Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? », à la demande du groupe Les Républicains.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Médevielle applaudit également.) Alors qu'un nouveau cycle s'ouvre pour l'Union européenne, il est temps de s'interroger sur l'influence que peut exercer la France. La reconduction d'Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne ne saurait signifier un statu quo. En 2019, elle promettait une Commission « géopolitique » : reconnaissons que le précédent cycle a largement mis l'Union et ses États membres à contribution.
La donne politique a changé : il faut compter avec le poids nouveau des droites souverainistes et populistes au Parlement européen.
Les défis se posent en des termes nouveaux. Les rapports Letta et Draghi invitent l'Union européenne à faire des efforts considérables pour être au rendez-vous de la transition climatique et de l'autonomie stratégique. Le soutien américain à l'Ukraine n'est plus assuré depuis la nouvelle élection de Donald Trump. L'immigration illégale n'est plus tolérée par nos concitoyens. Les politiques industrielles agressives de Pékin et Washington nous mettent dos au mur. Le populisme, qui se nourrit de la défiance envers la construction européenne, ne cesse de monter.
Nous sommes à la croisée des chemins, mais il n'y a pas de fatalité. Le chemin est connu : il faut agir vite et fort. Or le moteur franco-allemand est à la peine : la coalition outre-Rhin implose, et notre pays, fragilisé, a perdu de son influence.
Au Parlement européen, c'est le Rassemblement national qui compte la délégation la plus fournie, avec trente eurodéputés.
À la Commission européenne, déboires également : la veille de l'annonce des candidats aux postes de commissaire, Thierry Breton annonçait qu'il ne serait finalement pas du nouveau collège, et l'Élysée proposait in extremis la candidature de Stéphane Séjourné. Cette situation inédite pour un grand pays traduit la faiblesse de la France.
La place de la France semble préservée, voire renforcée, puisque Stéphane Séjourné serait nommé vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle - mais il n'aura la tutelle que de la direction générale du marché intérieur, quand Thierry Breton chapeautait trois directions générales. Son rôle de coordination n'est pas très clair, certains commissaires étant sous la tutelle de plusieurs vice-présidents, d'autres relevant en même temps d'un vice-président et de la présidente.
La nouvelle composition du collège reflète un basculement vers l'Est : le budget revient au commissaire polonais ; la politique extérieure et de sécurité commune (Pesc) à l'Estonie ; la défense et l'espace, à la Lituanie. Le Sud n'est pas oublié : l'Espagne hérite d'un large portefeuille consacré à la transition verte et l'Italie, de la cohésion et des réformes.
Le passage de trois à six vice-présidents diluera leur poids respectif ; le pouvoir de la présidente s'en trouve augmenté. Alors qu'elle n'est en théorie que le primus inter pares, celle-ci se positionne en chef d'un « gouvernement de l'Europe ». Quelle sera la cohérence de son action ?
Quel commissaire sera en charge du renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne ? La question se pose, au vu des divergences entre États membres sur l'industrie de défense et le lien transatlantique. Idem sur l'énergie nucléaire.
On s'étonne aussi de voir le commissaire chargé de l'énergie être chargé également du logement - qui n'est pas une compétence de l'Union.
Nous serons vigilants sur le respect du principe de subsidiarité et la prise en compte des réalités de terrain. Notre commission des affaires européennes examinera deux recommandations visant, en matière européenne, à faire mieux et moins. Je déposerai également une proposition de loi pour instaurer un contrôle parlementaire sur la nomination des membres français des institutions européennes, dont la Commission. Les parlementaires nationaux ont une responsabilité en matière européenne, si nous voulons que l'Union soit synonyme d'espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Pierre Médevielle applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe. - Oui, les parlementaires jouent un rôle important dans le débat européen. La reconduction de la présidence de la Commission européenne ne vaut pas statu quo. L'élection américaine aura des conséquences sur la relation transatlantique, la sécurité de l'Europe, la guerre en Ukraine. Il faut agir vite et fort pour renforcer la prospérité, la compétitivité et la BITD européenne.
L'influence de la France ne se décrète pas ; elle se construit, progressivement et avec humilité. Les thèmes du discours de la Sorbonne du Président de la République, en 2017, ont été repris dans les priorités de la Commission. Souveraineté technologique, défense, nucléaire, politique commerciale : une Europe moins naïve est en train d'éclore, mais nous devons aller plus vite et plus loin.
Stéphane Séjourné travaillera avec tous les commissaires. La future commissaire Kaja Kallas avait fait siennes les propositions françaises sur les dettes communes européennes quand elle était Premier ministre - preuve qu'il y a des convergences, des coalitions à aller chercher avec nos partenaires. C'est ainsi que nous bâtirons notre influence.
Mme Nadège Havet . - « L'Europe peut prendre son destin en main quand elle est unie », a rappelé Ursula von der Leyen à Budapest, jeudi dernier. Voulons-nous lire l'Histoire écrite par d'autres - les guerres de Poutine, les élections américaines, les choix chinois - ou voulons-nous l'écrire ? La position du Président de la République n'a pas varié. En avril, il avertissait que « l'Europe est mortelle » et appelait à bâtir une défense crédible, une Union plus souveraine et plus puissante.
La France a joué un rôle clé dans le plan de relance post-covid, soutenu par les socio-démocrates espagnols et les Verts français ; elle a obtenu que la taxonomie verte inclue le nucléaire ; elle a oeuvré pour le pacte asile et migration, soutenu par Pedro Sanchez et la gauche allemande - mais rejeté par la gauche française.
Valérie Hayer l'avait constaté, LFI également : les socialistes français sont si proches du centre, si loin de la gauche radicale ! Vous avez d'ailleurs voté pour Ursula von der Leyen. Il n'est plus possible d'avoir un visage à Bruxelles et un autre à Paris. Jouons collectif.
Ursula von der Leyen a dévoilé sa nouvelle équipe en septembre ; je salue le travail de Thierry Breton pendant cinq ans. J'assure Stéphane Séjourné, chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, des PME et du marché unique, de l'entière confiance de notre groupe.
Nous devons également peser sur d'autres dossiers. Notre position sur l'Ukraine doit être celle de l'Union : nous avons un intérêt commun à ce que la Russie ne gagne pas. La victoire de Trump impose à l'Europe de prendre son destin en main.
La France s'oppose au Mercosur, qui ferait exploser la déforestation et serait dévastateur pour nos éleveurs. Menée par la France, la résistance s'organise en Europe - contre l'Allemagne qui plaide pour une signature rapide, sans compensation.
Sur le volet migratoire, le Conseil européen a adopté la position française. Les ministres de la justice et de l'intérieur sont d'accord pour réviser la directive Retour. La France, l'Allemagne et l'Espagne ont obtenu l'entrée en vigueur du pacte sur la migration et l'asile dès 2025.
Sur la compétitivité, le rapport Draghi prône des réformes d'ampleur et chiffre à 800 milliards d'euros par an le besoin d'investissement supplémentaire, pour résister à la guerre commerciale qui s'annonce. Il plaide également pour des emprunts communs pour investir dans la transformation écologique - idée soutenue par la France, mais combattue par l'Allemagne. Mon groupe y est évidemment favorable. Il faudra convaincre les États dits frugaux, comme lors du plan de relance.
Le rapport Draghi plaide, enfin, pour des commandes communes en matière de défense et des règles de préférence européenne, avec la nomination d'un commissaire européen à la défense. L'Europe investit trois fois moins que les États-Unis, mais ses équipements sont équivalents ou supérieurs. L'Europe est face à son destin.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je partage vos constats. C'est à nous d'investir dans notre autonomie stratégique, dans notre souveraineté, dans notre défense, dans la protection de nos frontières, dans notre politique commerciale. Telle est la leçon des élections américaines.
Sur le Mercosur, la position du Gouvernement est très claire. Le traité n'est pas acceptable en l'état : il ne respecte ni l'équité commerciale, ni les clauses miroirs, ni nos standards environnementaux. Nous travaillons à constituer une minorité de blocage.
M. Ahmed Laouedj . - Hasard du calendrier, les changements institutionnels européens coïncident avec le retour au pouvoir de Donald Trump. Il nous faut adapter nos stratégies politiques à cette nouvelle réalité. La réélection de Trump aura des conséquences en Ukraine et au Proche-Orient, mais aussi sur le commerce international, les négociations climatiques et les relations diplomatiques. Face au retour de l'America First, l'agenda européen doit être juste, inclusif et démocratique.
Les États membres de l'Union doivent parler d'une seule voix, dans un contexte où l'individualisme de certains met à mal nos fondements. La France et l'Allemagne doivent s'unir dans une coopération renforcée pour éviter d'affaiblir l'Union à l'échelle internationale.
Travaillons à une Europe forte, sûre, prospère, libre et démocratique. En particulier, parlons d'une seule voix dans le domaine de l'environnement. Ainsi de la défense du Pacte vert lors de la COP29 à Bakou.
Sur le plan sécuritaire, alors que l'Europe est menacée par des tentatives de déstabilisation croissantes, elle doit affirmer son rôle d'acteur stratégique. La coopération au sein de l'Otan doit se renforcer.
L'Union européenne doit gagner en compétitivité et en attractivité, comme le préconise le rapport Draghi. Faisons confiance à nos entreprises, valorisons-les, permettons-leur d'innover.
Comment ne pas évoquer la perte d'influence de notre pays au sein de la nouvelle Commission européenne, comme le montrent les priorités de l'agenda 2024-2029 ? Le portefeuille de Stéphane Séjourné est moins épais que celui de son prédécesseur, même s'il a été nommé vice-président. La politique de la concurrence lui échappe, et de nombreux domaines font l'objet de co-supervisions. La France n'aura plus la main ni sur la défense, ni sur l'espace, ni sur l'énergie et devra sans cesse négocier avec ses partenaires.
Malgré cela, notre pays restera fort et saura faire valoir ses positions, j'en suis convaincu ; nous y veillerons. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Soyez-en assuré, la France restera forte et influente au sein de l'Union. Elle pousse notamment les ambitions climatiques et environnementales - ainsi des investissements du Green Deal ou du plan NextGenerationEU, qui prévoit un investissement massif dans les énergies renouvelables, ou de la reconnaissance du nucléaire comme énergie décarbonée.
M. François Bonneau . - Lors du dernier débat préalable au Conseil européen, j'avais interrogé le Gouvernement sur le départ de Thierry Breton de la Commission européenne. Faute d'avoir obtenu une réponse, je réitère ma question ce soir.
Le Président de la République souhaitait que le portefeuille de notre nouveau commissaire soit plus large que celui de Thierry Breton, en incluant la recherche, le commerce, voire l'énergie. Mais Ursula von der Leyen a posé un ultimatum : soit Thierry Berton était maintenu à son poste, soit la France proposait un nouveau commissaire, sans doute plus docile, pour obtenir un périmètre plus large. Nous connaissons la suite... Un tel désaveu nous conduit à nous interroger sur le poids de la France au sein de l'Union européenne.
Stéphane Séjourné a été auditionné cet après-midi par les quatre commissions compétentes du Parlement européen. Son portefeuille comprend la prospérité et la stratégie industrielle, mais non les industries de défense.
Or notre BITD est un enjeu essentiel. L'industrie française de défense a le vent en poupe, l'Insee l'a constaté. Face à la montée des tensions géopolitiques, c'est presque une économie de guerre qui se développe en Europe.
En France, la BITD regroupe près de 2 000 entreprises. Selon le Kiel Institute, Paris a contribué à hauteur de 2,69 milliards d'euros à l'effort de guerre en Ukraine.
Notre BITD dépend de notre souveraineté - et réciproquement. Elle est très efficace, mais le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), qui doit améliorer la compétitivité de la BITD européenne, interroge : l'Union souhaiterait faire appel à des industries non européennes ; le départ de Thierry Breton n'est pas étranger à ce problème.
Il est de votre devoir d'assurer à la France une place digne de notre nom dans la future Edip. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Pierre Médevielle et Jean-Luc Ruelle applaudissent également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Le contexte géopolitique rend encore plus urgent le développement d'une BITD européenne.
Nos positions sont claires : les financements européens doivent soutenir, en priorité, une industrie de défense européenne autonome, pour assurer le développement de notre autonomie stratégique ; nous en avons parlé avec l'équipe du commissaire désigné Andrius Kubilius.
Ce soutien doit se traduire par plus d'innovation, de réindustrialisation et d'emplois européens. C'est pour nous une priorité.
Mme Silvana Silvani . - Alors que 100 millions d'Européens ont faim et ont du mal à se loger et se chauffer, Ursula von der Leyen a décidé que l'Union européenne, pour la première fois de son histoire, n'aurait plus de commissaire à l'emploi et aux affaires sociales ; celui-ci est remplacé par un commissaire chargé de l'état de préparation et de la gestion de crise. On passe d'une logique de prise en charge collective à une logique individuelle de responsabilité personnelle dans le rapport au travail.
La création d'un commissaire à la défense est inédite.
Les défenseurs de la construction européenne évoquent toujours l'Europe sociale et l'Europe de paix. Mais le volet social se dégrade, et la défense s'est substituée à la paix. La nomination d'Andrius Kubilius en tant que commissaire à la défense lève les masques : l'Union européenne se prépare à faire la guerre, tout en restant subordonnée à l'Otan.
Elle a intensifié son soutien à l'Ukraine, mais pour quel résultat ? Alors qu'aucune perspective de paix ne se profile, toutes les lignes rouges de précaution se diluent ; ainsi de l'autorisation d'utiliser notre équipement militaire contre des cibles en Russie. La perte de maîtrise de ce conflit risque d'aboutir à une Troisième Guerre mondiale.
Cette dérive belliciste ne se limite pas aux frontières de l'Union européenne.
Au Proche-Orient, sous prétexte de l'attachement de l'Union à la sécurité d'Israël, le Conseil européen souhaite poursuivre l'accord commercial avec ce pays, ce qui équivaut à cautionner les crimes de masse et en série du gouvernement Netanyahu.
Sous la pression des États-Unis, l'Union européenne détériore ses relations commerciales avec la Chine en usant de la rhétorique de l'indépendance de Taïwan. Au Parlement européen, le récent débat sur la mauvaise interprétation de la résolution 2758 des Nations unies met en cause le principe d'une seule Chine.
Plutôt que d'agir dans le sillage de la communauté internationale en choisissant la coopération et la diplomatie, le bloc des Vingt-sept continue sa dérive belliciste en multipliant ses visites et ses exercices en mer de Chine méridionale. Les peuples européens, voilà les grands perdants !
Ursula von der Leyen a estimé que les États membres devront investir plus de 500 milliards d'euros dans la défense dans les années à venir. Si la force des armes est inévitable dans le monde actuel, le surarmement n'a jamais conduit à autre chose qu'à l'abîme.
Les remèdes au déclassement proposés par la nouvelle Commission européenne sont loin de nous convaincre !
Les règles budgétaires du programme de stabilité (PStab) nous conduisent à des contraintes austéritaires contre nos services publics, alors que les crédits en faveur de la défense augmentent.
Le commissaire à la défense propose d'aligner notre plan de production industrielle sur les exigences de l'Otan.
Pour que l'Union échappe au déclassement, nous devons remettre en cause le concept de sécurité fondé uniquement sur les dépenses d'armement ou de défense. Cessons d'ignorer que les insécurités alimentaires, énergétiques, climatiques et que l'absence de partage de gouvernance politique sont au coeur de tous les conflits. Notre pays devrait contribuer à ce réveil. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Vous parlez de dérive belliciste de l'Union européenne, mais c'est plutôt le comportement de la Russie qui l'est, madame la sénatrice ! Lorsque nous participons à des opérations de sécurité en mer de Chine, c'est justement pour éviter la guerre.
Je vois une contradiction à critiquer notre appartenance à l'Otan d'un côté et à refuser d'augmenter notre budget de défense de l'autre. À un moment, il faut choisir ! Si nous voulons être autonomes pour demeurer un espace de paix et de sécurité, il faut nous en donner les moyens. Cela passe par la prise en compte des considérations militaires dans les priorités de l'Union européenne.
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La nouvelle Commission européenne portera une immense responsabilité : répondre ou non aux défis existentiels, au premier rang desquels l'urgence climatique.
Or la domination des forces libérales et conservatrices, dont témoigne la présence d'un commissaire d'extrême droite, est un signal préoccupant. Nous sommes inquiets de la subordination du Pacte vert aux impératifs de compétitivité industrielle : on parle non plus de transition écologique, mais de transition propre. Ce glissement sémantique pose problème.
Or la responsabilité de la France et de l'Europe est immense. Si nous n'agissons pas, nous risquons un monde à plus 3 ou 4 degrés.
La France ne peut se contenter de célébrer l'obtention d'une vice-présidence exécutive au portefeuille flou. Cette approche fondée sur le seul fait du prince est dépassée. La France doit être motrice d'une réorientation écologique de la Commission, avec trois exigences.
Tout d'abord, elle doit garantir l'ambition environnementale de l'Union européenne, et ne pas vider le Pacte vert de sa substance : elle doit défendre des objectifs contraignants de sortie des énergies fossiles.
Ensuite, la transition écologique doit être socialement juste : envisageons la création d'un fonds social climat doté de moyens réels.
Enfin, la France doit défendre une vision de l'Europe comme projet politique, démocratique et fédéral, et pas seulement comme marché ou puissance industrielle.
Monsieur le ministre, vous avez sans doute lu la tribune signée par 600 parlementaires français, qui estiment que les conditions de l'accord avec le Mercosur ne sont pas réunies. Or la Commission envisage de passer en force, en scindant l'accord : cela constituerait un dangereux précédent et favoriserait la déforestation et l'agriculture intensive. La Commission européenne saborderait alors sa propre crédibilité en matière de changement climatique et irait à l'encontre des opinions publiques du continent.
Le soutien à l'Ukraine est une nécessité absolue face à l'agression russe, alors que le rôle joué par les États-Unis devient incertain.
Mais une vision plus large de la sécurité européenne s'impose : nous devons intégrer les enjeux climatiques, sanitaires et alimentaires.
En renforçant les énergies renouvelables, nous augmenterons notre indépendance énergétique.
Face à un président américain climatosceptique, l'Union européenne doit affirmer son autonomie, sa solidarité et ses valeurs.
Elle doit protéger ses citoyens et son environnement, investir et renforcer sa cohésion sociale. Nous devons accélérer la transition vers une économie décarbonée et circulaire. L'Union européenne ne peut plus se permettre d'être suiviste.
La France a la responsabilité de montrer qu'une autre Europe est possible, une Europe de la transition écologique, du respect de la démocratie, des droits fondamentaux, de la justice sociale. Portez cette voix, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Didier Marie applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - J'abonde dans votre sens sur le Mercosur : nous voulons plus d'équité commerciale et de respect de l'environnement. De même sur le soutien à l'Ukraine.
La mandature précédente s'est fixé des objectifs ambitieux en matière de transition environnementale ; à nous de les mettre en oeuvre.
Il faut investir dans la décarbonation du continent, enjeu d'innovation, d'autonomie stratégique et d'indépendance. Nous devons investir dans les énergies renouvelables, bien sûr, mais aussi dans le nucléaire. (Mme Mathilde Ollivier le conteste.)
C'est à nous de faire respecter ces normes environnementales dans nos accords commerciaux. C'est l'objet de la taxe carbone aux frontières, en cours de mise en oeuvre.
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous sommes prêts à travailler dans un esprit de compromis avec la nouvelle Commission européenne, malgré nos inquiétudes : alors qu'elle a été réélue par une alliance proeuropéenne, la présidente de la Commission européenne a nommé un proche de Giorgia Meloni comme vice-président.
Ursula von der Leyen a divisé les portefeuilles de ses commissaires afin d'écarter tout profil risquant de contester son autorité.
Nous risquons un détricotage des législations européennes les plus ambitieuses, comme le Pacte vert.
Après la crise sanitaire, l'Europe de la santé émergeait à peine. Elle est désormais abandonnée à un proche de Viktor Orbán qui n'a aucune expérience sur le sujet. Pis, la présidente souhaite intégrer le programme EU4Health au sein d'un fonds de compétitivité ; cette impulsion vers un capitalisme financiarisé nous inquiète.
La dynamique va aussi au durcissement des politiques européennes en matière de migration. La Commission veut passer de nouveaux accords avec des pays tiers pour la création de centres de demandeurs d'asile, malgré les violations des droits humains constatées en Tunisie, en Lybie ou en Turquie.
En externalisant la gestion des migrations, l'Union européenne se défausse de ses responsabilités. Pourtant, en 2018, la Commission pointait un risque élevé de non-respect des droits fondamentaux et des valeurs de l'Union européenne en ayant recours à ces centres. Celles-ci sont actuellement remises en cause.
Nous voulons défendre un modèle européen qui ne se cantonne pas au repli sur soi et au rejet de l'autre. Mais la voix de la France ne porte plus au sein de l'Union européenne.
Notre perte d'influence, illustrée par le départ de Thierry Breton, a déjà des conséquences : ainsi de la conclusion imminente des accords avec le Mercosur, malgré l'opposition de 600 parlementaires français.
Cela ne date pas d'hier : la France n'est plus un moteur de l'Union européenne, elle est plus isolée que jamais. Le couple franco-allemand est doublé par une Europe dont le pivot glisse inexorablement vers l'est.
Ces derniers temps, la France a trop souvent soutenu des positions souverainistes, contre la logique de compromis, défendant ses intérêts propres ; partant, elle a perdu de la capacité à créer du consensus.
Les discours proeuropéens du Président de la République et ses engagements environnementaux n'ont pas été traduits concrètement : la France s'est abstenue lors de l'autorisation du renouvellement pour dix ans du glyphosate, malgré les promesses présidentielles. La voix de la France est écornée et notre pays a perdu en crédibilité.
Nous avons besoin d'une Europe forte et indépendante. Le président Trump n'est et ne sera pas un ami de l'Europe : le retour de la guerre, l'effondrement climatique appellent une réponse commune. Aucun de ces sujets ne se résoudra par l'égoïsme des nations. D'où la nécessité de développer des politiques fortes et de réaffirmer notre attachement à l'Europe sociale et à la démocratie. L'Union est capable de devenir un modèle de référence ; pour notre part, nous le voulons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je ne me reconnais pas du tout dans votre constat catastrophiste de l'influence française. Au contraire, depuis l'élection américaine, le Premier ministre polonais a dit que l'ère de la sous-traitance géopolitique de l'Europe était terminée et que nous devions prendre notre destin en main. À nous d'investir dans notre défense et notre compétitivité.
Le logiciel des Européens est en train de changer ; c'est aussi le résultat du travail d'influence que nous menons depuis plusieurs années. Cessons l'autoflagellation sur ces sujets.
La France a une position claire sur la question migratoire : nous soutenons la mise en place rapide du pacte sur la migration et l'asile ou la révision de la directive Retour, notamment.
Les prétendues solutions innovantes de certains de nos voisins ne portent pas leurs fruits : il faut des réponses coordonnées pour avancer.
M. Pierre Médevielle . - (Mme Nadège Havet applaudit.) « L'Europe, quel numéro de téléphone ? », raillait Henry Kissinger. Cette plaisanterie risque de revenir au goût du jour...
Donald Trump aura pour seule boussole la défense des intérêts américains. Il ne nous fera pas de cadeaux. Ne lui en faisons pas. (M. Benjamin Haddad renchérit.)
Adaptons notre positionnement stratégique à une nouvelle donne géopolitique. L'Union européenne doit redevenir une puissance, rester fidèle à ses valeurs et s'engager pour la paix et, surtout, défendre ses intérêts.
Notre déclin géopolitique s'explique par notre décrochage économique. Nous devons redevenir une terre de production.
Je distingue trois chantiers.
Premièrement, l'innovation, une question de vie ou de mort. Si nous cessons d'innover, nous ne maintiendrons pas notre modèle économique. Le rapport Draghi le dit clairement et estime l'effort à 800 milliards d'euros par an.
Deuxièmement, il faut servir en premier les intérêts européens via la commande publique. Il faut réformer la directive de 2014.
Troisièmement, il faut faire du chantier climatique un levier de compétitivité - et non l'inverse. Le réchauffement climatique menace nos intérêts économiques. Mais la transition écologique ne doit être ni un exercice de repentance ni un appel à la décroissance. Le Pacte vert, par sa dérive bureaucratique, risque de plomber notre modèle économique.
Si l'agriculture ne peut être la seule priorité de la Commission européenne, elle sera la jauge de son succès : si l'Union européenne continue d'ouvrir ses marchés à tout va, tout en étouffant ses agriculteurs de normes, elle aura échoué. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. Bruno Sido. - C'est vrai !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je suis d'accord avec vous, c'est une question de vie ou de mort pour l'Europe. Nous constations déjà ces tendances protectionnistes avec l'administration Biden.
Je partage vos priorités. La révision de la directive relative à la commande publique se trouve dans la lettre de mission de Stéphane Séjourné.
Le rapport Draghi identifie de nombreuses priorités comme l'union des marchés de capitaux, l'union bancaire ou encore la réforme de la politique de concurrence, afin que l'Europe devienne de nouveau un continent de producteurs et pas uniquement de consommateurs.
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Médevielle applaudit également.) Ayons en tête l'agitation internationale au moment d'aborder la future politique étrangère de l'Union européenne : elle doit nous inspirer vigilance et anticipation. La France a des intérêts à défendre, et la nouvelle Commission européenne doit les entendre, pour ne pas naviguer à vue.
Les pays d'Europe centrale et orientale (Peco) gagnent en influence. La Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, nouveaux candidats, déplaceront un peu plus encore le centre de gravité de l'Union européenne vers l'est. Les élections moldaves et géorgiennes se sont déroulées dans des conditions démocratiques inquiétantes. Hormis la Commission qui avance à marche forcée, rien n'indique qu'il s'agit là de sérieux candidats à l'intégration.
Faut-il élargir à l'Ukraine au risque d'accroître la concurrence avec l'agriculture française, par exemple ? Notre pays doit faire entendre sa voix et tempérer ce tropisme contraire à ses intérêts.
Le retour de Donald Trump et de l'America First fragilise la défense du climat et les droits des femmes. Mais n'oublions pas la fragilité de notre autonomie stratégique : il faut maintenir une alliance transatlantique équilibrée, car nos rivaux sont la Chine, la Russie ou l'Iran.
Un nouveau défi se profile : le numérique. Le RGPD, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) ont permis de protéger les données, de préserver la sécurité des Européens et de réguler les grandes plateformes.
Or les Gafam développent des intelligences artificielles de plus en plus puissantes, allant d'assistants personnels à des outils professionnels dans la cybersécurité. L'Union européenne doit établir un cadre régulant leur utilisation, notamment pour les activités à haut risque telles que la reconnaissance faciale.
Pourtant, de lourdes incertitudes demeurent. Des solutions cybereuropéennes doivent émerger. Il y a urgence à agir : les géants du numérique battent tous les records d'investissement en la matière, alors que la compétitivité entre l'Union européenne et les États-Unis est déjà exacerbée.
Entre grande diplomatie et soft power, la nouvelle Commission européenne ne peut naviguer à vue et sans vision de long terme ; plus que jamais l'anticipation doit être de mise, il y va aussi de l'intérêt de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - L'élargissement est un facteur de stabilité de notre continent : les zones grises à nos portes ont été trop longtemps négligées. Le processus doit se fonder sur le mérite et les réformes, notamment sur l'État de droit ou la lutte anticorruption : la France accompagnera les pays candidats, sans toutefois forcer les procédures.
Si nous voulons être souverains en matière d'intelligence artificielle, il nous faudra investir, faute de quoi nous serons dépendants des innovations des autres pays. Le précédent mandat était axé sur la régulation, le prochain devra l'être sur l'investissement et l'innovation, notamment en matière quantique, pour plus de souveraineté.
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Alors que Donald Trump, chantre de l'America First et du repli, a été réélu, l'Europe doit faire face à un risque de repli de la puissance américaine. Regardons vers le Pacifique plutôt que vers l'Atlantique, comme l'a dit Jean-François Rapin.
Le rapport Draghi n'a pas été assez mis en lumière : la création de richesses reste l'angle mort du débat public. Il prône trois axes : innover dans la technologie et combler notre retard, décarboner l'industrie pour plus de compétitivité, renforcer la sécurité et notre indépendance. Il pointe un ralentissement de la croissance de la production et des revenus, associés à un affaiblissement de la demande en Europe.
La France dévisse en matière de création de richesses. Le rapport préconise une nouvelle stratégie industrielle. Sa mise en oeuvre nécessiterait 800 milliards d'euros par an, soit 4,5 % du PIB européen. Le programme-cadre de recherche et d'innovation devrait être doublé pour atteindre 200 milliards d'euros sur sept ans et nous devrions créer une Agence européenne pour l'innovation. Encourager nos ingénieurs à rester en Europe, voilà un bel objectif.
Le poids de la France dans le jeu diplomatique s'est amoindri. Ainsi de la proposition du Président de la République d'envoyer des soldats au sol en Ukraine, qui n'a pas été suivie par nos partenaires.
L'Union européenne doit accélérer sa production industrielle, si elle ne veut pas abandonner l'Ukraine à son triste sort. (M. Benjamin Haddad le confirme de la tête.)
Alors que le contexte géopolitique est incertain, la France doit porter la voix des réformes et de la compétitivité. N'oublions pas le mot d'André Frossard : l'histoire de l'Europe occidentale est un destin voulu, et non un destin fortuit. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Alain Cadec applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je partage votre analyse : il faut garder nos talents scientifiques en Europe. En matière de publications, l'Union européenne est bien classée ; elle l'est moins pour le dépôt des brevets et la commercialisation des innovations.
À l'instar de la Defense Advanced Research Projects Agency (Darpa), l'Union européenne doit être capable de soutenir les innovations de rupture, mais aussi de mobiliser l'investissement. C'est ainsi que nous défendrons l'autonomie de notre continent.
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La nouvelle Commission européenne, plus conservatrice que jamais, devra pourtant poursuivre le Pacte vert, plus ambitieux chantier européen de notre histoire. Car nul ne peut défendre un modèle de vie dans lequel l'air est vicié, l'eau polluée et la nourriture contaminée, dans lequel les sols s'appauvrissent et le climat s'emballe.
La composition du nouveau collège, faisant la part belle aux forces réactionnaires, ne reflète en rien les préférences politiques des Européens et met en péril la culture européenne du compromis.
Ne cédons pas aux pressions des extrêmes : faisons à long terme le choix du climat, de la biodiversité et de la justice ! Pour cela, la France doit contribuer au maintien d'une politique commune forte et solidaire. Hélas, notre message est brouillé par les atermoiements et les zigzags, et le cynisme nous gagne.
Pourtant, la plupart des grands projets européens sont compromis : plan de réduction des pesticides, stratégie « De la ferme à l'assiette », révision du règlement Reach - sans parler de l'interdiction de vente des véhicules thermiques en 2035, qui fait l'objet d'une fronde.
La réélection de Trump signifie le mépris des règles, la défense des énergies fossiles et des OGM, le dénigrement des ambitions écologiques et climatiques de l'Europe. Ne nous laissons pas entraîner dans un capitalisme sauvage qui mènerait le monde à la destruction.
N'oublions pas ce qu'écrivait Lampedusa : si vous voulez que rien ne change, il faut tout changer. Notre responsabilité est d'agir pour ne pas subir les évolutions. Mais avons-nous encore le poids nécessaire ? J'ai entendu votre réponse à mon collègue Bernard Jomier, mais nous jugerons le Gouvernement sur ses actes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Il nous faudra l'agilité du guépard pour répondre à tant de défis... (Sourires)
Les ambitions environnementales, promues par la France sous la précédente Commission européenne, sont aussi un enjeu de compétitivité et d'autonomie stratégique. Elles demeurent un objectif majeur, sans contradiction avec le renforcement de notre compétitivité et de notre industrie. Nous entendons faire de l'Union européenne un pilote dans ce domaine.
M. Ronan Le Gleut . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Et si l'on passait à l'âge adulte ?
L'Europe a délégué sa sécurité collective aux États-Unis à travers l'Otan. Les Européens sont-ils donc condamnés à trembler, tous les quatre ans, en fonction des suffrages de quelques électeurs américains dans quelques États pivots ? Continuerons-nous à délaisser notre sécurité collective, élément fondamental de notre souveraineté ?
Le premier mandat de Trump et sa récente campagne ont fragilisé l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord, donc notre sécurité. Nous, Français, considérons - à raison - que notre sécurité est assurée par notre dissuasion nucléaire et notre armée, la meilleure en Europe. Mais nos partenaires ont confié presque complètement leur sécurité au parapluie américain. Désormais seul État de l'Union européenne à disposer d'un siège permanent au Conseil de sécurité, la France a un rôle majeur à jouer pour une plus grande autonomie stratégique du continent.
Comme le disait Florence Parly, l'article 5 n'est pas l'article F-35. Dès lors que notre sécurité collective est mise à mal, nos partenaires n'ont plus de raisons d'acheter tout leur matériel militaire, sur étagère, aux États-Unis. La France, qui fabrique les meilleurs armements au monde - je pense notamment au Rafale -, doit se réveiller et saisir cette occasion. Il est temps de construire une base industrielle et technologique de défense véritablement européenne.
Prenons en main notre destin, instituons une préférence européenne en matière militaire. Saisissons cette occasion pour la France et pour l'Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Je souscris fondamentalement à votre analyse, dont la validité aurait été la même avec un résultat électoral différent aux États-Unis. Les tendances protectionnistes, la priorité stratégique donnée à la Chine, l'unilatéralisme sont des tendances structurelles de la politique américaine, dont le président Trump est le révélateur et l'accélérateur. Vous avez raison : nous ne pouvons pas remettre notre sécurité collective entre les mains des électeurs du Michigan ou du Wisconsin.
Nous devons instituer une préférence européenne dans le domaine de l'industrie de défense. La France a un rôle particulier à jouer à cet égard, compte tenu de sa vision stratégique et du doublement des investissements dans la défense depuis 2017. Sachons aussi écouter et respecter les impératifs de sécurité de nos partenaires, notamment ceux qui sont en première ligne face à la Russie. C'est ainsi que nous bâtirons une Europe de la défense autonome.
Mme Else Joseph . - Par un hasard curieux, mais pas tout à fait anecdotique, la nouvelle Commission européenne prend forme au moment où un nouveau président américain est élu. La première sera confrontée au roi de l'art de la négociation, pour reprendre le titre d'un ouvrage du second... De fait, la Commission européenne joue un rôle clé dans les accords commerciaux, domaine dans lequel sa compétence est exclusive.
Nous devons être vigilants sur la défense de notre agriculture et refuser l'importation de produits fabriqués par des méthodes interdites sur notre sol. Le président Rapin a parlé à bon droit de réciprocité et de préférence européenne, notions trop souvent oubliées dans le discours européen.
Allons-nous persister dans une politique aberrante ? Dommage que rien n'ait été médité à propos du Mercosur. Nos agriculteurs sont très inquiets.
Nos difficultés ne sont pas qu'exogènes ; elles résultent aussi de notre propre manque de vision et d'ambition. L'Europe, par le passé, a découragé par sa façon d'appliquer les traités. Elle a protégé le consommateur, ce qui peut être louable, mais les industries aussi ont besoin d'être encouragées.
Voyez les semi-conducteurs, domaine dans lequel la covid a révélé notre dépendance. N'attendons pas la prochaine crise pour agir. L'Union européenne s'est fixé l'objectif de représenter 20 % du marché mondial. Il nous reste peu de temps pour tendre la main aux entreprises taïwanaises qui souhaitent investir dans ce domaine.
Alors que les populistes gagnent en Europe et à l'heure de la revanche du Sud global, l'Union européenne doit être à la hauteur de ses textes fondateurs et de son idéal. Pour éviter des fractures irrémédiables, construisons une Europe qui protège et entreprend ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Oui, nous avons besoin d'une politique industrielle européenne et d'une Europe qui protège. La meilleure réponse aux populismes, c'est d'écouter les préoccupations qui s'expriment sur la sécurité, l'immigration ou la désindustrialisation - thèmes sur lesquels le candidat Trump l'a emporté. Ces enjeux sont européens : nous devons y répondre en Européens.
Le rapport Draghi va dans le même sens, en appelant à une réforme de la politique de la concurrence et des règles en matière d'aides d'État. Il faut réfléchir à l'échelle du marché pertinent et soutenir l'émergence de champions européens compétitifs face aux géants des autres continents.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Au terme de ce débat, au cours duquel de nombreuses thématiques ont été abordées, je retiens qu'un consensus émerge : nous sommes à un point de bascule historique et géopolitique, avec l'agression russe contre l'Ukraine, les enjeux climatiques et la récente élection américaine.
Les règles du monde ne doivent pas s'écrire sans nous. Car, comme le disent les Américains, si vous n'êtes pas autour de la table, c'est que vous êtes au menu... Défendons nos intérêts en assumant des rapports de force. C'est le sens du combat pour la souveraineté européenne mené par la France depuis le discours de la Sorbonne.
Des avancées majeures ont déjà eu lieu dans cette direction : plan NextGenerationEU, pacte sur la migration et l'asile, développement d'une préférence européenne en matière de défense, fin d'une forme de naïveté en matière commerciale, Green Deal. Sur chacun de ces sujets, la France a été pilote.
Il reste de nombreux champs à défricher, notamment pour renforcer notre compétitivité et notre prospérité. Ces enjeux sont au coeur du portefeuille de Stéphane Séjourné. Nous devons mobiliser l'épargne publique et privée au service de la recherche, finaliser l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire, investir dans notre industrie de défense, faire preuve d'une plus grande ambition dans notre voisinage - Géorgie, Moldavie, Balkans occidentaux.
Ces défis sont existentiels pour notre continent. Soyons au rendez-vous pour continuer d'écrire notre destin.
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Difficile de conclure après la conclusion... (Sourires)
Une nouvelle commission se met en place, qui se distingue à bien des égards de la précédente. Le contexte politique interne, d'abord, est différent, avec un net déplacement du centre de gravité des institutions vers la droite. Au Parlement européen, la progression des forces nationalistes est inquiétante.
L'environnement international, quant à lui, est plus instable et globalement hostile : guerre en Ukraine et au Proche-Orient, instabilité en mer de Chine. Ajoutons à cela la prochaine installation d'une administration américaine protectionniste.
Il en résulte une révision des priorités de la Commission. Tout en poursuivant son agenda pour l'environnement et le numérique, elle met l'accent sur la compétitivité, la réindustrialisation, l'autonomie stratégique et la défense résolue des intérêts européens.
Je me félicite de ce nouveau souci de réalisme. Reste à voir si la cohésion des États membres et les moyens mis en oeuvre suivront. Je crains, hélas, que l'état de nos finances publiques ne plombe notre influence. Une nation qui ne tient pas ses comptes ne tient pas son rang.
De fait, notre pays est affaibli dans chacune des institutions européennes. Au Conseil européen, le Président de la République a perdu une bonne part de son crédit après deux échecs électoraux successifs. Au Conseil des ministres, le gouvernement de compromis auquel vous appartenez, et que je soutiens, est affaibli par son assise parlementaire fragile et la situation budgétaire qu'il doit assumer. Au Parlement européen, la France est sous-représentée dans les deux principaux groupes et surreprésentée dans un groupe qui s'autoexclut. À la Commission européenne, elle a subi un diktat inédit et humiliant, conduisant au retrait de Thierry Breton et à la désignation d'une autre personnalité, insuffisamment qualifiée pour ce niveau de responsabilités et au portefeuille mal défini, en dépit du beau titre dont elle est parée.
La Commission européenne sera-t-elle capable de mener une action efficace au service des citoyens européens ? La France sera-t-elle en mesure de peser ? Comme beaucoup, je suis inquiet, mais j'espère que les faits me donneront tort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance, suspendue à 20 h 10, reprend à 21 h 40.