Cadec applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je partage votre analyse : il faut garder nos talents scientifiques en Europe. En matière de publications, l'Union européenne est bien classée ; elle l'est moins pour le dépôt des brevets et la commercialisation des innovations.
À l'instar de la Defense Advanced Research Projects Agency (Darpa), l'Union européenne doit être capable de soutenir les innovations de rupture, mais aussi de mobiliser l'investissement. C'est ainsi que nous défendrons l'autonomie de notre continent.
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La nouvelle Commission européenne, plus conservatrice que jamais, devra pourtant poursuivre le Pacte vert, plus ambitieux chantier européen de notre histoire. Car nul ne peut défendre un modèle de vie dans lequel l'air est vicié, l'eau polluée et la nourriture contaminée, dans lequel les sols s'appauvrissent et le climat s'emballe.
La composition du nouveau collège, faisant la part belle aux forces réactionnaires, ne reflète en rien les préférences politiques des Européens et met en péril la culture européenne du compromis.
Ne cédons pas aux pressions des extrêmes : faisons à long terme le choix du climat, de la biodiversité et de la justice ! Pour cela, la France doit contribuer au maintien d'une politique commune forte et solidaire. Hélas, notre message est brouillé par les atermoiements et les zigzags, et le cynisme nous gagne.
Pourtant, la plupart des grands projets européens sont compromis : plan de réduction des pesticides, stratégie « De la ferme à l'assiette », révision du règlement Reach - sans parler de l'interdiction de vente des véhicules thermiques en 2035, qui fait l'objet d'une fronde.
La réélection de Trump signifie le mépris des règles, la défense des énergies fossiles et des OGM, le dénigrement des ambitions écologiques et climatiques de l'Europe. Ne nous laissons pas entraîner dans un capitalisme sauvage qui mènerait le monde à la destruction.
N'oublions pas ce qu'écrivait Lampedusa : si vous voulez que rien ne change, il faut tout changer. Notre responsabilité est d'agir pour ne pas subir les évolutions. Mais avons-nous encore le poids nécessaire ? J'ai entendu votre réponse à mon collègue Bernard Jomier, mais nous jugerons le Gouvernement sur ses actes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Il nous faudra l'agilité du guépard pour répondre à tant de défis... (Sourires)
Les ambitions environnementales, promues par la France sous la précédente Commission européenne, sont aussi un enjeu de compétitivité et d'autonomie stratégique. Elles demeurent un objectif majeur, sans contradiction avec le renforcement de notre compétitivité et de notre industrie. Nous entendons faire de l'Union européenne un pilote dans ce domaine.
M. Ronan Le Gleut . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Et si l'on passait à l'âge adulte ?
L'Europe a délégué sa sécurité collective aux États-Unis à travers l'Otan. Les Européens sont-ils donc condamnés à trembler, tous les quatre ans, en fonction des suffrages de quelques électeurs américains dans quelques États pivots ? Continuerons-nous à délaisser notre sécurité collective, élément fondamental de notre souveraineté ?
Le premier mandat de Trump et sa récente campagne ont fragilisé l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord, donc notre sécurité. Nous, Français, considérons - à raison - que notre sécurité est assurée par notre dissuasion nucléaire et notre armée, la meilleure en Europe. Mais nos partenaires ont confié presque complètement leur sécurité au parapluie américain. Désormais seul État de l'Union européenne à disposer d'un siège permanent au Conseil de sécurité, la France a un rôle majeur à jouer pour une plus grande autonomie stratégique du continent.
Comme le disait Florence Parly, l'article 5 n'est pas l'article F-35. Dès lors que notre sécurité collective est mise à mal, nos partenaires n'ont plus de raisons d'acheter tout leur matériel militaire, sur étagère, aux États-Unis. La France, qui fabrique les meilleurs armements au monde - je pense notamment au Rafale -, doit se réveiller et saisir cette occasion. Il est temps de construire une base industrielle et technologique de défense véritablement européenne.
Prenons en main notre destin, instituons une préférence européenne en matière militaire. Saisissons cette occasion pour la France et pour l'Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je souscris fondamentalement à votre analyse, dont la validité aurait été la même avec un résultat électoral différent aux États-Unis. Les tendances protectionnistes, la priorité stratégique donnée à la Chine, l'unilatéralisme sont des tendances structurelles de la politique américaine, dont le président Trump est le révélateur et l'accélérateur. Vous avez raison : nous ne pouvons pas remettre notre sécurité collective entre les mains des électeurs du Michigan ou du Wisconsin.
Nous devons instituer une préférence européenne dans le domaine de l'industrie de défense. La France a un rôle particulier à jouer à cet égard, compte tenu de sa vision stratégique et du doublement des investissements dans la défense depuis 2017. Sachons aussi écouter et respecter les impératifs de sécurité de nos partenaires, notamment ceux qui sont en première ligne face à la Russie. C'est ainsi que nous bâtirons une Europe de la défense autonome.
Mme Else Joseph . - Par un hasard curieux, mais pas tout à fait anecdotique, la nouvelle Commission européenne prend forme au moment où un nouveau président américain est élu. La première sera confrontée au roi de l'art de la négociation, pour reprendre le titre d'un ouvrage du second... De fait, la Commission européenne joue un rôle clé dans les accords commerciaux, domaine dans lequel sa compétence est exclusive.
Nous devons être vigilants sur la défense de notre agriculture et refuser l'importation de produits fabriqués par des méthodes interdites sur notre sol. Le président Rapin a parlé à bon droit de réciprocité et de préférence européenne, notions trop souvent oubliées dans le discours européen.
Allons-nous persister dans une politique aberrante ? Dommage que rien n'ait été médité à propos du Mercosur. Nos agriculteurs sont très inquiets.
Nos difficultés ne sont pas qu'exogènes ; elles résultent aussi de notre propre manque de vision et d'ambition. L'Europe, par le passé, a découragé par sa façon d'appliquer les traités. Elle a protégé le consommateur, ce qui peut être louable, mais les industries aussi ont besoin d'être encouragées.
Voyez les semi-conducteurs, domaine dans lequel la covid a révélé notre dépendance. N'attendons pas la prochaine crise pour agir. L'Union européenne s'est fixé l'objectif de représenter 20 % du marché mondial. Il nous reste peu de temps pour tendre la main aux entreprises taïwanaises qui souhaitent investir dans ce domaine.
Alors que les populistes gagnent en Europe et à l'heure de la revanche du Sud global, l'Union européenne doit être à la hauteur de ses textes fondateurs et de son idéal. Pour éviter des fractures irrémédiables, construisons une Europe qui protège et entreprend ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Oui, nous avons besoin d'une politique industrielle européenne et d'une Europe qui protège. La meilleure réponse aux populismes, c'est d'écouter les préoccupations qui s'expriment sur la sécurité, l'immigration ou la désindustrialisation - thèmes sur lesquels le candidat Trump l'a emporté. Ces enjeux sont européens : nous devons y répondre en Européens.
Le rapport Draghi va dans le même sens, en appelant à une réforme de la politique de la concurrence et des règles en matière d'aides d'État. Il faut réfléchir à l'échelle du marché pertinent et soutenir l'émergence de champions européens compétitifs face aux géants des autres continents.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Au terme de ce débat, au cours duquel de nombreuses thématiques ont été abordées, je retiens qu'un consensus émerge : nous sommes à un point de bascule historique et géopolitique, avec l'agression russe contre l'Ukraine, les enjeux climatiques et la récente élection américaine.
Les règles du monde ne doivent pas s'écrire sans nous. Car, comme le disent les Américains, si vous n'êtes pas autour de la table, c'est que vous êtes au menu... Défendons nos intérêts en assumant des rapports de force. C'est le sens du combat pour la souveraineté européenne mené par la France depuis le discours de la Sorbonne.
Des avancées majeures ont déjà eu lieu dans cette direction : plan NextGenerationEU, pacte sur la migration et l'asile, développement d'une préférence européenne en matière de défense, fin d'une forme de naïveté en matière commerciale, Green Deal. Sur chacun de ces sujets, la France a été pilote.
Il reste de nombreux champs à défricher, notamment pour renforcer notre compétitivité et notre prospérité. Ces enjeux sont au coeur du portefeuille de Stéphane Séjourné. Nous devons mobiliser l'épargne publique et privée au service de la recherche, finaliser l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire, investir dans notre industrie de défense, faire preuve d'une plus grande ambition dans notre voisinage - Géorgie, Moldavie, Balkans occidentaux.
Ces défis sont existentiels pour notre continent. Soyons au rendez-vous pour continuer d'écrire notre destin.
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Difficile de conclure après la conclusion... (Sourires)
Une nouvelle commission se met en place, qui se distingue à bien des égards de la précédente. Le contexte politique interne, d'abord, est différent, avec un net déplacement du centre de gravité des institutions vers la droite. Au Parlement européen, la progression des forces nationalistes est inquiétante.
L'environnement international, quant à lui, est plus instable et globalement hostile : guerre en Ukraine et au Proche-Orient, instabilité en mer de Chine. Ajoutons à cela la prochaine installation d'une administration américaine protectionniste.
Il en résulte une révision des priorités de la Commission. Tout en poursuivant son agenda pour l'environnement et le numérique, elle met l'accent sur la compétitivité, la réindustrialisation, l'autonomie stratégique et la défense résolue des intérêts européens.
Je me félicite de ce nouveau souci de réalisme. Reste à voir si la cohésion des États membres et les moyens mis en oeuvre suivront. Je crains, hélas, que l'état de nos finances publiques ne plombe notre influence. Une nation qui ne tient pas ses comptes ne tient pas son rang.
De fait, notre pays est affaibli dans chacune des institutions européennes. Au Conseil européen, le Président de la République a perdu une bonne part de son crédit après deux échecs électoraux successifs. Au Conseil des ministres, le gouvernement de compromis auquel vous appartenez, et que je soutiens, est affaibli par son assise parlementaire fragile et la situation budgétaire qu'il doit assumer. Au Parlement européen, la France est sous-représentée dans les deux principaux groupes et surreprésentée dans un groupe qui s'autoexclut. À la Commission européenne, elle a subi un diktat inédit et humiliant, conduisant au retrait de Thierry Breton et à la désignation d'une autre personnalité, insuffisamment qualifiée pour ce niveau de responsabilités et au portefeuille mal défini, en dépit du beau titre dont elle est parée.
La Commission européenne sera-t-elle capable de mener une action efficace au service des citoyens européens ? La France sera-t-elle en mesure de peser ? Comme beaucoup, je suis inquiet, mais j'espère que les faits me donneront tort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance, suspendue à 20 h 10, reprend à 21 h 40.
Gestion de l'eau : bilan de l'été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Gestion de l'eau : bilan de l'été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource », à la demande du groupe Les Républicains.
M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains . - L'année 2024 a été marquée par des records de pluviométrie, après plusieurs années de sécheresse. Gouverner, c'est prévoir et donc anticiper. La délégation à la prospective a remis, en 2022, un rapport intitulé « Comment éviter la panne sèche ? » dont j'ai été corapporteur. Confirmé par le rapport de Rémy Pointereau et d'Hervé Gillé, le diagnostic est clair.
Avec plus de pluie au printemps et à l'automne et des sécheresses en été et en hiver, face à des précipitations qui en moyenne augmentent, nous devons mieux gérer la distribution et l'intensité des épisodes pluvieux, alors que les débits des cours d'eau devraient baisser de 10 à 40 %. Si l'étude Explore2 proposera une géographie affinée, tous les territoires seront touchés. Le récent épisode espagnol en est un exemple concret.
Ne rien faire serait catastrophique. Nous devons nous prémunir contre les inondations, mais aussi sécuriser notre approvisionnement en eau potable pour l'agriculture, l'alimentation ou l'énergie - je précise que l'agriculture irriguée ne représente que 10 % des surfaces, soit moins de 3 millions d'hectares.
Nous devons éviter des aménagements néfastes pour l'environnement et la biodiversité, mais sans tomber dans l'excès. Le bilan écoenvironnemental de l'agriculture irriguée peut être très positif : voyez l'exemple des réserves en Vendée. Le Varenne de l'eau et le plan Eau, annoncé par le Président de la République en 2023, ont montré la nécessité de retenues collinaires pour éviter de pomper dans les nappes l'été.
N'opposons pas environnement et activité économique, et faisons dialoguer les parties prenantes dans les instances de la démocratie de l'eau : les comités de bassin et les commissions locales de l'eau. Il n'y a pas d'autre voie que le dialogue et la concertation.
L'année 2024 nous offre un répit, mais les restrictions reviendront. Dans les Pyrénées-Orientales, celles-ci persistent : l'accès à l'eau est stratégique pour les populations, pour le tourisme et pour les agriculteurs. Depuis plusieurs années, les arrêtés préfectoraux « sécheresse » deviennent permanents.
Tous s'adaptent, au premier rang desquels les agriculteurs. Mais ces efforts doivent être accompagnés par les pouvoirs publics. Sortons de l'immobilisme.
Il faut tout d'abord économiser l'eau, en luttant contre les fuites du réseau, alors que 1 milliard de mètres cubes d'eau par an, soit 20 % de l'eau potable produite, ne va pas jusqu'au client final.
Il faut aussi agir sur l'offre : réalisons de nouvelles retenues d'eau dans les Pyrénées, développons des retenues collinaires dans les exploitations agricoles en simplifiant les procédures d'autorisation et en réduisant le coût des études préalables, réutilisons les eaux usées dans la zone littorale et prolongeons l'aqueduc Aqua Domitia afin de bénéficier de l'appui des eaux du Rhône.
Il n'est pas tenable de faire reposer l'essentiel de la stratégie eau des Pyrénées-Orientales sur les seuls efforts d'économie. Les communes littorales gèlent le développement touristique et les agriculteurs se limitent fortement. Le risque est de rendre des territoires à la garrigue ou à la forêt, à fort risque d'incendie.
Ne soyons ni lents ni timides ; des solutions existent, arrêtons de multiplier les études et les comités Théodule. N'attendons plus pour agir, il y a urgence. Les pluies de 2024 ne nous ont donné qu'un court répit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe CRCE-K)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - Le dérèglement climatique fragilise la ressource en eau : la sécheresse dans les Pyrénées-Orientales ou les inondations l'illustrent.
Nous devons nous adapter. Le plan Eau nous permet de répondre aux enjeux de sobriété, de réutilisation et de construction d'infrastructures de gestion de l'eau sur une année complète. C'est également le sens de la feuille de route sur les captages : l'étude Explore2 montre le mur d'investissements nécessaires pour traiter les métabolites dans l'eau brute. C'est enfin le but de la conférence nationale sur l'eau, portée par le Premier ministre, qui s'attachera à territorialiser la politique de l'eau.
Mme Mireille Conte Jaubert . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Malgré une pluviométrie abondante au printemps et à l'été, 21 départements ont fait face à des restrictions préfectorales.
Une gestion durable de l'eau ne peut plus dépendre des conditions saisonnières et nécessite des réponses structurelles. En Gironde, la baisse des débits des cours d'eau fait que les restrictions sont devenues la norme. Il faut une réponse d'envergure.
Nos infrastructures, vétustes, sont inefficaces, alors que chaque goutte compte. Comment accepter que 20 % de l'eau potable soit perdue ? Ce chiffre est le reflet d'années de sous-investissement dans les réseaux. Neuf cent mille kilomètres de canalisations ne sont renouvelés qu'à hauteur de 0,67 % par an. Il faudra plus d'un siècle pour tout renouveler !
Comme Nathalie Delattre, je suggère la création d'un fonds bleu de solidarité pour soutenir ce renouvellement. Mais il ne pourra être mis en place efficacement si les recettes des agences de l'eau sont encore redirigées vers le budget de l'État. Si l'État maintient ce transfert, il faudra envisager d'autres contributions, notamment fondées sur la consommation d'eau.
Ce fonds bleu pourrait être redistribué prioritairement aux communes et aux syndicats dont les infrastructures sont dégradées. Ce sont souvent de petites collectivités, qui ont besoin de l'aide technique des départements.
Il faut aussi optimiser la gestion de l'eau. Je salue la volonté de la ministre de compléter le plan Eau sur les captages. Il faut aussi sensibiliser la population sur les usages non essentiels de l'eau potable, en la réservant à la consommation humaine et à la préservation de la santé publique.
Nous devons agir pour préserver cette ressource précieuse pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Merci de votre soutien à la feuille de route sur les captages. Quelque 57 % des 170 collectivités territoriales considérées comme des « points noirs » sont aidées par les agences de l'eau. La trajectoire est entamée.
Les fuites d'eau atteignent plus de 60 % dans certains territoires ultramarins.
Nous avons décalé à 2026 le relèvement du plafond mordant de recettes des agences de l'eau. Cela ne posera pas de problème pour les projets lancés en 2025. Quoi qu'il en soit, une question de trésorerie se pose aussi pour les agences de l'eau.
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les événements dramatiques en Espagne illustrent tragiquement les conséquences du dérèglement climatique sur le cycle de l'eau. Une crise hydrique menace, sous l'effet de l'intensification des sécheresses. L'eau disponible risque de baisser de 30 % à 40 % en 2050. Les nappes s'assèchent, les conflits d'usage se renforcent.
À nous de repenser en profondeur notre modèle de gestion de l'eau.
L'eau est un bien commun qui doit être accessible à tous. Sa gestion doit être équitable et partagée. Des situations interpellent, comme dans le Cher. La rivière Villabon est asséchée trois à six mois par an, à la suite de la création d'une retenue d'eau en amont, pourtant autorisée par la préfecture, mais sans étude préalable sérieuse ni consultation des parties concernées. Sans mécanisme de concertation robuste, les conflits d'usage s'intensifieront. La mesure 33 du plan Eau, qui prévoit la création d'instances de dialogue au niveau de chaque sous-bassin versant, est un premier pas en ce sens.
Cela dit, quelle sera l'autorité d'arbitrage en cas de conflit ? Quelles seront nos marges de manoeuvre pour nous adapter aux variations saisonnières extrêmes ?
La première solution est de ne pas gaspiller l'eau potable. Avec un taux de rendement moyen des réseaux de 81 %, c'est 19 % de l'eau destinée à la consommation humaine qui est perdue !
Faute de moyens, les collectivités territoriales peinent à mener les modernisations nécessaires, complexes et coûteuses. Dans 170 communes, intercommunalités ou syndicats mixtes, véritables points noirs, plus de 50 % de l'eau potable est perdue. Quelles solutions proposez-vous pour moderniser les infrastructures et réduire les pertes ?
Mesure de justice sociale, le prix de l'eau en France est bon marché, environ 3,56 euros par mètre cube, soit 11 % de moins que la moyenne européenne ; toutefois, cela ne reflète pas les investissements nécessaires pour garantir une eau potable à chacun. Or des investissements sont indispensables pour rénover notre réseau vieillissant, limiter les fuites et nous adapter aux effets du réchauffement climatique. Le prix de l'eau sera-t-il revu ? Si « l'eau paye l'eau », quelle sera la répercussion du coût de ces investissements ?
Devant notre commission, vous avez évoqué le besoin de repenser la gestion de la ressource. Je vous propose d'aller plus loin et de consacrer réellement la valeur de bien commun de l'eau. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, du RDSE, du GEST et du groupe SER)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Les comités de bassin se sont emparés des 170 points noirs : toutes les collectivités territoriales auront une réponse.
Soixante ans après la loi sur l'eau, la conférence nationale sur l'eau s'intéressera - sans tabou - à la question du financement : nous sommes face à un mur d'investissements, les redevances des agences de l'eau devraient être fondées sur la performance des réseaux et donc la lutte contre les fuites. Il faudra aussi se pencher sur la redevance pour pollution diffuse. Que veut dire payer le juste prix de l'eau ? L'eau doit être quantitativement disponible et de qualité - c'est un enjeu de santé publique.
À cette occasion, nous examinerons le fonctionnement des instances locales de l'eau, afin de réduire les conflits d'usage. Il faut réduire les gaspillages de l'eau, c'est-à-dire les fuites et les usages non essentiels, mais aussi savoir réutiliser l'eau - nous avons des progrès à faire dans ce domaine.
Mme Cécile Cukierman . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du RDSE ; M. Rémy Pointereau applaudit également.) La sédentarisation procède d'une gestion de l'eau efficace, condition de tout progrès humain. Le bilan de l'été 2024 est le suivant : il est plus facile de gérer la ressource en eau quand elle est abondante. Juin a été de 20 % plus pluvieux que la moyenne, tandis qu'août a été plus sec de 25 %. Cet été s'inscrit dans une moyenne, mais il y a eu des différences notables d'une région à l'autre.
Nous devons renforcer les moyens de l'État. Ses établissements publics doivent établir des prévisions fiables, comme nous l'avons recommandé dans notre rapport Éviter la panne sèche.
Même s'ils sont sans commune mesure avec ce qui s'est produit en Espagne, nous avons aussi connu des épisodes tragiques en France : crues torrentielles en Isère fin juin ; coulées de boue en Haute-Marne en juillet ; pluies exceptionnelles dans le Morbihan au mois d'août, ainsi que dans la vallée du Gier, les monts du Pilat et le nord de l'Ardèche le 17 octobre dernier.
Il faudra aussi améliorer la gestion des eaux pluviales et le stockage de l'eau. Madame la ministre, vos prédécesseurs avaient pris des engagements sur les retenues collinaires ; or beaucoup de départements ne trouvent pas de débouchés, malgré l'existence de plans départementaux.
M. Laurent Burgoa. - C'est exact.
Mme Cécile Cukierman. - Les défis sont devant nous : prévoir les fortes pluies, prévoir les manques d'eau, c'est le « en même temps » de la gestion de l'eau, si j'ose dire.
Il est nécessaire de bien connaître l'état de nos nappes phréatiques, pour permettre tous les usages de l'eau : industrie, agriculture, tourisme, énergie. La première recommandation de notre rapport était de proposer un partage équitable de la ressource, même en cas de raréfaction.
Pour cela il faut des moyens : nous avions proposé la suppression du plafond mordant des agences de l'eau, mais le Gouvernement le maintient dans le projet de loi de finances pour 2025 au même niveau que dans la loi de finances 2024.
Nous nous réjouissons que les communes conservent leur compétence en matière d'eau et d'assainissement.
Une nouvelle loi sur l'eau est nécessaire, le Premier ministre l'a dit lui-même, car les mesurettes ne suffisent pas.
La ressource en eau est une opportunité économique et énergétique, notamment en matière d'énergies renouvelables : production hydroélectrique, stations de transfert d'énergie par pompage (Step). Notre pays est en retard sur la gestion des eaux usées. Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du RDSE, ainsi que sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - J'ai fait plusieurs retenues collinaires dans une vie professionnelle antérieure, et cela marche très bien ! (Mme Cécile Cukierman renchérit.)
Pour être clair et anticipé, le partage de l'eau entre les différents usagers doit se faire dans le cadre de projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).
Le cycle de l'eau doit être bien connu et maîtrisé, car le réchauffement climatique va le modifier. Tous nos cours d'eau doivent être intégrés au service Vigicrues.
Le relèvement du plafond mordant est simplement décalé à 2026.
L'hydroélectricité et les Step sont pilotables, décarbonées, compétitives. Toutefois, le réchauffement climatique nous invite à la prudence : protéger notre potentiel hydraulique est déjà une bonne chose.
M. Ronan Dantec . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je craignais un débat sur les mégabassines, mais heureusement, Jean Sol a bien dit qu'il fallait gérer l'eau avec discernement : voilà un clair refus des mégabassines ! À ce titre, je rappelle la décision du tribunal administratif des Deux-Sèvres, qui vient de limiter très fortement les capacités de pompage, l'été, dans la nappe phréatique. Si l'on ajoute les recours, je ne suis pas certain qu'il y aura beaucoup de mégabassines.
M. Longeot et Mme Conte Jaubert ont rappelé que les investissements seront importants. Or l'eau n'est pas chère en France. Je précise que le nucléaire français paye l'eau 0,1 euro, contre 1 euro pour le monde agricole. J'appelle à un rééquilibrage, madame la ministre.
Nous avons lu les derniers rapports sur les risques liés aux nouveaux perturbateurs endocriniens : en taxant ces polluants diffus, nous vous proposons une nouvelle ressource pour améliorer la qualité de l'eau. L'eau ferrugineuse oui, l'eau aux perturbateurs endocriniens, non ! (Applaudissements sur les travées du GEST) Madame la ministre, Jean-Claude Raux a déposé une proposition de loi sur la protection des captages, je ne doute plus de votre soutien. (Sourires)
En somme, voilà deux exemples de recettes possibles ! Vous n'êtes donc pas obligée d'essorer les budgets des agences de l'eau pour renflouer le budget de l'État. Ce que l'on paye pour l'eau doit aller à l'eau, de même que ce que l'on paye pour les catastrophes naturelles doit aller au régime CatNat.
Les PTGE interrogent sur la capacité de la société à s'adapter au changement climatique. La gestion de l'eau est une question anxiogène - pour s'en convaincre, il suffit de relire Manon des sources de Pagnol.
Il faut créer des consensus dans les territoires. Un rapport prône l'augmentation du nombre de PTGE. Il en faudrait une centaine. Êtes-vous prête à aller plus loin ? Le risque est d'accentuer les tensions entre les territoires. Pourquoi ne pas donner aux PTGE la même force que les programmes d'actions de prévention des inondations (Papi) ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Comique de répétition : sur le nucléaire, 90 % du prélèvement est rendu au milieu.
M. Ronan Dantec. - Réchauffé !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Un peu réchauffé, c'est exact, mais dans certaines limites. (M. Grégory Blanc ironise.) Il n'en est pas de même pour les autres usages, expliquant la différence de prix.
Nous n'avons pas besoin de véhicule législatif sur les captages. En revanche, il nous faut publier l'arrêté sur les points de prélèvement sensibles.
L'enjeu de la feuille de route est de travailler au niveau territorial, avec les agriculteurs.
Les PTGE, qui s'articulent avec les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE), ont pour objectif de couvrir l'ensemble du territoire. Aussi, la conférence nationale de l'eau se tiendra au sein de chaque bassin.
M. Hervé Gillé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) L'été 2024 nous a montré l'urgence d'une gestion équilibrée et raisonnée de l'eau, ce qu'ont illustré à nouveau les épisodes tragiques en Espagne. La Gironde est également concernée.
Facilitons la pénétration naturelle de l'eau dans nos sols. Les nappes phréatiques sont des réserves naturelles ; leur recharge doit être notre priorité. Cela doit nous faire repenser l'aménagement du territoire. Certaines collectivités de Gironde l'ont fait : par exemple, Bordeaux a désimperméabilisé plusieurs hectares dans le quartier des bassins à flot, tandis que le projet de champ captant dans le Médoc, de 100 millions d'euros, a notamment été financé par l'agence de l'eau Adour-Garonne.
Les retenues collinaires permettent de stocker l'eau en surabondance. Elles doivent être bien pensées, et non pas être une solution de facilité. Il faut avant tout des procédures claires d'autorisation, obéissant à des délais raisonnables, et un suivi financier. Les contrats d'engagement réciproque doivent être développés pour tous les usages.
Nous devons aussi développer une stratégie hydrique. En milieu urbain, il faut mettre en place des systèmes de récupération et de réutilisation des eaux pluviales. Il faut aussi restaurer les zones humides et accompagner les agriculteurs vers des pratiques plus économes en eau. La préservation de l'eau, notamment dans les zones humides, est un enjeu de résilience territoriale.
La gestion des eaux pluviales doit être intégrée dans les documents d'urbanisme pour éviter les risques d'inondation et la perte de la ressource. Il faut améliorer la qualification hydrologique des zones. Cela permettrait de mieux gérer la ressource à l'échelle des territoires et de garantir une évacuation contrôlée des eaux pluviales.
La gestion de l'eau est non plus une question technique, mais de politique générale. Les événements de l'été 2024 nous ont montré qu'il fallait agir vite et intelligemment, notamment en faveur de la prévention.
Nous devrions consommer la totalité des 450 millions d'euros du fonds Barnier. Sans moyens financiers ambitieux, pas de politique de l'eau ambitieuse.
Du Varenne de l'eau au plan Eau et à la grande conférence nationale de l'eau, ne restons pas dans les incantations. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous l'avez dit, il est nécessaire de désimperméabiliser les sols, car c'est un facteur aggravant des inondations. C'est pourquoi il ne faut pas opposer la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) à d'autres politiques. Le ZAN est aussi une politique de protection des territoires et des populations, tout comme la politique relative aux zones humides.
À cet égard, les événements dramatiques de Valence, en Espagne, montrent l'étendue de nos responsabilités en matière de préservation du cycle de l'eau ; restons humbles avant tout.
Les documents d'urbanisme publiés en 2022 prévoient un plan d'intégration des eaux pluviales. C'est un premier point d'appui, cela prendra du temps ; les collectivités territoriales ont besoin d'accompagnement en ingénierie.
M. Pierre Jean Rochette . - (MM. Jean-François Longeot et Jacques Fernique applaudissent.) Nous sommes contraints d'accélérer nos transitions face au caractère irréversible du changement climatique.
Les défis liés aux sécheresses et aux tensions sur les usages nous rappellent que l'eau est une ressource précieuse. Le bilan de l'été 2024 montre la nécessité de trouver de nouvelles solutions pour bien gérer la ressource. Le Sud-Ouest a fait face à des déficits de précipitations suivis d'orages. Le Bassin parisien, les Hauts-de-France ou le Massif central, entre autres, ont subi des pluies diluviennes - nous en savons quelque chose dans mon département de la Loire.
Début septembre, tandis que vingt départements ont dû restreindre l'accès à l'eau, huit départements étaient placés en vigilance pluies et inondations par Météo-France. Nous devons apprendre à vivre avec ce paradoxe. Les tensions se multiplient pour l'accès à la ressource ; des arbitrages doivent être rendus.
La gestion de l'eau est un sujet crucial à l'échelle territoriale. Plusieurs leviers sont possibles pour une gestion plus efficace de la ressource : zones tampons, haies, enherbement, lacs, notamment.
J'insiste sur les retenues collinaires, chères aux agriculteurs de mon département. Utilisées depuis l'Antiquité, elles permettent de stocker l'eau de surface qui ruisselle.
Cette solution évite de pomper dans les nappes et répond aux différents besoins des territoires. C'est un outil majeur de prévention des catastrophes naturelles.
M. Philippe Folliot. - C'est vrai !
M. Pierre Jean Rochette. - Malheureusement, les tensions se sont aggravées entre besoins agricoles et préoccupations écologiques. N'opposons pas les deux.
À cela s'ajoute la complexité des démarches environnementales.
M. Laurent Burgoa. - Très juste !
M. Pierre Jean Rochette. - L'eau est un bien commun. Évitons les positions de principe. Les retenues collinaires sont une solution efficace et durable, pragmatique, et qui répond aux enjeux climatiques. Dans les territoires ruraux, les agriculteurs souhaitent une simplification de leur mise en oeuvre. (M. Philippe Folliot renchérit.)
Comment favoriser la mise en oeuvre de ces projets pour l'avenir de notre agriculture, et partant, de notre souveraineté agricole et alimentaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - J'ai vu les conséquences terribles des inondations dans la Loire : contrairement aux inondations lentes survenues dans le Pas-de-Calais, les embâcles ont subitement tout détruit sur leur passage, les cours d'eau sont sortis de leur lit, ravageant ainsi nombre de maisons.
Je salue le travail de nos forces de secours, évitant des décès ou des blessés graves.
Les retenues collinaires ne sont pas sans impact environnemental, notamment sur la biodiversité. C'est pour cela que nous les envisageons au sein des PTGE.
Dans le Pas-de-Calais, nous avons mis en évidence certains hiatus de nos réglementations, qui peuvent retarder des travaux de protection de la population et de la biodiversité. Nous devons collectivement avancer en ce sens.
M. Jean-Marc Boyer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il faut relever le défi de la gestion de l'eau pour assurer un partage équitable et raisonné au bénéfice des générations futures. Cinq conditions sont nécessaires.
Premièrement, évaluer. Il est impératif d'avoir une connaissance la plus fine possible de la ressource en eau.
Deuxièmement, protéger pour assurer la qualité de l'eau selon les usages envisagés. Les normes sont différentes selon la finalité. Des mesures de sobriété s'imposent pour anticiper sur les sécheresses futures.
Troisièmement, rationaliser. Le rendement des captages doit être sécurisé. Les fuites sont inacceptables ; nous devons faire des diagnostics de réseaux et des travaux pour optimiser le rendement.
Quatrièmement, connecter : il faut partager la ressource équitablement entre les différents acteurs. Les solutions sont locales, entre les différents acteurs. Dans le Puy-de-Dôme, un pacte territorial entre la société Volvic et un gestionnaire d'eau potable a sécurisé la ressource. Mais cette solidarité ne doit pas se faire aux dépens de l'autonomie des collectivités territoriales. C'est l'objet de la proposition de loi Eau et assainissement, avec la suppression du transfert obligatoire des communes vers les intercommunalités de cette compétence.
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. - Cinquièmement, stocker. C'est une logique de bon sens paysan. Nous devons stocker en période de hautes eaux, car les sécheresses sont plus longues, les pluies plus fréquentes et violentes. Les retenues collinaires, les bassines, voire les mégabassines, personne n'en a parlé jusqu'ici, ...
M. Ronan Dantec. - Si !
M. Jean-Marc Boyer. - ... mais ce ne sont pas des termes tabous.
Après avoir évalué, protégé, rationalisé, connecté et stocké, nous devons agir en solidarité. Le défi du changement climatique est de faire évoluer nos pratiques et de déployer des solutions complémentaires pour plus de sobriété et de résilience dans l'usage de la ressource. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Philippe Folliot et Pierre-Jean Rochette applaudissent également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous avez décrit par le menu la politique que nous devons mener.
M. Laurent Burgoa. - Il peut être ministre ! (M. Rémy Pointereau renchérit.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous appelons les bassines « retenues de substitution » : la terminologie permet de mettre du liant entre les acteurs.
Nous devons nous assurer du partage de l'eau en aval. En outre, le prélèvement ne doit pas affaiblir la vulnérabilité existante d'un territoire. Mais, dans l'absolu, n'ayons pas de tabou sur les infrastructures.
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - (M. Ludovic Haye applaudit.) Je me félicite de ce débat, qui nous oblige comme citoyens et législateurs. La gestion de l'eau est vitale pour notre planète et pour l'espèce humaine.
Trop souvent, nous prenons cette ressource pour acquise et la considérons comme éternelle.
L'accès à l'eau et sa gestion sont des enjeux majeurs dans le contexte du changement climatique.
Les rapports du Giec ont rappelé que chaque degré de réchauffement accroît les risques de sécheresses et d'inondations. Or ces événements sont de plus en plus fréquents et intenses ; en témoigne la fermeture de nombre d'écoles en Guyane : les embarcations ne peuvent plus naviguer sur le Maroni, un pont aérien de l'armée a été mis en place pour ravitailler les habitants.
Cet été, près de 40 départements ont été touchés par des mesures de restrictions d'eau. Dans le sud-est de la France et en Bretagne, le niveau des nappes phréatiques a baissé. Les besoins sont supérieurs aux capacités d'approvisionnement.
D'ici à 2050, les débits moyens annuels pourraient diminuer de 10 à 40 % et la vitesse de recharge des nappes devrait baisser de 10 à 25 %. L'humidité des sols devrait elle aussi se réduire.
Préserver la ressource est une priorité. Faisons évoluer les habitudes et réutilisons l'eau.
Plusieurs initiatives ont vu le jour : le rapport d'information sur la gestion durable de l'eau prônait la réutilisation des eaux usées au profit de l'agriculture et de l'industrie.
Selon la Commission européenne, près de 40 milliards de mètres cubes sont traités chaque année dans l'Union, mais moins de 1 milliard de mètres cubes est réutilisé ; après leur passage en station d'épuration, 99 % des eaux usées sont rejetées dans le milieu naturel en France. Le Plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau a ainsi prévu de réaliser 10 % d'économies d'eau en 2030.
Réutiliser l'eau est crucial, notamment pour assurer la résilience de l'industrie et de l'agriculture. Madame la ministre, que ferez-vous pour atteindre cet objectif ?
Comment améliorer la gestion des réseaux d'eau ? Les fuites sont dues à des infrastructures vieillissantes : pour 5 litres d'eau mis en distribution, 1 litre retourne au milieu naturel sans passer par le consommateur.
Je pense aux Guadeloupéens : depuis des mois, plusieurs territoires sont privés d'accès à l'eau potable. Soutenez financièrement les collectivités territoriales et les syndicats mixtes pour améliorer les réseaux de distribution, notamment en zone rurale. Quels engagements pouvez-vous prendre en la matière ?
Chaque goutte compte, il est crucial de renforcer la sensibilisation du grand public, surtout la jeune génération. La rareté de l'eau nous impose de changer de paradigme. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Ludovic Haye applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Le cas des territoires ultramarins doit être étudié de manière prioritaire. Mayotte subit une crise épouvantable d'accès à l'eau potable ; en Guyane, il y a trop ou pas assez d'eau ; en Guadeloupe, certains réseaux connaissent 60 % de fuites...
Le précédent gouvernement avait engagé un plan Eau pour les départements d'outre-mer avec des moyens financiers qui sont en cours de déploiement.
Nous souhaitons renforcer la prise en compte de ces territoires avec François-Noël Buffet. Ce sera l'un des enjeux du prochain comité interministériel des outre-mer (Ciom), avec l'assainissement et la gestion des déchets, notamment.
M. Simon Uzenat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les tensions politiques et sociales s'exacerbent autour de l'eau, parce que la ressource se raréfie. Nous avons perdu 32 milliards de mètres cubes d'eau et pourrions en perdre 50 milliards supplémentaires dans les années à venir, sous l'effet du réchauffement climatique. La question de la qualité se pose aussi.
Ces phénomènes ont des incidences sur les citoyens, mais aussi les acteurs économiques. Ils sont au coeur du rapport sur les entreprises et le climat que j'ai coécrit avec Lauriane Josende et Brigitte Devésa. Sur la réutilisation des eaux usées traitées, par exemple, nous avançons, mais trop lentement.
Nous avons besoin de plus de démocratie et de moyens à la hauteur. L'assemblée bretonne de l'eau est un contre-exemple de Sainte-Soline. La situation bretonne est singulière, avec 75 % de l'eau potable provenant de l'eau de surface et des problématiques insulaires.
Nous sommes très inquiets sur les polluants éternels (M. Ronan Dantec renchérit), à l'instar du TFA (acide trifluoroacétique). Or l'Anses ne semble pas avoir été saisie, alors même que l'Agence européenne de santé a reconnu cette substance comme cancérogène et que l'Allemagne l'a interdite. Qu'en est-il ?
Le Sénat a adopté une proposition de loi sur les PFAS (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées). Quid de la mise en oeuvre du principe pollueur-payeur, notamment pour les firmes pétrochimiques ?
La Bretagne est volontaire pour le plan zéro-phyto à l'horizon 2040. Mais les annonces de votre Gouvernement et celles de la Commission européenne ne laissent pas d'inquiéter.
La région Bretagne est aux côtés de l'État pour cofinancer le plan de lutte contre les algues vertes sur les huit baies concernées. Alors que 2025 marquera la mi-parcours du plan d'action dans ce domaine, quelles sont vos intentions ? Nous avons besoin de moyens à la hauteur, notamment d'agents de contrôle.
L'assainissement, collectif et non collectif, a aussi des impacts, notamment sur les activités conchylicoles. La région Bretagne, là aussi, est à la manoeuvre, en accompagnant les foyers les plus modestes, mais il faudra aussi des moyens de l'État.
Les agences de l'eau et les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) doivent être rassurés sur le financement du grand cycle de l'eau et des haies bocagères, de même que les collectivités territoriales sur la gestion des réseaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous suivons les recommandations de la Commission européenne, qui autorise ou interdit une substance. Par construction, si une substance est interdite en Europe, elle l'est en France. On nous a plutôt reproché, ces dernières années, d'aller plus vite que la musique, il me semble...
Un travail est en cours sur des alternatives aux phytosanitaires. Souvent, cela passe par des changements d'itinéraires techniques. En dix ans, nous avons déjà supprimé 98 % des phytosanitaires classés comme dangereux.
Le plan interministériel pour la réduction des PFAS comprend un volet destiné à mieux connaître ces substances, inégalement dangereuses et que l'on retrouve aussi dans des médicaments ou certains matériaux utilisés, par exemple, dans l'aéronautique.
M. Simon Uzenat. - Avant même l'interdiction, l'Agence européenne reconnaît le caractère de perturbateur endocrinien du TFA. L'Allemagne a interdit son usage. Or l'Anses indique qu'elle n'a pas été saisie. Il faut faire prévaloir le principe de précaution.
En mai dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi sur les PFAS. Quand sera-t-elle examinée à l'Assemblée nationale ?
Le groupe SER du Sénat est à l'initiative d'une commission d'enquête sur la qualité de l'eau : nous aurons donc l'occasion de vous entendre plus longuement sur ces sujets.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La gestion de l'eau occupera une part croissante des travaux de notre assemblée dans les années à venir, car l'eau est l'un des plus puissants marqueurs du changement climatique. Le groupe Les Républicains a donc fait oeuvre utile en suscitant ce débat essentiel.
Le rapport Explore2 nous invite à préparer sans tarder notre résilience hydrique. La ressource en eau renouvelable a diminué de 14 % ces dernières années et, d'ici à la fin du siècle, le débit des cours d'eau diminuera en moyenne de 30 % - jusqu'à 50 % pour certains.
L'été 2024, clément, ne doit pas nous leurrer : la pluviométrie est en train de se modifier et la France ne bénéficiera plus de la même ressource en eau dans les années à venir. Les enjeux hydriques montent à mesure que les nappes phréatiques baissent.
Nous devons anticiper, pour que les stress hydriques et les inondations ne nous prennent pas au dépourvu, et renforcer la concertation pour prévenir les conflits d'usages et établir un nouveau contrat social de l'eau.
Le modèle français de gestion de l'eau, copié par de nombreux pays, est fondé sur le bassin hydrographique ; les agences de l'eau s'occupent de la résilience hydrique ; la démocratie de l'eau vit au sein de structures, sans doute trop nombreuses, mais qui ont permis à notre pays de traverser beaucoup de crises. Cette architecture est robuste, mais il faut la renforcer encore et la rendre plus efficiente.
Le plan Eau prépare la France à la nouvelle donne climatique, même si, rigueur oblige, les investissements ont été réduits pour 2025. Ils devraient reprendre en 2026. Nous déplorons le prélèvement sur recettes de 130 millions d'euros au détriment des agences de l'eau, à rebours du principe « l'eau paye l'eau ».
Modernisons nos réseaux pour limiter les fuites, améliorons la réutilisation des eaux usées et encourageons la sobriété. La facture d'eau doit refléter davantage la rareté de la ressource et le principe pollueur-payeur imprégner davantage la gestion de l'eau. Renforçons aussi la conciliation des usages en période critique.
Quels seront le format, les objectifs et les débouchés de la grande conférence nationale sur l'eau annoncée par le Premier ministre ? Le Sénat veillera à ce que celle-ci aboutisse à des résultats concrets pour les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - L'ambition du plan Eau n'est pas réduite. Le prélèvement de 130 millions d'euros touchera la trésorerie des agences ; vous aurez prochainement l'occasion d'en discuter. Le douzième programme intègre bien toutes les actions du plan Eau.
L'objectif de la conférence nationale est de décliner dans les bassins les grands enjeux de la gestion de l'eau - tarification, gouvernance, entre autres. Chaque territoire pourra ajouter des questions spécifiques, comme la désalinisation en zone littorale. La conférence nationale devrait être lancée mi-décembre, pour le 60e anniversaire de la loi sur l'eau, puis les débats territoriaux auraient lieu de janvier à juin 2025. Ce processus pourra déboucher sur des ajustements de la loi Eau, mais aussi d'autres mesures : gouvernance, mobilisation des PTGE, tarification.
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Si l'été 2024 a été pluvieux, les signes de stress hydrique se multiplient depuis plusieurs années. Il est de plus en plus essentiel de garantir l'accès à l'eau pour tous. Ce sujet me tient particulièrement à coeur, en tant que coautrice du rapport « Éviter la panne sèche », avec Cécile Cukierman et Jean Sol.
La France doit faire face aux enjeux grandissants liés à cette ressource précieuse. Le changement climatique bouleverse la gestion de l'eau, fragilisant l'équilibre naturel de nos réserves. Mais si le constat est préoccupant, une gestion plus durable est possible, moyennant des efforts notables.
Notre rapport recommande plusieurs mesures pour anticiper les difficultés à venir et assurer l'avenir serein de notre gestion : retenues d'eau multi-usages, restauration des zones humides, recherche dans le domaine de la réutilisation des eaux usées traitées. Il faut aussi repenser les systèmes de culture, car l'agriculture consomme les deux tiers de la ressource.
Ces changements impliquent des efforts financiers, notamment une hausse des moyens des agences de l'eau.
Je conclurai en soulignant l'importance de l'éducation. Il est essentiel de sensibiliser, à tout âge, à la valeur de l'eau.
Le tableau est complexe, mais il n'est pas apocalyptique. La France peut relever les défis avec intelligence et anticipation, à condition de prendre des décisions courageuses. Notre rapport offre une feuille de route ambitieuse mais réaliste pour que l'eau reste une ressource accessible à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - On trouve beaucoup de résonances entre votre rapport et le plan Eau.
Je pense par exemple au développement d'un usage plus sobre de l'irrigation en matière agricole - le goutte-à-goutte.
Oui, l'éducation et la formation sont un sujet essentiel, notamment dans l'accompagnement des jeunes agriculteurs.
En Espagne ou en Israël, chaque goutte d'eau est réinjectée dans le système, afin de ne rien perdre. Telle est l'approche que nous devons ancrer dans notre pays.
M. le président. - Veuillez poursuivre pour votre conclusion.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques . - J'inscris mes pas dans ceux de mon prédécesseur, Christophe Béchu, qui a lancé le plan Eau, reposant sur cinq chantiers.
Nous voulons d'abord protéger les captages d'eau potable. Dès qu'une molécule est problématique, elle devient pertinente pour le suivi : c'est le cas du TFA. Un tiers des captages ont été abandonnés ces quarante dernières années, faute de qualité suffisante. Plusieurs centaines de milliers de personnes dépendent parfois d'un seul captage. L'objectif est d'améliorer nos connaissances sur ces polluants pour les réduire. Cela passe par le plan Écophyto, un guide à destination des préfets et des outils financiers pour accompagner le changement de pratiques.
Le deuxième chantier est l'amélioration de la gestion de l'eau et de l'assainissement en outre-mer.
Troisième chantier : la gestion quantitative. Nous nous inspirons des travaux de la mission d'information de MM. Pointereau et Gillé en matière de sobriété et de partage des usages et d'optimisation de la disponibilité. Certains agriculteurs qui n'irriguent pas actuellement y seront peut-être contraints demain, il faut l'anticiper - c'est le cas chez moi, dans le Pas-de-Calais. Des réserves pourront être construites dans des territoires en déséquilibre quantitatif. Il faudra y développer un PTGE ou un schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage).
Quatrième chantier, le financement du plan Eau, que nous entendons doubler, notamment en travaillant sur la redevance de l'eau.
Enfin, le dernier chantier est la conférence nationale sur l'eau annoncée par le Premier ministre. Je travaillerai avec l'ensemble des acteurs de la gouvernance de l'eau, un système que l'on nous envie. À Riyad, dans le cadre du One Water Summit, nous défendrons dans quelques jours la nécessité d'améliorer la gouvernance mondiale de l'eau.
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me réjouis que le groupe Les Républicains ait pris l'initiative de ce débat, qui a été riche.
L'eau, c'est la vie, pour les hommes comme pour la biodiversité animale et végétale. Sécheresses et inondations dramatiques se multiplient avec le changement climatique. En 2024, la pluviométrie n'a jamais été aussi abondante depuis les années 2000 - sauf dans les Pyrénées-Orientales, cher Jean Sol... Cette situation favorable n'est peut-être qu'un répit, mais elle relativise les prévisions catastrophistes.
Il faut retenir l'eau quand elle est abondante et créer des bassins d'orage pour écrêter les crues. Nous avons présenté un rapport d'information sur la gestion de l'eau avec Hervé Gillé ; avec Jean-Yves Roux, nous lançons une mission d'information sur la compétence Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Le Sénat aborde donc tous les aspects du problème, le manque comme l'excès d'eau.
Les agences de l'eau ont fait leurs preuves depuis 1964 : fondées sur la subsidiarité, elles ont permis d'assurer les besoins en eau de tous les acteurs locaux. Hélas, la politique de l'eau est devenue illisible : comités de bassins, Sage, PTGE, Papi, préfet coordonnateur de bassin, comité national de l'eau... C'est un labyrinthe crétois ! Qui peut encore identifier le décideur ? Cette organisation technocratique et chronophage jette le doute sur la capacité des élus à gérer la ressource et remet en question leur légitimité.
La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) finance les travaux d'eau et d'assainissement davantage que les agences de l'eau, qui financent des études technocratiques parfois inutiles.
Nous devons prioriser l'accès à l'eau potable, puis la souveraineté alimentaire. Le volume d'eau perdu à cause des fuites s'élève à 1 milliard de mètres cubes par an. Cela tempère le tollé des écologistes radicaux : c'est l'équivalent de 2 000 réserves de substitution, soit 500 000 hectares de cultures irriguées (M. Ronan Dantec s'exclame), sachant que nous avons seulement 6,8 % de cultures irriguées. Nous devons aussi réutiliser les eaux usées traitées.
Les enjeux sont nombreux : nous avons besoin d'une loi sur l'Eau II, ambitieuse et concrète, dans un esprit de simplification. Michel Barnier l'a appelée de ses voeux dans son discours de politique générale. ?uvrons ensemble à une politique de l'eau durable et tournée vers l'avenir, sans idéologie mais avec pragmatisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Ludovic Haye applaudit également.)
Prochaine séance demain, mercredi 13 novembre 2024, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 25.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 13 novembre 2024
Séance publique
À 15 heures, de 16 h 30 à 20 h 30 et le soir
Présidence : M. Loïc Hervé, vice-président, Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente M. Didier Mandelli, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy
1. Questions d'actualité
2. Proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère (n°530, 2023-2024)
3. Proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces, présentée par M. Christian Bilhac et plusieurs de ses collègues (n°628, 2023-2024)
4. Débat sur le thème : « Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques » (demande du RDSE)